Notes
-
[1]
À l’encontre de cette première forme d’aveuglement, voir le bilan et les propositions avancés par Abram de Swaan, « Pour une sociologie de la société transnationale », Revue de synthèse, 1, janvier-mars 1998, p. 89-111.
-
[2]
Voir Johan Heilbron et Gisèle Sapiro, « La traduction littéraire, un objet sociologique », Actes de la recherche en sciences sociales, 144, septembre 2002, p. 3-6.
-
[3]
Pour la période récente, voir Yves Gingras, « Les formes spécifiques de l’internationalité du champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, 141-142, mars 2002, p. 31-45.
-
[4]
René Taton, « Le rôle et l’importance des correspondances scientifiques aux xviie et xviiie siècles », Revue de synthèse, 81-82, janvier-juin 1976, p. 7-22 ; Catherine Goldstein, Un théorème de Fermat et ses lecteurs, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1995.
-
[5]
Catherine Goldstein, « Le métier des nombres aux xviiie et xixe siècles », in Michel Serres (sous la dir. de), Éléments d’histoire des sciences, Paris, Bordas, 1989, p. 275-295, et « L’expérience des nombres de Bernard Frenicle de Bessy », Revue de synthèse, 2-3-4, avril-décembre 2001, p. 425-454.
-
[6]
Robert K. Merton, Science, Technology and Society in Seventeenth Century England, Bruges, Saint-Catherine Press, 1938 (rééd. New York, Howard Fertig, 1970) ; Daniel Roche, Le Siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris, EHESS, 2 t., 1978.
-
[7]
James E. III McClellan, Science Reorganized. Scientific Societies in the Eighteenth Century, New York, Columbia University Press, 1985 ; André Guillerme (sous la dir. de), De la diffusion des sciences à l’espionnage industriel, xve-xxe siècles, Paris, SFHST, 2001 (vol. 47 des Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences) ; Christiane Demeulenaere-Douyère et Éric Brian (éds), Règlement, Usages et Science dans la France de l’Absolutisme, Paris, Lavoisier, 2002.
-
[8]
Son inventaire est en cours. Voir Cornelia Buschmann, « Preisfragen als Institution der Wissenschaftsgeschichte der Aufklärung », in Detlef Döring et Kurt Nowak (éd.), Gelehrte Gesellschaften im mitteldeutschen Raum (1650-1820). Akademiehistorische Tagung der Sächsischen Akademie der Wissenschaften zu Leipzig, partie III, Stuttgart, 2001 (Abhandlungen der Sächsischen Akademie der Wissenschaften zu Leipzig. Philologisch-historische Klasse). Les travaux et les premiers résultats de cette enquête peuvent être consultés sur le site : http:// www. uni-potsdam. de/ u/ fea/ preisschriften/ projekt2. htm.
-
[9]
Staffan Müller-Wille, Botanik und weltweiter Handel. Zur Begründung eines natürlichen Systems der Pflanzen durch Carl von Linné (1707-1778), Berlin, VWB, 1999.
-
[10]
Pour s’en convaincre, voir Giovanna Grassi et Paolo Maffei, Union Catalogue of Printed Books of 15th, 16th and 17th Centuries in European Astronomical Observatories, Rome, Vecchiarelli, 1989.
-
[11]
E. Brian, La Mesure de l’État. Administrateurs et géomètres au xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 1994, partie 3.
-
[12]
Sur le destin de l’ouvrage, voir Jean-Pierre Schandeler, Les Interprétations de Condorcet. Symboles et concepts (1794-1894), Oxford, Voltaire Foundation, 2000.
-
[13]
Condorcet, manuscrit inédit (1793-1794), « Fragment sur la langue universelle », Bibliothèque de l’Institut, MS885-III, f 774v-775r (la transcription est mienne). La dernière phrase a été publiée par Gilles-Gaston Granger, dans « Langue universelle et formalisation des sciences », Revue d’histoire des sciences, 7, 1954, p. 197-219. Une édition collective critique de l’Esquisse et des manuscrits du Tableau des progrès de l’esprit est en préparation pour l’année 2003 aux éditions de l’INED.
-
[14]
Il faudra attendre la Première Guerre mondiale et la Révolution de 1917 pour que la question de la primauté des conditions politiques à l’égard de l’exercice des activités savantes s’impose à nouveau dans les débats sur la science parmi les politiques et parmi les savants. Il s’agira dès lors de problématisations nouvelles gouvernées par les transformations politiques et les conflits idéologiques du xxe siècle. Elles eurent et ont encore des incidences directes sur les agendas théoriques et empiriques de la philosophie et des sciences sociales des sciences. On ne peut s’extirper de tels pièges réflexifs qu’au moyen d’un dispositif conceptuel fondé sur le contrôle de la réflexivité et sur le concept sociologique d’autonomie relative. Voir E. Brian, « Calepin. Repérage en vue d’une histoire réflexive de l’objectivation », Enquête, Marseille, 2, 1996, p. 193-222 ; P. Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir, 2001 ; et le numéro « Science » des Actes de la recherche en sciences sociales, 141-142, mars 2002.
-
[15]
Union des associations internationales, Les Congrès internationaux de 1681 à 1899, de 1900 à 1919. Liste complète, Bruxelles, 2 vol., 1960. Il s’agit d’une compilation des fichiers manuels entretenus par cette association dévolue à la promotion des réunions internationales. Pour une critique de l’illusion historiographique produite par l’activité même des congrès, voir E. Brian, « Y a-t-il un objet Congrès ? Le cas du Congrès international de statistique (1853-1876) », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 7, 1989 (qui utilise déjà cette source), p. 9-22 ; « Statistique administrative et internationalisme statistique pendant la seconde moitié du xixe siècle », Histoire et mesure, vol. IV, 3-4, 1989, p. 201-224.
-
[16]
A. Quetelet, Sur le Congrès international de statistique tenu à Londres le 16 juillet 1860 et les cinq jours suivants, Bruxelles, Hayez, broch. in-4, 31 p. (citations tirées des p. 1-2), 1860, extrait du Bulletin de la Commission centrale de statistique [de Belgique], t. IX.
-
[17]
Id., Sciences mathématiques et physiques au commencement du xixe siècle, Bruxelles, 1867, p. 22-23.
-
[18]
E. Brian, « L’œil de la science incessamment ouvert. Trois variantes de l’objectivisme statistique », Communications, 54, 1992, p. 89-103.
-
[19]
Marie-Noëlle Bourguet, Déchiffrer la France. La statistique départementale à l’époque napoléonienne, Paris, Éd. des Archives contemporaines, 1989 ; E. Brian, « Le prix Montyon de statistique à l’Académie royale des sciences pendant la Restauration », Revue de synthèse, avril-juin 1991, p. 207-236 ; Valeria Pansini, Une section topographique au travail (1802-1810). Les enquêtes du Dépôt de la Guerre, DEA-EHESS, septembre 1997, et thèse en cours.
-
[20]
A. Quetelet, Sur le Congrès international de statistique tenu à Londres le 16 juillet 1860 et les cinq jours suivants, op. cit., p. 1-2.
-
[21]
Id., Sciences mathématiques et physiques au commencement du xixe siècle, op. cit., p. 23.
-
[22]
Id., discours d’ouverture publié dans le Compte rendu des travaux du Congrès général de statistique réuni à Bruxelles les 19, 20, 21 et 22 septembre 1853, Bruxelles, Hayez, 1853, p. 21-23.
-
[23]
Sur cette explosion et pour une étude de la forme des congrès internationaux qui en résulte, voir la thèse d’Anne Rasmussen, L’Internationale scientifique (1890-1914), EHESS, 2 vol., 1995. De sa compilation de la source belge de 1960 déjà citée, on peut tirer la périodisation que nous utilisons (voir tableau 1).
-
[24]
A. Rasmussen, « Les Congrès internationaux liés aux Expositions universelles de Paris (1867-1900) », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 7, 1989, p. 23-44. Expositions universelles et chemin de fer sont deux conditions déterminantes de l’essor des congrès après 1865. Il n’est pas possible ici d’aborder ces questions. Voir la thèse du même auteur, L’Internationale scientifique…, op. cit.
-
[25]
Dans cette académie, comme probablement dans les autres sociétés savantes sous les différents absolutismes européens à l’époque des Lumières, la relation entre science et politique mettait en jeu des savants qui procuraient aux administrateurs réformateurs des techniques nouvelles, et des administrateurs qui leur donnaient en retour des institutions légitimes pour conduire leurs activités scientifiques. Voir Charles Gillispie, Science and Polity in France at the End of the Old Regime, Princeton, Princeton University Press, 1980.
