Notes
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[1]
Sur les convergences possibles du raisonnement sociologique avec celui des épidémiologistes, voir Monique Kaminski, Thierry Lang et Annette Leclerc, Inégaux face à la santé, Paris, La Découverte, 2009, p. 162.
-
[2]
Luc Boltanski, « Les usages sociaux de l’automobile : concurrence pour l’espace et accidents », Actes de la recherche en sciences sociales, 1(2), 1975, p. 42.
-
[3]
Fabrice Bardet et Steve Bernardin, « Statistiques et expertises de la sécurité routière. Une comparaison France-États-Unis », Rapport définitif édité par l’École nationale des travaux publics de l’État, 2006, p. 126. On peut se demander pourquoi la PCS des accidentés est collectée si les données que cette variable permet de produire ne sont pas publiées ?
-
[4]
Laurent Thévenot, « Les investissements de forme », Cahiers du CEE, 1986, p. 21-71.
-
[5]
Concernant l’influence de la culture professionnelle des métiers de l’administration de l’équipement sur la mise en forme publique du problème des accidents de la circulation, voir Hélène Reigner, « L’idéologie anonyme d’un objet dépolitisé : la sécurité routière », Sciences de la société, 65, 2005, p. 125-143.
-
[6]
Sauf cas rarissime (suicide, passager mal attaché), les décès routiers ne sont pas causés par les passagers ou les piétons (y compris en « roller » ou en « trottinette »). De plus, les passagers subissent souvent le même sort que le conducteur lorsque celui-ci est impliqué dans un accident mortel.
-
[7]
Ces chiffres proviennent des bilans annuels publiés par l’ONISR.
-
[8]
L’entreprise reste, hélas, tributaire du découpage en PCS institué par l’INSEE, c’est-à-dire d’opérations taxinomiques pensées dans une finalité bureaucratique et propres à la statistique publique française. Sur la genèse de l’appareil statistique français, voir Alain Desrosières, La Politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 2000 [2e éd.]. Rapporter un fait d’apparence aussi individuel à des facteurs collectifs n’est pas dénué d’implications pour la discipline elle-même, à l’heure de la raréfaction de l’usage de la catégorie sociale dans les enquêtes à vocation sociologique. Sur ce point, voir Emmanuel Pierru et Alexis Spire, « Le crépuscule des catégories socioprofessionnelles », Revue française de science politique, 58, 2008, p. 457-481.
-
[9]
Ces chiffres prennent en compte les conducteurs morts dans un délai de 30 jours après l’accident.
-
[10]
L’immense majorité des déplacements routiers ne produit aucun décès. Il existe un écart démesuré entre le nombre d’accidents mortels de la circulation et la population globale dont ils émanent. Le caractère exceptionnel des décès routiers est d’autant plus prononcé que le volume global des déplacements est important. Sur ce point, voir Christian Baudelot et Roger Establet, Suicide. L’envers de notre monde, Paris, Seuil, 2006, p. 251.
-
[11]
Les ouvriers affichent, également, au niveau national en 2007, une sur-morbidité routière : 18,7 % des blessés avec hospitalisation et 19 % des blessés n’ayant pas fait l’objet d’une hospitalisation.
-
[12]
Alain Desrosières et Laurent Thévenot, Les Catégories socioprofessionnelles, Paris, La Découverte, 2002 [5e éd.], p. 78.
-
[13]
Il semble hâtif d’associer les employés aux professions intermédiaires à l’heure où les conditions sociales d’existence des premiers sont parfois plus dégradées que celle des ouvriers. Sur ce point, voir Louis Chauvel, Les Classes moyennes à la dérive, Paris, Seuil, 2006, p. 23-30.
-
[14]
La mortalité des piétons touche plus d’une fois sur deux un retraité en 2007. Par ailleurs, 36 % des retraités morts sur la route en 2007 l’ont été en position de piéton. La forte mortalité routière des retraités en position de piéton relativement aux autres PCS s’explique par le fait qu’ils conduisent moins ou plus du tout. D’autre part, ils sont, en raison de l’âge, plus fragiles vis-à-vis des accidents corporels, même légers. Compte tenu du vieillissement de la population, la mortalité des retraités semble destinée à s’accroître.
-
[15]
Bien que les écarts soient faibles, le taux d’équipement en automobile de la catégorie des ouvriers est en 2004 au niveau national de 82,5 % ou de 76,5 % pour les employés et de 91,2 % chez les cadres supérieurs ou de 90,5 % au sein des professions intermédiaires d’après l’INSEE. Source : INSEE, Enquête permanente sur les conditions de vie, 2004.
-
[16]
« Il y a quatre ou cinq ans, les procédures partaient à quinze jours, maintenant c’est un mois et demi, donc forcément, les statistiques partaient avant que nous on ait le temps d’instruire le dossier. Le temps que l’entourage de la victime qui n’habite pas la commune se manifeste, par exemple, on avait pas la PCS » explique ce policier [Entretien avec un agent de police du commissariat central de Toulouse, janvier 2007].
-
[17]
Les enfants âgés de zéro à 14 ans représentent, par exemple, en région Midi-Pyrénées 2,9 % des tués codés « autre » entre 1998 et 2005. Bien qu’ils ne possèdent pas le permis de conduire, les enfants peuvent aussi mourir en position de conducteur lorsqu’ils ont, par exemple, un accident de la circulation en faisant du vélo.
-
[18]
Données INSEE du recensement de 1999.
-
[19]
C. Baudelot et R. Establet, Suicide. L’envers de notre monde, op. cit., p. 187.
-
[20]
La catégorie « gens sans profession ou de profession inconnue » affiche entre 1861 et 1865 le taux de suicide par groupe professionnel le plus élevé (61 contre 21,4 chez les professions libérales et les rentiers, 11,7 pour les professions industrielles et commerciales et enfin 8,2 au sein des professions agricoles). Sur ce point, voir Jean-Claude Chesnais, Histoire de la violence, Paris, Robert Laffont, 1981, p. 237.
-
[21]
Entretien avec un agent de police du commissariat central de Toulouse, janvier 2007.
-
[22]
Joseph Gusfield, La Culture des problèmes publics. L’alcool au volant : la production d’un ordre symbolique, Paris, Economica, 2009, p. 39 [1re éd. 1981].
-
[23]
L’influence de la catégorie socioprofessionnelle sur l’incidence des décès routiers ne doit cependant pas conduire à mésestimer celle du genre. Depuis 1970, les femmes représentent environ le quart des tués et le tiers des blessés selon l’ONISR. ONISR, Grands thèmes de la sécurité routière en France, op. cit., p. 117.
-
[24]
Entretien avec trois agents de police du commissariat central de Toulouse, janvier 2007.
-
[25]
Entretien avec le juge de la sixième chambre correctionnelle du TGI de Toulouse, décembre 2005.
-
[26]
La réduction de plus de moitié de la part des agriculteurs parmi les tués de la route rend aussi compte d’un effet de structure lié à la décroissance des effectifs de cette PCS. Selon l’INSEE (enquête emploi en continu), les agriculteurs exploitants ont vu leurs effectifs se réduire de 12,3 % entre 2003 et 2005 en part relative.
-
[27]
Sur ce point, voir Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Paris, Agora, 1973.
-
[28]
ONISR, Grands thèmes de la sécurité routière en France, op. cit., p. 66.
-
[29]
Concernant l’influence de la forme urbaine sur la sécurité des déplacements routiers, voir H. Reigner, Frédérique Hernandez et Thierry Brenac, « Circuler dans la ville sûre et durable : des politiques publiques contemporaines ambiguës, consensuelles et insoutenables », Métropoles, 5, 2009, en ligne : http://metropoles.revues.org/3808.
