Notes
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[1]
Dans les années 1910, le père de Luiz Gonzaga (qui inventera le baião nordestin) jouait ainsi des valses, mazurkas, scottishs, polkas et marches à l’accordéon dans des bals ruraux de l’actuel Nordeste et qui étaient désignés comme « sambas ».
-
[2]
Hermano Vianna, O mistério do Samba, Rio de Janeiro, Jorge Zahar/UFRJ, 1995.
-
[3]
Carlos Sandroni, Feitiço decente. Transformações do samba no Rio de Janeiro (1917-1933), Rio de Janeiro, Jorge Zahar, 2001, p. 207.
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[4]
Les astérisques renvoient au lexique en fin d’article.
-
[5]
H. Vianna, op. cit., p. 35.
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[6]
Vassili Rivron, « Enracinement de la littérature et anoblissement de la musique populaire : étude comparée de deux modalités de construction culturelle du Brésil (1888-1964) », thèse, EHESS, 2005, vol. II, chap. 2.
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[7]
On peut mentionner, en particulier, la deuxième génération de chercheurs de l’Université de São Paulo avec José Miguel Wisnik ou José Ramos Tinhorão. Pour une présentation plus large de ce champ académique, voir Naves, Santuza Cambraia, Coelho, Frederico Oliveira, Bacal, Tatiana et Medeiros, Thais, « Levantamento e comentário crítico de estudos acadêmicos sobre música popular no Brasil », ANPOCS bib – Revista Brasileira de Informação Bibliográfica em Ciências Sociais, 51, São Paulo, 2001.
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[8]
Alfredo Bosi, spécialiste des lettres brésiliennes et italiennes (qui a publié quelques articles sur la musique brésilienne dans les années 1970), évoque ainsi la période 1964-1980 comme une « période noire, hiver dans lequel les intellectuels se définirent par une doctrine sociale et philosophique très proche du marxisme ou de courants fortement sociologisants. » (entretien avec Alfredo Bosi, 22 novembre 1999). La « purification » des communistes et opposants au régime, quand elle n’a pas mené à l’exil, a forcé nombre de reconversions d’intellectuels dans l’industrie culturelle.
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[9]
Cette thèse est devenue une sorte de doxa savante sur la samba. José Ramos Tinhorão en est le meilleur exemple avec notamment : Música Popular: um tema em debate, Rio de Janeiro, Saga, 1966. Parmi les références récentes : Alberto Moby, Sinal fechado – a música popular brasileira sob censura, obra aberta, Rio de Janeiro, 1994.
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[10]
L’expression « indústria cultural incipiente » est de Roberto Ortiz (A moderna tradição brasileira – cultura brasileira e indústria cultural, São Paulo, Éd. Brasiliense, 1995).
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[11]
Afrânio Garcia Jr., « Les métissages et la construction culturelle de la nation », Hérodote, 98, Paris, septembre 2000, p. 135-147.
-
[12]
Cité par Vasco Mariz, A canção brasileira, Rio de Janeiro, Cátedra-INL, 1980, p. 189-191.
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[13]
Euclides da Cunha, Hautes Terres. La guerre de Canudos, Paris, Métailié, 1993 [la 1re édition de Os Sertões date de 1902].
-
[14]
Notamment la théorie des indices raciologiques formulée par Nina Rodrigues (Nina Rodrigues et Homero Pires, Os africanos no Brasil, São Paulo, Companhia Editora Nacional, 1935).
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[15]
Voir l’influence du tango et de l’habanera sur la samba analysée par C. Sandroni, op. cit.
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[16]
Daniel Pécaut, Entre le Peuple et la Nation (Les intellectuels et la politique au Brésil), Paris, Éd. de la MSH, coll. Brasília, 1989.
-
[17]
Sérgio Miceli, Les Intellectuels et le pouvoir au Brésil (1920-1945), Paris, Presses universitaires de Grenoble, Éd. de la MSH, coll. Brasilia, 1981.
-
[18]
Cette politique voit la création d’un ministère spécifique (1932, ministère de l’Éducation et de la Santé) et de nombreuses institutions culturelles : musique (réforme de l’École nationale de musique, 1930) universités (statut des universités en 1931 et universités de São Paulo en 1934 et du District Fédéral en 1935), cinéma (INCE, 1936), patrimoine (SPHAN, 1937), livre (INL, 1937), censure et propagande (Département de Presse et Propagande, DIP, 1939).
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[19]
Sur leurs trajectoires, voir Paulo Renato Guérios (Heitor Villa-Lobos: o caminho sinuoso da predestinação, Rio de Janeiro, Editora FGV, 2003) et João Batista Cintra Ribas (O Brasil e os Brasilianos, Medicina, Antropologia e educação na figura de Roquette-Pinto, thèse de master en anthropologie sociale, Campinas, Universidade Estadual de Campinas, 1990).
-
[20]
João Batista Borges Pereira (Côr, profissão e mobilidade, o negro e o rádio e de São Paulo, São Paulo, Edusp, 2001) recense des témoignages de sambistes des années 1910-1920 allant dans ce sens. Une grande partie de ces témoignages peuvent être retrouvés dans les enregistrements « Depoimentos » du Musée de l’image et du son de Rio de Janeiro.
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[21]
Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1970 ; Roberto DaMatta, Carnavals, bandits et héros – ambiguïtés de la société brésilienne, Paris, Seuil, 1983.
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[22]
Le concours officiel définit une conception très particulière du carnaval : il impose non seulement la samba et la marcha comme genres, mais il établit également des sections chorégraphiques spécifiques (ala das Baianas, ala da Velha Guarda, etc.) et impose la forme allégorique et les thématiques d’exaltation nationale.
-
[23]
Si le Brésil devient majoritairement urbain en 1970, la région Sud-Est (où se situent Rio et São Paulo) l’est dès 1950. Pour une synthèse de statistiques historiques sur le Brésil, voir le dossier « Brésil : le siècle des grandes transformations », Cahiers du Brésil Contemporain, 40, 2000. Pour une analyse des mutations du Rio populaire au début du XXe siècle, voir en particulier : Licia Valladares, La Favela d’un siècle à l’autre, Paris, Éd. de la MSH, 2006 et José Murilo de Carvalho, Os bestializados : o Rio de Janeiro e a Republica que nâo fol, São Paulo, Companhia das Letras, 1987.
-
[24]
Renato Murce, Bastidores do Rádio – Fragmentos do rádio de ontem e de hoje, Rio de Janeiro, Imago, 1976.
-
[25]
Rafael Casé, Programa Casé – O rádio começou aqui, Rio de Janeiro, Mauad, 1995, p. 62.
-
[26]
Cité par R. Casé, op. cit., p. 62.
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[27]
Luiz da Câmara Cascudo, in Som, 31 janvier 1938, cité in Sérgio Cabral, No tempo do Almirante, Rio de Janeiro, Francisco Alves, 1990, p. 133.
-
[28]
Fernando A. Novais (dir.) et Nicolau Sevcenko (org.), História da vida privada no Brasil, vol. 3, « República: da Belle époque à Era do Rádio », São Paulo, Cia das Letras, 1998, p. 545.
-
[29]
Cité in S. Cabral, op. cit., p. 133.
-
[30]
Pour José Jorge de Carvalho (« Transformações da Sensibilidade Musical Contemporânea », Horizontes Antropológicos, 11, Porto Alegre, 1999, p. 59-118), les modalités d’écoute engendrées par le disque et la radio se rapprocheraient le plus de la musique de chambre : écoute attentive, recueillie et silencieuse d’une œuvre dont toutes les notes doivent pouvoir être ouïes de la même façon par tous les spectateurs. Cette logique sera prolongée par les développements du transistor, de la hi-fi, de la stéréo et surtout du baladeur (voir Shuhei Hosokawa, “The walkman effect”, in Popular Music, vol. 4, Performers and Audiences, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 165-180).
-
[31]
Vassili Rivron, « Le reclassement de la musique populaire brésilienne. Trajectoires de producteurs radiophoniques et construction d’un patrimoine national (1936-1970) », Regards sociologiques, 33-34, juin 2007, p. 55-67.
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[32]
L’orchestre « regional » est composé essentiellement de guitares, cavaquinho (toute petite guitare à quatre cordes), flûte, pandeiro (tambourin), on y ajoutait parfois des instruments issus des orchestres martiaux (clarinette, trombone, saxophone) ou l’accordéon.
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[33]
Si la Rádio Nacional qui diffuse depuis 1936 et appartient alors au journal A Noite, devient un vecteur privilégié de la propagande de Vargas, ce n’est pas cette station qui est visée lors de la nationalisation, mais bien le groupe américain de Percival Farquhar, au travers de sa filiale la Cia. Estrada de Ferro São Paulo-Rio Grande/Railways Co, dont fait partie A Noite. Par ailleurs, en l’absence de toute forme de subvention, les modalités de gestion de cette station sont particulières : les larges bénéfices engrangés par l’activité publicitaire sont intégralement reversés à la station.
