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Article de revue

Les ressources de la pensée du care. Pour un soin plus humain

Pages 41 à 58

Notes

  • [1]
    Barbara CASSIN dir., Vocabulaire européen des philosophies, art. « Humanité », Paris, Le Seuil/Le Robert, 2004, p. 580.
  • [2]
    Voir Marie GAILLE, « L’expérience du déni de reconnaissance dans la relation médecin/patient : nouvel exemple ou motif d’élargissement pour la théorie de la reconnaissance ? », Le temps philosophique, 13, La reconnaissance : perspectives critiques, Marie Garrau et Alice Le Goff dir., Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2009, p. 89-113 ; co-écrit avec Nicolas FOUREUR, « Médecine “inhumaine” ou violence irréductible de la situation de soin ? Enjeux conceptuels et interprétatifs d’un lieu commun sur la relation médecin-patient », in Lazare Benaroyo, Céline Lefève, Jean-Christophe Mino et Frédéric Worms dir., La philosophie du soin – éthique, médecine et société, Paris, PUF, 2010, p. 189-204.
  • [3]
    Marie Gaille et Nicolas Foureur, « Médecine “inhumaine” ou violence irréductible de la situation de soin ? Enjeux conceptuels et interprétatifs d’un lieu commun sur la relation médecin-patient », in Lazare Benaroyo, Céline Lefève, Jean-Christophe Mino et Frédéric Worms dir., La philosophie du soin – éthique, médecine et société, op. cit., p. 189-204.
  • [4]
    Ibid.
  • [5]
    Il convient d’inclure dans la réflexion les maisons de retraite et aujourd’hui les EHPAD. En effet, ils ont également fait et font encore l’objet de nombreuses critiques relatifs au degré d’« humanité » avec lequel leurs personnels s’occupaient des résidents, et ce malgré l’évolution du regard à l’égard des personnes séniles ou atteintes par la maladie d’Alzheimer : « Dans les institutions gériatriques, les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, en dépit des limitations que leur impose leur pathologie, ne “tombent” plus dans la classe des non-personnes. (…) Aussi, ce qui fait problème en gériatrie n’est-il pas la reconnaissance de l’altérité ni de l’identité, mais la construction d’un sens de l’humanité commune. » (Pascale MOLINIER, Le travail du care, Paris, La Dispute, 2013, p. 108 et 113).
  • [6]
    Dans cette contribution, je parlerai de pensée du care en désignant spécifiquement ce courant philosophique, par différence avec les moments où j’emploierai « care » entre guillemets et italiques, pour renvoyer au terme anglais usuellement traduit par soin en français.
  • [7]
    Lazare BENAROYO, Céline LEFÈVE, Jean-Christophe MINO et Frédéric WORMS dir, La philosophie du soin – éthique, médecine et société, Première partie, Éthique, p. 11-103.
  • [8]
    Catherine LE GALÈS, Martine BUNGENER et le groupe Capabilités, Alzheimer : préserver ce qui importe – les « capabilités » dans l’accompagnement à domicile, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015.
  • [9]
    Fabienne BRUGÈRE, « L’éthique du care : entre sollicitude et soin, dispositions et pratiques », in La philosophie du soin – éthique, médecine et société, op. cit., p. 69-86. C’est la sémantique du « soin » qui est retenue pour la traduction en français de l’ouvrage d’Annemarie MOL, Ce que soigner veut dire. Repenser le libre choix du patient, Paris, Presses des Mines, 2009. L’édition utilisée ici est l’édition mise en ligne en 2013, sous le titre Ce que soigner veut dire. Les patients, la vie quotidienne et les limites du choix, Presses des Mines, OpenEdition (https://www.openedition.org/6540). Cette édition étant sans pagination, nous indiquerons le chapitre où se trouve le propos cité ou la réflexion évoquée.
  • [10]
    Je ne m’appuierais pas ici sur la réflexion exposée par Joan C. TRONTO dans son ouvrage le plus récent sur le care : Caring Democracy. Markets, Equality and Justice, New-York et Londres, New-York University Press, 2013. J’en explore la portée en contexte médical ou médicalisé dans une recherche en cours sur l’éducation thérapeutique.
  • [11]
    Annemarie MOL, Ce que soigner veut dire. Les patients, la vie quotidienne et les limites du choix, op. cit., chap. 6.
  • [12]
    Ibid., chap. 2.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    Ibid., chap. 4.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Ibid., chap. 6.
  • [18]
    Sandra LAUGIER, « Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire », in Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2009, p. 161.
  • [19]
    Ibid. p. 163.
  • [20]
    Ibid., p. 161.
  • [21]
    21. Joan TRONTO, Un monde vulnérable. Pour une politique du care (1993), trad. H. Maury, Paris, La Découverte, 2009, p. 147.
  • [22]
    Anne M. LOVELL, Stefania PANDOLFO, Veena DAS, Sandra LAUGIER dir., Face aux désastres – une conversation à quatre voix sur la folie, le care et les grandes détresses collectives, Paris, Ithaque, 2013.
  • [23]
    Anne GONON, « Quelles vies pour les corps irradiés ? Désorientation et résistance après l’accident nucléaire de Fukushima », Raison publique, 2015 ; et « L’espace de la catastrophe. Naissance de sujets et nouvelles formes de vie », in Estelle Ferrarese et Sandra Laugier dir., Formes de vie, Paris, CNRS éditions, 2018, p. 325-337.
  • [24]
    Pascale MOLINIER, Sandra LAUGIER, Patricia PAPERMAN, Introduction, in Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, op. cit., p. 10.
  • [25]
    Carol GILLIGAN, Une voix différente – Pour une éthique du care, trad. A. Kwiatek revue par V. Nurock, Paris, Champ essais, 2008 [1982]. Voir sur ce point Sandra LAUGIER, « Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire », in Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, op. cit., p. 176 sq.
  • [26]
    Voir en particulier les contributions de Catherine DRAPERI, « Narration et accompagnement : accéder au monde de l’autre » (p. 37-55) et de Céline LEFÈVE, « La relation de soin doit-elle être une relation d’amitié ? » (p. 107-126) dans Lazare Benaroyo, Céline Lefève, Jean-Christophe Mino et Frédéric Worms dir., La philosophie du soin – éthique, médecine et société, op. cit.
  • [27]