-
[30]
Sur les stratégies des catégories sociales « supérieures » pour défendre leurs espaces résidentiels, voir Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Les Ghettos du gotha, Paris, Seuil, 2007.
-
[31]
Luc Boltanski, « L’encombrement et la maîtrise des biens sans maîtres », Actes de la recherche en sciences sociales, 2(1), 1976, p. 105.
-
[32]
ONISR, La Sécurité routière en France. Bilan de l’année 2004, Paris, La Documentation française, 2005, p. 127.
-
[33]
Anne-Catherine Wagner, Les Classes sociales dans la mondialisation, Paris, La Découverte, 2007.
-
[34]
Jacques Donzelot, « La ville à trois vitesses : gentrification, relégation, périurbanisation », Esprit, 303, 2004, p. 7-39.
-
[35]
Pierre Bourdieu, « Effets de lieu », in P. Bourdieu, La Misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 252.
-
[36]
Il ne s’agit pas ici de dévaluer le localisme mais de constater, après d’autres, qu’il ne garantit plus l’insertion sociale des classes populaires comme par le passé. Sur le concept de capital d’autochtonie, voir Michel Bozon et Jean-Claude Chamboredon, « L’organisation sociale de la chasse en France et la signification de la pratique », Ethnologie française, 1, 1980 ; Jean-Noël Retière, « Autour de l’autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire », Politix, 16(163), 2003, p. 121-143 ; Nicolas Renahy, Les Gars du coin, Paris, La Découverte, 2005, p. 108 ; A.-C. Wagner, Les Classes sociales dans la mondialisation, op. cit., p. 72.
-
[37]
Sur l’homologie entre la jeunesse rurale décrite par Nicolas Renahy et la territorialisation de l’accident modal en rase campagne, voir N. Renahy, Les Gars du coin, op. cit., p. 17-30.
-
[38]
Pour une analyse comparable sur la difficile insertion matrimoniale des agriculteurs, voir Pierre Bourdieu, Le Bal des célibataires : crise de la société paysanne en Béarn, Paris, Seuil, 2002 ; Patrick Champagne, L’Héritage refusé : la crise de la reproduction sociale de la paysannerie française (1950-2000), Paris, Seuil, 2002.
-
[39]
Sur ce point, voir S. Beaud et M. Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, op. cit.
-
[40]
Luc Boltanski, « Les usages sociaux du corps », Annales, 26(1), 1971, p. 205-233.
BULLETIN D’ANALYSE d’un accident corporel de la circulation (BAACC)
BULLETIN D’ANALYSE d’un accident corporel de la circulation (BAACC)
1Aucun chiffre officiel en France n’établit de corrélation entre le fait de mourir sur la route et le milieu social alors que ce lien existe pourtant bel et bien. La remarquable absence de données publiques sur la profession des tués de la route entretient l’idée, largement reçue, que perdre la vie ou se blesser au volant serait lié au seul hasard des déplacements individuels et que nous serions, à l’exception des jeunes hommes, tous égaux devant cette cause de mortalité prématurée. Les décès routiers résulteraient des différences d’aptitudes individuelles à la conduite et se distribueraient de manière aléatoire. Le discours des services de l’État nous convainc, ainsi, que la responsabilité de l’accident relève de la faute personnelle du conducteur.
2Si la statistique susceptible de dévoiler des différences de classe a peu de chance d’être produite par l’État et ses services – a fortiori dans une société égalitaire qui aspire à leur disparition – les rares chiffres sur les inégalités sociales de santé montrent pourtant que nous ne sommes pas égaux face à la mort, y compris lorsque le décès est évitable [1]. « Tout se passe, comme si les catégories les plus favorisées, dont les membres ont été les derniers essentiellement pour des raisons économiques à posséder une automobile, payaient une propension extrêmement forte aux accidents leur accession tardive à ce type de bien [2] », observe Luc Boltanski en 1975, lorsque environ 15 000 personnes en moyenne perdaient chaque année la vie sur les routes de France. Qu’en est-il 35 ans plus tard alors qu’en 2009 on regrette 4 262 morts et que dans le même temps le nombre de véhicules en circulation et les distances parcourues n’ont pas cessé d’augmenter ?
Les décès routiers saisis par l’État
3Bien qu’elle soit collectée par les forces de l’ordre (Police, Gendarmerie ou Compagnie républicaine de sécurité) lors d’un accident mortel de la circulation, la Profession et catégorie socioprofessionnelle (PCS) des tués de la route est absente des analyses statistiques publiées dans les bilans mensuels et annuels de l’Observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR), l’institution en charge de mesurer les conséquences sanitaires du problème. La catégorie socioprofessionnelle des accidentés est pourtant intégrée parmi les variables à renseigner dans les relevés d’accidents en 1968 avant d’être supprimée en 1976 pour ensuite réapparaître en 1993 [3]. Néanmoins, la profession des accidentés de la route ne semble pas être considérée comme une information prioritaire. En effet, la catégorie des cadres moyens, abandonnée par l’INSEE en 1982, est toujours d’usage actuellement dans la nomenclature socioprofessionnelle des Bulletins d’analyse des accidents corporels de la circulation (BAACC). De manière similaire, la classification socioprofessionnelle adoptée dans les années 1970 donnait lieu à des catégories parfois improbables mêlant l’élève au chômeur, l’agriculteur à l’artisan ou isolant les conducteurs de véhicules personnels et de poids lourds. La persistance de la catégorie « conducteur professionnel » constitue, à cet égard, un « investissement de forme [4] » significatif du poids de certaines équivalences héritées de la culture professionnelle des ingénieurs des Ponts et Chaussées au sein de laquelle la représentation statistique du problème des accidents de la route s’est forgée [5].
4De leur genèse institutionnelle liée aux métiers de l’équipement, les indicateurs officiels de mortalité routière gardent la marque d’un attachement disproportionné à décrire la scénographie de l’accident. Chaque tué fait, ainsi, l’objet d’un enregistrement statistique prenant en compte plusieurs dizaines de rubriques liées aux caractéristiques du lieu de l’accident (luminosité, conditions atmosphériques, type de collision, etc.), à l’infrastructure (type de route, nombre de voies, régime de circulation, état de la chaussée, etc.), au véhicule (type de véhicule, sens de circulation, assurance, obstacles heurtés, point de choc, etc.), ou à la conduite de l’individu (état du permis de conduire, alcoolémie, drogue, médicaments, type de trajet effectué, etc.), contre seulement trois variables sociographiques : le genre, l’âge et la PCS [voir encadré « Bulletin d’analyse d’un accident corporel de la circulation (BAACC) », p. 38]. Parce qu’elle n’est pas envisagée comme ce qui compte pour comprendre l’accident dans la culture professionnelle des fonctionnaires de l’équipement, la PCS est une variable secondarisée, noyée au sein d’un flot d’indicateurs quasi-exclusivement destinés à satisfaire les exigences professionnelles des ingénieurs, des assureurs, des forces de l’ordre ou du personnel politique, par et pour qui les BAACC ont été pensés.
5Les raisons de ne pas rendre visibles les aspects sociaux de l’accident de la route sont également d’ordre politique. Le risque de stigmatisation qui accompagne toute intervention différenciée de l’État dans une société qui se veut égalitaire contribue, en effet, à laisser la question de l’inégalité devant l’accident dans l’angle mort de la statistique publique, comme le souligne le secrétaire général de l’ONISR, ingénieur des Ponts et Chaussées de formation, en poste de novembre 1999 à septembre 2009.