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[34]
L’Orquestra Brasileira, créée par Gnattali pour le programme Um Milhão de Melodias de la Radio Nacional, est par exemple constitué d’un minimum de 40 membres et associait de façon régulière ressources symphoniques, jazz et régionales.
-
[35]
Outre les sources d’archives (Rádio Nacional et MIS de Rio de Janeiro), les données biographiques concernant Almirante proviennent principalement de S. Cabral, op. cit.
-
[36]
Outre les sources d’archives, les données biographiques proviennent de Didier Aluísio, Radamés Gnattali, Rio de Janeiro, Brasiliana Produções/Banco Real, 1996 et Valdinha Barbosa et Anne-Marie Devos, Radamés Gnattali – O eterno experimentador, Rio de Janeiro, Funarte/MEC, 1985.
-
[37]
Sebastião Braga, « Radamés Gnattali e a música brasileira », Rádio entrevista, 10, septembre 1951, p. 39.
-
[38]
Pedro Anísio, Boletim Informativo dos serviços de transmissão, Rádio Nacional, novembre 1943 (NdA : « bien élevé » pour « rapaz de tratamento » ; la traduction de la métaphore vestimentaire de cette citation pose problème du fait que le mot samba est féminin en français, mais masculin en brésilien).
-
[39]
« La samba de ma terre / Nous fais languir / Quand on la chante / Tout le monde bout / […] / Qui n’aime pas la samba / N’est pas un bon sujet / Il ne va pas dans sa tête / Ou est malade des pieds / Je suis né avec la samba / Dans la samba j’ai grandi / Et de cette samba endiablée / Je ne me suis jamais séparé ».
-
[40]
Voir R. DaMatta, op. cit.
1Que l’expression coisa nossa (« notre chose ») soit aujourd’hui fréquemment associée à la samba au Brésil ne doit pas faire oublier que celle-ci a été longtemps stigmatisée comme coisa de negros. D’origine très certainement africaine, le mot « samba » qualifiait pendant la période coloniale divers types de réunions où des esclaves faisaient de la musique et dansaient. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, il désignait des répertoires variés interprétés dans des milieux populaires urbains ou ruraux [1]. Les pratiques qui, plus tard, feront de la samba un genre musical étaient encore confinées à l’arrière-cour des maisons du centre populaire de Rio de Janeiro. L’anthropologue Hermano Vianna a parlé du « mystère de la samba » au sujet de cette inversion symbolique par laquelle des registres musicaux emblématiques des stigmates d’un peuple métissé sont progressivement devenus, entre les années 1920 et 1940, des symboles de la richesse et de la sophistication de la culture brésilienne, jusqu’à incarner « la » musique brésilienne [2]. Un style musical s’est créé, simultanément à sa « nationalisation » [3], par un processus qui a impliqué bien d’autres groupes que les « noirs pauvres vivant dans les morros* [4] de Rio de Janeiro » [5] et qui recouvre une série d’opérations de transcription, de transposition, de (re)composition, de stylisation, d’arrangement, d’interprétation, d’enregistrement, de diffusion, qui s’inscrivent dans les mutations des espaces culturels et les reconfigurations des rapports entre espaces publics et privés.
2Il a fallu des médiations comme le carnaval, les cabarets, les théâtres de revue, les maisons de disques et surtout les stations de radio, pour que la samba parvienne, au prix de nombreuses transformations, aux espaces « nobles » de la musique légère : casinos, salles de cinéma et de concert pour la performance, salons de l’aristocratie et de la bourgeoisie urbaine pour les performances informelles, le disque et les émissions de radio. Comme cela fut le cas pour le jazz ou le blues dans d’autres pays, elle est alors devenue l’une des matrices musicales sur laquelle se déclinent aujourd’hui encore différents registres de musique populaire, créneaux commerciaux et goûts musicaux, allant de la ballade romantique (samba-canção) au tube dansant (pagode) en passant, bien sûr, par la samba-carnavalesque et des productions plus légitimes comme la « samba-de-raiz », le choro instrumental ou la bossa-nova.
3Si le rôle moteur des intellectuels modernistes et du régime autoritaire de Getúlio Vargas (1930-1945) a souvent été souligné, la recherche présentée ici montre que la construction de l’État et du marché national par une idéologie produite dans la sphère intellectuelle et par la main de fer de Vargas ne suffit pas à comprendre comment la samba a été érigée en symbole national. Elle attire l’attention sur la fonction économique du carnaval qui, dans le passage de formes immédiates et à petite échelle de pratique de la samba (sarau*, roda*) vers une diffusion plus large supposant un mouvement de rationalisation (au sens de Weber), a joué un rôle de catalyseur et de force d’organisation d’agents (presse, radio, disques, éditeurs de partitions, scènes, artistes, etc.) qui, tous liés à une industrie musicale en formation, poursuivaient des intérêts très diversifiés. S’appuyant sur le cycle carnavalesque, le développement de la radio acquiert une importance particulière dans ce changement d’échelle des pratiques culturelles. La légalisation de la radiodiffusion publicitaire en 1932 ou la nationalisation de la Rádio Nacional, principale station brésilienne des décennies 1940-1950, sont en effet des éléments décisifs qui résultent de rapports de forces divers et d’états de fait auxquels Vargas et son entourage ont dû faire face, parfois de façon opportuniste. Le processus qui a peu à peu constitué la samba en genre musical est inséparable des stratégies de rentabilisation et de légitimation de l’activité radiophonique et des outsiders culturels qui, grâce à ce nouveau médium, ont inventé des positions nouvelles dans les années 1930 et contribué ainsi à faire de la samba une « valeur commune » de la nation. L’enquête s’appuie principalement sur des sources primaires inédites (scripts et enregistrements de programmes radiophoniques, dossiers personnels d’employés de la radio issus des archives de la Rádio Nacional de Rio, du Museu da Imagem e do Som de Rio et d’archives privées – archives Paulo Tapajós, programmes restaurés et commercialisés par Collector’s Studios), qui ont permis de mettre en rapport les trajectoires de quatre producteurs radiophoniques ou arrangeurs musicaux avec les différentes médiations de la musique populaire au Brésil, en s’appuyant sur une sociologie du champ radiophonique réalisée précédemment [6].
La place des intellectuels : disqualification de la samba et formation d’une matrice idéologique d’éducation populaire
4Le rôle central habituellement prêté aux intellectuels et au régime de Vargas dans la valorisation de samba tient sans doute au fait que les premières études et histoires d’une musique populaire brésilienne séparée du folklore datent des années 1960. Une dictature militaire de droite (1964-1985) est alors au pouvoir mais ces premières études sur la samba émanent de milieux journalistiques et académiques [7] où l’influence de la gauche devient paradoxalement forte. Leurs auteurs s’inspirent souvent de théories marxistes [8] et tendent à projeter leur propre situation d’opposants dans leur vision de la période Vargas. Ils considèrent ainsi qu’avec l’assainissement des paroles de la samba mise au goût de l’idéologie travailliste, expurgée de ses symboles transgressifs des années 1930 (morro et malandro*) et transformée en objet d’exaltation nationaliste, se serait nouée l’opposition entre l’authenticité d’une musique posée comme « populaire » et spécifiquement « nationale », et son aliénation aux forces cosmopolites de la bourgeoisie (incarnées par la dictature des années 1960) [9]. Une limite de cette représentation du caractère officiel (avec la place accordée à l’État autoritaire mené par Vargas) et héroïque de la samba (avec la confrontation des intellectuels à la dictature ultérieure), est qu’elle ne permet pas de comprendre comment ce genre a été accepté par le public encore restreint de l’industrie musicale émergente [10], ni les conditions de sa valorisation esthétique. En fait, la samba s’est imposée comme le genre dominant de l’industrie musicale avant d’acquérir une légitimité qui lui permet d’être considérée comme une matrice d’érudition musicale, d’improvisation virtuose et de recherches musicales savantes.