    Jacqueline LAGRÉE a insisté sur cette prise en compte de la temporalité du patient in Le médecin, le malade et le philosophe, Paris, Bayard, 2002, p. 86.
  • [28]
    Au sujet de ces écueils, voir Marie GAILLE, « La vertu thérapeutique du récit de vie : illusion humaniste ou réalité d’un soin bien compris ? Enjeux d’une “éthique du dialogue” en médecine contemporaine », Perspective soignante, 2013, 46, p. 42-57.
  • [29]
    Voir la présentation et la discussion de ce type de “care” et des rôles professionnels qui lui sont associés par Tom L. BEAUCHAMP et James F. CHILDRESS, Les principes de l’éthique biomédicale, trad. M. Fisbach, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 53 sq.
  • [30]
    Voir sur ce point les analyses de Joan TRONTO, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, op. cit., p. 153 sq. ; Fabienne BRUGÈRE, « L’éthique du care : entre sollicitude et soin, dispositions et pratiques », art. cit., p. 84 sq.
  • [31]
  • [32]
    Ibid.
  • [33]
    Patricia PAPERMAN, « Pour un monde sans pitié », Revue du MAUSS, 2008/2, 32, p. 167-183.
  • [34]
    Pascale MOLINIER, Sandra LAUGIER, Patricia PAPERMAN, Introduction, in Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman dir., Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, op. cit., p. 11.
  • [35]
    Pascale MOLINIER, Le travail du care, op. cit., p. 112.
  • [36]
    Joan TRONTO, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, op. cit., p. 151.
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    Pascale MOLINIER, Le travail du care, op. cit., p. 242-243.
  • [39]
    César MEURIS, Faire et défaire la capacité d’autonomie – Enquête sur la prise en charge des patients atteints de la maladie d’Alzheimer hospitalisés en service gériatrique de soins aigus, thèse de doctorat en philosophie de l’Université Libre de Bruxelles et l’Université Sorbonne Paris Cité, préparée à l’Université Paris 7- Paris Diderot, soutenue le 20 septembre 2017.
  • [40]
    Sandra LAUGIER, « Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire », art. cit., p. 160-161.
  • [41]
    Ibid., p. 199.
  • [42]
    Pascale MOLINIER, Sandra LAUGIER, Patricia PAPERMAN, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, op. cit., « Introduction », p. 19.
  • [43]
    Ibid., p. 20.
  • [44]
    Ibid., p. 18.
  • [45]
    Alice LE GOFF, « Care, empathie et justice – Un essai de problématisation », Revue du MAUSS, 32, 2008, dossier « L’amour des autres – care, compassion et humanitarisme », p. 131.
  • [46]
    Ibid.
  • [47]
    Michael SLOTE, The Ethics of Care and Empathy, Londres-New-York, Routledge, 2008.
  • [48]
    Alice LE GOFF, « Care, empathie et justice – Un essai de problématisation », art. cit., p. 137.
  • [49]
    Alice LE GOFF, version intégrale de l’article « Care, empathie et justice – Un essai de problématisation », Revue du MAUSS, 2008/2, 32, p. 203-241, https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2008-2-page-203.htm (consulté le 24 août 2019, p. 23).
  • [50]
    Ibid.
  • [51]
    Joan TRONTO, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, op. cit., p. 151.
  • [52]
    Alice LE GOFF, version intégrale de l’article « Care, empathie et justice – Un essai de problématisation », Revue du MAUSS, 2008/2, 32, p. 203-241.
  • [53]
    Alice LE GOFF et Marie GARRAU, Care, justice et dépendance : introduction aux théories du care, Paris, PUF, 2010 ; Alice LE GOFF et Marie GARRAU, Politiser le care ? Perspectives sociologiques et philosophiques, Lormont, le Bord de l’eau, 2012 ; Alice LE GOFF, Care et démocratie radicale, Paris, PUF, 2013, Fabienne BRUGÈRE, Le sexe de la sollicitude, Paris, Le Seuil, 2008 ; Fabienne BRUGÈRE, « L’éthique du care : entre sollicitude et soin, dispositions et pratiques », art. cit., p. 69-86.
  • [54]
    Ruud TER MEULEN, Solidarity and Justice in Health and Social Care, Cambridge, Cambridge University Press, 2017.
  • [55]
    Ibid., chapitre 4.
  • [56]
    Ibid., chapitre 5.
  • [57]
    Hilde LINDEMANN, « Holding One Another (Well, Wrongly, Clumsily) in a Time of Dementia », in Eva Feder Kittay and Licia Carlson éd., Cognitive Disability and Its Challenge to Moral Philosophy, Malden, Wiley-Blackwell, 2010 p. 161-169.
  • [58]
    Ibid., p. 168.
  • [59]
    Aurélie DAMAMME et Patricia PAPERMAN, « Care domestique : délimitations et transformations », in Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman dir., Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, op. cit., p. 133-155.
  • [60]
    Ibid., p. 150.
  • [61]
    Patricia PAPERMAN, « Pour un monde sans pitié », Revue du MAUSS, 32, 2008, dossier « L’amour des autres – care, compassion et humanitarisme », p. 182.
  • [62]
    Nous ne développerons pas ici ce point plus avant, mais il faut noter à ce sujet que la vision du travail du care comme non marchandisable, non estimable, défendue par P. Paperman (« Pour un monde sans pitié », art. cit., p. 182) et P. Molinier (Le travail du care, op. cit., p. 11) rend compliquée cette prise en compte et mériterait à cet égard d’être interrogée. Il me paraît difficile de promouvoir la reconnaissance d’une telle temporalité du care et d’affirmer dans le même temps l’impossibilité de la mesurer pour élaborer des propositions concrètes en termes d’organisation du travail des équipes dans les institutions de soin.
  • [63]
    Pascale MOLINIER, Le travail du care, op. cit., p. 112.
  • [64]
    Je me permets sur ce sujet de renvoyer à l’analyse que j’en ai proposé dans « Le retour à la vie ordinaire : un enjeu épistémologique de la réflexion philosophie morale – ce que nous apprend l’enquête éthique en contexte médical », Raison publique, dossier coordonné par M. Gaille et S. Laugier, « Le retour à la vie ordinaire », 18, 2014, p. 93-107.
  • [65]
    Joan TRONTO, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, op. cit., p. 143.
  • [66]
    Annemarie MOL, Ce que soigner veut dire. Repenser le libre choix du patient, op. cit., chap. 6.
  • [67]
    Je veux adresser tous mes remerciements à Sandra Laugier pour m’avoir invitée, et le faire encore, à découvrir la pensée du care.