« En France, c’est politiquement incorrect de parler de cela […], vous voyez tout le temps que les noirs, les hispanos, la sécurité routière suivant la race comme aux États-Unis, c’est pas possible en France. Ce sont des règles, c’est une idéologie au sens péjoratif, la laïcité et autre, la France, la République une et indivisible et la CNIL (Conseil national informatique et liberté) ne laisse pas ces données d’ordre personnel […]. Deuxième chose on a des outils limités, on a que la première catégorie de la CSP, pour faire plus ça serait très compliqué surtout de le demander aux forces de l’ordre […]. On voit un frémissement, chômeurs, sans papiers, sans permis, sans assurance. Il ne faut pas, de toute façon ça sera délicat à faire. Pour le moment, ce n’est pas une chose prioritaire […]. De toute façon ça n’a rien de nouveau parce que dans tous les domaines de santé, on sait que ce sont les riches qui se soignent mieux, non pas seulement parce qu’ils ont de l’argent mais parce qu’ils sont attentifs, c’est les gens éduqués qui vont être tout de suite à l’affût du fait qu’il faut pas faire ci ou pas faire ça, ce sont des différences sociales ça. ».
7De la distance séparant les bassins d’emplois des zones résidentielles, à l’état des routes, en passant par l’inégale sécurisation des véhicules et des infrastructures, ou ne serait-ce qu’en raison des rentrées d’argent public engendrées par l’implantation des radars automatiques, le problème ne peut être montré sous un jour trop social. La seule dénonciation des comportements individuels de conduite s’impose alors comme une explication simple qui permet de laisser dans l’ombre les facteurs collectifs d’accidents [voir encadré « Une inégalité connue mais non reconnue », p. 42-43]. D’autres conceptions possibles du problème subsistent au sein de l’administration. Obligés de « faire avec », sans pour autant qu’ils soient tous dupes des facteurs sociaux de mortalité routière, les agents de l’État sont contraints par des logiques diverses et différemment orientées, comme peut l’évoquer le responsable du bureau de l’éducation routière de la Direction à la sécurité et à la circulation routière (DSCR).
« Tout se ramène au comportement ce qui paraît vrai en partie, mais c’est une excuse facile pour se décharger de certaines responsabilités. C’est tellement plus facile de dire qu’on est tous des mauvais conducteurs, c’est bien pour la communication. Dans une approche systémique, il n’y a pas que l’automobiliste qui est responsable, il y a celui qui a fait la route, la voiture, la réglementation, chacun contribue à l’insécurité routière. […] Il y a aussi le système d’assurance qui fait que l’on cherche un responsable, tout est orienté dans ce sens là. ».
Une inégalité connue mais non reconnue
9À moins d’entrer dans une politique de toute autre échelle en rupture avec les choix effectués depuis plusieurs décennies, la recherche et l’action publique sont enfermées dans un ensemble de contradictions qui ferment l’espace de l’investigation et les objets de recherche légitimes. Sans référence à la position occupée par les tués de la route dans l’espace social, la statistique institutionnelle des accidents de la circulation homologue ainsi auprès des responsables publics, des journalistes et des usagers, la conviction que la mortalité routière serait socialement indifférenciée.
Inégaux face aux accidents corporels de la circulation
10Les relevés d’accidents constituent la base de l’information statistique mais aussi un objet préconstruit par et pour les nécessités administratives, dont celles de l’équipement. Parce que les conséquences sanitaires des accidents de la circulation sont uniquement présentés à travers le seul indicateur synthétique du nombre global de tués, les chiffres officiels mis à disposition du personnel politique et dispensés dans les médias d’information généraliste confondent des pratiques sociales hétérogènes impliquant des usagers de la route et des catégories de population distinctes : conducteurs, passagers et piétons d’une part, actifs et inactifs (dont les enfants) d’autre part. Il convient donc, pour retrouver l’unité d’analyse statistique pertinente des comportements, de considérer séparément ce qui relève de la conduite d’un véhicule (la plupart du temps motorisé mais pas seulement), de ce qui est de l’ordre de l’exposition passive aux accidents en tant que piéton ou passager. La conduite d’un véhicule est une pratique sociale, le fait de se déplacer à pied ou comme passager en sont d’autres.
11La catégorie des conducteurs s’impose comme le niveau d’analyse adéquat sur un plan strictement comptable. Leur contribution aux décès routiers est, en effet, relativement stable puisqu’ils représentent chaque année environ 70 % des tués [6] : 73 % en 2004 selon l’ONISR, 69 % en 2005 ou 70,6 % en 2006 [7] et de 60 % à 72,5 % parmi les collectivités locales analysées. Reconstruire la mortalité routière des seuls conducteurs isole la distribution des décès routiers de tous les circulants véhiculés morts dans un accident de la circulation. Ce choix statistique permet de rapporter le nombre de conducteurs tués au sein de chaque PCS aux effectifs de la population globale dont ils émanent : la population active de 15 ans et plus. On se donne alors les moyens, sans succomber à une mauvaise analyse « par la profession (du père) », de lier le caractère individuel de la conduite (routière) avec les dimensions collectives de l’existence, saisies par la PCS [8] [voir encadré « Les ruses du comptage », p. 45].
12Ainsi, dans le tableau 1 [voir p. 46], on doit lire en colonne que 3 239 conducteurs sont morts en France métropolitaine en 2007 et que 22,1 % d’entre eux étaient ouvriers alors qu’ils représentent 12,07 % de la population de 15 ans et plus [9]. Cette statistique élémentaire mesurant a posteriori les équivalences de contribution par classe aux décès routiers établit d’emblée un fait social remarquablement inaudible au regard des fonds alloués à la prise en charge de ce problème public : les groupes sociaux sont inégaux face aux accidents mortels de la circulation. Cette mortalité « d’exception [10] » ne frappe pas au hasard et ne semble pas seulement résulter des aptitudes individuelles des conducteurs.
Répartition des tués par accident de la circulation selon la PCS et le type d’usager en France métropolitaine en 2007 (%)
Répartition des tués par accident de la circulation selon la PCS et le type d’usager en France métropolitaine en 2007 (%)
13Les ouvriers sont, aux côtés des artisans (dans des proportions bien moindres) sur-représentés parmi les tués par accident de la circulation [11] alors que la catégorie des cadres supérieurs, professions libérales et chefs d’entreprise se caractérise par sa sous-mortalité routière. Le groupe des employés, hélas inséparables des cadres moyens, n’autorise qu’un examen partiel. La mortalité routière de cette catégorie sociale semble liée à la féminisation des employés [12]. Tandis que les femmes représentent au niveau national 15,7 % des décès de conducteurs en 2007, ce taux passe à 24,5 % chez les « cadres moyens » et les employés [13], contre 16 % chez les hommes.
14On se gardera d’analyses concernant certaines PCS qui ne peuvent être simplement rapportées aux effectifs de la population globale dont elles sont issues, telles que celle des retraités, des étudiants et des chômeurs qui représentent respectivement 4,3 %, 7,4 % et 15,4 % des morts impliquant un conducteur en 2007 au niveau national [14]. Les conducteurs appartenant à ces trois catégories ne peuvent être simplement définis par leur appartenance aux classes défavorisées, moyennes ou supérieures. L’exposition différentielle aux accidents de la circulation, repérée par Luc Boltanski dans les années 1970, ne semble donc pas seulement liée à l’accès plus tardif des conducteurs modestes à l’automobile ou à l’intensification du trafic. Malgré l’accumulation et la transmission collective des expériences de conduite, l’équipement des ménages en véhicules motorisés, ou encore la multiplication des campagnes de prévention et des politiques publiques, le statut ouvrier concerne encore quasiment le quart des conducteurs morts sur la route en 2007 [voir encadré « La distribution sociale des véhicules », ci-contre].