-
[26]
Les sessions eurent lieu à Bruxelles (1853), Paris (1855), Vienne (1857), Londres (1860), Berlin (1863), Florence (1867), La Haye (1869), Saint-Pétersbourg (1872) et Budapest (1876). Les derniers temps une commission permanente fut créée qui se réunit quatre fois : à Vienne (1873), Stockholm (1874), Budapest (1876) et Paris (1878). Je ne livrerai pas ici les références détaillées des comptes rendus et des listes de présence et d’ouvrages. Voir E. Brian, « Bibliographie des comptes rendus officiels du Congrès international de statistique (1853-1878) », Annales de démographie historique 1990, EHESS, 1991, p. 469-479. Pour la discussion des difficultés que pose le dépouillement et pour de premières conclusions, voir Id., « États des populations et populations d’États : la mondialisation des critères démographiques pendant la seconde moitié du xixe siècle », Régimes démographiques et territoires. Les Frontières en question, Paris, AIDELF-PUF, 2000, p. 9-17.
-
[27]
Voir par exemple Marco Soresina, « La Corrispondenza dei demografi francesi Louis-Adolphe e Jacques Bertillon con Luigi Bodio », Storia in Lombardia, XV, 1, 1996, p. 63-140. Voir aussi le fonds Fredrik Theodor Berg, à la bibliothèque du Bureau central de statistique de Stockholm.
-
[28]
Cette logique de mobilisation nationale de tous les statisticiens du moment, puis de remplacement par une nouvelle génération contrôlée par un membre local, régulier du Congrès, la date pivot étant celle de la réunion dans le pays concerné, peut être observée dans plusieurs pays organisateurs : la Belgique, la Grande-Bretagne, la Prusse (l’Allemagne), les Pays-Bas, mais pas en Autriche, ni en France, ni en Italie. Les cas russes et hongrois sont plus difficiles à apprécier parce que tardifs. Le cas des Français est moins simple, car trois groupes sont en conflit : les gens de la Statistique générale de la France (A. Legoyt principalement), ceux de la Ville de Paris (L.-A. et J. Bertillon) et des professeurs d’économie (M. Block, L. Wolowski et E. Levasseur).
-
[29]
Les quatre volumes de Budapest (1876) sont formés de fascicules paginés séparément. Les divers exemplaires que j’ai pu consulter à Paris, à New York, à La Haye et à Budapest n’étaient pas reliés de la même manière. Il est toutefois paru un catalogue spécial d’une soixantaine de pages qui n’a pas été dépouillé ici. Il s’agit de Mór Déchy, Catalogue des ouvrages graphiques et cartographiques exposés à l’occasion du IXe Congrès international de statistique, Budapest, Athenaeum, 1876. Pour les autres sessions, les paginations de ces listes sont indiquées dans la bibliographie déjà citée et parue dans les Annales de démographie historique 1990.
-
[30]
Si ce n’est dans le cas de la liste établie à Florence pour les raisons déjà indiquées. 15 % des livres en français cités alors avaient déjà été présentés lors d’une session antérieure.
-
[31]
P. de Sémenow, Compte rendu général des travaux du Congrès international de statistique aux sessions de Bruxelles, 1853 ; Paris, 1855 ; Vienne, 1857 ; Londres, 1860 ; Berlin, 1863 ; Florence, 1867 et La Haye, 1869, Saint-Pétersbourg, impr. de l’Acad. imp. des sciences, 1872, p. 7-9. Cet ouvrage est réimprimé et complété pour les deux sessions suivantes dans : Rapport des travaux des réunions plénières du Congrès international de statistique (1853-1876), Madrid, INEE, 1983.
-
[32]
À Paris, il est ainsi quatre bibliothèques où l’on peut retrouver les vestiges de ce trésor fait de volumes austères au papier bien fragile aujourd’hui : le fonds de la Statistique générale de la France, conservé par la bibliothèque de l’INSEE ; le fonds de la Société de statistique de Paris, longtemps visible dans la salle de sciences économiques de la Sorbonne au Panthéon et aujourd’hui déposé pour une grande part à la Maison des sciences économiques (boulevard de l’Hôpital) ; le fonds de statistique de la Ville de Paris dont Louis-Adolphe et Jacques Bertillon ont dirigé le bureau, consultable à la bibliothèque de l’Hôtel de Ville ; enfin divers legs à la bibliothèque de l’Institut de France provenant de membres de l’Académie des sciences morales et politiques qui furent inscrits aux sessions du Congrès. Deux autres bibliothèques européennes sont exceptionnelles au même égard : celle du bureau central de statistique de Stockholm et celle de l’Institut de statistique de Budapest.
-
[33]
François-Xavier von Neumann-Spallart, La Fondation de l’Institut international de statistique, aperçu historique, Rome, Botta, 1886 (extrait du Bulletin de l’Institut international de statistique, vol. I, 1).
-
[34]
Voir V. Stépanov, Principes généraux d’une bibliographie des publications statistiques, Saint-Pétersbourg, Institut international de statistique, 1897. Les principaux catalogues contemporains ou postérieurs au Congrès international sont ceux des bibliothèques de la commission centrale de statistique de Bruxelles (1853-1902), de la Statistical Society de Londres (1859-1908), du bureau royal de statistique de Berlin (1874-1879) ; du bureau municipal de statistique de Dresde (1877-1894) ; du bureau statistique ducal de Gotha (1887), du bureau royal de statistique de Dresde (1890), du bureau de la Ville de Paris (1890), du bureau municipal de Prague (1897), du bureau de la Ville de Berlin (1901) ; de la Société de statistique de Paris (1903-1907), ou encore par exemple la bibliographie de L. Lebon préparée à l’occasion des réunions statistiques internationales tenues à Paris pendant l’été 1878.
-
[35]
La thèse de Sybilla Nikolow, Statistiker und Statistik. Zur Genese der statistischen Disziplin in Deutschland zwischen dem 18. und 20. Jahrhundert, Dresde, 1994, confirme cette périodisation dans laquelle la réforme des universités allemandes tient aussi une grande part.
-
[36]
Le premier constat est dû à Ted Porter, Trust in numbers. The Pursuit of Objectivity in Science and Public Life, Princeton, Princeton University Press, 1996 ; sur le second et ses conséquences épistémologiques, voir Ian Hacking, The Taming of Chance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
-
[37]
Deux ouvrages complémentaires contribuent à ce tableau : Silvana Patriarca, Numbers and Nationhood. Writing Statistics in Nineteenth-Century Italy, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, et Giovanni Favero, Le Misure del Regno. Direzione di statistica e municipi nell’Italia liberale, Padoue, Il Poligrafo, 2001.
-
[38]
À propos de la période postérieure au Congrès, et toujours en Italie, voir Jean-Guy Prévost, « Genèse particulière d’une science des nombres. L’autonomisation de la statistique en Italie entre 1900 et 1914 », Actes de la recherche en sciences sociales, 141-142, mars 2001, p. 98-109.
-
[39]
Voir dans le cas du mouvement féministe au tournant du xixe au xxe siècle, Susan Zimmermann, « Frauenbewegungen, Transfer, und Trans-Nationalität. Feministisches Denken und Streben im globalen und zentralosteuropäischen Kontext des 19. und frühen 20. Jahrhunderts », in Hartmut Kaelble, Martin Kirsch et Alexander Schmidt-Gernig (éd.), Transnationale Öffentlichkeiten und Identitäten im 20. Jahrhundert, Francfort, Campus Verlag, 2002, p. 263-302 ; voir encore à propos du raisonnement géopolitique Walter D. Mignolo, Local History/Global Designs. Coloniality, Subaltern Knowledges and Border Thinking, Princeton, Princeton University Press, 1999. Pour une réflexion sur la construction des objets de sciences sociales à plusieurs niveaux d’échelle, voir le dossier « Objets d’échelles », Revue de synthèse, 1, janvier-mars 2001.
1Si les mots « mondialisation » et « globalisation » sont devenus des lieux communs, c’est pour le moins au prix d’une double cécité. Tout d’abord, rares sont les spécialistes de sciences sociales prenant au sérieux l’hypothèse selon laquelle les échanges internationaux culturels et marchands à la vaste échelle que nous connaissons maintenant relèveraient d’une sociologie générale traitant d’un objet particulier, la société contemporaine transnationale [1]. On serait ensuite bien en peine d’ébaucher une sociologie historique comparée des formes prises par ces circulations. Les économies-mondes des historiens économiques classiques, la formation des empires anciens ou contemporains, les colonisations et les décolonisations, tous ces phénomènes devraient y trouver place. Dans le cas particulier des activités intellectuelles ou scientifiques, où les études sur la fortune étrangère des textes sont si nombreuses, il n’est pas fréquent de prendre rigoureusement pour objet la circulation internationale des biens symboliques [2]. Pourtant l’internationalité des activités scientifiques est bien un objet sociologique qui appelle pour la période récente, ou d’autres plus anciennes, des enquêtes systématiques. Elles doivent conjuguer une morphologie sociale des échanges, une analyse des transformations des modes de domination dans le champ scientifique et une restitution des trajectoires collectives et singulières des savants [3].
