Notes
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[1]
Elles sont prévues par l’article 22 de la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques 2014-2019.
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[2]
Ce qui oriente systématiquement la revue de dépenses vers la recherche d’économies alors qu’un examen des politiques publiques concluant à l’augmentation de certains budgets n’est pas à exclure a priori.
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[3]
C’est indirectement le point de vue de l’école du Public choice de James M. Buchanan dans les années 1960, et d’économistes néo-libéraux qui estiment que les hommes politiques ont une tendance naturelle à accroître les dépenses publiques pour satisfaire les électeurs.
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[4]
Voir, par exemple, les résultats du baromètre de la confiance politique du Cevipof, vague 14, février 2023 : 26 % des sondés font confiance au gouvernement ; 64 % pensent que la démocratie fonctionne mal ; 69 % pensent que les élus et les dirigeants politiques sont corrompus ; 82 % estiment que les responsables politiques ne pensent pas comme les autres gens.
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[5]
Loi n° 2021-1577 du 6 décembre 2021 relative à a modernisation de la gestion des finances publiques.
-
[6]
V. Andrieu et Baldacchino (2023), qui invitent à poursuivre dans cette direction pour faire de la Cour des comptes la « maison des citoyens ».
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[7]
Par contraste, on rappelle que, jusqu’en 1993, le Commissariat général au Plan publiait régulièrement les rapports de ses commissions qui analysaient toutes les grandes politiques publiques, contradictoirement et avec le concours des meilleurs experts.
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[8]
Rapport d’orientation budgétaire (art. L.2312-1 du CGCT), principales données du budget primitif et du compte administratif (art. L.2313-1 et s. du CGCT).
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[9]
Par exemple, les dossiers pédagogiques « Marianne fait ses comptes » et « Si le budget m’était compté ».
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[10]
V. sur le site de l’Éducation nationale : https://eduscol.education.fr/180/education-economique-budgetaire-et-financiere-educfi ou sur le site de la Banque de France https://www.mesquestionsdargent.fr/educfi
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[11]
Sur la plateforme www.budget.fr
- [12]
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[13]
Événement au cours duquel des développeurs sont invités à imaginer de nouvelles applications numériques sur un thème donné. Un hackathon sur l’information budgétaire a été organisé par le ministère des Finances en 2019.
- [14]
-
[15]
Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2023, p. 157, elle écrit : « Actuellement, le volet performance du budget de l’État procède d’une vision datée en vertu de laquelle l’administration produit, sélectionne, commente et communique elle-même des données parcellaires à l’usage des parlementaires et des corps de contrôle, sans suffisamment chercher à associer les citoyens à cet exercice ».
- [16]
- [17]
- [18]
- [19]
-
[20]
Sociologie fiscale et financière illustrée, par exemple, par les travaux de Marc Leroy et ceux d’Alexis Spire après ceux de Jean Dubergé.
-
[21]
Sur les différentes figures de l’usager et du citoyen, v. Warin (1997), Jeannot (1998), Bartoli et Hermel (2006), Weller (2018) et Le Clainche (2023, p. 68-75).
-
[22]
V. notamment « Droit des usagers et coproduction des services publics » in À quoi servent les usagers ? Actes du colloque tome 5, Plan Urbain, RATP, DRI, Ministère de l’Équipement, 1991.
-
[23]
Une typologie différente, mais proche est donnée par le Conseil d’État : information, demande d’avis, concertation, négociation (Conseil d’État, 2011).
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[24]
Données actualisées sur le site http://lesbudgetsparticipatifs.fr
-
[25]
http://participationcitoyenne.ccomptes.fr Les premiers rapports d’initiative citoyenne portent sur le recours aux cabinets de conseil, les fédérations de chasseurs, les politiques d’égalité entre les femmes et les hommes, la détection de la fraude fiscale des particuliers.
-
[26]
V. Communiqué du Conseil des ministres du 1er mars 2023.
- [27]
-
[28]
Intervention au colloque « Lois de finances et contrôle de constitutionnalité » organisé par la Société française de finances publiques à Montpellier, le 28 avril 2023.
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[29]
Loi organique n° 2021-27 du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et environnemental.
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[30]
Compte-rendu de la « réunion de Saint-Denis » du 7 septembre 2023 entre le Président de la République et les représentants des partis politiques et discours du Président de la République devant le Conseil constitutionnel le 4 octobre 2023.
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[31]
Marie-Anne Cohendet : « Il est même envisageable de rendre le référendum possible dans tous les domaines hormis quelques-uns comme la loi budgétaire. » (Le Monde du 11 octobre 2023)
-
[32]
Quelques exemples de votations d’initiatives populaires dans le domaine des finances publiques : en 2018, non à la suppression de la redevance radio et télévision (71,6 %) ; en 2016, non à un revenu de base inconditionnel (76,9 %) ; en 2015, non à l’imposition des successions de plusieurs millions pour financer notre AVS (Assurance vieillesse et survivants) (71 %) ; en 2015, non au remplacement de la taxe sur la valeur ajoutée par une taxe sur l’énergie (92 %) ; en 2014, non à l’abolition des privilèges fiscaux des millionnaires (59,2 %).
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[33]
La décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022 est motivée par le fait que la proposition de loi référendaire « se borne à augmenter l’imposition existante de certaines sociétés ».
-
[34]
Révision constitutionnelle du 28 mars 2003, loi organique du 1er août 2003, loi du 13 août 2004, codifiées à l’art. LO 1112-1 et s. du Code général des collectivités territoriales.
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[35]
V. notamment les travaux d’A. Bézard, L. Blondiaux, A. Mazeaud, Y. Sintomer.
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[36]
La redevabilité, Revue française d’administration publique, n° 160 (2016).
