Notes
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[1]
[*] Centre d’études cartésiennes de Sorbonne Université, dirigé par Vincent Carraud ; secrétaire scientifique du Bulletin : Dan Arbib.
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[2]
[**] Centro Dipartimentale di Studi su Descartes e il Seicento – Etttore Lojacono de l’Université du Salento, dirigé par Igor Agostini.
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[3]
[***] On ne trouvera ici que les liminaires et les recensions. Le Bulletin dans son intégralité, comprenant liminaires, listes bibliographiques et recensions, est consultable sur Internet à l’adresse des Archives de philosophie : https://www.archivesdephilo.com et à celles du site Cartesius, dirigé par Giulia Beligioioso :https://www.cartesius.net. Réalisation du Bulletin : (1) Listes bibliographiques : Dan Arbib, avec la collaboration de Yoen Qian-Laurent; (2) Liminaires : Mmes Annie Bitbol-Hespériès, Maria-Teresa Bruno et Sophie Roux ; MM. Dan Arbib, Jean-Robert Armogathe, Vincent Carraud et Olivier Chaline ; (3) Comptes rendus : Mmes Siegrid Agostini, Delphine Bellis, Laurence Devillairs, Laurence Dupas-Gelin et Delphine Antoine-Mahut ; MM. Igor Agostini, Dan Arbib, Jean-Robert Armogathe, Frédéric de Buzon, Vincent Carraud, Daniel Dauvois, Olivier Dubouclez, Alberto Frigo, Philippe Hamou, Sylvain Josset, Denis Kambouchner, Xavier Kieft, Jean-Luc Marion, Edouard Mehl, Cristian Moisuc, Gilles Olivo, Bruno Pinchard, Yoen Qian-Laurent, Clément Raymond, Louis Rouquayrol. – Correspondants : pour la Russie et l’Europe de l’Est (langues slaves) : Wojciech Starzynski (Varsovie) ; pour l’Amérique latine hispanisante : Pablo Pavesi (Buenos Aires) ; pour le Brésil : Alexandre Guimaraes Tadeu de Soares (Uberlândia) ; pour le Japon : Masato Sato ; pour la Chine : Zuo Huang.
-
[4]
Colloque organisé par la Katholische Universität Eichstätt-Ingolstadt et le Centre d’Études Cartésiennes : que le Prof. Walter Schweidler et son équipe (notamment Mme Élisabeth Vasseur) en soient vivement remerciés, ainsi que, pour son accueil, la ville de Neuburg, en part. Mme Gabriele Kaps, adjointe au maire chargée de la culture.
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[5]
La vie de M. Descartes réduite en abrégé, Paris, 1692, p. 39.
-
[6]
Discours de la méthode, AT VI, 11, 11-20.
-
[7]
C’est un de ces jésuites, Jean-Baptiste Molitor, qui offrit un exemplaire dédicacé de La sagesse de Charron à Descartes pour les étrennes de 1620 : voir Frédéric de BUZON, « Un exemplaire de la Sagesse de Pierre Charron offert à Descartes en 1619 », liminaire I du Bulletin cartésien XX, Archives de philosophie, 1992, 1, p. 1-3. La dédicace est la suivante : « Doctissimo amico grato et minori fratri Renato Cartesio d(ono). d(edidit). ded(icavitque). P. Johannes B. Molitor S. J. exeunte anno 1619 / JBM ». Le grand homme de Neuburg est le jésuite Jakob Balde, qui résida au collège des jésuites de 1654 à sa mort, en 1668.
-
[8]
On se reportera au beau livre Die Hofkirche Unserer Lieben Frau zu Neuburg an der Donau, von Reinhard H. Seitz und Albert Lidel, Aufnahmen und Zeichnungen von Friedrich Kaeß, Weißenhorn, Anton H. Konrad Verlag, 1983, en part. à la contribution d’Albert Lidel, « Das Bildprogram der Hofkirche Unserer Lieben Frau. Versuch einer Deutung », p. 65-80.
-
[9]
Adrien BAILLET, La vie de M. Descartes, Paris, 1691, t. I, p. 85-86 ; DESCARTES, Étude du bon sens, La recherche de la vérité et autres écrits de jeunesse (1616-1631), éd. par Vincent Carraud et Gilles Olivo, Paris, PUF, 2013, p. 106.
-
[10]
Descartes a lu « Vésale et les autres », AT II, 525.
-
[11]
En fait à Saumur.
-
[12]
H. L. BRUGMANS, Le séjour de Christian Huygens à Paris et ses relations avec les milieux scientifiques français. Suivi de son Journal de voyage à Paris et à Londres, Paris, E. Droz, 1935, p. 153. Voir aussi « Biographie », « Le Voyage à Paris et à Londres de 1660-1661 », d’après son Journal, in Christiaan HUYGENS, Œuvres complètes, tome XXII, La Haye, M. Nijhoff, 1950, p. 555 : « 17.[…] vu M. Clersiller, qui me montra les figures pour le traité de l’homme de des Cartes, les unes faites par M. de la Forge, médecin à Saumur, les autres de Gutschoven, qui étaient mieux faites ».
-
[13]
Voir traduction de la Préface à la fin de l’édition de 1664, p. 447.
-
[14]
Remarques, p. 276-277.
-
[15]
Cf. Œuvres philosophiques, Paris, Garnier, 1963-1973, t. I, p. 414.
-
[16]
AT X 96-111.
-
[17]
AT X 127-131.
-
[18]
Voir l’Abrégé de musique édité par F. de Buzon, Paris, PUF, 1987, puis Œuvres complètes I, sous la direction de J.-M. Beyssade et D. Kambouchner, Paris, Gallimard (Tel), 2016.
-
[19]
« E d’une tierce majeure et F, d’un ton aussi majeur », / « E tertiam majorem : Et F sonum etiam majorem ».
-
[20]
Chez Boom, Amsterdam, 2011. Je remercie Erik-Jan Bos d’avoir appelé mon attention sur ce point.
-
[21]
Fabricius D’ACQUAPENDENTE, De venarum ostiolis, 1603 ; Caspar BAUHIN, Theatrum anatomicum, 1605.
-
[22]
AT IV 510-511.
-
[23]
AT IV 517-518 (lettre d’abord attibuée à Huygens).
-
[24]
À Mersenne, 23 novembre 1646 (non publiée par Clerselier), AT IV 566-567.
-
[25]
À Élisabeth, mars 1647, AT IV 626-627.
-
[26]
Fundamenta physices, Amsterdam, L. Elzevir, 1646, cap. X, « De animalibus, Motus spontanei alternatio, Musculorum oppositorum fabrica… », p. 232-237, schémas p. 233-236, puis cap. XII, « De Homine », sur le mouvement des muscles des yeux, p. 295-298, schémas p. 296-297.
-
[27]
AT III 459.
-
[28]
AT VI 50-52.
-
[29]
Fundamenta physices, op. cit., cap. X, p 185-191 sur la circulation avec schéma des valvules des veines p. 190.
-
[30]
Voir Annie BITBOL-HESPÉRIÈS, « Descartes et Regius : leur pensée médicale » in Descartes et Regius, Autour de l’Explication de l’esprit humain, Theo Verbeek, éd., Amsterdam-Atlanta, 1993, p. 47-68. Voir la Physiologia dans The Correspondence between Descartes and Henricus Regius, par Erik-Jan Bos, Utrecht, 2002.
-
[31]
AT IV, 626.
-
[32]
Fundamenta physices, op. cit., p. 234-235 et p. 297.
-
[33]
De Homine, p. 19-26, L’Homme, p. 15-23.
-
[34]
Cf. Préface de Clerselier, (n.p.), (p. 23 et 26).
-
[35]
Cf. Remarques, à partir de la p. 225, et en particulier p. 248-249.
-
[36]
Christiaan HUYGENS, Œuvres complètes, tome XXII, op. cit., p. 555.
-
[37]
Préface (n.p.), (p. 26-27).
-
[38]
CLERSELIER, Lettres de M. Descartes, Paris, Ch. Angot, tome III, 1667, p. 13-14. Cf. BAILLET, La Vie de M. Descartes, tome II, livre VII, chap. XIV. Voir Giulia BELGIOIOSO « Un faux de Clerselier », BC XXXIII.
-
[39]
AT IV 566 et V, 112.
-
[40]
À Élisabeth, 31 janvier 1648, AT V 112.
-
[41]
Préface (n.p.), (p. 33).
-
[42]
L’Homme, AT XI, 123-124.
-
[43]
Cinquièmes Objections, AT VII 309-310.
-
[44]
AT VI 47, le cœur étant alors réduit aux ventricules, les oreillettes (« oreilles », ou maintenant atria), étant les renflements des vaisseaux.
-
[45]
AT XI 224-226 et à Plempius, 3 octobre 1637, AT I, 412-416.
-
[46]
AT XI 239, 240-241.
-
[47]
Sur ce « privilège éditorial » et sur le changement de titre de la Description, cf. A. BITBOL-HESPÉRIÈS, « The Primacy of L’Homme in the 1664 Parisian edition by Clerselier », in D. Antoine-Mahut and S. Gaukroger, éd., Descartes’ Treatise on Man and its Reception, Cham, Springer, 2016, p. 33-47.
-
[48]
Préface (n. p.), (p. 22).
-
[49]
Cf. René DESCARTES et Martin SCHOOCK, La Querelle d’Utrecht. Theo Verbeek éd., Paris, Les Impressions nouvelles, 1988, p. 87-95 notamment.
-
[50]
Ibid., p. 86-87. Depuis le De Magnete… du médecin W. Gilbert, Londres, 1600, la question de l’aimant est disputée. Descartes en parle dans ses lettres, par ex. le 2 décembre1630 (AT I, 191) puis cite Gilbert dans les Principia, IV, art. 166, 168.
-
[51]
Il obtiendra son doctorat en médecine en 1664 à Leyde et y deviendra professeur de médecine quelques mois plus tard.
-
[52]
Voir les travaux inaugurés par H. GOUHIER, Cartésianisme et augustinisme au XVIIe siècle, Paris, Vrin, 1978, p. 55-58.
-
[53]
Voir en particulier André ROBINET, « Les manuscrits de Malebranche. Le fonds Adry », Revue internationale de philosophie, 38, 1956, p. 487-495 ; puis « Le fonds Adry d’Honfleur », in MALEBRANCHE, Œuvres complètes t. XIX, Paris, Vrin, 1961, p. 1106-1111. Et, auparavant, les Fragments philosophiques inédits et correspondance qui proviennent du fonds Adry, édités par Joseph Vidgrain, dans sa thèse complémentaire à Le christianisme dans la philosophie de Malebranche, Université de Caen, 1923, puis Paris, Alcan, 1923 ; ainsi que la notice de Pierre COSTABEL, « Identification d’un manuscrit », Revue d’histoire des sciences, t. 2, n° 3, 1949, p. 266-267. Le fonds Adry, comme le fonds André à Caen, reste à exploiter systématiquement.
-
[54]
Voir, à titre d’exemple significatif, l’Abrégé de la physique de Mr Descartes, texte anonyme foncièrement dépendant de Rohault, découvert par Maria Teresa Bruno et tout récemment publié par Sylvain Matton, Paris, Séha et Milan, Archè, 2020.
-
[55]
Le Commentaire… sera imprimé à Vendôme, en juillet 1670.
-
[56]
Voir le Commentaire… sur la Méthode de René Descartes, Avis au lecteur, puis p. 34, 79-80, 111 et 224.
-
[57]
Dans sa Bibliothèque historique et critique des auteurs de la Congrégation de S. Maur, La Haye, 1726, Dom Jean-Philippe LE CERF DE LA VIÉVILLE ne mentionne pas Fouquet ; en revanche, Dom Prosper TASSIN, Histoire littéraire de la Congrégation de Saint-Maur, ordre de S. Benoît, Bruxelles, 1770, p. 92, donne la notice suivante : « Dom Maur Fouquet, né à Manle, bourg du diocèse de Chartres, fit profession dans l’abbaye de Vendôme, le 10 février 1646, à l’âge de trente ans […]. Nos mémoires ne nous apprennent rien de plus sur Dom Maur Fouquet, si ce n’est qu’il mourut dans l’abbaye de Josaphat lès-Chartres, le 19 avril de l’an 1679 » ; il est suivi par Jean FRANÇOIS, Bibliothèque générale des écrivains de l’ordre de saint Benoît, Paris, 1777, t. I, p. 337-338. Dans La corrispondenza di François Lamy benedettino cartesiano : regesto con l’edizione delle lettere inedite e rare, Florence, Olschki, 2007, Mme Maria Grazia Zaccone Sina note : « Certo a Saint-Maur il cartesianesimo dovette avere più d’un volto : oltre a quello di Lamy, troviamo i nomi di Antoine Le Gallois … o di Maur Fouquet … » (p. XXVII, note 95). Mais interrogée sur d’autres mentions possibles, Mme Sina nous dit ne pas avoir de nouveau rencontré le nom de Fouquet dans les recherches qu’elle a menées avec Mario Sina, en part. pour l’ouvrage Robert DESGABETS, Antoine LE GALLOIS, Sull’eucaristia. Scritti benedettini inediti negli anni del Traité de physique di Rohault, Florence, Olschki, 2013.
-
[58]
Leur intérêt requiert une étude détaillée, que Maria Teresa Bruno livrera ailleurs.
-
[59]
Paris, chez la Veuve de Charles Savreux, 1671. Le Traité a été réimprimé en 2014, avec une préface de Simone Mazauric, par les Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques.
-
[60]
*Pax Christi [les notes précédées d’un astérisque sont des notes philologiques].
-
[61]
*Il semble qu’« explications » ait été écrit d’abord, puis en surcharge « réponses », puis au-dessus « explicat » finalement raturé.
-
[62]
On ignore le problème que Fouquet a soumis à Poisson, comme les réponses de Poisson.
-
[63]
Météores, disc. III, AT VI, 257, 27-258, 4 ; Descartes lui-même y renvoie dans les lettres à Mersenne du 9 février 1639 (AT II, 495, 20-496, 9) et du 30 août 1640 (AT III, 167, 14-18 ; voir aussi la lettre du 9 janvier 1639, AT II, 482, 22-484, 15). Il avait déjà rappelé cette expérience dans la lettre à Reneri pour Pollot d’avril ou mai 1638, AT II, 45, 7-16. Dans le Parnassus, il attribuait à Beeckman l’observation d’aiguilles « si fines qu’elles surnagent sur l’eau » et en proposait une première explication (AT X, 226, 8-14, qui donne la citation du Journal de Beeckman).
-
[64]
Si l’expérience réalisée avec une aiguille de verre ne vient pas de Descartes, celui-ci n’en avait pas moins mentionné « les lames d’ivoire » au même titre que « les aiguilles d’acier » dans la lettre du 9 février 1639, dans un passage publié dans la lettre XCVII du t. II des Lettres de Mr Descartes (1666, p. 446 = AT II, 496, 8-9). L’observation de Fouquet s’oppose donc directement à la « preuve » cartésienne. Voir aussi Jacques ROHAULT, Traité de physique, Paris, 1671, t. I, p. 190 : « Remarquez encore, que quand un corps, qui pèse plus qu’une masse égale d’eau, nage sur l’eau, comme fait une petite aiguille d’acier, cela vient de ce que l’air, qui se réserve un passage entre l’eau et ce corps, le soulève, et l’empêche de s’enfoncer ; et il ne faut pas penser que cela vienne de la résistance que l’eau apporte à sa division, laquelle on croirait peut-être être plus grande vers la superficie qu’au dedans : car ayant fait faire de petites aiguilles de verre, moins pesantes que des aiguilles d’acier de pareille grosseur, et les ayant couchées fort doucement sur l’eau, elles sont toujours tombées au fond ».
-
[65]
Question largement débattue entre les cartésiens que celle dite de la libre création des vérités éternelles. Voir Geneviève RODIS-LEWIS, « Polémiques sur la création des possibles et sur l’impossible dans l’école cartésienne », Studia cartesiana 2, Amsterdam, 1981, p. 105-123 (repris in Idées et vérités éternelles chez Descartes et ses successeurs, Paris, Vrin, 1985, p. 139-157), puis Giuliano GASPARRI, Le grand paradoxe de M. Descartes. La teoria cartesiana delle verità eterne nell’Europa del XVII secolo, Florence, Olschki, 2007 – qui ne mentionnent cependant ni Fouquet ni Poisson.
-
[66]
*« en mouvement » ajouté au-dessus de la ligne.
-
[67]
Sur cette question, voir aussi la lettre du 24 avril 1672 adressée par le chanoine de Chartres, De la Rue, à M. Piques, docteur de Sorbonne, où il est question de Fouquet (Archives nationales, ms 825, nº140). Pour Descartes, le mouvement est un mode : voir les Principia II, a. 27. Selon Principia I, a. 56 et 64, modus et attributum (et qualitas) sont équivalents, mais considérés selon des points de vue distincts. Voir aussi la lettre à Morus d’août 1649, AT V, 404, 25-405, 9 : éd. Clerselier des Lettres, t. I, p. 325-326. Sur le sens de mode, voir Pierre COSTABEL, « Essai critique sur quelques concepts de la mécanique cartésienne », in Démarches originales de Descartes savant, Paris, Vrin, 1982, p. 149.
-
[68]
*« rencontre » reste souvent masculin au XVIIe siècle.
-
[69]
« règles de nature » est l’expression employée par Descartes à partir de l’a. 37 de Principia II : « regulae quaedam sive leges naturae… quae sunt causae secundariae ac particulares diversorum motuum » (AT VIII-1, 6-8).
-
[70]
Principia, II, a. 45-52, AT VIII-1, 67, 17-70, 13 (voir aussi le Monde, AT XI, 47, 4-9). Fouquet critique à juste titre la règle 4 : « si le corps C était tant soit peu plus grand que B, et qu’il fût entièrement en repos, de quelque vitesse que B pût venir vers lui, jamais il n’aurait la force de le mouvoir » (a. 49, AT IX-2, 90). De fait, cette règle est la plus fausse des règles du choc. Sur les corrections apportées par Descartes à l’énoncé des règles, voir la lettre à Clerselier du 17 février 1645 (AT IV, 183-187 = éd. Clerselier. Lettres, I, p. 530-534), puis Pierre COSTABEL, « Essai critique … » et Frédéric de BUZON et Vincent CARRAUD, Descartes et les “Principia” II, Paris, PUF, 1994, p. 96-113. La remarque de Fouquet sur la quatrième règle du choc est en elle-même très intéressante ; elle revient à la réfutation de Christiaan HUYGENS dans Du mouvement des corps par percussion, OC, vol. 16, p. 38 — rédaction de 1656 : voir René DUGAS, La mécanique au XVIIe siècle, Neuchâtel, Ed. du Griffon, 1954, p. 289-290, qui cite le De motu corporum, dans lequel la prop. III réfute la 4e règle de Descartes. Le 13 mars 1670, le P. Daniel, récollet, correspondant de Malebranche et de Clerselier, écrit néanmoins à Poisson : « On m’a communiqué quelques pensées contre les règles du mouvement de notre philosophe, j’ai prétendu les refuser par une demi-douzaine de réflexions » (Bibliothèque Mazarine, ms 4557/4/4/3/A-B, f. 2). Il y revient, véritablement à la demande de Poisson, dans la lettre du 10 avril 1670 (Honfleur, 15 ii 18, f. 1) : « Si ce qu’on a écrit contre les règles du mouvement en avait valu la peine, je l’aurais copié, mais je n’ai pu y trouver quoi que ce soit digne de cela ; et je n’ai non plus fait aucun brouillon de ce que j’ai écrit, pour, et ne pense pas, que vous y pussiez rien apprendre ».
-
[71]
Poisson publie son Commentaire du Discours de la méthode six mois après cette lettre : on n’y trouve pas trace de cette objection, la métaphysique étant renvoyée au commentaire des Principes (qui ne sera jamais publié).
-
[72]
AT VII, 45, 9-10 s., en part. 21-22 pour « procéder ». Mais il est essentiel à la démonstration cartésienne qu’il s’agisse de l’idée d’infini, qui ne sera assimilée à l’idée d’un souverain être qu’à la page suivante (46, 11-12).
-
[73]
AT VII, 46, 12-13.
-
[74]
*« connaissant » raturé.
-
[75]
L’objection ainsi formulée évoque celle des IIae Objectiones, AT VII, 123, 7-24.
-
[76]
*Au dessus : « différent de ».
-
[77]
IIae Responsiones, AT VII, 133, 17-26.
-
[78]
AT VII, 28, 20-27.
-
[79]
*La fin de la ligne est raturée.
-
[80]
Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes ; en 1670 seule la première partie a paru, chez Pierre Le Petit, en 1666. Il avait publié en 1660 chez le même éditeur De l’origine de la peinture et des plus excellents peintres de l’Antiquité et venait de publier (1668) les Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture pendant l’année 1667. Félibien a un fils, Michel, lui-même né à Chartres, qui sera moine mauriste.
-
[81]
Félibien a traduit de l’italien La vie du pape Pie V, par Agatio di Somma, découverte vingt ans plus tôt à Rome dans la bibliothèque du card. Barberini, qu’il publiera à Paris, en 1672, à l’occasion de la béatification du pape. Mais il a aussi traduit de l’espagnol : en avril 1670 même, il publiera chez Frédéric Léonard une traduction française du Château intérieur, ou les demeures de l’âme, de sainte Thérèse d’Avila.
-
[82]
Nourri aux frais du roi.
-
[83]
A Chartres donc, où il se trouve que Félibien est né.
-
[84]
*Les lettres du mot sont espacées, ce que nous comprenons comme une mise en italiques.
-
[85]
Poisson a publié en 1668 à Paris, chez Charles Angot, le Traité de la mécanique composé par Monsieur Descartes. De plus l’Abrégé de musique du même auteur mis en français. Avec les éclaircissements nécessaires (127 p.). Cette publication complète celle du Discours de la méthode, plus la Dioptrique, les Météores, la Mécanique et la Musique, qui sont les essais de cette méthode. Avec des remarques et des éclaircissements nécessaires (303 p.). L’histoire éditoriale du projet de Poisson et de ces deux publications est complexe. Quoi qu’il en soit, le privilège, daté du 18 avril 1664, est le même pour les deux ouvrages. Si le premier a été publié à la fois de façon autonome et dans le second, le second, lui, semble n’avoir jamais été publié seul (un vol. in-4° de 303 p. + 127 p. donc). Voir Charles ADAM in AT X, 80-81 puis Matthijs VAN OTEGEM, A Bibliography of the Works of Descartes (1637-1704), Utrecht, Zeno, 2002, p. 564-568 et 26-29, ainsi que la présentation par Frédéric de BUZON de Descartes, Abrégé de musique, Paris, PUF, 1987, p. 41-43.
-
[86]
Le mot d’Horace, Art poétique, v. 388 : « gardez-le pendant neuf ans ». Il s’agit de conserver ce qu’on a écrit pendant neuf ans avant sa publication. Publié en 1668, Poisson a obtenu le privilège pour son ouvrage en avril 1664, mais a dû posséder le manuscrit auparavant (voir Frédéric de BUZON, op. cit., p. 21). Si l’on suit l’allusion de Fouquet, ce délai aurait été encore plus grand pour les remarques sur le Traité de mécanique. Voir son Épître dédicatoire : « Je crois, Monsieur, que ce peu de mots vous feront assez connaître à qui est due la naissance de cet ouvrage, et comme n’ayant d’abord entrepris que de faire imprimer les Mécaniques, j’y fis des Notes pour en remplir deux feuilles, qui s’étendirent ensuite à quelque chose de plus ; afin qu’en joignant la Musique … » (Épître, p. 4). Baillet écrit à propos de l’édition de la Mécanique de 1668 : « Le Père Poisson à qui le public est redevable de cette édition, avait mieux aimé abandonner pour cette fois le sentiment de M. Descartes qui n’estimait point assez ce petit traité, que celui de M. de Zuylichem, de M. de Pollot, et de plusieurs autres connaisseurs qui en était charmés. Mais ce Père à l’imitation de M. Descartes a témoigné depuis, que son édition n’était pas fort accomplie. C’est ce qu’on peut accorder à sa modestie, pourvu qu’on sache qu’il a été obligé de deviner les figures de ce traité, et qu’il n’a pu y suppléer qu’avec le secours d’une copie manuscrite, que M. de Loménie lui avait fait venir de Stockholm » (La vie de Monsieur Descartes, Paris, 1691, t. II, p. 400).
-
[87]
En effet, Descartes « a différé à parler du levier jusques à la fin, à cause que c’est l’engin pour lever les fardeaux le plus difficile de tous à expliquer » (AT I, 443, 2-4). Au contraire, pour Poisson, « l’ordre naturel demande qu’on parle premièrement du levier », Remarques sur les mécaniques de Monsieur Descartes, p. 40-44 (ici p. 41).
-
[88]
On se reportera au schéma donné en AT I, 443 et à l’explication donnée dans les pages suivantes (cf. l’édition présentée et annotée par Frédéric de BUZON du Traité de mécanique, in René DESCARTES, Œuvres complètes, III, Paris, Gallimard, 2009, pour le levier p. 573-575 (schéma p. 577) et 797-798). Voir les longues et délicates Remarques de Poisson, p. 44 et s.
-
[89]
Poisson a utilisé pour sa traduction le document R de l’Inventaire de Stockholm (voir Adrien BAILLET, Vie de Monsieur Descartes, op. cit., t. I, p. 317), comme il le dit lui-même dans ses Elucidationes physicae in Cartesii Musicam : « Bredae Brabantinorum tunc morabatur, castra sequens, ut ipse ad calcem scripti originalis, quod mihi prae manibus est, contestatur » (p. 102) ; ou encore : « Iuxta hoc M.S. traductionis opus direximus, in quo si quis error irrepserit bona venia concedatur » (p. 123 = AT XI, 81 = Frédéric de Buzon, op. cit., p. 43). Il ne semble donc pas avoir utilisé les éditions latines mentionnées infra ; mais il dit aussi dans l’Épître dédicatoire avoir travaillé en corrigeant les fautes des impressions précédentes (p. 4). Voir Frédéric de BUZON, op. cit., p. 21 (puis in René DESCARTES, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, 2016, p. 144). « version » signifie évidemment « traduction » ; voir l’Épître dédicatoire, p. 5 : « Ce que je viens de dire, Monsieur, servira d’apologie et d’excuse pour les fautes qui se sont peut-être glissées, ou dans la version ou dans les remarques ».
-
[90]
*« si » ajouté au dessus.
-
[91]
Nous faisons l’hypothèse qu’il s’agit des Elucidationes, malgré le singulier (« la pièce latine ») qui les désignerait.
-
[92]
*« dis<cours> » raturé.
-
[93]
Le Compendium musicae a été imprimé à Utrecht chez Zijll et Ackersdijk en 1650, puis à Amsterdam en 1656 chez Janssonius, éditions épuisées selon l’Épître dédicatoire : voir Frédéric de BUZON, op. cit., p. 32-37 et 42-43. Poisson présente sa traduction « comme une traduction critique, fondée sur une nouvelle édition du texte latin, que Poisson conserve par-devers lui ».
-
[94]
En effet, l’Abrégé de musique, traduction en français du Compendium musicae, comporte des éclaircissements rédigés en latin par Poisson, Elucidationes physicae in Cartesii musicam, p. 101-127. Poisson s’en est expliqué dans l’Avis, p. 99 : « Comme mon premier dessein était de laisser le Traité de musique en langue latine, en laquelle il avait été composé, j’avais écrit en même langue quelques éclaircissements qui le devaient accompagner. Mais ayant été convié plus d’une fois à traduire celui-là je n’ai pu me résoudre, faute de loisir, à en faire autant de ceux-ci » (cité par Frédéric de BUZON, op. cit., p. 42).
-
[95]
*Début d’alinea « Notre Rd père prieur a envoy » raturé, repris deux lignes plus bas.
-
[96]
Chartres.
-
[97]
Le 26 janvier 1670 (ou peut-être dès le 20), Fouquet a déjà lu les Pensées, mises en vente à la mi-janvier.
-
[98]
Il s’agit sans doute du Révérend Père Dom Pierre Laurent Hunault (1623-1697, profès en 1642), prieur à Josaphat de 1669 à 1670 (il est nommé Prieur à Saint-Wandrille en septembre 1670). Voir Dom Edmond MARTÈNE, Histoire de la Congrégation de Saint Maur, éd. par Dom Gaston CHARVIN, t. V, Paris, Picard, 1931, p. 207 ; Dom René-Prosper TASSIN et Dom Charles-François TOUSTAIN, Histoire de l’abbaye de Saint-Vandrille depuis l’an 1604 jusqu’en 1734, éd. par Jean Laporte, Saint-Wandrille, L’abbaye, 1936, p. 162 ; Dom Gaston CHARVIN, « Contribution à l’étude du personnel de la Congrégation de Saint Maur, 1612-1789 », Revue Mabillon, nº 183, 1958, p. 129 ; Yves CHAUSSY, Les bénédictins de Saint-Maur, 2, Paris, Institut d’études augustiniennes, 1991, p. 19-20.
-
[99]
Les Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air ont été publiés en 1663. Dom René Prosper Tassin, dans son Histoire littéraire de la Congrégation de Saint-Maur, Bruxelles, 1770, p. 92, ajoutait cette remarque à la notice donnée dans notre introduction : « Il composa en 1669 un écrit sur l’équilibre des liqueurs, pour défendre le sentiment de M. Pascal, contre le P. Bourgoing ». Charles Bourgoing, religieux augustin, avait publié sa La vérité du vide contre le vide de la vérité à Paris, chez Henault, en 1664 ; en 1670, les « grimauderies » de Fouquet ne sont donc toujours pas publiées. Dom Ursmer Berlière (notes de Henry Wilhelm), Nouveau supplément à L’histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur, t. I, Paris, Picard, 1908, précise p. 228 que « d’après la Bibl. chartraine de Lucien Merlet, il [l’écrit de la défense de l’équilibre des liqueurs contre le P. Bourgoing] aurait été publié à Paris en 1679, ce que confirme Lenain [Histoire littéraire des bénédictins de Saint-Maur], t. I, p. 411. Il aurait donc été publié l’année même de la mort de Dom Fouquet, que L. Delisle et Omont appellent Dom Fouguet […]. Dans le Catal. des mss de la Bibl. de Chartres, dressé par Omont, il y a sous le n° 433 un écrit de Dom Fouquet, intitulé : Réponse d’un Cartésien aux 23 articles ; plus d’autres écrits sur ces 23 articles et au fol. 31, « Réponse à Dom Fouquet, bénédictin, touchant la spiritualité de l’âme ». Ce document, qui semble avoir brûlé en 1944, avait été retranscrit par Paul Lemaire dans Le cartésianisme chez les bénédictins. Dom Robert Desgabets, son système, son influence et son école, Paris, Alcan, 1901, pp. 410-413 « La Réponse du Bénédictin Cartésien, D. Maur Fouquet, à la lettre d’un Docteur de ses amis, qui avait établi 23 principes contre la physique de M. Descartes ».
-
[100]
*« de Vendôme » ajouté au-dessus : la graphie semble être d’une autre main, qui aurait donc précisé après coup qu’il s’agissait de Vendôme.
Quoi qu’il en soit, il y avait bien une abbaye mauriste à Vendôme (l’abbaye de la Sainte-Trinité), toute proche donc du collège des oratoriens où résidait Poisson : c’est là que Dom Fouquet et Dom Hunault ont fait leur profession. Chartres et Vendôme sont à une centaine de kilomètres l’une de l’autre. -
[101]
*On lit peut-être 0 sous le 6.
-
[102]
*Religieux bénédictin indigne.
-
[103]
Sophie ROUX, « Premiers éléments d’une enquête sur Jacques du Roure », Bulletin cartésien XLIX, p. 168-180.
-
[104]
Raoul de VISSAC, Anthoine du Roure et la révolte de 1670. Chronique Vivaroise, Paris, Émile Lechevalier, 1895, p. 17–18, cité in S. ROUX, « Premiers éléments d’une enquête sur Jacques du Roure », art. cit., p. 179-180.
-
[105]
Archives départementales de l’Ardèche, F 22 (Famille du Roure : documents originaux, copies, notes).
-
[106]
Patrick FERTÉ, Répertoire des Étudiants du Midi de la France (1561-1793). Pour une prosopographie des élites, 7 vol., Toulouse, Presses universitaires des sciences sociales de Toulouse, puis Presses de l’université de Toulouse I Capitole, 2002-2015.
-
[107]
Service Commun de Documentation de Toulouse 1, Bibliothèque universitaire de l’Arsenal, Ms 8 (Licentiés et Docteurs en-toutes facultés passés despuis les comptes de Noël 1638 jusques aux comptes de Pasques 1639), Ms 24 (Testimoniales en théologie, 5 janvier 1614-5 août 1673), Ms 26 (Testimoniales en théologie et en médecine, 1er janvier 1614-28 décembre 1637), Ms 28 (Bacheliers en théologie et en médecine (27 décembre 1622-23 juin 1664), Bacheliers in utroque (22 juin 1624-22 juin 1664)), Ms 29 (Nominations de bacheliers en théologie et en droit canon, 5 avril 1621-18 juin 1664). À l’exception du dernier, ces manuscrits peuvent être consultés sur le site https://tolosana.univ-toulouse.fr/ . Le nom « Roure » et son équivalent latin « Roerius » sont présents dans ces registres, mais pas avec le bon prénom, ainsi on trouve un Pierre Roure bachelier en théologie en juillet 1625 (Ms 28, p. 18), un Louis Roure ayant fait des études de théologie en 1640 (Ms 24, p. 116), un Roure licencié et docteur in utroque (c’est-à-dire en droit civil et canon) en 1640 (Ms 8, p. 39).
-
[108]
Service Commun de Documentation de Toulouse 1, Bibliothèque universitaire de l’Arsenal, Ms 107 (Registre d’attestation d’études, 12 janvier 1634-29 décembre 1644), Ms 109 (Registre d’attestation d’études, 5 janvier 1644-29 décembre 1651), Ms 134 (Graduations en droit, arts et médecine de l’université de Cahors, 16 mai 1617-17 mai 1647).
-
[109]
Je remercie très vivement Maria-Pia Donato, Sabina Pavone et Salvatore Vassallo de leur aide.
-
[110]
Maurice MASSIP, Le collège de Tournon en Vivarais, d’après les documents originaux inédits, Paris, Alphonse Picard, 1815, p. 79-85 ; Marie-Madeleine COMPÈRE et Dominique JULIA, Les collèges français, 16e-18e siècles. Répertoire 1 - France du Midi, Paris, Institut national de recherche pédagogique, 1984, p. 696-712.
-
[111]
Les registres étudiants de l’université de Valence n’ont pas été conservés aussi complètement que ceux des universités de Cahors et de Toulouse.
-
[112]
Même s’il y a eu là aussi une piste qui n’a rien donné, je remercie vivement Thierry Alloin, des Archives départementales de la Haute-Loire, de m’avoir envoyé une version numérisée du mémoire de maîtrise de Cécile MARTIN, L’implantation et l’action de la Compagnie de Jésus au Puy en Velay au XVIIe siècle, sous la direction de Jacqueline Bayon, Université Jean-Monnet Saint-Étienne, année universitaire 2001-2002.
-
[113]
H.-J. MARTIN, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, 2 vol., Genève, Droz, 1969 (ici réimpr. 1999), vol. II, p. 555-597 et p. 1062-1066.
-
[114]
Le Catalogue collectif de France mentionne de surcroît l’existence, dans le fonds ancien de la Médiathèque de Niort, cote 7470, d’une édition remontant à 1660 ayant pour titre Discours sur la médecine & sur les parties du corps humain, composés en latin par M. Arberius, et traduits en françois par D.R. Mes échanges avec Martine David, responsable de ce fonds ancien et que je remercie vivement, me conduisent à la conclusion qu’il peut s’agir d’un exemplaire tronqué de l’édition de 1664, dépourvu de la page de titre générale et des pièces liminaires (épître dédicatoire signée « D.R. » et errata). Comme l’exemplaire de Niort comprend un feuillet supplémentaire intitulé « Thèses de Louvain soutenues sous Mrs d’Orlix et Plempius » placé juste avant la dernière partie, il reste toutefois à voir si ce feuillet se trouve dans l’édition de 1666, auquel cas ce serait plutôt un exemplaire tronqué de l’édition de 1666.
-
[115]
L’ensemble est précédé d’un feuillet intitulé « Abrege de toutes les principales actions Automatiques qui sont dans les Hommes, avéque leurs maladies & leur guerison », qui se rapporte en fait seulement à la première de ces thèses, soutenue sous Pierre Dorlix par Vincent Philippeaux. Cette thèse a été étudiée par Domenico COLLACCIANI, « The Reception of L’Homme Among the Leuven Physicians: The Condemnation of 1662 and the Origins of Occasionalism », in Delphine Antoine-Mahut and Stephen Gaukroger, dir., Descartes’ Treatise On Man and its Reception, Dordrecht, Heidelberg, New York, London, Springer, 2016, p. 103-125
-
[116]
Le compte rendu négatif de La physique d’usage paru dans le Journal des sçavans, 1665, p. 56, note : « dans la traduction qu’on en a faite, on les [les thèses de Louvain] a tellement desguisées, que celuy mesme qui s’en disoit auparavant l’Autheur, les a desavoüées. En effet elles sont pleines de Paradoxes & d’opinions assez particulieres. Par exemple, dans la page 55, la peste y est décrite d’une manière capable de décrier à iamais la doctrine des petits corps. »
-
[117]
Antoine-Alexandre BARBIER, Dictionnaire des ouvrages anonymes, 4 vol., Paris, Paul Daffis, 1875 (3e éd.), vol. III, p. 496b et p. 884b.
-
[118]
Maurice BOUVET, « Les Rouvière : “Le Voyage du Tour de la France” d’Henri-Louis de Rouvière », Revue d’histoire de la pharmacie, 47e année, n°162, 1959, pp. 140-144 et Yolande ZÉPHIRIN, « Henry et Henry-Louis Rouvière, apothicaires ordinaires du roi, d’après de nouveaux documents », Revue d’histoire de la pharmacie, 74e année, n°270, 1986, p. 219-233.
-
[119]
Catalogue des livres imprimez et qui se vendent chez Pierre Aubouyn, Pierre Emery et Charles Clouzier, Libraires de Paris, p. 18. Ce catalogue n’est pas daté, mais il se trouve dans un recueil de catalogues de livres et le recueil précédent est quant à lui daté de 1694. Je remercie vivement Domenico Collacciani de m’avoir donné cet argument supplémentaire.
-
[120]
[J. du ROURE], Nouveau cours de médecine, Paris, François Clousier et Pierre Aubouyn, 1669, p. 181.
-
[121]
[J. du ROURE], Nouveau cours de médecine, op. cit., p. 181-186 et J. du ROURE, Abrégé de la vraye philosophie, lequel en contient avéque les définitions, les divisions, les sentences, & les questions principales, Paris, chez l’auteur, 1665, p. 153-157.
-
[122]
[J. du ROURE], La physique d’uzage, Paris, Pierre Aubouyn et Philippe d’Arbisse, 1664, ij verso -iij recto.
-
[123]
C’est-à-dire ceux qui sont mentionnés dans le titre : Descartes, Hogelande, Regius, Arberius, Willis, les professeurs de Louvain ayant fait soutenir les thèses de 1662.
-
[124]
[J. du ROURE], Nouveau cours de médecine, op. cit., ij recto -iij verso.
-
[125]
C. Louise THIJSSEN-SCHOUTE, Nederlands Cartesianisme, Amsterdam, Noord-Hollandsche Uitg. Mij, 1954, p. 265–266 déclare qu’Arberius est un pseudonyme, mais sans expliquer pourquoi.