1Dans son usage courant, le terme « humanité » désigne à la fois l’ensemble des êtres humains et, comme le signifie le latin classique humanitas, l’ensemble des caractéristiques associées à la nature humaine, par différence avec l’animal, en particulier la philanthropie – bienveillance, culture, politesse, savoir-vivre. L’allemand rend compte de cette distinction, en employant le terme Menschheit pour désigner l’appartenance au genre humain et le terme Humanität, directement lié à l’humanitas latine [1]. Si la distinction est relativement poreuse entre ces termes, il est utile de la conserver en abordant les réflexions qui font de la commune appartenance à « l’humanité » un enjeu pour la médecine, émergeant notamment de la revendication contemporaine de « reconnaissance » de patients : je suis un être humain comme les autres, malgré la maladie ou le handicap[2] ; ou en considérant les pensées qui déploient une critique de la médecine contemporaine, accusée de manquer d’« humanité [3] ».

2Dans le présent travail, je ne reviendrai pas sur l’analyse des causes qui peuvent conduire à dénoncer un manque d’humanité de la médecine contemporaine. Je n’évoquerai pas non plus ce que Nicolas Foureur et moi-même avons présenté comme une violence irréductible de la situation de soin, liée à une divergence entre l’équipe médicale et le patient sur la décision à prendre, violence qui peut nourrir l’accusation de manque d’« humanité » de la médecine [4].

3Je voudrais ici m’intéresser à des situations de soin en un sens élargi : c’est-à-dire à des situations impliquant des « gestes » de natures diverses, qui vont de l’opération chirurgicale au lavement de corps, de la pose d’une perfusion ou d’une sonde au fait d’aider quelqu’un à manger, de l’élaboration de la bonne décision à prendre en matière thérapeutique à celle d’une organisation de vie appropriée à l’état de santé de la personne. Ces gestes mobilisent des compétences et des savoirs divers, de nature pratique comme scientifique ; ils impliquent une pluralité de professions et de spécialités. Ils sont accomplis à domicile, à l’hôpital, en établissement d’hébergement pour personnes âgées [5]. Ces gestes ont en commun de constituer des formes de soutien à la vie, parfois en des moments décisifs ou au long cours, de remédier à une santé défaillante ou d’aider à vivre avec la maladie et/ou la perte d’autonomie. Lorsque, par la suite, j’évoquerai des situations de soin, c’est à cet ensemble de gestes que je renverrai.

