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Article de revue

Fromageot-Laniepce Virginie, Les pratiques de la recherche en archéologie à l’heure du numérique : l’évolution de la recherche d’information et de la publication de 1955 à nos jours (Archeologia e Calcolatori, Supplemento, 12), Sesto Fiorentino, All’Insegna del Giglio, 2019, 1 vol. 17 × 24, 247 p., 80 fig. ds t.

Pages 437 à 440

English version

1 La pratique de la documentation est inhérente à l’archéologie qui s’est attachée très tôt à rendre visible et à préserver les informations de ce qui était détruit par les fouilles. C’est à une partie de cette histoire que Virginie Fromageot-Laniepce (VFL) s’est attachée dans cet ouvrage, issu de sa thèse de doctorat. Ce livre, publié en 2019 comme supplément de la revue Archeologia e calcolatori, éclaire un pan méconnu et peu documenté de l’histoire récente du traitement de l’information en archéologie, de la mécanographie au développement d’internet et du numérique à travers une approche croisant sciences de l’information et de la communication et histoire de l’archéologie. Partant d’études de cas et de corpus sélectionnés, le livre donne à voir l’évolution des questions qui se sont posées, des premières bases de données aux sites web et aux premières revues électroniques, autour de la collecte, l’enregistrement, le partage et la conservation des données archéologiques. Les exemples, tirés pour partie des projets de recherche de l’équipe de la Maison René-Ginouvès à Nanterre, permettent à l’auteure d’éclairer les choix théoriques et matériels dans la construction de nouveaux outils d’analyse et de diffusion des résultats, grâce aux possibilités permises par l’informatique et le numérique dans l’histoire récente de l’édition scientifique en archéologie.

2 Organisé en trois chapitres chronologiques, l’ouvrage aborde tout d’abord « 50 ans d’histoire du traitement de l’informatique en archéologie (1955-2005) » puis « 25 ans de pratiques numériques sur l’internet en archéologie (1990-2015) » et propose enfin une « Analyse des politiques de numérisation et de publication en ligne en archéologie ». Trois axes, présentés dans l’introduction, structurent l’ouvrage et traversent l’ensemble des chapitres (p. 10) : 1. retracer l’histoire de l’application des technologies à la recherche d’information et à la publication archéologique, 2. souligner le rôle joué par l’évolution des technologies, en premier lieu par l’apparition d’internet et 3. étudier la construction de l’édition scientifique en ligne, évaluer les différentes politiques de numérisation et d’accès à l’information et tracer un bilan de connaissances sur l’édition archéologique en ligne. L’introduction permet également à l’auteure de clarifier le corpus, composé d’études de cas et d’exemples parmi un ensemble de sites web consultés. On regrette toutefois l’absence de justifications sur l’ensemble des exemples retenus dans l’ouvrage, notamment ceux du premier chapitre.

3 Le premier chapitre s’attache à retracer le questionnement des pionniers du traitement de l’information archéologique grâce à l’informatique (1955-2005), en exposant différentes technologies qui ont été expérimentées au cours de ces cinquante années par les défricheurs de ces technologies. On retrouve parmi eux la figure de Jean-Claude Gardin, à l’heure de la découverte de la mécanographie, préfigurant la naissance des bases de données documentaires en archéologie : « par banque ou bases de données documentaires, on signifie un système de documentation automatique fondé sur la mise en mémoire des données et sur l’exploitation de celles-ci grâce à un langage documentaire que la machine peut “comprendre” et traiter » (p. 24). Pour ce faire, Gardin a recours à un fichier à cartes perforées permettant l’enregistrement et l’extraction d’informations archéologiques, aboutissant à la publication du premier fichier sur cartes perforées pour le Code pour l’analyse morphologique des armes et des outils en métal, rassemblant 300 fiches d’outils de l’âge du Bronze à travers deux entrées, par type d’objets et par préhension. Le CNRS confia à Gardin la création du Centre d’analyse documentaire pour l’archéologie en 1958, qui fut pris entre l’évolution de la mécanographie et l’émergence de l’informatique (p. 26) et dont l’objectif était de développer du code pour répondre aux problématiques de certains corpus archéologiques.