Abrégé d’une histoire de l’internationalisme scientifique
2Pour comprendre comment s’exprime, travaille et pense un mathématicien à l’époque moderne, il est indispensable de partir du fait que ses productions spécialisées ne circulent que par un nombre limité de moyens : les ouvrages en petit nombre, les correspondances entretenues avec des homologues choisis et les voyages des savants ou de leurs proches. Au xviie siècle, c’est manifestement la correspondance scientifique qui prime sur tout autre moyen. Les conséquences d’un tel constat sur la compréhension que nous pouvons avoir des recherches anciennes restent à explorer systématiquement. On sait par exemple que la pratique des défis épistolaires et le recours aux procédés cryptés sont parmi les règles du jeu savant qui consiste à dévoiler sans péril les secrets de l’art [4]. Ces manières conformes aux formes de civilité de l’époque ont forgé le raisonnement des mathématiciens et l’idée qu’ils pouvaient se faire des preuves et de leurs capacités de calcul. On sait encore que ces technologies sociales du commerce savant entraient aussi en concurrence avec d’autres composantes du métier d’alors et qu’on ne peut analyser un document scientifique ancien, aussi abstrait fût-il, sans mettre en évidence les caractères propres à ces modes de production et de circulation [5].
3Du milieu du xviie siècle au début du xixe siècle, on assiste de surcroît au développement des académies et des sociétés savantes dans les capitales monarchiques et les grands centres urbains. Ce développement eut lieu dans toute l’Europe au fil du siècle des Lumières [6]. Il a eu pour conséquence la quasi-monopolisation de la part internationale des échanges scientifiques par ce système d’institutions locales opérant à la fois en concurrence et en réseau, mobilisant au passage des membres correspondants et des associés étrangers dont les actions relevaient d’un genre passablement ambigu, fait de ce que nous appellerions aujourd’hui la veille scientifique, l’information publique et l’espionnage technologique [7]. L’espace scientifique international des Lumières a ensuite été la trame sur laquelle s’est développé, surtout dès le milieu du xviiie siècle et jusqu’aux années 1820, un espace européen des prix académiques, vaste marché local et international de biens symboliques qu’on commence à peine à connaître systématiquement [8]. Mais cette ébauche doit être corrigée selon les sciences dont il est question. Le capital propre d’un naturaliste est fait d’une collection de spécimens, d’une bibliothèque d’ouvrages de compilation et d’un habile système de classification [9]. Les correspondants qui procurent les observations, les spécimens et les livres tiennent dans son entretien une part déterminante. Celui d’un astronome est fait d’institutions et d’observations entreprises au besoin ou bien transmises par les tables et les périodiques savants [10]. Ici encore les réseaux d’observateurs et de correspondants étaient cruciaux. Quant aux mathématiciens, leur trésor était fait d’ouvrages spécialisés et de savoir-faire : les correspondants ne procuraient pas d’échantillons, s’ils importaient, c’était au titre d’alliés ou de concurrents. La fluidité de ces différentes formes de capitaux n’est pas la même. Quelques savants furent de véritables penseurs de l’organisation collective du travail scientifique et de la circulation des biens particuliers qu’elle produisait : Bacon, Réaumur, Lavoisier ou Condorcet par exemple. Les deux derniers, attentifs aux écrits économiques de leur temps (et tout particulièrement dans le cas de Condorcet à ceux de Turgot et d’Adam Smith), ont pensé la production scientifique en termes de division du travail [11]. Les textes utopiques de Condorcet partaient de là. Ils ont procuré aux savants du xixe siècle, du fait du succès de l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1795) [12], non seulement un horizon intellectuel, mais encore une vue des moyens nécessaires pour le réaliser : dans la Nouvelle Atlantide affranchie de la tyrannie politique et de la superstition religieuse, société vraiment libre où les charges de gouvernement seront occupées à tour de rôle, les savants-citoyens se réuniront régulièrement pour récapituler leurs découvertes, ils disposeront d’une nomenclature décimale qui assignera un code à toute chose, ils pourront dès lors tout mesurer et dénombrer, et de leurs calculs procéderont les lois générales ; ils forgeront encore, sur un modèle subtilement élaboré par Condorcet lui-même, une langue universelle qui servira à préserver le patrimoine commun de l’humanité des destructions de tous ordres.
« L’usage de l’imprimerie devenu commun en Europe et dans une vaste portion du continent d’Amérique, l’état des Lumières dans les mêmes parties du globe, le degré de civilisation où sont parvenus les peuples qui les habitent, la Liberté établie en Amérique sur des fondements solides, élevant en France un édifice aussi durable mais d’un style plus pur et méditant de nouvelles conquêtes, tout nous assure que le dépôt des connaissances qui nous a été transmis par nos pères, augmenté par nous, s’accroîtra infailliblement encore entre les mains de nos neveux. Mais rassurés pour l’avenir contre l’effet des causes morales ou politiques qui ont pu ramener la barbarie, nous ne pouvons l’être sur ceux des causes physiques. N’est-il pas possible qu’un bouleversement du globe, sans anéantir l’espèce humaine, sans engloutir avec elle dans des abîmes éternels les monuments qu’elle a élevés, fasse disparaître cependant et les sciences, et les arts, et leurs dépôts fragiles, et jusqu’aux langues aujourd’hui connues [13] ? »
L’invention de l’internationalité de la science au milieu du xixe siècle
5Soixante années plus tard, après l’expérience de la Révolution française, des guerres napoléoniennes, de la paix issue du Congrès de Vienne, de la révolution européenne de 1848 et de la réaction néo-absolutiste qui s’est ensuivie dans les capitales concernées, l’utopie savante de la Xe époque de l’Esquisse d’un tableau des progrès de l’esprit humain n’a plus grand sens. L’horizon d’une société « vraiment libre », comme aurait dit Condorcet, est perdu de vue. Demeure, tout au long du xixe siècle, un idéal bâti sur un espoir fait d’une langue universelle à inventer, de répertoires bien faits des mots et des choses, de réunions des savants de bonne volonté, de lois générales à tout jamais forgées et de synthèses définitives, idéal affranchi de la référence explicite aux conditions politiques révolutionnaires considérées comme nécessaires par l’auteur de l’Esquisse [14].
6L’astronome et statisticien belge Adolphe Quetelet fut assez entreprenant pour tenter de le réaliser. On compte une vingtaine de congrès, tous sujets confondus, entre 1835 et 1850 (soit à peine plus d’un en moyenne par an) [15]. Tout d’abord conçus comme une alternative aux académies et aux sociétés savantes issues du xviiie siècle, ils se transformèrent dans l’esprit de la génération active à cette époque dans la seule chose qu’ils pouvaient devenir, sauf à disparaître : un registre de l’action savante collective complémentaire de ceux déjà établis.
« L’idée des congrès est d’origine moderne [écrit-il en 1860] ; il n’y a pas un demi-siècle qu’elle a commencé à se manifester. Dans l’espèce d’enthousiasme qu’on ressentit d’abord, en voyant les peuples se réunir pour traiter des affaires scientifiques, on semblait croire que les congrès allaient remplacer les sociétés savantes ; mais on s’aperçut bientôt que ces institutions différaient essentiellement par la base [16]. »
8L’idée de Quetelet était simple, directement inspirée de l’utopie condorcétienne, mais d’un pragmatisme propre à une génération qui a perdu l’idéalisme de la fin des Lumières et cherche à rebâtir concrètement la science et les nations du nouveau siècle.