4Face à de telles situations, la pensée du care se présente comme une candidate idéale pour constituer un paradigme théorique et normatif, donner aux gestes du soin une orientation décisive, (ré-)humanisante [6]. Elle n’est certes pas la seule et unique candidate ! L’ouvrage coordonné par Lazare Benaroyo, Céline Lefève, Jean-Christophe Mino et Frédéric Worms, La philosophie du soin – éthique, médecine et société (2010) met en évidence plusieurs sources théoriques pour envisager la relation de soin en contexte médical ou dans des maisons de retraite : herméneutique, éthique de la responsabilité, éthique narrative, théorisation pragmatique, philosophie du soin développée par Frédéric Worms et éthique du care elle-même [7]. À cet ensemble, il convient sans doute d’ajouter encore la pensée des capabilités, dont la fécondité a été explorée pour l’accompagnement des personnes atteintes d’Alzheimer [8].

5Nous souhaitons toutefois focaliser ici notre attention sur la pensée du care pour deux raisons. La première tient au fait qu’en réalité, il ne va pas de soi de la mobiliser pour penser les situations de soin et qu’il faut donc rendre compte des raisons qui justifient sa mobilisation. Certes, l’éthique du care est présentée et analysée dans l’ouvrage cité – par Fabienne Brugère – et l’ethnographe, sociologue et philosophe Annemarie Mol présente ses analyses de la décision médicale et de la relation entre patient et médecin en termes de « care », par exemple dans The Logic of Care (2008). Cependant, tant la traduction du terme « care » par celui de « soin » que l’exploration des institutions médicales ou médicalisées pour appréhender de manière privilégiée les formes du « care » sont discutées au sein de la pensée du care[9]. Dans un premier temps, nous examinerons donc à quelles conditions il est pertinent d’envisager les situations de soin telles que nous les avons définies ci-dessus sous l’angle d’une pensée du care.

6On peut ensuite aborder les ressources de la pensée du care pour la médecine et l’activité de soin prodiguée aux personnes en perte d’autonomie, confrontées à l’enjeu de leur « humanisation ». Car de telles ressources existent et elles sont significatives. La ressource sans doute la plus évidente a trait à l’une des dimensions du care, de l’ordre de l’attention à autrui. Nous en déclinerons la portée en contexte médical ou médicalisé dans un second temps. Au cours de cette analyse, nous passerons d’un usage de l’attention à autrui, relatif à une présence bienveillante, à une écoute active, orientée vers la prise en compte de son point de vue, puis nous présenterons sa nécessaire dimension critique et réflexive. Une autre ressource réside dans la discussion sur la nécessité de politiser le care.

7Dans un troisième temps, nous présenterons cette discussion afin d’en identifier les implications pour les situations de soin : en quoi un care politique peut-il donner des pistes structurantes pour celles-ci lorsqu’elles tentent de répondre à la critique du défaut d’humanité ? Nous examinerons en particulier trois éléments : la nature politique de l’articulation entre care domestique et interventions extérieures à celui-ci ; la prise en compte de la temporalité propre à l’activité caring ; la relation entre une culture du care et une culture du conflit [10].

8Notre analyse s’appuiera essentiellement sur un ensemble de réflexions philosophiques, mais aussi sociologiques, qui ont constitué depuis une quarantaine d’années un corpus relatif à la pensée du care. Elle fera également référence de façon plus ponctuelle à des travaux qui utilisent ou commentent la notion de « care » ou s’y réfèrent, sans nécessairement s’inscrire dans ce corpus, notamment dans le champ de l’éthique médicale ou de la philosophie politique.

I. La place du soin prodigué au corps malade et/ou en perte d’autonomie dans la pensée du care

9Abordé sous l’angle de leur possible défaut d’humanité, les situations de soin semblent nécessairement gagner à incorporer les valeurs associées au terme de « care » : attention à autrui, souci de l’autre, sollicitude à son égard. En particulier, en contexte médical, cela permettrait de ne plus structurer le soin selon une division du travail binaire entre des activités qui, dans la langue anglaise, sont désignées par deux termes différents : « care » et « cure ». Une attitude « caring » est ce qui conviendrait pour conférer au soin médical, sous toutes ses formes, y compris le « cure », une dimension essentielle, et ainsi « réhumaniser » l’exercice de la médecine et plus largement l’ensemble des gestes de soin pour les corps malades et/ou en perte d’autonomie. Mais que signifie, dans ce contexte, prêter attention à autrui, se soucier de l’autre, faire preuve de sollicitude à son égard ?