5L’intérêt du monde cultivé pour la culture populaire date au moins de la fin du XIXe siècle, avec l’édition des recueils de folklore (Sílvio Romero, Cantos populares do Brasil, 1883) et se prolonge dans les années 1920 avec, par exemple, le mécénat d’artistes populaires et la mobilisation de motifs populaires pour des pièces savantes nationalistes ou légères. Mais les autorités intellectuelles et étatiques de l’époque ne manifestent aucun enthousiasme particulier pour la samba. On voit tout au plus apparaître à partir de 1932 des formes minimales de reconnaissance et de cadrage officiels de la samba, avec les premières subventions municipales aux défilés carnavalesques et la mise en place d’un règlement pour ces défilés. C’est que, dans ce moment d’intense quête d’authenticité populaire, la samba ne correspond pas à la conception qu’on se fait de la culture nationale. Pour l’élite politique et culturelle, une musique populaire « authentiquement nationale » doit conforter l’idéologie du métissage des trois races fondatrices (portugaise, africaine et indigène) [voir document, p. 131]. Dans ces conditions, certains registres dits « nordistes » puis « nordestins » (cateretê, embolada, côco, cantoria*, etc.) qui paraissent plus facilement « enracinables » dans l’univers des plantations ou du sertão*, constituent apparemment une meilleure matrice de cette culture brésilienne métissée [11]. L’année 1928 voit ainsi la déferlante du genre nordiste embolada* sur la capitale brésilienne, avec notamment le succès des Turunas da Mauricéia puis du Bando de Tangarás. C’est dans ce genre légitime par ses origines que s’illustrent à ce moment-là la plupart des musiciens cariocas* qui portent la musique populaire brésilienne sur scène ou devant les micros (un phénomène analogue aura lieu à la fin des années 1940 et au début des années 1950 avec le genre baião, inventé en 1946 par Luiz Gonzaga). En 1943, dans Cultura Politica, l’un des organes officiels du DIP (le département de presse et de propagande créé en 1939 dans le cadre de l’Estado Novo, la dictature instaurée en 1937 par Vargas), le musicologue Luiz Heitor Correia de Azevedo célèbre encore le genre côco comme illustration de l’« homme brésilien » formé dans le rapport entre les trois races et le milieu naturel [12].
6Développant un raisonnement proche de celui d’Euclides da Cunha [13] et s’appuyant sur les innovations dans le champ de l’anthropologie brésilienne [14], il oppose le métis « de la côte » à celui « de l’intérieur » et considère que la manifestation musicale la plus pure de la nationalité se trouve dans les communautés isolées de l’intérieur. La maxixe* puis la samba sont, par contraste, perçues comme noires, urbaines, vulgaires et modernes en même temps que marquées par des apports cosmopolites trop récents [15]. Les rares pratiques proches de la samba qui pénètrent les espaces de la culture savante (comme le batuque* ou le lundu*) sont souvent stylisées et assimilées à des musiques rurales d’anciens esclaves [voir document, p. 131].
7Il reste que ces intellectuels nationalistes ont contribué à définir le cadre dans lequel la samba s’insérera plus tard : ils ont forgé une matrice idéologique centrée sur l’« éducation populaire » qui servira les stratégies de légitimation des pionniers de la radio commerciale. En effet, du folklorisme romantique de la fin du XIXe siècle aux productions modernistes associées à la « redécouverte du Brésil » (à partir du manifeste Pau Brasil d’Oswald de Andrade en 1924), le premier mouvement de valorisation des registres populaires trouve son origine dans les démarches de recueil, de compilation et de stylisation de motifs folkloriques mis en œuvre par une catégorie sociale qui, en quête d’un statut fondé sur l’exaltation d’une authenticité nationale d’origine populaire, instaure à partir des années 1920, un rapport nouveau au peuple, conçu comme réceptacle d’une production savante en quête de publics et de consécration institutionnelle [16]. Cette génération d’hommes de sciences, de lettres ou d’arts est née autour de 1890, au moment où l’esclavage est aboli (1888) et où la République et la séparation de l’Église et de l’État sont proclamées (1889 et 1890) ; elle est marquée par les controverses entre catholiques, laïcs, positivistes et évolutionnistes, et participe à la genèse du mouvement moderniste des années 1920 qui est coopté par l’État autoritaire de Getúlio Vargas après la révolution de 1930 puis l’Estado Novo de 1937 à 1945 [17]. Assistant au développement de nouveaux moyens de diffusion comme le disque et la radio, elle va chercher, dans le cadre d’une politique éducative et culturelle extensive et centralisée [18], à prescrire les référents culturels populaires assignés à des « localités » régionales à l’ensemble de la population brésilienne, dans une approche « classique » d’éducation populaire. Cette approche, après la révolution de 1930, devient une matrice officielle et partagée qui contribue à placer les nouveaux secteurs d’activité culturelle et musicale au service de l’édification d’une culture nationale. C’est dans cette logique qu’au cours des années 1930, l’anthropologue Edgard Roquette-Pinto et le compositeur Heitor Villa-Lobos [19] s’impliquent, l’un dans la création d’un Institut national du cinéma et dans la donation d’une station radio-éducative au ministère de l’Éducation et de la Santé (la Rádio Sociedade do Rio de Janeiro), l’autre dans la réforme de l’enseignement musical et la création d’un Conservatoire national de chant orphéonique. Loin de voir dans la samba un symbole national dominant, Roquette-Pinto s’inquiète de la préférence quasi-exclusive que le public et les programmateurs de radio commencent à lui manifester. Villa-Lobos ne valorise pas davantage la samba : dans ses compositions savantes comme dans la programmation patriotique de ses « exhortations civiques », il lui préfère souvent des référents ruraux ou indigènes, ou encore les registres instrumentaux populaires urbains.
Économie carnavalesque et rationalisation de l’industrie musicale
8Le processus par lequel s’est inversée la disqualification de la samba en tant que pratique urbaine et noire renvoie aux années 1910 et au stéréotype – non dénué de fondement – qui associe l’histoire de la samba au carnaval de Rio de Janeiro, alors capitale nationale. À ce moment-là, la samba était liée aux cercles d’initiation religieuse et à la sociabilité musicale relativement confinée des quartiers noirs de la capitale, centrée sur les rondes de duels improvisés entre danseurs (des danseurs successifs au milieu d’un cercle). Elle était largement stigmatisée par la morale et même réprimée par la police [20]. Si les carnavals brésiliens ont pu l’intégrer, c’est qu’ils constituent, plus que des espaces de licence, des rites d’inversion du monde social [21] (travestissement, couronnement d’un « roi momo » et « ambassades » des nations noires, tradition des « arlequins » et « blocos de sujos » qui représentent une inversion de l’étiquette). C’est aussi qu’avec la croissance de la ville, le carnaval de Rio de Janeiro passe entre les décennies 1910-1930 de petits regroupements marqués par les traditions méditerranéennes (ranchos, sujos et cordões), à des manifestations massives, diverses et structurées (défilés d’écoles de samba à partir de 1929), impliquant une mixité sociale renforcée et marquée musicalement par la samba et la marcha. Avec le succès et l’extension sociale de son public, le carnaval joue un rôle central dans l’industrie de la musique populaire au Brésil. Il contribue à imposer chaque année un répertoire musical à une population élargie, en offrant une possibilité de rationalisation du marché fondée, d’une part, sur le renouvellement annuel de l’offre musicale et, d’autre part, sur une synergie inédite entre différents médias et milieux professionnels. Événement public longuement préparé, il assure aux maisons de disques et d’édition, aux radios et aux journaux une demande chronique de partitions, de disques et de programmes. L’organisation de nombreux concours par la presse et les radios (premier concours de samba carnavalesque en 1932), puis par la mairie de Rio (à partir de 1935 [22]), permet de sonder le marché et de consacrer des œuvres et des interprètes renouvelés périodiquement. Enfin, le carnaval offre à compositeurs et interprètes de nombreuses opportunités de performance musicale (devant les micros, sur scène et dans la rue, avant et pendant le carnaval). De fait, si l’on repère quelques enregistrements antérieurs sous le label « samba », c’est bien le dépôt (novembre 1916) et l’enregistrement (début 1917) d’une première « samba carnavalesque » par Donga qui a contribué à la faire exister conventionnellement en tant que genre musical (codification, transcription, dépôt) et à lui donner une forme plus importante de publicité grâce notamment à son succès et aux polémiques qui s’en suivirent [voir encadré 1 « La samba, des dépendances à la rue : les coulisses d’une publication », p. 132].
Depuis l’abolition de l’esclavage, la mobilité nouvelle des noirs avait transformé la morphologie sociale de Rio de Janeiro qui, en tant que grand port du circuit atlantique, offrait des possibilités d’emploi à toute une population auparavant fixée surtout en milieu rural. Alors que cette communauté est issue des populations d’esclaves libérés en 1888, certaines figures comme la Tia Ciata (mariée à un officier de police) et les autres « tantes » bahianaises constituaient déjà une petite bourgeoisie à fort réseau social, y compris dans les milieux blancs de l’élite carioca (notamment par le biais des consultations de candomblé, les cultes afro-brésiliens). Les études de Moura et Sandroni [1] rendent compte de la circulation des différents registres et de formes réglées de mixité sociale qui s’articulent entre les différents espaces de la maison. La samba serait ainsi passée du pôle de l’initiation communautaire afro-brésilienne (candomblé, batuque, pernada) au fond du jardin, vers le pôle des registres musicaux plus occidentaux (valse, mazurka, scottish, maxixe) tourné vers la rue, en passant par l’espace intermédiaire du salon.