-
[126]
Cl. Clerselier, Préface, in Descartes, Lettres de Mr. Descartes […]. Tome troisiesme et dernier, Paris, Ch. Angot, 1667, n.p. et A. BAILLET, Vie de M. Descartes, 2 vol., Paris, 1691, vol. II, p. 443–443. Voir également AT, vol. XII, p. 594–607.
-
[127]
Je reprends ces informations à Patricia M. RANUM, « Jacques II Dalibert (or d’Alibert). “Le Bon Français de Rome”. An assemblage of “Fugitive Pieces,” 1630-1715, in lieu of a biography about Christina of Sweden’s secretary-impresario-jester » que j’ai consulté en janvier 2020 sur la page : https://independent.academia.edu/PRanum. On trouve comme elle le note des indications sur d’Alibert dans F. RAVAISSON-MOLLIEN, Archives de la Bastille. Documents inédits. Vol. IV : Règne de Louis XIV (1663 à 1678), Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1870, p. 292-297.
-
[128]
Rebecca M. WILKIN, « Figuring the Dead Descartes : Claude Clerselier’s Homme de René Descartes (1664) », Representations, 2003, vol. 83, p. 38-66 ; Claus ZITTEL, Theatrum philosophicum. Descartes und die Rolle ästhetischer Formen in der Wissenschaft, Berlin, Akademie-Verlag, 2009, p. 306-346 ; ID., « Conflicting Pictures: Illustrating Descartes’ Traité de l’homme », in Sven Dupré and Christoph Lüthy, Silent Messengers. The Circulation of Material Objects of Knowledge in the Early Modern Low Countries, Berlin, Münster, Wien, Zürich, London, Lit-Verlag, p. 217-260 ; Steven NADLER, « The Art of Cartesianism: The Illustrations of Clerselier’s Edition of Descartes’s Traité de l’homme (1664), in Delphine Antoine-Mahut and Stephen Gaukroger, dir., Descartes’ Treatise On Man and its Reception, Dordrecht, Heidelberg, New York, London, Springer, 2016, p. 193–224.
-
[129]
Cl. CLERSELIER, « Préface », in L’Homme de René Descartes et un traitté de la formation du fœtus du mesme autheur. Avec les remarques de Louys de La Forge […], Paris, Charles Angot, 1664, en particulier p. ii, p. xxv.
-
[130]
Le Monde de Mr Descartes ou le Traité de la lumière et des autres principaux objets des Sens. Avec un Discours de l’Action des Corps & un autre des Fièvres, composez selon les principes du même Auteur, Paris, Michel Bobin & Nicolas le Gras, 1664.
-
[131]
Cl. CLERSELIER, « Préface », op. cit., p. iii.
-
[132]
DESCARTES, L’Homme de René Descartes et la formation du foetus avec les Remarques de Louis de La Forge. A quoy l’on a ajouté Le Monde ou Traite de la Lumiere du mesme Autheur, Paris, Charles Angot, 1677. AT, vol. XI, p. ii-iii suppose que, cette fois, le délai pris par Clerselier pour publier son édition du Monde avait pour cause un accord entre imprimeurs.
-
[133]
Ibid., p. v.
-
[134]
Sur l’attribution de ces deux discours, voir Pierre CLAIR, Jacques Rohault (1618–1672). Bio-bibliographie. Avec l’édition critique des Entretiens sur la philosophie. Paris, CNRS, 1978, p. 58.
-
[135]
AT XI, i-ii, qui ne précise pas les arguments sur lesquels il s’appuie, mais on peut penser qu’il s’agit des liens de d’Alibert avec le chevalier de Terlon, ambassadeur à Stockholm, qui se chargea des négociations pour le rapatriement du corps de Descartes.
-
[136]
C. Louise THIJSSEN-SCHOUTE, Nederlands Cartesianisme, Amsterdam, Noord-Hollandsche Uitg. Mij, 1954, p. 136, p. 239, infère de la collaboration entre d’Alibert et l’auteur de la Physique d’usage à leur possible collaboration pour l’édition du Monde, mais en croyant que l’auteur de la Physique d’usage est Rouvière et sans avancer d’autre argument. Arrigo BORTOLOTTI, « I manoscritti di Descartes nella seconda metà del seicento », Rivista di storia della filosofia, 1987, vol. 42, p. 675-695, en particulier p. 685-690, défend l’hypothèse qu’il s’agit de Johannes de Raey, mais il n’a aucun argument véritable.
-
[137]
Je dois cet argument à Domenico Collacciani, que je remercie vivement une nouvelle fois.
-
[138]
Jacques du ROURE, Rori doctoris Exercitationes, quibus omnes omnino scientiae, grammatice, rhetorice, philosophia, mathesis, theologia, jurisprudentia et medicina pertractantur, Paris, chez l’auteur, 1680, p. Aii recto-verso : « Neque interest tantum summorum dominantium, homines quosvis ad litteras institui : Sed ipsarum etiam Urbium, divitum quorumlibet atque honestorum, eorumve qui cum bestiis nolunt semper versari, quique vel Libros possunt commodare, vel alia. Hoc certe tuos inter Gallos a Daliberto ; non modo Cartesius, sed alii etiam, & ego ipse expertus sim. Hoc de Pereischio Senatore, scribit Gassendus. Hoc alii de aliis, in erudita quavis Europae, aut totius etiam mundi parte habitantibus, tradunt. »
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[139]
Ce liminaire doit au concours de Y. Qian-Laurent : qu’il en soit remercié.
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[140]
* Les recensions d’ouvrages ou d’articles antérieurs à 2019 sont précédées d’un astérisque (*).
Liminaires [*], [**], [***]
- I. « MRA » : Descartes, de Neuburg à Lorette, par Vincent Carraud et Olivier Chaline
- II. Des gravures de Descartes dans l’édition parisienne de L’Homme en 1664 ? par Annie Bitbol-Hespériès
- III. Actualités cartésienne et pascalienne de janvier 1670 : une lettre inédite de Maur Fouquet à Nicolas Poisson, par Maria Teresa Bruno et Vincent Carraud
- IV. Une enquête sur Jacques du Roure (suite), par Sophie Roux
- V. Les cinquante ans du Bulletin cartésien, par Jean-Robert Armogathe et Dan Arbib
I. « MRA » : Descartes, de Neuburg à Lorette
2Le colloque anniversaire de novembre 2019 [4], qui s’est tenu au château de Neuburg an der Donau et fut consacré aux mirabilis scientiae fundamenta du 10 novembre 1619 et aux trois songes de la nuit qui les suivit, a fourni l’occasion à la plupart des chercheurs de séjourner à Neuburg, ville près de laquelle Baillet situe le « quartier d’hiver » dans lequel Descartes s’est retiré depuis octobre [5]. La ville (son château, la grand-place et ses rues principales) avait été en pleine reconstruction depuis 1602, au point qu’elle a pu susciter une des premières pensées qui vinrent à Descartes dans son poêle, celle « de considérer, que souvent il n’y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces, et fait de la main de divers maîtres, qu’en ceux auxquels un seul a travaillé » et de constater « que les bâtiments qu’un seul architecte a entrepris et achevés, ont coutume d’être plus beaux et mieux ordonnés, que ceux que plusieurs ont tâché de raccommoder [6] ». Fleuron de la ville, la nouvelle église luthérienne (1607-1615) fut construite à l’initiative du comte palatin de Neuburg, Philipp Ludwig (1569-1614), d’une des branches de la ligne palatine de la maison de Wittelsbach.
3La conversion, en 1613, de son fils et héritier le comte palatin Wolfgang Wilhelm (1578-1653) fit passer le duché au catholicisme en 1617. Wolfgang Wilhelm installa les jésuites à Neuburg pour y créer un collège [7] et leur confia le nouveau programme iconographique, dirigé par les architectes d’origine tessinoise Antonio et Michael Castelli, qui transformèrent le temple en église caractéristique de la Réforme catholique, Kirche Unserer Lieben Frau, consacrée le 21 octobre 1618. Nous ne pouvons pas ici reproduire les détails de sa décoration [8] : qu’il nous suffise d’indiquer que le tableau du maître-autel fut commandé à Rubens par Wolfgang Wilhelm et que Maria Regina Angelorum est exaltée par l’ensemble des médaillons en stuc de l’église, tous ornés du monogramme « MRA » et ordonnés selon les litanies de Lorette. Les jésuites ont donc choisi de placer sous la figure de Notre-Dame de Lorette l’ensemble du programme iconographique de la Hofkirche de Neuburg an der Donau, juste achevé quand Descartes y arriva. Rien d’étonnant donc que, dans « l’embarras dans lequel il se trouva » après ses songes nocturnes, Descartes y forma « le vœu d’un pèlerinage à Notre-Dame de Lorette [9] ».
4Vincent CARRAUD et Olivier CHALINE (Sorbonne Université)
II. Des gravures de Descartes dans l’édition parisienne de L’Homme en 1664 ?
5Dans sa Préface à la publication parisienne du traité de L’Homme, en 1664, avec la Description du corps humain (sous le titre : Traité de la formation du fœtus), Clerselier affirme que les figures de l’édition latine de 1662 du De Homine par Florent Schuyl comportent « quelques défauts », sans fournir de précision et après avoir reconnu qu’elles « l’emportent sans doute de beaucoup sur celles » qu’il a « fait mettre ». Clerselier rappelle avec justesse que « M. Le Roy », autrement dit Henricus Regius, était le mieux placé pour contribuer à la réalisation des figures de L’Homme, raison pour laquelle il avait sollicité son aide en avril 1659, mais Regius avait décliné cette proposition. De fait, les ouvrages publiés par Regius, notamment Fundamenta physices puis Philosophia naturalis comportent des gravures anatomiques et s’inspirent aussi des illustrations figurant dans les traités de Descartes : Dioptrique, Météores et Principia, ce que n’ignorent ni Schuyl ni Clerselier. Les gravures de qualité présentées par Schuyl avec leur traduction latine s’inscrivent dans la continuité de l’anatomie issue de la rénovation vésalienne, source explicite des connaissances revendiquées par Descartes au moment où il rédige L’Homme [10]. Fidélité de Schuyl aussi, en raison de la proximité textuelle, avec les figures reprises de la Dioptrique et réalisées par Frans van Schooten fils ou junior (Jr), peintre et mathématicien.
6Clerselier expose ensuite le « récit » ou « l’histoire » des figures qu’il a fait tracer pour son édition de L’Homme. Il a confié deux copies du traité, l’une à M. van Gutschoven, professeur à Louvain, et l’autre à M. de La Forge, docteur en médecine à La Flèche [11]. Les dessins réalisés par Gutschoven et La Forge ont été vus par Christian Huygens (élève de van Schooten Jr) lors de sa rencontre avec Clerselier, le 17 février 1661. Huygens a témoigné de la préférence de Clerselier pour celles réalisées par Gutschoven « qui étaient mieux faites [12] ». Cette préférence est inscrite dans la Préface à l’édition de L’Homme, où Clerselier précise que ces figures « étaient mieux dessinées que les autres ». Comme dans l’édition latine, mais avec moins de précisions anatomiques, la plupart des figures illustrant les explications de Descartes sur le sens de la vue sont directement inspirées de celles que Frans van Schooten Jr avait tracées pour la Dioptrique, Discours 3, 5 et 6, ainsi par exemple, p. 47 dans le De Homine (Fig. XVI), et p. 42 dans l’édition parisienne de 1664. Regius s’était déjà inspiré des figures de la Dioptrique dans les Fundamenta physices de 1646, chap. XII. Une figure de L’Homme porte la lettre D qui signale son attribution à Descartes et elle diffère de la figure VIII de l’édition Schuyl du De Homine.
7Avant d’en venir à celle marquée D, dans l’édition Clerselier de 1664, une autre figure doit retenir notre attention : la figure sur la musique et les sons « accordants ou discordants ». En effet, cette figure est différente dans L’Homme (éd. 1664, p. 36), de ce qu’elle est dans l’édition originale du De Homine où, insérée p. 43, elle porte le numéro XIV. L’écart existant entre les deux figures relatives à la musique semble d’autant plus surprenant qu’à la fin de sa Préface Florent Schuyl, « professeur de philosophie à Bois-le-Duc » (Hertogenbosch), indiquait que la figure de la p. 43 (fig. XIV), comme celle de la p. 25 (fig. VIII), sont de « de la main de » Descartes [13]. La figure XIV ne fait l’objet d’aucun commentaire de Clerselier dans sa longue Préface. Elle ne suscite aucune Remarque de La Forge dans son bref commentaire sur l’ouïe, et son texte passe de la p. 35 à la p. 50 [14]. L’édition AT (XI, 150) ne signale rien non plus. La note de F. Alquié est un mode d’emploi de l’illustration de 1664 [15]. Le Compendium musicæ, non publié pendant la vie de Descartes, comporte des figures, relatives aux consonances, à l’octave, « première consonance », et au « catalogue général de toutes les consonances [16] », puis aux dissonances [17], mais la trace du manuscrit original a été perdue [18]. S’agissant de l’exactitude des deux figures, il apparaît que seule l’illustration de la p. 43 du De Homine est exacte, montrant la division de la corde F dans un ton majeur [19], comme l’a écrit R. Rasch, dans une note à la traduction néerlandaise du Monde et de L’Homme [20]. Venons-en maintenant à l’autre figure, affectée de la lettre D et attribuée à Descartes.
8À la fin de sa Préface, Schuyl signalait que Pollot, avec la copie du manuscrit, lui avait remis « deux figures tracées assez grossièrement de la main de Monsieur Descartes » : la figure XIV dont il vient d’être question, et une autre figure, légendée VIII en marge et représentée en bas à gauche de la p. 25 de l’édition du De Homine [ill. n°1]. Cette seconde figure est la seule à être donnée comme étant de la main de Descartes dans l’édition Clerselier où elle s’inscrit à la p. 17 [ill. n°2]. Elle est plus élaborée que celle de l’édition Schuyl et illustre le passage, en AT XI 132-137, sur le mouvement « antagoniste » des muscles de l’œil, comme le qualifient Clerselier et La Forge, après Schuyl. Ce mouvement est permis par la circulation des esprits animaux dans les ramifications du nerf intérieures aux muscles et par le jeu des valvules que Descartes a supposées (à tort) dans les nerfs, sur le modèle des « petites portes » dans les veines découvertes par Fabricius d’Acquapendente et dont le Theatrum anatomicum de Caspar Bauhin a diffusé la découverte sous le nom de valvules [21]. Ce mouvement « opposé » des muscles a été traité par Regius, qui s’inspire largement de Descartes depuis les thèses de 1641, réunies sous le nom de Physiologia et à partir desquelles se développent les Fundamenta Physices de 1646. C’est à propos de cet ouvrage que Descartes signale à Mersenne, le 5 octobre 1646, les nombreux emprunts faits par Regius aux Principia, à la Dioptrique et aux Météores, et « ce qu’il a pu avoir par voies indirectes », ce que Descartes regrette. Ce dernier affirme son désaccord sur la métaphysique exposée par Regius [22], qu’il confirme à Colvius le même jour, en ajoutant ses réserves sur « les choses que Regius a mal comprises, comme particulièrement ce qu’il répète deux fois touchant le mouvement des muscles, qu’il a tiré » – comme Descartes « l’imagine » – d’un « écrit » qu’il n’a « pas encore publié » dont Regius a eu « sans doute une copie imparfaite et sans figures », raison pour laquelle il a « mal compris [23] ». Le 23 novembre 1646, Descartes précise à Mersenne des points de désaccord avec Regius sur la métaphysique et revient sur la façon dont Regius lui a emprunté « l’explication du mouvement des muscles » qu’il qualifie de « belle pièce ». Descartes redit que Regius a mal compris, que sa figure est « fort mal » faite, faute d’avoir vu la sienne [24]. En mars 1647, Descartes déconseille à Élisabeth de lire l’ouvrage de Regius, exprime les plus expresses réserves sur sa métaphysique après avoir redit son regret que Regius ait pu obtenir une copie du texte à son insu. Descartes revient sur l’inexactitude de l’explication du mouvement des muscles que Regius « répète deux fois, de mot à mot [25] ». Regius l’explique effectivement à deux reprises : d’abord au chapitre X, dans la partie sur le mouvement volontaire chez les êtres vivants (De animalibus) puis au chapitre XII consacré à l’être humain (De homine) [26]. Descartes avait fait intervenir le fonctionnement défectueux des valves des nerfs dans le déclenchement de la convulsion dans la lettre à Regius de décembre 1641 [27]. C’était après la publication du Discours de la méthode, où les valves des veines sont une des preuves de la circulation du sang démontrée par Harvey et à laquelle Descartes s’est rallié [28]. La démonstration de la fonction des valves des veines par Harvey est d’imposer un sens au trajet du sang, ce qui exclut la possibilité d’un retour. Regius a inséré un schéma des valves des veines dans son chapitre sur la circulation du sang [29], qu’il approuve après et d’après Descartes, depuis la Physiologia [30].
9Alors, comment comprendre les erreurs dans les figures des Fundamenta physices sur le mouvement des muscles de l’œil ? Descartes dit à Mersenne et à Élisabeth que Regius n’a « point vu sa figure », mais il fournit à Élisabeth une précision capitale : Regius n’a pas compris toute son explication parce que le « principal » est que « les esprits animaux qui coulent du cerveau dans les muscles ne peuvent retourner par les mêmes conduits par où ils viennent [31] ». Cette impossibilité tient au rôle des valvules après l’adhésion de Descartes à la circulation du sang. Il peut donc paraître surprenant que Regius, rallié à la circulation du sang, ait commis l’erreur de faire remonter les esprits animaux d’une branche du nerf vers l’autre avec l’ouverture de la valvule [32]. Regius a-t-il mal lu, sur les muscles antagonistes de l’œil la copie de L’Homme qu’il a eue entre les mains ? Cette copie correspond-elle aux textes latin et français dont nous disposons ? Regius n’a pas mal lu, mais il a extrapolé à partir du texte de Descartes et il s’est précipité pour rassembler le maximum d’éléments dans son traité sans bien voir qu’ils étaient incompatibles, simplement parce que les copies de L’Homme qui circulaient aux Pays-Bas, et qui ont servi de base au texte qui nous est parvenu [33], attestent d’un état des recherches médicales de Descartes pour l’essentiel antérieur à sa lecture de Harvey. Le traité de Regius témoigne aussi de la difficulté de saisir l’ensemble des conséquences d’une découverte aussi considérable que celle de la circulation du sang.
10Revenons maintenant à la figure marquée D, dans l’édition parisienne de 1664, après avoir noté qu’elle devient la seule attribuée à Descartes dans la suite de la préface de Clerselier, qui avait pourtant signalé, au début « quelques figures de M. Descartes, que M. Pollot » avait données à Schuyl et que ce dernier lui avait transmises. Clerselier affirme qu’il l’a réalisée à partir d’un « essai qu’avait autrefois griffonné M. Descartes », que tout autre que lui « aurait jeté au feu, tant il est petit, déchiré et défiguré ». Clerselier ajoute : « La figure […] au bas de laquelle il y a un D est une copie de ce brouillon de M. Descartes [34] ». Un faisceau d’indices permet de douter de cette affirmation, d’autant que La Forge, qui commente longuement les figures des pages 16-17 dans ses Remarques, n’évoque pas l’attribution de l’une d’entre elles à Descartes [35]. La même remarque vaut pour Huygens qui ne cite aucune figure de Descartes après sa rencontre avec Clerselier, qui lui a montré celles de Gutschoven et de La Forge [36].
11Cette illustration des muscles antagonistes de l’œil est liée à la figure VIII, p. 25 de l’édition latine de 1662, où s’inscrit en italiques son attribution à Descartes : « Figura musculi secundum autographum Des Cartes delineata » [ill. n°1]. Si l’on peut admettre que Descartes ait pu dessiner la figure qui lui est attribuée dans l’édition latine, en revanche, il paraît difficile d’admettre que Descartes ait pu réaliser celle de l’édition française, tant l’écart est grand entre elle et le dessin de l’édition latine, comme entre elle et les illustrations quasi idéographiques sur le feuillet qui se déplie et qui est inséré après la p. 634 dans AT XI. La figure attribuée à Descartes dans l’édition Clerselier de 1664 est liée aux deux gravures de Gutschoven (G) qui la précèdent, comme l’indique la note marginale : « cette figure et les deux suivantes servent toutes trois au même discours et y peuvent être appliquées » [ill. n°3]. Outre le fait que Descartes ne savait pas dessiner, il faut tenir compte des précisions apportées dans la Préface. Clerselier signale qu’« il a fallu en quelque façon deviner [l]a pensée » de Descartes, « en confrontant ce brouillon avec le texte, tant il est mal dessiné. Et ce qui m’a donné le plus de peine, est que M. Descartes ne parlant dans son Traité que de deux replis pour chaque valvule, il semble en avoir représenté trois dans ce projet de figure. Mais enfin, considérant la chose de plus près et pénétrant dans la pensée qu’il pouvait avoir lorsqu’il traçait ce brouillon, j’ai jugé que ce que je prenais au commencement pour un troisième repli, n’est rien autre chose qu’un petit crochet, qui sert seulement d’appui aux esprits qui descendent du cerveau, pour faire baisser le repli auquel il est attaché & ouvrir ainsi un plus libre passage aux esprits pour aller d’un muscle dans l’autre. […] En quoi je trouve que Messieurs de Gutschoven et de la Forge ont mieux rencontré que Monsieur Descartes même et que la disposition qu’ils ont donnée à la valvule et à ses deux replis est plus conforme au texte, et le jeu de la valvule plus aisé à comprendre [37] ». Clerselier n’est jamais à court d’arguments pour défendre Descartes. Dans cette Préface, il faut, de plus, être attentif au parallèle qui existe entre le prétendu dessin original et le prétendu manuscrit « original ». Clerselier utilise les mêmes arguments dans les deux cas. Au sujet du texte, il affirme : « l’original que j’ai, et que je ferai voir quand on voudra », et à propos du dessin au brouillon, il écrit : « Je le garde pour le faire voir à ceux qui en auront la curiosité ». Dans les deux cas également, aucun témoignage – pas même celui de La Forge – ne nous est parvenu au sujet de la consultation de l’un ou l’autre de ces documents. Par conséquent, nous voyons un effet de surenchère de la part de Clerselier vis-à-vis de la gravure dans l’édition Schuyl, avec prise en compte de la source fournie par le traité de Regius, connu de Descartes puis des éditeurs et des illustrateurs de L’Homme. Clerselier aurait inventé l’existence de ce dessin de Descartes comme il s’est vanté de détenir un original de L’Homme, après avoir lu dans l’Académie de Montmor, le 13 juillet 1658, une lettre de Descartes dont il était l’auteur [38].
12Les illustrations proviennent de la BIUS (Bibliothèque Interuniversitaire de Santé) à Paris, que nous remercions.
13Si aucune trace de L’Homme n’existe dans les Inventaires dressés après la mort de Descartes, c’est que ce texte, point de départ des recherches médicales de Descartes et modifié avant d’être abandonné, était devenu caduc après la publication du Discours et de la Dioptrique. Il l’était pour deux raisons étroitement liées : (1) parce que l’évocation de L’Homme dans le Discours n’est pas un résumé fidèle de son contenu, (2) parce que Descartes a redistribué, entre le Discours et la Dioptrique, et en les approfondissant, les thèmes inaugurés lors de la rédaction de L’Homme. Descartes a aussi ajouté, dans le Discours, des thèmes majeurs de son œuvre : son approbation élogieuse de la circulation du sang démontrée par Harvey (en signalant son désaccord avec le médecin anglais sur le mouvement du cœur) et son énoncé de la différence entre les êtres humains et les animaux. Quant à l’abandon du texte, sa raison est exposée dans les lettres à Mersenne du 23 novembre 1646 et à Élisabeth du 31 janvier 1648. Descartes y évoque, à plus d’un an d’écart et dans les mêmes termes, ce qu’il avait « brouillé, il y a douze ou treize ans [39]» et montré à Élisabeth. Aux deux correspondants, il évoque les copies du texte, sans parler de gravure, et précise à Mersenne « qu’il y a cinq ou six ans » il a prêté le texte à un « intime ami », qui en a fait une copie, transcrite ensuite par deux autres, sans qu’il les ait « relues ni corrigées ». Il confie au Minime qu’il aurait « beaucoup de peine à le lire », puis à la princesse, qu’il s’est « cru être obligé de le mettre au net, c’est-à-dire de le refaire ». Cet « autre écrit » concerne « la description des fonctions de l’animal et de l’homme » et Descartes explique qu’il a repris ses expériences d’embryologie : « Et même je me suis aventuré, (mais depuis huit ou dix jours seulement) d’y vouloir expliquer la façon dont se forme l’animal dès le commencement de son origine [40]». Ce nouveau texte est la Description du corps humain mentionné dans l’Inventaire dit de Stockholm et l’on sait que Descartes avait fait transporter dans la capitale suédoise ses textes les plus importants. La Description est une version complétée (1) de L’Homme avec le thème de la génération, sur lequel insiste Clerselier, et (2) du Discours et des Passions sur la relation à Harvey.
14Un dernier point doit être précisé, celui du statut de l’anatomie dans l’édition parisienne de 1664 par rapport à celle de 1662. Dans sa Préface, Clerselier écrit en outre, au sujet des figures : « Pour ne rien omettre de ce qui peut servir à instruire le lecteur, je dirai ici que si les figures ne ressemblent pas au naturel, il ne faut pas s’en étonner, puisque l’on n’a pas eu dessein de faire un livre d’anatomie, qui fît voir exactement comment les parties du corps humain sont faites, et le rapport ou proportion qu’elles ont entre elles, mais seulement d’expliquer par leur moyen ce que M. Descartes avance dans son livre, où il ne parle le plus souvent que de choses qui ne tombent point sous les sens, lesquelles il a fallu rendre sensibles, pour faire qu’elles devinssent intelligibles. Mais il n’y a rien de plus aisé que de les remettre dans le naturel et de les concevoir comme elles sont, après les avoir ainsi considérées autrement qu’elles ne sont [41] ».
15Ce paragraphe important de Clerselier n’a pas reçu l’attention qu’il méritait. Notons d’abord que Clerselier s’oppose ainsi, de manière implicite, à Schuyl, qui reproduit, au verso de la p. 5 du De Homine une première planche anatomique du cœur et de ses vaisseaux, entouré des lobes pulmonaires [ill. n°4] Cette illustration précise du cœur, où les oreillettes sont peu individualisées, puisqu’elles sont alors présentées comme les renflements des vaisseaux les plus importants : la veine cave et l’« artère veineuse », « mal nommée », puisqu’il s’agit de la veine pulmonaire [42], porte le n° I. Cette planche anatomique est reprise ensuite et précisée dans le premier feuillet mobile, intercalé entre les pages 8 et 9 [ill. n°5]. Ce feuillet se déplie et montre un cœur aux parois ventriculaires sectionnées, laissant apercevoir, de chaque côté, sous les rabats qui se soulèvent, les valvules cardiaques, objets traditionnels d’admiration en médecine, comme en témoigne encore Gassendi [43]. Comment comprendre la réticence de Clerselier envers l’anatomie ?
16Tout en prétendant expliciter la pensée de Descartes, Clerselier prend le contrepied des textes où Descartes a abordé les questions médicales : L’Homme, le Discours, la Dioptrique, la Méditation VI, les Passions de l’âme et la Description, textes qui font appel aux « anatomistes », à l’anatomie, à la « médecine », et supposent que le lecteur ait acquis un minimum de connaissances en ce domaine. Dans son premier ouvrage publié, le Discours, Descartes déclare, avant d’expliquer le mouvement du cœur : « Et afin qu’on ait moins de difficulté à entendre ce que j’en dirai, je voudrais que ceux qui ne sont point du tout versés en l’anatomie, prissent la peine, avant de lire ceci, de faire couper devant eux le cœur de quelque grand animal qui ait des poumons, car il est en tout assez semblable à celui de l’homme, et qu’ils se fissent montrer les deux chambres ou concavités qui y sont [44] ». Les précisions fournies prouvent qu’il a lu le traité de Harvey, qui a le premier associé étude du cœur et des poumons. Descartes poursuit en décrivant les valvules (ou valves) cardiaques, dont la disposition est une preuve de la circulation du sang selon Harvey. Mais Descartes n’évoque pas l’admiration envers cette structure anatomique, contrairement à Harvey, qui continue à admirer la « fabrique » du cœur et de ses valvules dont il est le premier à démontrer la fonction. Pour Descartes, ces valvules témoignent du travail de la matière par la matière et ses forces mécaniques. À cet égard, les illustrations du cœur par Schuyl illustrent mieux le Discours et la Description que L’Homme et il ne fait aucun doute que Clerselier a eu un choc en les voyant. Contrairement au De Homine, l’édition parisienne de L’Homme ne comporte pas de gravure du cœur, de ses vaisseaux et de ses valvules. La silhouette du cœur apparaît uniquement dans un schéma p. 9, repris p. 10. Or, une planche du cœur avec ses valvules, en suivant le cours d’une dissection habilement conduite comme le fait Schuyl, semble plus indispensable encore dans une publication qui joint L’Homme à la Description du corps humain. Dans ce « second traité », le cœur, ses valvules, son mouvement et la circulation du sang sont des thèmes fondamentaux, liés à la relecture par Descartes du traité de Harvey de 1628, mais cette question primordiale est masquée par le changement de titre imposé par Clerselier (La Description devenant Traité de la formation du fœtus), par sa Préface et par les Remarques de La Forge.
17Comme au début des Passions, le début de La Description consacre l’importance de l’anatomie dans les explications cartésiennes. Descartes y dénonce l’« erreur », issue de l’enfance et de « l’ignorance de l’anatomie et des mécaniques » de croire que « l’âme est le principe de tous » les mouvements [45]. L’association entre anatomie et mécanisme est garante du dualisme cartésien. Comme dans les Passions, Descartes cite le nom de Harvey et critique ceux qui « sont si attachés à leurs préjugés ou si accoutumés à mettre tout en dispute qu’ils ne savent pas distinguer les raisons vraies et certaines d’avec celles qui sont fausses et probables [46] ». Il est clair que la longue Préface de Clerselier, le choix des figures, éloignées de la tradition anatomique dont se réclame Descartes et l’abondante annotation de La Forge, ont pour but de masquer l’importance du cœur et de sa chaleur alimentée par la circulation du sang, thème fondamental de l’œuvre de Descartes. Il en va de même pour le recours de Descartes aux sources récentes : d’abord « Vésale et les autres », ensuite Harvey. Or la référence à l’inventeur de la circulation du sang, fondamentale dans la Description, est gommée dans la Préface de Clerselier qui accorde à L’Homme un privilège éditorial par rapport à La Description [47]. Certes, la Faculté de médecine de Paris refuse encore la circulation du sang en 1664. Mais il y a plus fondamental dans la stratégie éditoriale de Clerselier qui fonctionne parfaitement sur la question du mouvement, « la plus importante action que l’auteur ait eu à décrire et à expliquer ». En accord avec Clerselier, La Forge s’arrête sur le mouvement des muscles, « lequel est à [s]on jugement la fonction de tout le corps humain la plus difficile à comprendre [48] ». L’insistance sur la question prétendument la « plus importante », comporte une omission, signe d’une réticence : l’oubli de la question plus importante encore du « principe de ces mouvements », comme indiquent L’Homme et La Description, et comme le disaient déjà les textes publiés par Descartes : le Discours et les Passions. Ce qui est passé sous silence, c’est la question du « principe de vie et de mouvement », que Descartes renouvelle complètement avec son explication qui repose sur la chaleur du cœur, réduite au « feu sans lumière », qui est « le principe corporel de tous les mouvements de nos membres » (art. 8 Passions), que détaille en parallèle le début de la Description. Il est crucial de remarquer que l’annotation de La Forge, ainsi que les Préfaces de Clerselier et de Schuyl tendent à masquer un point capital des écrits de Descartes : la radicale nouveauté qu’il a introduite en médecine en imposant aux questions médicales un cadre conceptuel nouveau, celui de la systématisation du mécanisme avec le cœur et sa chaleur principe de vie. Il s’agit d’une rupture par rapport aux traités de médecine et de chirurgie, issus, d’une part, de la tradition médicale hippocratique et galénique encore vivace au XVIIe siècle, et d’autre part, de la philosophie aristotélicienne vitaliste enseignée aux médecins formés à l’école de Padoue, où Harvey a étudié. C’est cette rupture qui a été contestée lors de la Querelle d’Utrecht, inaugurée par des disputes sur la circulation du sang [49] enseignée par Regius selon la méthode cartésienne du Discours. Quant à Florent Schuyl, partisan de la « nouvelle philosophie » depuis la soutenance mouvementée de sa maîtrise de philosophie le 9 juillet 1639, sur la question de l’aimant [50], il joue la prudence vis-à-vis des théologiens en signalant sa réticence à admettre un principe de vie réduit à la chaleur du cœur, tout en prouvant dans ses gravures ses qualités d’anatomiste parce qu’il vise à obtenir son doctorat en médecine, puis le professorat de médecine [51]. Dans le contexte de la condamnation des œuvres de Descartes par les théologiens protestants puis catholiques [52], c’est aussi cette rupture que Clerselier refuse en invoquant, dans sa Préface, saint Augustin et l’âme principe de vie.
18Annie BITBOL-HESPÉRIÈS (Paris)
III. Actualités cartésienne et pascalienne de janvier 1670 : une lettre inédite de Maur Fouquet à Nicolas Poisson
19Le Fonds Adry des Archives municipales de Honfleur est bien connu des malebranchistes [53]. Or ce fonds, constitué par les manuscrits restés en possession du R. P. Jean-Félicissime Adry (1749-1818), dernier bibliothécaire de la Bibliothèque de l’Oratoire de Paris au moment de sa dispersion en 1792, est également précieux pour ses documents sur les oratoriens et pour ses lettres, comme celle de Dom Maur Fouquet à Nicolas-Joseph Poisson datée du 26 janvier 1670, que nous éditons ici pour la première fois en modernisant son orthographe (Honfleur, 15 ii 20). Une centaine de kilomètres sépare les monastères des deux correspondants et amis : l’oratorien est à Vendôme, le bénédictin à Chartres. En ce début de 1670, on peut encore être cartésien en physique [54], même si, avec Huygens, Wren et Wallis, les critiques des savants et leurs réfutations viennent de s’abattre sur les lois des chocs des corps (1669), et même si un coup fatal a été porté au refus cartésien du vide avec la publication en 1663 des Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air de Pascal, dont notre physicien mauriste a pris la défense des « petits Traités », mais dont il vient de découvrir les Pensées, à peine publiées.
20Le destinataire de cette lettre (voir ill. 6) est bien connu des cartésiens : au début de 1670, le R. P. Poisson, résidant à l’Oratoire de Vendôme, est en train d’achever son Commentaire ou remarques sur la Méthode de René Descartes [55]. Il venait de publier, en mai 1668, son édition du Discours de la méthode… plus la Dioptrique, les Météores, la Mécanique et la Musique, qui sont des essais de cette Méthode, avec des remarques et des éclaircissements nécessaires − édition sans la Géométrie donc, mais augmentée du Traité de la mécanique alors inédit et de l’Abrégé de musique, soit la première traduction française du Compendium musicae. Ce recueil, dont le détail de l’histoire éditoriale demeure épineux, fait l’objet d’un intéressant passage de la lettre qui suit, qui témoigne en outre de la proximité de Dom Fouquet avec Claude Clerselier. Poisson envisageait de rédiger un commentaire des Principes de la philosophie [56], en vue duquel peut-être la lettre énumère un certain nombre de « choses qui demandent de l’éclaircissement touchant les écrits de Monsieur Descartes… ».
21Nous disposons en revanche de très peu d’informations sur l’expéditeur de la lettre, Dom Maur Fouquet [57] : né dans le diocèse de Chartres, en 1615 ou en 1616 et mort à Chartres le 19 avril 1679, il a professé ses vœux à Vendôme en 1646 et il est devenu frère mauriste de l’abbaye bénédictine de Notre-Dame de Josaphat (aujourd’hui à Lèves, à trois km au Nord de Chartres) où il est mort en 1679. Seuls quelques manuscrits de lui ont été conservés [58]. Signalons sa contre-épreuve à l’expérience cartésienne du « surnagement » des aiguilles d’acier (sur laquelle Jacques Rohault reviendra avec les mêmes arguments en corrigeant l’explication donnée par Descartes, dans son Traité de physique, publié l’année suivante [59]) ; mais aussi le dénombrement des choses « qui demandent de l’éclaircissement » (en métaphysique, la doctrine de la libre création des vérités éternelles ; en physique, les questions les plus débattues autour des lois cartésiennes du mouvement) ; et enfin son objection à la preuve de l’existence de Dieu par les effets, formulée à partir de la Meditatio IIIa au titre de la perfection, et non pas de l’infini. Nous serons enfin sensibles au passage de la lettre consacré à Félibien ainsi qu’à celui qui mentionne les Pensées de Pascal, puisque cette lettre, écrite le 26 janvier 1670 de Chartres, témoigne d’une réception extrêmement rapide de l’ouvrage, mis en vente à la mi-janvier.
22Notre annotation à la lettre reste lacunaire : elle requiert des compléments, à commencer par une connaissance moins sommaire de Fouquet, et des recherches sur plusieurs points que la lettre révèle, comme la défense par Fouquet des Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air.
23Pour répondre à celle dont vous m’avez honoré, je vous dirai que j’approuve assez les réponses [61] que vous avez données à mon problème, mais la 1re encore plus que la 2de [62]. En voici un autre <(> Car il m’a semblé que je ferais un crime si je ne vous en proposais pas) lequel renferme en soi, si je ne suis bien trompé, une difficulté qui n’est pas petite.
24On a un vaisseau plein d’eau comme un bassin ou un plat ; on met dessus la superficie de cette eau, une aiguille d’acier à coudre suivant sa longueur et cette aiguille surnage en cherchant son midi au lieu de s’enfoncer ; on met ensuite sur la même eau une aiguille de verre, aussi pesante que celle d’acier, et cette aiguille enfonce, au lieu de surnager pendant que l’autre demeure sur l’eau : on demande d’où cela peut venir.
25Monsieur Descartes, en quelque endroit de ses écrits dont il ne me souvient pas maintenant, tâche de rendre raison du surnagement de l’aiguille d’acier, en disant que cela vient de ce que les liqueurs résistent beaucoup à la séparation de leurs parties en leurs surfaces [63]. Mais si cela est vrai pourquoi ne résistent-elles pas de la même manière à la division de leurs parties quand on met dessus une aiguille de verre [64] ?
26Entre les choses qui demandent de l’éclaircissement touchant les écrits de Mr Descartes, en métaphysique, est la dépendance que les éternelles vérités ont de Dieu [65]. En physique, sont les causes immédiates de tous les mouvements. Item qu’est-ce qui fait qu’un corps en mouvement [66] en rencontrant un autre lui communique une partie de la force qu’il a à se mouvoir, et en retient une partie pour soi ? car il me semble que cela ne se peut faire sans discernement. Item qu’est-ce que c’est que cette force que Dieu a mise en la matière afin de la mouvoir, si c’est une substance, un accident ou un mode ? [67] Item, les règles qu’il a rapportées au sujet du [68] rencontre des corps que les autres appellent mouvement de répercussion, pour deux causes : la 1re est que ces règles ne peuvent être que très inutiles, en ce qu’elles ne peuvent jamais avoir de lieu dans le monde ; la 2de est que si ces règles étaient vraies, dans l’hypothèse impossible de Mr Descartes, lorsque des corps tels qu’ils sont en la nature viennent à se rencontrer, ils imiteraient sans doute ces règles de nature [69], au lieu que l’expérience fait tout le contraire, principalement lorsqu’un petit corps en rencontre un plus gros en son chemin qui est en repos, étant très constant que le plus petit fait mouvoir le plus gros [70].