La distribution sociale des véhicules
15L’inégalité sociale face aux décès routiers se vérifie aussi à plus petite échelle, dans différents départements choisis de manière aléatoire. La diversité socio-spatiale des circonscriptions retenues démontre que la surmortalité routière des ouvriers établie au niveau national n’est pas liée à la plus importante contribution d’un ou plusieurs départements, ni à une tendance ponctuelle [voir tableau 2, p. 47]. Le tribut des ouvriers à la mortalité routière est particulièrement important dans les départements paupérisés et désindustrialisés du Nord et de la Moselle. Les disparités d’exposition sont, par ailleurs, particulièrement marquées en Haute-Garonne. Alors que les cadres supérieurs et les ouvriers ont un poids à peu près équivalent dans ce département, respectivement 9,3 % et 10,7 %, les premiers concentrent 3,8 % des décès routiers de conducteurs survenus entre 1993 et 2005, contre 19,8 % chez les seconds. Dans la mesure où le taux d’équipement en véhicule de chaque PCS est toujours inférieur à ses effectifs [15] et parce que la contribution des femmes aux décès routiers est systématiquement inférieure à leur poids dans la population active, en particulier chez les ouvriers, ces deux représentations statistiques valent a fortiori.
Répartition des tués par accident de la circulation selon la PCS du conducteur et le département (%)
Répartition des tués par accident de la circulation selon la PCS du conducteur et le département (%)
16De manière similaire, si depuis des décennies la surmortalité des « jeunes » a bien été mise en évidence par les entrepreneurs du problème, l’âge ne comprime pas, pour autant, les différences sociales. Les ouvriers sont les plus touchés par la surexposition à la mortalité routière des moins de 30 ans. Parmi les 1 241 conducteurs âgés de 15 à 29 ans morts sur la route en 2007, 28,5 % d’entre eux sont ouvriers. Alors que les 15-29 ans représentent 25,9 % des effectifs ouvriers au niveau national, la part de cette classe d’âge passe à 49,4 % chez ceux qui ont été tués dans un accident de la circulation. La spécificité juvénile des décès routiers ne découle pas tant des propriétés biologiques de l’âge que de son arrimage social ; des caractéristiques morphologiques de la catégorie « ouvrier » qui est une PCS globalement jeune. Enfin, la surmortalité routière des classes populaires s’accentue si l’on considère les routines policières qui conduisent 23,7 % des conducteurs morts en 2007 à rejoindre la catégorie « autre ». Tous les accidentés n’ont pas la même probabilité que leur PCS échappe à l’enregistrement administratif des décès routiers.
17En effet, aucune formation spécifique n’a été dispensée aux agents des forces de l’ordre pour appréhender cette tache de collecte et de classement, souvent déclassée dans la hiérarchie des préoccupations policières. Le sous-enregistrement de la PCS, ou son renvoi à la catégorie « autre », est, de plus, contraint par certaines procédures administratives propres au travail policier qui ne laissent pas un temps nécessaire aux agents pour recueillir le peu d’informations d’ordre sociographiques engrammées dans les BAACC [16]. Le problème du codage socioprofessionnel des tués se pose également lorsqu’il s’agit d’enfants qui n’appartiennent de fait à aucune PCS et sont donc aussi classés dans cette catégorie floue et imprécise [17]. La contribution relativement constante de la catégorie « autre » à la mortalité des conducteurs, de l’ordre de 21 % à 31 % par an entre 1998 et 2005 dans la région Midi-Pyrénées, permet d’en savoir plus sur l’âge et le genre des tués qui la composent.
18Constituée en moyenne de 75 % d’hommes (pour 82,8 % des tués codés « autre » en 2007 au niveau national) et de presque 60 % de moins de 30 ans en région Midi-Pyrénées, la catégorie « autre » concentre certaines des caractéristiques morphologiques du groupe « ouvrier » qui est à l’échelle de cette circonscription le plus masculin et le plus jeune avec environ 80 % d’hommes et 25 % de moins de 30 ans [18]. Par ailleurs, les tués classés « autre » sont, en 2007 au niveau national, les plus représentés au sein des conducteurs dont le permis de conduire faisait défaut, 40,3 %, était suspendu, 40,6 %, ou périmé, 38,5 %, lors de leur décès routier. Ils sont également majoritaires parmi les conducteurs sous l’emprise de drogues ou de médicaments avant de mourir au volant, 32,9 %. Comme le confirment les PV d’accidents mortels, les tués classés « autre » le sont parce qu’ils occupent des emplois d’exécution souvent précaires pour lesquels aucun code n’est prévu (ni donc mis à disposition des agents sur le terrain contraint de les renvoyer à leur indétermination sociale), comme les intérimaires, les apprentis, les stagiaires (également les étudiants qui étaient classés dans la catégorie « autre » jusqu’à l’intégration du code aux BAACC en 2002), les travailleurs en situation irrégulière ou non déclarée [voir encadré « Le contenu social de la catégorie “autre” », ci-contre].
« - Homme, 20 ans, profession non mentionnée, décédé hors agglomération en Ford Escort volée quelques jours plus tôt.
D’après les témoignages, ce jeune homme qui a deux demi-sœurs est né d’un deuxième mariage. Il est ballotté depuis le plus jeune âge entre ses deux sœurs, sa mère souffrant de problèmes psychologiques. Il ne tient pas un emploi, ni son apprentissage. Il est hébergé chez une ancienne voisine qui décide de l’aider. Il fait deux séjours à la clinique pour sevrage. Il retourne chez l’ancienne voisine ou ses “amis” continuent d’exercer une mauvaise influence sur lui. L’une des demi-sœurs est très étonnée que son frère ait volé une voiture, elle le qualifie de peureux et déclare qu’il a raté le code trois fois. La voisine entendue dit que la veille, il était déprimé, trouvait sa vie très dure. Elle dit qu’à l’évidence il avait manqué d’affection. Le fils de la voisine précise après avoir mené son enquête qu’un ami lui avait donné la voiture volée parce qu’il lui devait 20 euros, il ne savait pas qu’il n’était pas en mesure de conduire. »
« - Homme, 20 ans, célibataire, profession non mentionnée, alcoolémie positive, décédé en Peugeot 205. Les deux véhicules circulent dans le même sens dans une descente, hors agglomération. Le véhicule accidenté roule à grande vitesse et double sur une ligne continue et des zébras un autre véhicule dans une courbe à gauche. Le conducteur perd le contrôle de son véhicule, percute deux murs de clôture puis est éjecté et trouve la mort sur une clôture grillagée, tandis que le passager, un mécanicien âgé de 21 ans, est blessé grièvement. Son véhicule rebondit sur la chaussée, percute l’autre véhicule et blesse légèrement son conducteur, un chauffeur routier de 61 ans.
Témoignage du passager, blessé grièvement, de l’autre véhicule : “Je me suis rendu avec ma voiture chez la victime. Nous sommes partis avec son véhicule à lui. Nous sommes allés sous un abribus où nous avons retrouvé des camarades. Au début nous étions six. Nous sommes partis acheter de l’alcool. Nous avons pris huit bouteilles de bière-vodka et trois litres de Desperados. Dans la voiture, il y avait déjà cinq bouteilles. Nous sommes repartis au village. Nous nous sommes rendus sur le parking du cimetière et nous avons consommé les bières et fumé du shit. Vers trois heures nous avons décidé de rentrer chez nous. Je suis remonté dans la 205 en tant que passager. Le conducteur a fait un démarrage sportif sans respecter les stops. Nous n’avions pas attaché les ceintures. Quand il a perdu le contrôle de la voiture, je lui ai dit de rouler doucement, mais c’était trop tard. Je me suis réveillé dans un jardin, j’avais mal aux jambes. Je me suis relevé et j’ai vu le conducteur de la voiture qui était dans un piteux état.” »
19On observe, ainsi, après Christian Baudelot et Roger Establet, citant Jean-Claude Chesnais, que le désarroi social touchant ces tués de la route sans statut professionnel ressemble fortement à celui des suicidés recensés à Paris au milieu du XIXe siècle dans la catégorie « gens sans profession ou de profession inconnue [19] » qui « sont précisément les misérables que Victor Hugo peindra si admirablement [20] ».