« On peut […] arriver au plus vaste système d’observations que l’esprit humain ait jamais conçu : celui de couvrir le globe entier, dans toutes ses parties accessibles, d’un vaste réseau d’observateurs, espacés de manière qu’aucun phénomène naturel de quelque importance ne puisse se manifester sans avoir été vu et observé avec soin, sans qu’on ait le moyen de le suivre et de l’étudier dans sa marche ; en sorte que l’œil de la science reste pour ainsi dire incessamment ouvert sur tout ce qui se passe à la surface de notre planète [17]. »
10Toutes les parties accessibles du globe, pour Quetelet, se divisent en trois rubriques : les cieux que scrutent les astronomes depuis des lustres et dont l’observation est réglée, enregistrée et échangée de manière satisfaisante ; les mers, périlleuses et seulement peuplées de marins dont il reste à coordonner les procédures d’enregistrement et de dépôt ; enfin les terres, où au contraire les observations pullulent au détriment de toute possibilité de comparaison [18]. Dans les deux derniers cas, Quetelet considérait qu’il n’y avait rien à attendre des savants ou des observateurs eux-mêmes. Il connaissait parfaitement le prix Montyon de statistique de l’Académie des sciences de Paris, solution imaginée par ses prédécesseurs, Laplace et Fourier, après l’effondrement de l’Empire en France et donc de la statistique impériale, pour sauver l’essentiel : les recueils d’observations conduites par des personnes sûres, aux plans moral et intellectuel, militaires, secrétaires de préfectures ou bien observateurs privés [19]. Venant après un demi-siècle d’expérience collective sporadique et internationale, fort du succès qui avait consisté à construire de toutes pièces un bureau de statistique efficace dans un pays neuf, le royaume de Belgique créé en 1831, et par une combinaison subtile des savoirs et savoir-faire français, allemands et britanniques, Quetelet inventa une formule sociale mixte nouvelle, faite de puissance publique et de bonne volonté savante : le Congrès international de statistique. Celui-ci se réunit de 1853 à 1876 et fut dévolu aux observations terrestres. En parallèle, il fit la promotion d’un congrès des observateurs maritimes, mais avec un moindre succès : il ne s’est réuni qu’une fois en 1853.
« Il se forma à Bruxelles deux institutions semblables, mais qui différaient essentiellement des précédentes par leur forme et par leur objet : c’étaient, en effet, les gouvernements qui, cette fois, désiraient s’entendre entre eux par la voie de leurs délégués spéciaux. L’une traite de la statistique générale des différents pays et des moyens de mettre l’unité entre les documents officiels destinés à l’administration et à la science ; l’autre concerne la marine et l’accord qu’il s’agit d’établir entre les travaux des divers peuples pour arriver à connaître les lois qui règlent les mouvements des mers et de l’atmosphère, la profondeur et la température des eaux, et en général tout ce qui peut intéresser le navigateur [20]. »
12Considérés depuis l’expérience des réunions scientifiques internationales du xxe siècle, les congrès du siècle précédent peuvent donner l’illusion de réunions savantes d’un genre nouveau promis à un beau succès. Mais appréciés avec plus de recul, en ayant à l’esprit une histoire longue des transactions scientifiques internationales depuis le xviie siècle, les congrès internationaux de statistique, les seules réunions des décennies 1850 et 1860 qui se soient tenues régulièrement tous les deux ou trois ans en moyenne, sont tout autre chose. L’impuissance des savants à s’organiser eux-mêmes au-delà des institutions scientifiques locales existantes étant constatée, il s’agissait de créer une formule dite de « congrès général » (1853) dont les participants les plus actifs devaient être mandatés par leurs gouvernements de telle sorte que les recommandations issues des discussions collectives aient quelques chances d’aboutir, même altérées, dans chaque pays. Les statisticiens de bureau répondirent à l’invitation de leur homologue belge et, dès la seconde session, les réunions prirent le titre de « congrès international » : il s’agissait de régler des échanges de biens symboliques particuliers (des nomenclatures, des compilations, des calculs). Des bureaux administratifs dans les États-nations en avaient le quasi-monopole de production, leurs représentants officiels se réunissaient dans des sessions particulières afin d’établir ensemble les résolutions qu’ils rapporteraient à leurs gouvernements respectifs, sûrs de trouver le moteur de leur mise en œuvre dans l’émulation entre les principales puissances européennes d’alors. Les États mandataires y trouvaient leur compte car ils bénéficiaient ainsi du dernier cri en matière de nomenclatures administratives, d’information économique et de méthodes d’enquête. Pour Quetelet, tout cela n’est au fond qu’affaire de bonne organisation internationale du travail scientifique et administratif.
« Depuis le milieu du xviie siècle, la marche des sciences a changé et […] l’homme est parvenu à substituer dans certains cas le travail combiné de plusieurs savants, ou même de plusieurs nations, au travail d’un simple individu, et à obtenir ainsi de grands résultats qui devaient nécessairement lui échapper [21]. »
14Il assigne dès la première séance un objectif commun sur lequel chacun peut s’accorder et se garde bien de préciser qu’il escompte tirer de l’entreprise les chiffres qui lui permettront de mettre en évidence, par le calcul, « l’homme-moyen » qui est la clé de sa physique sociale.
« Chacun de vous sans doute a été frappé du défaut d’unité qu’on rencontre en général dans les documents statistiques des différents pays, et de l’impossibilité où on est, presque à chaque instant, d’établir des comparaisons entre eux […]. On sait, d’une autre part, que le moyen le plus sûr de faire progresser les sciences, c’est d’en perfectionner le langage et d’adopter des notations uniformes qui permettent de résumer plus facilement un grand nombre d’idées, et de rapprocher plus de faits pour en saisir les rapports et les lois. Ces considérations si simples et si élémentaires se sont présentées avec une force nouvelle, lors de la grande exposition de Londres [1851], ce bazar universel où toutes les parties du monde civilisé sont venues étaler les merveilles de leurs arts et de leurs industries. Devant ces trésors réunis, ce n’était pas seulement la confusion des langues qui faisait obstacle à l’échange des idées, c’était surtout l’insuffisance où l’on était de comparer tant de choses et de ramener à une même appréciation les forces et les richesses de tant de nations [22]. »
16De ces conditions très particulières procède une série de traits caractéristiques de la technologie sociale des congrès futurs dont la particularité sera de traiter un domaine circonscrit de savoir. On pourrait parler de congrès internationaux scientifiques, si cette expression n’escamotait pas au passage un des éléments déterminants de la forme congrès : elle traduit à chaque réunion la configuration de la dépendance dans chaque pays entre les savants spécialisés et l’État dont ils sont les agents et souvent même les représentants officiels. Il est donc illusoire de qualifier à partir de sa dénomination tel congrès comme « scientifique » ou non. En effet, si on peut parfois déduire de son titre qu’une réunion internationale n’affiche pas un objectif scientifique, celles qui revendiquent une telle prédilection n’en sont pas moins des opérations en bonne part politiques et administratives. La ligne de partage entre science et politique, dans un congrès international, se définit à chaque inscription d’un nouveau participant et se renégocie dans les actes mêmes des congressistes qui prennent la parole ou la distribuent. Le congrès de statistique a ainsi été l’occasion d’inventer une panoplie de procédures : la commission organisatrice d’abord ad hoc, puis permanente mais assortie de règles de renouvellement ; l’établissement d’instances nationales interlocutrices de l’instance internationale (des sociétés savantes particulières ou des commissions nationales qui prolongent le travail du congrès au niveau local) ; le jeu de toute une hiérarchie de modes de participation dont le rituel mériterait les analyses que les historiens modernistes accordent aux rites royaux ; la publication, la compilation et la conservation des discussions sous la forme de comptes rendus. Ces procédures avaient la propriété de régler de manière ambiguë mais efficace le partage entre science et État. Les statisticiens, eux-mêmes savants bureaucrates si ce n’est bureaucrates savants, en tiraient de quoi mener dans leurs pays leurs travaux administratifs et scientifiques avec plus de facilité. Les États concernés, au-delà des vanités de leurs commis, en tiraient le bénéfice d’un cumul d’expériences utiles à la mise en place de leurs administrations statistiques. Certains d’entre eux, les principales puissances de l’Europe où se tenaient les congrès, en tiraient de plus le bénéfice de la reconnaissance internationale de leur avance en la matière par rapport aux autres parties du monde, logique exacerbée dans le cas des empires coloniaux. Ainsi, l’expérience singulière du congrès de statistique de 1853 à 1876 a fourni le prototype des réunions régulières qui se sont multipliées entre 1865 et 1914 [23].
La multiplication des congrès internationaux (1850-1914)
La multiplication des congrès internationaux (1850-1914)
17Dans l’utopie condorcétienne de 1794, la société idéale du citoyen-savant n’a pas de nation. Un siècle plus tard, les savants voyageurs sillonnent l’Europe en train, d’expositions universelles en congrès internationaux [24]. Ils sont porteurs de passeports nationaux, agissent au nom de leur pays et le plus souvent avec l’accord de leur gouvernement. Au bilan, ils apparaissent comme les agents d’un processus qui met en jeu des logiques locales, nationales et internationales où la forme « congrès international » a la particularité de combiner des investissements complexes placés sur la tête des congressistes, faits d’aides ou de mandats d’États, d’autorité bureaucratique, d’autorité scientifique, voire tout simplement de temps passé par des congressistes qui deviendront en une ou deux sessions des experts en la matière. Cet investissement collectif, de session en session, a pour effet, d’une part, la légitimation d’une spécialité nouvelle dotée des attributs de l’universalité (bénéfice collectif immédiat pour les savants), d’autre part, la constitution d’un corps de savoirs et de savoir-faire spécialisés immédiatement mis en œuvre par les congressistes une fois rentrés au pays ou bien accumulés à l’état de corpus dans les enseignements institutionnalisés à cette époque dans les principaux pays concernés (au bénéfice cette fois des États et au profit particulier des savants qui gagnent ainsi des places). De sorte que la technologie sociale du « congrès international » apparaît finalement comme une machine à convertir des investissements mixtes en un capital symbolique particulier, circonscrit par la dénomination de la nouvelle discipline (dans le cas d’espèce prototypique : « la Statistique »). La discipline ainsi forgée correspond alors à une configuration particulière de la division internationale du travail entre cette science et les administrations nationales. Un congrès international à la fin du xixe siècle opère donc de manière analogue à l’Académie des sciences de Paris à la fin du xviiie siècle [25], mais dans un monde où la légitimité des activités scientifiques ne procède toutefois plus de la protection d’une monarchie particulière, mais de l’existence d’un système d’États-nations.