27Vous demandez quelles sont les objections principales [71]. En voici une entre plusieurs contre la démonstration de l’existence de Dieu au moyen de l’idée que nous en avons.
28Par la voie des idées de Dieu que Mr Descartes prétend que nous ne pouvons produire de nous-même, il me semble qu’il ne saurait prouver la nécessité de l’existence d’un souverain être, duquel seul cette idée qui se présente à notre esprit puisse procéder [72], puisqu’il y a en nous un fondement, lequel seul suffit pour nous faire produire cette idée, encore bien que Dieu, par impossible, n’existerait pas [73], ou quand même on ne saurait pas qu’il existât. Ce fondement consiste en ce qu’un chacun se connaissant comme une chose [74] qui pense, et ainsi apercevant en soi quelque degré de perfection, il peut juger que les autres en auront aussi, ce qui nous donne lieu d’augmenter tant que nous voudrons ces degrés, et ainsi de nous représenter l’idée d’un être souverainement parfait [75].
29Je sais bien que Mr Descartes répond à cela que, quand on dit qu’il y a en nous un fondement suffisant pour former en nous l’idée de Dieu, on n’avance rien qui soit contraire à [76] ses sentiments, et qu’il accorde encore que cette idée peut être formée par ceux qui ignoreraient qu’il y a un Dieu qui existe, mais qu’elle ne pourrait être formée si Dieu n’existait pas effectivement [77]. Or je sais bien aussi qu’on lui peut démontrer suivant ses principes qu’il y aurait en nous un fondement suffisant pour former l’idée de Dieu, quand bien par impossible Dieu n’existerait pas, car si Dieu n’existait pas, nous ne laisserions pas de pouvoir douter de toutes choses ainsi que nous faisons à présent, et en suite de ce doute, de pouvoir dire je doute donc je suis, et ainsi de connaître très clairement et distinctement que l’on existe, et que l’on est une chose connaissante qui n’est pas une petite perfection, [en marge : Med. 2de] sed quid igitur sum ? Res cogitans. Quid est hoc ? Nempe dubitans, <intelligens, > affirmans, negans, volens, nolens, imaginans quoque et sentiens. Non pauca <sane> sunt haec, si <cuncta> ad me pertineant. Sed quidni pertinerent ? Nonne ego ipse sum qui jam dubito fere de omnibus, qui nonnihil tamen intelligo, qui hoc unum verum esse affirmo, nego caetera, cupio plura nosse, nolo decipi [78], etc. [79] Cette je ne sais quelle perfection qu’un chacun de nous en raisonnant de la sorte peut reconnaître en soi, est ce que j’appelle un fondement suffisant pour produire une idée de l’être souverain quand même, par impossible, cet être n’existerait pas : car, en faisant un peu de réflexion sur le raisonnement que je viens de rapporter, qu’est-ce qui pourra empêcher celui qui l’a fait de dire : si c’est une imperfection grande de douter quasi de tout, et si c’est au contraire une perfection de connaître, pour peu que ce soit clairement et distinctement, ce sera sans doute une plus grande perfection de connaître beaucoup de choses clairement et distinctement ? Et s’il peut aller jusque là, qui pourra l’empêcher de dire que ce sera une souveraine perfection que de connaître clairement et distinctement toutes choses ? que si c’est imperfection de douter, c’est une souveraine perfection que de ne douter ? que si c’est quelque perfection de vouloir n’être pas trompé, certainement c’est une souveraine perfection de ne pouvoir être trompé, et ainsi du reste ? Et pourquoi ne pourra-t-il pas après cela rassembler en un même être toutes ces souveraines perfections, et ainsi se former l’idée d’un souverain être.
30J’ai encore plusieurs arguments de cette force, mais celui-là suffit, je suis déjà trop long. Notre Monsieur Félibien est celui qui a imprimé les Vies des peintres [80] et beaucoup d’autres ouvrages semblables, à quoi j’ajoute, à la grande confusion de tous ceux qui se croient bien savants pour savoir un peu de grec et de latin, c’est que celui-ci est fort habile homme sans avoir connaissance d’autre langue que l’italienne [81] et de la française. C’est un très honnête homme qui a département dans le Louvre, bouche à cour [82] et cinq cents écus d’appointement du Roi duquel il est fort connu, jusque là que cette majesté s’abaisse quelquefois jusqu’à l’aller voir en son département pour considérer ses travaux. Je lui ai fait civilité de votre part, et il m’a paru se tenir beaucoup honoré du bon souvenir que vous avez de lui. Il a pris la peine de venir ici [83] exprès pour me témoigner qu’il souhaitait fort que je vous assurasse qu’il tiendrait toujours en grande faveur la connaissance d’une personne de votre mérite, qu’il vous écrirait volontiers pour vous faire paraître la sincérité de ce sentiment s’il savait que vous le dussiez avoir pour agréable [84]. Vous voyez mieux que moi ce que cela demande. Je me tiendrai heureux de servir de médiateur pour lier une si belle amitié.
31Je vous demeure trop obligé de ce que vous dites que vous déférez assez à mon sentiment et ce d’autant plus que je n’en fais aucun cas. Mais si cela est comme vous le dites, ressouvenons-nous toujours, je vous en prie, du mot de cet ancien poète, novum prematur in annum. Les remarques que vous avez faites sur le petit traité des mécaniques de René Descartes [85] sont cause que j’ai laissé échapper ce mot, vous m’entendez assez [86]. Si vous le trouvez bon, j’enverrai à Mr Clerselier des réponses aux deux remarques où vous ne suivez pas les pensées de Mr Descartes, afin qu’au moins on voie les raisons de Mr Descartes, soit pour traiter du levier après les autres machines [87], soit pour dire que le poids pèse davantage en A à cause du plus grand espace qu’il a à parcourir [88]. Et je vous écrirai mes pensées sur votre façon d’expliquer si vous me faites paraître que vous l’agréez. Pour ce qui est du traité de la musique, puisque vous en avez fait une version [89], il fallait selon toutes sortes de raisons faire imprimer en français le discours que vous avez fait à sa recommandation. Que si [90] vous vouliez faire part au public de la pièce latine en laquelle les règles de l’école ne sont pas mal observées [91], il fallait aussi avoir fait imprimer le [92]traité de la musique en son original latin [93], car c’est une chose sans exemple de faire imprimer un auteur en une langue vulgaire et d’y ajouter des observations en une langue supérieure comme la latine [94].
32Nous [95] avons en cette ville [96] le livre des Pensées sur la religion de Mr Pascal. Il y a des choses fort belles [97]. Notre Rd père prieur [98] a envoyé à Paris quelques grimauderies que j’ai faites pour la défense des petits traités de l’équilibre des liqueurs [99] de cet illustre, on l’a mis il y a déjà du temps entre les mains de quelqu’un de ces Messieurs ses amis, afin qu’il subisse leur rigoureux examen. Si j’avais été proche de vous il aurait passé par vos mains il y a bien du temps.
33Ce me serait un contentement indicible si je pouvais demeurer aussi près de vous qu’est le monastère de Vendôme [100]. Mais il y a mille causes qui m’éloignent de penser à cette demeure-là. Si j’y demeurerai ici, et partout ailleurs, je serai toujours de tout mon cœur,
IV. Une enquête sur Jacques du Roure (suite)
35Le précédent numéro du Bulletin cartésien a bien voulu publier les premiers éléments d’une enquête toute historique sur Jacques du Roure [103]. La fortune m’ayant initialement souri, je me suis obstinée – avec plus ou moins de bonheur – à explorer laborieusement les quelques pistes encore ouvertes. Les premiers faits que cette obstination m’a permis de découvrir s’appuient sur deux lettres qui se trouvent dans les Archives départementales de l’Ardèche et touchent à la formation jésuite de Jacques du Roure. J’établis ensuite qu’il est l’auteur de deux traités d’anatomie et de médecine d’inspiration cartésienne usuellement attribués à Henry-Louis Rouvière, La Physique d’usage et le Nouveau cours de médecine. Je montre finalement qu’il est vraisemblablement l’éditeur de la première édition du Monde de Descartes. Il ne s’agit que de faits biographiques et textuels : j’explorerai les conséquences de ces faits quant à l’interprétation qu’on doit donner de l’œuvre de Jacques du Roure dans un article ultérieur.
1. La formation jésuite de Jacques du Roure
36Ayant établi que Jacques du Roure était l’oncle d’Antoine du Roure, chef de la révolte du même nom, j’avais conclus la saison précédente en citant une lettre non datée que l’oncle aurait envoyée à son neveu, du moins selon la retranscription qu’en donnait Raoul de Vissac [104]. Je l’avais laissé entendre, non seulement le halo manifestement un peu enjolivé, voire franchement romancé dont R. de Vissac entourait cette lettre m’intriguait – il imaginait par exemple qu’elle avait été lue à voix haute dans le cercle de la famille du Roure juste avant le déclenchement de la révolte de 1670 –, mais les contradictions que je relevais entre les différents éléments de datation interne qu’on pouvait tirer de cette lettre me laissaient perplexe. Ayant localisé et consulté le document original, sans le reprendre entièrement, je me contenterai d’indiquer les principaux éléments transformés ou omis par R. de Vissac, et de préciser les conclusions qu’on peut tirer de l’ensemble [105].
37(1) Contrairement à ce qu’affirmait R. de Vissac, la lettre de Jacques du Roure n’est pas adressée à son neveu, mais à son frère. Si la lettre avait été adressée à son neveu, un élément de datation était qu’il était invraisemblable que l’oncle s’adresse à son neveu comme au chef de famille avant la majorité de ce dernier, et même avant la mort de son frère, qui se situe entre 1658 et 1664. Cet élément de datation disparaissant, puisque Jacques du Roure s’adresse à son frère, il reste un autre élément de datation : il est question d’une thèse dédiée à l’abbé d’Ainay, Camille de Neufville de Villeroy (1606-1693), sans pourtant que ce dernier soit désigné comme archevêque de Lyon, une fonction éminente qu’il occupe à partir du 26 mai 1653. La lettre ayant été écrite à la fin de l’été, on en conclut qu’elle a été écrite au plus tard à la fin de l’été 1652.
38(2) R. de Vissac retranscrivait, en affirmant, sans donner quelque preuve que ce soit, que le livre en question était l’Abrégé de la vraye philosophie (1665) : « Je vous envoye mon livre et je ne doute point qu’on ny doive remarquer plus de travail que d’industrie. » En fait, le passage de la lettre est le suivant, les italiques désignant ce qui a été supprimé ou modifié par R. de Vissac : « Je suis à la fin de mon livre, il ne doute point qu’on ny doive remarquer plus de travail que d’Industrie. Vous le verrez s’il plait à Dieu dans peu de temps. » Si R. de Vissac affirmait que le livre en question était l’Abrégé de la vraye philosophie, c’était sans doute pour rapprocher cette lettre autant que possible de la révolte de 1670, et cela l’a amené à présenter ce qui était dans la lettre un livre en passe d’être achevé comme un ouvrage déjà imprimé. En réalité, étant donné que, comme je viens de l’établir, cette lettre est datée au plus tard de la fin de l’été 1652, le livre que Jacques du Roure est en train d’achever est sans doute son tout premier livre, La physique expliquée selon le sentiment des anciens et nouveaux philosophes : et principalement de Descartes, dont le privilège date du 19 mai 1653. Quant aux ouvrages qui l’accompagnaient, ce sont des exemplaires de la thèse que Jacques du Roure avait soutenue ou fait soutenir.
39(3) Finalement, R. de Vissac omet une série d’indications dont, jusqu’à présent, je n’ai rien pu tirer. Il est question d’un procès engagé par M. Brunel, qui signale par ailleurs à Jacques du Roure que les jésuites du Puy manigancent contre lui : je n’ai pu trouver ni qui était ce M. Brunel ni ce qu’avaient été les manigances des jésuites du Puy. Juste après avoir mentionné que celui qui a soutenu une thèse de philosophie vient de quitter les Jésuites, Jacques du Roure écrit : « C’a été en defaut de Mr Baussier qui differa trop son retour » : je n’ai pu identifier ce M. Baussier. Finalement, la fin de la lettre comprend non seulement un « rôle des dépenses » que Jacques du Roure a engagées à Lyon pour lui-même et pour différents membres de la famille, à commencer par son frère Claude qui se trouve alors à Lyon avec lui, mais aussi un bref récit des tentatives qu’il a faites pour obtenir quelques nouvelles d’une ancienne connaissance de son père, le baron de Vaux.
40Les Archives départementales d’Ardèche détiennent de surcroît une seconde lettre de Jacques du Roure, qui n’est pas mentionnée par R. de Vissac. Le corps de cette lettre, quant à elle adressée à son père et datée de Cahors le 29 mars 1645, comprend un développement assez banal sur le bon usage que son père, alors malade, doit faire de ses douleurs physiques et de ses peines corporelles : étant envoyées par Dieu, elles ne constituent des maux qu’en apparence. Le plus intéressant d’un point de vue biographique est un post-scriptum qu’on lit après la signature : « Nôtre R. P. Provincial a disposé de moy pour Tournon, et suivant la lettre qu’il en avoit recuë de Rome il m’a commandé de passer à Aubenas. Pour ce voyage il vous plaira de faire conduire icy un cheval, ou si vous voulez que i’en prenne à loüage de m’envoyer de l’argent ou par Toloze l’adressant au P. Lascombes procureur de nôtre province, ou par le St Esprit puisque le courrier y passe, et que mon beau-frere de st Remeze y a, comme ie crois, assez des connoissances. Je pourray partir d’icy à la mse Dame de septembre ou pour plus tard à la Ste Croix. Mais d’icy a quelque temps i’ecriray à mon Frere sur cette derniere chose plus assurément. »
41Ce post-scriptum indique donc que Jacques du Roure était jésuite en septembre 1645, lorsqu’il entreprit, sur l’ordre du Provincial de Toulouse, un voyage le menant du collège jésuite de Cahors au collège jésuite de Tournon, en passant par le collège jésuite d’Aubenas, ce qui lui permit sans doute de rendre visite à sa famille. Dans la mesure où, dans les actes notariaux de ce même fonds d’archive, il est désigné comme « jésuite » dans un acte du 4 avril 1640, mais comme « prestre, docteur es Sainte théologie » dans un acte du 28 décembre 1647, et, finalement, comme « prêtre » dans des actes du 17 décembre 1657 et du 10 novembre 1659, il a vraisemblablement cessé d’être jésuite en 1646 ou en 1647. C’est donc sans doute de lui qu’il est question dans la première lettre lorsqu’il est écrit : « Je vous envoye assez des Theses [la suite précise qu’il s’agit de thèses de toute la philosophie dédiées à l’abbé d’Ainay] pour en donner à tous nos amis, et particulièrement aux Religieux et aux Messieurs de Privas. Ce qui fâchera les Jesuistes, c’est que celuy qui les a soutenuës les a quittez depuis peu de temps. »
42Le post-scriptum de la lettre du 29 mars 1645 conduit de surcroît à supposer que Jacques du Roure a fait au moins une partie de ses études à Cahors, éventuellement à Toulouse. Jusqu’à présent, je n’ai pu le confirmer. Étant donné que le titanesque Répertoire des Étudiants du Midi de la France de Patrick Ferté décrit le parcours des étudiants selon leurs diocèses de naissance et que le diocèse de Viviers, dont dépendait la paroisse de La Chapelle-sous-Aubenas où est né Jacques du Roure, ne fait pas partie des territoires pris en considération, il n’est pas étonnant qu’on ne rencontre pas le nom de ce dernier dans les sept volumes de ce Répertoire [106]. On ne le trouve pas non plus dans les registres que l’université de Toulouse a conservés de ses étudiants, soit qu’ils présentent les listes de bacheliers, licenciés ou docteurs dans les différentes disciplines, soit qu’ils rassemblent les certificats d’études alors connus sous le nom de « testimoniales [107] ». Il reste à examiner les registres équivalents pour l’université de Cahors, qui sont les plus prometteurs étant donné ce que Jacques du Roure écrit dans la lettre du 29 mars 1645 : contrairement à ceux de Toulouse, ils n’ont cependant pas encore été numérisés, et je n’ai évidemment pu les consulter sur place dans la période d’immobilisation forcée que nous traversons [108]. Quant aux premiers sondages que des collègues et des bibliothécaires ont bien voulu faire à ma demande dans l’Archivum Romanum Societatis Jesu, ils n’ont rien donné [109].
43La pérégrination de Jacques du Roure d’un collège à un autre est très classique dans l’éducation d’un jésuite. Le collège de Tournon où il est envoyé avait connu ses heures de gloire à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, au point de s’être fait octroyer des lettres patentes lui permettant de délivrer des grades de théologie en 1622. Les universités de Valence, Cahors et Toulouse répliquèrent en obtenant en 1623 un arrêt du Parlement de Toulouse interdisant à ce collège de prendre le nom d’université et de procéder à la collation des grades ; les jésuites s’étant pourvu devant le Conseil du Roi, suscitant au passage la constitution d’une coalition de douze universités contre eux, l’arrêt du Parlement de Toulouse fut confirmé en 1626. Mais, malgré tout, le fait est que le collège de Tournon continua tout au long du siècle d’accueillir les jésuites de la province de Toulouse qui étudiaient la philosophie et la théologie [110]. Jacques du Roure pourrait donc avoir fait ses années de théologie à Tournon puis obtenu le grade de docteur en théologie dans une université voisine, par exemple à Valence [111]. Tout cela dit, il reste bien des zones d’ombre sur la formation de Jacques du Roure et sur sa brève carrière jésuite. Dans quelles circonstances a-t-il quitté la Compagnie de Jésus et quel a été le rôle des jésuites du collège du Puy dans cet événement [112] ? Dans quelle université a-t-il obtenu son doctorat de théologie et était-il alors encore jésuite ? A-t-il jamais été jésuite au sens plein et entier du terme ou bien a-t-il interrompu avant son terme le long parcours qui était de rigueur dans la Compagnie, par exemple en n’étant pas admis à prononcer le quatrième et dernier vœu par lequel les jésuites s’engageaient à accomplir les missions que leur donnerait le Pape ? Ces questions sont encore ouvertes. Il n’est pas sûr qu’elles reçoivent jamais une réponse.
2. Jacques du Roure, auteur de la Physique d’usage (1664, 1666) et du Nouveau cours de médecine (1669, 1683)
44Les deux premiers ouvrages publiés par Jacques du Roure, La physique expliquée suivant le sentiment des anciens et nouveaux philosophes, et principalement de Descartes (Paris, chez l’auteur, 1653) et La philosophie divisée en toutes ses parties établie sur des principes évidents et expliquée en tables et par discours, ou particuliers, ou tirez des anciens et des nouveaux auteurs et principalement des peripateticiens et de Descartes (Paris, Thomas Jolly et François Clouzier, 1654) ne sont pas étonnants seulement parce qu’ils juxtaposent les doctrines des anciens et des nouveaux philosophes et, dans le cas du second, parce qu’il présente la philosophie cartésienne sous la forme d’une somme quadripartite. Ils constituent également une anomalie du point de vue du marché parisien de l’édition, qui connaît à partir de la fin des années 1640 plus d’une vingtaine d’années de crise, en raison des événements liés à la Fronde (1648-1653), mais aussi de facteurs plus structurels – l’augmentation considérable du prix du papier, les procès opposant les différents acteurs de la fabrication des livres, la concurrence des imprimeurs étrangers, en particulier des Elzevier [113]. Dans ces conditions, même si la plupart des ouvrages de Jacques du Roure ont été publiés chez l’auteur, on peut se demander ce qui a conduit certains imprimeurs (Thomas Jolly et François Clouzier pour La philosophie divisée, Pierre Aubouyn pour les Divers traitez des sciences, contenans le dénombrement des exercices de l’esprit, la grammaire générale... l’arithmétique et la géographie) à se risquer dans cette aventure. De fil en aiguille, on en viendra peut-être à examiner les autres ouvrages que ces imprimeurs ont publiés.
45Un tel examen permettra de relever une curieuse coïncidence dans cet ensemble d’ouvrages. Le privilège qui est utilisé par Jacques du Roure dans tous ses livres à partir de 1660 comprend la même signature (« Gardien »), porte la même date (20 novembre 1660) et comporte les mêmes clauses (une durée de dix ans, trois mille livres d’amende pour qui ne le respecterait pas) que le privilège qui est utilisé dans La physique d’usage et le Nouveau cours de médecine, qui s’efforcent d’introduire des principes cartésiens dans ce que nous appellerions les sciences biologiques et médicales. Y aurait-il donc un rapport entre Jacques du Roure et les deux ouvrages en question ? Pour comprendre minimalement ce dont il est question, voici pour commencer une description sommaire de ces deux ouvrages, usuellement attribués à Henry-Louis Rouvière.
46(1) La physique d’usage comprend deux éditions : La physique d’uzage ; contenant avec un discours général sur la Médecine la description du Corps humain par Mr Arberius. Puis l’explication des Maladies, & de leurs remédes, tirées des principes de la Méchanique, & de la Philosophie de Mr Descartes, par Mrs d’Orlix & Plempius, Professeurs en médecine à Louvain (Paris, Pierre Aubouyn et Philippe d’Arbisse, 1664) et La physique d’usage ou Petit cours de Medecine composé selon les principes de Monsieur Descartes (Paris, François Clouzier et Veuve Aubouyn, 1666) [114]. D’après les catalogues, ces deux éditions ne doivent pas être bien différentes, puisque les catalogues décomptent le même nombre de pages pour leurs différentes parties. Pour l’instant, j’ai seulement examiné l’édition de 1664, composée des parties suivantes :
- une épître à M. Le Vignon, Conseiller et Médecin ordinaire du Roy – il s’agit du doyen de la faculté de médecine de 1664 à 1666 – par l’auteur de la traduction, qui signe « D.R. » (5 p.) et des errata (1 p.),
- un « Discours sur la médecine & sur les parties du Corps humain : composés en Latin par Mr Arberius et traduits en français par D.R. » (12 p.),
- une « Description du corps humain » organisée en sept chapitres (91 p.),
- une suite de traductions, par « D.R. » toujours, de plusieurs thèses défendues à Louvain en 1662 : une thèse cartésienne sur les actions automatiques du corps humain défendue sous Pierre Dorlix [115], une thèse non cartésienne sur les fièvres défendue sous Vopiscus Fortunatus Plempius, une dissertation sur les principales évacuations des corps, la saignée et la purgation, soutenue sous Dorlix et Plempius [116],
- un extrait du Privilège dont je suis partie, selon lequel « Sa MAJESTÉ favorisant le bon dessein que le Sieur D.R. a de métre en nôtre langue les Siences les plus nécessaires, lui permet d’en faire imprimer & vendre ses livres ».
48(2) Le Nouveau cours de médecine ou, selon les principes de la Nature et des Mécaniques, expliqués par Messieurs Descartes, Hogelande, Regius, Arberius, Villis, les Docteurs de Louvain et par d’autres : on aprend le Cors de l’Home, avec les moiens de conserver la Santé, & de chasser les Maladies comprend lui aussi deux éditions (Paris, François Clousier et Pierre Aubouyn, 1669, et Paris, chez la veuve Jean d’Houry et Laurent d’Houry, 1683) qui sont quant à elles absolument identiques l’un à l’autre. L’« Avertissemens » qui se trouve en tête du Nouveau cours de médecine présente cet ouvrage comme la troisième édition de La physique d’usage et, de fait, les différents éléments des ouvrages de 1664-1666 se retrouvent dans ceux de 1669-1683, mais avec une réorganisation complète et une amplification tout à fait notable, puisqu’on passe d’un peu moins de 200 pages à plus de 700 pages. L’auteur ajoute par exemple des discussions tirées de différents ouvrages de Thomas Willis, mais aussi d’Henricus Regius, et surtout beaucoup d’observations personnelles sur les traitements qui peuvent permettre de guérir de telle ou telle ou telle affection. Pour être un peu plus précise, l’organisation de ce Nouveau cours est la suivante :
- une suite d’« Avertissemens »,
- une première partie présentant les « choses comunes à la Santé & aux Maladies », organisée en trois livres, le premier sur la médecine et les médecins, le deuxième sur le corps humain et ses parties, le troisième sur les éléments extérieurs qui influencent ce corps, par exemple les aliments ou le climat (p. 3-331),
- une deuxième partie sur les maladies, organisée en trois livres, le premier sur les fièvres, le deuxième sur les blessures, tumeurs, gangrènes et brûlures, le troisième sur les maladies plus communes et moins dangereuses (p. 332-713),
- une troisième partie sur la santé, incomparablement plus brève que les précédentes (p. 714-728),
- une table des matières, une liste d’errata, une liste d’addenda et, bien sûr, l’extrait de notre fameux Privilège.
50Dans tous les catalogues de bibliothèque, La physique d’usage et le Nouveau cours de médecine sont attribués à l’apothicaire Henry-Louis Rouvière, une attribution qui remonte au XIXe siècle [117]. Pourtant, les spécialistes de Rouvière, puisqu’il y en a, ont établi que ce dernier ne pouvait pas être l’auteur de ces deux ouvrages avec l’argument simple, mais imparable, qu’il n’était pas encore né en 1664, ni même en 1669 [118]. La coïncidence des privilèges que j’ai mentionnée pour commencer peut dans ces conditions conduire à formuler l’hypothèse que le « D.R. » qui apparaît, sinon comme l’auteur, du moins comme le traducteur des différentes parties de ces ouvrages, pourrait bien être Jacques du Roure. On remarque en ce sens, sans bien sûr que ce soit décisif, que le Nouveau cours applique systématiquement une réforme orthographique consistant à supprimer toutes sortes de lettres superflues, par exemple les lettres doubles, les lettres qui ne se prononcent pas, etc., ce que fait également Jacques du Roure dans certains de ses ouvrages. Un argument supplémentaire en faveur de cette attribution, que je dois à Domenico Collacciani, est qu’un catalogue des livres disponibles chez Pierre Aubouyn, Pierre Emery et Charles Clouzier, il est vrai un peu plus tardif, attribue à « Du Roure » un Cours de médecine, selon les principes de Descartes [119]. L’argument décisif est toutefois quelques pages du Nouveau cours, qui sont ainsi introduites : « je ne remarquerai presque rien ici que ce que j’ai déjà marqué dans ma philosophie, principalement quand j’ai parlé des Côrs vivants et animés » [120]. Les cinq pages suivantes étant reprises mot pour mot à l’Abrégé de philosophie (1665), il n’est pas difficile de conclure que le « D.R. » du Nouveau cours et, conséquemment, de la Physique d’usage, est notre Jacques du Roure [121]8. Cette attribution pose naturellement de nouvelles questions sur la personnalité intellectuelle de ce dernier, sur les raisons pour lesquelles il a publié ces deux ouvrages de manière anonyme, et, finalement, sur la place que ces ouvrages occupent dans ce qu’il faut bien appeler son œuvre. Mais, le parti-pris de cette notice étant de s’en tenir à l’établissement de quelques faits nouveaux, j’en viens maintenant aux informations que nous donnent les avertissements de La Physique d’usage et du Nouveau cours.
51L’épître à M. Le Vignon présente ainsi la genèse et la structure de La Physique d’usage : « Parmi tant d’avantages que vous [M. Le Vignon] possedez, je ne pouvais rien trouver capable de leur répondre : si l’heureuse curiosité de Monsieur d’Alibert ne m’eut fait tomber entre les mains, ces fondemens de la Medecine […]. Monsieur Arberius, dont on ne peut trop estimer ni les observations, ni les sentimens, décrit au commencement la Medecine, & avec elle le Corps Humain. L’abregé de ce qu’il décrit a été premiérement fait par un Compilateur, qui en a conservé le Latin, mais qui, comme l’on craint, en a changé d’autres choses, avéque la liberté, & par le miracle ordinaire à ceux qui prennent leurs idées pour des objets. Le reste de ce livre contient les Theses de Louvain […]. » [122]
52Les avertissements qui précèdent le Nouveau cours reprennent et développent cet épître dans l’étrange orthographe alors promue par du Roure :
« Le second [avertissement] ét, que non seulement on doit aus Soins & à la dépense de Monsieur d’Alibert, le transport des ossemens de Mr Descartes à S. Géneviéve de Paris : mais qu’on lui doit encore la Physique d’usaje, établie sur des fondemens expliqués en partie par Mr Descartes. […] Par le troisiéme avertissement vous aprendrés, que cét ouvraje ét en partie une Composition, & en partie une Traduction ; mais libre, & où l’on tâche à n’étre pas esclave des Auteurs. […] Je n’ai vû les celébres Téses de Louvain, qu’en manuscrit : ou quelquefois il a été dificile de trouver ce beau sens des Docteurs par qui éles ont été composées, ou sous qui éles ont eté soutenuës. Avant ces Téses, Monsieur Arberius dont on ne peut assés estimer les observations, décrit le cors de l’Home. L’Abrégé de ses Cahiers, a été premiérement fait par un Compilateur qui en a conservé le Latin : mais qui come l’on craint en a chanjé d’autres choses, avéq la liberté, & par le miracle ordinaire à ceux qui prénent leurs idées pour des obiês. […] Les autres choses touchant les Maladies, les Remédes des maladies, & pareils suiês sont ou tirées des autres Savãs, que vous voiés en première paje de ce Livre [123] : ou aioûtées par celui qui en ét Auteur, & qui avoue n’avoir travaillé que pour lui méme, pour ses amis, & jènéralement pour ceus, qui aiment les Siences. […] Par le quatriéme & dernier avertissement, vous saurés la necessité, qu’il i a de passer du comencement à la fin de ce Livre ; et de coriger les fautes, qu’on aura soin de marquer en toutes les Editions. Céle-ci ét la premiere du nouveau Cours de Médecine : & la troisiéme de la Physique d’usage : qui n’et que le tiers de ce Cours. » [124]
54Jacques du Roure, qui apparaît comme un simple traducteur dans La Physique d’usage, mais comme ayant ajouté plus librement du sien au Nouveau cours, est donc associé dans ces avertissements aux noms d’Arberius et de d’Alibert. Arberius est présenté comme l’auteur d’un texte princeps en latin, qui aurait été dans un premier temps compilé par une personne qui n’est pas nommée, et dans un second temps traduit par D.R., autrement dit Jacques du Roure. Étant donné qu’on ne trouve nulle part d’information sur Arberius et que cette histoire de transformations successives d’un texte princeps paraît un peu embrouillée, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un pseudonyme – éventuellement, mais cela de manière extrêmement hypothétique, d’un pseudonyme de Jacques du Roure, un chêne « roure » étant un chêne à feuille caduques, autrement dit un arbre [125]. Quant à Pierre d’Alibert (ou Dalibert), il est bien connu des cartésiens : d’après les témoignages de Claude Clerselier, mais surtout d’Adrien Baillet, c’est lui qui, à compter de 1666, organisa le rapatriement du cadavre de Descartes depuis Stockholm jusqu’à Paris, puis, en juin 1667, son inhumation dans l’église Saint-Étienne-du-Mont lors d’une formidable cérémonie réunissant un certain nombre de grands personnages cartésiens [126]. La carrière de d’Alibert nous mène une fois de plus dans le Languedoc : en 1658, alors rémunéré comme secrétaire des finances du duc Gaston d’Orléans, il acquit la charge de deuxième président dans la généralité de Montauban ; il en vint ensuite à exercer la fonction de trésorier des États du Languedoc jusqu’à sa mort en 1671 ; la cause de sa mort fut discutée dans des interrogatoires quelques années plus tard : en 1676, pendant l’Affaire des Poisons, la Brinvilliers accusa son associé Pierre-Louis Reich de Pennautier de l’avoir empoisonné [127]. Quelle que soit la cause de sa mort en 1671, d’Alibert et du Roure s’étaient trouvés collaborer quelques années plus tôt, soit que le premier ait fourni le texte d’Arberius que le second a traduit dans La Physique d’usage et amplifié dans le Nouveau cours, soit d’une autre manière, puisque le Nouveau cours va jusqu’à dire qu’on doit à d’Alibert La physique d’usage.
3. Jacques du Roure, premier éditeur du Monde (1664)
55Plusieurs travaux récents ont montré l’embarras qui fut celui de Clerselier en 1662 : cherchant depuis 1657 un illustrateur qui lui permettrait de publier le traité De l’homme, il en était venu à lancer un appel aux bonnes volontés dans le deuxième volume de son édition des Lettres de Descartes (1659), qui pour diverses raisons n’avait encore rien donné, quand Florent Schuyl publia une traduction de ce traité en latin accompagné de nombreuses gravures en cuivre d’un grand réalisme anatomique, voire d’une véritable qualité artistique pour certaines d’entre elles [128]. Dans ces conditions, quand deux ans plus tard, ayant enfin trouvé un illustrateur, et même deux illustrateurs, il put enfin publier sa propre édition du traité De l’homme, Clerselier ne manqua pas de la faire précéder d’une Préface dans laquelle il soulignait la meilleure qualité du manuscrit sur lequel il s’était appuyé et, surtout, dans laquelle il défendait la supériorité des gravures de Louis de La Forge et de Gérard van Gutschoven, d’après lui plus propres à l’intelligence du texte de Descartes que celles de Schuyl [129]. Mais, alors qu’il écrivait cette Préface, l’histoire se répéta cruellement pour lui : un autre ouvrage que Descartes n’avait pas publié de son vivant fut imprimé, sous le titre Le Monde de Mr Descartes ou le Traité de la lumière et des autres principaux objets des Sens. Avec un Discours de l’Action des Corps & un autre des Fièvres, composez selon les principes du même Auteur [130]. Il ne lui restait plus qu’à ajouter quelques lignes à la Préface du traité De l’homme : « On s’est aussi trop precipité à l’imprimer [Le Monde] ; Et si celuy qui l’a mis entre les mains du Libraire eust voulu avoir un peu de patience, & retenir le zele qu’il a témoigné avoir pour le bien du public, je l’aurois contenté dans cette Impression mesme, où mon dessein avoit esté de le joindre, & je lui aurois donné une plus belle forme, des Figures mieux faites, & un texte plus fidele ; ce que je pourray faire quelque jour. » [131] Il faudra cette fois attendre treize ans pour que Clerselier en vienne effectivement à donner son édition du Monde, qui parût pour ainsi dire comme un petit appendice de la deuxième édition qu’il donna De l’homme [132]. Il faut croire que le statut de Clerselier en imposait : les éditeurs contemporains du Monde choisirent le texte de 1677, il est vrai après une petite discussion où on les sent hésitants. Après avoir noté que la différence entre les deux textes n’est « pas si grande », ils remarquent qu’il est vraisemblable qu’aucun des deux ne reproduit le texte original de Descartes [133]. Le choix qu’ils firent de la deuxième édition et le peu de différence entre les deux textes, contrairement à ce qu’il en est pour le traité De l’homme, expliquent sans doute que cette première édition n’ait pas beaucoup attiré l’attention des savants. On y trouve successivement :
- un avertissement « Au lecteur » signé « D.R. » (4 p.), sur lequel on reviendra dans le détail,
- une Table des chapitres (4 p.), « D.R. » mentionnant dans son avertissement que les titres n’étaient pas de Descartes, mais de lui,
- trois Remarques, la première sur le sens devant être attribué à l’affirmation que les parties de la matière « se tirent d’elles-mêmes », la deuxième sur l’usage du terme « Doctes », la troisième sur le fait qu’il est possible de suppléer au texte et aux figures de la fin du traité en consultant les Principes de la philosophie (3 p.),
- des errata (1 p.), un extrait du Privilège du Roi (2 p.),
- le Traité de la lumière et des autres principaux objets des Sens (260 p.),
- un Discours prononce dans l’Assemblee de Monsieur de Montmor touchant le mouvement et le repos (31 p.), qu’on sait être de Géraud de Cordemoy [134],
- un « Avis du Libraire au Lecteur », dans lequel le précédent discours est attribué à « un Philosophe, dont le stile montre assez & la netteté de ses conceptions & la solidité de son esprit », le discours suivant à « un autre Philosophe & Mathématicien, à qui le Public a quelque sorte d’obligation de plusieurs découvertes qu’il a faites dans la Physique », mais qui s’engage également à obtenir de ce dernier « quelques Traitez de la plus grande consequence, qu’on m’a assuré qu’il à en estat d’estre mis sous la Presse » (2 p.),
- un Discours de la fiévre (30 p.), qu’on sait être de Jacques Rohault.
57Cette composition appellerait des commentaires, mais il faut encore une fois dans cette notice se contenter des toutes premières lignes de l’Avertissement initial, comme on l’a signalé signé « D.R » : « Ce Monde d’un des grands Philosophes qui ait écrit ne seroit pas encore en vôtre possession, si Monsieur D.A. n’en avoit voulu faire une libéralité publique ; Et que la passion qu’il a pour tous les sentimens veritables & utiles, jointe aux demandes des Savans, ne l’eut obligé de tirer de son Cabinet cét ouvrage, qu’il avoit envoyé chercher presqu’à l’extremité des Terres Septentrionales […] »
58La lectrice sagace aura compris à ce point que, dans la mesure où on s’accorde généralement à dire que « Monsieur D.A. » est d’Alibert et que « l’extremité des Terres Septentrionales » désigne la Suède ou peut-être la Hollande [135], et où j’ai montré dans la présente notice non seulement que Jacques du Roure avait signé « D.R. » deux autres ouvrages des années 1660, mais que ces deux ouvrages étaient eux aussi issus d’une collaboration dans laquelle, d’Alibert ayant fourni un texte, Jacques du Roure avait accompli le travail d’édition, j’en viens à soutenir l’hypothèse qu’on doit cette première édition du Monde à Jacques du Roure [136]. À tout ce qui précède, on peut ajouter deux ultimes arguments :
- (1) La première page de l’exemplaire de l’édition de 1664 du Monde qu’on trouve sur Gallica, qui porte le sceau de la Bibliothèque impériale confirme l’intervention de d’Alibert dans cette édition. Elle porte en effet la mention suivante, d’une écriture manifestement ancienne : « Cet ouvrage n’a esté imprimé que depuis la mor de Mr. des Cartes qui sestant rendu a Stokolm sur les invitations de lareyne christine i mourut en 1650[.] Mr. d’Aliber ami du défunt fit venir le manuscrit et le fit imprimer » [137].
- (2) Un petit prospectus – très rare – de du Roure, les Rori doctoris Exercitationes, quibus omnes omnino scientiae, grammatice, rhetorice, philosophia, mathesis, theologia, jurisprudentia et medicina pertractantur confirme que d’Alibert a confié des livres de Descartes à du Roure – étant donné que du Roure possédait les livres publiés de Descartes, il s’agit vraisemblablement de manuscrits. Ce prospectus se présente comme une lettre dans laquelle, s’adressant au Roi, il lui suggère de fonder un Athénée dans lequel tous ses sujets, quels que soient leur âge, leur condition et leur sexe, pourraient apprendre toutes les sciences libérales très rapidement – en trois mois, tout au plus en neuf mois ! Dans ce contexte, il en vient à souligner que certains possèdent tout à la fois assez de richesses et d’honnêteté pour prêter des livres ou d’autres choses et il ajoute : « Cela, certainement, parmi tes français, fut accompli par Dalibert : non seulement Descartes, mais d’autres aussi, j’en ai fait moi-même l’expérience. Cela, Gassendi l’écrit du sénateur Peiresc. Cela, d’autres [auteurs] le rapportent d’autres personnes [personnages] qui habitent dans une partie savante de l’Europe ou même du monde entier. » [138]
60Tout cela pose évidemment de nouvelles questions, sur les relations sociales entre les cartésiens à la fin des années 1650 et au début des années 1660 – une période sur laquelle nous avons relativement peu de renseignements –, mais aussi bien sûr, sur les interprétations qu’on doit donner de ces textes une fois le présent travail d’histoire factuelle mené à bien.