10A. Mol apporte une réponse éclairante à cette question pour diverses raisons. Tout d’abord, sa réflexion est élaborée dans un contexte – les années 2000 – où, selon elle, « le care » a été mis en danger par d’autres logiques normatives ; ensuite, elle est conçue à travers l’analyse du soin donné aux personnes atteintes de condition chronique en contexte hospitalier, mais elle est transférable à d’autres espaces, plus ou moins médicalisés, y compris le domicile. Nous allons nous appuyer sur elle pour illustrer en quoi, de prime abord, le terme de « care » et sa traduction en français par celui de « soin » semblent tout naturellement conduire une philosophie du « care » à constituer l’étayage théorique et normatif d’un soin « humain ».

11Selon A. Mol, il conviendrait aujourd’hui de renoncer à s’en tenir à la critique du paternalisme développée depuis les années 1960 sur le milieu médical. Cette critique a incontestablement joué un rôle crucial dans l’évolution de la relation patient/médecin, mais elle tourne désormais à vide et « devient mécanique [11] ». En outre, elle a un effet contre-productif : celui de dissimuler l’importance d’une logique du soin – selon la traduction française – par rapport à une logique du choix. Sa défense de la logique du soin est en réalité organisée contre deux autres logiques, celle du choix, que nous venons d’évoquer, et celle des droits du citoyen. Il ne s’agit pas, encore une fois, d’en nier le rôle et l’importance pour l’évolution de la décision médicale, mais d’indiquer que le soin médical ne peut s’y réduire et doit laisser place, de façon centrale, à la logique du soin. Celle-ci permet tout d’abord de reconnaître la personne malade en tant que telle – et non le client ou le détenteur de droits : une personne qui n’a pas demandé à être malade, souffre et a besoin de soin [12]. Ensuite, dans le contexte de la chronicité, la notion de « care » n’est pas associée à la passivité car le patient accomplit lui-même, en sus de l’infirmière, du médecin, etc., des actes de soin [13]. Le « care » renvoie donc ici à des activités qui impliquent une pluralité de personnes, y compris la personne malade, et parfois des activités conjointes pour mettre fin ou stabiliser un état dont on ne peut pas vraiment contrôler l’évolution. A. Mol insiste sur ce point : « L’art du soin, dès lors, est d’agir sans chercher à contrôler [14] ». L’action individuelle et collective prend de ce fait la forme de tentative, d’expériences, recèle des tâtonnements [15]. Ces activités peuvent aussi éventuellement reposer sur l’usage de technologies, qu’il s’agit d’adapter à la vie de la personne [16], de la même manière que, dans la logique du soin, l’on n’utilise pas de façon uniforme et directe une information en termes de diagnostic ou de pronostic à l’égard de tous les patients, mais on la reformule et on la « traduit [17] » pour chacun d’entre eux.

12A. Mol donne un contenu substantiel à l’idée de logique du soin et elle formule une proposition normative forte qui fait du « care » un paradigme clé pour les institutions médicales ou médicalisées et le soin à domicile pour des personnes malades et/ou en perte d’autonomie. Cependant, on remarque que la pensée du care, dont le coup d’envoi a été donné par la publication d’Une voix différente – Pour une éthique du care de Carol Gilligan (1982), entretient une relation complexe avec les contextes médicaux ou médicalisés, et peut-être à un moindre égard avec le soin à domicile. Ces contextes ne constituent pas l’espace privilégié pour explorer le sens et les implications du care et cela, pour des raisons de fond qui ont été explicitées. Une première raison tient au choix d’élargir la pensée du care à la vie humaine en général, à toutes les vies, qu’elles soient malades ou pas, et à la mise en avant de la dépendance et de la vulnérabilité de toutes et tous :

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Prendre la mesure de la centralité du care, non seulement comme dimension de la moralité mais comme dimension de la vie humaine, permet de reconnaître, de façon plus “réaliste” que ne le font les théories sociales et morales majoritaires, que la dépendance et la vulnérabilité ne sont pas des accidents de parcours qui n’arrivent qu’aux “autres”, quels qu’ils soient : ce sont des traits de la condition de tout un chacun, même si les mieux lotis ont la capacité d’en estomper ou d’en nier l’acuité [18].

14À ce point, qui fait de la pensée du care une réflexion sur la condition humaine, s’ajoute une seconde raison : celle qui conduit à mettre en avant, de façon délibérée, d’autres espaces et en particulier l’espace domestique, les relations quotidiennes dans les familles (ménage, cuisine, éducation des enfants, jeux, expression de l’affection, etc.) que la philosophie politique et morale tend à négliger. Selon Sandra Laugier, la pensée du care

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s’attache à défaire l’évidence d’un care qui serait réservé aux plus démunis, aux malades, aux handicapés ou aux personnes âgées dépendantes. Elle fait surtout revenir dans le champ de la pensée ces relations qui passent, avec une facilité déconcertante, à la trappe des théories sociales et morales : les relations parentales et le travail avec les enfants à la maison. Là où commence la vie humaine avec le quotidien des corps, l’affection et ses ratés, l’apprentissage du souci d’autrui dans la famille ou son échec, l’éducation morale du futur membre de la société [19].