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[37]
V. notamment les travaux de X. Cabannes.
Les tentatives de maîtrise des dépenses publiques, dont les revues de dépenses sont un instrument, relèvent actuellement d’un processus essentiellement technocratique. Pourtant, pour renforcer la légitimité de l’action publique et l’efficacité des politiques budgétaires, une participation des citoyens est souhaitable et possible. De nombreuses initiatives et des exemples étrangers incitent à innover à deux niveaux : renforcer l’information des citoyens par une véritable communication préparatoire aux débats et associer les citoyens aux décisions sous diverses formes pouvant aller jusqu’au partage du pouvoir de décision.
1 La maîtrise des dépenses publiques est le Graal des politiques budgétaires depuis plus de 40 ans. Elle a fait l’objet de programmes d’appellations diverses : retour à l’équilibre des finances publiques, assainissement budgétaire, désendettement, respect des critères maastrichtiens… Chaque année, l’un des objectifs principaux de la procédure traditionnelle de négociations budgétaires préparatoires au projet de loi de finances est de contenir la croissance des dépenses publiques alimentées par les appétits des ministères dépensiers. Il a fallu aussi mettre en œuvre des techniques particulières, plus ou moins sophistiquées, pour renforcer les efforts des gardiens de l’orthodoxie budgétaire qui siègent à la direction du Budget. On a ainsi vu apparaître le rabot, les réserves de précaution, les régulations en cours d’exercice, l’auto-assurance en cas de dépassement des prévisions, la justification au premier euro, les gels et surgels de crédits, les audits de modernisation, le budget triennal, la programmation à moyen terme des finances publiques, la révision générale des politiques publiques, les normes de dépenses, les contrats d’objectifs pluriannuels, les évaluations de politiques publiques à des fins d’économies, les revues de dépenses [1], et enfin, dans le projet de loi de finances pour 2024, l’évaluation de la qualité de la dépense publique (Direction du Budget, 2023).
2 La trajectoire suivie depuis 40 ans, caractérisée par la permanence des déficits publics et la croissance des dépenses publiques, relativise la portée effective de cet arsenal qui est peu médiatisé et ne fait guère l’objet d’un débat public. L’une des raisons de l’écho relativement modeste rencontré par ces démarches est qu’elles revêtent un caractère essentiellement technocratique ou politique [2]. Les calculs et les négociations se déroulent dans les couloirs du ministère des Finances. Le Parlement n’en est pas toujours informé, sinon par quelques renseignements fournis a posteriori dans le rapport économique et financier présentant le projet de loi de finances et dans ses documents annexes. Les ministres chargés des Finances et du Budget y font allusion dans leur discours de présentation des lois de finances et ne manquent pas de souligner l’effort « sans précédent » de maîtrise des dépenses publiques que prévoit le projet qu’ils présentent. En voici un exemple entre cent : en 2010, le ministre du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, François Baroin, annonce avec humour : « Nous entreprenons donc une réduction historique du déficit de l’État… Une telle réduction ne s’est jamais vue dans les cinquante dernières années – un tel déficit non plus, certes » (Le Clainche, 2022). En 2023, le dossier de presse du projet de loi de finances est intitulé « Maîtriser la dépense publique pour investir dans l’avenir ».
3 Les citoyens sont exclus de l’exercice, sinon par le biais de l’information générale sur le budget. La tradition républicaine justifie fortement cette situation : le consentement à l’impôt par le Parlement est l’alpha et l’oméga de la démocratie budgétaire avec un moindre intérêt pour le contrôle des dépenses ; la préparation du budget est une prérogative de l’exécutif. Des justifications pragmatiques renforcent cette exclusivité de la démocratie représentative en matière de budget : la technicité de la matière justifierait qu’on n’associe pas des citoyens peu avertis et pas formés ; la prétendue tendance naturelle à la dépense de citoyens peu responsables et incapables de dépasser leur intérêt personnel interdit qu’on puisse les associer utilement à la recherche d’économies [3]. Les Assises des finances publiques du 19 juin 2023, qui ont annoncé les nouvelles revues de dépenses, n’ont d’ailleurs pas associé la société civile au-delà de quelques éminents experts.
4 Pourtant, la politique budgétaire concerne directement chaque citoyen, chaque entreprise, chaque collectivité. La crise de confiance entre les institutions et les citoyens, mesurée par le taux d’abstention aux élections ou par les sondages [4], justifie que de nouvelles occasions de légitimer l’action des pouvoirs publics soient recherchées. Les dépenses publiques et leur contrôle peuvent donc redevenir un enjeu politique majeur (Andrieu, Baldacchino, 2023). Ainsi, le professeur Michel Bouvier, dans un éditorial de février 2023, démontrait la nécessité de « replacer le citoyen au centre du processus de décision des systèmes financiers publics » (Bouvier, 2023). Par ailleurs, l’impossibilité de parvenir à l’assainissement budgétaire par des procédures technocratiques donne à penser qu’une autre démarche, plus démocratique, est envisageable. Les enjeux individuels et collectifs de la maîtrise des dépenses publiques justifient donc la recherche d’une plus grande démocratisation des procédures budgétaires. Parmi celles-ci, les revues de dépenses, en organisant un examen approfondi et objectif de la qualité de la dépense publique, se prêteraient particulièrement à cet exercice.
5 Tout n’est pas à réinventer. Les procédures actuelles pourraient être revivifiées à deux niveaux : l’information des citoyens sur les dépenses publiques pourrait être renforcée et orientée vers une préparation aux débats ; l’association des citoyens à la maîtrise des dépenses publiques peut être expérimentée sous la forme de l’octroi d’un pouvoir de décision limité et encadré.
Comment mieux informer les citoyens sur les dépenses publiques ?