61Sophie ROUX (Mathesis, République des savoirs, ENS, Université PSL)
V. Les cinquante ans du Bulletin cartésien
62La petite équipe qui se réunissait rue Colbert, au Centre Alexandre-Koyré, pour réviser l’édition Adam-Tannery, sentait le besoin d’élargir aux spécialistes dispersés dans le monde les recherches engagées à cette occasion. Parmi les projets présentés par Pierre Costabel figurait une bibliographie annuelle des publications. Le P. Marcel Régnier, directeur des Archives de philosophie, manifesta son intérêt pour ce « Bulletin cartésien ». Destiné à « remédier à l’absence de bibliographie courante des études sur Descartes », ce modeste Bulletin visait à être « utile plus qu’exhaustif ». Dès sa deuxième année, le Bulletin accueillit ce qui allait devenir des « liminaires » : les études cartésiennes au Japon (Takéfumi Tokoro), puis l’année suivante l’état de « l’analyse textuelle automatique » (P. Costabel et J.-R. Armogathe), suivi en 1975 d’une note de J.-L. Marion sur « Heidegger et la situation métaphysique de Descartes » et en 1976 des « Propos de bibliographie matérielle » de P. Costabel. L’accueil généreux des Archives a permis la continuité du travail bibliographique ; en dépit des évolutions institutionnelles et personnelles des contributeurs, l’esprit amical et curieux de l’Équipe Descartes s’est maintenu depuis cinquante ans, comme témoigne le « titre courant » maintenu par les Archives.
63Initialement, le Bulletin était la principale raison d’être de « l’Équipe Descartes » dirigée par P. Costabel (1972-1973) ; celle-ci est devenue le Centre d’Études Cartésiennes, dirigé par G. Rodis-Lewis (1981-1984), qui le rattacha à l’université Paris IV-Sorbonne et non plus au CNRS ; il eut ensuite pour directeurs N. Grimaldi (1985-1988), J.-M. Beyssade (1989-1996), J.-L. Marion (1997-1998) puis J.-L. Marion et M. Fichant (1999-2010), J.-L. Marion à nouveau (2011-2012), puis, depuis 2013, V. Carraud. Mais l’originalité du Centre résidant dans le Bulletin, la fonction de secrétaire du Centre d’Études Cartésiennes, apparue après que le P. Costabel eut cessé d’en être officiellement le directeur et occupée successivement par J.-R. Armogathe (1970-1974) et J.-L. Marion (1975-1996), se confondit progressivement, et définitivement depuis 1996, avec la fonction de secrétaire scientifique du Bulletin cartésien. Car de fait, le Centre fonctionna longtemps suivant une bipolarité : d’un côté le secrétaire du Centre (J.-L. Marion), responsable des activités scientifiques (colloques, publications, etc.) et d’un autre le secrétaire du Bulletin (J.-R. Armogathe). L’accès de J.-L. Marion à la direction du Centre (1997) mit un terme à cette répartition et, après que G. Belgioioso eut été secrétaire du Centre, simplifia l’organigramme en distinguant seulement un Directeur du Centre et un Secrétaire du Bulletin. Les secrétaires furent d’abord J.-P. Deschepper puis J.-R. Armogathe et J.-L. Marion, toujours assistés par B. Guinamard (BC I-VIII), avant que les choses se fixent : J.-R. Armogathe (BC IX-XIII, 1978-1984), puis V. Carraud (BC XIV-XXIX, 1985-2001), L. Renault (BC XXX-XL, 2002-2011), puis D. Arbib (BC XLI-, 2012-). Les secrétaires ont bénéficié de la collaboration de M. Devaux (BC XXVI-XXXVII, 1996-2008), de X. Kieft (BC XXXVII-XL, 2009-2011, et, pour les listes bibliographiques, au-delà), de Ph. Boulier (XXXVII-XXXIX, 2009-2010) ; des membres correspondants pour les aires linguistiques non francophones ni anglophones (Europe de l’Est, Amérique latine, Chine et Japon) ont permis au Bulletin d’embrasser une matière d’année en année de plus en plus large.
64Le Bulletin est publié, depuis le numéro XXV, avec le concours du Centro Interdipartimentale di Studi su Descartes e il Seicento dell’Università di Lecce, fondé en 1998 (devenu dell’Università del Salento en 2008) dirigé par G. Belgioioso jusqu’en 2018 et aujourd’hui par I. Agostini sous le nom complet de Centro dipartimentale di Studi su Descartes - Ettore Lojacono : M. Savini en fut le secrétaire dévoué et compétent de 2002 à 2014. Enfin, le Bulletin cartésien a servi de base à la Bibliographie cartésienne (1960-1996) publiée en 2003 par J.-R. Armogathe et V. Carraud avec la collaboration de M. Devaux et M. Savini, à Lecce, chez Conte Editore. Cette bibliographie prenait la suite de la Bibliographia cartesiana de G. Sebba, publiée en 1964 à La Haye, chez Nijhoff ; les bibliographies depuis 1997, dont les Bulletins restent la base, sont consultables sur le site Cartesius.net, que dirige G. Belgioioso.
65Aussi bien par le nombre que par la variété de ses collaborateurs, le Bulletin a toujours été caractérisé par un esprit profondément fédérateur, au-delà des aires géographiques, des diversités linguistiques et des clivages philosophiques qui traversent la communauté des savants. Il a été et demeure un espace de débats scientifiques libres et exigeants. La seule mention de tous les auteurs de liminaires et de comptes rendus suffit pour illustrer la diversité des personnalités présentes au Bulletin.
66Jean-Robert ARMOGATHE (Ephe, correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)
Dan ARBIB (Mathesis, République des savoirs, ENS, Université PSL) [139]
Recensions pour l’année 2019 [140]
1. Textes et documents
1.1. Descartes
67HOBBES Thomas, Objections aux Méditations — DESCARTES, René, Réponses. Un débat impossible, traduction et commentaire de Jean Terrel, Paris, Vrin, 2019, 298 p.
68Pécharman, Martine, « Troisièmes Objections et Réponses », in ARBIB, Dan, éd., Les Meditationes métaphysiques, Objections et Réponses, de Descartes. Un commentaire, Paris, Vrin, 2019, 432 p., p. 251-281.
69La France détient le triste privilège dans les grands pays de tradition philosophique à n’avoir que fort peu remis sur le métier les traductions des grands ouvrages publiés en latin par D., à commencer par l’ensemble des Meditationes, Objectiones et Responsiones, dont les traductions sans cesse rééditées restent malheureusement celles de Luynes et de Clerselier – à l’exception notable de celle, en 1990, de Michelle Beyssade pour les Méditations seules (voir BC XXI, n°1.1.1). L’A., éminent spécialiste, entre autres, de Hobbes vient en la matière combler partiellement cette lacune en proposant une traduction commentée des Tertiae Objectiones et Responsiones. L’ouvrage se compose d’une introduction (rendant compte des circonstances de la rédaction du texte, de la personne de chacun des auteurs au moment de la discussion, de la portée du débat, enfin de la place des Objectiones dans l’œuvre de Hobbes), d’une nouvelle traduction en regard du texte latin accompagnée de l’indication en bas de page des écarts importants d’avec la traduction de Clerselier, d’un glossaire (qui précise les choix de traduction et, selon les termes, leur signification chez l’un et l’autre des deux auteurs), d’un supplément qui retraduit la lettre de X à Mersenne pour Descartes, 19 mai 1641, AT III 375-377 (deux traductions précédentes in Lettres de M. Descartes, éd. Clerselier III, p. 629-631, puis in AM IV, p. 354-358) pour laquelle Jean Terrel suit l’identification proposée par Gianluca Mori qui fait de Hobbes son rédacteur (voir BC XLIII, p. 198-199) et des réponses successives de D. (Descartes à Mersenne, 16 juin 1641, AT III 382-383 et juillet 1641, AT III 391-397) qu’un commentaire spécifique rapporte au contenu des Objections et Réponses comme une tentative pour prolonger le débat qui s’y est initié. Enfin, une table des matières très précise permet une circulation aisée dans le commentaire proposé. La traduction semble en tous points excellente et conforme aux critères contemporains de littéralité et de proximité au texte traduit, tout en conservant au propos une parfaite lisibilité. Son détail ne manquera pas d’être éprouvé lors de lectures que solliciteront des travaux exégétiques. Pour sacrifier au genre du compte rendu, on pourra d’ores et déjà contester à l’A. d’avoir suivi Luynes dans la traduction d’AT VII 27, 14 où « mens, sive animus » est rendu par un seul terme (« esprit ») au motif que « Descartes ne donne pas à mens et à animus deux sens distincts » (p. 43, n. 4). Car on peut penser que D. ne transcrit pas là encore ses propres positions (car la mens, c’est l’âme, dans le français de D.), mais que l’énumération et donc les distinctions rapportent des usages non encore clarifiés qu’il convient justement de restituer dans leur litanie, d’autant que D. lui-même s’y tient lorsqu’il commente pour Hobbes son propre texte (voir p. 49, n. 1). Le choix du commentaire est d’être thématique, regroupant et distribuant le contenu des Objections et Réponses sous quatre thèmes essentiels : « Commencer : les deux premières méditations », « Qu’est-ce qu’une idée ? », « Véracité divine, erreur et libre-arbitre, évidence et assentiment », enfin « De l’essence distinguée de l’existence ». Le commentaire, toujours fort éclairant, a en outre la vertu de restituer les positions hobbesiennes dans la perspective de leur éventuelle évolution dans l’œuvre du philosophe anglais. L’ensemble, joint au commentaire des mêmes textes par M. Pécharman, dans le collectif dirigé par D. Arbib (et qui sera recensé dans sa totalité dans le prochain numéro du Bulletin) offre désormais au public francophone un dossier d’une grande complétude et qualité sur cette discussion. Au registre des rares remarques sur l’aspect matériel de l’édition, on signalera quelques coquilles glanées au hasard (p. 14, n. 1 « cest » ; p. 38, note 2 (« Mersenne. ou »), p. 41 n.1 « intélliger » ; « Arnaud », p. 28, 29, 258) et que le texte latin est établi par l’auteur sans que l’on ne sache, sauf erreur, quel texte il a prétendu établir. Une brève note à ajouter pour une prochaine réimpression donnant ces quelques renseignements serait sans aucun doute bienvenue. De même, bien que ces Objections et Réponses soient les plus courtes, on ne manquera pas de regretter que la pagination de l’édition AT n’ait pas été reproduite en marge du texte latin, voire celle de la traduction Clerselier en marge de la nouvelle afin de permettre de rapides et exhaustives comparaisons. On aura compris que l’on a affaire à un excellent travail pionnier dont on espère qu’il suscitera des vocations pour les autres pièces manquantes.
70Gilles OLIVO (Université de Caen Normandie)
1.2. Cartésiens et alii
71BELLIS, Delphine, « Un document inédit sur le projet de publication des Opera omnia de Pierre Gassendi », Dix-septième siècle, 2019/1, n° 282, Presses Universitaires de France, p. 149-162.
72Cet article introduit et donne à lire un document qui, quoique cité par plusieurs spécialistes de Gassendi, n’avait jamais été publié jusqu’alors. Il s’agit de la copie d’un « mémoire » confié en 1654 à Samuel Sorbière qui contient les instructions de Pierre Gassendi relativement à la publication de ses œuvres complètes (elle aura lieu, après sa mort, en 1658). L’article offre une synthèse précise et documentée sur l’histoire mouvementée de la publication des œuvres du philosophe ; ce faisant, il donne aussi à voir concrètement comment se conçoit et se négocie au XVIIe siècle la publication d’un auteur de premier plan, dans sa relation avec une équipe éditoriale, des libraires et des imprimeurs, et quelles stratégies ou incidents peuvent en modifier le projet. Le document permet à cet égard de prendre connaissance des desiderata de Gassendi en 1654 et de mesurer les différences avec l’édition finalement publiée en 1658, et le prospectus qui l’annonce en 1656. Outre quelques modifications dans la publication de lettres relatives aux polémiques scientifiques avec Jean-Baptiste Morin, on y apprend aussi que Gassendi avait demandé au libraire à être rémunéré en livres de théologie ou d’histoire religieuse (« près de cent volumes in folio », p. 159) – ce que l’A. juge une demande incompatible avec l’idée d’un Gassendi libertin ou « crypto-athée » (p. 156) ou, à tout le moins, une pièce à verser au dossier problématique de la signification théologique de sa pensée.
73Olivier DUBOUCLEZ (Université de Liège)
1.3. Biographies et bibliographies
74RAGNI, Alice, « Bibliographia Claubergiana (Nineteenth-Twenty-First Centuries) : Tracking a Crossroads in the History of Philosophy », Journal of the History of Philosophy 57, 4, 2019, p. 731-748.
75La reproduction chez Olms, en 1968, des Opera Omnia Philosophica de Johannes Clauberg (2 vol., 1691) a contribué à un renouveau des études sur ce savant calviniste (1622-1665), qui enseigna la philosophie à Herborn et Duisbourg. On relèvera le colloque de Groningue en 1995 (publié par Theo Verbeek chez Springer, sous le titre Johannes Clauberg (1622-1665) and Cartesian Philosophy in the Seventeeth Century, Dordrecht-Boston-Londres, 1999) et la thèse de Massimiliano Savini en 2004 (et le volume paru à Paris, chez Vrin, Johannes Clauberg. Methodus cartesiana et ontologie, en 2011). Alice Ragni, qui a soutenu une thèse en 2016 sur l’ontologie de Clauberg à Leibniz, donne ici une très utile bibliographie des travaux parus du XIXe au XXIe siècle. Après les éditions et traductions et les travaux bio-bibliographiques, la section thématique est divisée en six parties : l’ontologie et la métaphysique, une sous-section spéciale sur le mot ontologia, le cartésianisme, la logique (et l’herméneutique), la physique (et l’occasionalisme) et la philologie allemande. Dans chaque section, les items sont heureusement classés par ordre chronologique, ce qui donne un panorama de l’évolution de la recherche.
76Jean-Robert ARMOGATHE (EPHE, correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)
1.4. Dictionnaires et usuels
77(*) SECRETAN Catherine et FRIJHOFF Willem, dir. Dictionnaire des Pays-Bas au Siècle d’or. De l’Union d’Utrecht à la Paix d’Utrecht (1579-1713), sous la direction de, CNRS Éditions, 2018, 831 p.
78Les revues d’histoire ne manqueront pas de rendre compte précisément de ce dictionnaire – couronné par le Prix XVIIe siècle 2018 – consacré à la période la plus brillante des « Provinces-Unies », dont la richesse, le dynamisme économique, l’effervescence intellectuelle, le cosmopolitisme, les beaux-arts, etc. ont émerveillé les contemporains. Nul doute qu’elles le feront a) en approuvant la forme choisie pour l’ouvrage, qui s’imposait en effet pour fournir un « tableau de tous les aspects qui font l’originalité du pays à un moment crucial de son histoire, à savoir celui de sa naissance » : la liste alphabétique des entrées, rédigée par de nombreux spécialistes, mêle ainsi les noms propres, les lieux et les thèmes ou les notions les plus divers pour en faire un véritable Enchiridion qui met à portée de la main le monde en clair-obscur du Gouden Eeuw ; b) et en soulignant que ce dictionnaire n’a pas été traduit du néerlandais ou de l’anglais (quand bien même tels articles le seraient), mais que c’est un livre français, assumé comme tel – l’introduction insiste à juste titre sur le fait que, « tout au long de l’époque moderne, la France demeura pour les néerlandais un aimant, au sens littéral ». Il faut ainsi savoir gré à Willem Frijhoff, maître d’œuvre du dictionnaire (et lui-même rédacteur de nombreuses notices), d’en avoir fait un instrument historique très utile, que l’abondance de la matière n’empêche pas d’être synthétique, en particulier pour les notices consacrées à l’économie, à la politique, à la société et aux si délicates questions religieuses, avec leurs polémiques incessantes et aux frontières mouvantes pendant tout le Siècle d’Or. Les utilisateurs philosophes pourront donc tirer un grand parti du dictionnaire pour y trouver, sur les situations les plus complexes, les informations requises par l’analyse des textes — pour ne prendre qu’un exemple, les cartésiens s’instruiront en lisant la notice consacrée à Bois-le-Duc (s’-Hertogenbosch), prise par Frédéric-Henri d’Orange le 14 septembre 1629, dont on apprend que « les trois-quarts, au moins, de la population, étaient restés catholiques » au moment où D. défend sa Confrérie de Notre-Dame (dont Jérôme Bosch, un siècle et demi auparavant, avait été membre). L’autre maître d’œuvre du dictionnaire est notre collègue Catherine Secretan, à laquelle il faut sans doute attribuer le choix de faire la part belle à l’histoire des idées, à la philosophie politique et à la philosophie tout court. De sorte que, réciproquement, les utilisateurs non philosophes du dictionnaire y puiseront également une information aussi importante que fiable. Elle a elle-même rédigé, parmi bien d’autres, la notice sur le remontrant Caspar Barlaeus, « prince des poètes latins » selon Grotius (et peut-être docteur en médecine de l’université de Caen), dont le discours de 1632 lors de la création de l’Athénée d’Amsterdam, Mercator sapiens, sive oratio de conjungendis mercaturae et philosophiae studiis, qui fait l’éloge de la philosophie « sous l’angle des bénéfices que le marchand pouvait en tirer », est significatif de l’union du commerce et de la philosophie qui caractérise le Siècle d’or en vantant la sagesse des dirigeants de la République des Provinces-Unies. On ne s’étonnera pas que Theo Verbeek ait rédigé, avec la compétence que tous les cartésiens connaissent, les entrées « Athéisme », « Coccejus », « Glazemaker », « Heinsius », « Meyer », « Schoock », « Voetius » et « Wittich » et, bien sûr, « Philosophie » et « Descartes et la diffusion du cartésianisme ».
79Le Dictionnaire comporte une chronologie, des cartes (cela va sans dire ici !), une bibliographie générale (outre les bibliographies particulières des notices), un répertoire des notices selon onze grands domaines, un cahier de planches commentées et une table alphabétique des notices, enrichies de notions ou de noms qui ne font pas l’objet d’une notice propre. C’est sur ce point que résidera notre critique principale : ces notions, et surtout ces noms, eussent dû être beaucoup plus nombreux, afin que l’on pût retrouver leurs occurrences dans le dictionnaire. Qu’un exemple nous suffise : comment retrouver ce qui concerne le grand orientaliste Jacob Golius (1596-1667), à la fois titulaire des chaires d’arabe (successeur d’Erpen) et de mathématiques (successeur de Snell) à Leyde (où il a rapporté plus de 200 manuscrits arabes), auteur du Lexicon arabo-latinum, ami de Constantin Huygens et de D. (dans la notice de qui il est mentionné par Verbeek)… ? La table ignore Burman, Clauberg, Erpenius, Golius, Gorlaeus, Heidanus, Snellius (il y a une entrée Rudoph, mais non Willebrord), et même « Mathématique » et « Orientalisme » ! Souhaitons la rapide réédition que mérite ce dictionnaire, augmentée d’un index nominum complet. On ajoutera pour finir un regret personnel : qu’aucun mot ne caractérise, ni même n’identifie, la religion de Rembrandt.
80Vincent CARRAUD (Sorbonne Université)
2. Études générales
2.1. Descartes
81JANOWSKI, Zbigniew, How To Read Descartes’s Meditations, St. Augustine’s Press, 2019, 155 p.
82Ce livre poursuit le parcours d’un A. qui s’est concentré dans les années passées sur les rapports de D. avec Augustin (d’où son Index Augustino-Cartésien, Paris, 2000, et sa Cartesian Theodicy, Dordrecht, 2002) et qui nous offre maintenant une incursion sur les sources possibles des Méditations. Le travail de Z. Janowski se présente ni comme un exposé systématique des Méditations ni comme un recueil d’études, mais comme une série d’« insights » dans la métaphysique de D. Six études composent ce livre ; quatre ne sont pas inédites mais l’A.nous en donne une version remanié qui offre de nouveaux éléments par rapports aux versions précédentes. Dans son ensemble, l’objectif principal du livre est de montrer l’influence exercée, de manière plus ou moins explicite (le plus souvent implicite) sur les Méditations par des penseurs classiques et des documents ecclésiastiques (Epistola dedicatoria). En dépit de l’ambition, il ne s’agirait pas d’après l’A. d’une tâche extrêmement difficile, et sans doute d’une tâche moins difficile que la découverte des influences sur la Med. I, à propos de laquelle l’A. formule une hypothèse plus discrète, celle de la présence implicite de la doctrine de la création des vérités éternelles.
83Somme toute, le cadre des sources esquissées dans ce livre n’ajoute rien au cadre établi depuis longtemps par les spécialistes : Aristote et Thomas d’Aquin (Med. II et VI) ; Duns Scot (Med. III) ; saint Augustin : (Med. IV). Mais Janowski essaie de retrouver l’influence de ces auteurs sur des points ou sur des lieux où elle n’avait selon lui pas été encore ou suffisement remarquée : la conception de l’âme, la causalité éminente et formelle dans la preuve de l’existence de Dieu de la Med. III, la doctrine de l’erreur et de la volonté, la métaphore du « Styx et [des] destinées ». S’y ajoutent deux importants ajoutés à la liste des auteurs canoniques : a) tout d’abord, pour ce qui concerne la discussion de la métaphore cartésienne du « Styx et [les] destinées », celle des poètes de l’Antiquité (Ovide, Virgile et d’autres encore) ; b) puis, pour ce qui concerne la Med. I, l’influence de Francis Bacon : il ne s’agit là, Janowski l’avoue, que d’une hypothèse, qui ne peut pas être démontrée (et qui, d’ailleurs, n’est pas argumentée par l’A. dans le chapitre consacré à la Med. I, Bacon n’étant discuté que dans le chapitre concernant « le Styx et les destinées ») ; mais, s’il faut admettre l’influence de quelques auteurs sur pour la Med. I, la moins riche à niveau des sources Bacon est bel et bien d’après Janowski le candidat le meilleur.
84Malgré ses dimensions limitées (144 pp.), cet ouvrage est très dense et ne témoigne d’aucune indulgence à l’égard de l’état de l’art : « Each chapter deals with a fairly narrow point of Descartes’s philosophy that has not been given an elaborate account in Cartesian scholarship nor has been sufficiently explored » (p. ix). Peut-être une discussion plus nourrie de la littérature, désormais abondante, sur D. et la scolastiques eût-elle été très utile, fût-ce pour renforcer les conclusions qui l’A. tire sur l’état de l’art : nous pensons, par exemple, à l’absence de référence au vieux livre de Koyré sur D. et la scolastique (Essai sur l’idée de Dieu et les preuves de son existence chez Descartes, Paris, 1922), qui avait le premier longuement discuté le rapport entre D. et le De primo principio de Duns Scot – rapprochement avec Duns Scot dont la pertinence est ici présentée par Janowski comme une nouveauté. On peut se demander par ailleurs si l’idée d’une influence des poètes classiques sur D., d’ailleurs très stimulante, n’aurait peut-être mérité une vérification sur le Corpus omnium veterum poetarum latinorum secundum seriem temporum, et quinque libris distinctum (Lyon, 1603) par Pierre de la Brosse, que D. mentionne de manière explicite. Ces questions posées, reconnaissons qu’il s’agit là d’un ouvrage qui doit retenir l’attention des spécialistes pour les perspectives qu’il prolonge et ouvre. Nous ne pouvons donc qu’être reconnaissants à son A. et à St. Augustine Press d’avoir eu la belle idée de rassembler ces études remarquables.
85Igor AGOSTINI (Università del Salento)
86ROMANO, Claude, Être soi-même. Une autre histoire de la philosophie, Paris, Gallimard, Folio-Essais, 2019, 768 p.
87En quête des jalons dans l’histoire de l’idée d’ « existence en vérité » et de l’idéal moderne d’ « authenticité personnelle, l’A. signe ici quelques pages bien senties sur la figure cartésienne. A l’écart de l’histoire générale qui constitue le projet général de l’ouvrage, le chapitre sur D. ne peut que prendre la forme d’un « excursus » (chap. XIII, « Un excursus cartésien », p. 401-422), puisque D. ne paraît pas avoir été soucieux d’idéaux d’authenticité personnelle. L’A. rappelle que l’ego cartésien est un ego formel, vide de tout contenu empirique ou caractère individuel, en sorte que si « la problématique du moi ouvre des questions nouvelles, (…) elle a surtout tendance à en refermer de plus anciennes, à commencer par celle du rapport pratique à soi en vertu duquel chaque homme existe sur le mode d’une conformité ou non-conformité à son être » (p.406) ; sur ce point, il faudra admettre la continuité de l’ego cartésien au self lockien (p. 407-408). A partir d’une juste synthèse du projet des Passions de l’âme (p. 409-415), au cours de laquelle le repli de la philosophie morale cartésienne sur le stoïcisme se trouve nuancé avec bonheur, l’A. en vient au « portrait de l’ego en généreux », interprétant la générosité comme répétition morale du cogito sur le mode de l’auto-affection, et proposant de belles pages sur la générosité et sa différence d’avec la magnanimité aristotélicienne et sur la préfiguration cartésienne de certaines analyses kantiennes. Le spécialiste de D. pourra résister devant l’interprétation de la séquence « res cogitans, id est, mens sive animus sive intellectus sive ratio » (AT VII 27, 13-14, cité p. 405), puisque D. n’oppose pas tant l’ego et la mens qu’il ne les identifie l’un à l’autre, comprenant les concepts d’animus, intellectus et ratio à partir de la mens elle-même ; mais reconnaissant quelques références bibliographiques familières et très bien choisies (V. Carraud et L’invention du moi, Paris, PUF, 2010, ici p. 404-405 et dans le sous-titre p. 402 ; J.-L. Marion et « Le cogito s’affecte-t-il ? », 1988, in Questions Cartésiennes, Paris, PUF, 1991 ; L. Renault et Descartes et la félicité volontaire, Paris, PUF, 2000), il se réjouira des mises au point sur les rapports de D. au stoïcisme et à l’aristotélisme, accordera à l’A. un magistral sens de la synthèse et appréciera sa très grande pénétration de l’esprit de la philosophie cartésienne : à l’évidence, ce chapitre, pour bref qu’il soit, témoigne d’une fréquentation assidue et d’une méditation longuement reprise des œuvres de (et sur) Descartes.
88Dan ARBIB (Mathesis, République des savoirs, ENS, Université PSL)
89MEHL, Édouard, Descartes et la fabrique du monde. Le problème cosmologique de Copernic à Descartes, Paris, PUF, Épiméthée, 2019, 424 p.
90Un mot de Descartes adressé à Mersenne en 1641 sert de prétexte pour l’enquête saisissante proposée dans cet ouvrage. Descartes y évoquant le peu de difficulté qu’il y aura à « accommoder la Théologie à [sa] façon de philosopher », suggère qu’il donnera dans sa Physique, outre une explication de l’eucharistie accordée à ses principes, celle du « premier chapitre de la Genèse » – qu’il se propose de faire examiner par la Sorbonne « avant qu’on l’imprime » (AT II 295-296). E. Mehl (E. M.) s’étonne du silence qui entoure cet hapax évoquant l’existence d’un In Genesim cartésien – un texte perdu (si jamais il fut écrit), « une œuvre mystérieusement absente de tous les inventaires et de tous les commentaires » (p. 372). Sans longuement spéculer sur la matérialité de cet objet textuel incertain, il s’attelle à la tâche de reconstituer les linéaments de ce que devait (ou devrait) être cette cosmo-théologie cartésienne, tant à partir des éléments, épars dans l’œuvre, mentionnant la Genèse, que par comparaisons, rapprochements et contrastes avec un grand nombre d’écrits antérieurs et postérieurs à D, proposant une « physique mosaïque » ou cherchant une voie permettant de concilier la cosmologie copernicienne nouvelle avec le texte biblique. Les résultats de cette enquête, dont l’érudition foisonnante n’altère jamais la profondeur, sont extraordinaires et font de ce livre assurément l’une des plus importantes études sur D. et son milieu parues au cours des dernières décennies.
91Trois thèses interprétatives et méthodologiques fortes, exposées pour partie dans l’introduction, permettent de caractériser le projet par contraste avec certaines lectures dominantes de Descartes.
921/ La première porte sur la place de D. dans le tournant de la « modernité ». L’A. ne la conteste pas, mais, à rebours de la lecture heideggerienne selon laquelle la métaphysique cartésienne n’aboutit qu’à la position d’un sujet isolé et « sans monde » (weltlos), rapportant la totalité de l’étant à l’esse objectivum, il propose d’assigner la modernité de D. relativement à sa contribution à la question cosmologique, la question du monde. L’importance de D. pour les temps modernes réside selon lui dans son effort pour penser à sa racine le nouveau monde copernicien, un effort qui reconduit et prolonge celui de Kepler qui entendait aussi démontrer Copernic par les causes – Kepler, notons-le, reçoit ainsi une place décisive, rarement reconnue par les historiens de la philosophie, tant pour la constitution de la pensée cartésienne, que pour l’histoire des temps modernes. L’A. présente donc D. comme l’auteur qui creuse plus profondément le sillon képlérien, un « hypercopernicien » en ce triple sens qu’il accomplit les virtualités anti-anthropocentriques de la réforme copernicienne ; qu’il assume pleinement la nouvelle extension spatiale, mais aussi temporelle, que le nouveau système du monde impose de considérer ; enfin qu’il rend justice, dans le théorème fondamental identifiant la matière à l’étendue, à l’exigence copernicienne d’une « symmetria mundi », que l’A. entend, suivant la voie ouverte par Alexandre Koyré, comme absolue soumission de l’espace cosmique à l’intelligibilité mathématique.
932/ En second lieu, l’A. s’oppose à une représentation également répandue, inspirée par les travaux de H. Blumenberg et A. Funkenstein, qui donne à D. une place centrale dans le mouvement de sécularisation, ouvrant à la science moderne un espace cosmique dans lequel Dieu n’intervient plus que comme l’auteur superfétatoire d’une simple « chiquenaude ». La fable du monde, présentant l’émergence du monde par les effets des lois du mouvement appliquées à une matière originellement divisée en parties égales, offrirait un paradigme « d’auto-constitution » destiné à tirer un trait sur l’idée même de genèse et de création continuée. S’inscrivant en faux contre cette thèse, l’ouvrage défend l’ancrage théologique du discours cosmologique cartésien et l’importance décisive qu’y revêt le thème de la Création (celle de l’espace, et celle des vérités éternelles qui le structurent). En ce sens, la physique de D. est « plus théologique que métaphysique » (p. 47). En se proposant de réévaluer le rapport de D. aux « physiques mosaïques » de ses contemporains, l’intention qui anime l’ouvrage n’est cependant pas d’identifier la résurgence de préoccupations archaïques ou d’un quelconque atavisme religieux, mais au contraire d’y enregistrer, comme il l’explique (p. 18) « la mort clinique » du « ‘Dieu cosmique’, ce reste de paganisme que la théologie chrétienne médiévale, loin d’anéantir comme elle le croyait, perpétuait par son incapacité à se défaire d’un certain héritage aristotélicien... » (p. 18). Ainsi, comme il l’écrit encore, « l’objectif de Descartes n’est pas de déthéologiser Aristote mais de désaristotéliser la théologie » (p. 135), notamment en cessant de chercher à concevoir ou prouver Dieu à partir du monde, comme premier moteur, inféré à partir du mouvement circulaire et uniforme de la sphère des fixes.
943/ Enfin, cet ouvrage se présente aussi comme un manifeste méthodologique. Sur le terrain des études cartésiennes qui, dans leurs formes continentales comme analytiques, présupposent bien souvent « l’auto-suffisance herméneutique du discours philosophique », en d’autres termes pèchent par un excès d’internalisme, l’A. se propose d’appréhender « l’histoire de la raison classique par ses causes prochaines et ses ressorts internes », lesquels selon lui ne sont pas exclusivement métaphysiques mais relèvent aussi en large partie de la théologie et de la philosophie naturelle. Il défend ainsi en matière d’histoire de la philosophie « une perspective historiciste et hétérologique », se réclamant du projet d’E. Gilson cité p. 46 : « nous avons voulu tenter sur la philosophie cartésienne une expérience [...] qui consiste à replacer une œuvre dans son milieu [...] un milieu essentiellement théologique ». Ce milieu, il semble que l’A. le conçoive non pas seulement, à la manière gilsonienne, comme un ensemble de « sources », plus ou moins fiables et attestées, de la pensée cartésienne, mais comme un environnement aux contours beaucoup plus larges et plus lâches, une sphère ou un tourbillon intellectuel que le livre recrée avec une impressionnante maestria, s’étendant largement en amont et en aval de D, incluant ceux qu’il a (probablement) lus, ceux qui l’ont lu, mais aussi tous ceux qui par leur positions théoriques ont construit le terreau théologique et scientifique sur lequel ou contre lequel s’est élevé sa pensée. Pour cela, l’A. mobilise une érudition considérable qui fait largement la part aux sources philosophiques et théologiques médiévales (Oresme, Maïmonide entre bien d’autres), à la patristique, aux traditions des commentaires de la Genèse d’Augustin à Mersenne, aux cercles des coperniciens de la première heure, à Kepler et à son milieu allemand, mais aussi au cartésianisme hollandais du second demi-siècle et aux lectures « mosaïques » de la cosmogenèse cartésiennes qu’elles proposent.
95Dans le premier chap., « Descartes in Genesim – le texte perdu », l’A. rappelle que l’objet initial de sa recherche concernait la physique et la cosmologie cartésiennes du Monde aux Principia Philosophiae, l’objectif étant d’évaluer les limites que la théologie imposait aux constructeurs de monde, en particulier dans le contexte de la crise déclenchée par la publication du De revolutionibus orbium cœlestium de Copernic (1543), sa mise à l’Index en 1616 et le procès et la condamnation de Galilée en 1633. C’est dans le cours de cette recherche que s’est imposé le motif théologique de la Création, un motif dont l’A. constate qu’il a été trop souvent négligé, de par la focalisation du commentaire sur « l’architectonique » cartésienne, subordonnant la physique à la métaphysique, et considérant donc que, du point de vue de cette dernière, le récit de la Genèse ne peut être entendu qu’allégoriquement, comme création des natures spirituelles, et non comme celle du corps dont l’existence, et partant la création, presque tout au long des Med., restent suspendues au doute. L’A. pour sa part invite à considérer qu’il y a place chez D. pour une reprise, cette fois dans la physique, d’un autre projet herméneutique : un projet prenant la Genèse au mot, sinon à la lettre, et s’attachant à en tisser le lien avec la science nouvelle. Il insiste sur l’importance nouvelle de ce projet dans un contexte post-copernicien, illustré par Kepler et Mersenne, où un nouveau concept de physique céleste vient mettre au rencart les intelligences tractrices et les moteurs immobiles des aristotéliciens. Ce contexte, mais aussi les attaques dont les coperniciens firent l’objet au nom d’arguments scripturaires, conduisirent ces derniers à se pencher de novo sur le texte de la Genèse, dont E. M. montre qu’il offrait un soutien inattendu à la physique mécaniste, en particulier parce qu’il faisait porter l’attention, non pas sur les anges tracteurs, totalement absent du texte biblique, mais sur la matière céleste et la fluidité des cieux.
96Le second chap., « la métaphysique du nouveau monde », essentiel au propos, a une structure quelque peu énigmatique, et aurait sans doute gagné à voir présenter ses tenants et aboutissants de manière moins elliptique. Nous y lisons en premier lieu une exploration des débats touchant à l’unicité du monde ou au contraire la pluralité des mondes. Descartes y a sa place, lui qui défend la thèse selon laquelle il n’y a qu’un seul monde... parce que nous ne saurions découvrir en nous l’idée d’aucune autre matière (Principia II, 22) – thèse « formellement aristotélicienne » mais en réalité aux antipodes d’Aristote, en ce que la « pluralité des mondes n’a disparu que pour céder sa place à celle des tourbillons », et partant à l’accueil légitime d’une spéculation sur ces terrae incognitae où Dieu aurait pu loger une infinité d’autres créatures intelligentes, et les pourvoir des mêmes avantages que nous, jusqu’à l’Incarnation elle-même (AT V 54). De ces débats, dont Mersenne est particulièrement bien informé (il s’en fait l’écho dans le chap. II des Quaestiones in Genesim, où E. M. croit lire une référence directe aux discussions que Mersenne aurait eues avec D. sur ces questions dès 1623), se dégagerait un certain échec de la théologie à surmonter les secousses violentes que non seulement les promoteurs du nouveau monde copernicien, mais ses propres contradictions internes auront infligées au dogme d’un Dieu Créateur d’un monde unique, exclusivement centré sur l’homme. C’est en tout cas à cet échec que répondrait l’entrée en métaphysique de D., documentée dans les lettres de 1630, et sa décision de placer sous l’horizon d’une philosophie première les questions théologiques de l’existence de Dieu et de la Création du monde. Sur ces bases, E. M. parcourt de façon particulièrement concise (pour ne pas dire elliptique) le dispositif médiéval des preuves de l’existence de Dieu, en s’efforçant d’identifier l’impasse dans laquelle s’était fourvoyé le thomisme, s’attachant à prouver Dieu par la Création plutôt que la Création par Dieu. Le Dieu de D., s’il se prouve aussi par les effets, se prouve par ce seul signe qui ne soit du monde, « l’idée » en moi d’un être infini, et Il se prouve comme Dieu Créateur, un être qui se définit « comme celui qui veut et par là fait exister ce qu’il veut, et non comme un simple fonctionnaire de l’ordre et des lois de la nature. » Tendu dans un jeu de références complexe entre Maïmonide et Heidegger, ce chap. dense se conclut par une discussion de la manière dont se résout à partir de l’idea Dei la question de la réalité extérieure, mise entre parenthèses dans le doute. C’est, écrit E. M. dans un passage essentiel, « la seule considération de la puissance divine [qui] suffit à donner l’idée de l’universitas rerum, et tout ce que nous ignorons nous l’ignorons sous le présupposé d’un monde, et d’une création dont il est d’ores et déjà acquis qu’elle ne peut s’épuiser dans la production du seul être que je suis » (p. 122). Ce monde est donc celui dont la seule chose que l’on sache est que l’on y tient le rang de simple « partie », une notion qui n’est donc pas seulement réservée à la res extensa mais permet d’identifier le statut cosmique et la position de la mens humaine, située dans un univers qui la déborde et dont elle ne voit que le voisinage.
97Dans le chap. III, consacré à « l’herméneutique du liber naturae », E. M. se propose d’apprécier le rapport des coperniciens et de D. à la question herméneutique et au principe d’accommodation. Comme il l’écrit en conclusion du chap., la vérité de l’Écriture ne fut pas remise en cause par Copernic mais c’est le type de vérité de l’Écriture et la manière de comprendre le texte sacré qui se sont vus profondément modifiés. La question de l’accommodation (dans ses variétés « séparatistes » et « unitaristes ») est prise à la fois par l’amont – chez les premiers coperniciens, singulièrement chez Rheticus, dont l’Epistola de terrae motu offre une remarquable explication copernicienne de la Genèse, anticipant sur les principes cartésiens de conservation du mouvement – ; et par l’aval, dans le cadre du débat hollandais sur l’orthodoxie du cartésianisme, chez un Lambertus Van Velthuysen, et chez le biographe de D., Daniel Lipstorp, auteur des Specimina philosophiae Cartesianae en 1653. Ce dernier n’hésite pas à identifier l’extension cartésienne à l’expansum ou l’extensum, une des traductions autorisée des « cieux »/rakhia créés par Dieu au premier jour, terme que la Septante rendait par stereoma, et la vulgate firmamentum. Si D. pour sa part s’est refusé à entreprendre une démarche de « physique sacrée » par laquelle il s’agirait de déduire une vérité physique des textes révélés (à cet égard il reste, selon E. M., « séparatiste »), sa conception singulière de l’extension comme ens creatum l’engage déjà dans une exégèse de fait de la Genèse. Son refus absolu de considérer que l’espace puisse préexister à la création, confirme en large partie l’intuition crue de Lipstorp – « Comprendre la Création et la novitas mundi, écrit E. M., suppose qu’on saisisse l’ens creatum dans sa contingence radicale, et que tout quelque chose apparaisse comme l’antithèse du nihil dont la puissance divine le sépare originellement » (p. 168).