9Ces modalités de pratique et d’écoute de la samba se sont développées en quelque sorte à l’insu des prescripteurs culturels consacrés (intellectuels, critiques, hommes d’église, éducateurs, politiques publiques, etc.). La rationalité commerciale des cycles carnavalesques a imposé la samba, parmi d’autres concurrents locaux, comme un genre familier. Et ce référent est devenu d’autant plus incontournable que son espace d’exposition s’est progressivement étendu dans le temps avec l’invention de la samba-canção (aussi appelée samba de meio-ano, ou samba de mi-année), qui décline certaines caractéristiques du genre, tout au long de l’année, sous le mode de la chanson « de variétés » (bien que le terme n’ait pas d’équivalent au Brésil). Toujours stigmatisée pour sa vulgarité, la samba devient ainsi rapidement un référent partagé, synchronisant différentes générations, sur tout le territoire. À partir de la seconde moitié des années 1930, certaines stations cariocas commencent à couvrir l’ensemble du Brésil (notamment par émissions en ondes courtes, à partir de 1940). Cette exposition de classes d’âge entières à certains produits culturels joue sur les modalités d’appréhension et de jugement du genre. L’appréciation des registres musicaux est influencée par le degré auquel ils sont partagés, quand des éléments de la vie quotidienne, personnelle et collective, viennent se greffer au rapport affectif que l’on peut investir dans la musique. La samba s’impose ainsi comme un registre familier, structurant le quotidien et les mémoires collectives de générations successives marquées par les contradictions générées par l’abolition de l’esclavage, l’immigration massive de la période 1870-1930, l’urbanisation rapide, l’accès au vote, à l’alphabétisation, à la consommation [23].
Recomposition sociale et choix de production radiophonique
10Acteur majeur de cette familiarisation élargie à la samba, la radio des années 1930 emprunte directement, pour alimenter son expansion, aux formes rationalisées de production et de diffusion qui se sont nouées autour du carnaval. Le jeune médium est alors confronté à une double modification de son cadre institutionnel. D’un côté, la politique culturelle centralisée du régime de Vargas, orientée par les idéologues de l’éducation populaire, impose en 1931, avec la première loi de cadrage de la radiodiffusion, que la radio doit être d’« intérêt national et à finalité éducative » (décret n° 20.047). D’un autre côté, l’État autorise en 1932 le financement publicitaire des radios, marginalisant ainsi la radio éducative au profit de la radio commerciale. Au croisement de ces deux logiques, certains producteurs de radio en quête de légitimité culturelle trouvent dans la samba un compromis pratique pour à la fois exploiter commercialement l’audience des registres populaires tout en se présentant comme porteurs d’un rôle éducatif – et, ce faisant, doter la samba de ses lettres de noblesse culturelle.
11Renato Murce et Ademar Casé sont deux figures emblématiques de la recomposition sociale du milieu radiophonique qui, entre 1928 (premiers cachets de professionnels) et 1938 (recours systématique aux contrats d’exclusivité d’artistes et de producteurs), voit se professionnaliser une partie des radioamateurs des années 1920 qui s’étaient investis bénévolement dans cette activité du fait de son caractère moderne et mondain, tandis que des agents commerciaux se mettent à exploiter les potentialités du nouveau médium. Ces professionnels de la radio (et Renato Murce et Ademar Casé ne font pas exception) ne sont pas des héritiers. Ils sont souvent fils de petits commerçants en faillite ou, leurs mères devenues veuves, ils ont été conduits à travailler précocement dans le petit commerce et le porte-à-porte. Comme ils n’appartiennent pas à l’élite culturelle installée, la professionnalisation dans la radiodiffusion publicitaire ne représente pas pour eux une déchéance culturelle. Elle est un moyen de valoriser de nouveaux répertoires, par le biais du marché jusqu’à contribuer à leur esthétisation, en empruntant et en détournant la rhétorique de « l’éducation en divertissant ».
12Pour Renato Murce (1900-1987), la radio fait partie intégrante d’un mode de vie que l’on pourrait qualifier de moderne, spécifique des nouvelles fractions des petites et grandes bourgeoisies citadines. Sans cesse en quête de notabilité, il prend part au mouvement de démocratisation des candidats au chant lyrique (dû à l’accès élargi qu’offraient le disque et la radio), avant de s’investir rapidement dans l’embolada, ce registre régional de très grand succès en 1928. C’est par ses capacités à intervenir bénévolement sur les ondes avec des registres variés et par sa collection complète des disques de la Red label (RCA) qu’il parvient à s’intégrer, dans les années 1920, à la vie des stations. Son intérêt principal est, selon ses dires [24], le plaisir de vivre avec et comme les « artistes de bonne société ». Il devient ainsi animateur et producteur de programmes régionalistes pendant plusieurs décennies [voir document « Un studio de Radio à Rio de Janeiro dans les années 1930, p. 126].
13Ademar Casé (1902-1993) est quant à lui d’origine rurale humble. Il commence par vendre de porte-en-porte des récepteurs et produit son premier programme de radio en 1932 avec une finalité ouvertement lucrative. Initialement, le Programa Casé se compose de deux parties, l’une dédiée à la musique savante, l’autre à la musique populaire. Que le choix de la musique savante ait correspondu à une attente présumée du public, à une affinité personnelle du programmateur ou à une stratégie commerciale (les annonceurs publicitaires considèrent encore comme dégradant de se voir associés à des musiques populaires), il est abandonné dès la seconde émission, les appels téléphoniques et les courriers d’auditeurs plébiscitant les vedettes populaires invitées (dont Noel Rosa, Donga, Carmen Miranda et Francisco Alves). Le Programa Casé migre de station en station. En 1934, Roquette-Pinto le diffuse sur la Rádio Sociedade do Rio de Janeiro, laquelle aspire à une popularisation « sans immoralités » de la radio [25]. Roquette-Pinto innovait en présentant des registres folkloriques à la radio, mais il ne voulait pas de samba dans ses émissions. La diffusion du Programa Casé sur cette station marquée par le projet d’éducation populaire suscite des protestations d’auditeurs plus habitués à écouter des programmes de musique classique dans une atmosphère intime et raffinée [voir documents « Récepteurs et pratiques d’écoute radiophoniques », p. 134]. « Nos oreilles sont déjà fatiguées de tant d’emboladas, rumbas et sambas ; on dirait des musiques de noirs un jour de candomblé », écrit par exemple l’un d’entre eux [26]. Luiz da Câmara Cascudo qui, pilier du folklorisme brésilien, est à cette époque membre du mouvement intégraliste (fascisme brésilien), loue, quant à lui, dans un article de la revue Som, ce que l’on pourrait désigner par « folklorisme de salon » mais condamne les programmes radiophoniques qui surinvestissent la samba. Il s’en prend aux stations qui « irradiant avec une lamentable insistance, des sambas, des sambas, des sambas, et des sambas […] [sont] en train de dés-éduquer et de préparer une douzaine de futurs “jouisseurs”?» [27].
14Pour comprendre ces réactions, il faut rappeler que la radio engendre une sorte de décloisonnement inédit des espaces sociaux : avec la radio, comme le notent des historiens, « les citadins pauvres avaient un accès partiel à l’intimité des foyers plus aisés et ceux-ci, à leur tour, imaginaient être en train de pénétrer dans le domaine d’une clandestinité latente, aux marges du bon ordre » [28]. Il faut voir aussi que, du point de vue de ses contempteurs, la samba est liée à l’irruption de nouveaux groupes sociaux dans la ville (issus de migrations rurales, interurbaines et internationales) et qu’elle participe à une évolution rapide des pratiques de danse et des normes érotiques : aux nouveaux espaces de danse (gafieiras*, animées par des orchestres, des disques ou la radio) correspondent de « nouvelles danses » de couple sensuelles et débridées qui, depuis l’apparition de la maxixe, s’opposent aux danses collectives, élégantes et guindées du siècle précédent. On peut comprendre ainsi un peu mieux que le fait de se voir imposer ces registres populaires par des voisins, des domestiques ou par certains membres de la famille, ait pu être perçu comme une « invasion » sauvage ou bestiale. Le Père Ascânio Brandão de la Pastorale de São Paulo explique ainsi en juillet 1937 : « C’est un mugissement insupportable que la radio se charge de faire sonner aux quatre coins du pays, emmenant par ondes hertziennes toutes les niaiseries poétiques et musicales que des artistes bon marché et improvisés décident de déverser de leurs douteuses et lamentables aspirations » [29]. Victime d’un exode de ses ressources humaines et publicitaires à la suite de la légalisation de la radio commerciale, la presse relaie cette perception de la culture radiophonique : O Globo peut ainsi titrer un éditorial « Quand la Radio cessera-t-elle d’être une torture ? » (28 janvier 1934), et le Diário da Noite va jusqu’à poser le problème en termes de pollution sonore (8 janvier 1934). Qualifier la radio de « bruit » est une forme de négation culturelle, car « le bruit » n’est autre chose que ce que l’on ne veut pas – ou que l’on ne sait pas – écouter. L’un des problèmes principaux que pose la diffusion de la musique populaire à la radio est donc la question de l’« ubiquité » nouvelle de ces registres et des dispositions des populations exposées à l’apprécier.