6 L’information est le premier niveau et la base indispensable pour impliquer les citoyens dans l’exercice du pouvoir. Elle est déjà largement organisée, mais davantage pour accompagner l’action des pouvoirs publics que pour associer véritablement les citoyens. Elle peut cependant être mise au service d’un dialogue constructif entre les décideurs et les citoyens.
Les conditions d’une bonne information des citoyens
7 L’information donnée par les gouvernants doit être pertinente, objective, complète et intelligible. Telle est la base de toute association du public.
8 Sur le fondement de ces critères élémentaires, l’information actuelle des citoyens sur les dépenses publiques paraît qualitativement très insuffisante. L’information budgétaire est abondante, notamment lors de la discussion parlementaire durant le dernier trimestre de l’année. On estime les documents budgétaires à l’équivalent de 14 000 pages de papier imprimé. La loi du 6 décembre 2021 [5] en a encore augmenté le nombre et le volume. Il reste cependant des documents à caractère financier qui pourraient intéresser le public et qui ne sont pas publiés. Ainsi les études de revues de dépenses n’ont pas toutes été publiées par le passé et, cette fois, elles le sont sous la forme d’un document très synthétique annexé au projet de loi de finances (Direction du Budget, 2023). Autre exemple : ce n’est que très récemment que la Cour des comptes a décidé de publier l’intégralité de ses rapports ; elle essaie de les rédiger dans un style et un format relativement accessibles et accompagne leur publication d’actions de communication en direction du public [6]. Cet effort reste exceptionnel parmi les institutions publiques [7]. De leur côté, les collectivités territoriales doivent publier leurs principales données budgétaires [8]. La plupart d’entre elles en tirent des documents d’informations sélectionnées, expliquées et publiées dans les journaux qu’elles diffusent.
9 L’information budgétaire est en effet très technique, trop souvent présentée sous forme de tableaux de chiffres et de commentaires de ces mêmes tableaux, sans que les conventions comptables soient explicitées. Des documents de synthèse facilitent la compréhension de ces données, mais leur interprétation est toujours difficile. En outre, ils donnent bien évidemment le point de vue du Gouvernement (ou de l’exécutif local). Une analyse précise des rapports économiques et financiers annexés au projet de loi de finances et des discours des ministres au Parlement fait apparaître un certain nombre de choix dans les chiffres et dans les données qui ont pour but d’orienter l’opinion du lecteur en faveur de la politique budgétaire gouvernementale. Celle-ci est souvent présentée comme la seule possible et celle qui offre les meilleurs compromis entre de multiples contraintes. En outre, des astuces de présentation sont utilisées par tous les gouvernements : évolutions à partir de références judicieusement choisies, pourcentages favorables portant sur des valeurs peu importantes, gros chiffres en valeur absolue représentant des pourcentages faibles, calcul des économies à partir des évolutions tendancielles, annonce de baisse des impôts malgré une hausse des prélèvements obligatoires… (Le Clainche, 2021). Pour des raisons d’urgence et de commodité, les données initiales du Gouvernement sont assez peu contestées et sont reprises intégralement par la presse et par les parlementaires. La légitimité de cette approche, qui reste en général dans des limites raisonnables, n’est pas contestable ; on ne peut reprocher à l’exécutif de donner une présentation avantageuse de sa politique. Mais des analyses plus objectives et contradictoires pourraient les compléter.
10 Même si la Cour des comptes et le Haut conseil des finances publiques fournissent des commentaires indépendants et pertinents, la France manque d’instances pluralistes de construction de données, de commentaires et de débats contradictoires. L’expertise indépendante a du mal à se structurer et à se faire entendre. Les syndicats de Bercy ont longtemps été considérés par la presse comme les seuls commentateurs critiques des décisions budgétaires et fiscales gouvernementales. Le site FIPECO animé par François Ecalle commence à devenir une référence utilisée par la presse. En revanche, la Société française de finances publiques, honorable et dynamique société savante, est peu sollicitée. L’exercice est difficile puisqu’il faut être précis tout en restant simple et accessible.
Des initiatives pour une meilleure information
11 Puisque le citoyen éprouve des difficultés à comprendre l’information budgétaire, l’une des voies d’amélioration est de mieux le former. Ce thème a fait l’objet de rapports successifs (Lenoir, Prot, 1979) et, dans les années 1980-1990, d’actions de la direction générale des relations avec le public du ministère des Finances (Hérubel, 1996) [9]. En 2016 a été initiée, sur la base des principes de l’OCDE, la stratégie nationale pour l’éducation économique, budgétaire et financière des publics « Educfi », pilotée par la Banque de France en partenariat avec l’Éducation nationale et d’autres institutions [10]. Elle comprend de nombreux volets destinés aux jeunes, aux personnes en difficultés, aux entrepreneurs avec des réalisations telles qu’un site internet, un concours lycéen, la semaine de l’éducation financière, le passeport Educfi pour les collégiens, le musée Citeco à Paris… En octobre 2019, la direction du Budget a mis en ligne [11] deux documents pédagogiques : un livret de jeux et « La fabrique du budget » qui complètent les documents d’information destinés au grand public : mémento des finances publiques, guide de la LOLF, chiffres-clés du budget…
12 L’information directe du citoyen sur le budget de l’État a souvent été liée opportunément à la déclaration annuelle des revenus. En même temps que son formulaire de déclaration, le contribuable recevait depuis 1983 un document de quelques pages intitulé « À quoi servent nos impôts ? » et exposant les principales données budgétaires et quelques exemples de dépenses publiques illustrées (le coût d’un élève, d’un kilomètre de routes…). Après une tentative de modernisation en 1999, ce document a disparu avec la dématérialisation de la déclaration. Un dispositif moins coûteux et plus perfectionné vient de voir le jour : le site « En avoir pour mes impôts » lancé le 25 avril 2023 au moment de l’envoi des avis d’imposition [12]. Ce site fournit des informations très pédagogiques sur les grandes données économiques et financières et sur les dépenses de l’État exprimées en volume global et en coûts unitaires. On ne peut que souhaiter que cette entreprise soit poursuivie et enrichie tout en restant à la portée du citoyen « lambda ». Dans le même style, la fiche établie en 2019 par le ministère de l’Action et des Comptes publics à l’ouverture du grand débat national fournissait aussi d’intéressantes informations synthétiques (Grand débat national, 2019).