98La question de l’espace comme objet de la création divine reste au cœur du chap. suivant sur l’espace et les limites du monde. Le chap. s’attache à l’une des conséquences « embarrassantes » du copernicianisme » : le recul des fixes à des distances « immenses ». Il entend montrer que seul parmi les coperniciens, D. était capable d’assumer métaphysiquement le caractère indéfini du monde, lequel découle chez lui a priori de la connaissance des attributs du créateur. Pour des raisons analogues, D. seul pouvait répondre au défi soumis à Galilée par Urbain VIII, lequel s’appuyait sur la toute-puissance de Dieu pour déclarer qu’une connaissance apodictique des voies de la nature est impossible, Dieu pouvant toujours choisir de faire les choses autrement que par les voies que nous concevons possibles. Pour surmonter cette aporie sceptique, il ne fallait rien moins que la doctrine de la création des vérités éternelles, lesquelles, l’A. y insiste à maintes reprises, ne sont rien d’autre que l’espace créé lui-même dont elles expriment les propriétés formelles. Ainsi, et c’est une thèse très forte et tout à fait convaincante de cet ouvrage, « la création des vérités éternelles vaut comme création simpliciter » (p. 220), et c’est parce qu’elles sont aussi fondamentalement structurantes pour le monde créé, qu’elles le sont pour l’esprit humain que l’apodicticité des lois de la nature peut être préservée. Au reste, ici encore, comme en bien d’autres lieux, l’originalité de D. est mesurée finement, non pas dans l’exhibition d’un contraste absolu avec ses prédécesseurs, mais dans l’identification de minces écarts avec des positions presque semblables, en l’occurrence ici celles prises, quelques décades plus tôt par un auteur jésuite de Louvain, Leonardo Lessius, affirmant de manière presque aussi énergique que D. la nécessité de penser la création des essences quasi comme par une cause efficiente.
99Les deux chap. suivants (« Démêler le Chaos I. Opus creationis », « II. Opus distinctionis ») forment un diptyque dont le fil directeur est un commentaire (encore une fois très largement contextuel) de la cosmogénétique cartésienne développée dans le Monde et dans les Principia Philosophiae. Ils s’attachent notamment à rendre compte de l’évolution de D. entre ces deux textes, sur le chaos originel et sur la question du sens qu’il y a à dire, y compris en régime copernicien, que la terre « se meut ». L’enquête s’ouvre par une discussion des raisons pour lesquelles la physique cartésienne, comme animée par le fiat lux biblique, devait s’ancrer dans l’explication de la lumière, laquelle s’impose non seulement comme la ratio cognoscendi de tous les phénomènes de l’univers, mais aussi comme un paradigme pour penser le mouvement imprimé par Dieu à la matière. Ce préambule permet à E. M. de situer la doctrine de D. dans le sillage des cosmogenèses mosaïques inspirées par le modèle émanationniste de la lumière – notamment celui des héritiers latins de l’optique d’Ibn Al Haytham, les « perspectivistes » Grosseteste et Vitellion ainsi que l’auteur d’un De intelligentiis, identifié à un certain Adamus Pulchrae Mulieris, selon lequel « toute forme influant dans une autre est lumière de manière essentielle » (p. 241). Selon E. M., Descartes hérite de leur réinterprétation de l’ontologie traditionnelle laquelle confère à la lumière toutes les fonctions et prérogatives dévolues traditionnellement à la forme et l’entéléchie. C’est sur cette base qu’il développe sa critique et sa destruction du « firmament » des Anciens. Loin d’en faire un corps solide et impénétrable marquant la limite du monde, il l’associe à la surface de notre tourbillon, limite entre deux matières liquides, manifesté par un indice de réfraction spécifique, et que l’étude de la trajectoire des comètes (comprises comme des astres errant de tourbillon en tourbillon) permettra peut-être un jour de mesurer. Dans le chap. sur « l’opus distinctionis », E. M. commente la manière dont D. explique la formation des éléments et des corps célestes à partir du chaos en sollicitant uniquement des mouvements de séparation et de division de la substance étendue. Il propose un rapprochement suggestif avec le récit de la Genèse qui ne cesse d’employer les verbes d’action séparer ou diviser (p. 274). L’examen de cet opus divin produisant successivement les trois éléments puis les astres conduit l’A. dans un itinéraire complexe, replaçant les hypothèses du Monde et des Principia sur la naissance des astres et des planètes dans le contexte scientifique de son temps (chez Willebrord Snell, Christoph Scheiner, Kepler) mais étudiant aussi les extrapolations et dévoiements « gigantomachiques » auxquels elle a pu donner lieu (chez Jean Terrasson et Claude Gadroys), évoquant des mondes en désagrégation qui se remplacent et s’absorbent les uns les autres, où E. M. voit les prémisses de l’interprétation sécularisante de la cosmologie cartésienne.
100Le dernier chap., « La fin des temps », n’est pas le moins riche, ni le moins original. Il montre de manière très suggestive combien la question du temps fut au cœur de la révolution copernicienne, laquelle est née dans le contexte de la réforme calendaire. Copernic a cherché l’exacte « raison » du mouvement de précession dans les étoiles fixes, mouvement qu’il voulait pouvoir rendre commensurable à celui des autres sphères célestes afin de permettre de calculer « l’année parfaite », au terme de laquelle tous les orbes célestes se verraient de nouveau alignés. E. M. qui montre comment ce thème de la grande année fut investi, y compris par les coperniciens, de significations apocalyptiques, insiste sur le fait que c’est à Kepler qu’il revint (contre ses propres tendances pythagoriciennes), de progressivement dénouer le lien entre l’harmonia mundi copernicienne (qu’il assigne désormais aux seules lois de la géométrie) et la commensurabilité des mouvements célestes, libérant ainsi l’astronomie tout à la fois de la « hantise de la circularité », et de la « hantise astrologico-religieuse de la fin du monde ». D. une fois de plus est présenté comme s’inscrivant dans le mouvement initié par Kepler. Le chap. propose à cet égard, une très belle discussion de l’anti-anthropocentrisme cartésien, sa critique nuancée de l’omnia propter hominem, tissé, comme dans un « intertexte » maïmonidien, et aux antipodes de la vulgate sur l’homme « maître et possesseur de la nature », une expression dont l’A. rappelle la signification biblique et la source textuelle dans les Commentaires des Sentences du Lombard (cité p. 358). L’homme n’est que la moindre partie de la Création, situé en un lieu inassignable du temps autant que de l’espace. Il semble à l’auteur de ces lignes que c’est précisément cette conscience de « localité » (plus sans doute que la considération de la toute-puissance de Dieu, avancée p. 333) qui explique le fameux renversement des Principia au terme duquel D. peut dire paradoxalement que la terre est littéralement immobile, puisqu’elle ne se sépare jamais de son environnement immédiat.
101On ne cachera pas que cette Fabrique du Monde est un ouvrage difficile, exigeant, souvent abrupt dans des transitions qui font passer sans ménagement d’un siècle à un autre, de la patristique à Heidegger, de D. à ses sources et de ses sources à ses lecteurs. Le parcours argumentatif est rarement balisé d’avance, et son caractère « zététique », à l’image de son objet (une cosmologie cartésienne en constante quête d’elle-même) est patent. Il y a chez l’A. une forme de funambulisme herméneutique qui pourra sans doute déconcerter plus d’un lecteur et plus d’un cartésien. Sur le fil ténu de ce commentaire « perdu » de la Genèse, dont rien en réalité, de l’aveu même de l’A., n’assure qu’il ait jamais existé, et que les strictes déclarations « séparatistes » de D. du Discours de la Méthode (AT VI 8) ou de la lettre à Hogelande (AT II 347-8) font dangereusement tanguer, il fallait une certaine audace pour s’avancer. E. M., qui n’en manque pas, pas plus qu’il ne manque du soutien d’une incroyable érudition – capable d’en remontrer à Mersenne lui-même (cf. p. 322, n. 5) –, parvient à convaincre du caractère absolument décisif de la théologie du Dieu créateur pour l’intelligence de la physique cartésienne. On pourra s’interroger ici et là sur la pertinence d’un rapprochement textuel, la vraisemblance d’une rencontre biographique ou la justesse d’une lecture, mais la fresque d’ensemble est d’une puissance de conviction incontestable et dessille les yeux sur nombre de textes cartésiens que l’on croyait bien connaître. Sans doute l’image du philosophe qui s’en dégage est-elle quelque peu déceptive – en particulier parce que D. y apparaît beaucoup moins original, beaucoup plus ancré dans son temps, ses lectures et ses rencontres que ne le veut l’imagerie d’Épinal qui a fait de lui le héros absolu de la modernité. L’image que nous en propose cet ouvrage n’en reste pas moins celle d’un auteur singulièrement profond et essentiel, y compris dans la manière dont il est parvenu à synthétiser et clarifier l’héritage philosophique de ses prédécesseurs coperniciens pour le transmettre à son siècle comme au nôtre.
102Philippe HAMOU (Université Paris-Nanterre)
103Revue Internationale de Philosophie, « Modernité des Règles pour le direction de l’esprit de René Descartes », numéro sous la direction de SEGUY-DUCLOS, Alain, 2019/4, 73, n° 290.
104Numéro thématique contenant les articles suivants :
1051/ FERRARI, Massimo, « Les Regulæ et l’interprétation néo-kantienne », p. 387-406. – Prenant le relai d’E. Dufour (« Descartes à Marbourg », in M. Fichant & J.-L. Marion, éd., Descartes en Kant, Paris, PUF, 2006) et très bien informé des recherches récentes menées en Italie et Allemagne, l’A. dresse le tableau détaillé de l’évolution de l’interprétation des Regulæ, qui mène de J. E. Erdmann (1834) et K. Fischer (1865) à la Descartes’ Erkenntnistheorie de Natorp (1882), jusqu’à Cassirer (de « Le développement de la pensée de Descartes depuis les Regulæ jusqu’aux Meditationes », Revue de Métaphysique et de Morale, 1896, et de Descartes’ Kritik der mathematischen und naturwissenschaftlichen Erkenntnis, 1899, à Descartes. Lehre – Persönlichkeit – Wirkung, 1939) et aux analyses consacrées à D. par Cohen dans Kants Theorie der Erfahrung (18852). Aussi sinueuse et complexe qu’elle apparaisse, l’approche marbourgeoise de D. ne se pose pourtant qu’une seule question : dans quelle mesure le penseur (désastreusement) métaphysique des Meditationes et en principe récusé par Kant, n’anticipe-t-il pourtant pas, dans les Regulæ, sur la pensée critique, par sa percée vers une pure théorie de la connaissance, libre de toute assomption ontico-ontologique ? La conquête cartésienne consiste en effet dans la reconnaissance que la considération de l’intellectus constitue le point de départ d’une philosophie déjà critique, abandonnant la considération des choses mêmes. Sur cette base, les débats tournent autour soit de l’assimilation de ce projet à l’idéal des mathématiques, soit à la retombée dans l’étude de la substantia. L’A. montre que cette réduction de D. à une Erkenntnistheorie partage la tendance représentée en France par L. Liard et L. Brunschvicg (a contrario, ajoutera-t-on, par E. Gilson ou J. Maritain et alii). Il souligne que, quelque divergentes qu’elles fussent, c’est sur ce sol que se développèrent les lectures de D. par Husserl et Heidegger. On regrettera seulement que le fond de la question – quelle est la légitimité de cette lecture ? – ne soit pas abordé. On le regrettera d’autant plus que les travaux des dernières décennies, ici complétement omises, offrent de nouvelles connaissances et ouvrent de nouvelles perspectives sur les Regulæ.
1062/ PRADELLE, Dominique, « La réflexion heideggérienne sur les Regulæ : de la méthode à la métaphysique », p. 407-430. – Pour l’essentiel, Heidegger débute sa réflexion sur D. à partir des analyses de Natorp : la méthode, acquise dès les Regulæ et toujours maintenue ensuite, conduit à un idéalisme critique, puisque la « ...première chose à connaître est l’intelligence, car d’elle dépend la connaissance de tout le reste, et non réciproquement » (ainsi dans les Règles I, VIII, XII). De plus, Heidegger admet aussi le reproche marbourgeois typique : D. n’a pas tenu longtemps sa position première, en renonçant à normer cette connaissance (critique) de l’intellectus par lui seul et en lui cherchant une fondation hétéronome (substance, création, véracité de Dieu, etc.). Pour autant, l’essentiel de la lecture heideggérienne se trouve ailleurs. Selon l’Introduction à la phénoménologie (tr. fr. A. Boutot, Paris, 2013, de l’Einführung in die phänomenologische Forschung, G.A. 17), le premier texte (WS 1923-24) consacré à D., qui se concentre sur les Regulæ comme fera plus tard Die Frage nach dem Ding, le privilège que D. accorde à l’intellectus par la méthode conduit à esquisser une science eidétique pure de la conscience ; il anticipe donc sur le projet de Husserl, dont il fait apparaître les limites : la forclusion par avance de tout être-au-monde et de l’accès aux choses en elles-mêmes, au profit exclusif de leur (re-)constitution selon les exigences formelles de la subjectivité constituante. La critique de D. vise au fond Husserl ; et surtout, à l’inverse de la tradition de Marbourg, il convient de reprocher à D. (comme à Husserl) son anticipation (avérée pour Heidegger) du criticisme et de l’Erkenntnistheorie, bref de n’avoir justement pas atteint une « métaphysique » des choses mêmes ; non pas d’avoir sombré dans la substantialisation (reproche de Husserl, suivant Natorp et Cassirer), mais de n’avoir pas accédé aux phénomènes autrement qu’en les réifiant en res, objets étendus ou non. Cette défaillance (Heidegger dira cette Versäumnis, ce « ratage ») a une origine : avoir réduit le souci, donc la détermination essentielle du Dasein, à la seule connaissance, la « modalité théorétique du souci » (D. P.), prolongeant ainsi ce que la pensée grecque avait initié, mais oubliant les possibilités encore sauvegardées par Éthique à Nicomaque VI, la phronêsis et la technê comme modes de pensée déterminés par les choses du monde, où se rencontre le Dasein. Dans cette perspective, les Regulæ, extrapolant le privilège des mathématiques jusque dans la Mathesis universalis, apparaissent comme l’imposition du primat théorétique dans la phénoménologie, qui « .. impose à la métaphysique une prédétermination formelle de son objet » (D. P.). D’où l’inversion du privilège accordé par les Marbourgeois (et Husserl) aux Regulæ. Belle et bonne contribution, où on ne relève qu’une erreur : le concept de substantia n’apparaît pas dans l’analyse du morceau de cire de la Meditatio II, et, s’il intervient dans Principia I, art. 52, ce n’est pas en référence à lui.
1073/ MEHL, Édouard, « Sagesse et recherche de la vérité dans le Traité des règles pour la direction de l’esprit », p. 431-448. – La fine et ponctuelle érudition habituelle de l’A. précise ici des points d’importance. Même si l’on hésitera à le suivre dans sa correction du titre (y rajoutant tractatus, terme effectivement utilisé, mais apocryphe dans l’inventaire de Stockholm, et sans rôle de titre en AT X 373 et 399 ; sinon il suffirait du « in hoc Tractu », AT VII 4, 1, pour corriger le titre des Meditationes), on sera assez convaincu par le rapprochement de l’universalité de la sapientia humana (Règle I) avec le primat de l’intellectus (Règle VIII) ; par l’hypothèse d’une origine homérique (Odyssée IV, 126 sq. & 220 sq.) de l’énigmatique « Trésor mathématique de Polybe le Cosmospolite » (AT X 214, recopié par Leibniz) ; par le rapprochement avec la folie selon Érasme ; par l’insistance sur la fait que jamais D. n’a douté de l’existence pure et simple des corps, mais seulement de que cette existence nous soit connue par perception claire et distincte.
1084/ CUNNING, David, « Hyperbolic doubt, Cognitive Garbage and the Regulæ », p. 449-467. – Appuyé sur une stricte ignorance du texte original de D. (toujours cité en traduction anglaise) et des études non-anglophones, un essai malheureux et confus sur les idées confuses.
1095/ SÉGUY-DUCLOS, Alain, « Les Règles au risque du relativisme », p. 469-489. – Soulignant à grands traits, mais très justement, que la théorie de la connaissance des Regulæ, en considérant les choses non en elles-mêmes mais en tant que connaissables, implique un nouveau concept de vérité, ce travail souligne que « Descartes élabore une connaissance des êtres [sc. des étants], mais qui n’a pas pour autant une le sens d’une ontologie ». L’A. se demande comment D. peut pourtant éviter un « relativisme anontologique ». Ce sera par un « absolu relatif », auquel manquerait cependant, pour s’établir solidement, les progrès ultérieurs des mathématiques modernes, Riemann et Poincaré (p. 478), Gauss, Lobatchevski et Klein (p. 486), Hilbert, Zermelo, Bourbaki, Löwenheim-Skolem et Grothendieck (p. 487), voire de la logique (Wittgenstein, Gödel, Lukasiewicz, Turing, p. 488). Seuls les spécialistes apprécieront.
110Jean-Luc MARION, de l’Académie française
2.2. Cartésiens
111(*) CARBONE, Raffaele, La vision politique de Malebranche, Classiques Garnier, Paris, 2018, 328 p.
112Le « visionnaire » Malebranche avait sans aucune doute une vision politique cohérente, et celle-ci n’était pas un « être représentatif » (pour reprendre l’expression d’Arnauld), mais une véritable science de l’homme (p. 41), comme le prouve solidement l’A. dans ce livre qui vient compléter une lacune dans les études malebranchistes. Car, à part quelques articles (plutôt datés) traitant la question, la politique chez Malebranche manquait de traitement unitaire et, disons-le, pouvant argumenter en faveur d’un « occasionalisme politique » (p. 83) dont peut retracer les étapes de cristallisation, à partir de la Préface de la Recherche jusqu’au Traité de Morale et aux Entretiens sur la métaphysique. Ce livre composé de trois parties relativement égales réussit à prouver que dès son premier ouvrage, Malebranche possède « une conception claire des rapports de pouvoir » (p. 43), qui puise ses racines le problème des deux unions de l’âme, s’enrichit progressivement (dans la confrontation, discrète mais réelle, avec Hobbes, p. 49-63, et même avec Spinoza, p.192-211) au fur et à mesure que se raffine l’analyse des effets générés (dans les rapports familiaux ou sociaux) par l’imagination et par « la volonté factuelle de convenir » (p. 91-99) et culmine dans la conception de maturité sur la justice divine et humaine (p. 265-299). Le fil rouge du livre est une analyse du concept d’ordre (en tant que « rationalité originaire et hiérarchie de valeurs inscrite dans l’Ordre immuable », p. 67), qui permet à l’A. de soutenir, avec des arguments solides (cherchant avec acribie des preuves textuelles de sa thèse) qu’il existe chez Malebranche « un fondement métaphysique de l’être-en-commun » (p. 68), à savoir « le rapport de tous les esprits avec une même source de lumière, avec Dieu lui-même » (p.85). L’A. revisite l’analyse faite par J. Reiter dans System und Praxis (Fribourg/Munich, 1972), et rediscute la distinction que celui-ci avait proposée dans le but de décrire la dimension « politique » de la métaphysique malebranchiste (entre une a-socialité métaphysique et une dépendance factuelle) et soutient qu’il ne faut pas injustement retrancher du malebranchisme la dimension intersubjective des relations sociales qui découlent, certes, du rapport métaphysique entre l’âme et le corps, marqué par l’inévitable tension entre évidence et vraisemblance, mais qui sont apaisées par la coopération entre raisonnement et expérience. C’est en vue de cette coopération que l’A. insiste sur un aspect moins évident de l’occasionalisme, à savoir la portée « morale » du rapport entre âme et corps, qui n’est autre chose que la nécessité de « maîtriser intellectuellement les liaisons interhumaines » (p. 83) tissées et entretenues pas l’imagination, cette faculté de l’âme qui « ne parle que pour le bien du corps » (comme le dit Malebranche lui-même), mais qui n’en demeure pas moins vitale puisqu’elle permet la sociabilité originaire dont découlent la hiérarchie politique, les rapports d’autorité, le biopouvoir et psychopolitique, les inclinations humaines comme l’estime et le mépris, la soumission et la désobéissance : autant de thèmes qui marquent la deuxième partie du livre (pp.105-160). Il revient à la troisième partie du livre de faire voir comment Malebranche met au point, dans ses œuvres de maturité, une conception articulée de la justice humaine en tant qu’institution de la loi positive, destinée à remédier aux conséquences de la chute originaire : une réflexion féconde qui n’est que l’analogon de l’équilibre que l’oratorien institue en Dieu entre nomothétique et puissance (p.270) et qui ne laisse ni Dieu (législateur suprême) ni les princes (législateurs temporels) agir en dehors de « l’ordre immuable de la justice ».
113Cristian MOISUC (Université AL. I. Cuza de Iasi, Roumanie)
114COQUI, Guillaume, Pascal. Misère et grandeurs de la raison, Paris, Ellipses, 2019, 254 p.
115Publié dans une collection au titre si peu pascalien, « Aimer les philosophes », le premier étonnement du lecteur porte sur le titre même de l’ouvrage. Que la pensée, par sa nature, fasse la grandeur de l’homme (L 759) ou sa dignité (L 756) est chose parfaitement attestée – comme sa misère et sa sottise, par ses défauts. Car « c’est être misérable que de se connaître misérable, mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable » (L 114). La pensée fait la grandeur de l’homme – elle est même « principe de grandeur en l’homme » (L 149) tout en lui faisant connaître sa misère (L 117). Que l’on puisse assimiler pensée et raison, passe (selon L 470 par exemple). Mais qu’il y ait pour Pascal des grandeurs de la raison – par quoi l’homme est grand –, voilà qui rend le propos d’emblée bien discutable, et qui fait craindre que le couple d’origine augustinienne de la grandeur (dignitas) et de la misère (miseria) de l’homme ne soit mal compris. Si ce petit livre requérait d’être recensé en détail dans le Bulletin cartésien, d’autres réserves pourraient être énoncées, en particulier sur le divertissement ou sur le fragment « Infini-rien », à propos duquel P. Costabel avait autrefois montré l’ineptie de multiplier les infinis en posant une équation comme « 1/ 2 ∞ ». Il ne le mérite qu’à titre de double contre-exemple méthodologique, que nous développons à l’adresse des jeunes chercheurs : pour son ignorance feinte ou réelle de la littérature secondaire, qu’elle soit récente ou canonique, et pour sa fatuité.
116La bibliographie est très lacunaire, de laquelle sont par exemple absents l’édition Lafuma major, mais aussi les travaux déjà anciens de H. U. von Balthasar, P. Courcelle, M. Serres, ou plus récents comme ceux de T. Shiokawa, J.-L. Marion, P. Force ou A. Frigo (non seulement le livre de 2016, L’esprit du corps. La doctrine pascalienne de l’amour, mais la présentation concurrente de 2015, L’évidence du Dieu caché. Introduction à la lecture des Pensées de Pascal) et al. La palme revient à deux commentateurs et à un éditeur : L. Thirouin d’abord, dont G. Coqui déclare péremptoirement, à propos de l’« admirable étude » Pascal ou le défaut de <la> méthode (titre fautif et absent de la bibliographie) commentant le difficile L 926 (« On se fait une idole de la vérité même ») : « Aucune lecture ne pourrait être plus éloignée de la nôtre, et, avons-nous la faiblesse de croire, plus contraire à Pascal » (p. 22) ! L’auteur de ces lignes (V. C.) ensuite, dont les ouvrages sont absents de la bibliographie, mais plusieurs fois sollicités. Le cocasse est atteint p. 159-160 : « On lit parfois [sic] que Pascal aurait, le premier en langue française, substantivé le pronom moi. C’est inexact, même si l’on s’en tient aux seuls philosophes » – la note appelée à ce mot renvoie au « philosophe » (!) Philippe Desportes, cité dans Pascal. Des connaissances naturelles à l’étude de l’homme (p. 123) puis dans L’invention du moi (p. 47) pour un usage parfaitement banal de « cet autre moi, pour qui j’aimais à vivre », alter ego qui n’est précisément pas moi, mais la femme aimée… Quant à l’édition Martineau des Discours, elle est qualifiée, nouvelle ambivalence, du mot péjoratif d’« aventure », auquel s’ajoute l’adjectif « remarquable » (p. 249). Ce qui n’empêche pas l’A de la suivre au titre de sa restitution dialoguée quand il reproduit le texte n° 6, « Qu’est-ce que le moi ? » (p. 231-232) et de l’introduire en reprenant sans les citer Sur le prisme métaphysique de Descartes de J.-L. Marion ou notre Pascal et la philosophie. On nous excusera de ne pas établir la liste des bévues, comme celle qui fait de Pascal, qui en donne la pagination, un usager de l’édition de 1592 des Essais (au lieu de 1652), pour nous contenter de relever que le mot Apologie (qu’aucun texte du XVIIe siècle n’autorise, comme l’ont montré récemment H. Aupetit et L. Thirouin) est employé passim pour parler du projet de Pascal, victime d’un « parti bigot » plus que « dévot » qui va jusqu’à « tordre les faits » (p. 14-17).
117Ces omissions, erreurs et confusions, fautes embarrassantes mais péchés véniels, se doublent de la moquerie et de la calomnie, autrement plus graves, envers L. Cognet. C’est ainsi que la n. 4 de la p. 150 reproche à l’éd. des Provinciales procurée par G. Ferreyrolles (Garnier, 2010, désormais CF, qui reprend l’éd. de Louis Cognet, Garnier, 1965, désormais C) de donner une référence fautive à Escobar – qu’après la 5e Provinciale « tout le monde cherche », relève malicieusement Pascal – concernant un passage particulièrement scabreux de la 6e Provinciale qui mentionne la bulle de Pie V du 30 août 1568 contre les clercs sodomites, pour lui substituer « un passage autrement moins croustillant » qui « rend le texte incohérent ». Or Cognet, qui suivait l’éd. de Lyon 1659 du Liber theologiae moralis viginti quatuor Societatis Jesu Doctoribus reseratus d’Escobar (2e tirage, dernière éd. parue du vivant de Pascal, C p. 80, note 2 = CF, p. 195, n. 1 et p. 87) donnait la bonne référence à Escobar (éd. 1659, p. 151 in C p. 99, n. 3 = CF p. 213, n. 3), qui correspond en effet à celle donnée dans le texte même sans indication de la page depuis l’édition in-8° de 1659 : tr. I, ex. 8, n. 102 (C a été suivi par Le Guern, que l’A. crédite d’avoir rétabli la bonne référence !). D’où vient l’erreur ? L’A. n’a sans doute pas vu que CF a utilement transformé en notes de bas de page les variantes données in fine par C, c’est-à-dire les références à A (éditions originales in-4° dans le texte établi par Gazier dans la collection des Grands Écrivains de la France, t. IV-VI), B1 (première édition, Cologne, 1657) et B2 (seconde édition de 1657) : ainsi la note 2 de CF p. 213 indique « est en la p. 117 » (= C p. 487), page qui renvoyait à l’éd. 1644 d’Escobar dument citée par Pascal après Arnauld (GEF, t. V, p. 32, qui donnait, à la suite de Nicole/Wendrock, le passage d’Escobar, GEF, t. V, p. 19 = p. 151 de l’éd. 1659 – l’édition de 1644, restée ignorée de Gazier, GEF IV, p. 286, est désormais disponible sur books.google.fr) ! Il n’y a donc là aucune « correction » de CF, mais l’usage double de l’éd. de 1644 (p. 117, initialement citée par les Provinciales) et de celle de 1659 (p. 151, utilisée par Gazier, C et CF). Quant au passage lui-même, Pascal « n’ose le rapporter, car c’est une chose effroyable » ; Wendrock de même, traduit par Mlle de Joncoux : « Montalte écrivant en français ne l’a touché que légèrement, et je n’oserais moi-même le rapporter si je n’écrivais en latin » – et Mlle de Joncoux de donner, dans la traduction même, un résumé français du propos d’Escobar, qui explicite les « circonstances » du crime contre nature mentionnées par Suárez pour en évaluer les degrés de peccaminité (éd. Berton, Vivès, 1871, t. 23 bis, p. 134, qui commente saint Thomas, Summa Theologiae, IIaIIae, q. 154, a. 11 et 12 et discute Martin de Azpilcueta, le Doctor navarrus), avant de préciser en note : « Escobar explique ces circonstances, mais la pudeur ne permet pas de traduire cet endroit en français. Le voici en latin » (« Doctrine abominable d’Escobar », Note I sur la VI. Lettre, in Les Provinciales…, avec les notes de Guillaume Wendrock…, traduites en français par Mademoiselle de Joncourt, Cologne, 1739, t. II, p. 83) ; de même aussi L. Cognet, qui note « passage peu traduisible en français » (C p. 99 = CF p. 213). Mais G. Coqui prend la pudeur de Cognet (plus loin qualifié de « pudique à l’excès », p. 250) pour une ignorance du latin : « le passage, que Louis Cognet déclare “peu traduisible” (!), l’est en réalité très facilement » (p. 150). Bravo ! Traduisons et croustillons. Que dis-je ? Taillons des croupières. Notre époque n’en est plus à couvrir ce qu’on ne saurait voir, comme tous les tartuffes qui nous ont précédés. – A vrai dire, la traduction du passage est si facile que G. Coqui croit pouvoir la reprendre à M. Le Guern (Pascal, Œuvres complètes, t. I, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, note p. 1178-1179 à l’appel 4, p. 638) sans en corriger les erreurs. Commençons par quelques maladresses qui feront sourire : le clerc est innocenté par Escobar, licet non servet debitum vas, « bien qu’il ne conserve pas… » (pour : « bien qu’il ne se serve pas… ») ; exercere sodomiam, c’est l’« exercer » (pour : la « pratiquer ») et les lapsi sont ceux qui y ont « glissé » (pour : y « sont tombés ») ! Plus fâcheux que cet exercice de glissade est le faux sens final : « Colligo clericum… , si sit contritus, etiam retento beneficio, officio, et dignitate, omnino esse absoluendum », « Je conclus qu’un clerc…, s’il est contrit, doit être absous totalement, même s’il retient son bénéfice, son emploi et sa dignité » — le clerc est absous et de plus il conserve ses droits, etc.
118Quand on a affaire à un livre publié par l’éditeur Ellipses, l’expérience fait d’emblée présumer que sa lecture sera inutile – les exceptions sont rares, et, de ce point de vue, Descartes est heureusement bien loti. La seule question qu’un recenseur a à se poser est celle de savoir si le livre est incertain, et, partant, sera nuisible à ses lecteurs, en particulier étudiants. La réponse s’impose ici. Il n’en faut pas moins approuver sans réserve sa conclusion, qui appelle à « lire et relire » Pascal. Pascal lui-même.
119Vincent CARRAUD (Sorbonne Université)
120FERRARO, Angela, La Réception de Malebranche en France au XVIIIe siècle. Métaphysique et épistémologie, Paris, Classiques Garnier, 2019, 410 p.
121Jusqu’à il y a peu, la philosophie de Malebranche faisait surtout l’objet d’approches structurales focalisées sur les questions métaphysiques liées à l’occasionalisme versus le théocentrisme et à la vision en Dieu. F. Alquié et J. Deprun avaient tôt souligné l’importance de la réception de la physiologie et de la psychologie de l’homme déchu pour les Lumières. Mais le traitement pour lui-même de ce paradoxe des conséquences, c’est-à-dire l’examen rigoureux des modalités de l’incorporation d’arguments entiers de Malebranche au service de l’édification de matérialismes parfois radicaux, mit du temps à mettre à profit des travaux sur ce point essentiels comme ceux des spécialistes des manuscrits clandestins.
122La très grande originalité de l’ouvrage d’A. Ferraro, parfaitement informé de la littérature critique la plus récente, consiste, de ce point de vue, à se situer par-delà les clivages idéologiques et à proposer la première étude systématique des réinvestissements contrastés de la philosophie de Malebranche par les Lumières françaises. Les cinq chapitres, sur la physiologie de l’esprit, l’obscurité de l’âme à elle-même, l’essence divine représentative de tous les êtres, le statut problématique des corps et le modèle de la légalité naturelle, permettent de réfracter la métaphysique et l’épistémologie de l’Oratorien dans des corpus parfois méconnus ou sous-estimés par les historiens de la philosophie. On pense notamment au médecin Jean Besse (16??-17??) ou au pédagogue Edmond Pourchot (1651-1734), mais les exemples de ce type abondent dans l’ouvrage. Ils permettent en outre d’envisager les corpus plus canoniques sous des jours nouveaux ou de faire porter la focale sur des philosophes à la fois décisifs et encore peu étudiés, ou pas de cette manière. Il en va par exemple ainsi des analyses de l’apport de la psychologie malebranchiste à la philosophie de Rousseau, des relations entre les pensées de Voltaire et de Malebranche sur la question de la connaissance de Dieu, ou bien encore de l’importance de la physiologie malebranchiste de l’esprit pour la gnoséologie condillacienne. Comme toute étude de réception informée et soucieuse de sa méthode, portant sur un vaste corpus et une longue durée, le travail de l’A. nous invite ainsi à bousculer les catégories historiographiques dominantes. Il réintègre opportunément Malebranche dans une histoire de l’empirisme physiologique et psychologique nous permettant de repenser aussi bien ses relations au spinozisme et sa contribution à l’avènement de la radicalité, que son rapport au mysticisme et son importance pour les « anti-Lumières ».
123Delphine ANTOINE-MAHUT (ENS de Lyon, IHRIM, Umr 5317 et labEx Comod)
124PRIAROLO, Mariangela, Malebranche, Rome, Carocci editore, 2019, 199 p.
125Décrire Malebranche d’une manière synthétique, dans une monographie consacrée à un penseur qui se situe à mi-chemin entre les classiques et les modernes (p. 8), illustrant dans son œuvre les contradiction de l’époque baroque et même celle d’une synthèse échouée (p. 169) : voici le pari réussi de M. Priarolo dans ce livre paru dans la série Pensatori de l’éditeur. Dans la lignes des livres condensés et érudits sur Malebranche (Denis Moreau, Malebranche. Une philosophie de l’expérience, Paris, 2004 ou Claire Schwarz, Malebranche. Mathématique et philosophie, Paris, 2019, voir le compte rendu ici même), ce livre se propose de rendre compte des principales articulations du système malebranchiste. Ecrit d’une manière alerte et structuré en trois chapitres relativement égaux portant des titres bref et suggestifs (Conoscere, Essere, Agire), auxquels s’ajoutent une chronologie de la vie et des œuvres de l’Oratorien ainsi qu’une bibliographie essentielle et mise à jour, le livre offre le portrait d’un Malebranche animé pendant toute sa vie d’une même conviction, à savoir l’universalité de la raison. Le premier chapitre permet à l’A. de reprendre le grandes lignes de la théorie malebranchiste de la connaissance (suivant la charnière posée dans la Recherche), y compris du point de vue de l’évolution de la théorie occasionaliste de l’idée, survenue à cause de la controverse avec Arnauld et avec Foucher (p. 78-88). Analysant la doctrine de l’idée efficace et de ses corrélats épistémologiques, à savoir la passivité de l’esprit humain et l’obscurité de l’âme humaine à elle-même (p. 63-77), l’A. signale l’effet paradoxal de l’occasionalisme en matière de morale, c’est-à-dire l’effacement de la notion de responsabilité individuelle (p. 52). On appréciera beaucoup la distinction entre « les bonnes intentions » de Malebranche et « la vérité paradoxale du malebranchisme en domaine épistémologique » (ou du « théocentrisme épistémologique, p.88), c’est-à-dire l’identité entre Dieu et l’homme au nom du savoir absolu (p. 82). Dans le deuxième chapitre, l’A. montre de quelle manière l’oratorien attaque un aspect problématique du cartésianisme (l’existence du monde extérieur), afin d’en fournir une démonstration plus rigoureuse (p. 98), ce qui ne peut pas se faire sans l’appel à la parole divine. Des pages denses et judicieuses retracent les étapes conceptuelles de la polémique avec Dortous de Mairan et reviennent sur les rapports entre l’étendue intelligible et les accusations de spinozisme (p. 101-112). Une dizaine de pages sont consacrées aux rapports entre Malebranche et Leibniz quant au concept de « lois de la nature » (que ce soit celles du mouvement ou celles qui dérivent de la théorie de la création des vérités éternelles (p. 112-128). Le dernier chapitre souligne, avec justesse, les conséquences en matière de théologie d’une thèse chère à Malebranche dès l’époque du Traité de la nature et de la grâce (l’action simple, générale, constante et uniforme de Dieu). La théodicée malebranchiste (qui se fonde sur la reprise, en domaine de la grâce, du fonctionnement des lois naturelles) génère des « conséquences non désirées » (p.139), parmi lesquelles l’A. mentionne l’action générale du Christ, cause occasionnelle de la grâce : un aspect du système occasionaliste qui ne manquera pas d’être exploité par Robert Challe (1659-1721) ou par Voltaire (p.141-146), qui mettront d’autant mieux en cause le concept traditionnel de providence divine. Les conclusions insistent, avec justesse, sur l’ambiguïté du rapport malebranchiste entre foi et raison, ainsi que la double manière de lire le rapport entre la philosophie et la théologie. Il revient donc au lecteur de revivre les ambiguïtés du malebranchisme, guidé par ce livre pour le grand public écrit avec rigueur scientifique.
126Cristian MOISUC (Université AL. I. Cuza de Iasi, Roumanie)
127SCHWARTZ Claire, Malebranche, Mathématiques et philosophie, Paris, Sorbonne Université Presses, 2019, 390 p.
128Sous un titre ambitieux, l’A. expose les principes et l’évolution de la pensée mathématique de Malebranche en deux grandes parties. La première, fondée principalement sur l’analyse du livre VI de la Recherche de la vérité, analyse les rapports généraux de la pensée de l’Oratorien avec les procédures mathématiques développées dans les Regulæ ad directionem ingenii en étudiant successivement les conceptualisations malebranchiennes de la méthode, puis la théorie de la vérité entendue comme rapport. Il s’agit ici d’examiner la période qui va des premiers travaux aux années 1690. Le tournant qui suit est opéré notamment sous l’influence des résultats leibniziens, dans le cadre de la diffusion du nouveau calcul. La seconde partie (« Évolution ou Revirement ? ») se focalise initialement sur la question du calcul intégral et de l’infini, en analysant pour commencer le manuscrit Du calcul intégral publié en 1967 (2e édition 1979) par P. Costabel dans le vol. XVII-2 des Œuvres complètes de Malebranche. Le fruit de cette analyse est la mise en évidence de l’attitude différenciée de D. et de Malebranche par rapport à la question de l’infini, tant en mathématiques qu’en philosophie. Ce point débouche, apparemment par souci d’exhaustivité (p. 287), sur le thème de la physique générale malebranchienne (ch. 5). La conclusion écarte toute idée de revirement et s’attache à reconstituer les cohérences. Parmi les points les plus intéressants de cette étude, vient en premier lieu la présentation (faite sans changement par rapport aux hypothèses de P. Costabel) et l’analyse détaillée du cahier de Malebranche rédigé à partir des Leçons de calcul intégral de J. Bernoulli. L’A. clarifie les problèmes traités dans ce document de manière précise, mais il semble que le trait de contraste soit parfois forcé. Par exemple, à propos des tangentes, l’A. rappelle que, dans l’école malebranchiste, on suppose « depuis un certain temps » que « les lignes courbes se doivent considérer comme des polygones d’une infinité de petits côtés égaux » (p. 209), et oppose cette conception de la courbure à celle de D., pour lequel, selon l’A., qui s’appuie sur la Géométrie (AT VI, 412), une telle supposition serait impossible. Or D., dans une lettre à Mersenne du 23 août 1638, dit précisément qu’il considère la « roulette circulaire comme un polygone qui a une infinité de côtés » (AT II, 309). Certes, D. ne démontre pas cette supposition, pas plus que les malebranchistes, mais il l’assume bel et bien.