La radiodiffusion comme espace d’innovation culturelle
15Si les performances musicales « de proximité » (rodas de bars et d’arrière-cours, bals, fêtes de quartier) ont conservé jusqu’à nos jours une vivacité étonnante au Brésil, des modalités spécifiques d’écoute se sont développées en parallèle : avec les progrès du disque et de la radio, il devient possible de se distancier de la performance, de l’expérience transgressive du carnaval et de la vie de bohème et des bas quartiers. Dès les années 1930, on peut écouter ces registres de façon plus ou moins attentive au restaurant, au bar, dans la voiture (dès 1927), sur la place publique (grâce aux quelques haut-parleurs installés par les autorités), en faisant le ménage, en lisant le journal, avec les copains après l’école ou autour de la table pendant le repas. Ces nouvelles pratiques d’écoute musicale rendent la samba familière, sinon appréciée, sur l’ensemble du territoire et à travers les générations, malgré sa disqualification par les élites culturelles. Elles ouvrent aussi un espace d’innovation culturelle pour les producteurs radiophoniques, où les mêmes registres peuvent être utilisés pour circuler d’un format esthétique à un autre, d’un statut culturel à un autre.
16La reconnaissance des potentialités esthétiques de la samba suppose une « écoute pure » qui, réceptive et concentrée, se rapproche de celle de la musique de chambre, en ce qu’elle fait abstraction de l’environnement pour saisir les subtilités de la construction musicale et de son interprétation [30]. Le cadre de performances folkloriques, carnavalesques ou de proximité où ce que l’on peut entendre varie selon les points d’une écoute qui n’est d’ailleurs pas le seul centre d’intérêt, ne permet pas cette « écoute pure ». C’est bien par le réagencement des dispositifs de création, de performance et de médiation, suscité par la diffusion de la radio et du disque, que des ressources artistiques encore classées comme « inférieures » par une partie des professionnels du disque, de la radio et de leurs publics, sont investies et musicalement « habillées » par des agents culturellement accrédités. À partir de la fin des années 1930, la samba commence à faire l’objet d’attentions radiophoniques et d’expérimentations musicales considérées comme « sérieuses », au sein même de l’industrie culturelle.
17Une nouvelle génération de producteurs des radios commerciales joue à cet égard un rôle décisif [31]. Sans doute la légalisation de la radiodiffusion publicitaire en 1932, ainsi que la professionnalisation et la diversification du champ musical et radiophonique, avait-elle largement cantonné le projet radio-éducatif à un segment minoritaire en termes d’audience (public convaincu de l’élite et public captif des écoles) au profit de son exploitation commerciale, vecteur de la familiarisation de la samba. Mais la rhétorique éducative qui était portée par des intellectuels reconnus et par le régime de Vargas, restait puissante et des producteurs de radios commerciales l’ont de fait endossée, en la détournant de ses usages initiaux, pour procéder à une esthétisation et une valorisation culturelle de la samba, au bénéfice de leur propre dignité culturelle.
18Ainsi, alors que disparaissent les dernières traces du bénévolat savant et mondain de la phase radioamateur, de nouvelles formes d’interaction entre registres savant et populaire se développent au sein du milieu musical radiophonique. Le début des années 1930 est une période de mutation structurelle du champ musical en tant qu’espace de l’offre. D’un côté, sous l’effet de la crise économique, de la fin des formations animant le cinéma muet (1929) et de la substitution des formations « traditionnelles » (chorões) par la radio ou le disque dans nombre de situations festives, un chômage important apparaît parmi les professionnels de la musique (Heitor Villa-Lobos compte 34 000 artistes au chômage en 1932). D’un autre côté, la concurrence entre les radios, l’influence de la programmation étrangère et surtout le gonflement de la sphère publicitaire transforment très rapidement les conditions de la production musicale à la radio. En effet, la multiplication d’agences publicitaires et d’entreprises nationales et multinationales, visant un marché d’ampleur nationale, décuplent les budgets des stations qui couvrent le territoire. Cherchant à conquérir une légitimité pour leur média et confrontés à la nécessité de convaincre les publicitaires et d’attirer le public, les producteurs de radio en viennent à investir dans une production innovatrice et se mettent en particulier à recruter, dans les départements musicaux de leurs stations, des professionnels issus d’horizons divers. La radio, plus encore que le disque, apparaît à cette époque comme une opportunité d’ascension sociale pour des musiciens populaires et comme une carrière de complément ou de substitution pour nombre de praticiens de musiques savantes. L’expansion de ce domaine d’activité est rapide et, dès la fin des années 1930, les principales stations de Rio (les Radio Mayrink Veiga, Tupi, Educadora et Nacional) disposent de contrats d’exclusivité avec les vedettes vocales et instrumentales qu’ils accompagnent d’orchestres « symphonique, jazz et regional [32] » employées à plein temps. Dans les années 1940-1950, une station comme la Radio Nacional emploie plus de 700 personnes et mobilise régulièrement, pour la réalisation d’une seule émission, plus d’une centaine de professionnels.
La plupart des stations diffuse désormais une programmation musicale entièrement interprétée « en direct ». Or, après avoir fondé la concurrence et la conquête d’audience sur le « défilé d’étoiles » renommées, les principales stations des grandes villes cherchent, à partir de la fin des années 1930, à se démarquer par des émissions « de prestige ». Parfaitement inscrite dans cette concurrence, la Rádio Nacional de Rio de Janeiro, nationalisée en 1940 [33], domine l’audience des années 1940 et 1950, notamment avec ce type de programmes. On peut caractériser ces émissions par le luxe des ressources mobilisées : des chefs d’orchestre, producteurs et arrangeurs de renommée mettent en œuvre un répertoire soigneusement choisi, interprété par de grandes vedettes ou des solistes ainsi que, pour la première fois, par des orchestres « hybrides » [34]. Il s’agit également de programmes « montés », où interviennent non seulement des animateurs, mais également des radio-acteurs et des bruiteurs qui mettent en scène la séquence d’œuvres musicales dans une narration unifiée. Ces programmes tendent à faire de la radio une sphère de production relativement autonome et témoignent d’une conscience aigüe de la spécificité du « talent », du « produit » et de l’« écoute » radiophoniques [voir document « Partition spéciale de programme monté et script correspondant, Rádio Nacional, 1956 », p. 139]
La patrimonialisation et l’esthétisation de la samba
19Almirante, l’introducteur du « programme monté » au Brésil, et Radamés Gnattali, orchestrateur consacré des musiques populaires, symbolisent les expérimentations esthétiques qui sont alors initiées. Ils jouent un rôle central dans les mutations qui ont permis la reconnaissance de la samba, non pas seulement comme patrimoine, mais aussi comme objet esthétique. Ils opèrent en effet aux postes les plus prestigieux des stations des années 1930 à 1960 : le producteur opère les choix de conception du programme, de sélection des répertoires et des interprètes ; l’arrangeur agence artistiquement ces choix en disposant des ressources musicales de la station. Producteurs et arrangeurs musicaux sont souvent recrutés à cette époque parmi les interprètes à succès en quête de stabilité professionnelle, qui sont aussi incontestablement les interprètes les plus dotés en capitaux sociaux et culturels [voir encadré 2 « Structure administrative type d’une société de radiodiffusion publicitaire – hiérarchies et mobilité interne/externe (décennies 1940-1950) », p. 136].
Structure administrative type d’une société de radiodiffusion publicitaire – hiérarchies et mobilité interne/externe (décennies 1940-1950)
Le pôle de la programmation (qui englobe le segment des « professionnels de la radio » ne parvenant que très exceptionnellement à la sphère administrative) est sociologiquement plus complexe, car composé d’éléments recrutés parmi les radio-maniaques cultivés de la première génération (Renato Murce), les artistes (Almirante), mais aussi parmi les journalistes, des petits commerçants (Casé), puis à la fin des années 1930, des professionnels de la publicité (José Mauro). Dans l’univers musical et radiophonique, Almirante et Casé font partie de ceux qui détiennent le moins de capitaux légitimes : peu scolarisés (compétences « de terrain » en vente et comptabilité), capital social (presse, Flor do Tempo) et culturel limité (érudition musicale populaire, percussionniste).