Petits porteurs et grands capitalistes de la science nouvelle
18À l’occasion de chacune des neuf sessions du Congrès international de statistique, les organisateurs ont procédé à un dénombrement des congressistes [26]. Les catégories qu’ils ont utilisées étaient gouvernées par une contrainte matérielle : d’une session l’autre, les seules traces conservées paraissent bien avoir été les listes et les tableaux récapitulatifs antérieurement publiés : on ne conservait apparemment pas de fichiers. Une seule fois, pour la session de Berlin (1863), on essaya de donner des indications numériques sur la fidélité des congressistes depuis sa création, dix ans plus tôt. Ce fut un travail de bénédictin, les indications des listes antérieures étant très laconiques et le repérage des membres selon leur pays d’origine étant perturbé par les transformations géopolitiques du moment, cela pour un bien maigre résultat. Aussi les congressistes furent-ils systématiquement récapitulés dans un tableau dont l’un des critères était le pays d’origine, et non pas la nationalité, car la mise au point d’une telle catégorie, pour les recensements par exemple, était précisément en discussion pendant les sessions. L’autre critère est la présence ou l’absence au moment de la session, si ce n’est dans les comptes rendus des réunions de Londres et de Florence qui paraissent avoir privilégié les seuls présents. On pouvait en effet s’inscrire sans pour autant se déplacer. Voyager à travers l’Europe n’était pas une mince affaire : l’essentiel n’était pas tant d’y être mais d’en être, et les organisateurs ne tenaient pas rigueur aux absents. Donnés par présence et pays d’origine, les décomptes répétitifs consacrent donc, par le choix de leurs catégories, la logique de légitimation qui vient d’être analysée.
Absentéisme des congressistes inscrits (1853-1876)
Absentéisme des congressistes inscrits (1853-1876)
Répartition des 4470 congressistes inscrits aux 9 sessions (1853-1876)
Répartition des 4470 congressistes inscrits aux 9 sessions (1853-1876)
390 membres inscrits au moins 2 fois parmi les 4470 congressistes (1853-1876)
390 membres inscrits au moins 2 fois parmi les 4470 congressistes (1853-1876)
Ces tableaux sont bien pauvres, mais ils disent tout de même qu’environ 5 000 inscriptions furent enregistrées (pour 4 470 personnes distinctes après dépouillement des listes publiées). On ne peut que s’étonner d’un ordre de grandeur aussi massif, alors que ces réunions internationales ne sont pas prises en considération par les historiens des statistiques des trente dernières années et que très rares furent les statisticiens de l’époque à ne pas s’y inscrire. Il faut casser la classification par pays pour aller plus loin et, par exemple, distinguer les membres selon qu’ils viennent du pays organisateur ou d’un autre (voir graphique 1). Le congrès trouve son régime de croisière dès la troisième session viennoise avec environ 600 inscriptions, la part des membres « nationaux » étant la plus importante (sauf lors de la première session en Belgique). Cela est le résultat d’une stratégie affichée par Quetelet et les organisateurs : chaque session doit servir, dans le pays d’accueil, à informer largement les membres des administrations nationales ou locales, le personnel politique, les experts des compagnies de chemin de fer ou des sociétés d’assurances, les journalistes plus ou moins spécialisés.
Si maintenant on reconstitue, à partir des listes d’inscriptions parues dans les comptes rendus des sessions, les trajectoires des congressistes réguliers pendant un quart de siècle, on aboutit à une tout autre image (voir graphique 2). Au fil des réunions, un ensemble d’une centaine de participants s’est retrouvé de loin en loin. Certains d’entre eux, et en nombre important, faisant figure de piliers de l’institution : une trentaine furent inscrits lors d’au moins cinq sessions, soit pendant plus de dix ans ; une quarantaine pour quatre sessions ; une soixantaine pour trois sessions. Finalement, ce ne sont pas moins de 390 personnes qui furent congressistes au moins deux fois.
20Il ne s’agira pas ici de rendre compte de l’étude en cours de la prosopographie et de la bibliographie de ces centaines de statisticiens, mais de constater que sous l’apparent brassage des nations, dans l’enchantement produit par l’atmosphère des expositions universelles et par la rencontre d’interlocuteurs venus de loin, deux phénomènes massifs se produisirent. Le premier est la formation dans chaque pays organisateur de conditions favorables pour la réception des travaux statistiques : ce sont les centaines de petits porteurs d’une fraction de l’autorité de la science nouvelle. Le second phénomène est la consolidation d’un milieu international de statisticiens, formé de quelques centaines de spécialistes qui peuvent facilement se connaître et savoir ce que chacun fait. Des compagnonnages se sont ainsi forgés, des amitiés aussi, comme le montrent les correspondances entre les plus actifs d’entre eux [27]. Dans chaque pays, ces statisticiens « au fait de la question » entretiennent en outre des relations professionnelles ou personnelles prises dans d’autres enjeux. En Allemagne c’est une lutte sourde entre les chefs des principaux bureaux auxquels la formation progressive de l’Empire impose des confrontations sévères. Et dans cette lutte à la fois locale, impériale et internationale, s’impose Ernst Engel, finalement chef du bureau royal de Berlin, seul présent aux neuf sessions du Congrès, et organisateur de la cinquième d’entre elles à Berlin (1863). Les autres congressistes allemands se répartissent en deux groupes : ceux qui sont inscrits jusqu’à la session de Berlin (disons les statisticiens des pays d’Allemagne) et ceux qui sont inscrits depuis la session de Berlin (les statisticiens de l’Empire allemand) [28]. Dans un pays périphérique comme la Suède, la logique est autre. Une seule personne monopolise presque toutes les relations de sa discipline localement instituée avec le reste du monde : Fredrik Theodor Berg, le chef du bureau de Stockholm. Ce sont cette fois, mais avec des variantes régionales, les grands capitalistes de la Statistique vers 1880.
Les métamorphoses d’un capital spécifique
21Que reste-t-il d’une session du Congrès d’une fois sur l’autre ? Des souvenirs fameux de cérémonies officielles ou de banquets grandioses, des visites d’expositions ; les noms de nouvelles têtes venues de tous ces pays ; la sympathie de quelques confrères connus souvent de plus longue date. Pour récapituler tout cela, on fera bientôt à l’occasion des congrès des photographies de groupe, mais le document en dira peu sur l’intensité de ces moments où les occasionnels se flattent d’en être et les permanents aiment à penser qu’ils tirent les ficelles. Perdurent aussi les livres. Ce sont tout d’abord les comptes rendus : 260 pages en 1853 ; puis environ 600 pages pour chaque session de 1855 à 1860 ; 825 pages en 1863 accompagnées d’un volume récapitulatif de 310 pages ; 660 pages en 1867 avec un bilan rétrospectif de 340 pages ; 1 000 pages en 1869 ; 1 360 pages en 1872 et 280 pages de volume récapitulatif ; enfin 2 760 pages en 1876… sans compter les publications des quatre réunions de la commission permanente entre 1873 et 1878. Tous ces volumes, sauf le quatrième londonien qui est en anglais, sont en français. Parfois, ils connaissent une version presque identique dans la langue du pays organisateur : l’allemand, à Vienne en 1857 et à Berlin en 1863, le russe à Saint-Pétersbourg en 1872. Ce sont encore un nombre considérable de comptes rendus à la manière d’articles écrits par des membres présents lors des sessions. Cette fois la langue utilisée est celle des destinataires dans chaque pays.