129Ce travail centré sur Malebranche intéresse naturellement les études cartésiennes, puisque l’A. s’attache constamment à montrer l’analogie des problèmes, la reprise critique par Malebranche des thèmes de D. et leur transformation voire leur rejet. Concernant la question de la méthode, l’analyse de l’A. est intéressante dans sa mise en rapport des Regulae avec la pars construens de la Recherche : signalés depuis longtemps, les parallèles entre le D. encore inédit et la méthodologie malebranchienne sont manifestes (mais peut-être aurait-on souhaité qu’ils fassent l’objet d’un relevé plus systématique, plutôt que d’une reconstruction affectée de digressions) ; de même, il y a ici, chez Malebranche comme chez D., un rapport essentiel avec la théorie de l’imagination, dont les grandes lignes sont restituées.
130On peut cependant nuancer un certain nombre d’assertions un peu hâtives. Ainsi, selon l’A., la certitude de l’arithmétique et de la géométrie définie par la Reg. II proviendrait de la « perfection de leur objet » (p. 57). « Perfection » est-il une traduction satisfaisante de l’ « objectum (…) purum et simplex » (AT X 365, 16-17), et ce plus encore dans l’optique d’une lecture malebranchienne ? Le ch. IV de la première partie du Livre VI de la Recherche, dont certains textes semblent directement copiés sur les Regulae (par exemple, OC III, p. 274-275) devrait sans doute être développé dans tous ses aspects, y compris musicaux et mécaniques. – D’autre part, certaines questions sont évoquées bien rapidement (ainsi, la question de l’anaclastique p. 66) ; les remarques sur les notions de Mathesis universalis, de « mathématique universelle » et de « science universelle » paraissent demander des justifications plus amples, et ce même si la considération de la géométrie comme « espèce de science universelle » propre à rendre attentif et à régler l’imagination » (Recherche, OC II, p. 278) ne dérive pas comme le montre très justement l’A., de la Reg. IVb, elle paraît quand même, dans tous ses éléments, s’associer à la séquence des Reg. XIII à XV ; dans le même ordre d’idée, le passage essentiel de la Reg. XIV (AT X 440) sur la grandeur choisie comme susceptible d’être peinte en l’imagination ne peut être compris en considérant qu’est grandeur « ce qui est susceptible de mesure » (p. 75) : D. ne définit pas la grandeur par la mesure, mais seulement par la capacité à recevoir le plus et le moins – et la difficulté qu’aurait une telle définition par la mesure est précisément marquée par Malebranche, qui montre que les rapports incommensurables s’expriment géométriquement aussi bien que les autres (Recherche, OC II, p. 276).
131Cet ouvrage a le mérite de fixer l’attention sur la pensée mathématicienne de Malebranche dans tous ses aspects, à la fois internes au développement de cette science et dans ses rapports avec la philosophie prise dans sa dimension gnoséologique et méthodologique. Dans le cadre d’une monographie, cette perspective est légitime et nouvelle ; elle appelle des prolongements.
132Frédéric DE BUZON (Université de Strasbourg)
133STRAZZONI, Andrea, Dutch Cartesianism and the Birth of Philosophy of Science, Boston, De Gruyter, 2019, 245 p.
134L’ouvrage est issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’université Erasmus de Rotterdam en 2015. Dans le sillage des travaux de L. Thijssen-Schoute, Th. Verbeek et T. Schmaltz, l’A. s’efforce de montrer que la réception de la philosophie de D. dans les Provinces Unies au XVIIe siècle dessine un mouvement de transformation de la métaphysique cartésienne en philosophie des sciences. En même temps que les cartésiens néerlandais remanient la philosophie de D. pour l’insérer dans le curriculum universitaire (notamment en développant les disciplines de la logique et de l’éthique sur une base cartésienne), ils cherchent à garantir le statut de connaissance certaine (scientia) à la philosophie naturelle grâce aux ressources offertes par la métaphysique cartésienne (concernant l’évidence et la véracité divine).
135À la suite de l’introduction, le chapitre 2 (p. 23-38), sans apporter véritablement d’élément nouveau, constitue une synthèse sur la figure de Regius, dont l’A. admet qu’elle est en décalage avec la trajectoire qu’il entend retracer. En effet, Regius prive la philosophie naturelle cartésienne de son ancrage dans la métaphysique et renvoie toute fondation des sciences à la Révélation, donc hors du champ philosophique. L’A. considère que les autres cartésiens néerlandais entendent précisément réagir à cette approche. Les deux chapitres suivants retracent, dans le contexte de l’opposition universitaire au cartésianisme, les stratégies de Clauberg et De Raey, le premier produisant une scolastique cartésienne reposant sur une fondation métaphysique et logique et adaptée au cursus universitaire, le second se concentrant sur la physique cartésienne. Dans le chapitre 4, l’A. aborde également la figure de Geulincx qui s’insère cependant difficilement dans le tableau qu’il entend dresser puisque sa métaphysique centrée sur la volonté divine vise à garantir la certitude, non pas tant de la philosophie naturelle, que de l’éthique. Dans le chapitre 5, l’auteur revient à De Raey qui, à partir des années 1660, se tourne vers la métaphysique dont le rôle est réduit à celui de garantir le statut de certitude de la physique. Les deux derniers chapitres sont consacrés à De Volder et Willem Jacob ’s Gravesande qui associent le cartésianisme à la science expérimentale et newtonienne : la métaphysique n’offre plus à la physique ses premiers principes et la philosophie se transforme en retour réflexif sur les méthodes et les limites de la connaissance scientifique, i.e. en philosophie des sciences.
136L’ouvrage s’articule autour de la notion de foundation. L’A. entend principalement par ce terme les arguments philosophiques qui visent à garantir la fiabilité des facultés humaines dans l’acquisition d’une connaissance certaine et, dans une moindre mesure, la démarche théorique établissant l’ontologie de la philosophie et de la science (p. 20-22). Il entend montrer comment ces deux aspects de la démarche de fondation de la science par la philosophie prennent le pas, dans le contexte néerlandais du XVIIe siècle, notamment sur la déduction des premiers principes de la philosophie naturelle. Pour ce faire, l’A. s’appuie sur une prise en compte du contexte et une lecture attentive des sources. Celles-ci tendent cependant à prendre le dessus sur la ligne interprétative que l’ouvrage est censé suivre, d’autant que chaque page comporte d’abondantes citations latines, aussi bien dans le corps du texte qu’en notes de bas de page, qui ne sont jamais traduites.
137Delphine BELLIS (CRISES, Université Paul-Valéry, Montpellier)
138SUSINI, Laurent, L’Insinuation convertie, Pascal, Bossuet, Fénelon. La colombe et le serpent, Paris, Classiques Garnier, collection « L’Univers rhétorique », 2020, 458 p.
139« Soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes », enjoint Jésus-Christ aux fidèles qu’il « envoie comme des brebis au milieu des loups » (Mt 10, 16). Et malgré les efforts des exégètes, et notamment de saint Jean Chrysostome, pour neutraliser la formule déroutante, force est de reconnaître quelque chose d’insinuant, voire d’insidieux dans cette prudence reptilienne prêchée par le Christ, sinon dans son fond, du moins dans ses formes. Les difficultés recelées par le précepte christique devinrent particulièrement évidentes vers la moitié du XVIIe siècle lorsque l’éloquence sacrée se vit confrontée en même temps à la progressive stigmatisation de l’éloquence pédante et de la sophistique chrétienne des plumes jésuites du début du siècle et à l’épanouissement d’une éloquence mondaine insinuante. Il fallut alors s’interroger sur la licéité et les formes de l’« insinuation en régime d’éloquence chrétienne ». Allier le serpent et la colombe, comme l’exige le Christ, signifie distinguer, avec Pascal, la prudence « politique » de celle « divine et chrétienne », en précisant les pratiques discursives qui découlent de la prudentia spiritus, notamment en ce qui les différencie, mais aussi qui les rapproche de celles de la prudentia carnis. Le défi est celui d’articuler la prétention à une vérité forte avec l’aspiration à une parole insinuante, en imitant le modèle divin d’un discours qui se caractérise par une « douce et toute-puissante insinuation de [la] vérité » (Bossuet, Méditations sur l’évangile, I, 29). Entre la flatterie et l’invective, le « tournant insinuatif de l’éloquence chrétienne de la seconde moitié du XVIIe siècle » parvient à théoriser et à pratiquer un « double acclimaté, inversé, converti » de la prudence et de l’éloquence mondaines, de sorte que, selon Fénelon, « les enfants que Jésus-Christ veut qu’on laisse approcher de lui ont dans la simplicité de la colombe toute la prudence du serpent, mais une prudence empruntée » (Explication des maximes des saints, art. XXXI).
140C’est ce phénomène complexe, qui au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, permet la redéfinition des limites et des enjeux de « l’insinuation chrétienne », que s’attache à reconstituer l’étude de L. Susini. Et cela en choisissant comme points de vue privilégiés les Pensées de Pascal, le Carême du Louvre de Bossuet et Les Aventures de Télémaque de Fénelon – choix apparemment paradoxal, car il s’agit de trois auteurs et de trois ouvrages certes différents, mais qui semblent partager une même défiance à l’égard des voies obliques d’une parole qui persuaderait « par douceur » en renonçant à la force simple et directe de la vérité qu’elle énonce. Au fil d’une analyse extrêmement riche et très nuancée, l’A. parvient à situer l’essor de l’insinuation chrétienne sur le fond d’une crise de l’éloquence sacrée et « d’une recomposition des cadres de la rhétorique persuasive », tout en permettant de reconnaître dans Pascal, Bossuet et Fénelon trois remarquables théoriciens et praticiens de cette « insinuation convertie ».
141L’ouvrage propose une analyse en trois temps : après avoir précisé le sens qu’on assigne à la notion d’insinuation dans les années 1650-1700, en libérant le concept des ombres portées et des anachronismes de sa compréhension actuelle, l’A. fait le point sur la posture générale de Pascal, Bossuet et Fénelon à l’égard de leurres et des ressources de l’éloquence insinuative. Suivent quatre chapitres consacrés aux quatre instances qui articulent l’espace rhétorique de l’insinuation chrétienne (dérouter, répéter, semer, voiler).
142Les précisions lexicales s’avèrent très instructives, car on s’aperçoit que les usages d’« insinuation » et d’« insinuer » à l’âge classique manifestent une certaine indifférence à l’égard de la distinction entre l’implicite et l’explicite (« insinuation » est d’ailleurs aussi un « terme de Palais » qui nomme, d’après Furetière, « l’enregistrement d’un acte dans des registres publics »). Ainsi, il ne s’agit pas, comme on le pense spontanément aujourd’hui, de sous-entendre ou de donner à entendre, en cachant, au moins partiellement, ce qu’on veut communiquer, mais de rendre l’interlocuteur insensible à la violence de la communication, en faisant « entrer adroitement dans l’esprit » une vérité, « en ne marquant pas son intention de le faire et en s’interdisant d’imposer quoi que ce soit par la force ou par l’autorité » (p. 49). À l’instar des phénomènes physiques d’insinuation en tant que pénétration insensible et douce d’une matière dans une autre, on parlera en rhétorique d’un exorde par insinuation ou indirect, lorsqu’un premier détour adroit permet de mieux gagner le public. Ce n’est que vers la fin du siècle que l’idée d’insinuation se voit associée à celles d’allusion par réticence, d’implicite, d’invitation à penser ce qu’on décide de taire, voire de dissimulation, de séduction, de flatterie et de ménagement de l’amour propre et de la susceptibilité de l’interlocuteur. L’insinuation est alors comprise moins comme la « quête détournée de la bienveillance de l’allocutaire » que comme « l’expression dissimulée de la malveillance du locuteur » (p. 57). Mais il reste la possibilité d’une conversion de l’insinuation, dans une éloquence sacrée qui associerait modestie et art de ne pas déplaire dont on reconnaît le modèle dans le discours de saint Pierre annonçant aux Juifs de Jérusalem la divinité de Jésus.
143À ce titre Pascal, Bossuet et Fénelon témoignent de trois approches théoriques assez différentes de l’insinuation, qui recouvrent toutefois trois pratiques de l’insinuation aux outils partagés. Si Pascal dénonce dans l’insinuation l’instrument « diabolique », car oblique et protéiforme, de la rhétorique jésuite, il se penche aussi sur la nécessité pour un discours qui se veut efficace d’être comme « les rivières » qui « sont des chemins qui marchent et qui portent où l’on veut aller » (L. 717). La « manière d’écrire d’Epictète, de Montaigne et de Salomon de Tultie » (c’est-à-dire de Pascal lui-même) « est la plus d’usage, qui s’insinue le mieux » (L. 745) et cette insinuation symbolise avec le travail du temps et de la coutume qui ménage les répétitions, mais aussi avec une saisie d’« une seule vue » de ressorts de l’interlocuteur, permise par l’esprit de finesse (d’où la possibilité d’une double lecture de la formule bien connue : « Éloquence qui persuade par douceur non par empire, en tyran non en roi », L. 584, p. 96, 113). Chez Bossuet, au contraire une conception de la prédication gouvernée par la doctrine augustinienne du Maître intérieur impose de rendre l’auditeur attentif à une vérité intime : il s’agira alors de dénoncer surtout les leurres de l’insinuation de l’erreur, qui s’infiltre « goutte à goutte », avec « une force plus cachée », « en sap[ant] les fondements par plusieurs coups redoublés ». Mais ce diagnostic prépare l’usage converti de ces mêmes stratégies. Enfin, aux yeux du Fénelon du Télémaque, l’insinuation constitue surtout une arme pour le roi et son statut est moins réfléchi par l’auteur ou par ses porte-parole qu’il ne réverbère la totalité du récit romanesque, au fil des ses différentes situations et figures et des analogies et des échos que le narrateur tisse entre elles.
144Ces premières indications concernant les trois auteurs étudiés sont confirmées par les analyses que l’A. consacre aux quatre dimensions de l’insinuation chrétienne : dérouter, répéter, semer, voiler. L’insinuation se comprend d’abord comme le rejet du style didactique et démonstratif : la « recta via » est bien visée, mais non sans détours, en imitant la dispositio parfois déroutante de la parole divine. On peut adopter des approches indirectes, dans les sens d’inattendues, et même prendre de court l’adversaire, gagner l’attention, sinon l’assentiment de l’interlocuteur en le désarçonnant à force de hardiesse et de confiance. Qu’on pense à Pascal qui persifle ces extravagantes créatures qui se proclament hautement raisonnables, mais prononcent un « donc » tout à fait illogique (« Voilà mon état, plein de faiblesse et d’incertitude. Et de tout cela je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à chercher ce qui doit m’arriver », L. 427). Ou à Bossuet faisant miroiter le bienfait du sacrifice du Christ pour conduire le fidèle et avant tout le roi à s’immoler avec lui pour entrer en Carême. Ou encore, à la paideia de Télémaque qui s’avère une éducation indirecte par le détour de la fable. Concession, anticipation des contre-argumentations, digressions, développements secondaires et impertinents qui manifestent pourtant en creux la pertinence du dessein principal et unique : la déroute est non moins efficace que la « méthode claire et manifeste, et nullement cachée », par annonce explicite du plan et de ses étapes que prescrivait saint François de Sales.
145La question des répétitions est plus complexe, car il semble bien que la reprise martelée s’accorde mal avec l’insinuation. Toutefois les répétitions, chez les trois auteurs étudiés, servent moins à fixer qu’à déstabiliser, à saper insensiblement les fondements par des coups répétés, en instruisant indirectement ou en déblayant le terrain pour une instruction à venir. Les stratégies sont différentes : composition par motifs récurrents, amplification, déploiement de tout le dicible impliqué par un sujet ou un énoncé. Et les effets aussi apparaissent différenciés : exploitation progressive du thème, usage « non percussif de la répétition » non pas pour scander, mais pour lisser les âpretés, en produisant un style doux et coulant (Fénelon), relance rythmique (Bossuet), mais aussi exacerbation des ruptures et des tensions, en refermant les formules marquantes sur elles-mêmes (Pascal) – le cas des citations sapientielles et des traitements différents qu’en proposent les trois auteurs est à ce titre paradigmatique (p. 273-284).
146Semer et voiler enfin : la première opération revient à rendre possible une réception non contrainte, en communiquant insensiblement des idées que le locuteur s’approprie d’autant plus facilement qu’il croit de les avoir trouvées en propre. On retrouve alors la force des figures de la réticence et de l’interrogation orientée (Pascal), les croisements subtils des points de vue (Fénelon), les processus d’identification par des voies obliques (Bossuet), l’effort de faire jouer les mécanismes inférentiels de la narration (Fénelon). L’insinuation trouve enfin son soubassement théologique de sa pratique de « voiler » la vérité qu’elle transmet dans la « présence d’un Dieu qui se cache » : la manifestation du vrai s’accomplit, sans dissimuler ou simuler, par une accommodation qui passe par une apparente simplicité, voire en effaçant le point de vue du locuteur. D’ailleurs, comme le rappelle Pascal, « Jésus-Christ a dit les choses grandes si simplement qu’il semble qu’il ne les a pas pensées, et si nettement néanmoins qu’on voit bien ce qu’il en pensait » (L. 309).
147L’analyse de Susini a le double mérite de préciser un enjeu majeur de l’évolution de la rhétorique sacrée à l’âge classique et d’offrir une image inédite des trois auteurs étudiés, en crayonnant les portraits inattendus d’un Pascal « doux », d’un Bossuet « insinuant » et d’un Fénelon subtilement architectonique dans sa construction romanesque. Au fil de multiples analyses très subtiles, et en alternant les lectures rapprochées et les coups d’œil sur des corpus entiers, l’a. parvient à faire parler autrement des auteurs dont les voix sont souvent trop nettes pour en entendre les harmoniques et les ressorts secrets.
148Dans le cadre de ce Bulletin il conviendra de souligner pour conclure l’intérêt philosophique de ces analyses portant sur des phénomènes d’ordre éminemment rhétorique. Si les pages consacrés jadis par H. Gouhier aux démarches persuasives de Descartes et plus récemment par Francis Goyet à Montaigne et aux « audaces de la prudence » ont bien montré comment les exigences de l’écrivain et celles du philosophe s’articulent intimement et consciemment, le cas de l’insinuation est sans doute encore plus significatif. Non seulement parce que l’insinuation implique une sorte de réflexion au carré sur les ressources de l’éloquence mise au service de la transmission de la vérité, mais aussi parce que le malebranchisme, et plus encore la doctrine des petites perceptions, fournissent aux philosophes de la seconde moitié du xviie siècle les outils conceptuels pour penser l’insinuation qu’éventuellement ils pratiquent. Cela deviendra d’ailleurs patent chez Montesquieu pour qui « il ne s’agit pas de faire lire, mais de faire penser » et chez Rousseau, penseur (et praticien) d’une parole qui sait « entraîner sans violence et persuader sans convaincre. » Ainsi, pour se limiter à un seul des trois auteurs étudiés, l’approche de Pascal à partir de la question de l’insinuation permet d’offrir une relecture de la « pensée de derrière » (p. 104-108), de mieux comprendre les raisons strictement rhétoriques de la force de certaines formules trop connues (comme L. 201, p. 299-300) ou de proposer une reconstitution de la démarche rhétorique du fragment des trois ordres L. 308, avec des résultats qui recoupent et complètent ceux que nous avons nous-mêmes proposés ailleurs, à partir d’évidences philologiques et d’exigences philosophiques. Parfois, l’effort de déceler l’insinuation pousse l’A. à lire sans doute trop entre les lignes (voir p. 381, à propos de L. 647) et les incertitudes sur la nature exacte de l’horizon d’attente des Pensées rendent moins définitives certaines conclusions. Mais c’est le propre de l’insinuation de dissimuler sa propre dissimulation, et c’est une qualité indiscutable de cet ouvrage que de nous rendre sensible à ses multiples formes et à sa présence chez les auteurs de la première modernité.
149Alberto FRIGO (Université de Milan)
3. Études particulières
3.1. Descartes
150CHUKURIAN, Aurélien, Descartes et le Christianisme. L’approche philosophique de l’eucharistie, Paris, Classique Garnier, 2019, p. 342
151Le but de l’ouvrage, qui reprend la première partie de la thèse de doctorat de l’A. soutenue à Lyon en 2017 (« Descartes et le christianisme : une philosophie en accord avec la foi ? »), consacrée à deux aspects de la philosophie cartésienne — l’eucharistie et la morale —, consiste à étudier les modalités d’articulation entre la philosophie cartésienne et le christianisme, en présentant D., non comme un auteur hostile au champ religieux, mais au contraire comme un penseur s’efforçant d’établir un « accord », selon son propre vocabulaire, entre les principes de sa philosophie, instaurés par la raison, et les vérités révélées, appartenant à la théologie et tributaires de la grâce.
152L’introduction (p. 11-43) est consacrée à la conception cartésienne du rapport raison-foi, en retenant l’idée d’une séparation non contradictoire aboutissant à un accord, dont il est annoncé qu’il sera étudié à travers l’intérêt porté par D. à l’eucharistie, sacrement central de la foi chrétienne. L’A. fait suivre l’introduction d’une partie propédeutique (p. 45-93) pour resituer l’eucharistie aussi bien dans le contexte de l’œuvre cartésienne que dans la tradition catholique. Dans les chapitres suivants qui composent l’ouvrage, l’A. s’efforce alors de creuser le sens de cet accord à l’aune des deux explications proposées par D. à l’eucharistie, ce qui aboutit à la découverte de deux principales significations de l’accord, reflétant deux modalités d’articulation entre raison et foi. La première explication, celle du sort des espèces (p. 121-211), atteste l’effort d’établir une conformité au dogme catholique (concile de Trente), en lui conférant une assise philosophique nouvelle – les principes d’une physique mécaniste – renversant l’aristotélisme. La seconde explication, celle de la modalité de la présence du Christ (p. 213-314), témoigne d’une démarche plus ambitieuse, qualifiée « d’investissement philosophique du christianisme », en ce sens qu’il s’agit de conférer une intelligibilité propre aux données de la foi : l’A. repère un commentaire « cartésien » des paroles de la consécration, qui revient à donner pour clef à la présence réelle du Christ la conception philosophique de l’union de l’âme et du corps et l’efficacité transformante qui lui est conférée.
153Tout en s’appuyant sur les travaux sur l’eucharistie chez Descartes et les cartésiens (H. Gouhier, J.-R. Armogathe, X. Tilliette), l’A. cherche aussi, à travers des analyses claires, à montrer les enjeux philosophiques recouverts par l’eucharistie, notamment dans la façon dont D. puise dans ses propres principes, et les développe même, pour forger les deux explications. Dans ce sens, des éléments tels que la conception de la raison (sur la base du texte des Notae in Programma quoddam), la théorie de la foi (distinction matière-raison formelle), la notion physique de superficie, l’opérativité des paroles de la consécration, la théorie de l’union de l’âme et du corps (du point de vue de son efficience, de sorte qu’elle tient lieu de principe d’individuation) apparaissent dans toute leur prégnance philosophique. Le choix d’étudier la théorie eucharistique de D. s’inscrit par conséquent dans l’ambition de renouveler les études sur la pensée religieuse de D. : selon l’A, le grand mérite de la pensée cartésienne est de mettre en œuvre, sur la base d’une séparation préalable entre raison et foi, un accord qui ne se joue pas dans le même sens, tout en veillant à ne jamais outrepasser son domaine, en n’envisageant ni le salut ni la grâce, laissés à la théologie. Sur ce point, l’A. aborde dans ses pages conclusives (p. 315-327) ce qu’il en est de l’orthodoxie de l’explication cartésienne, en esquissant quelques pistes de réflexion à travers le prisme de la postérité.
154Cet ouvrage se recommande à plusieurs titres : outre le fait de restituer la portée philosophique de l’approche cartésienne de l’eucharistie, il montre également que celle-ci contribue à mettre au jour le rapport pluriel de la philosophie cartésienne au christianisme, selon les deux principales significations recouvertes par les deux explications de l’eucharistie. On souhaiterait que cet ouvrage puisse offrir l’occasion à l’A. d’approfondir dans un deuxième opus la seconde modalité d’articulation mise au jour grâce à l’eucharistie, ce qui se trouve annoncé à travers une référence à une prochaine étude consacrée à la morale cartésienne.
155Siegrid AGOSTINI (Università del Salento)
156KAMBOUCHNER, Denis, « Descartes aux limites du naturalisme. ‘La force qu’a l’âme de mouvoir le corps’ », BAGNATI, Gaia, CASSAN, Melania & MORELLI, Alice, éd., in La varietà del naturalismo, Philosophica 4, Edizioni Ca’ Foscari, 2019, 179 p., p. 93-106.
157L’A. met ici au jour un double paradoxe : non seulement, et contrairement à ce qu’implique littéralement la proposition cartésienne « la force qu’a l’âme de mouvoir le corps », l’âme n’est jamais l’agent direct de cette force motrice, mais encore les mouvements du corps procèdent en fait principalement de la disposition de ses organes. L’action déjà indirecte de l’âme est donc réduite à choisir entre des possibles physiologiques, voire à simplement consentir à une tendance du corps, ce qui conduit l’A. à conclure qu’un très grand nombre des actions humaines sont en réalité le fait du corps, d’où la place de cet article « aux limites du naturalisme ».
158Laurence DUPAS-GELIN (Sorbonne Université)
159PAVESI, Pablo, « Descartes y las leyes de caridad. Derecho privado y público en la Carta a Voetius », Revista de Filosofía, 44/2, 2019, p. 193-209. [en espagnol]
160C’est un lieu bien connu des études cartésiennes qui est ici parcouru à nouveaux frais : l’Epistola ad Voetium et l’évocation des « lois de la charité ». Descartes y rencontre une difficulté : « comment répondre à celui qui, systématiquement et délibérément, fait fi de toute raison ? » ; le commentateur, une autre : « comment comprendre le recours à la citation et à l’interprétation des Évangiles […] pour décrire les lois de l’amitié ordinaire entre les hommes […] ? » (p. 200). La réponse « cohérente » de J.-L. Marion à ces deux questions est rejetée : loin d’effectuer une sortie de la rationalité, l’Epistola constituerait un « alegato jurídico » – un plaidoyer s’adressant non pas à Voetius mais aux Magistrats pour demander le « châtiment » d’un théologien qui menace l’ordre public – s’inscrivant, à ce titre, dans le cadre d’une rationalité juridique assumée. De cette rationalité, dont les répercussions dans certains articles des Passions de l’Âme (en particulier, les art. 83 et194) et une lettre à Huygens de 1646 (AT V 262-265) sont mentionnées, il faudra dire qu’elle est tout entière fondée sur la distinction rigoureuse du « droit privé » fondé sur l’amour (naturel ou charitable) et du « droit public » fondé sur la justice et la loi. Par suite, (1) la charité n’est pas le « fondement » de l’amitié naturelle, y ayant tout au plus de l’affinité entre les deux (AT VIII-2 112, 27-28) ; (2) la « politique » de Descartes, si elle existe, ne saurait être ni une « politique de la charité » ni une « politique des passions », n’y ayant de politique qu’au niveau du jus civile, là où l’autorité publique, détenant le « monopole de la violence », a le pouvoir de châtier ou de gracier pour conserver la paix civile (p. 206-207).
161Louis ROUQUAYROL (Université Panthéon-Sorbonne)
162PERETTI, François-Xavier de, « Ne rien attendre de la fortune ou la disqualification cartésienne de l’aventure », Littératures classiques, 2019/3, 100, p. 263-273.
163Cet article entend réfuter le « portrait » ou la « légende » d’un D. aventurier. L’A. part pour ce faire de la définition de l’aventure proposée par Furetière : « ce qui est au pouvoir du hasard, de la fortune » (p. 263-265), et montre qu’elle ne peut s’appliquer à aucune dimension de la vie et du travail de D. Celui-ci ne cherche dans la vie pratique que « la tranquillité et le repos » (p. 267 ; AT V, 467) ; même ses jeunes années passées à voyager comme soldat dans le « grand livre du monde » ne l’ont point été par goût de l’aventure, mais dans le but de « s’instruire » (p. 265). La morale par provision enjoint, quant à elle, de faire preuve de modération, de résolution et de se soustraire à la fortune « en réglant nos désirs sur notre raison » (p. 268-269). La pensée cartésienne recherche enfin sur le plan théorique l’« assurance » et la « certitude », qu’elle trouve sur « la terre ferme du cogito » (p. 264 et p. 271).
164L’A. soutient même que « le doute cartésien est plus un dispositif savamment orchestré qu’une entreprise aventureuse dont Descartes ignorerait l’issue avant d’y entrer » (p. 270-271). Il fonde cette idée sur une interprétation « déflationniste » du doute cartésien de la Meditatio I, qu’il développe dans Certitude, évidence et vérité chez Descartes (Lecce, Conte, 2015, p. 97-16), selon laquelle les raisons de douter seraient de moins en moins fortes à mesure qu’elles portent sur davantage d’objets. L’A. peut dès lors aisément en conclure que l’argument du « Dieu qui peut tout » n’est qu’une « dramatisation littéraire » qui ne met jamais D. en péril (p. 271). La Mathesis universalis cartésienne, qui résiste déjà aux arguments sceptiques traditionnels – plus forts que l’argument du « Dieu qui peut tout » selon l’A. –, ne serait même jamais véritablement mise en danger. Pourtant, si le doute, en tant que volontaire, n’est certes pas une « aventure », cela n’implique pas que D. en connaisse par avance l’issue, ce qui irait à l’encontre de ses propres affirmations. Plus encore, si nous maintenons une « lecture inflationniste des raisons de douter » (p. 271), alors – aux côtés du « Dieu qui peut tout », au sommet du doute – le « hasard » (casus, AT VII 21, 21/AT IX-1, 16) réapparaît comme une autre origine possible de notre être. Dans la formulation pascalienne de cette dernière raison de douter, nous n’avons point de certitude « si l’homme est créé par un dieu bon, par un démon méchant ou à l’aventure » (L 131 et Entretien avec M. de Saci).
165Sylvain JOSSET (Sorbonne Université)
166RIBORDY, Olivier & WIENAND, Isabelle, éd., Descartes en dialogue, Basel, Schwabe Verlag, 2019. 350 p., bibliographies, index.
167Ces douze études consacrées à la correspondance de D. sont issues, pour la plupart d’entre elles, d’un colloque tenu au Collège des traducteurs Looren (Zurich) en 2013 ; ce colloque accompagnait le travail que ses organisateurs (O. Ribordy, I. Wienand) ont consacré à l’étude de la correspondance, qui avait abouti à la publication, en 2015, d’une très belle édition bilingue de la correspondance avec Élisabeth (René Descartes, Der Briefwechsel mit Elisabeth von der Pfalz [Französisch-Deutsch], Hamburg, Meiner, 2015).
168L’ouvrage se distribue en cinq sections. La première regroupe deux chapitres consacrés à la lettre à Chanut (i.e. à Christine de Suède) du 6 juin 1647 – dont D. Kambouchner souligne opportunément la stupéfiante audace théologique – et à la correspondance du diplomate Hector Pierre Chanut (O. Ribordy). La section suivante (M.-F. Pellegrin, L. Shapiro, I. Wienand, B. Wirz), est tout entière consacrée aux échanges philosophiques avec la princesse Élisabeth de Bohême ; cette section complète donc le volume précédemment édité par D. Kolesnik-Antoine et M.-F. Pellegrin (Élisabeth de Bohême face à Descartes : deux philosophes ? Paris, Vrin, 2014, voir BC XLV, p. 48-52). La troisième section se compose de trois chapitres consacrés à des questions (méta-)physiques précises et parfaitement bien documentées : F. de Buzon sur la première confrontation entre Hobbes et D. au sujet de la Dioptrique, T. Suarez-Nani sur l’arrière-plan médiéval de la discussion entre D. et More sur le statut de l’étendue ; D. Bellis sur le statut de la lumière dans la discussion qui oppose D. à Ismael Boulliau, auteur du De natura lucis (1638), puis du Philolaus (1639). La quatrième section rassemble – de manière moins intuitivement cohérente – une étude de R. Glauser sur la lettre à Mesland du 9 février 1645 et une contribution d’E.-J. Bos sur l’identité du traducteur de la Lettre apologétique aux magistrats d’Utrecht (1648), excluant l’hypothèse que cette traduction ait été faite par D. lui-même. Enfin, une étude systématique de l’historienne de l’art A. Schiffhauer établit le répertoire iconographique des principaux portraits de D., à la lumière des découvertes les plus récentes – comme le pastel de Simon Vouet (ca. 1632/1635 ?), intégré aux collections du musée Louvre en 2005, et identifié comme un portrait de D. par Alexander Marr en 2015. Ce volume se recommande par sa grande richesse et par la qualité de ses analyses. On eût peut-être souhaité que certaines contributions sortent encore davantage de la zone de confort des études cartésiennes, pour faire mieux entendre la nature proprement polyphonique de ces dialogues ; comme c’est le cas, entre autres, des échanges entre D., Chanut et Christine, où l’on peut entendre distinctement résonner les harmoniques de la querelle copernicienne et retrouver, jusque dans le texte cartésien, la trace des débats commencés (au moins) avec Maïmonide, où se sont illustrés plus tard Copernic, Kepler, Mersenne, Galilée, Campanella, Roberval, Hobbes, et bientôt Pascal… Enfin, on ne saurait clore cette trop brève recension sans signaler que cet ouvrage constitue le premier volume d’une nouvelle collection « Medieval and Early Modern Philosophy », dirigée Julia Jorati, Dominik Perler et Stephan Schmid. C’est l’initiative de l’éditeur bâlois Schwabe – qui a été rien moins que le premier éditeur scientifique européen ; aussi aura-t-on l’agréable surprise de trouver au frontispice de ces volumes la même marque d’imprimeur que sur les éditions anciennes de Copernic – ce qui ne manque ni d’élégance ni d’à-propos pour un volume consacré à Descartes.
169Édouard MEHL (Université de Strasbourg)
3.2. Cartésiens
170BARRIER, Thibault, Le Temps de l’admiration ou la première des passions à l’Âge classique, Paris, Classiques Garnier, 2019. 691 p.
171Les difficultés que représente une histoire conceptuelle sont à proportion égale de l’audace qu’elle appelle. Dans une tradition du commentaire, où s’était notamment illustré J. Deprun avec La Philosophie de l’inquiétude en France au XVIIIe siècle (Paris, 1979), l’A. entreprend une histoire de l’admiration, ou plutôt une compréhension des philosophies de l’âge classique à partir de cette passion, qui s’avère, à l’étude, être aussi un acte cognitif, dont l’objet est délicat à identifier et dont le statut reste ambivalent. Le défi que représente une telle histoire est relevé avec une clarté et une érudition qu’on ne peut que saluer. L’admiration est bien plus qu’une passion, quand même elle serait la « première de toutes » ; elle désigne le rapport de l’ego au monde, dans une oscillation permanente entre une dilution possible du sujet dans l’objet qu’il admire, et une disparition de l’objet admiré dans la connaissance que le sujet en prend, mettant ainsi fin à cette surprise mi ignorante mi curieuse que constitue la relation admirative aux choses. L’admiration, en cela semblable à l’imagination, paraît ainsi le contraire et le moteur de la raison classique – dans le déploiement de laquelle il convient, avec l’A., d’inclure Corneille, Gracián, Charles Le Brun ou Cureau de la Chambre. L’admiration doit-elle accompagner le travail de l’intelligence, nécessairement débordée par la diversité et l’inattendue singularité du réel, devenant ainsi l’instrument d’une épistémologie de l’attention (comme chez Malebranche exemplairement) ? Doit-elle être condamnée comme intellectuellement stérile mais cultivée dans son usage politique d’assujettissement et de captation (comme le soutient Spinoza), ou dans sa fonction esthétique d’émerveillement artificiellement renouvelé (au sein de la rhétorique de l’agudeza à l’œuvre chez Gracián et La Rochefoucauld, ou dans l’importance accordée au coloris en peinture) ou comme puissance dramatique, comme chez Corneille ? Plus encore, ce travail permet de poser autrement cette question lancinante, dont on ne peut ni refuser la pertinence ni définitivement fonder la légitimité, celle du sujet : l’ego classique est-il menacé, par les passions, par ce que Fénelon appelle la « déraison », mais aussi par l’infini divin ou l’indéfini du monde, de s’effacer voire de disparaître dans ce qui le subjugue ou se définit-il, au contraire, par cette reprise qu’il opère de lui-même, cette capacité à s’appartenir, même dans ce qui le dépasse ? La preuve est ici donnée que c’est par ses traités des passions que le XVIIe siècle ne cesse d’être moderne et de proposer à la métaphysique un renouvellement qu’il nous reste encore à examiner.
172Laurence DEVILLAIRS (Institut Catholique de Paris)
173BIANCHI, Lorenzo, DEL PRETE, Antonella & PAGANINI, Gianni, éd., Cartesianismi, scetticismo, filosofia moderna, Studi per Carlo Borghero, Giornale critico della filosofia italiana, Quaderni, n° 37, Le lettere, Florence, 2019, 306 p.
174Si Carlo Borghero, aujourd’hui professeur émérite à l’Université de Rome « La Sapienza », n’est pas le plus connu en France des historiens italiens de la philosophie moderne, il fait partie de ces grands érudits capables de poser des questions décisives dans l’appréciation des grands courants de la philosophie. Il appartient à cette génération qui a su opposer, à une conception « unitaire » de la période et aux linéarités trop abstraites, de nouvelles césures et des corpus alternatifs. On pourrait le rapprocher du mouvement de la micro-histoire, s’il ne fallait le replacer plus largement dans les tensions fécondes entre les études d’histoire de l’humanisme d’Eugenio Garin et les approfondissements conceptuels de l’histoire des sciences avancées par Paolo Rossi. Au centre de cette école, d’abord turinoise et ensuite romaine, Borghero s’est consacré au XVIIe s. sans céder à l’attrait univoque des grands systèmes pour faire émerger des faits textuels et des déplacements historiques qui ne se réduisaient pas à la soumission du particulier à un universel prédéfini : certitude morale, connaissance historique, théorie du luxe, polémiques pour et contre les Lumières... C’est cependant à partir de sources cartésiennes que l’interrogation a pris toute son ampleur, cherchant à échapper à des oppositions caricaturales qui tantôt faisaient de D. le maître honni de la technique et tantôt le défenseur du spiritualisme contre un matérialisme dénoncé comme athée.
175On trouvera ainsi dans le volume de magistrales études d’histoire de la philosophie médiévale et moderne : E. Scribano comparant les différents modèles de la finalité de Thomas à Campanella (« Tommaso, il citaredo e l’arciere », p. 9-24), G. Belgioioso reprenant les différentes phases de la fidélité cartésienne de Clerselier (« A proposito del cartesianismo di Claude Clerselier », p. 25-62), de G. Paganini sur le motif de la curiosité chez Hobbes (« Thomas Hobbes dall’ammirazione alla curiosità », p. 73-94), d’A. L. Schino sur la critique de la religion révélée chez Hobbes (« Desacralizzazione della storia sacra : l’impossibilità di reconescere il carattere rivelato delle Scritture secondo Hobbes », p. 95-112), d’A. Del Prete sur le cercle de Spinoza et la question du culte naturel (« Fluttuazioni cartesiane : Van Velthuysen e Spinoza », p. 141-159), ou encore de L. Bianchi sur le scepticisme chez Voltaire soulignant les hommages marqués de Voltaire à Bayle (« Sullo scetticismo di Voltaire », p. 221-240).