Le pôle artistique de la radiodiffusion est le plus diversifié du milieu radiophonique, car il compte des interprètes de tous registres, issus de tout milieu social, attirés par le prestige des fonctions de locuteur, radio-acteur, chanteur, soliste. La radio est en effet apparue comme l’une des premières possibilités pour les secteurs les plus démunis, de sortir du travail physique et des services domestiques, pour entrer dans la sphère du travail « associatif » (entreprise, administration). Mais Pereira montre comment une « frontière de couleur » (plus qu’une frontière de diplôme ou de compétence) se met tacitement en place à la radio, entravant sérieusement la mobilité interne des artistes de couleur vers des postes à responsabilité.
Le document ci-contre représente justement cette répartition sociale/raciale des postes dans une station, séparant la cabine (pôle artistique) et les activités des pôles programmatiques et administratifs.
20Ainsi, Almirante (Henrique Foréis Domingues, 1908-1980) est issu d’un milieu modeste [35]. Son père, petit commerçant de Rio, décède en 1924, ce qui contraint la fratrie à travailler précocement et alimente le souci, constant pour Almirante, de s’assurer une position professionnelle stable. Travaillant dans le petit commerce et étudiant la comptabilité le soir, il n’a pas de formation musicale. Vivant la musique sur le mode de la sociabilité festive, dans le quartier de Vila Isabel à dominante populaire mais offrant des possibilités de mixité sociale, il s’illustre dès 1928 comme chanteur et percussionniste dans le groupe Flor do Tempo, devenu ensuite Bando de Tangarás (aux côtés de personnalités cruciales de la samba comme Noel Rosa et Carlos Alberto Ferreira Braga, connu sous les noms de João de Barro ou Braguinha). Le répertoire de ce groupe composite, formé également par des fils de médecins et d’industriels, montre initialement une juxtaposition occasionnelle de la samba à d’autres registres « régionaux » comme l’embolada, la toada et le cateretê. Le succès d’Almirante au carnaval de 1930 (avec notamment Na Pavuna, dont l’enregistrement intègre pour la première fois des percussions grâce au progrès de l’enregistrement électrique, existant au Brésil depuis 1929) accentue l’importance de la samba et de la marcha dans son répertoire et lui ouvre de nombreuses opportunités d’enregistrement et de représentations sur scène, aux côtés de grandes vedettes de l’époque comme Elisa Coelho, Carmen Miranda ou Bando da Lua. Les enregistrements et les concours de carnaval constituent le moteur de sa carrière musicale, jusqu’à ce qu’il abandonne la carrière de chanteur en 1940 pour se consacrer à la radio.
21Ses premiers contacts avec la radio se font sur le mode de la sociabilité radioamateur (dès 1922). Très rapidement il y trouve des opportunités financières, initialement en bricolant des récepteurs, puis à partir de 1929, en tant que chanteur puis animateur et producteur. Devenu homme de confiance d’Ademar Casé, il comprend très tôt le principe de la triple fidélisation (professionnels, publicitaires et public) qu’implique la radiodiffusion publicitaire. Il contribue à la rentabilisation du Programa Casé en en faisant une production « montée » qui, au lieu de juxtaposer simplement des interventions d’artistes, organise les séquences thématiquement et intègre les chansons à des jeux de radio-acteurs. En 1934, il ajoute à ses fonctions de comptable, directeur artistique, chanteur et speaker, celle de producteur de programmes de divertissement (concours de mots croisés, curiosités et autres programmes impliquant la participation du public présent dans l’auditorium, etc.). En 1935, il inaugure ce qui restera sa marque de fabrique pour les décennies à venir : les programmes musicaux montés, à caractère documentaire et patrimonial, qu’il présente dans différentes stations (avec História do Rio pela música, puis Instantâneos sonoros do Brasil, Canção antiga, História das orquestras e dos músicos do Brasil, Pequena história do samba, entre autres).
22Grande vedette de la musique carioca des années 1930 et présentateur charismatique à la radio, il contribue à faire de la radio un véritable métier (il s’engage d’ailleurs dans les organisations professionnelles) et du programme radiophonique un produit respectable résultant de différentes compétences. Sa participation à la transformation des goûts musicaux consiste en trois types de prescriptions. D’abord, le caractère documentaire de ses programmes montés produit une classification fine de la musique populaire brésilienne en époques et en genres à la fois nettement circonscrits et ramifiés (ce travail de classement s’appuie autant sur une expérience très diversifiée de la musique populaire que sur une abondante documentation qu’il constitue en archive). Ensuite, cet ordonnancement en grande partie issu du peuple et néanmoins savant inscrit les différents genres dans l’histoire spécifiquement nationale et populaire du Brésil et les constitue en patrimoine, ce qui leur confère une dignité culturelle. Enfin, l’opération de patrimonialisation conduit à des redécouvertes et à des réhabilitations qui alimentent les programmes radiophoniques et les catalogues discographiques. Le programme O pessoal da Velha Guarda (qui commence en 1947) est ainsi à l’origine d’un véritable revival consacrant à partir de 1950 le choro* comme genre instrumental, ce qui remet sur le devant de la scène des interprètes de samba de la première génération comme Pixinguinha, Donga, Sinhô, João da Baiana.
23Quand Almirante fait de la samba un patrimoine musical national issu du peuple, Radamés Gnattali [36] contribue à en faire un genre artistique « esthète ». Si c’est par nécessité économique que Radamés Gnattali se convertit en 1930 à la musique populaire, son travail d’« anoblissement » de la production industrielle lui permet de reconquérir, en fin de carrière, une notoriété dans le domaine savant. Né en 1906 à Porto Alegre (État du Rio Grande do Sul), dans une famille d’immigrés italiens mélomanes (toute la fratrie porte des prénoms tirés des opéras de Verdi), il se découvre très précocement une vocation de compositeur- concertiste. Après un parcours de compositeur « classique », il ne parvient pas, contrairement à Villa-Lobos, à s’imposer dans le champ musical par le registre nationaliste. N’ayant pas le même capital social, il doit, dans la conjoncture révolutionnaire de 1930 (crise économique et concours annulés de l’École nationale de musique), se résoudre à accepter un autre destin. Il devient ainsi, selon son propre terme, « ouvrier de l’industrie musicale » : il se spécialise dans l’arrangement des registres populaires, synthétisant pour la radio et le disque des ressources issues de la musique savante, du jazz, du folklore, des musiques légères européennes, etc. Entre autres réalisations mémorables, il arrange la première « samba-exaltação » (samba d’exaltation nationaliste), Aquarela do Brasil d’Ari Barroso (1939), en transposant notamment des rythmes de percussions vers des sections de cuivres et de cordes.
24Mobilisant les ressources musicales les plus sophistiquées pour les mettre au service de l’industrie musicale, Radamés Gnattali et les arrangeurs qui suivent son exemple (dont Lírio Panicalli, Lazzoli, Leo Peracchi, Carioca, et plus tard, Moacir Santos et Tom Jobim), contribuent à la légitimation culturelle de la radio et de sa programmation de musique populaire, celle-ci devenant accessible à tous les goûts, y compris légitimes. Ainsi, comme les émissions de ses concurrentes cariocas, les programmes Um milhão de melodias ou Quando os maestros se encontram de la Rádio Nacional se présentent comme des « défis » lancés aux registres consacrés, qu’ils soient savants, folkloriques ou étrangers. Financé par Coca-Cola qui lance alors sa première campagne au Brésil via l’agence McCann & Erickson, Um milhão de melodias (1943-1950 et 1952-1956) juxtapose volontairement des succès anciens et contemporains, locaux et internationaux, en leur donnant un traitement orchestral homogène et grandiose. À l’occasion, les paroles de succès étrangers sont traduites et des classiques européens ou nord-américains sont interprétés en rythme de samba. Dans un autre programme, Quando os maestros se encontram (1950-1957), les maestros de la station (ou leurs invités) se défient par des arrangements originaux, donnant lieu à des expérimentations inédites avec des formations plus restreintes, mais assurément éclectiques, où la samba tient là aussi une place symboliquement forte (on peut mentionner ainsi la participation de Tom Jobim, figure centrale de la Bossa Nova).