16Ces deux raisons s’inscrivent dans un argumentaire opposé à la traduction du terme « care » en français par le terme de soin, dans la mesure où celui-ci est susceptible de renvoyer, en raison de ses usages les plus fréquents en français, à « une version médicalisée et inégalitaire de l’attention [20] ».

17Les situations de soin ne sont pas absentes de la gamme d’exemples présents dans la pensée du care. On peut par exemple songer au care évoqué par Joan Tronto à l’égard des personnes atteintes du sida, sous ses quatre volets « se soucier de, se charger de, prendre soin et recevoir des soins [21] ». Mais ce type de care n’occupe pas une place privilégiée. L’on observe en outre que le care prodigué à des personnes malades et/ou en perte d’autonomie est souvent évoqué dans des lieux qui ne sont pas des institutions de soin et pas non plus nécessairement le domicile. Face aux désastres – une conversation à quatre voix sur la folie, le care et les grandes détresses collectives relate et commente des enquêtes sur des personnes en situation de détresse, notamment sur le plan de la santé mentale, dans des « circonstances extraordinaires » : par exemple, à la Nouvelle Orléans après Katrina, dans l’enquête d’Anne M. Lovell ou dans un quartier pauvre de Delhi dans celle de Veena Das [22]. Les travaux d’Anne Gonon sur les corps irradiés à Fukushima illustrent aussi une telle perspective de la pensée du care qui s’intéresse ici aux corps abimés de manière irrémédiable sans mettre l’accent sur les institutions médicales ou médicalisées [23].

18Selon nous, cette place occupée par les situations de soin telles que nous les avons définies plus haut dans la pensée du care doit être prise au sérieux. Elle n’interdit pas de réfléchir à la portée d’une telle pensée pour ces situations, mais à condition de ne pas accorder aux pratiques médicales un statut privilégié par rapport à d’autres pratiques caring ; de ne pas non plus considérer que les institutions médicales ou médicalisées sont les lieux par excellence du care. Il convient aussi de garder à l’esprit que, pour une telle pensée, la dépendance et la vulnérabilité sont des traits de la condition humaine : autrement dit, la pensée du care réinscrit les gestes du soin à la personne malade et/ou en perte d’autonomie dans tout un ensemble d’activités et de pratiques qui renvoient à ces aspects de la condition humaine.

II. L’attention à autrui selon la pensée du care

19Une fois ces éléments pris en compte, la pensée du care offre de substantielles ressources pour considérer des situations de soin confrontées à la critique de leur défaut d’humanité. En valorisant les actions et les activités orientées par l’attention à autrui, le souci de l’autre, la sollicitude, la pensée du care trouve tout d’abord à s’appliquer de façon privilégiée à l’enjeu de l’écoute du patient dans de telles situations. Cette dimension de l’écoute n’est pas une spécification parmi d’autres du care. Comme le rappellent Sandra Laugier, Pascale Molinier et Patricia Paperman, l’une des raisons du succès de C. Gilligan tient précisément à cette écoute attentive, à cette aide à trouver les mots pour rendre compte d’une expérience, à cette considération pour la parole d’autrui :

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basé sur des entretiens approfondis avec des étudiantes et des femmes qui veulent avorter, le livre de Gilligan restitue une parole dans laquelle beaucoup de femmes ont pu et peuvent encore se reconnaître. (…) Gilligan propose des mots, des concepts qui donnent une cohérence à l’expérience de nombreuses femmes, et participe ainsi à élever la confiance qu’elles peuvent avoir dans cette expérience [24].

21En suivant la perspective mise en avant dans Une voix différente de C. Gilligan, on peut émettre l’idée selon laquelle, en allant au-devant des personnes qui ne parlent pas ou ne sont pas écoutés, en les invitant à faire part de leur expérience, en les aidant à formuler celle-ci, à repérer ce qui est important pour elles, à trouver les mots justes, on répond pleinement à l’enjeu d’un soin humain [25]. En contexte médical, cette dimension a été analysée au regard de l’établissement d’un diagnostic mais surtout en vue de déterminer une forme de prise en charge appropriée à la maladie et au malade [26]. Elle a en particulier été considérée pour élaborer une temporalité respectueuse de la manière dont ce dernier se confronte à sa maladie et à ses implications [27]. Pour peu que cette écoute ne soit pas associée à la recherche d’une cohérence fictive au sujet de sa vie et de ses souhaits sur sa vie à venir, qu’elle tienne compte des contraintes propres au dispositif médical sur l’élaboration d’un tel récit [28], cette dimension est aujourd’hui perçue comme une condition importante d’un soin de qualité et de la reconnaissance de la personne, irréductible à sa maladie et à son statut de patient. Ce type d’écoute ne doit pas être confondu avec des gestes ou des attitudes qui ont aussi été associés au « care » en éthique médicale : une présence, un sourire, une parole bienveillante, l’expression gestuelle ou verbale de l’empathie [29]. Dans la forme de care ici commentée, la voix du patient est repositionnée, et la décision médicale est visée comme le résultat d’un échange entre le patient et l’équipe médicale, ce qui n’exclut pas les divergences de vues.