13 Une information plus complète et plus sophistiquée nécessite toute une politique d’accompagnement, notamment en matière d’éducation et d’interprétation. Dans leurs lignes directrices sur les revues de dépenses, la Commission européenne (Bova, 2020) et l’OCDE (2021) recommandent une « communication continue avec le public ». Un récent rapport sur un sujet voisin, la culture statistique des Français (ministère de la Culture, 2023), comprend de très nombreuses recommandations très pertinentes, notamment au niveau des actions à conduire en direction des élèves, des enseignants et des médias audiovisuels et numériques.
Perspectives : de l’information à la communication
14 La piste d’une meilleure formation des médiateurs aux questions économiques et financières doit être poursuivie en direction des enseignants, des journalistes, des travailleurs sociaux. Bien entendu, elle ne peut se développer que sur la base du volontariat. Les contenus doivent être construits avec les intéressés à partir des préoccupations concrètes des publics visés. Un système simple de démultiplication peut être organisé tout en assurant la constitution et l’animation d’un réseau.
15 Les technologies de l’information peuvent être mobilisées. En 2018, un groupe de travail de l’Assemblée nationale avait produit un rapport présenté par Mme Paula Forteza pour « intégrer le citoyen à la procédure budgétaire » présentant des propositions originales dans la perspective de l’ouverture des données et de l’État-plateforme. La rapporteure suggérait ainsi la création de plateformes régionales permettant une participation active des citoyens dans la répartition des crédits de l’État mis à disposition des préfectures de département et de région. Une autre proposition visait à encourager l’expérimentation et la réutilisation de données budgétaires pour le développement d’outils d’analyse et de contrôle (Forteza, 2018). Dans un rapport récent, la Cour des comptes recommande « d’organiser la publication en masse des données relatives au fonctionnement et aux résultats de l’administration, y compris des données budgétaires, permettant aux acteurs de la société civile de s’en saisir et d’étayer leurs propres analyses des effets de la dépense publique » (Cour des comptes, 2023). Les jeux de données budgétaires pourraient être publiés en accès libre. Des développeurs, start-ups ou équipes intégrées au service public, pourraient être incités, à l’occasion de hackathons [13], à proposer des applications d’information du grand public ou de simulations budgétaires sous forme de serious games : on peut imaginer des données géolocalisées sur la dépense publique, la construction d’un budget individuel de ressources publiques, des simulations d’affectation de recettes ou de l’incidence du développement d’un service public…
16 Le Global initiative for fiscal transparency (GIFT), qui regroupe des organisations internationales, des agences gouvernementales et des institutions spécialisées dans la transparence budgétaire, a défini des principes pour la transparence budgétaire qui le conduisent à mettre en évidence les réalisations de pays aussi divers que le Canada ou la Géorgie en matière d’accès des citoyens à l’information budgétaire et de capacité d’interpellation des autorités au moyen de plateformes numériques [14].
17 Peut-être serait-il temps d’aller plus loin et de passer de l’information descendante à la communication ? Il n’existe en effet que peu de dispositifs d’écoute des citoyens en matière budgétaire et de dépenses publiques. Un exemple très significatif est celui des indicateurs de la Lolf censés mesurer l’impact des politiques publiques. Les indicateurs d’« efficacité socio-économique » sont définis comme « ceux qui énoncent le bénéfice attendu de l’action de l’État pour le citoyen et la collectivité en termes de modification de la réalité économique, sociale, environnementale, culturelle, sanitaire… » Bien entendu, les citoyens n’interviennent pas dans la construction de ces indicateurs et ceux-ci sont parfois bien éloignés de la vie quotidienne. La Cour des comptes l’a souligné récemment (Cour des comptes, 2023). [15]
18 Pour mieux connaître l’opinion des Français, des sondages sont très largement utilisés dans la construction des politiques publiques. Même s’ils ne sont que des substituts contestables à la parole des vrais citoyens, ils peuvent donner des indications précieuses. Dans le domaine des finances publiques, diverses initiatives méritent d’être poursuivies et capitalisées. Ainsi, l’Association pour la fondation internationale des finances publiques a publié des enquêtes sur la citoyenneté fiscale en 2013, 2018 et 2023 (Fondafip) ; le sondage annuel de l’Institut Paul Delouvrier donne depuis 2005 des informations sur l’opinion des Français à l’égard des services publics et, en particulier, sur la préférence pour « plus de service public (avec plus de prélèvements obligatoires) ou moins d’impôt (avec moins de services et de prestations) » [16]. Le baromètre mis au point en 2021 par le Conseil des prélèvements obligatoires comporte de nombreuses questions sur la connaissance du système fiscal, la perception de son équité, l’acceptation des prélèvements obligatoires, les opinions sur l’utilisation de l’argent public (Conseil des prélèvements obligatoires, 2021). Le site « En avoir pour ses impôts » propose également un questionnaire très intéressant sur les rapports des citoyens à l’impôt, leur sentiment sur la pression fiscale, leur opinion sur la fraude, la qualification du paiement de l’impôt comme un acte citoyen ; même si les résultats ne sont, pour l’instant, pas représentatifs au sens strict, cette interrogation manifeste une préoccupation intéressante.