20Si la misère ne protége pas du suicide, contrairement à ce qu’affirmait Durkheim sans s’être interrogé sur le contenu social de la catégorie « gens sans profession ou de profession inconnue », elle n’est pas non plus un rempart contre la mortalité routière, comme le confirme le discours des fonctionnaires de police, rappelant que les tués ni identifiés, ni réclamés, sont fréquemment des personnes célibataires n’ayant plus aucun contact avec leur famille, ni d’éventuels amis : « Sur le terrain, on ne va pas demander la profession, on va demander le nom de famille, la profession si on le sait après dans les auditions c’est très bien, mais c’est pas notre priorité et puis quand les pompiers sont arrivés, on ne peut plus parler aux victimes. On ne va pas trop leur poser de questions parce qu’on est déjà mal vus quand on pose des questions aux gens. Déjà qu’on est impuissant, il y a une personne qui souffre, en train de mourir parfois, vous n’allez pas la harceler de questions et encore moins la profession […]. Sinon il y a souvent l’alcool, quand vous avez deux grammes et demi, celui-là, vous ne lui demandez pas sa profession, ce n’est pas la peine. C’est tellement saugrenu pour les gens, parfois, ils n’ont plus d’amis, ni de contact avec leur famille qui ne sait même pas ce qu’ils sont devenus quand on les questionne [21]. » Ainsi, pendant que les ouvriers et les plus « nécessiteux » meurent en masse dans l’indifférence collective – près d’un conducteur tué sur deux en 2007 (45,8 % si l’on cumule les effectifs des catégories « autre » et « ouvrier ») – le fait social n’est pas publiquement construit comme un problème.
Du problème public au fait social
21La mortalité routière obéit à des régularités statistiques, en ce sens, elle est un fait social, c’est-à-dire « le produit d’une entité collective et non pas d’un événement ou d’un acteur singulier [22] ». L’addition des caractéristiques socioprofessionnelles de chaque décès routier individuel détache ainsi l’accident de la circulation du seul hasard des destins personnels pour l’inscrire dans l’ordre du probable, l’ordre social, celui des destins collectifs [voir tableau 3, p. 50].
Répartition des tués par accident de la circulation selon la PCS du conducteur et l’année dans la région Midi-Pyrénées (%)
Répartition des tués par accident de la circulation selon la PCS du conducteur et l’année dans la région Midi-Pyrénées (%)
22Les tués de la route ne sont pas tous des morts contingents. La catégorie « ouvrier » présente, en effet, des taux de mortalité routière relativement stables, de l’ordre de 16,8 % à 22 % entre 1998 et 2005 en région Midi-Pyrénées. La position occupée par les conducteurs dans l’espace social, sommairement résumée par leur catégorie socioprofessionnelle, permet ainsi de prédire le volume et la distribution des décès routiers [23]. Dès lors, l’accident, à la fois comme mode d’exposition public et comme catégorie de pensée, devient, au sens statistique, l’expression d’un arbitraire social qui universalise le rapport d’une minorité au problème, donc masque la mortalité routière ordinaire, celle des classes populaires, qui est nettement plus probable, c’est-à-dire moins accidentelle ou aléatoire que celle des cadres supérieurs notamment. La représentation dominante, qui fait de la mortalité routière un événement accidentel, ne vaut que pour les « classes dominantes ».
Il existe donc un écart socialement significatif entre le problème dit de la « sécurité routière » tel qu’il est publiquement constitué dans les univers politiques, administratifs, associatifs et journalistiques et ce que « vivent » les acteurs sur la route. La construction publique du problème obscurcit la dimension inégalitaire, donc politisable, du fait social. Il est, par exemple, rarement question de l’inégale répartition de la réduction du nombre de tués enregistrée en France à partir de 2002. Pourtant, la baisse de la mortalité sur les routes profite à toutes les classes sociales, mais inégalement [voir tableau 4, p. 52].Si la question des inégalités sociales de mortalité routière ne porte pas au consensus dans les espaces scientifiques, administratifs et économiques, pour les « petits » fonctionnaires de terrain qui vont, avec plus ou moins de proximité, au contact des accidentés, la question semble entendue. Un inspecteur départemental de sécurité routière (IDSR), une coordinatrice en préfecture et un agent d’exploitation des données en DDE, issus de trois départements différents, se sont, en effet, heurtés à un mur de silence lorsqu’ils ont pu informer leur hiérarchie d’une forte proportion de tués issus de milieux défavorisés dans leur circonscription, comme l’explique l’un d’entre eux : « Les premières surprises qu’on a eu, c’est que pas un cadre ou presque ne meurt en 2000. […] Ils n’ont pas le CAP ou tout juste, un niveau d’instruction faible, c’est les mêmes que l’on retrouve sur les accidents domestiques avec un niveau précaire. Et plus ce niveau précaire s’accroît, plus on a des comportements déviants, on a de plus en plus de comportements déviants […]. Avec des profils qui sont systématiquement l’ouvrier, l’agent d’entretien, l’intérimaire, le demandeur d’emploi, le délinquant qui n’a jamais fait que ça, le maçon, etc. […] Le préfet ça fait des années que je l’alerte là-dessus, ça fait des années qu’il me demande tous les mois comment ça évolue, qu’il est parfaitement au fait de tout ça, mais il est difficile de communiquer en disant que ceux qui n’ont rien dans la tête c’est ceux qui se tuent. Au début c’était 25 % de maghrébins, il y en a combien, surtout des assureurs, qui m’ont dit surtout ne le dites à personne, que ça continue. » Dans la mesure où ces constats contredisent le discours feutré des représentants nationaux de la « sécurité routière », les entrepreneurs locaux du problème ne sont pas écoutés, comme le relate un fonctionnaire en DDE anciennement IDSR : « Je me suis rendu compte que le niveau social avait une grande importance dans l’accidentologie suite à deux accidents mortels de motards que j’ai eu à traiter. Un chômeur vivant seul avec son chien dans une maison isolée et un couple reconstitué, la femme et le mari se disputent à table puis le mari boit et sort se défouler en faisant un tour de moto, loupe un virage et se tue. Ce sont les gens les plus défavorisés socialement les plus touchés. On nous a muselés à l’époque. J’ai demandé à la préfecture de pouvoir préparer une note de synthèse sur accidentologie et lien social et le préfet a dit non. Ils voulaient mettre une chape de plomb là-dessus, j’ai insisté trois ou quatre fois et au bout d’un moment j’ai considéré qu’il n’y avait plus rien à faire donc j’ai donné ma démission […]. Ça reste informel, la préfecture ils sont forts pour ça, ils vont pas vous répondre non par écrit, on peut pas donner suite, ça n’a pas d’intérêt, c’est pas prévu dans les enquêtes pour lesquelles on trouve plus d’enquêteur d’ailleurs parce qu’on prend ça sur notre temps personnel, c’est fait à l’arrache, c’est du travail en plus. » L’indifférence avec laquelle ces agents de l’État sont traités, lorsqu’ils bousculent certaines conventions, constitue un mode de traitement efficace de ces constats embarrassants que les hauts fonctionnaires ne veulent pas voir. Parce qu’ils se heurtent à ce que les décideurs considèrent souvent comme un tabou, certains employés de l’État en arrivent ainsi à quitter d’eux-mêmes leur poste, comme le montre le cas de cet agent d’exploitation des BAACC en DDE : « Moi je m’en vais de mon poste parce que j’en ai marre de touiller les chiffres pour ne rien dire, ça fait 20 ans que je fais ça, c’est pas récompensant de ne jamais rien pouvoir dire. » Le vernis craque lorsque l’on prend le temps d’écouter les fonctionnaires de terrain, les plus proches des morts réels, qui constatent plus ou moins spontanément une surreprésentation de conducteurs socialement déshérités lorsqu’ils se rendent sur les lieux d’un accident. Les agents de la police de la route du commissariat central de Toulouse remarquent aussi intuitivement que la plupart du temps qu’ils sont appelés, « ce sont des pauvres qui sont impliqués [24] ». Du côté symétrique de la justice, le juge de la sixième chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance (TGI) de Toulouse observe qu’avant un accident, « il y a toujours une contrainte, le surmenage, la fatigue, le stress ou des problèmes personnels. Je vois aussi toutes les vieilles Renault cinq déglinguées, les freins qui ne freinent pas, vous pouvez aller qu’à l’accident avec ça [25]. » Néanmoins ce savoir pratique implicite n’est pas entendu par le haut de la hiérarchie administrative et c’est seulement lorsqu’on questionne les fonctionnaires à ce sujet qu’ils expriment la misère sociale dont ils ont à traiter, avec plus ou moins de distance.