22La pratique d’un telle forme d’écoute en contexte médical repose sur certaines conditions éclairées par la pensée du care. Il s’agit tout d’abord de ne pas l’envisager comme une « disposition », ou du moins pas seulement comme une disposition [30], a fortiori si l’on conçoit cette disposition comme particulièrement propre aux femmes et/ou relevant des fonctions subalternes dans la hiérarchie médicale. Ce point doit être rappelé : même si l’on peut sans doute affirmer que la représentation de l’infirmière en femme douce et bienveillante, complétant la froide efficacité du médecin, appartient au passé, les femmes ont occupé et occupent encore en large partie, dans les institutions médicales ou médicalisées, de telles fonctions et sont encore très majoritaires à intervenir dans des situations de soin à domicile [31]. Il faut donc abandonner ce care-disposition, propice à sa « romantisation et à sa « sentimentalisation [32] », pour envisager le care comme une activité, assumée par toutes celles et ceux qui sont mobilisés dans des situations de soin.

23Dans cette optique, la place occupée par le modèle des relations de care au sein de la famille est complexe. La pensée du care est critique à l’égard d’une attention à autrui fondée sur le modèle de la relation dyadique mère/enfant [33]. Une telle pensée se méfie aussi d’une vision qui maintient dans la sphère privée l’exercice de cette attention, en lien avec l’objectif d’une politisation du care que nous examinerons bientôt :

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Pourtant, la féminisation de l’éthique du care recèle un piège ! Celui-ci a été magistralement mis en évidence par Joan Tronto. La féminisation de l’éthique du care ne parvient pas à extraire la voix morale différente du domaine privé. Les sentiments moraux et les femmes y restent confinés et l’éthique du care, ses contenus et les activités au sein desquelles celle-ci s’éduque et s’exerce, restent à l’écart du domaine public. Le politique continue ainsi à les dévaloriser et encore plus sûrement à les ignorer [34].

25Comme le met en évidence P. Molinier, il n’est pourtant pas évident qu’on puisse totalement mettre de côté ce modèle des relations de care au sein de la famille lorsqu’on s’intéresse au travail déployé dans des situations de soin. En effet, les travailleuses du care qu’elle a côtoyées lors de son enquête de terrain dans une maison de retraite dénommée la « Villa Plénitude » s’appuient sur ce modèle, contre leur propre hiérarchie, pour pouvoir accomplir leur travail auprès des personnes dont l’état physique et cognitif est parfois très dégradé. Aborder l’espace de la maison de retraite comme leur maison est l’une de leurs stratégies pour se percevoir comme proches des résidents et ainsi mener à bien leur travail : « je la traite comme ma mère », « je fais comme chez moi [35] ». À notre sens, cette observation ne remet pas en cause la nécessité de se détacher d’une vision du care comme disposition affective et privée. Mais elle suggère une complexité propre à l’usage de la pensée du care dans des situations de soin. Il est possible que la prise en charge de personnes à l’état de santé dégradé, requérant des soins intimes et au long cours, fasse entrer les acteurs du soin dans une zone grise, située entre relations personnelles et professionnalité. Nous y reviendrons.

26Une deuxième condition fondamentale de l’écoute du patient telle que nous l’avons esquissée plus haut, réside certainement, si l’on suit la pensée du care dans la capacité à identifier les conflits et à renoncer à une vision binaire du bien et du mal. Comme le souligne Joan Tronto :

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Néanmoins, le fait que le care puisse être un processus bien intégré ne devrait pas distraire notre attention de ce qu’il implique le conflit. S’il existe idéalement un lien non problématique entre ‘se soucier de’, ‘se charger de’, ‘accorder des soins’, et ‘recevoir des soins’, il est en réalité vraisemblable que des conflits existent dans chacune de ces phases et entre celles-ci [36].

28Au sujet des infirmières par exemple, J. Tronto évoque les multiples conflits dans lesquelles elles peuvent se trouver. Leur vision du bon soin peut diverger d’avec celle des patients et ceux-ci « peuvent souhaiter orienter les soins qu’ils reçoivent plutôt que d’en être les simples récepteurs passifs » comme invitent à la penser les personnes en situation de handicap [37]. » Elles peuvent aussi être en désaccord avec les médecins du service, l’administration de l’hôpital. La réalisation d’un « bon soin » peut être difficilement conciliable avec d’autres objectifs qu’elles poursuivent, notamment liés à la bonne marche du service, au soin qu’elles doivent par ailleurs accorder à d’autres personnes, etc.