19 Toutes ces réflexions et données ne devraient pas avoir seulement pour but d’informer un citoyen qu’on voudrait responsable, réaliste et soucieux de l’intérêt général, mais aussi de susciter des débats contradictoires qui seraient susceptibles d’améliorer la qualité et l’appropriation des choix budgétaires.
20 Les réservoirs d’idées ont ainsi un rôle important à jouer dans le commentaire des données budgétaires et dans l’éducation économique et financière. Quelques associations se sont spécialisées dans la dénonciation des dépenses publiques excessives, notamment la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP) fondée en 1985 [17] et Les Contribuables associés fondée en 1990 [18]. Tenant de l’idéologie libérale, ces associations, à mi-chemin entre les réservoirs d’idées et les groupes de pression, ont un discours systématiquement soupçonneux à l’égard de l’État, mais de plus en plus argumenté. Le récent rapport du groupe « Nos services publics », plus proche de la gauche et des fonctionnaires, sur l’état des services publics en France, a ouvert un débat sur la pertinence de certaines dépenses publiques (et de certaines économies) en matière d’éducation et de santé (Nos services publics, 2023) [19]. Plus généralement, la sociologie des citoyens et des contribuables mériterait davantage d’attention [20].
21 Ainsi, les réponses aux sondages, et plus généralement le civisme fiscal, montrent que la question des dépenses publiques peut faire l’objet d’un dialogue entre les décideurs (nationaux et locaux) et les citoyens. Mais en démocratie, le citoyen n’est pas confiné dans un rôle passif – surtout quand la démocratie représentative traverse une crise de confiance. Si l’on veut améliorer la légitimité et l’efficacité des politiques publiques, il est possible, au-delà de l’information et de la communication, d’envisager diverses formes d’association des citoyens aux décisions budgétaires et spécialement à la maîtrise des dépenses publiques.
Comment mieux associer les citoyens à la maîtrise des dépenses publiques ?
22 L’association des citoyens peut revêtir des formes variées. Par rapport à l’information et au dialogue, elles impliquent toutes un rapport différent entre les décideurs et les citoyens. Ceux-ci sont invités à participer effectivement à l’exercice du pouvoir de décision.
Différentes formes d’association
23 On retiendra ici toutes les procédures qui permettent à des citoyens de participer aux décisions financières publiques. Il s’agit bien d’un renversement de la traditionnelle posture hiérarchique selon laquelle les citoyens, dès lors qu’ils participent largement à la désignation des autorités, n’ont ensuite que le devoir de leur obéir sans intervenir sur le contenu des décisions. Toutefois, il y a une multitude de formules qui ménagent des gradations dans l’intervention des usagers ou des citoyens. La formulation du public intéressé n’est d’ailleurs pas neutre. Les usagers sont une catégorie assez bien délimitée d’utilisateurs ou de destinataires des services publics. Ils ont un intérêt naturel, une légitimité certaine et une compétence présumée pour donner leur opinion sur la qualité du service rendu. Quant au terme de « citoyen », il implique une meilleure prise en compte de l’intérêt général et un mode de recrutement plus représentatif de la population dans son ensemble (élections, personnalités qualifiées, quotas, tirage au sort…) dont les intérêts peuvent être distincts de ceux des usagers (par exemple, réduire les dépenses publiques, favoriser les économies d’énergie, proposer des politiques alternatives). La Cour des comptes, dans son rapport sur les revues de dépenses (Cour des comptes, 2023), évoque la notion intermédiaire et floue de « parties prenantes ») [21].
24 Traditionnellement, on distingue plusieurs degrés dans l’association des citoyens : la consultation, qui permet à des représentants des citoyens d’émettre de simples avis ; la concertation, qui suppose une procédure plus formalisée et qui a l’ambition de rechercher des convergences ; et, au-delà, la co-décision ou co-production [22] qui implique un partage du pouvoir plus ou moins large [23].
25 L’administration consultative est assez développée, mais pas spécifiquement dans le cadre des procédures budgétaires (Le Clainche, 2011). En outre, elle ne crée pas une véritable association et vise rarement la maîtrise des dépenses. En effet, les avis des comités d’usagers, les contacts avec les groupes professionnels, les nombreuses commissions nationales ou départementales regroupant des usagers, des consommateurs, des « intéressés » ou des « parties prenantes », ont structurellement un rôle de veille sur le maintien ou l’extension des dispositifs publics qui leur sont favorables (cf. les débats autour des niches fiscales à l’intérieur desquelles on dit qu’il y a toujours « un chien qui mord » [Camby, 2023]), les négociations avec les professionnels de santé ou les débats sur la politique du logement dans lesquels on entend surtout les porte-parole des agences immobilières et des entreprises du BTP.
26 Ces exemples montrent que l’association des citoyens ne va pas de soi, mais soulève au contraire de redoutables problèmes de légitimité et d’efficacité : légitimité des représentants des citoyens par rapport à la collectivité, ce qui pose la question du mode de désignation ; légitimité par rapport au statut des décideurs élus ou placés sous l’autorité d’instances élues ; efficacité qui suppose que l’information et l’expertise soient partagées et que les débats visent à construire des solutions d’intérêt général. Ces obstacles ne sont pas insurmontables. Des formules concrètes peuvent être trouvées si, au lieu de rechercher la perfection, on adopte des dispositifs souples, adaptables et encadrés.
27 À cet égard, la demande de concertation est rarement spontanée, surtout dans un domaine spécialisé tel que celui des finances publiques. C’est l’offre de concertation de la part des pouvoirs publics qui aidera à l’émergence d’une capacité structurée de représentation, d’expertise et de concertation comme le montre l’augmentation, lente mais régulière, de la mobilisation à propos des budgets participatifs.