Répartition des tués par accident de la circulation selon la PCS du conducteur et par période dans la région Midi-Pyrénées (%)
Répartition des tués par accident de la circulation selon la PCS du conducteur et par période dans la région Midi-Pyrénées (%)
23Plus de morts ont, dans la région Midi-Pyrénées, été évités parmi les cadres supérieurs (les agriculteurs également mais sans doute pour d’autres raisons [26]) que chez les ouvriers. L’amélioration générale de l’espérance de vie sur les routes non seulement reproduit, mais creuse les disparités d’exposition à la mortalité routière entre les cadres et les ouvriers. Le processus de pacification des mœurs et d’abaissement du seuil de tolérance à la violence (routière) incité par l’État se diffuse inégalement dans l’espace social, en bénéficiant d’abord aux catégories les plus privilégiées pour se diffuser ensuite dans les classes populaires [27] [voir encadré « Le fait divers masque le fait social », p. 55]. Investis du pouvoir de dire les décès routiers, au premier niveau, les bulletins d’accident mis à la disposition des agents de terrain dans leur travail ordinaire, statuent ainsi d’emblée, à distance, par omission et conditionnent l’appréhension, ou non ou mal, des usagers les plus exposés à la mortalité routière.
Le fait divers masque le fait social [1]
Les divisions sociales de l’espace
24Les inégalités sociales de mortalité routière sont le produit d’autres inégalités sociales. Elles peuvent, ainsi, être vues comme une conséquence dramatique de la stratification résidentielle, lorsque l’on sait qu’en 2004, 84 % des tués en voiture le sont en rase campagne [28]. La ruralité des accidents résulte, dans une large mesure, du mouvement de gentrification des grandes villes qui, en augmentant la valeur foncière, restreint l’accès des classes populaires aux quartiers périphériques des classes moyennes ainsi qu’aux centres urbains où résident les ménages les plus fortunés [29] : un espace débarrassé de ses composantes jugées indésirables (c’est-à-dire entre autres sans accidents ni insécurité ou presque) et soigneusement défendu par ses occupants soucieux de protéger leur entre-soi [30].
L’idée selon laquelle la distance parcourue serait l’un des principaux facteurs d’exposition à la mortalité routière ne sort pas indemne de sa confrontation à un raisonnement qui tient compte du social. Dans la mesure où 56 % des ouvriers ayant fréquenté les stages de sensibilisation à la sécurité routière de l’Automobile club du Midi entre 2002 et 2005 font moins de 20 000 kms par an, tandis que 68 % des cadres supérieurs parcourent entre 20 000 et 80 000 kms sur la même période, un fort kilométrage annuel ne peut être aussi rapidement considéré comme un facteur d’exposition aux accidents. Alors que 56 % des conducteurs stagiaires de moins de 30 ans parcourent moins de 20 000 kms par an, ils ne sont plus que 35 % dans ce cas entre 31 ans et 40 ans et 19 % entre 41 ans et 50 ans. Ainsi, la distance parcourue apparaît plutôt comme un attribut des groupes les moins vulnérables à l’accident de la circulation puisqu’elle croît avec l’âge et à mesure que l’on s’élève dans les hiérarchies sociales. Un important kilométrage annuel renvoie notamment à la plus grande quantité d’espace que l’on peut consommer sur les autoroutes, une infrastructure d’autant plus rentable et sécurisée que seuls les véhicules rapides s’y côtoient [31]. Les divisions sociales de l’espace routier, ne serait-ce qu’en raison du coût d’entrée sur les autoroutes, déterminent largement l’usage des différents types d’infrastructures sur lesquelles les chances de mourir ne se valent pas. La répartition géographique des décès routiers indique, en effet, que les seules routes départementales concentrent 48,1 % de l’ensemble des tués entre 2000 et 2004, les routes nationales, 21,3 %, contre 7,9 % sur autoroute et 17,5 % en zone urbaine [32].
26Dans une économie « globalisée », la ligne de démarcation entre ceux qui peuvent vivre à l’échelle du monde [33] et ceux qui sont confinés à l’espace rural, semble aussi définir les chances collectives de sécurité routière en réglant le rapport à la mobilité et à l’habitat des différentes classes sociales selon un mode « choisi ou subi [34] ». La « mondialisation » est, au moins en France, d’abord celle des grandes villes, où se concentrent les richesses matérielles et symboliques, pendant qu’à l’extérieur des zones urbaines, là où les classes populaires se tuent sur la route, les problèmes sociaux s’accumulent. Les ménages modestes subissent l’étalement urbain croissant par une dépendance à l’automobile qui est bien plus faible pour les habitants aisés des centres-villes historiques (où les transports en commun et l’offre en déplacements alternatifs sont nettement plus denses et diversifiés). Ces derniers affichent une mobilité globale plus importante, en raison de leurs déplacements aériens et ferroviaires notamment et sont, à titre privé ou professionnel, moins confinés au territoire national et a fortiori rural, parce que la consommation d’espace est aussi et surtout « une forme d’ostentation du pouvoir [35] ».
27Les classes populaires, de leur côté, sont celles qui se déplacent le moins (loin) alors qu’elles sont paradoxalement celles qui meurent le plus de leurs trajets quotidiens. Les laissés pour compte de l’espace mondial et du fait urbain sont aussi ceux de la « sécurité routière » mais également de la « citoyenneté » environnementale prônant l’éco-mobilité, donc dénonçant les méfaits de l’automobile qui est devenue indésirable car polluante et dangereuse pour les occupants fortunés des centres-villes. En contrepoint du cosmopolitisme des hyper-cadres habitants ces grandes villes sécurisées car connectées à la « mondialisation », la surmortalité routière des jeunes ouvriers en rase campagne exprime, dans un contexte de mobilité accrue des travailleurs et des flux financiers, la « dévaluation du capital d’autochtonie [36] » (le capital social issu de l’appartenance au territoire) dont cette génération déclassée a hérité.
UN ACCIDENT MÉDIATIQUE. Deux voitures sont encastrées, le 17 janvier 1997 à Talange, sur l’autoroute A31, entre Metz et Thionville, suite à un accident provoqué en raison d’un épais brouillard. Quatorze personnes ont été blessées, dont trois grièvement, lors de cinq accidents successifs impliquant une quarantaine de véhicules. Les carambolages comme celui-ci sont les plus médiatisés alors qu’ils ne sont pas les plus typiques.
UN ACCIDENT MÉDIATIQUE. Deux voitures sont encastrées, le 17 janvier 1997 à Talange, sur l’autoroute A31, entre Metz et Thionville, suite à un accident provoqué en raison d’un épais brouillard. Quatorze personnes ont été blessées, dont trois grièvement, lors de cinq accidents successifs impliquant une quarantaine de véhicules. Les carambolages comme celui-ci sont les plus médiatisés alors qu’ils ne sont pas les plus typiques.