176C’est plus étroitement en dialogue avec les thèses de Carlo Borghero que D. Kambouchner propose la remémoration des points les plus délicats de la pensée cartésienne défendant une « histoire problématique ou réfléchissante » qui ne se confondrait avec une histoire « sceptique de la philosophie » (« De la vérité en histoire de la philosophie », p. 63-72). A. McKenna, pour sa part, se penche sur la foi chez Pascal, non celle de Pascal, mais celle qu’il cherche à inculquer à son interlocuteur libertin, sans se laisser prendre aux artifices rhétoriques d’un auteur aux moyens illimités (« La foi très humaine de Pascal », p. 113-130). M. Torrini expose les doutes d’attribution portant sur un ouvrage de polémique cartésienne qui semble en lien avec l’Académie de novateurs, « degli Investiganti », centre de ces procès sur l’athéisme de la fin du XVIIe s. auxquels Giambattista Vico n’échappa qu’à grand peine (« Uno scritto anticartesiano a Benevento », p. 131-140). C’est reprendre à la source les polémiques autour de l’introduction du cartésianisme à Naples. Typique de l’approche diversifiée de C. Boghero sont les travaux de B. Lotti sur un topos de Virgile à la base du main-body problem dans la culture britannique, ainsi que des débats sur les rapports entre la matière et l’esprit (« ‘Spiritus intus alit’ : la fortuna di un topos virgiliano nel pensiero britannico d’età moderna », p. 159-182). C’est dans le même esprit méthodologique qu’E. Lecaldano expose la polémique sur le luxe qui opposa Hume et Smith (« La polemica del lusso tra 17° e 18° secolo », p. 183-200), ou qu’E. Mazza s’interroge sur les échanges possibles entre Hume et Huet autour du scepticisme (« Hume e Huet (di nuovo) », p. 201-220), ou encore que G. Mori s’engage dans le manuscrit tourmenté des Dialogues sur la religion naturelle de Hume, s’interrogeant sur le volte-face imprévu qui occupe le fameux livre XII conclusif de l’ouvrage (« Hume, Bolingbroke e Voltaire. La Parte XII dei Diloghi sulla religione naturale », p. 241-264).
177Je ne voudrais pas conclure cette revue trop rapide sans attirer l’attention sur l’article de P. Quintili, qui examine les versions successives de l’article « Bonheur » dans l’Encyclopédie (« Un bonheur ‘matérialiste’ est-il possible ? », p. 265-274), ni surtout sur le travail novateur de F. Crasta qui n’hésite pas, dans cet ouvrage principalement orienté sur le cartésianisme d’école et le scepticisme qu’il favorise, une étude sur Swendenborg, que nous découvrons placé parmi les novateurs favorables aux enseignements du cartésianisme hollandais qui, nonobstant, développera sans faiblir ses fameuses hiérarchies angéliques et ses promesses de palingénésie, qui sauront séduire Balzac et plus d’un philosophe illuminé (« Tra nuova scienza e radicalismo religioso : il caso Swedenborg », p. 275-294).
178Si donc l’ouvrage s’achève sur les « lumières radicales », entendues en toute leur extension, il parcourt un cycle qui passe de Montaigne à l’abbé Barruel et nous persuade, s’il en était besoin encore, que la fréquentation de la philosophie moderne ne peut se contenter de revues doctrinales, mais suppose cette curiosité qui intriguait tant Hobbes qu’il était prêt à en faire le maître mot de la nouvelle science.
179Bruno PINCHARD (Université Jean-Moulin Lyon-III)
180FAVARETTI CAMPOSAMPIERO, Matteo & PRIAROLO, Mariangela, éd., La Logica delle idee. Studi di filosofia moderna in onore di Emanuela Scribano, Milan, Mimesis, 2019, 332 p.
181Emanuela Scribano a marqué durablement l’histoire de la philosophie moderne et du cartésianisme en particulier. Ses études, de Da Descartes a Spinoza. Percorsi della teologia razionale nel Seicento (Milan, Franco Angeli, 1988) à Macchine con la mente. Fisiologia e metafisica tra Cartesio e Spinoza (Rome, Carocci, 2015), en passant évidemment par L’esistenza di Dio. Storia della prova ontologica da Descartes a Kant (Rome-Bari, Laterza, 1994) et de nombreux autres ouvrages et articles, constituent autant de références incontournables sur la période. Mais si la métaphysique du Grand Siècle est bien l’un des objets privilégiés de ses recherches, on ne saurait les y renfermer. Son érudition et sa maîtrise de la philosophie médiévale lui ont permis de peindre une vaste fresque historique retraçant les relations conceptuelles entre la philosophie cartésienne et les conceptions thomistes et scotistes de la connaissance des anges et des bienheureux (Angeli e beati. Modelli di conoscenza da Tommaso a Spinoza, Rome-Bari, Laterza, 2006). De même, son intérêt premier pour le XVIIIe siècle a été l’occasion de publications importantes sur Mandeville ou Rousseau. Soulignons enfin qu’en France, E. Scribano est largement connue, au-delà de la seule sphère des spécialistes, grâce à la traduction au format poche de L’esistenza di Dio (L’Existence de Dieu, Histoire de la preuve ontologique de Descartes à Kant, Paris, Seuil, 2002).
182C’est à cette grande historienne de la philosophie que le présent ouvrage vise à rendre hommage. C’est un volume conséquent, composé de vingt-trois articles rédigés en anglais, français et italien. Ils sont complétés par une utile « Bibliografia degli scritti di Emanuela Scribano » (p. 313-319), qui permet de mesurer l’étendue de ses recherches.
183La première contribution (« Emanuela Scribano e la storia della filosofia », par M. Favaretti Camposampiero et M. Priarolo, p. 11-29) constitue presque un essai de la méthode, qui dégage les principes historiographiques qui ont gouverné ses travaux. La richesse de cet article tient à ce qu’il fait entrer la méthode d’E. Scribano en dialogue tant avec des perspectives dont elle se démarque, comme la distinction entre histoire de la philosophie et histoire des idées proposées par B. Williams (Descartes: The Project of Pure Enquiry, Londres, Penguin, 1978, p. 9-10 ; cf. p. 12 du présent ouvrage), qu’avec celles dont elle hérite et avec lesquelles elle travaille. On soulignera à cet égard les belles pages sur l’attention au détail (p. 21-24), qui rapproche E. Scribano de C. Ginzburg et même de D. Arasse.
184Ce texte liminaire est suivi de vingt articles d’histoire de la philosophie proprement dite, classés selon l’ordre chronologique des auteurs qui y sont étudiés. On y trouve d’abord un travail portant sur Montaigne (« Alle origini della teoria filosofica della soggettività moderna: Montaigne o Charron? », par G. Paganini, p. 31-38), puis des études sur Descartes (articles de D. Kambouchner, T. M. Lennon, S. Di Bella) et les cartésiens (articles de G. Belgioioso, A. Del Prete, E. Angelini, P. Cristofolini, L. Devillairs, L. Alanen, S. Nadler, P.-F. Moreau, F. Mignini, C. Borghero, S. Nannini), sur la philosophie anglaise du second XVIIe siècle (articles de L. Mannarino et L. Simonutti), puis enfin sur des auteurs du XVIIIe siècle (articles d’E. Lecaldano et F. Abbri) et même sur la relation de Wagner et Nietzche (« Un problema per amatori di musica: alle origini de Il caso Wagner di Nietzsche », par S. Busellato, p. 271-282). Et si le risque inhérent à tout recueil de contributions « en hommage » est de constituer un simple patchwork d’articles sans lien, celui-ci s’en prémunit doublement. D’une part, en ce que la diversité des auteurs étudiés correspond étroitement à ceux abordés par E. Scribano dans sa carrière. D’autre part, en ce que chaque contribution s’efforce de se rattacher à des thèses soutenues par cette dernière et à des objets qu’elle a traités. Ainsi l’article de D. Kambouchner (« Descartes et le problème du dérèglement de l’esprit », p. 39-53), qui recherche les causes physiologiques du dérèglement de l’esprit selon D. – objet d’étude peu abordé, malgré l’abondante littérature relative à la « querelle de la folie » (comme le rappelle l’auteur, p. 39-40) –, s’inscrit-il explicitement dans le prolongement de Macchine con la mente (op. cit.) et de « Descartes on Error and Madness » (Rivista di Storia della Filosofia, LXXXI, n. 4, 2016, p. 599-613). Ainsi encore, dans son excellente contribution sur l’édition de L’Homme de 1664 (« A proposito di Clerselier e dell’edizione dell’Homme del 1664 », p. 81-94), G. Belgioioso étudie le rapprochement de Clerselier et La Forge, et se place dans le prolongement de l’étude de d’E. Scribano sur « L’eredità della fisiologia cartesiana » (ch. II de Macchine con la mente, op. cit.).
185Au vu de la richesse et de la diversité des contributions de cet ouvrage, nous ne pouvons malheureusement ici nous attarder sur chacune d’entre elles. Nous avons plutôt choisi de dégager trois grands thèmes qui nous permettent d’évoquer ensemble un certain nombre d’articles qui y sont regroupés : l’union de l’âme et du corps, l’histoire du cartésianisme et la discussion des thèses d’E. Scribano. De nombreux articles portent, à la suite de Macchine con la mente (op. cit.), sur les relations de l’âme et du corps telles que conceptualisées par Descartes et les cartésiens. Ils concernent à la fois des interactions particulières (cf. l’article de D. Kambouchner cité plus haut), des facultés à l’intersection des deux parties du composé humain (E. Angelini, « Eredità cartesian e: La Forge e la dottrina della memoria », p. 107-119) ou des passions (P. Cristofolini, « Macchine con il cuore. Percorsi intorno al tema dell’amore da Descartes a Spinoza », p. 121-126 ; L. Alanen, « Spinoza on the Mind’s Power over Passive Affects », p. 143-154 ; S. Nadler, « Does Desire track Goodness? A Theme from Spinoza’s Ethics », p. 155-170). Soulignons l’importance de cette dernière contribution, dans laquelle S. Nadler s’oppose aux interprétations subjectivistes du bien et du mal chez Spinoza – les interprétations qui, à partir d’Éthique, III, 9, sc., réduisent le bien et le mal à une affaire d’approbation personnelle (« [reduce] good and bad to a matter of personal approbation », p. 159). Il montre que le bien est, pour Spinoza, quelque chose d’indépendant de l’esprit qui s’y rapporte (p. 158), et qui « augmente le pouvoir d’un individu dans une large échelle et contribue à le rapprocher de la condition idéale de sa nature » (p. 158, n.t.). Distinguant la thèse du relativisme du bien et du mal et celle de leur caractère subjectif, il prend ainsi une position claire dans un débat exégétique contemporain. Ensuite, de la même manière qu’E. Scribano a étudié la transmission et la réception de la philosophie cartésienne dans le second XVIIe siècle, plusieurs contributions les prennent centralement pour objet, s’intéressant tantôt à l’histoire de l’édition (cf. l’article de G. Belgioioso cité plus haut), au cartésianisme de figures connues (C. Borghero, « Ma Spinoza era cartesiano ? Cosa ne pensava l’eclettico Johann Christoph Sturm », p. 193-204) ou moins connues (cf. l’article d’E. Angelini cité plus haut), et à sa réception hollandaise (A. Del Prete, « Serva o Amica? Filosofia e teologia tra i cartesiani olandesi », p. 95-105). Cette dernière contribution est originale dans la mesure où elle prend en compte la dimension institutionnelle (théologico-politique), et non uniquement doctrinale, des débats issus de la diffusions des textes cartésiens en Hollande. On y trouve en outre une confrontation de D. et Wittich sur le statut des Écritures et leur adéquation aux capacités humaines (p. 97-99), ainsi qu’un texte méconnu de Lodewijk Wolzogen (extrait du De Scripturarum Interprete, in Orthodoxa fides, apud Johannem Ribbium, Trajecti ad Rhenum, 1668). Signalons enfin deux articles construits comme des discussions de thèses soutenues par E. Scribano : S. Di Bella, « A cosa serve la creazione delle verità eterne ? Riflessioni a margina di una ricerca di Emanuela Scribano » (p. 67-79) et S. Nannini, « Alla riscoperta di Spinoza in compagnia di Antonio Damasio ed Emanuela Scribano », p. 205-216. Ils permettent tous deux de poursuivre la mise en dialogue de l’œuvre d’E. Scribano initiée dans la contribution liminaire, le premier en s’efforçant de situer dans l’histoire du commentaire cartésien son article sur « L’inganno divino nelle Meditazioni di Descartes » (Rivista di filosofia, XC, n. 2, 1999, p. 219-251), le second, en présentant la lecture de Spinoza par A. Damasio (Looking for Spinoza. Joy, Sorrow, and the Feeling Brain, San Diego, Harcourt, 2003) et en opposant ses « passages en force » (forzature*, p. 212) à la Guida alla lettura dell’Etica di Spinoza (Rome-Bari, Laterza, 2008).
186Avant la Bibliografia conclusive, l’ouvrage se termine par deux contributions aux thématiques plus contemporaines : « Per una filosofia all’altezza del nostro tempo » (p. 283-293), d’A. Gajano, et « Comment refonder l’humanisme à l’époque du post-humain ? » (p. 295-312), d’Y.-C. Zarka. Le premier se propose de « considérer quelques aspects de sa [sc. Cesare Luporini] philosophie qui, bien qu’il ait été en activité au siècle dernier, peut encore servir de base pour affronter la mauvaise situation de l’Italie de la fin des années 2010 » (« considerare alcuni aspetti della sua filosofia che, pur avendo egli svolto la sua attività nel secolo scorso, può risultare ancora valida come base per affrontare la pessima situazione dell’Italia della fine di questa seconda decina degli anni 2000 », p. 283, nt.). On regrettera que les intéressantes citations de Luporini n’y soient pas plus commentées et que la référence à l’œuvre d’E. Scribano ne soit pas plus explicitée. Dans le dernier article de l’ouvrage, Y.-C. Zarka interroge « la question de l’humanisme à l’époque du post-humain » (p. 296), qu’il rattache à ce collectif par le fait « qu’il y va des rapports entre l’âme et le corps » qui ont « beaucoup occupé » (ibid.) E. Scribano.
187Cet ouvrage, par-delà la diversité des contributions qui s’y trouvent, rend donc un bel hommage à une chercheuse qui exerce une influence considérable dans la (re)lecture et l’interprétation des textes classiques. Concluons en signalant la traduction réjouissante, à paraître prochainement chez Vrin (J. Morice, trad.), d’Angeli e beati (ref. cit.), qui contribuera à rendre plus accessible encore au public non italophone l’œuvre importante d’E. Scribano.
188Clément RAYMOND (Université Jean-Moulin Lyon-III)
189GENY, Vincent, « Réflexion et expérience chez Malebranche », Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, 144, 2019-2, p. 147-164.
190Cette étude pose l’intéressante question de la causalité dont relève, selon Malebranche, cette réflexion qu’Arnauld qualifie d’« expresse ». L’A. commence par inférer du champ lexical de la réflexion qu’elle est, chez Malebranche, « plus complexe que la simple conscience cartésienne de la pensée » (p. 151). Il oppose ensuite aux textes qui la présentent comme « une opération apparemment volontaire » (p. 152) ceux qui « unissent la réflexion et l’expérience » (p. 153), c’est-à-dire qui la soumettent – comprend-on, quoique l’A. ne traite ni du jugement, ni de la volonté – au même régime de causalité que les jugements naturels. La même « ambiguïté fondamentale » qui affecte le concept de réflexion chez Malebranche (p. 152, 157, 162) s’étend à ceux d’attention (p. 147, 158, 160) et d’expérience (p. 155, 162). Malebranche, comparé avec Condillac, pose donc déjà la question de savoir « si la réflexion prolonge la sensation ou si elle renvoie à une activité spécifique de l’entendement », mais « sans y répondre de façon univoque » (p. 162). Une telle « conceptualisation ambiguë » marque néanmoins « le caractère empiriste de sa pensée » (p. 163).
191Cet article tente une ample mise en perspective à partir d’une étude conceptuelle inévitablement sommaire et d’une bibliographie secondaire réduite (toute francophone). Il faudra donc attendre de l’A. des analyses plus approfondies, ainsi qu’une plus grande vigilance sur des détails qu’il n’y a pas lieu de lister ici.
192Denis KAMBOUCHNER (Université Panthéon-Sorbonne)
193LEBRETON, Lucie, « Nietzsche et « le principe de Pascal “il faut s’abêtir” », Revue de métaphysique et de morale, 104, 4, 2019, p. 421-437.
194Toute étude comparant deux pensées se confronte généralement à deux questions : a) Qu’est-ce qui rapproche ces deux pensées ? b) Pourquoi souligner leur rapprochement ? La première question requiert une entreprise descriptive ; la seconde demande de justifier le rapprochement, c’est-à-dire indiquer en quel sens il faut interpréter l’isomorphie observée : bref, après avoir dit ce par quoi B ressemble à A, dire ce qu’une telle ressemblance signifie.
195A la première question, l’article de L. Lebreton répond parfaitement en soulignant les aspects par lesquels Nietzsche et Pascal se ressemblent (ou par lesquels Nietzsche ressemble à Pascal). S’appliquant à « mettre en évidence l’intelligence que révèle l’abêtissement pascalien » (p. 423), l’A. analyse la fécondité du « principe de Pascal » que désigne le syntagme « Il faut s’abêtir » dans le fragment « Infini, Rien » dans la lecture de Nietzche. Pascal a raison, selon celui-ci, parce qu’il a fort bien compris que « la vie théorique est superficielle par nature » et que, de ce fait, « ce qui doit d’abord être démontré ne vaut pas grand-chose » (p. 424). Dans le pari (qui n’en est pas un, comme l’a souligné L. Thirouin, dont les analyses n’auraient pas été inutiles pour éclairer ici ce fragment difficile), Pascal manifeste la supériorité du sentiment sur les raisons ; son refus des preuves de l’existence de Dieu conduit à ne pas vouloir penser le christianisme comme « certitude de vérité » (ce que certitude ou vérité peuvent signifier selon Pascal n’est pas vraiment abordé ici) ; et de là à penser le christianisme comme maladie, il n’y a semble-t-il qu’un pas, que Nietzsche accomplit. Idem pour les analyses pascaliennes sur le corps qui ressemblent à certaines analyses de Nietzsche : « il est possible, à travers la pratique répétée de certains gestes (…) de favoriser le développement de certains instincts (…). Le “discours de la Machine” poserait ainsi les jalons de ce que Nietzsche thématisera sous le nom de Züchtung » (p. 426).
196A la seconde question, la réponse est moins claire. Que signifie « l’anticipation » pascalienne (« Pascal anticipe d’ailleurs encore sur les analyses nietzschéennes lorsqu’il souligne que l’abêtissement passe par l’imitation », p. 426) ? S’agit-il de dire que certaines pensées de Pascal forment un brouillon inachevé de certaines idées de Nietzsche, c’est-à-dire d’évoquer ce qu’on devrait appeler les intuitions nietzschéennes de Pascal ? Ou d’inverser le rapport en pensant l’influence de Pascal sur Nietzsche (ce que sous-entend l’expression « reprise fidèle du fragment 126 des Pensées » à propos d’un fragment d’Aurore, p. 428) ? La multiplicité des termes employés par l’A. pour nommer ce rapport (il y est question de « la proximité de ces deux penseurs, par-delà leurs divergences », par ailleurs jugées « profondes ») reflète certainement la difficulté qu’il y a à penser ce rapport. Cette indétermination se manifeste autrement dans l’article lorsque l’A. pose, en suivant Nietzsche, l’identité entre Pascal et Pyrrhon. On lit à deux reprises cette tournure : « Pyrrhon – comme plus tard Pascal – a perçu la fausseté de ces nouveaux philosophes » (p. 431) ; « Et c’est pourquoi Pyrrhon – comme plus tard Pascal – en déduit que ces vertus dont se parent et que défendent rationnellement les philosophes, le peuple, qui se laisse seulement guider par ses instincts, les réalise bien davantage » (p. 433). Pourquoi est-ce à Pascal qu’il revient dans l’histoire de la philosophie de reprendre Pyrrhon ? Comment comprendre la signification historique de la reprise pascalienne de Pyrrhon, en particulier après Descartes (et pas avant) ? Qu’est-ce qui nous retient de comprendre ces similitudes autrement que comme l’effet d’une rencontre arbitraire, que faudrait-il en tirer plus précisément ?
197Bref : soulignant les motifs communs entre Pascal et Nietzsche (et entre Pascal et Pyrrhon, selon Nietzsche), l’A. ne répond pas directement ici à la question portant sur le sens et l’intérêt de l’examen d’un tel rapport. Que Pascal ait pu répéter Pyrrhon ou annoncer Nietzsche semble ainsi relever d’un heureux hasard. On aurait souhaité un examen plus ample des raisons philosophiques qui conduisent à ce double mouvement de répétition (sceptique) et de préfiguration (nietzschéenne) propre à Pascal (examen qui aurait peut-être conduit à reformuler le rapport de Pascal à Pyrrhon, en intégrant par exemple le cartésianisme de Pascal, qui l’éloigne radicalement de Pyrrhon, et dont une telle lecture ne rend absolument pas compte). Il est autrement difficile ne pas simplement voir en Pascal un Nietzsche affaibli (Pascal « comprend que la perfection est toujours synonyme d’incorporation, il comprend qu’un instinct est affaibli lorsqu’il se rationalise », p. 436), craintif, qui refuse d’aller au bout de ses principes en renonçant à son « idéal » : bref, un Pascal que personne n’a vraiment envie de lire.
198Si toute lecture comparative n’a de sens philosophique que par la façon dont, à travers l’examen d’un rapport particulier entre deux penseurs, elle nous invite à (re-)penser l’idée même de tout rapport, alors celui qui lie Nietzsche à Pascal doit certainement retenir toute notre attention, dans la mesure où la rencontre avec Pascal est l’occasion d’une élucidation décisive de la notion de type pour Nietzsche. Qui souhaite approfondir cette rencontre pourra consulter les autres travaux de l’A., parus et à venir, et l’article complet et synthétique, paru voilà déjà dix ans, d’A. Frigo, qui souligne l’intérêt que représente Pascal pour penser une certaine histoire du christianisme (et particulièrement de sa fin) avec Nietzsche (« “La vittima più istruttiva Del cristianesimo” : Nietzsche lettore E interprete di Pascal », Giornale Critico Della Filosofia Italiana, 6, p. 275-298).
199Yoen QIAN-LAURENT (Sorbonne Université)
200ONG-VAN-CUNG, Kim Sang, éd., Les formes historiques du cogito. XVIIe-XXe siècles, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres » 411, série Études de philosophie, 11, 2019, 381 p.
201Contient : K. S. Ong-Van-Cung, « Introduction. Le Cogito cartésien et son historicité » ; D. Kambouchner, « Le Cogito en perspective. Histoire, philologie, phénoménologie » ; C. d’Arthuys, « L’âme a-t-elle de quoi être contente ? Lectures croisées de Descartes et de Pascal » ; P. Séverac, « Cogito à plusieurs et pensée du corps. Spinoza avec Vygotski » ; M. Lærke, « Leibniz sur le cogito » ; M. Pécharman, « La critique du principe du Cogito dans The True Intellectual System of the Universe de Cudworth » ; Ch. Litwin, « La philosophie première de Rousseau » ; E. Brigandat, « Le cogito biranien. De l’activité pure à la passivité relative » ; J.-M. Mouillie, « Le Cogito excédé. Sartre et la question des commencements de la pensée » ; K. S. Ong-Van-Cung, « Le cogito préréflexif et l’historicité du sujet chez Sartre. Variations sur un thème cartésien » ; E. Tron, « Mode d’être du monde et mode d’existence de l’ego. Du cogito cartésien au cogito tacite » ; D.Lorenzini, « Cogito et discours philosophique. Foucault lecteur de Descartes » ; J. Terrel, « D’Althusser à Foucault. Le sujet entre idéologie et vérité » ; K. Sakurai, « La philosophie du sujet et ses dehors. La question du cogito cartésien chez Foucault et chez Lacan » ; J.-Ph. Narboux, « Pensées en première personne et cogitationes cartésiennes » ; C. Brun, « Descartes et le Syndrome de Cotard. Neuropsychiatrie cognitive et philosophie ».
202Dans le domaine des études cartésiennes portant sur un thème déterminé, le cogito occupe, de loin, la plus grande place. Que d’articles, que d’ouvrages consacré à l’analyse logique ou historique de ce pronunciatum, à ses antécédents, à ses réceptions ! Dans le présent volume, K. S. Ong-Van-Cung l’indique de manière on ne peut plus claire dès l’introduction : « le Cogito cartésien est saturé par l’analyse critique » (p. 12). Était-il donc sage de remettre une fois de plus l’ouvrage sur le métier ? Est-il judicieux de se plonger dans la lecture de ce collectif à l’ampleur considérable ? Force est de constater que la réponse est positive. Certes, il ne pourra même pas faire office à lui seul d’ouvrage d’initiation à l’étude de la réception du cogito, car il lui manque pour cela des développements substantiels sur certaines figures obligées ou, à tout le moins, attendues, tels les grands interprètes germaniques ou les phénoménologues non existentialistes, dont l’influence intellectuelle est certes soulignée (essentiellement dans l’introduction ou dans le premier article de D. Kambouchner), mais dont les ressorts proprement conceptuels ne sont pas restitués. Et pourtant, à travers les perspectives qu’il offre sur la fortune d’un énoncé appréhendé tour à tour comme raisonnement, assertion, conclusion, principe, etc. c’est presque une myriade de figures de D. qui nous sont ici données à voir, chacune participant, par son appropriation ou les efforts entrepris pour la critiquer, à l’élaboration d’une pensée propre. Et c’est du point de vue la valorisation (ou du rejet) de l’héritage cartésien ainsi mis au jour que ces Formes historiques du cogito, sont remarquables. Les contributeurs proposent dans l’ensemble des analyses riches, informées et variées, certes parfois discutables – mais n’est-ce pas exactement ce que l’on attend de ce genre d’exercice ? –, toujours suggestives, allant de l’histoire de la philosophie ou à celle de son historiographie à la philosophie comparée, en faisant la part belle aux auteurs anglo-saxons ainsi qu’à leurs héritiers idéologues ou analytiques, aux (post-)structuralistes et aux existentialistes, même aux psychologues. Somme toute, ceci en fait un collectif original, qui saura trouver sa place dans cette niche philosophique que constitue à elle seule la cogitologie.
203Xavier KIEFT (Sorbonne Université)
204TRÉMOLIÈRES, François : « Poussin/Fénelon. Intention/Réception », Dix-septième siècle, 2019/3, 284, p. 483-495.
205Qu’est-ce qu’un peintre catholique, non pas un Vermeer à Delft parmi les Réformés, mais tel un Poussin baignant à Rome parmi la religion de sa nourrice ? Et quel Dieu hante cette peinture ? F. Trémolières cherche à rendre pertinentes ces questions à l’aide d’une analogie indiquée par le titre de son article : étudier l’intention de Poussin avec sa particulière réception chez le Fénelon du Dialogue des morts (dialogues LII et LIII, entre Parrhasius et Poussin, puis du même avec Léonard). Il tend à conclure avec acribie et honnêteté qu’elles pourraient bien être sans pertinence, dès lors que commence d’être inquiétée la paresseuse application de l’auteur sur son œuvre. Cependant, intention et réception ne sont sans doute pas les meilleurs outils conceptuels pour mener à bien l’enquête : l’intention, parce qu’importe de fait assez peu ce que Poussin veut dire, les volontés et effets de sens dans sa manière de traiter l’historia, mais plutôt sa poétique, les principes qui commandent de se régler sur l’Antique, histoire sacrée et aussi bien mythologie ou statuaire grecques ; la réception, en ce qu’elle reste un peu confuse (réception chez Fénelon mais aussi réception des tableaux par leurs spectateurs). D’ailleurs la position de Fénelon semble hésitante, entre l’insistant respect du costume (sensible dans l’ekphrasis des Funérailles de Phocion) qui pose Fénelon auprès d’un Fréart de Chambray, et le souci de capter les charmes, les grâces et les sentiments dont la peinture de paysage (et même dans le sous-genre du paysage historié) a la puissance, ce qui le mettrait plus près de Roger de Piles, chez qui Poussin a commencé d’un peu trop sentir la pierre. On regrettera donc que l’A. renonce à entrer dans la manière singulière dont la peinture réussit à penser sans discours ni langage, à même sa pâte colorée, mais on louera l’étonnement où il nous déplace, et qui rend problématique, et à méditer radicalement, jusqu’à l’expression même de peinture religieuse.
206Daniel DAUVOIS (Lycée Lakanal, Sceaux)
3.3. Divers
207ENGEL, Pascal, Les vices du savoir. Essai d’éthique intellectuelle, Marseille, Agone, « Banc d’essais », 2019, 615 p.
208P. Engel croit en la valeur de la vérité, thème auquel il a déjà consacré bien des ouvrages. L’éthique intellectuelle qu’il présente de manière extensive dans son dernier volume vise à faire admettre l’importance de cette valeur tant à ceux qui souhaitent profiter de son déclin pour généraliser l’usage du baratin sur la place publique comme en privé – ce qui ne sert que l’exacerbation de l’usage de la force et du pouvoir – qu’à ceux qui espèrent en vain que son abandon pourrait permettre l’avènement d’un ordre dans lequel la solidarité ou d’autres nouvelles normes sociales positives pourraient émerger. Chemin faisant, en suivant pour cela la voie dégagée par E. Sosa (voir par exemple Judgment and Agency, Oxford 2017 et le compte rendu dans le BC XLVI), il consacre un bref chapitre à « Descartes et la vertu intellectuelle » (p. 313-333). Jouant avec les représentations convenues dans la philosophie dite « analytique », et reprenant une part des critiques qu’il avait adressées à la lecture d’A. Plantinga dans un article de 2002 (« Descartes y la responsabilidad epistemica », Laguna: Revista de Filosofía, 10, 2002, p. 9-26 ; voir BC XXXIII), l’A. discute de manière suggestive l’avis de Foucault selon lequel « après Descartes c’est un sujet de connaissance non astreint à l’ascèse [et donc potentiellement impur et immoral] qui voit le jour » (« À propos de la généalogie de l’éthique », 1984, repris dans Dits et écrits, nouvelle éd. de 1994, t. II, p. 1449, cité par Engel p. 31). Certes, D. n’a pas produit de « théorie positive des vertus intellectuelles », mais sa méthode vise l’instauration de « règles et de maximes » propres au « gouvernement de l’esprit » (p. 331). Donc, si la morale n’est pas sauve, une certaine vertu pourrait bien l’être !
209Xavier KIEFT (Sorbonne Université)
210PINGEOT, Mazarine, Les enfants et les fous. Descartes et ses lectures contemporaines, Paris, Classiques Garnier, 2019, 253 p.
211Si l’humanité se signale par la faculté de penser (« le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ») et si, par ailleurs, « l’âme pense toujours » (la relation entre ces deux stipulations étant esquissée, note 8, p. 12-14), n’y a-t-il pas lieu de considérer que les figures de l’enfant et du fou, qui se situent aux marges de la rationalité commune et mettent en crise la continuité de la pensée dans le temps, posent à la philosophie de D. un authentique problème (p. 118-119) ? C’est ce que pense l’A., qui emprunte, à cette fin, une ligne de crête entre deux lectures « contemporaines » : celle du naturalisme (Schaeffer) qui refuse à D. la possibilité d’établir un lien entre le cogito et la pensée de l’enfant, et celle de l’historicisme (Foucault), qui estime que le cogito exclut la folie. La solution repose, à chaque fois, sur une prise en compte des diverses temporalités qui s’entrelacent dans la philosophie de D. et ses récits. – a) Le temps de l’enfance et les pensées qu’il charrie sont sédimentés dans une mémoire inconsciente et, si ces pensées échouent à se manifester dans le langage (rien ne distinguant alors l’animal du petit enfant), l’analyse des préjugés permet, a posteriori, d’en confirmer l’existence passée : « la conscience de l’enfant en soi n’advient qu’à la faveur du cogito » (p. 149). – b) L’examen de la folie est l’occasion pour l’A. de défendre une position équilibrée dans un débat déjà saturé : la folie comme expérience rend certes impossible l’exercice méditatif qui suppose une continuité dans le temps, et est à ce titre « exclue et attribuée à l’autre » (p. 201 : Foucault a raison), mais ce qu’atteint la folie est bien réintégré dans l’argument du rêve qui, lui, ne met pas en péril la temporalité du sujet méditant (p. 205 : Derrida a raison). Dans un cas comme dans l’autre, l’historicisme et le naturalisme manquent ce qui fait le cœur, selon l’A., de la philosophie de D. : le cogito comme expérience métaphysique irréductible, sortie hors du temps ne pouvant s’effectuer que sur un fond constitué par des temporalités multiples (naturelle, méditative, etc.). Nonobstant la solitude revendiquée (mais relative, car l’A. semble très influencée par F. Alquié) du propos qui « met de côté l’historiographie lourde et complexe » (p. 25), on peut toutefois présumer qu’un détour par la littérature secondaire aurait été souvent utile pour éviter quelques lieux communs désormais dépassés (par ex. la volonté infinie, p. 61), quelques idées au moins discutables (par ex. le projet de « fonder les sciences » qui ne serait pas le « projet initial » des Meditationes, p. 53), ou des erreurs manifestes (par ex. la distinction comprendre/entendre incompréhensiblement appliquée à l’évidence, p. 32 ; l’idée de Dieu qui ne serait pas « distincte », p. 87 ; les notions communes qui sont mises en doute par le malin génie, p. 221 ; le Vocabulaire de Descartes attribué à... Christine de Buzon, p. 245). On regrettera surtout dans l’argumentation des décrochages qui nuisent au sérieux du propos, que ce soit par exemple lors d’un développement sur la technique (p. 51-52) ou à l’occasion d’une réflexion sur la science prétendument « totalitaire » (p. 84), d’autant plus lorsque le cogito de D. est imprudemment réquisitionné contre ce « totalitarisme » scientifique et technique. On rappellera simplement avec Pascal que ce même cogito ne prend son sens, chez D., qu’à être le « principe ferme et soutenu d’une physique entière ».
212Louis ROUQUAYROL (Université Panthéon-Sorbonne)
Notes
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[1]
[*] Centre d’études cartésiennes de Sorbonne Université, dirigé par Vincent Carraud ; secrétaire scientifique du Bulletin : Dan Arbib.
-
[2]
[**] Centro Dipartimentale di Studi su Descartes e il Seicento – Etttore Lojacono de l’Université du Salento, dirigé par Igor Agostini.
-
[3]
[***] On ne trouvera ici que les liminaires et les recensions. Le Bulletin dans son intégralité, comprenant liminaires, listes bibliographiques et recensions, est consultable sur Internet à l’adresse des Archives de philosophie : https://www.archivesdephilo.com et à celles du site Cartesius, dirigé par Giulia Beligioioso :https://www.cartesius.net. Réalisation du Bulletin : (1) Listes bibliographiques : Dan Arbib, avec la collaboration de Yoen Qian-Laurent; (2) Liminaires : Mmes Annie Bitbol-Hespériès, Maria-Teresa Bruno et Sophie Roux ; MM. Dan Arbib, Jean-Robert Armogathe, Vincent Carraud et Olivier Chaline ; (3) Comptes rendus : Mmes Siegrid Agostini, Delphine Bellis, Laurence Devillairs, Laurence Dupas-Gelin et Delphine Antoine-Mahut ; MM. Igor Agostini, Dan Arbib, Jean-Robert Armogathe, Frédéric de Buzon, Vincent Carraud, Daniel Dauvois, Olivier Dubouclez, Alberto Frigo, Philippe Hamou, Sylvain Josset, Denis Kambouchner, Xavier Kieft, Jean-Luc Marion, Edouard Mehl, Cristian Moisuc, Gilles Olivo, Bruno Pinchard, Yoen Qian-Laurent, Clément Raymond, Louis Rouquayrol. – Correspondants : pour la Russie et l’Europe de l’Est (langues slaves) : Wojciech Starzynski (Varsovie) ; pour l’Amérique latine hispanisante : Pablo Pavesi (Buenos Aires) ; pour le Brésil : Alexandre Guimaraes Tadeu de Soares (Uberlândia) ; pour le Japon : Masato Sato ; pour la Chine : Zuo Huang.
-
[4]
Colloque organisé par la Katholische Universität Eichstätt-Ingolstadt et le Centre d’Études Cartésiennes : que le Prof. Walter Schweidler et son équipe (notamment Mme Élisabeth Vasseur) en soient vivement remerciés, ainsi que, pour son accueil, la ville de Neuburg, en part. Mme Gabriele Kaps, adjointe au maire chargée de la culture.
-
[5]
La vie de M. Descartes réduite en abrégé, Paris, 1692, p. 39.
-
[6]
Discours de la méthode, AT VI, 11, 11-20.
-
[7]
C’est un de ces jésuites, Jean-Baptiste Molitor, qui offrit un exemplaire dédicacé de La sagesse de Charron à Descartes pour les étrennes de 1620 : voir Frédéric de BUZON, « Un exemplaire de la Sagesse de Pierre Charron offert à Descartes en 1619 », liminaire I du Bulletin cartésien XX, Archives de philosophie, 1992, 1, p. 1-3. La dédicace est la suivante : « Doctissimo amico grato et minori fratri Renato Cartesio d(ono). d(edidit). ded(icavitque). P. Johannes B. Molitor S. J. exeunte anno 1619 / JBM ». Le grand homme de Neuburg est le jésuite Jakob Balde, qui résida au collège des jésuites de 1654 à sa mort, en 1668.
-
[8]
On se reportera au beau livre Die Hofkirche Unserer Lieben Frau zu Neuburg an der Donau, von Reinhard H. Seitz und Albert Lidel, Aufnahmen und Zeichnungen von Friedrich Kaeß, Weißenhorn, Anton H. Konrad Verlag, 1983, en part. à la contribution d’Albert Lidel, « Das Bildprogram der Hofkirche Unserer Lieben Frau. Versuch einer Deutung », p. 65-80.
-
[9]
Adrien BAILLET, La vie de M. Descartes, Paris, 1691, t. I, p. 85-86 ; DESCARTES, Étude du bon sens, La recherche de la vérité et autres écrits de jeunesse (1616-1631), éd. par Vincent Carraud et Gilles Olivo, Paris, PUF, 2013, p. 106.
-
[10]
Descartes a lu « Vésale et les autres », AT II, 525.
-
[11]
En fait à Saumur.
-
[12]
H. L. BRUGMANS, Le séjour de Christian Huygens à Paris et ses relations avec les milieux scientifiques français. Suivi de son Journal de voyage à Paris et à Londres, Paris, E. Droz, 1935, p. 153. Voir aussi « Biographie », « Le Voyage à Paris et à Londres de 1660-1661 », d’après son Journal, in Christiaan HUYGENS, Œuvres complètes, tome XXII, La Haye, M. Nijhoff, 1950, p. 555 : « 17.[…] vu M. Clersiller, qui me montra les figures pour le traité de l’homme de des Cartes, les unes faites par M. de la Forge, médecin à Saumur, les autres de Gutschoven, qui étaient mieux faites ».
-
[13]
Voir traduction de la Préface à la fin de l’édition de 1664, p. 447.
-
[14]
Remarques, p. 276-277.
-
[15]
Cf. Œuvres philosophiques, Paris, Garnier, 1963-1973, t. I, p. 414.
-
[16]
AT X 96-111.
-
[17]
AT X 127-131.