25Outre sa légitimation nationaliste, la reconnaissance esthétique de la samba et des produits de l’industrie des musiques populaires s’appuie donc sur des processus de migration et de reconfiguration de ressources musicales. Le traitement symphonique et l’appropriation de référents nord-américains et européens servent à démontrer les potentialités esthétiques de cette musique « authentiquement nationale ». La maîtrise virtuose des techniques et ressources populaires (rythmes et instruments emblématiques, jeux au piano ou à la guitare) est mobilisée dans la programmation musicale par des transpositions, citations, superpositions et arrangements de toutes sortes. Si l’on se fie aux sources écrites, la samba semble devenir non seulement tolérable, mais surtout appréciable et même un objet de fierté collective. La métaphore essentialiste de l’habillement, très commune pour désigner le travail de production et d’arrangement, cache en fait des mutations structurelles de la samba. Comme l’écrit un observateur de l’époque, « On peut affirmer que Gnattali représente une phase nouvelle de la musique populaire brésilienne, dans son évolution pour pénétrer le milieu cultivé, sans le paupérisme des harmonisations du vieil ensemble régional, ou de l’orchestre de musique, marqué par le bizarre des saxos et des tubas […]. Avant lui, nos musiques vivaient dans une pauvreté dépenaillée, sans les accentuations de beauté que fournissent les ressources sur lesquelles compte une sensibilité vibrante servie par une culture supérieure […]. Par ailleurs, les ressources de technique et d’instrumentation que le populaire Radamés mobilise pour obtenir des effets majestueux, démontrent, dans une leçon surprenante, “comment doit être traité le rythme afro-brésilien”, ou en d’autres mots, la samba [37] ».
26Une partie du « mystère de la samba » s’estompe donc quand on considère, au-delà des artistes, des vedettes et des agents de l’État, le rôle des structures et des agents de la diffusion culturelle. Ces derniers réussissent à trouver des formes de conciliation entre les dynamiques de consolidation de la culture savante et les stratégies commerciales de l’industrie musicale. La censure et la propagande rendent la samba de bon ton, alors que les reconversions de musiciens savants, notamment à la radio, la rendent de bon goût. Sa diffusion massive et sa domestication contribuent à la formation de modalités d’appréciation partagées par des générations successives. C’est ainsi que la samba acquiert des lettres de noblesse, comme l’écrit tel critique pour lequel « la samba a une place définitive parmi les musiques populaires des peuples civilisés, digne et élégante représentante de l’esprit musical de nos gens, rendant visite, par les émetteurs d’ondes courtes de la Rádio Nacional, aux foyers du monde entier, entrant en queue-de-pie et chapeau haut-de-forme, gentleman, bien élevé [38] ». La chanson Samba da minha terra (Dorival Caymmi, 1940) illustre les effets et la complexité de ce processus de valorisation du collectif à travers ses pratiques culturelles. La samba y est exaltée comme un produit de la terre et des postures physiques liées à cette spécificité locale (« languir », « bouillir ») [39], et la non-adhésion d’un Brésilien à la samba y est stigmatisée comme une pathologie (« il ne va pas dans sa tête ou est malade des pieds »).
Ainsi, le rapport au rythme de la samba qui dans un premier temps stigmatisait un groupe racial, en est venu à définir l’appartenance à la société brésilienne. Le carnaval et la prise en charge de la samba par l’industrie musicale représentent, plus encore que les exhortations civiques de Villa-Lobos, une forme de communion nationale. Au-delà, ils contribuent activement à la construction d’une façon brésilienne d’affronter les contradictions produites par la transition d’une société holiste et patriarcale, centrée sur les rapports personnels, vers une société de masse fondée sur l’individu, le citoyen [40]. À travers les oppositions qu’elles mobilisent fréquemment (famille/rue, morro/cidade, urbain/rural, malandro/ouvrier, etc.), les paroles de la samba expriment et élaborent la confrontation d’une société hiérarchique à une société qui veut aussi être démocratique. Au moment où l’équilibre entre les composantes rurales et urbaines de la société brésilienne se transformait très rapidement et très profondément, la samba est l’une des forces qui a contrebalancé l’anomie engendrée par des transferts massifs de populations. C’est pourquoi l’on peut comparer la samba du carnaval et de la radio à un schème religieux ou scolaire, à une sorte de carte de repérage ou à une façon mnémonique d’incorporer les catégories fondamentales d’une culture.
27Lexique (Les citations sont extraites du lexique de Gérard Béhague, Musiques du Brésil, de la cantoria à la samba-reggae, Paris, Cité de la Musique/Actes Sud, 1999, p. 153-164).
28Batuque : « ancienne danse afro-brésilienne, originaire d’Angola et du Congo. Le terme finit par devenir générique de certaines danses qui s’accompagnent d’un ensemble considérable de percussions ».
29Carioca : habitant ou natif de Rio de Janeiro.
30Choro : « ensembles de musiciens populaires de Rio de Janeiro qui apparaissent vers les années 1880. Au début le trio typique consiste en une flûte, une guitare et un cavaquinho. Plus tard, d’autres instruments en font partie. Le répertoire comprend les valses à la mode importées (polka, scottish, tango, valse) dans une interprétation locale typique : improvisation, modulations rapides et imprévues, et virtuosité instrumentale ».
31Embolada, côco, desafio, cantoria : différents registres nordestins d’improvisation vocale, en groupe, en duo ou en solo (accompagnés de percussions ou à la guitare).
32Gafieira : bal populaire ; se dit également de certains établissements payants où l’on pratique les danses de salon.
33Lundu ou lundum : « danse et chanson d’origine bantoue d’Angola et du Congo connue au Brésil dès 1780 ». Au Brésil, on désigna sous ce nom d’abord une danse populaire, puis un genre de chanson de salon et, finalement, un type de chanson folklorique.
34Maxixe : « danse urbaine de Rio de Janeiro, qui apparaît vers 1875 et s’exécute d’abord sur des rythmes de polka, de habanera et de tango ; […] se caractérisant par une grande vivacité rythmique (syncopes) et une chorégraphie lascive ».
35Morro (« Morne ») : terme utilisé pour désigner les favelas ; locus mythique d’origine de la samba. Par opposition à la cidade, le morro est associé au noir, au malandro, à la misère, à l’informalité.
36Malandro : « type populaire, malicieux et essentiellement malhonnête, bohème ; romantique élégant qui tient quelque peu du gigolo. Populaire dans la samba traditionnelle » (G. Béhague, op. cit., p. 160). Figure récurrente dans la samba traditionnelle, elle est également prise comme métaphore du caractère national par son aptitude à contourner les règles.
37Roda : littéralement « ronde ». Terme très utilisé au Brésil pour désigner les rassemblements, dans des lieux publics ou privés, autour de pratiques culturelles. On parle de rodas de samba, de rodas de choro, de rodas literárias ou de intelectuais (cercles littéraires, salons). Il désigne aussi certaines variantes spécifiques de genres musicaux : samba-de-roda, cantigas de roda.
38Sarau : 1) fête nocturne chez un particulier, dans un club ou théâtre ; 2) concert musical nocturne ; 3) fête littéraire nocturne, principalement chez des particuliers.
39Sertão : la catégorie Sertão désignait initialement tout ce qui n’est pas le littoral (interior) mais en vient progressivement à ne plus désigner que la zone semi-aride des plateaux du Nordeste.
Notes
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[1]
Dans les années 1910, le père de Luiz Gonzaga (qui inventera le baião nordestin) jouait ainsi des valses, mazurkas, scottishs, polkas et marches à l’accordéon dans des bals ruraux de l’actuel Nordeste et qui étaient désignés comme « sambas ».
-
[2]
Hermano Vianna, O mistério do Samba, Rio de Janeiro, Jorge Zahar/UFRJ, 1995.
-
[3]
Carlos Sandroni, Feitiço decente. Transformações do samba no Rio de Janeiro (1917-1933), Rio de Janeiro, Jorge Zahar, 2001, p. 207.
-
[4]
Les astérisques renvoient au lexique en fin d’article.
-
[5]
H. Vianna, op. cit., p. 35.
-
[6]
Vassili Rivron, « Enracinement de la littérature et anoblissement de la musique populaire : étude comparée de deux modalités de construction culturelle du Brésil (1888-1964) », thèse, EHESS, 2005, vol. II, chap. 2.
-
[7]
On peut mentionner, en particulier, la deuxième génération de chercheurs de l’Université de São Paulo avec José Miguel Wisnik ou José Ramos Tinhorão. Pour une présentation plus large de ce champ académique, voir Naves, Santuza Cambraia, Coelho, Frederico Oliveira, Bacal, Tatiana et Medeiros, Thais, « Levantamento e comentário crítico de estudos acadêmicos sobre música popular no Brasil », ANPOCS bib – Revista Brasileira de Informação Bibliográfica em Ciências Sociais, 51, São Paulo, 2001.
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[8]
Alfredo Bosi, spécialiste des lettres brésiliennes et italiennes (qui a publié quelques articles sur la musique brésilienne dans les années 1970), évoque ainsi la période 1964-1980 comme une « période noire, hiver dans lequel les intellectuels se définirent par une doctrine sociale et philosophique très proche du marxisme ou de courants fortement sociologisants. » (entretien avec Alfredo Bosi, 22 novembre 1999). La « purification » des communistes et opposants au régime, quand elle n’a pas mené à l’exil, a forcé nombre de reconversions d’intellectuels dans l’industrie culturelle.