4 Les années 1960 et 1970 sont évoquées à travers deux exemples : les programmes d’analyse documentaire du laboratoire d’Henri Stern et la réalisation des systèmes descriptifs préparatoires aux bases de données informatisées dans le laboratoire de la Maison René-Ginouvès et aux publications afférentes. Dans les années 1980, arrive la micro-informatique dans les universités et les laboratoires : le contexte technologique a changé. Un logiciel issu de l’École des mines, programmé pour la prospection géologique, arrive dans le laboratoire de Nanterre. Autour d’Anne-Marie Guimier-Sorbets s’organise une réflexion sur l’importance de la constitution des données comme une phase préalable qui doit permettre aux archéologues d’exprimer leurs objectifs avant la construction de bases de données, de manière à mettre en adéquation l’acquisition et la structuration des données (p. 41-42). L’idée sous-jacente est que plus l’enregistrement de l’information est structuré, plus l’information est traitable (p. 43), ce qui n’est pas sans rappeler des débats très récents élargis à l’ensemble des disciplines avec le développement du mouvement de la science ouverte et la structuration des données selon les principes FAIR. Les bases de données ont pu être associées à des images et A.-M. Guimiers-Sorbets conçut le premier vidéodisque pour l’archéologie (p. 43), permettant leur visualisation immédiate. Ces propositions répondaient à un besoin fort de la discipline qui est à l’origine de nombreuses expérimentations depuis l’époque moderne pour relier illustrations et descriptions textuelles. Aux bases de données ont succédé les apports de la bureautique et du multimédia, auxquels s’est ajoutée la numérisation des images.

5 Des années 1970 à 2005, les logiques documentaires à l’œuvre permettent à l’archéologie et à l’histoire de l’art de devenir des terrains d’expérimentation stimulants « pour la conception de solutions multimédias, d’interfaces et de supports de stockage analogiques et numériques qui renouvellent les inventaires, les bases de données comme la diffusion des savoirs » (p. 75).

6 Le deuxième chapitre débute par l’apparition de l’internet en archéologie. Les archéologues ont continué à s’inspirer des techniques d’information issues d’autres disciplines pour élaborer des outils répondant à leurs besoins (p. 79), dont la revue Archeologia e Calcolatori permet de retracer les évolutions. Différentes modalités de communication scientifique sont alors envisagées : la communication auprès de la communauté scientifique (courrier électronique, listes de discussion, sites spécialisés – suivant les trois approches proposées par Daniel Béguin pour les antiquisants), celle auprès d’un public plus vaste, non professionnel mais important pour elle, et celle auprès des futurs professionnels que sont les étudiants.

7 Les années 1990 voient le développement d’archives de pré-publications pour d’autres communautés (comme ArXiv pour les physiciens), mais dont l’extension ne s’étend pas à l’archéologie, pour qui les publications imprimées continuent à faire autorité (p. 83). Les premières revues électroniques sont antérieures au développement du web (première vague après 1978 et une suivante à la fin des années 1980). La mise à disposition d’outils liés au développement du web a transformé la recherche documentaire (p. 87), facilitant une transition avec le monde des documents papier. Le chapitre s’attache ensuite à étudier les réflexions qui ont accompagné les premières publications scientifiques en ligne, avec un focus sur la création d’une revue anglaise entièrement en ligne, Internet Archaeology. Cette partie se termine sur l’exemple de la création d’un corpus en ligne, avec la proposition de Pierre Briant du site Achemenet.com, comportant à la fois des informations, des sources et des publications. Le site s’est progressivement ouvert au grand public grâce au projet de musée achéménide virtuel (p. 109). La deuxième partie du chapitre est consacrée aux changements dans les pratiques numériques de la recherche, où sont évoquées les pratiques numériques sur les réseaux (sociaux et académiques), les listes de diffusion, les outils de gestion bibliographique, facilitant la circulation de l’information (p. 115). S’ajoutent à ces dispositifs, des environnements informationnels hétérogènes distincts des publications scientifiques, les techniques documentaires favorisant l’interopérabilité (Sudoc, Worldcat, Isidore), l’évolution des politiques de numérisation des collections de musées et de gestion de bases de données (p. 119), les portails et agrégateurs de revues (p. 124). Après avoir rappelé les grands principes de l’édition scientifique, le chapitre se termine par une attention à la recomposition de la chaîne de publication imprimée en archéologie, qui répond à une nécessité de l’archéologie « de publier un ensemble textuel et iconographique volumineux [faisant] partie des besoins sans cesse croissants de la discipline » (p. 129) ; les supports imprimés étaient sans cesse confrontés au problème de l’accroissement des inventaires de données à publier, notamment dans les rapports de fouille et les monographies.