Des exemples de participation aux décisions
28 Le budget participatif local est l’exemple emblématique de la démocratie participative en matière de finances publiques. Il s’agit de conférer aux citoyens un pouvoir de décision sur une partie du budget d’investissement de la collectivité. La procédure type consiste à soumettre à l’examen des citoyens inscrits sur les listes électorales des projets d’équipement ou d’aménagement présentés par l’exécutif local. Les citoyens sont invités à donner leur avis sur les projets. Même si, parfois, ces consultations servent à confirmer les projets préparés par les dirigeants, des procédures de plus en plus rigoureuses et une mobilisation de plus en plus forte garantissent la qualité de la participation. Différentes variantes se rencontrent, notamment quant à la possibilité d’ajouter des projets non prévus dans la liste initiale, quant à la préparation de la consultation qui peut donner lieu à des concertations préalables plus ou moins approfondies, quant à la proportion du budget soumis au vote et quant à la rigueur des procédures de suivi. On compte désormais en France 400 collectivités qui proposent un budget participatif (Paris, Lyon, Rennes, Grenoble, Millau, Loon-Plage, Grigny, le département de Loire-Atlantique, la région Poitou-Charentes…). La plupart sont des communes ; elles regroupent 12 millions d’habitants (Bézard, 2022) [24]. La consultation porte en général sur des fractions limitées du budget (de 8 à 15 %, représentant en moyenne 6,50 € par habitant), mais présente parfois quelques originalités. Ainsi, la commune de Loon-Plage a consulté ses habitants sur les économies à réaliser ; Millau, en difficultés financières, a organisé une consultation sur la priorisation de ses investissements ; la ville de Lyon réserve la moitié de l’enveloppe à des projets entièrement suggérés par les citoyens ; Paris a testé en 2021 la réduction du nombre de projets et le jugement majoritaire plus nuancé que le vote préférentiel.
29 Plus modestement, la Cour des comptes, à la suite de son projet « JF 2025 », a commencé à renforcer l’association des citoyens à ses travaux, notamment par la création d’une plateforme citoyenne qui permet, d’une part, de faire remonter des sujets de contrôle à la Cour (333 propositions reçues pendant la première campagne ; six propositions retenues ; quatre rapports d’initiative citoyenne ont été publiés) et, d’autre part, de recevoir les alertes du public sur des cas de mauvaise gestion des deniers publics. Ces initiatives sont significatives d’une volonté d’ouverture qui pourrait être imitée par d’autres institutions [25].
30 De nouvelles formes de démocratie participative sont en train d’éclore. Il est clair qu’elles n’ont pas encore trouvé leur équilibre et leur place par rapport aux instances de la démocratie représentative. Celle-ci est forte d’une solide tradition de quasi-monopole de l’expression du peuple, renforcée par une tendance naturelle des institutions établies à protéger leur pouvoir. En France, plusieurs expériences ont été tentées telles que le Grenelle de l’environnement en 2007. Dans la période récente, le grand débat national lancé en 2019 pour mettre un terme au mouvement des gilets jaunes n’était pas explicitement décisionnel, mais devait inspirer l’action des pouvoirs publics dans de multiples domaines. Un des quatre volets du questionnement de départ était justement relatif aux dépenses publiques et aux services publics. Ce sujet a suscité l’intérêt des citoyens puisque ce thème a recueilli 27,4 % des contributions en ligne et suscité de vifs débats lors des journées régionales. Les conclusions de cette très large consultation n’ont malheureusement pas fait l’objet d’une exploitation systématique. La synthèse publiée (Grand débat national, 2019) donnait pourtant des indications intéressantes sur la préférence des participants pour la baisse des dépenses publiques, mais aussi sur le souhait d’une plus grande transparence sur l’utilisation des fonds publics et d’un contrôle plus démocratique, par exemple en créant des instances citoyennes ou en associant les citoyens aux travaux de la Cour des comptes.
31 La convention citoyenne pour le climat de 2019 aurait pu servir de modèle si elle n’avait pas fait l’objet d’un malentendu sur la portée de ses conclusions. Elle a inspiré de nombreuses mesures de lutte contre le changement climatique même si la plupart d’entre elles sont de moindre ampleur que ce qui avait été suggéré. Le Conseil national de la refondation (CNR) lancé en 2022, prolongé par des CNR territoriaux et des CNR thématiques [26], n’a pas de statut bien précis et sert apparemment d’outil de concertation multi-usage.
32 Quelles que soient les limites de ces exercices, l’idée d’associer au processus de décision des panels de citoyens représentatifs, sélectionnés sur la base de quotas et de tirage au sort, de les former au contact d’experts, d’organiser leurs délibérations et de prendre en considération leurs propositions est désormais admise. Les expériences doivent donc se poursuivre. Le domaine crucial des dépenses publiques pourrait devenir un des sujets d’association des citoyens comme le prouvent la bonne tenue du grand débat national et différentes expériences étrangères. Le réseau Global initiative for fiscal transparency recense les pays pratiquant la transparence, la participation et la redevabilité en matière budgétaire conformément aux principes qu’il a définis [27]. Parmi ceux-ci, la République des Philippines a lancé en 2013 le bottom up budgeting qui associe des organisations de la société civile et des gouvernements locaux aux décisions budgétaires ; le ministère des Finances néo-Zélandais a pris en 2018-2019 une série d’engagements pour associer le public à l’élaboration de la politique budgétaire notamment par la consultation des parties prenantes ; en Corée du Sud, des conseils comprenant des experts académiques ou issus de la société civile participent depuis 2006 à toutes les étapes du top-down budgeting system. Les organisations internationales publient d’ailleurs des recueils de bonnes pratiques qui recommandent toutes une transparence et une association des publics dans la démarche des revues de dépenses (Bova, 2020 ; OCDE, 2021 ; FMI, 2022). Dans un entretien publié sur le site d’Acteurs publics le 13 novembre 2023, Elsa Pilichowski, directrice de la gouvernance publique à l’OCDE, préconise des revues de dépenses « inclusives associant les parties prenantes institutionnelles et les citoyens ».