-
[18]
Voir l’Abrégé de musique édité par F. de Buzon, Paris, PUF, 1987, puis Œuvres complètes I, sous la direction de J.-M. Beyssade et D. Kambouchner, Paris, Gallimard (Tel), 2016.
-
[19]
« E d’une tierce majeure et F, d’un ton aussi majeur », / « E tertiam majorem : Et F sonum etiam majorem ».
-
[20]
Chez Boom, Amsterdam, 2011. Je remercie Erik-Jan Bos d’avoir appelé mon attention sur ce point.
-
[21]
Fabricius D’ACQUAPENDENTE, De venarum ostiolis, 1603 ; Caspar BAUHIN, Theatrum anatomicum, 1605.
-
[22]
AT IV 510-511.
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[23]
AT IV 517-518 (lettre d’abord attibuée à Huygens).
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[24]
À Mersenne, 23 novembre 1646 (non publiée par Clerselier), AT IV 566-567.
-
[25]
À Élisabeth, mars 1647, AT IV 626-627.
-
[26]
Fundamenta physices, Amsterdam, L. Elzevir, 1646, cap. X, « De animalibus, Motus spontanei alternatio, Musculorum oppositorum fabrica… », p. 232-237, schémas p. 233-236, puis cap. XII, « De Homine », sur le mouvement des muscles des yeux, p. 295-298, schémas p. 296-297.
-
[27]
AT III 459.
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[28]
AT VI 50-52.
-
[29]
Fundamenta physices, op. cit., cap. X, p 185-191 sur la circulation avec schéma des valvules des veines p. 190.
-
[30]
Voir Annie BITBOL-HESPÉRIÈS, « Descartes et Regius : leur pensée médicale » in Descartes et Regius, Autour de l’Explication de l’esprit humain, Theo Verbeek, éd., Amsterdam-Atlanta, 1993, p. 47-68. Voir la Physiologia dans The Correspondence between Descartes and Henricus Regius, par Erik-Jan Bos, Utrecht, 2002.
-
[31]
AT IV, 626.
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[32]
Fundamenta physices, op. cit., p. 234-235 et p. 297.
-
[33]
De Homine, p. 19-26, L’Homme, p. 15-23.
-
[34]
Cf. Préface de Clerselier, (n.p.), (p. 23 et 26).
-
[35]
Cf. Remarques, à partir de la p. 225, et en particulier p. 248-249.
-
[36]
Christiaan HUYGENS, Œuvres complètes, tome XXII, op. cit., p. 555.
-
[37]
Préface (n.p.), (p. 26-27).
-
[38]
CLERSELIER, Lettres de M. Descartes, Paris, Ch. Angot, tome III, 1667, p. 13-14. Cf. BAILLET, La Vie de M. Descartes, tome II, livre VII, chap. XIV. Voir Giulia BELGIOIOSO « Un faux de Clerselier », BC XXXIII.
-
[39]
AT IV 566 et V, 112.
-
[40]
À Élisabeth, 31 janvier 1648, AT V 112.
-
[41]
Préface (n.p.), (p. 33).
-
[42]
L’Homme, AT XI, 123-124.
-
[43]
Cinquièmes Objections, AT VII 309-310.
-
[44]
AT VI 47, le cœur étant alors réduit aux ventricules, les oreillettes (« oreilles », ou maintenant atria), étant les renflements des vaisseaux.
-
[45]
AT XI 224-226 et à Plempius, 3 octobre 1637, AT I, 412-416.
-
[46]
AT XI 239, 240-241.
-
[47]
Sur ce « privilège éditorial » et sur le changement de titre de la Description, cf. A. BITBOL-HESPÉRIÈS, « The Primacy of L’Homme in the 1664 Parisian edition by Clerselier », in D. Antoine-Mahut and S. Gaukroger, éd., Descartes’ Treatise on Man and its Reception, Cham, Springer, 2016, p. 33-47.
-
[48]
Préface (n. p.), (p. 22).
-
[49]
Cf. René DESCARTES et Martin SCHOOCK, La Querelle d’Utrecht. Theo Verbeek éd., Paris, Les Impressions nouvelles, 1988, p. 87-95 notamment.
-
[50]
Ibid., p. 86-87. Depuis le De Magnete… du médecin W. Gilbert, Londres, 1600, la question de l’aimant est disputée. Descartes en parle dans ses lettres, par ex. le 2 décembre1630 (AT I, 191) puis cite Gilbert dans les Principia, IV, art. 166, 168.
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[51]
Il obtiendra son doctorat en médecine en 1664 à Leyde et y deviendra professeur de médecine quelques mois plus tard.
-
[52]
Voir les travaux inaugurés par H. GOUHIER, Cartésianisme et augustinisme au XVIIe siècle, Paris, Vrin, 1978, p. 55-58.
-
[53]
Voir en particulier André ROBINET, « Les manuscrits de Malebranche. Le fonds Adry », Revue internationale de philosophie, 38, 1956, p. 487-495 ; puis « Le fonds Adry d’Honfleur », in MALEBRANCHE, Œuvres complètes t. XIX, Paris, Vrin, 1961, p. 1106-1111. Et, auparavant, les Fragments philosophiques inédits et correspondance qui proviennent du fonds Adry, édités par Joseph Vidgrain, dans sa thèse complémentaire à Le christianisme dans la philosophie de Malebranche, Université de Caen, 1923, puis Paris, Alcan, 1923 ; ainsi que la notice de Pierre COSTABEL, « Identification d’un manuscrit », Revue d’histoire des sciences, t. 2, n° 3, 1949, p. 266-267. Le fonds Adry, comme le fonds André à Caen, reste à exploiter systématiquement.
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[54]
Voir, à titre d’exemple significatif, l’Abrégé de la physique de Mr Descartes, texte anonyme foncièrement dépendant de Rohault, découvert par Maria Teresa Bruno et tout récemment publié par Sylvain Matton, Paris, Séha et Milan, Archè, 2020.
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[55]
Le Commentaire… sera imprimé à Vendôme, en juillet 1670.
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[56]
Voir le Commentaire… sur la Méthode de René Descartes, Avis au lecteur, puis p. 34, 79-80, 111 et 224.
-
[57]
Dans sa Bibliothèque historique et critique des auteurs de la Congrégation de S. Maur, La Haye, 1726, Dom Jean-Philippe LE CERF DE LA VIÉVILLE ne mentionne pas Fouquet ; en revanche, Dom Prosper TASSIN, Histoire littéraire de la Congrégation de Saint-Maur, ordre de S. Benoît, Bruxelles, 1770, p. 92, donne la notice suivante : « Dom Maur Fouquet, né à Manle, bourg du diocèse de Chartres, fit profession dans l’abbaye de Vendôme, le 10 février 1646, à l’âge de trente ans […]. Nos mémoires ne nous apprennent rien de plus sur Dom Maur Fouquet, si ce n’est qu’il mourut dans l’abbaye de Josaphat lès-Chartres, le 19 avril de l’an 1679 » ; il est suivi par Jean FRANÇOIS, Bibliothèque générale des écrivains de l’ordre de saint Benoît, Paris, 1777, t. I, p. 337-338. Dans La corrispondenza di François Lamy benedettino cartesiano : regesto con l’edizione delle lettere inedite e rare, Florence, Olschki, 2007, Mme Maria Grazia Zaccone Sina note : « Certo a Saint-Maur il cartesianesimo dovette avere più d’un volto : oltre a quello di Lamy, troviamo i nomi di Antoine Le Gallois … o di Maur Fouquet … » (p. XXVII, note 95). Mais interrogée sur d’autres mentions possibles, Mme Sina nous dit ne pas avoir de nouveau rencontré le nom de Fouquet dans les recherches qu’elle a menées avec Mario Sina, en part. pour l’ouvrage Robert DESGABETS, Antoine LE GALLOIS, Sull’eucaristia. Scritti benedettini inediti negli anni del Traité de physique di Rohault, Florence, Olschki, 2013.
-
[58]
Leur intérêt requiert une étude détaillée, que Maria Teresa Bruno livrera ailleurs.
-
[59]
Paris, chez la Veuve de Charles Savreux, 1671. Le Traité a été réimprimé en 2014, avec une préface de Simone Mazauric, par les Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques.
-
[60]
*Pax Christi [les notes précédées d’un astérisque sont des notes philologiques].
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[61]
*Il semble qu’« explications » ait été écrit d’abord, puis en surcharge « réponses », puis au-dessus « explicat » finalement raturé.
-
[62]
On ignore le problème que Fouquet a soumis à Poisson, comme les réponses de Poisson.
-
[63]
Météores, disc. III, AT VI, 257, 27-258, 4 ; Descartes lui-même y renvoie dans les lettres à Mersenne du 9 février 1639 (AT II, 495, 20-496, 9) et du 30 août 1640 (AT III, 167, 14-18 ; voir aussi la lettre du 9 janvier 1639, AT II, 482, 22-484, 15). Il avait déjà rappelé cette expérience dans la lettre à Reneri pour Pollot d’avril ou mai 1638, AT II, 45, 7-16. Dans le Parnassus, il attribuait à Beeckman l’observation d’aiguilles « si fines qu’elles surnagent sur l’eau » et en proposait une première explication (AT X, 226, 8-14, qui donne la citation du Journal de Beeckman).
-
[64]
Si l’expérience réalisée avec une aiguille de verre ne vient pas de Descartes, celui-ci n’en avait pas moins mentionné « les lames d’ivoire » au même titre que « les aiguilles d’acier » dans la lettre du 9 février 1639, dans un passage publié dans la lettre XCVII du t. II des Lettres de Mr Descartes (1666, p. 446 = AT II, 496, 8-9). L’observation de Fouquet s’oppose donc directement à la « preuve » cartésienne. Voir aussi Jacques ROHAULT, Traité de physique, Paris, 1671, t. I, p. 190 : « Remarquez encore, que quand un corps, qui pèse plus qu’une masse égale d’eau, nage sur l’eau, comme fait une petite aiguille d’acier, cela vient de ce que l’air, qui se réserve un passage entre l’eau et ce corps, le soulève, et l’empêche de s’enfoncer ; et il ne faut pas penser que cela vienne de la résistance que l’eau apporte à sa division, laquelle on croirait peut-être être plus grande vers la superficie qu’au dedans : car ayant fait faire de petites aiguilles de verre, moins pesantes que des aiguilles d’acier de pareille grosseur, et les ayant couchées fort doucement sur l’eau, elles sont toujours tombées au fond ».
-
[65]
Question largement débattue entre les cartésiens que celle dite de la libre création des vérités éternelles. Voir Geneviève RODIS-LEWIS, « Polémiques sur la création des possibles et sur l’impossible dans l’école cartésienne », Studia cartesiana 2, Amsterdam, 1981, p. 105-123 (repris in Idées et vérités éternelles chez Descartes et ses successeurs, Paris, Vrin, 1985, p. 139-157), puis Giuliano GASPARRI, Le grand paradoxe de M. Descartes. La teoria cartesiana delle verità eterne nell’Europa del XVII secolo, Florence, Olschki, 2007 – qui ne mentionnent cependant ni Fouquet ni Poisson.
-
[66]
*« en mouvement » ajouté au-dessus de la ligne.
-
[67]
Sur cette question, voir aussi la lettre du 24 avril 1672 adressée par le chanoine de Chartres, De la Rue, à M. Piques, docteur de Sorbonne, où il est question de Fouquet (Archives nationales, ms 825, nº140). Pour Descartes, le mouvement est un mode : voir les Principia II, a. 27. Selon Principia I, a. 56 et 64, modus et attributum (et qualitas) sont équivalents, mais considérés selon des points de vue distincts. Voir aussi la lettre à Morus d’août 1649, AT V, 404, 25-405, 9 : éd. Clerselier des Lettres, t. I, p. 325-326. Sur le sens de mode, voir Pierre COSTABEL, « Essai critique sur quelques concepts de la mécanique cartésienne », in Démarches originales de Descartes savant, Paris, Vrin, 1982, p. 149.
-
[68]
*« rencontre » reste souvent masculin au XVIIe siècle.
-
[69]
« règles de nature » est l’expression employée par Descartes à partir de l’a. 37 de Principia II : « regulae quaedam sive leges naturae… quae sunt causae secundariae ac particulares diversorum motuum » (AT VIII-1, 6-8).
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[70]
Principia, II, a. 45-52, AT VIII-1, 67, 17-70, 13 (voir aussi le Monde, AT XI, 47, 4-9). Fouquet critique à juste titre la règle 4 : « si le corps C était tant soit peu plus grand que B, et qu’il fût entièrement en repos, de quelque vitesse que B pût venir vers lui, jamais il n’aurait la force de le mouvoir » (a. 49, AT IX-2, 90). De fait, cette règle est la plus fausse des règles du choc. Sur les corrections apportées par Descartes à l’énoncé des règles, voir la lettre à Clerselier du 17 février 1645 (AT IV, 183-187 = éd. Clerselier. Lettres, I, p. 530-534), puis Pierre COSTABEL, « Essai critique … » et Frédéric de BUZON et Vincent CARRAUD, Descartes et les “Principia” II, Paris, PUF, 1994, p. 96-113. La remarque de Fouquet sur la quatrième règle du choc est en elle-même très intéressante ; elle revient à la réfutation de Christiaan HUYGENS dans Du mouvement des corps par percussion, OC, vol. 16, p. 38 — rédaction de 1656 : voir René DUGAS, La mécanique au XVIIe siècle, Neuchâtel, Ed. du Griffon, 1954, p. 289-290, qui cite le De motu corporum, dans lequel la prop. III réfute la 4e règle de Descartes. Le 13 mars 1670, le P. Daniel, récollet, correspondant de Malebranche et de Clerselier, écrit néanmoins à Poisson : « On m’a communiqué quelques pensées contre les règles du mouvement de notre philosophe, j’ai prétendu les refuser par une demi-douzaine de réflexions » (Bibliothèque Mazarine, ms 4557/4/4/3/A-B, f. 2). Il y revient, véritablement à la demande de Poisson, dans la lettre du 10 avril 1670 (Honfleur, 15 ii 18, f. 1) : « Si ce qu’on a écrit contre les règles du mouvement en avait valu la peine, je l’aurais copié, mais je n’ai pu y trouver quoi que ce soit digne de cela ; et je n’ai non plus fait aucun brouillon de ce que j’ai écrit, pour, et ne pense pas, que vous y pussiez rien apprendre ».
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[71]
Poisson publie son Commentaire du Discours de la méthode six mois après cette lettre : on n’y trouve pas trace de cette objection, la métaphysique étant renvoyée au commentaire des Principes (qui ne sera jamais publié).
-
[72]
AT VII, 45, 9-10 s., en part. 21-22 pour « procéder ». Mais il est essentiel à la démonstration cartésienne qu’il s’agisse de l’idée d’infini, qui ne sera assimilée à l’idée d’un souverain être qu’à la page suivante (46, 11-12).
-
[73]
AT VII, 46, 12-13.
-
[74]
*« connaissant » raturé.
-
[75]
L’objection ainsi formulée évoque celle des IIae Objectiones, AT VII, 123, 7-24.
-
[76]
*Au dessus : « différent de ».
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[77]
IIae Responsiones, AT VII, 133, 17-26.
-
[78]
AT VII, 28, 20-27.
-
[79]
*La fin de la ligne est raturée.
-
[80]
Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes ; en 1670 seule la première partie a paru, chez Pierre Le Petit, en 1666. Il avait publié en 1660 chez le même éditeur De l’origine de la peinture et des plus excellents peintres de l’Antiquité et venait de publier (1668) les Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture pendant l’année 1667. Félibien a un fils, Michel, lui-même né à Chartres, qui sera moine mauriste.
-
[81]
Félibien a traduit de l’italien La vie du pape Pie V, par Agatio di Somma, découverte vingt ans plus tôt à Rome dans la bibliothèque du card. Barberini, qu’il publiera à Paris, en 1672, à l’occasion de la béatification du pape. Mais il a aussi traduit de l’espagnol : en avril 1670 même, il publiera chez Frédéric Léonard une traduction française du Château intérieur, ou les demeures de l’âme, de sainte Thérèse d’Avila.
-
[82]
Nourri aux frais du roi.
-
[83]
A Chartres donc, où il se trouve que Félibien est né.
-
[84]
*Les lettres du mot sont espacées, ce que nous comprenons comme une mise en italiques.
-
[85]
Poisson a publié en 1668 à Paris, chez Charles Angot, le Traité de la mécanique composé par Monsieur Descartes. De plus l’Abrégé de musique du même auteur mis en français. Avec les éclaircissements nécessaires (127 p.). Cette publication complète celle du Discours de la méthode, plus la Dioptrique, les Météores, la Mécanique et la Musique, qui sont les essais de cette méthode. Avec des remarques et des éclaircissements nécessaires (303 p.). L’histoire éditoriale du projet de Poisson et de ces deux publications est complexe. Quoi qu’il en soit, le privilège, daté du 18 avril 1664, est le même pour les deux ouvrages. Si le premier a été publié à la fois de façon autonome et dans le second, le second, lui, semble n’avoir jamais été publié seul (un vol. in-4° de 303 p. + 127 p. donc). Voir Charles ADAM in AT X, 80-81 puis Matthijs VAN OTEGEM, A Bibliography of the Works of Descartes (1637-1704), Utrecht, Zeno, 2002, p. 564-568 et 26-29, ainsi que la présentation par Frédéric de BUZON de Descartes, Abrégé de musique, Paris, PUF, 1987, p. 41-43.
-
[86]
Le mot d’Horace, Art poétique, v. 388 : « gardez-le pendant neuf ans ». Il s’agit de conserver ce qu’on a écrit pendant neuf ans avant sa publication. Publié en 1668, Poisson a obtenu le privilège pour son ouvrage en avril 1664, mais a dû posséder le manuscrit auparavant (voir Frédéric de BUZON, op. cit., p. 21). Si l’on suit l’allusion de Fouquet, ce délai aurait été encore plus grand pour les remarques sur le Traité de mécanique. Voir son Épître dédicatoire : « Je crois, Monsieur, que ce peu de mots vous feront assez connaître à qui est due la naissance de cet ouvrage, et comme n’ayant d’abord entrepris que de faire imprimer les Mécaniques, j’y fis des Notes pour en remplir deux feuilles, qui s’étendirent ensuite à quelque chose de plus ; afin qu’en joignant la Musique … » (Épître, p. 4). Baillet écrit à propos de l’édition de la Mécanique de 1668 : « Le Père Poisson à qui le public est redevable de cette édition, avait mieux aimé abandonner pour cette fois le sentiment de M. Descartes qui n’estimait point assez ce petit traité, que celui de M. de Zuylichem, de M. de Pollot, et de plusieurs autres connaisseurs qui en était charmés. Mais ce Père à l’imitation de M. Descartes a témoigné depuis, que son édition n’était pas fort accomplie. C’est ce qu’on peut accorder à sa modestie, pourvu qu’on sache qu’il a été obligé de deviner les figures de ce traité, et qu’il n’a pu y suppléer qu’avec le secours d’une copie manuscrite, que M. de Loménie lui avait fait venir de Stockholm » (La vie de Monsieur Descartes, Paris, 1691, t. II, p. 400).
-
[87]
En effet, Descartes « a différé à parler du levier jusques à la fin, à cause que c’est l’engin pour lever les fardeaux le plus difficile de tous à expliquer » (AT I, 443, 2-4). Au contraire, pour Poisson, « l’ordre naturel demande qu’on parle premièrement du levier », Remarques sur les mécaniques de Monsieur Descartes, p. 40-44 (ici p. 41).
-
[88]
On se reportera au schéma donné en AT I, 443 et à l’explication donnée dans les pages suivantes (cf. l’édition présentée et annotée par Frédéric de BUZON du Traité de mécanique, in René DESCARTES, Œuvres complètes, III, Paris, Gallimard, 2009, pour le levier p. 573-575 (schéma p. 577) et 797-798). Voir les longues et délicates Remarques de Poisson, p. 44 et s.
-
[89]
Poisson a utilisé pour sa traduction le document R de l’Inventaire de Stockholm (voir Adrien BAILLET, Vie de Monsieur Descartes, op. cit., t. I, p. 317), comme il le dit lui-même dans ses Elucidationes physicae in Cartesii Musicam : « Bredae Brabantinorum tunc morabatur, castra sequens, ut ipse ad calcem scripti originalis, quod mihi prae manibus est, contestatur » (p. 102) ; ou encore : « Iuxta hoc M.S. traductionis opus direximus, in quo si quis error irrepserit bona venia concedatur » (p. 123 = AT XI, 81 = Frédéric de Buzon, op. cit., p. 43). Il ne semble donc pas avoir utilisé les éditions latines mentionnées infra ; mais il dit aussi dans l’Épître dédicatoire avoir travaillé en corrigeant les fautes des impressions précédentes (p. 4). Voir Frédéric de BUZON, op. cit., p. 21 (puis in René DESCARTES, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, 2016, p. 144). « version » signifie évidemment « traduction » ; voir l’Épître dédicatoire, p. 5 : « Ce que je viens de dire, Monsieur, servira d’apologie et d’excuse pour les fautes qui se sont peut-être glissées, ou dans la version ou dans les remarques ».
-
[90]
*« si » ajouté au dessus.
-
[91]
Nous faisons l’hypothèse qu’il s’agit des Elucidationes, malgré le singulier (« la pièce latine ») qui les désignerait.
-
[92]
*« dis<cours> » raturé.
-
[93]
Le Compendium musicae a été imprimé à Utrecht chez Zijll et Ackersdijk en 1650, puis à Amsterdam en 1656 chez Janssonius, éditions épuisées selon l’Épître dédicatoire : voir Frédéric de BUZON, op. cit., p. 32-37 et 42-43. Poisson présente sa traduction « comme une traduction critique, fondée sur une nouvelle édition du texte latin, que Poisson conserve par-devers lui ».
-
[94]
En effet, l’Abrégé de musique, traduction en français du Compendium musicae, comporte des éclaircissements rédigés en latin par Poisson, Elucidationes physicae in Cartesii musicam, p. 101-127. Poisson s’en est expliqué dans l’Avis, p. 99 : « Comme mon premier dessein était de laisser le Traité de musique en langue latine, en laquelle il avait été composé, j’avais écrit en même langue quelques éclaircissements qui le devaient accompagner. Mais ayant été convié plus d’une fois à traduire celui-là je n’ai pu me résoudre, faute de loisir, à en faire autant de ceux-ci » (cité par Frédéric de BUZON, op. cit., p. 42).
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[95]
*Début d’alinea « Notre Rd père prieur a envoy » raturé, repris deux lignes plus bas.
-
[96]
Chartres.
-
[97]
Le 26 janvier 1670 (ou peut-être dès le 20), Fouquet a déjà lu les Pensées, mises en vente à la mi-janvier.
-
[98]
Il s’agit sans doute du Révérend Père Dom Pierre Laurent Hunault (1623-1697, profès en 1642), prieur à Josaphat de 1669 à 1670 (il est nommé Prieur à Saint-Wandrille en septembre 1670). Voir Dom Edmond MARTÈNE, Histoire de la Congrégation de Saint Maur, éd. par Dom Gaston CHARVIN, t. V, Paris, Picard, 1931, p. 207 ; Dom René-Prosper TASSIN et Dom Charles-François TOUSTAIN, Histoire de l’abbaye de Saint-Vandrille depuis l’an 1604 jusqu’en 1734, éd. par Jean Laporte, Saint-Wandrille, L’abbaye, 1936, p. 162 ; Dom Gaston CHARVIN, « Contribution à l’étude du personnel de la Congrégation de Saint Maur, 1612-1789 », Revue Mabillon, nº 183, 1958, p. 129 ; Yves CHAUSSY, Les bénédictins de Saint-Maur, 2, Paris, Institut d’études augustiniennes, 1991, p. 19-20.
-
[99]
Les Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air ont été publiés en 1663. Dom René Prosper Tassin, dans son Histoire littéraire de la Congrégation de Saint-Maur, Bruxelles, 1770, p. 92, ajoutait cette remarque à la notice donnée dans notre introduction : « Il composa en 1669 un écrit sur l’équilibre des liqueurs, pour défendre le sentiment de M. Pascal, contre le P. Bourgoing ». Charles Bourgoing, religieux augustin, avait publié sa La vérité du vide contre le vide de la vérité à Paris, chez Henault, en 1664 ; en 1670, les « grimauderies » de Fouquet ne sont donc toujours pas publiées. Dom Ursmer Berlière (notes de Henry Wilhelm), Nouveau supplément à L’histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur, t. I, Paris, Picard, 1908, précise p. 228 que « d’après la Bibl. chartraine de Lucien Merlet, il [l’écrit de la défense de l’équilibre des liqueurs contre le P. Bourgoing] aurait été publié à Paris en 1679, ce que confirme Lenain [Histoire littéraire des bénédictins de Saint-Maur], t. I, p. 411. Il aurait donc été publié l’année même de la mort de Dom Fouquet, que L. Delisle et Omont appellent Dom Fouguet […]. Dans le Catal. des mss de la Bibl. de Chartres, dressé par Omont, il y a sous le n° 433 un écrit de Dom Fouquet, intitulé : Réponse d’un Cartésien aux 23 articles ; plus d’autres écrits sur ces 23 articles et au fol. 31, « Réponse à Dom Fouquet, bénédictin, touchant la spiritualité de l’âme ». Ce document, qui semble avoir brûlé en 1944, avait été retranscrit par Paul Lemaire dans Le cartésianisme chez les bénédictins. Dom Robert Desgabets, son système, son influence et son école, Paris, Alcan, 1901, pp. 410-413 « La Réponse du Bénédictin Cartésien, D. Maur Fouquet, à la lettre d’un Docteur de ses amis, qui avait établi 23 principes contre la physique de M. Descartes ».
-
[100]
*« de Vendôme » ajouté au-dessus : la graphie semble être d’une autre main, qui aurait donc précisé après coup qu’il s’agissait de Vendôme.
Quoi qu’il en soit, il y avait bien une abbaye mauriste à Vendôme (l’abbaye de la Sainte-Trinité), toute proche donc du collège des oratoriens où résidait Poisson : c’est là que Dom Fouquet et Dom Hunault ont fait leur profession. Chartres et Vendôme sont à une centaine de kilomètres l’une de l’autre. -
[101]
*On lit peut-être 0 sous le 6.
-
[102]
*Religieux bénédictin indigne.
-
[103]
Sophie ROUX, « Premiers éléments d’une enquête sur Jacques du Roure », Bulletin cartésien XLIX, p. 168-180.
-
[104]
Raoul de VISSAC, Anthoine du Roure et la révolte de 1670. Chronique Vivaroise, Paris, Émile Lechevalier, 1895, p. 17–18, cité in S. ROUX, « Premiers éléments d’une enquête sur Jacques du Roure », art. cit., p. 179-180.
-
[105]
Archives départementales de l’Ardèche, F 22 (Famille du Roure : documents originaux, copies, notes).
-
[106]
Patrick FERTÉ, Répertoire des Étudiants du Midi de la France (1561-1793). Pour une prosopographie des élites, 7 vol., Toulouse, Presses universitaires des sciences sociales de Toulouse, puis Presses de l’université de Toulouse I Capitole, 2002-2015.
-
[107]
Service Commun de Documentation de Toulouse 1, Bibliothèque universitaire de l’Arsenal, Ms 8 (Licentiés et Docteurs en-toutes facultés passés despuis les comptes de Noël 1638 jusques aux comptes de Pasques 1639), Ms 24 (Testimoniales en théologie, 5 janvier 1614-5 août 1673), Ms 26 (Testimoniales en théologie et en médecine, 1er janvier 1614-28 décembre 1637), Ms 28 (Bacheliers en théologie et en médecine (27 décembre 1622-23 juin 1664), Bacheliers in utroque (22 juin 1624-22 juin 1664)), Ms 29 (Nominations de bacheliers en théologie et en droit canon, 5 avril 1621-18 juin 1664). À l’exception du dernier, ces manuscrits peuvent être consultés sur le site https://tolosana.univ-toulouse.fr/ . Le nom « Roure » et son équivalent latin « Roerius » sont présents dans ces registres, mais pas avec le bon prénom, ainsi on trouve un Pierre Roure bachelier en théologie en juillet 1625 (Ms 28, p. 18), un Louis Roure ayant fait des études de théologie en 1640 (Ms 24, p. 116), un Roure licencié et docteur in utroque (c’est-à-dire en droit civil et canon) en 1640 (Ms 8, p. 39).
-
[108]
Service Commun de Documentation de Toulouse 1, Bibliothèque universitaire de l’Arsenal, Ms 107 (Registre d’attestation d’études, 12 janvier 1634-29 décembre 1644), Ms 109 (Registre d’attestation d’études, 5 janvier 1644-29 décembre 1651), Ms 134 (Graduations en droit, arts et médecine de l’université de Cahors, 16 mai 1617-17 mai 1647).
-
[109]
Je remercie très vivement Maria-Pia Donato, Sabina Pavone et Salvatore Vassallo de leur aide.
-
[110]
Maurice MASSIP, Le collège de Tournon en Vivarais, d’après les documents originaux inédits, Paris, Alphonse Picard, 1815, p. 79-85 ; Marie-Madeleine COMPÈRE et Dominique JULIA, Les collèges français, 16e-18e siècles. Répertoire 1 - France du Midi, Paris, Institut national de recherche pédagogique, 1984, p. 696-712.
-
[111]
Les registres étudiants de l’université de Valence n’ont pas été conservés aussi complètement que ceux des universités de Cahors et de Toulouse.
-
[112]
Même s’il y a eu là aussi une piste qui n’a rien donné, je remercie vivement Thierry Alloin, des Archives départementales de la Haute-Loire, de m’avoir envoyé une version numérisée du mémoire de maîtrise de Cécile MARTIN, L’implantation et l’action de la Compagnie de Jésus au Puy en Velay au XVIIe siècle, sous la direction de Jacqueline Bayon, Université Jean-Monnet Saint-Étienne, année universitaire 2001-2002.
-
[113]
H.-J. MARTIN, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, 2 vol., Genève, Droz, 1969 (ici réimpr. 1999), vol. II, p. 555-597 et p. 1062-1066.
-
[114]
Le Catalogue collectif de France mentionne de surcroît l’existence, dans le fonds ancien de la Médiathèque de Niort, cote 7470, d’une édition remontant à 1660 ayant pour titre Discours sur la médecine & sur les parties du corps humain, composés en latin par M. Arberius, et traduits en françois par D.R. Mes échanges avec Martine David, responsable de ce fonds ancien et que je remercie vivement, me conduisent à la conclusion qu’il peut s’agir d’un exemplaire tronqué de l’édition de 1664, dépourvu de la page de titre générale et des pièces liminaires (épître dédicatoire signée « D.R. » et errata). Comme l’exemplaire de Niort comprend un feuillet supplémentaire intitulé « Thèses de Louvain soutenues sous Mrs d’Orlix et Plempius » placé juste avant la dernière partie, il reste toutefois à voir si ce feuillet se trouve dans l’édition de 1666, auquel cas ce serait plutôt un exemplaire tronqué de l’édition de 1666.
-
[115]
L’ensemble est précédé d’un feuillet intitulé « Abrege de toutes les principales actions Automatiques qui sont dans les Hommes, avéque leurs maladies & leur guerison », qui se rapporte en fait seulement à la première de ces thèses, soutenue sous Pierre Dorlix par Vincent Philippeaux. Cette thèse a été étudiée par Domenico COLLACCIANI, « The Reception of L’Homme Among the Leuven Physicians: The Condemnation of 1662 and the Origins of Occasionalism », in Delphine Antoine-Mahut and Stephen Gaukroger, dir., Descartes’ Treatise On Man and its Reception, Dordrecht, Heidelberg, New York, London, Springer, 2016, p. 103-125
-
[116]
Le compte rendu négatif de La physique d’usage paru dans le Journal des sçavans, 1665, p. 56, note : « dans la traduction qu’on en a faite, on les [les thèses de Louvain] a tellement desguisées, que celuy mesme qui s’en disoit auparavant l’Autheur, les a desavoüées. En effet elles sont pleines de Paradoxes & d’opinions assez particulieres. Par exemple, dans la page 55, la peste y est décrite d’une manière capable de décrier à iamais la doctrine des petits corps. »
-
[117]
Antoine-Alexandre BARBIER, Dictionnaire des ouvrages anonymes, 4 vol., Paris, Paul Daffis, 1875 (3e éd.), vol. III, p. 496b et p. 884b.
-
[118]
Maurice BOUVET, « Les Rouvière : “Le Voyage du Tour de la France” d’Henri-Louis de Rouvière », Revue d’histoire de la pharmacie, 47e année, n°162, 1959, pp. 140-144 et Yolande ZÉPHIRIN, « Henry et Henry-Louis Rouvière, apothicaires ordinaires du roi, d’après de nouveaux documents », Revue d’histoire de la pharmacie, 74e année, n°270, 1986, p. 219-233.
-
[119]
Catalogue des livres imprimez et qui se vendent chez Pierre Aubouyn, Pierre Emery et Charles Clouzier, Libraires de Paris, p. 18. Ce catalogue n’est pas daté, mais il se trouve dans un recueil de catalogues de livres et le recueil précédent est quant à lui daté de 1694. Je remercie vivement Domenico Collacciani de m’avoir donné cet argument supplémentaire.
-
[120]
[J. du ROURE], Nouveau cours de médecine, Paris, François Clousier et Pierre Aubouyn, 1669, p. 181.
-
[121]
[J. du ROURE], Nouveau cours de médecine, op. cit., p. 181-186 et J. du ROURE, Abrégé de la vraye philosophie, lequel en contient avéque les définitions, les divisions, les sentences, & les questions principales, Paris, chez l’auteur, 1665, p. 153-157.
-
[122]
[J. du ROURE], La physique d’uzage, Paris, Pierre Aubouyn et Philippe d’Arbisse, 1664, ij verso -iij recto.
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[123]
C’est-à-dire ceux qui sont mentionnés dans le titre : Descartes, Hogelande, Regius, Arberius, Willis, les professeurs de Louvain ayant fait soutenir les thèses de 1662.
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[124]
[J. du ROURE], Nouveau cours de médecine, op. cit., ij recto -iij verso.
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[125]
C. Louise THIJSSEN-SCHOUTE, Nederlands Cartesianisme, Amsterdam, Noord-Hollandsche Uitg. Mij, 1954, p. 265–266 déclare qu’Arberius est un pseudonyme, mais sans expliquer pourquoi.
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[126]
Cl. Clerselier, Préface, in Descartes, Lettres de Mr. Descartes […]. Tome troisiesme et dernier, Paris, Ch. Angot, 1667, n.p. et A. BAILLET, Vie de M. Descartes, 2 vol., Paris, 1691, vol. II, p. 443–443. Voir également AT, vol. XII, p. 594–607.
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[127]
Je reprends ces informations à Patricia M. RANUM, « Jacques II Dalibert (or d’Alibert). “Le Bon Français de Rome”. An assemblage of “Fugitive Pieces,” 1630-1715, in lieu of a biography about Christina of Sweden’s secretary-impresario-jester » que j’ai consulté en janvier 2020 sur la page : https://independent.academia.edu/PRanum. On trouve comme elle le note des indications sur d’Alibert dans F. RAVAISSON-MOLLIEN, Archives de la Bastille. Documents inédits. Vol. IV : Règne de Louis XIV (1663 à 1678), Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1870, p. 292-297.
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[128]
Rebecca M. WILKIN, « Figuring the Dead Descartes : Claude Clerselier’s Homme de René Descartes (1664) », Representations, 2003, vol. 83, p. 38-66 ; Claus ZITTEL, Theatrum philosophicum. Descartes und die Rolle ästhetischer Formen in der Wissenschaft, Berlin, Akademie-Verlag, 2009, p. 306-346 ; ID., « Conflicting Pictures: Illustrating Descartes’ Traité de l’homme », in Sven Dupré and Christoph Lüthy, Silent Messengers. The Circulation of Material Objects of Knowledge in the Early Modern Low Countries, Berlin, Münster, Wien, Zürich, London, Lit-Verlag, p. 217-260 ; Steven NADLER, « The Art of Cartesianism: The Illustrations of Clerselier’s Edition of Descartes’s Traité de l’homme (1664), in Delphine Antoine-Mahut and Stephen Gaukroger, dir., Descartes’ Treatise On Man and its Reception, Dordrecht, Heidelberg, New York, London, Springer, 2016, p. 193–224.
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[129]
Cl. CLERSELIER, « Préface », in L’Homme de René Descartes et un traitté de la formation du fœtus du mesme autheur. Avec les remarques de Louys de La Forge […], Paris, Charles Angot, 1664, en particulier p. ii, p. xxv.
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[130]
Le Monde de Mr Descartes ou le Traité de la lumière et des autres principaux objets des Sens. Avec un Discours de l’Action des Corps & un autre des Fièvres, composez selon les principes du même Auteur, Paris, Michel Bobin & Nicolas le Gras, 1664.
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[131]
Cl. CLERSELIER, « Préface », op. cit., p. iii.
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[132]
DESCARTES, L’Homme de René Descartes et la formation du foetus avec les Remarques de Louis de La Forge. A quoy l’on a ajouté Le Monde ou Traite de la Lumiere du mesme Autheur, Paris, Charles Angot, 1677. AT, vol. XI, p. ii-iii suppose que, cette fois, le délai pris par Clerselier pour publier son édition du Monde avait pour cause un accord entre imprimeurs.
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[133]
Ibid., p. v.
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[134]
Sur l’attribution de ces deux discours, voir Pierre CLAIR, Jacques Rohault (1618–1672). Bio-bibliographie. Avec l’édition critique des Entretiens sur la philosophie. Paris, CNRS, 1978, p. 58.
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[135]
AT XI, i-ii, qui ne précise pas les arguments sur lesquels il s’appuie, mais on peut penser qu’il s’agit des liens de d’Alibert avec le chevalier de Terlon, ambassadeur à Stockholm, qui se chargea des négociations pour le rapatriement du corps de Descartes.
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[136]
C. Louise THIJSSEN-SCHOUTE, Nederlands Cartesianisme, Amsterdam, Noord-Hollandsche Uitg. Mij, 1954, p. 136, p. 239, infère de la collaboration entre d’Alibert et l’auteur de la Physique d’usage à leur possible collaboration pour l’édition du Monde, mais en croyant que l’auteur de la Physique d’usage est Rouvière et sans avancer d’autre argument. Arrigo BORTOLOTTI, « I manoscritti di Descartes nella seconda metà del seicento », Rivista di storia della filosofia, 1987, vol. 42, p. 675-695, en particulier p. 685-690, défend l’hypothèse qu’il s’agit de Johannes de Raey, mais il n’a aucun argument véritable.
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[137]
Je dois cet argument à Domenico Collacciani, que je remercie vivement une nouvelle fois.
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[138]
Jacques du ROURE, Rori doctoris Exercitationes, quibus omnes omnino scientiae, grammatice, rhetorice, philosophia, mathesis, theologia, jurisprudentia et medicina pertractantur, Paris, chez l’auteur, 1680, p. Aii recto-verso : « Neque interest tantum summorum dominantium, homines quosvis ad litteras institui : Sed ipsarum etiam Urbium, divitum quorumlibet atque honestorum, eorumve qui cum bestiis nolunt semper versari, quique vel Libros possunt commodare, vel alia. Hoc certe tuos inter Gallos a Daliberto ; non modo Cartesius, sed alii etiam, & ego ipse expertus sim. Hoc de Pereischio Senatore, scribit Gassendus. Hoc alii de aliis, in erudita quavis Europae, aut totius etiam mundi parte habitantibus, tradunt. »
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[139]
Ce liminaire doit au concours de Y. Qian-Laurent : qu’il en soit remercié.
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[140]
* Les recensions d’ouvrages ou d’articles antérieurs à 2019 sont précédées d’un astérisque (*).