8 Le troisième chapitre, dédié à l’analyse des politiques de numérisation et de publication en ligne en archéologie, se fonde sur l’examen d’une sélection de publications en ligne dans la perspective de dresser un « bilan de connaissances sur l’édition archéologique en ligne sur la base d’un corpus de 45 sites web, de 12 pays différents, consultés en 2014 et 2015 » (p. 139). À travers l’analyse des métadonnées en Dublin Core, VFL s’attache à identifier les choix réalisés par les sites retenus, notamment à propos des licences ou du repérage des politiques des éditeurs du point de vue de l’auto-archivage des articles. La deuxième section porte quant à elle sur la mise à disposition des ressources comportant des collections de monographies traditionnelles. VFL aborde ensuite le développement de la numérisation rétrospective et la diffusion en ligne des livres récents, comme le choix fait très tôt par le Center for Hellenic Studies à Harvard (p. 154-155), au début des années 2000. Cette partie est également l’occasion pour l’auteure de présenter l’évolution de l’édition numérique en archéologie, aux modèles économiques variés (p. 160). La troisième section est consacrée à la mise à disposition de revues traditionnelles, aux transformations des revues avec le développement de la mise en ligne et les relais via les portails comme revues.org devenu OpenEdition Journals. Cette partie permet aussi d’aborder la tension entre transposition du modèle papier sur le web ou son évolution, à travers des exemples variés. La diffusion s’organise désormais autour de logiques de libre accès et d’archives ouvertes. L’auteure en conclut « que le modèle actuel de diffusion d’une revue archéologique traditionnelle utilise à la fois les supports papier et en ligne, avec l’application d’une barrière mobile et avec des accès payants ou gratuits, voire mixtes » (p. 184). Enfin, la dernière section est dédiée à l’élaboration de revues nativement numériques, à l’origine d’une nouvelle organisation de la publication archéologique. Des sites diffusent également des rapports de fouilles. Ces nouvelles pratiques « correspondent à une forte attente en archéologie de transmettre plus de données et on constate une variété de choix de supports et des modalités en cours de définition » (p. 191-193). De nouvelles possibilités émergent grâce au web sémantique, aux humanités numériques et aux ouvrages nativement numériques. L’édition en ligne implique de nouvelles étapes qui reconfigurent profondément le collectif associé à ces publications et ouvre de nouvelles possibilités grâce au développement de formats originaux.

9 Ce livre rassemble ainsi une documentation intéressante sur 70 ans permettant de retracer les enjeux de diffusion de l’information dans le champ de l’archéologie au fur et à mesure que les nouvelles technologies permettent le développement de nouveaux modèles, tant économiques, que formels. Ce pan de l’histoire des disciplines est rarement éclairé et apporte des réflexions qui pourraient nourrir les choix du présent, tout en facilitant une documentation de ces archives encore trop souvent méprisées de l’histoire informationnelle moderne des disciplines. Ce livre permet par ailleurs de resituer les problématiques liées à la science ouverte dans un temps long ; il souligne une thématique sous-jacente et pourtant essentielle, à savoir la fragilité des infrastructures de l’informatique et du numérique, qui conditionne de nombreux choix scientifiques et techniques contemporains.


Date de mise en ligne : 06/12/2022

https://doi.org/10.3917/arch.222.0437

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