Perspectives : de la concertation à la codécision
33 Le relatif succès des budgets participatifs locaux incite à démultiplier l’expérience. Certains auteurs suggèrent de légiférer sur cette pratique pour donner aux citoyens des garanties de qualité en fixant quelques règles minimales (désignation des participants, institution de garants, procédures, suivi…) et de la rendre obligatoire pour les plus grandes collectivités. Il faudra cependant prendre garde que cette reconnaissance – qui serait aussi un encadrement – ne transforme ce processus innovant en procédures formelles gérées a minima qui n’aboutiraient qu’à légitimer les autorités organisatrices.
34 Un important saut qualitatif serait réalisé si on parvenait à transposer la technique du budget participatif au niveau national. Il ne serait pas impossible de mettre en débat une part de budget d’investissement de l’État, matérialisé par quelques projets ou quelques orientations de politique d’équipement et d’aménagement. Le rapport d’un groupe de travail de l’Assemblée nationale le suggérait en 2018 (Forteza, 2018). Au Portugal en 2017 ont été inaugurés un budget participatif national portant sur 3 millions d’euros d’investissements et un budget participatif spécial pour la jeunesse et l’éducation.
35 Plus généralement, la technique de la consultation citoyenne pourrait être expérimentée dans le domaine budgétaire. Le professeur Dominique Rousseau, théoricien de la « démocratie continue » suggère que les députés organisent dans leur circonscription des sortes de débats d’orientation des finances publiques qui auraient, même avec un succès limité au départ, un effet pédagogique certain [28]. Les revues de dépenses seraient une bonne opportunité pour tester des alternatives de politiques publiques en s’interrogeant sur l’opportunité d’une catégorie de dépenses, sur la priorité de celles-ci, sur leur montant, sur leur conditionnalité, sur l’articulation avec les recettes… C’est une des orientations suggérées par la Cour des comptes dans la partie de son rapport de juin 2023 sur la situation et les perspectives des finances publiques consacrée à « une indispensable revue des dépenses publiques au périmètre large, axée sur la qualité et les résultats » (Cour des comptes, 2023, p. 91 à 172). Elle préconise notamment de « développer des formes de concertation préalable avec les parties prenantes et de consultation directe des citoyens sur les dispositifs de dépense ». En Grande-Bretagne, les citoyens ont ainsi chaque année l’opportunité de formuler des observations et suggestions à l’occasion des revues de dépenses et sont assurés d’obtenir une réponse. Le Conseil économique, social et environnemental, promu par la réforme de 2021 [29] « carrefour des consultations publiques », pourrait en prendre l’initiative. On pourrait aussi étendre par la loi les compétences de la Commission nationale du débat public, institution indépendante qui a capitalisé un savoir-faire dans le domaine des consultations sur les projets d’aménagements ayant une incidence sur l’environnement et qui pourrait transposer son expérience dans le domaine des finances publiques, nationales ou locales.
36 Les débats autour de l’extension du champ des procédures référendaires [30] sont aussi l’occasion de réfléchir à l’application de procédures citoyennes au domaine des dépenses publiques. Il est parfois soutenu que l’extension des procédures référendaires à des sujets de société devrait exclure les sujets budgétaires et fiscaux [31], mais on ne voit guère de justifications à cette exclusion. En Suisse, les votations portent souvent sur des sujets de finances publiques et les résultats ne sont pas spécialement frappés du sceau de la démagogie [32]. Le Conseil constitutionnel semble avoir partagé cette réticence en jugeant qu’un référendum d’initiative partagée portant sur l’institution d’une taxation sur les « superprofits » des entreprises ne relève pas des « réformes relatives à la politique économique… » au sens de l’article 11 de la Constitution [33]. À l’occasion d’une éventuelle extension du champ des référendums, il serait donc prudent de prévoir expressément la possibilité d’utiliser la procédure référendaire d’initiative présidentielle ou d’initiative partagée en matière budgétaire. Le référendum local est prévu par les textes. Il est assez peu utilisé et recueille des taux de participation faibles. Mais, rien n’empêche les collectivités territoriales d’organiser un référendum sur les questions budgétaires puisque celui-ci est possible sur « toute affaire relevant de la compétence de la collectivité ». [34] L’expérience acquise, un peu d’imagination et de volonté politique permettraient donc de tester des expériences d’association des citoyens aux décisions budgétaires et aux revues de dépenses. Naturellement, ces dispositifs devraient être expérimentaux, progressifs et faire l’objet d’évaluation régulière et démocratique.
Conclusion
37 Ces propositions peuvent paraître novatrices, mais de nombreux exemples étrangers montrent leur faisabilité. Sur le plan des idées relatives aux rapports de l’État et des citoyens, elles s’inscrivent pleinement dans différents courants d’études relatives à la démocratie participative [35], à la redevabilité [36] ou aux finances publiques citoyennes [37]. Au plan de la gestion publique, elles s’inscrivent dans le même mouvement que la généralisation de la direction par objectifs et des évaluations de politiques publiques, dans un domaine plus restreint puisque les démarches proposées ici reposent principalement sur des critères financiers, mais en y ajoutant une ambition démocratique, qui fait parfois défaut au management public et qui est bien nécessaire aujourd’hui.
Références
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« Les figures de l’usager dans les réformes de modernisation des services publics », Informations sociales, n° 108, 2018/3.
Date de mise en ligne : 24/01/2024
Notes
-
[1]
Elles sont prévues par l’article 22 de la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques 2014-2019.