22Le congrès lui-même est en outre un grand moment de présentation et de circulation d’ouvrages spécialisés. Comme il faut bien qu’ensuite chacun puisse identifier ce qu’il aura consulté au passage, ou bien ce dont on lui aura parlé, les volumes de comptes rendus procurent plusieurs listes des ouvrages mis sous l’œil des congressistes. Si pour les sessions de Bruxelles (1853), Berlin (1863) et La Haye (1869) ces listes sont homogènes, cela n’est pas le cas pour les autres sessions. Le compte rendu de la session de Florence (1867) est beaucoup plus méticuleux que les autres. Il ne fait pas l’inventaire de ce que chacun a apporté au congrès pour le présenter aux autres participants, mais il donne un index systématique de tous les ouvrages discutés ou évoqués pendant les réunions en Toscane. La dernière session, dont le compte rendu est moins systématique bien qu’il soit de loin le plus volumineux, ne procure apparemment pas de liste générale d’ouvrages [29]. Enfin, la session de Saint-Pétersbourg offre cette particularité que les ouvrages publiés en russe sont indiqués par des titres traduits en français, trait qui n’autorise pas les comparaisons. Le tableau ci-après donne les premiers résultats issus de l’analyse des sept premières listes.
Flux des ouvrages lors des sept premières sessions du congrès international de statistique (1853-1869)
Flux des ouvrages lors des sept premières sessions du congrès international de statistique (1853-1869)
Voici 3 878 titres, rarement répétés [30]. C’est un ordre de grandeur de 3 500 ouvrages distincts. La langue des titres est pour 25 % l’allemand, 20 % le français, 12,5 % l’anglais, 9 % l’italien. Ce sont les principales langues utilisées. Près de 33 % des titres sont dans une autre langue. En une quinzaine d’années, une dizaine d’ouvrages seulement sont parus en plusieurs langues et un seul en latin. En d’autres termes, ces titres sont des productions nationales, même si leur matière et les commentaires de leurs auteurs pendant les sessions disent qu’ils ont souvent été publiés dans le but de mettre en œuvre des dispositions ou des recommandations voulues lors d’une séance antérieure du Congrès. Ainsi, la part du nombre des ouvrages présentés ou discutés parus l’année même du congrès ou depuis la session précédente est de l’ordre de 50 %. Le tableau détaille ces indicateurs pour chaque session, et suggère les mouvements que ces ordres de grandeur récapitulent. Le phénomène le plus massif est la quasi-monopolisation de la production de ces titres par les bureaux officiels de statistique (85 % en moyenne).
23L’un des objets de prédilection en matière d’« organisation de la statistique » pendant les discussions tenues lors des sessions, et dont les principaux protagonistes furent les chefs de bureau piliers des réunions internationales, était précisément la production et la circulation des publications statistiques. À Bruxelles, en 1853, on convient d’encourager d’une manière assez vague la comparabilité des résultats et d’uniformiser les publications ; on recommande aussi d’établir dans chaque pays un responsable qui accumulera les documents des autres pays et qui distribuera ceux parus dans le sien ; il est précisé qu’on entend « voir les principes qui ont déterminé les dernières réformes postales de différents pays [i.e. la correspondance gratuite entre fonctionnaires] introduits dans les relations postales internationales ». À Paris, en 1855, on demande que les calculs faits sans le système métrique soient convertis. À Berlin, en 1863, on précise, au sujet du dépôt des ouvrages statistiques issus des différents pays, qu’on préférera les universités, les académies ou les sociétés savantes (« en conséquence, le Congrès engage les délégués officiels d’employer leurs bons offices pour réaliser ce projet ») et on demande « que les délégués officiels veuillent bien solliciter leurs gouvernements, afin que la franchise de poste soit établie pour un tel échange de travaux officiels de statistique ». À Londres, en 1860, on s’entend sur la nécessité de procurer des tableaux comparables dans le temps et d’un pays à un autre, quitte à recourir à une table de rubriques en français. À Florence, en 1867, on vote pour des publications au format économique à côté des grands volumes in-folio habituels, pour des récapitulatifs du genre des Statistical Abstracts, et pour des répertoires largement diffusés ; on revient aussi sur la question de la franchise postale. À La Haye, en 1869, on veut espérer que les introductions explicatives qui ouvrent les recueils statistiques ne seront pas seulement publiées dans « une langue peu répandue » mais aussi en allemand, en anglais ou en français ; on encourage l’usage du « pour-cent » et du « pour-mille » afin de faciliter la comparaison des indices [31].
24Ainsi les membres les plus actifs des neuf réunions statistiques, pudiquement drapés dans un voile de résolutions votées collectivement, ont-ils pu mobiliser, et de la manière la plus légitime qui fût, les moyens et les énergies des bureaux de statistique qu’ils dirigeaient pour produire un corpus harmonisé d’environ deux mille ouvrages et les accumulèrent-ils dans un réseau de bibliothèques spécialisées par un jeu d’échanges systématiques et d’envois aussi peu coûteux que possible [32].
25Le Congrès a cessé à la fin des années 1870, la dernière session eut lieu à Budapest en 1876 et la dernière réunion de la commission permanente à Paris en 1878. La génération des fondateurs s’était presque éteinte, la guerre franco-prussienne avait ruiné de nombreux enthousiasmes, les réunions et les comptes rendus devenaient monstrueux. Un autre facteur a certainement joué : le capital spécifique de la statistique administrative était formé et ses détenteurs pour ainsi dire établis. Qui donc dans ces conditions pouvait avoir intérêt à prolonger des sessions devenues pénibles ? Mais, au milieu des années 1880, deux réunions internationales anniversaires se sont tenues en Europe, l’une à Londres organisée par la Statistical Society, l’autre à Paris, par la Société de statistique. S’y retrouvent les membres les plus actifs du réseau international formé depuis le Congrès.
Les voies postales de l’autorité statistique
Les voies postales de l’autorité statistique
« Depuis près de dix ans, les statisticiens n’avaient plus l’occasion de se trouver réunis dans une solennité officielle et de continuer d’une manière régulière des rapports personnels qui avaient donné de si heureux résultats dans les congrès internationaux de statistique de 1853 à 1876. […] Au nombre [des fautes du Congrès], nous citerons en premier lieu l’invasion de l’élément profane ou non initié qui avait été bien accueilli dans le début parce qu’il contribuait à répandre l’intérêt pour la statistique, mais qui ne tarda pas à devenir un véritable lest inutile, ayant été attiré par des motifs qui n’avaient rien de commun avec l’idée sérieuse de la statistique scientifique et officielle [33] ».
26L’Institut international de statistique, créé en 1886, naquit de ce double constat. Il ne fut plus question de mobiliser de session en session une vaste audience locale, mais d’établir une société savante internationale formée d’un nombre limité de spécialistes qui se réunissent régulièrement encore aujourd’hui et publient un bulletin dont la fonction est d’actualiser la circulation de l’état de l’art. L’Institut international, dans sa première forme (car il a changé au fil du xxe siècle au gré des transformations des conditions des relations scientifiques internationales) fut la banque du capital particulier constitué au temps du Congrès international et conservé dans les bibliothèques spécialisées.
27La génération active au cours du dernier quart du xixe siècle aura à entretenir le capital ainsi constitué, et ce de deux manières. Il s’agit tout d’abord de mettre sans cesse à jour les répertoires qui facilitent la navigation des spécialistes dans le corpus international qui se renouvelle nécessairement. L’article XIV des statuts de l’Institut international, répété à chaque livraison du bulletin, stipule en effet que cette institution doit établir et diffuser « une bibliographie internationale de statistique donnant le répertoire des publications récentes et le contenu des revues, annuaires et bulletins périodiques de statistique ». Ce sont aussi de vastes entreprises de catalogage des bibliothèques statistiques dans le but explicite de limiter la répétition des compilations fastidieuses nécessaires à la préparation de tableaux déjà publiés [34].
Un cartel scientifique
Un cartel scientifique
28On savait depuis une dizaine d’années que le xixe siècle statistique avait été celui d’une profonde transformation de l’autorité des chiffres dont la manifestation la plus tangible fut comme une avalanche de nombres [36]. On sait apprécier depuis quelques années les jeux complexes entre la formation des administrations locales, les renouvellements de bureaux centraux, la lente formation des États-nations et les discussions internationales, par exemple dans le cas de l’Italie [37]. Mais les recherches historiques dans ce domaine se perdent aujourd’hui dans les sables d’études de cas locales ou bien dans des ambitions comparatives artificielles. Il faut procéder autrement. Ici, il s’agissait d’esquisser une sociologie des transactions locales, intranationales et transnationales qui se sont opérées dans l’institution statistique du xixe siècle à la fois la plus massive et la moins étudiée. Mais qui dit transactions, dit aussi circulation de capitaux. Il faut donc qualifier ce capital très particulier, peu convertible en d’autres formes. Il est porté par une structure d’agents qui s’est consolidée au fil des sessions du Congrès de statistique. Il a été matérialisé sous la forme d’une quantité d’ouvrages qui ont circulé dans toute l’Europe, et qui furent collectionnés, traduits, compilés, recyclés par leurs détenteurs légitimes, les « grands statisticiens » du moment ou leurs dépendants. C’est le capital spécifique qui a assuré pendant près de quarante ans, entre 1875 et 1914, l’autonomie relative de cette discipline à l’égard des autres spécialités scientifiques [38]. On peut ainsi analyser le processus historique de constitution d’une forme d’autorité transnationale et la part d’universalité qu’il porte avec les nomenclatures et les procédés de calculs des statisticiens de la seconde moitié du xixe siècle. Ce schéma dégagé, s’il explique la forme particulière du capital en question, n’est certainement pas propre au cas des statisticiens. On peut constater en effet ailleurs que l’analyse des processus historiques d’universalisation des schémas de pensée conduit à construire des objets sociologiques qui mettent en évidence des transactions opérées par les agents sur plusieurs niveaux d’échelle et la forme particulière que prend la matérialisation de ces transactions [39].