Précarisation des classes populaires et mortalité routière
28Socialement et spatialement située, la mortalité routière reflète les difficultés croissantes rencontrées par les jeunesses rurales issues des familles ouvrières [37] : une classe d’âge désœuvrée qui peine à s’insérer dans les espaces scolaires, professionnels, culturels et matrimoniaux [38]. Incapables de reproduire l’identité ouvrière qui, en proie à la désindustrialisation, aux délocalisations, au chômage de masse et à la dégradation de l’emploi, a cessé d’intégrer ses membres aussi favorablement que par le passé, cette fraction spécifique des « jeunes » s’expose en retour à des mécanismes d’autodestruction. Souvent condamnés (au mieux plus longuement) au célibat, les plus désoccupés d’entre eux sont gagnés par un sentiment d’abandon qui les pousse à des stratégies de repli dans les relations de bande nouées autour de la voiture ou de la « mobylette », qui constitue l’un des derniers espaces de célébration des valeurs viriles face au délitement des modes d’exercices traditionnels de la masculinité et des solidarités ouvrières [39].
29Affirmer sa virilité par la vitesse ou une consommation excessive d’alcool renvoie, comme bien d’autres dispositions trop exclusivement dites « psychologiques », à des conditions sociales de possibilité. L’adoption de certaines conduites promues par l’État semble, en effet, parfois peu compatible avec « l’habitus corporel [40] » des conducteurs les moins intégrés socialement dont le quotidien est souvent fait (pour ceux qui ont la chance d’occuper un emploi) d’abnégations relativement ordinaires : la répétitivité des séquences d’actions, une pénibilité morale et physique récurrente, une durée de travail souvent au-delà des dispositions légales, les emplois non déclarés, les accidents professionnels, l’incertitude du lendemain, les relations avec la hiérarchie souvent autoritaires et un danger quasi permanent sur les chantiers ou à l’usine. Or l’effort physique accroît le volume et l’intensité des sensations corporelles rendant, particulièrement pour les ouvriers, le repérage d’une éventuelle conduite dangereuse (fatigue, manque de sommeil, angoisse, stress, etc.) plus difficile que pour d’autres groupes sociaux mieux disposés à l’anticiper et plus généralement à veiller sur eux. Dans les classes populaires, l’importance des démonstrations de robustesse ou de témérité conduit à ce que l’exposition, parfois définitive, aux dangers de la route soit plus facilement consentie que dans les autres catégories sociales [voir encadré « Accident ou suicide ? », ci-contre]. Les liens au territoire et au collectif ne protégent plus les membres des classes populaires, tout particulièrement jeunes et rurales, contre l’anxiété du présent, l’angoisse de l’avenir ou la nostalgie du passé. Les raisons collectives d’exister se délitant au sein des classes populaires, rien ne s’oppose alors à ce qu’elles convertissent sur la route la souffrance sociale, l’incertitude professionnelle et affective en violence auto administrée.
Accident ou suicide ?
« - Homme, 23 ans, étudiant, célibataire, décédé en Renault Clio, en agglomération. Le véhicule est retrouvé immergé dans le canal du Midi. Le rapport de police révélera que la voiture était fermée de l’intérieur quand on l’a sortie de l’eau, fermeture qui ne peut être que manuelle sur ce type de véhicule. Il sera établi que la voiture était initialement garée devant la résidence de la victime et qu’il l’a donc utilisée pour une raison ignorée, alors qu’il était censé rentrer chez lui. Il faut avoir une raison pour se rendre dans cette rue un dimanche, au petit matin, jour de Pâques, lorsque l’on connaît bien le quartier pour résider à proximité. »
« - Homme, 20 ans, mécanicien monteur, célibataire, alcoolémie positive, décédé en Renault Clio, hors agglomération. La mère de la victime n’a pas été surprise des résultats confirmant la présence d’alcool dans le sang de son fils. Elle avoue que son fils s’était mis à boire depuis un mois environ, date à laquelle il avait perdu son emploi. Elle reconnaît aussi que son fils était dépressif depuis la mort de son père il y a deux ans. »
« - Homme, lycéen, 17 ans, alcoolémie nulle, décède en cyclomoteur en agglomération. Le cyclomoteur franchit un stop sans s’arrêter, traverse une avenue, pour percuter un mûr de face. Il a laissé une lettre expliquant que ce n’était pas un accident mais un suicide. »
30Parce qu’elle condense de manière dramatique de nombreuses dimensions de l’existence humaine, la sociologie des accidents de la circulation en dit sans doute moins sur la « sécurité routière » que sur les conditions matérielles et symboliques d’existence des classes sociales. Les classes populaires, les moins intégrées socialement, ne sont pas dangereuses mais en danger lors de leurs déplacements car elles cumulent tous les facteurs sociaux associés à la mortalité routière. Dès lors, mourir sur la route apparaît, à l’issue de cet examen, comme une souffrance de classe d’autant plus évitable que l’on connaît désormais mieux les accidentés. Si l’on ne peut que se satisfaire des chiffres de mortalité routière enregistrés à partir de l’année 2002 – en dessous de la barre de 5 000 tués annuels sur le territoire national en 2009 pour plus de 8 000 en 2001 – la réduction du nombre de morts par accidents de la circulation semble vouée à se heurter à la persistance d’une mortalité routière d’origine populaire (à plus forte raison en période de crise économique), à laquelle les pouvoirs publics ont largement contribué par plus de 35 ans de cécité sociale.
Notes
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[1]
Sur les convergences possibles du raisonnement sociologique avec celui des épidémiologistes, voir Monique Kaminski, Thierry Lang et Annette Leclerc, Inégaux face à la santé, Paris, La Découverte, 2009, p. 162.
-
[2]
Luc Boltanski, « Les usages sociaux de l’automobile : concurrence pour l’espace et accidents », Actes de la recherche en sciences sociales, 1(2), 1975, p. 42.
-
[3]
Fabrice Bardet et Steve Bernardin, « Statistiques et expertises de la sécurité routière. Une comparaison France-États-Unis », Rapport définitif édité par l’École nationale des travaux publics de l’État, 2006, p. 126. On peut se demander pourquoi la PCS des accidentés est collectée si les données que cette variable permet de produire ne sont pas publiées ?
-
[4]
Laurent Thévenot, « Les investissements de forme », Cahiers du CEE, 1986, p. 21-71.
-
[5]
Concernant l’influence de la culture professionnelle des métiers de l’administration de l’équipement sur la mise en forme publique du problème des accidents de la circulation, voir Hélène Reigner, « L’idéologie anonyme d’un objet dépolitisé : la sécurité routière », Sciences de la société, 65, 2005, p. 125-143.
-
[6]
Sauf cas rarissime (suicide, passager mal attaché), les décès routiers ne sont pas causés par les passagers ou les piétons (y compris en « roller » ou en « trottinette »). De plus, les passagers subissent souvent le même sort que le conducteur lorsque celui-ci est impliqué dans un accident mortel.
-
[7]
Ces chiffres proviennent des bilans annuels publiés par l’ONISR.
-
[8]
L’entreprise reste, hélas, tributaire du découpage en PCS institué par l’INSEE, c’est-à-dire d’opérations taxinomiques pensées dans une finalité bureaucratique et propres à la statistique publique française. Sur la genèse de l’appareil statistique français, voir Alain Desrosières, La Politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 2000 [2e éd.]. Rapporter un fait d’apparence aussi individuel à des facteurs collectifs n’est pas dénué d’implications pour la discipline elle-même, à l’heure de la raréfaction de l’usage de la catégorie sociale dans les enquêtes à vocation sociologique. Sur ce point, voir Emmanuel Pierru et Alexis Spire, « Le crépuscule des catégories socioprofessionnelles », Revue française de science politique, 58, 2008, p. 457-481.