-
[2]
Ce qui oriente systématiquement la revue de dépenses vers la recherche d’économies alors qu’un examen des politiques publiques concluant à l’augmentation de certains budgets n’est pas à exclure a priori.
-
[3]
C’est indirectement le point de vue de l’école du Public choice de James M. Buchanan dans les années 1960, et d’économistes néo-libéraux qui estiment que les hommes politiques ont une tendance naturelle à accroître les dépenses publiques pour satisfaire les électeurs.
-
[4]
Voir, par exemple, les résultats du baromètre de la confiance politique du Cevipof, vague 14, février 2023 : 26 % des sondés font confiance au gouvernement ; 64 % pensent que la démocratie fonctionne mal ; 69 % pensent que les élus et les dirigeants politiques sont corrompus ; 82 % estiment que les responsables politiques ne pensent pas comme les autres gens.
-
[5]
Loi n° 2021-1577 du 6 décembre 2021 relative à a modernisation de la gestion des finances publiques.
-
[6]
V. Andrieu et Baldacchino (2023), qui invitent à poursuivre dans cette direction pour faire de la Cour des comptes la « maison des citoyens ».
-
[7]
Par contraste, on rappelle que, jusqu’en 1993, le Commissariat général au Plan publiait régulièrement les rapports de ses commissions qui analysaient toutes les grandes politiques publiques, contradictoirement et avec le concours des meilleurs experts.
-
[8]
Rapport d’orientation budgétaire (art. L.2312-1 du CGCT), principales données du budget primitif et du compte administratif (art. L.2313-1 et s. du CGCT).
-
[9]
Par exemple, les dossiers pédagogiques « Marianne fait ses comptes » et « Si le budget m’était compté ».
-
[10]
V. sur le site de l’Éducation nationale : https://eduscol.education.fr/180/education-economique-budgetaire-et-financiere-educfi ou sur le site de la Banque de France https://www.mesquestionsdargent.fr/educfi
-
[11]
Sur la plateforme www.budget.fr
- [12]
-
[13]
Événement au cours duquel des développeurs sont invités à imaginer de nouvelles applications numériques sur un thème donné. Un hackathon sur l’information budgétaire a été organisé par le ministère des Finances en 2019.
- [14]
-
[15]
Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2023, p. 157, elle écrit : « Actuellement, le volet performance du budget de l’État procède d’une vision datée en vertu de laquelle l’administration produit, sélectionne, commente et communique elle-même des données parcellaires à l’usage des parlementaires et des corps de contrôle, sans suffisamment chercher à associer les citoyens à cet exercice ».
- [16]
- [17]
- [18]
- [19]
-
[20]
Sociologie fiscale et financière illustrée, par exemple, par les travaux de Marc Leroy et ceux d’Alexis Spire après ceux de Jean Dubergé.
-
[21]
Sur les différentes figures de l’usager et du citoyen, v. Warin (1997), Jeannot (1998), Bartoli et Hermel (2006), Weller (2018) et Le Clainche (2023, p. 68-75).
-
[22]
V. notamment « Droit des usagers et coproduction des services publics » in À quoi servent les usagers ? Actes du colloque tome 5, Plan Urbain, RATP, DRI, Ministère de l’Équipement, 1991.
-
[23]
Une typologie différente, mais proche est donnée par le Conseil d’État : information, demande d’avis, concertation, négociation (Conseil d’État, 2011).
-
[24]
Données actualisées sur le site http://lesbudgetsparticipatifs.fr
-
[25]
http://participationcitoyenne.ccomptes.fr Les premiers rapports d’initiative citoyenne portent sur le recours aux cabinets de conseil, les fédérations de chasseurs, les politiques d’égalité entre les femmes et les hommes, la détection de la fraude fiscale des particuliers.
-
[26]
V. Communiqué du Conseil des ministres du 1er mars 2023.
- [27]
-
[28]
Intervention au colloque « Lois de finances et contrôle de constitutionnalité » organisé par la Société française de finances publiques à Montpellier, le 28 avril 2023.
-
[29]
Loi organique n° 2021-27 du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et environnemental.
-
[30]
Compte-rendu de la « réunion de Saint-Denis » du 7 septembre 2023 entre le Président de la République et les représentants des partis politiques et discours du Président de la République devant le Conseil constitutionnel le 4 octobre 2023.
-
[31]
Marie-Anne Cohendet : « Il est même envisageable de rendre le référendum possible dans tous les domaines hormis quelques-uns comme la loi budgétaire. » (Le Monde du 11 octobre 2023)
-
[32]
Quelques exemples de votations d’initiatives populaires dans le domaine des finances publiques : en 2018, non à la suppression de la redevance radio et télévision (71,6 %) ; en 2016, non à un revenu de base inconditionnel (76,9 %) ; en 2015, non à l’imposition des successions de plusieurs millions pour financer notre AVS (Assurance vieillesse et survivants) (71 %) ; en 2015, non au remplacement de la taxe sur la valeur ajoutée par une taxe sur l’énergie (92 %) ; en 2014, non à l’abolition des privilèges fiscaux des millionnaires (59,2 %).
-
[33]
La décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022 est motivée par le fait que la proposition de loi référendaire « se borne à augmenter l’imposition existante de certaines sociétés ».
-
[34]
Révision constitutionnelle du 28 mars 2003, loi organique du 1er août 2003, loi du 13 août 2004, codifiées à l’art. LO 1112-1 et s. du Code général des collectivités territoriales.
-
[35]
V. notamment les travaux d’A. Bézard, L. Blondiaux, A. Mazeaud, Y. Sintomer.
-
[36]
La redevabilité, Revue française d’administration publique, n° 160 (2016).
-
[37]
V. notamment les travaux de X. Cabannes.