Notes
-
[1]
À l’encontre de cette première forme d’aveuglement, voir le bilan et les propositions avancés par Abram de Swaan, « Pour une sociologie de la société transnationale », Revue de synthèse, 1, janvier-mars 1998, p. 89-111.
-
[2]
Voir Johan Heilbron et Gisèle Sapiro, « La traduction littéraire, un objet sociologique », Actes de la recherche en sciences sociales, 144, septembre 2002, p. 3-6.
-
[3]
Pour la période récente, voir Yves Gingras, « Les formes spécifiques de l’internationalité du champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, 141-142, mars 2002, p. 31-45.
-
[4]
René Taton, « Le rôle et l’importance des correspondances scientifiques aux xviie et xviiie siècles », Revue de synthèse, 81-82, janvier-juin 1976, p. 7-22 ; Catherine Goldstein, Un théorème de Fermat et ses lecteurs, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1995.
-
[5]
Catherine Goldstein, « Le métier des nombres aux xviiie et xixe siècles », in Michel Serres (sous la dir. de), Éléments d’histoire des sciences, Paris, Bordas, 1989, p. 275-295, et « L’expérience des nombres de Bernard Frenicle de Bessy », Revue de synthèse, 2-3-4, avril-décembre 2001, p. 425-454.
-
[6]
Robert K. Merton, Science, Technology and Society in Seventeenth Century England, Bruges, Saint-Catherine Press, 1938 (rééd. New York, Howard Fertig, 1970) ; Daniel Roche, Le Siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris, EHESS, 2 t., 1978.
-
[7]
James E. III McClellan, Science Reorganized. Scientific Societies in the Eighteenth Century, New York, Columbia University Press, 1985 ; André Guillerme (sous la dir. de), De la diffusion des sciences à l’espionnage industriel, xve-xxe siècles, Paris, SFHST, 2001 (vol. 47 des Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences) ; Christiane Demeulenaere-Douyère et Éric Brian (éds), Règlement, Usages et Science dans la France de l’Absolutisme, Paris, Lavoisier, 2002.
-
[8]
Son inventaire est en cours. Voir Cornelia Buschmann, « Preisfragen als Institution der Wissenschaftsgeschichte der Aufklärung », in Detlef Döring et Kurt Nowak (éd.), Gelehrte Gesellschaften im mitteldeutschen Raum (1650-1820). Akademiehistorische Tagung der Sächsischen Akademie der Wissenschaften zu Leipzig, partie III, Stuttgart, 2001 (Abhandlungen der Sächsischen Akademie der Wissenschaften zu Leipzig. Philologisch-historische Klasse). Les travaux et les premiers résultats de cette enquête peuvent être consultés sur le site : http:// www. uni-potsdam. de/ u/ fea/ preisschriften/ projekt2. htm.
-
[9]
Staffan Müller-Wille, Botanik und weltweiter Handel. Zur Begründung eines natürlichen Systems der Pflanzen durch Carl von Linné (1707-1778), Berlin, VWB, 1999.
-
[10]
Pour s’en convaincre, voir Giovanna Grassi et Paolo Maffei, Union Catalogue of Printed Books of 15th, 16th and 17th Centuries in European Astronomical Observatories, Rome, Vecchiarelli, 1989.
-
[11]
E. Brian, La Mesure de l’État. Administrateurs et géomètres au xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 1994, partie 3.
-
[12]
Sur le destin de l’ouvrage, voir Jean-Pierre Schandeler, Les Interprétations de Condorcet. Symboles et concepts (1794-1894), Oxford, Voltaire Foundation, 2000.
-
[13]
Condorcet, manuscrit inédit (1793-1794), « Fragment sur la langue universelle », Bibliothèque de l’Institut, MS885-III, f 774v-775r (la transcription est mienne). La dernière phrase a été publiée par Gilles-Gaston Granger, dans « Langue universelle et formalisation des sciences », Revue d’histoire des sciences, 7, 1954, p. 197-219. Une édition collective critique de l’Esquisse et des manuscrits du Tableau des progrès de l’esprit est en préparation pour l’année 2003 aux éditions de l’INED.
-
[14]
Il faudra attendre la Première Guerre mondiale et la Révolution de 1917 pour que la question de la primauté des conditions politiques à l’égard de l’exercice des activités savantes s’impose à nouveau dans les débats sur la science parmi les politiques et parmi les savants. Il s’agira dès lors de problématisations nouvelles gouvernées par les transformations politiques et les conflits idéologiques du xxe siècle. Elles eurent et ont encore des incidences directes sur les agendas théoriques et empiriques de la philosophie et des sciences sociales des sciences. On ne peut s’extirper de tels pièges réflexifs qu’au moyen d’un dispositif conceptuel fondé sur le contrôle de la réflexivité et sur le concept sociologique d’autonomie relative. Voir E. Brian, « Calepin. Repérage en vue d’une histoire réflexive de l’objectivation », Enquête, Marseille, 2, 1996, p. 193-222 ; P. Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir, 2001 ; et le numéro « Science » des Actes de la recherche en sciences sociales, 141-142, mars 2002.
-
[15]
Union des associations internationales, Les Congrès internationaux de 1681 à 1899, de 1900 à 1919. Liste complète, Bruxelles, 2 vol., 1960. Il s’agit d’une compilation des fichiers manuels entretenus par cette association dévolue à la promotion des réunions internationales. Pour une critique de l’illusion historiographique produite par l’activité même des congrès, voir E. Brian, « Y a-t-il un objet Congrès ? Le cas du Congrès international de statistique (1853-1876) », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 7, 1989 (qui utilise déjà cette source), p. 9-22 ; « Statistique administrative et internationalisme statistique pendant la seconde moitié du xixe siècle », Histoire et mesure, vol. IV, 3-4, 1989, p. 201-224.
-
[16]
A. Quetelet, Sur le Congrès international de statistique tenu à Londres le 16 juillet 1860 et les cinq jours suivants, Bruxelles, Hayez, broch. in-4, 31 p. (citations tirées des p. 1-2), 1860, extrait du Bulletin de la Commission centrale de statistique [de Belgique], t. IX.
-
[17]
Id., Sciences mathématiques et physiques au commencement du xixe siècle, Bruxelles, 1867, p. 22-23.
-
[18]
E. Brian, « L’œil de la science incessamment ouvert. Trois variantes de l’objectivisme statistique », Communications, 54, 1992, p. 89-103.
-
[19]
Marie-Noëlle Bourguet, Déchiffrer la France. La statistique départementale à l’époque napoléonienne, Paris, Éd. des Archives contemporaines, 1989 ; E. Brian, « Le prix Montyon de statistique à l’Académie royale des sciences pendant la Restauration », Revue de synthèse, avril-juin 1991, p. 207-236 ; Valeria Pansini, Une section topographique au travail (1802-1810). Les enquêtes du Dépôt de la Guerre, DEA-EHESS, septembre 1997, et thèse en cours.
-
[20]
A. Quetelet, Sur le Congrès international de statistique tenu à Londres le 16 juillet 1860 et les cinq jours suivants, op. cit., p. 1-2.
-
[21]
Id., Sciences mathématiques et physiques au commencement du xixe siècle, op. cit., p. 23.
-
[22]
Id., discours d’ouverture publié dans le Compte rendu des travaux du Congrès général de statistique réuni à Bruxelles les 19, 20, 21 et 22 septembre 1853, Bruxelles, Hayez, 1853, p. 21-23.
-
[23]
Sur cette explosion et pour une étude de la forme des congrès internationaux qui en résulte, voir la thèse d’Anne Rasmussen, L’Internationale scientifique (1890-1914), EHESS, 2 vol., 1995. De sa compilation de la source belge de 1960 déjà citée, on peut tirer la périodisation que nous utilisons (voir tableau 1).