-
[9]
Ces chiffres prennent en compte les conducteurs morts dans un délai de 30 jours après l’accident.
-
[10]
L’immense majorité des déplacements routiers ne produit aucun décès. Il existe un écart démesuré entre le nombre d’accidents mortels de la circulation et la population globale dont ils émanent. Le caractère exceptionnel des décès routiers est d’autant plus prononcé que le volume global des déplacements est important. Sur ce point, voir Christian Baudelot et Roger Establet, Suicide. L’envers de notre monde, Paris, Seuil, 2006, p. 251.
-
[11]
Les ouvriers affichent, également, au niveau national en 2007, une sur-morbidité routière : 18,7 % des blessés avec hospitalisation et 19 % des blessés n’ayant pas fait l’objet d’une hospitalisation.
-
[12]
Alain Desrosières et Laurent Thévenot, Les Catégories socioprofessionnelles, Paris, La Découverte, 2002 [5e éd.], p. 78.
-
[13]
Il semble hâtif d’associer les employés aux professions intermédiaires à l’heure où les conditions sociales d’existence des premiers sont parfois plus dégradées que celle des ouvriers. Sur ce point, voir Louis Chauvel, Les Classes moyennes à la dérive, Paris, Seuil, 2006, p. 23-30.
-
[14]
La mortalité des piétons touche plus d’une fois sur deux un retraité en 2007. Par ailleurs, 36 % des retraités morts sur la route en 2007 l’ont été en position de piéton. La forte mortalité routière des retraités en position de piéton relativement aux autres PCS s’explique par le fait qu’ils conduisent moins ou plus du tout. D’autre part, ils sont, en raison de l’âge, plus fragiles vis-à-vis des accidents corporels, même légers. Compte tenu du vieillissement de la population, la mortalité des retraités semble destinée à s’accroître.
-
[15]
Bien que les écarts soient faibles, le taux d’équipement en automobile de la catégorie des ouvriers est en 2004 au niveau national de 82,5 % ou de 76,5 % pour les employés et de 91,2 % chez les cadres supérieurs ou de 90,5 % au sein des professions intermédiaires d’après l’INSEE. Source : INSEE, Enquête permanente sur les conditions de vie, 2004.
-
[16]
« Il y a quatre ou cinq ans, les procédures partaient à quinze jours, maintenant c’est un mois et demi, donc forcément, les statistiques partaient avant que nous on ait le temps d’instruire le dossier. Le temps que l’entourage de la victime qui n’habite pas la commune se manifeste, par exemple, on avait pas la PCS » explique ce policier [Entretien avec un agent de police du commissariat central de Toulouse, janvier 2007].
-
[17]
Les enfants âgés de zéro à 14 ans représentent, par exemple, en région Midi-Pyrénées 2,9 % des tués codés « autre » entre 1998 et 2005. Bien qu’ils ne possèdent pas le permis de conduire, les enfants peuvent aussi mourir en position de conducteur lorsqu’ils ont, par exemple, un accident de la circulation en faisant du vélo.
-
[18]
Données INSEE du recensement de 1999.
-
[19]
C. Baudelot et R. Establet, Suicide. L’envers de notre monde, op. cit., p. 187.
-
[20]
La catégorie « gens sans profession ou de profession inconnue » affiche entre 1861 et 1865 le taux de suicide par groupe professionnel le plus élevé (61 contre 21,4 chez les professions libérales et les rentiers, 11,7 pour les professions industrielles et commerciales et enfin 8,2 au sein des professions agricoles). Sur ce point, voir Jean-Claude Chesnais, Histoire de la violence, Paris, Robert Laffont, 1981, p. 237.
-
[21]
Entretien avec un agent de police du commissariat central de Toulouse, janvier 2007.
-
[22]
Joseph Gusfield, La Culture des problèmes publics. L’alcool au volant : la production d’un ordre symbolique, Paris, Economica, 2009, p. 39 [1re éd. 1981].
-
[23]
L’influence de la catégorie socioprofessionnelle sur l’incidence des décès routiers ne doit cependant pas conduire à mésestimer celle du genre. Depuis 1970, les femmes représentent environ le quart des tués et le tiers des blessés selon l’ONISR. ONISR, Grands thèmes de la sécurité routière en France, op. cit., p. 117.
-
[24]
Entretien avec trois agents de police du commissariat central de Toulouse, janvier 2007.
-
[25]
Entretien avec le juge de la sixième chambre correctionnelle du TGI de Toulouse, décembre 2005.
-
[26]
La réduction de plus de moitié de la part des agriculteurs parmi les tués de la route rend aussi compte d’un effet de structure lié à la décroissance des effectifs de cette PCS. Selon l’INSEE (enquête emploi en continu), les agriculteurs exploitants ont vu leurs effectifs se réduire de 12,3 % entre 2003 et 2005 en part relative.
-
[27]
Sur ce point, voir Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Paris, Agora, 1973.
-
[28]
ONISR, Grands thèmes de la sécurité routière en France, op. cit., p. 66.
-
[29]
Concernant l’influence de la forme urbaine sur la sécurité des déplacements routiers, voir H. Reigner, Frédérique Hernandez et Thierry Brenac, « Circuler dans la ville sûre et durable : des politiques publiques contemporaines ambiguës, consensuelles et insoutenables », Métropoles, 5, 2009, en ligne : http://metropoles.revues.org/3808.
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[30]
Sur les stratégies des catégories sociales « supérieures » pour défendre leurs espaces résidentiels, voir Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Les Ghettos du gotha, Paris, Seuil, 2007.
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[31]
Luc Boltanski, « L’encombrement et la maîtrise des biens sans maîtres », Actes de la recherche en sciences sociales, 2(1), 1976, p. 105.
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[32]
ONISR, La Sécurité routière en France. Bilan de l’année 2004, Paris, La Documentation française, 2005, p. 127.
-
[33]
Anne-Catherine Wagner, Les Classes sociales dans la mondialisation, Paris, La Découverte, 2007.
-
[34]
Jacques Donzelot, « La ville à trois vitesses : gentrification, relégation, périurbanisation », Esprit, 303, 2004, p. 7-39.
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[35]
Pierre Bourdieu, « Effets de lieu », in P. Bourdieu, La Misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 252.
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[36]
Il ne s’agit pas ici de dévaluer le localisme mais de constater, après d’autres, qu’il ne garantit plus l’insertion sociale des classes populaires comme par le passé. Sur le concept de capital d’autochtonie, voir Michel Bozon et Jean-Claude Chamboredon, « L’organisation sociale de la chasse en France et la signification de la pratique », Ethnologie française, 1, 1980 ; Jean-Noël Retière, « Autour de l’autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire », Politix, 16(163), 2003, p. 121-143 ; Nicolas Renahy, Les Gars du coin, Paris, La Découverte, 2005, p. 108 ; A.-C. Wagner, Les Classes sociales dans la mondialisation, op. cit., p. 72.
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[37]
Sur l’homologie entre la jeunesse rurale décrite par Nicolas Renahy et la territorialisation de l’accident modal en rase campagne, voir N. Renahy, Les Gars du coin, op. cit., p. 17-30.
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[38]
Pour une analyse comparable sur la difficile insertion matrimoniale des agriculteurs, voir Pierre Bourdieu, Le Bal des célibataires : crise de la société paysanne en Béarn, Paris, Seuil, 2002 ; Patrick Champagne, L’Héritage refusé : la crise de la reproduction sociale de la paysannerie française (1950-2000), Paris, Seuil, 2002.
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[39]
Sur ce point, voir S. Beaud et M. Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, op. cit.
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[40]
Luc Boltanski, « Les usages sociaux du corps », Annales, 26(1), 1971, p. 205-233.