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[9]
Cette thèse est devenue une sorte de doxa savante sur la samba. José Ramos Tinhorão en est le meilleur exemple avec notamment : Música Popular: um tema em debate, Rio de Janeiro, Saga, 1966. Parmi les références récentes : Alberto Moby, Sinal fechado – a música popular brasileira sob censura, obra aberta, Rio de Janeiro, 1994.
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[10]
L’expression « indústria cultural incipiente » est de Roberto Ortiz (A moderna tradição brasileira – cultura brasileira e indústria cultural, São Paulo, Éd. Brasiliense, 1995).
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[11]
Afrânio Garcia Jr., « Les métissages et la construction culturelle de la nation », Hérodote, 98, Paris, septembre 2000, p. 135-147.
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[12]
Cité par Vasco Mariz, A canção brasileira, Rio de Janeiro, Cátedra-INL, 1980, p. 189-191.
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[13]
Euclides da Cunha, Hautes Terres. La guerre de Canudos, Paris, Métailié, 1993 [la 1re édition de Os Sertões date de 1902].
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[14]
Notamment la théorie des indices raciologiques formulée par Nina Rodrigues (Nina Rodrigues et Homero Pires, Os africanos no Brasil, São Paulo, Companhia Editora Nacional, 1935).
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[15]
Voir l’influence du tango et de l’habanera sur la samba analysée par C. Sandroni, op. cit.
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[16]
Daniel Pécaut, Entre le Peuple et la Nation (Les intellectuels et la politique au Brésil), Paris, Éd. de la MSH, coll. Brasília, 1989.
-
[17]
Sérgio Miceli, Les Intellectuels et le pouvoir au Brésil (1920-1945), Paris, Presses universitaires de Grenoble, Éd. de la MSH, coll. Brasilia, 1981.
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[18]
Cette politique voit la création d’un ministère spécifique (1932, ministère de l’Éducation et de la Santé) et de nombreuses institutions culturelles : musique (réforme de l’École nationale de musique, 1930) universités (statut des universités en 1931 et universités de São Paulo en 1934 et du District Fédéral en 1935), cinéma (INCE, 1936), patrimoine (SPHAN, 1937), livre (INL, 1937), censure et propagande (Département de Presse et Propagande, DIP, 1939).
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[19]
Sur leurs trajectoires, voir Paulo Renato Guérios (Heitor Villa-Lobos: o caminho sinuoso da predestinação, Rio de Janeiro, Editora FGV, 2003) et João Batista Cintra Ribas (O Brasil e os Brasilianos, Medicina, Antropologia e educação na figura de Roquette-Pinto, thèse de master en anthropologie sociale, Campinas, Universidade Estadual de Campinas, 1990).
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[20]
João Batista Borges Pereira (Côr, profissão e mobilidade, o negro e o rádio e de São Paulo, São Paulo, Edusp, 2001) recense des témoignages de sambistes des années 1910-1920 allant dans ce sens. Une grande partie de ces témoignages peuvent être retrouvés dans les enregistrements « Depoimentos » du Musée de l’image et du son de Rio de Janeiro.
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[21]
Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1970 ; Roberto DaMatta, Carnavals, bandits et héros – ambiguïtés de la société brésilienne, Paris, Seuil, 1983.
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[22]
Le concours officiel définit une conception très particulière du carnaval : il impose non seulement la samba et la marcha comme genres, mais il établit également des sections chorégraphiques spécifiques (ala das Baianas, ala da Velha Guarda, etc.) et impose la forme allégorique et les thématiques d’exaltation nationale.
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[23]
Si le Brésil devient majoritairement urbain en 1970, la région Sud-Est (où se situent Rio et São Paulo) l’est dès 1950. Pour une synthèse de statistiques historiques sur le Brésil, voir le dossier « Brésil : le siècle des grandes transformations », Cahiers du Brésil Contemporain, 40, 2000. Pour une analyse des mutations du Rio populaire au début du XXe siècle, voir en particulier : Licia Valladares, La Favela d’un siècle à l’autre, Paris, Éd. de la MSH, 2006 et José Murilo de Carvalho, Os bestializados : o Rio de Janeiro e a Republica que nâo fol, São Paulo, Companhia das Letras, 1987.
-
[24]
Renato Murce, Bastidores do Rádio – Fragmentos do rádio de ontem e de hoje, Rio de Janeiro, Imago, 1976.
-
[25]
Rafael Casé, Programa Casé – O rádio começou aqui, Rio de Janeiro, Mauad, 1995, p. 62.
-
[26]
Cité par R. Casé, op. cit., p. 62.
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[27]
Luiz da Câmara Cascudo, in Som, 31 janvier 1938, cité in Sérgio Cabral, No tempo do Almirante, Rio de Janeiro, Francisco Alves, 1990, p. 133.
-
[28]
Fernando A. Novais (dir.) et Nicolau Sevcenko (org.), História da vida privada no Brasil, vol. 3, « República: da Belle époque à Era do Rádio », São Paulo, Cia das Letras, 1998, p. 545.
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[29]
Cité in S. Cabral, op. cit., p. 133.
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[30]
Pour José Jorge de Carvalho (« Transformações da Sensibilidade Musical Contemporânea », Horizontes Antropológicos, 11, Porto Alegre, 1999, p. 59-118), les modalités d’écoute engendrées par le disque et la radio se rapprocheraient le plus de la musique de chambre : écoute attentive, recueillie et silencieuse d’une œuvre dont toutes les notes doivent pouvoir être ouïes de la même façon par tous les spectateurs. Cette logique sera prolongée par les développements du transistor, de la hi-fi, de la stéréo et surtout du baladeur (voir Shuhei Hosokawa, “The walkman effect”, in Popular Music, vol. 4, Performers and Audiences, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 165-180).
-
[31]
Vassili Rivron, « Le reclassement de la musique populaire brésilienne. Trajectoires de producteurs radiophoniques et construction d’un patrimoine national (1936-1970) », Regards sociologiques, 33-34, juin 2007, p. 55-67.
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[32]
L’orchestre « regional » est composé essentiellement de guitares, cavaquinho (toute petite guitare à quatre cordes), flûte, pandeiro (tambourin), on y ajoutait parfois des instruments issus des orchestres martiaux (clarinette, trombone, saxophone) ou l’accordéon.
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[33]
Si la Rádio Nacional qui diffuse depuis 1936 et appartient alors au journal A Noite, devient un vecteur privilégié de la propagande de Vargas, ce n’est pas cette station qui est visée lors de la nationalisation, mais bien le groupe américain de Percival Farquhar, au travers de sa filiale la Cia. Estrada de Ferro São Paulo-Rio Grande/Railways Co, dont fait partie A Noite. Par ailleurs, en l’absence de toute forme de subvention, les modalités de gestion de cette station sont particulières : les larges bénéfices engrangés par l’activité publicitaire sont intégralement reversés à la station.
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[34]
L’Orquestra Brasileira, créée par Gnattali pour le programme Um Milhão de Melodias de la Radio Nacional, est par exemple constitué d’un minimum de 40 membres et associait de façon régulière ressources symphoniques, jazz et régionales.
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[35]
Outre les sources d’archives (Rádio Nacional et MIS de Rio de Janeiro), les données biographiques concernant Almirante proviennent principalement de S. Cabral, op. cit.
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[36]
Outre les sources d’archives, les données biographiques proviennent de Didier Aluísio, Radamés Gnattali, Rio de Janeiro, Brasiliana Produções/Banco Real, 1996 et Valdinha Barbosa et Anne-Marie Devos, Radamés Gnattali – O eterno experimentador, Rio de Janeiro, Funarte/MEC, 1985.
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[37]
Sebastião Braga, « Radamés Gnattali e a música brasileira », Rádio entrevista, 10, septembre 1951, p. 39.
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[38]
Pedro Anísio, Boletim Informativo dos serviços de transmissão, Rádio Nacional, novembre 1943 (NdA : « bien élevé » pour « rapaz de tratamento » ; la traduction de la métaphore vestimentaire de cette citation pose problème du fait que le mot samba est féminin en français, mais masculin en brésilien).
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[39]
« La samba de ma terre / Nous fais languir / Quand on la chante / Tout le monde bout / […] / Qui n’aime pas la samba / N’est pas un bon sujet / Il ne va pas dans sa tête / Ou est malade des pieds / Je suis né avec la samba / Dans la samba j’ai grandi / Et de cette samba endiablée / Je ne me suis jamais séparé ».
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[40]
Voir R. DaMatta, op. cit.