-
[24]
A. Rasmussen, « Les Congrès internationaux liés aux Expositions universelles de Paris (1867-1900) », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 7, 1989, p. 23-44. Expositions universelles et chemin de fer sont deux conditions déterminantes de l’essor des congrès après 1865. Il n’est pas possible ici d’aborder ces questions. Voir la thèse du même auteur, L’Internationale scientifique…, op. cit.
-
[25]
Dans cette académie, comme probablement dans les autres sociétés savantes sous les différents absolutismes européens à l’époque des Lumières, la relation entre science et politique mettait en jeu des savants qui procuraient aux administrateurs réformateurs des techniques nouvelles, et des administrateurs qui leur donnaient en retour des institutions légitimes pour conduire leurs activités scientifiques. Voir Charles Gillispie, Science and Polity in France at the End of the Old Regime, Princeton, Princeton University Press, 1980.
-
[26]
Les sessions eurent lieu à Bruxelles (1853), Paris (1855), Vienne (1857), Londres (1860), Berlin (1863), Florence (1867), La Haye (1869), Saint-Pétersbourg (1872) et Budapest (1876). Les derniers temps une commission permanente fut créée qui se réunit quatre fois : à Vienne (1873), Stockholm (1874), Budapest (1876) et Paris (1878). Je ne livrerai pas ici les références détaillées des comptes rendus et des listes de présence et d’ouvrages. Voir E. Brian, « Bibliographie des comptes rendus officiels du Congrès international de statistique (1853-1878) », Annales de démographie historique 1990, EHESS, 1991, p. 469-479. Pour la discussion des difficultés que pose le dépouillement et pour de premières conclusions, voir Id., « États des populations et populations d’États : la mondialisation des critères démographiques pendant la seconde moitié du xixe siècle », Régimes démographiques et territoires. Les Frontières en question, Paris, AIDELF-PUF, 2000, p. 9-17.
-
[27]
Voir par exemple Marco Soresina, « La Corrispondenza dei demografi francesi Louis-Adolphe e Jacques Bertillon con Luigi Bodio », Storia in Lombardia, XV, 1, 1996, p. 63-140. Voir aussi le fonds Fredrik Theodor Berg, à la bibliothèque du Bureau central de statistique de Stockholm.
-
[28]
Cette logique de mobilisation nationale de tous les statisticiens du moment, puis de remplacement par une nouvelle génération contrôlée par un membre local, régulier du Congrès, la date pivot étant celle de la réunion dans le pays concerné, peut être observée dans plusieurs pays organisateurs : la Belgique, la Grande-Bretagne, la Prusse (l’Allemagne), les Pays-Bas, mais pas en Autriche, ni en France, ni en Italie. Les cas russes et hongrois sont plus difficiles à apprécier parce que tardifs. Le cas des Français est moins simple, car trois groupes sont en conflit : les gens de la Statistique générale de la France (A. Legoyt principalement), ceux de la Ville de Paris (L.-A. et J. Bertillon) et des professeurs d’économie (M. Block, L. Wolowski et E. Levasseur).
-
[29]
Les quatre volumes de Budapest (1876) sont formés de fascicules paginés séparément. Les divers exemplaires que j’ai pu consulter à Paris, à New York, à La Haye et à Budapest n’étaient pas reliés de la même manière. Il est toutefois paru un catalogue spécial d’une soixantaine de pages qui n’a pas été dépouillé ici. Il s’agit de Mór Déchy, Catalogue des ouvrages graphiques et cartographiques exposés à l’occasion du IXe Congrès international de statistique, Budapest, Athenaeum, 1876. Pour les autres sessions, les paginations de ces listes sont indiquées dans la bibliographie déjà citée et parue dans les Annales de démographie historique 1990.
-
[30]
Si ce n’est dans le cas de la liste établie à Florence pour les raisons déjà indiquées. 15 % des livres en français cités alors avaient déjà été présentés lors d’une session antérieure.
-
[31]
P. de Sémenow, Compte rendu général des travaux du Congrès international de statistique aux sessions de Bruxelles, 1853 ; Paris, 1855 ; Vienne, 1857 ; Londres, 1860 ; Berlin, 1863 ; Florence, 1867 et La Haye, 1869, Saint-Pétersbourg, impr. de l’Acad. imp. des sciences, 1872, p. 7-9. Cet ouvrage est réimprimé et complété pour les deux sessions suivantes dans : Rapport des travaux des réunions plénières du Congrès international de statistique (1853-1876), Madrid, INEE, 1983.
-
[32]
À Paris, il est ainsi quatre bibliothèques où l’on peut retrouver les vestiges de ce trésor fait de volumes austères au papier bien fragile aujourd’hui : le fonds de la Statistique générale de la France, conservé par la bibliothèque de l’INSEE ; le fonds de la Société de statistique de Paris, longtemps visible dans la salle de sciences économiques de la Sorbonne au Panthéon et aujourd’hui déposé pour une grande part à la Maison des sciences économiques (boulevard de l’Hôpital) ; le fonds de statistique de la Ville de Paris dont Louis-Adolphe et Jacques Bertillon ont dirigé le bureau, consultable à la bibliothèque de l’Hôtel de Ville ; enfin divers legs à la bibliothèque de l’Institut de France provenant de membres de l’Académie des sciences morales et politiques qui furent inscrits aux sessions du Congrès. Deux autres bibliothèques européennes sont exceptionnelles au même égard : celle du bureau central de statistique de Stockholm et celle de l’Institut de statistique de Budapest.
-
[33]
François-Xavier von Neumann-Spallart, La Fondation de l’Institut international de statistique, aperçu historique, Rome, Botta, 1886 (extrait du Bulletin de l’Institut international de statistique, vol. I, 1).
-
[34]
Voir V. Stépanov, Principes généraux d’une bibliographie des publications statistiques, Saint-Pétersbourg, Institut international de statistique, 1897. Les principaux catalogues contemporains ou postérieurs au Congrès international sont ceux des bibliothèques de la commission centrale de statistique de Bruxelles (1853-1902), de la Statistical Society de Londres (1859-1908), du bureau royal de statistique de Berlin (1874-1879) ; du bureau municipal de statistique de Dresde (1877-1894) ; du bureau statistique ducal de Gotha (1887), du bureau royal de statistique de Dresde (1890), du bureau de la Ville de Paris (1890), du bureau municipal de Prague (1897), du bureau de la Ville de Berlin (1901) ; de la Société de statistique de Paris (1903-1907), ou encore par exemple la bibliographie de L. Lebon préparée à l’occasion des réunions statistiques internationales tenues à Paris pendant l’été 1878.
-
[35]
La thèse de Sybilla Nikolow, Statistiker und Statistik. Zur Genese der statistischen Disziplin in Deutschland zwischen dem 18. und 20. Jahrhundert, Dresde, 1994, confirme cette périodisation dans laquelle la réforme des universités allemandes tient aussi une grande part.
-
[36]
Le premier constat est dû à Ted Porter, Trust in numbers. The Pursuit of Objectivity in Science and Public Life, Princeton, Princeton University Press, 1996 ; sur le second et ses conséquences épistémologiques, voir Ian Hacking, The Taming of Chance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
-
[37]
Deux ouvrages complémentaires contribuent à ce tableau : Silvana Patriarca, Numbers and Nationhood. Writing Statistics in Nineteenth-Century Italy, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, et Giovanni Favero, Le Misure del Regno. Direzione di statistica e municipi nell’Italia liberale, Padoue, Il Poligrafo, 2001.
-
[38]
À propos de la période postérieure au Congrès, et toujours en Italie, voir Jean-Guy Prévost, « Genèse particulière d’une science des nombres. L’autonomisation de la statistique en Italie entre 1900 et 1914 », Actes de la recherche en sciences sociales, 141-142, mars 2001, p. 98-109.
-
[39]
Voir dans le cas du mouvement féministe au tournant du xixe au xxe siècle, Susan Zimmermann, « Frauenbewegungen, Transfer, und Trans-Nationalität. Feministisches Denken und Streben im globalen und zentralosteuropäischen Kontext des 19. und frühen 20. Jahrhunderts », in Hartmut Kaelble, Martin Kirsch et Alexander Schmidt-Gernig (éd.), Transnationale Öffentlichkeiten und Identitäten im 20. Jahrhundert, Francfort, Campus Verlag, 2002, p. 263-302 ; voir encore à propos du raisonnement géopolitique Walter D. Mignolo, Local History/Global Designs. Coloniality, Subaltern Knowledges and Border Thinking, Princeton, Princeton University Press, 1999. Pour une réflexion sur la construction des objets de sciences sociales à plusieurs niveaux d’échelle, voir le dossier « Objets d’échelles », Revue de synthèse, 1, janvier-mars 2001.