29Par ailleurs, les situations de soin recèlent, sinon de manière spécifique, du moins peut-être plus souvent que d’autres, des occasions de conflits moraux et des motifs de « compromission », selon la belle expression de P. Molinier, conflits et motifs avec lesquels il faut pourtant vivre et travailler : en bref, faire avec. Ces conflits et motifs surgissent notamment quand la possibilité même de réaliser le soin est mise en cause. On peut emprunter à cette dernière un exemple particulièrement illustratif de ces conflits et motifs à l’enquête réalisée dans la « Villa Plénitude » par P. Molinier. Il s’agit d’un motif de « compromission » formulée et assumée par les aides-soignantes au nom de la nécessité du soin et, au-delà, de la volonté de respecter la personne tout entière, sans la réduire à un « corps-besoin ». Ces aides-soignantes, afin de pouvoir laver « Monsieur Georges » acceptaient qu’il touche une partie érotique de leur corps [38]. P. Molinier indique à quel point le récit de cette relation entre Monsieur Georges et les aides-soignantes a suscité des réactions parfois très critiques, inspirées par une vision binaire du bien et du mal. Pourtant, on ne peut qu’attirer l’attention sur l’importance de ce type d’observations et de leur analyse car elles témoignent de la complexité morale associée au travail du care dans des situations de soin, sans doute en particulier avec des personnes atteintes de démence, comme le suggèrent les analyses de César Meuris du travail des soignants confrontés au refus de soin de patients Alzheimer [39].

30Dans cette partie, nous avons examiné une première ressource offerte par la pensée du care pour contribuer à « humaniser » les situations de soin : celle d’une écoute attentive, d’une aide à trouver les mots pour rendre compte d’une expérience, d’une prise en considération de la parole d’autrui, de sa vision des choses et de ses souhaits éventuels. Cette ressource trouve sa première expression dès l’ouvrage clé de C. Gilligan. On pourrait considérer de prime abord que cette ressource relève d’une forme de bienveillance, qui ne passe pas toujours par la parole, bien connue de l’éthique médicale et longtemps associée au rôle de l’infirmière. La confusion est rendue d’autant plus facile dans la langue anglaise tout au moins puisque c’est le terme de « care » qui est, dans les deux cas, employé. Cependant, c’est entre autres choses pour éviter cette confusion qu’en français, certaines théoriciennes du care ont renoncé à traduire le terme, que ce soit par celui de « soin » ou celui de « sollicitude », alors même que la sollicitude est bien une « dimension importante [40] » du care. En outre, la pensée du care propose d’envisager ce dernier avant tout comme une activité, plus que comme une disposition, ouverte à l’analyse de ses conflits internes, renonçant à une vision binaire du bien et du mal. Ce point est d’une importance particulière dans les situations de soin où l’état de santé dégradé de certaines personnes, notamment sur le plan cognitif, peut conduire les acteurs du soin à adopter des attitudes ou à prendre des décisions moralement conflictuelles. Cependant, les ressources offertes par la pensée du care ne s’épuisent pas, pour les situations de soin, dans cette version renouvelée et critique de l’attention à autrui. Abordons maintenant une second ressource, liée à la revendication de politisation des relations de care.

III. Situations de soin et politisation du care

31La pensée du care s’est développée en faisant de sa politisation un élément central de son agenda théorique. Il s’agit de réfléchir aux conditions de possibilité de l’empowerment des personnes concernées – pourvoyeurs de care et destinataires [41] – et de renoncer d’emblée à une vision enchantée du monde au profit de la reconnaissance que tous les êtres humains sont bénéficiaires du care[42]. Comme telle, la pensée du care est une affirmation de leur interdépendance. Cet enjeu de politisation est délicat car y parvenir implique de passer outre des obstacles liés à l’exercice même du care. En effet, il n’apparaît pas aisé de « mettre des mots sur les contenus expérientiels du care[43] » et celui-ci se doit d’être discret : « l’attention aux besoins d’autrui efface ses propres traces, disparaît comme effort ou comme travail. Ne pas peser, ne pas gêner, ne pas étouffer par sa sollicitude [44]… »

32Cette politisation a emprunté plusieurs chemins. Comme le rappelle Alice Le Goff, le travail de Carol Gilligan « a suscité le développement d’une pluralité d’approches du care dans le domaine de l’éthique, de la théorie féministe, de la psychologie, etc [45]. » Deux voies principales se sont dégagées : d’une part suivant la thèse d’une morale féminine spécifique, d’autre part , en dissociant care et genre « pour faire du care l’objet d’une théorie morale plus générale [46] ». La seconde voie constitue le vecteur privilégié d’une politisation du care.

33Pour éclairer ce mouvement de politisation du care avant d’en tirer les implications qui nous semblent les plus saillantes pour les situations de soin, nous nous appuyons dans un premier temps sur les analyses d’A. Le Goff. Celle-ci commente tout d’abord les travaux de Michael Slote sur l’empathie comme fondement d’une théorie morale compréhensive [47]. M. Slote défend la thèse selon laquelle une forme de réciprocité, un souci désintéressé peuvent se déployer non seulement dans le cadre de relations personnelles, mais aussi entre des personnes qui ne sont pas liées entre elles. Le care peut aussi intégrer une dimension déontologique, qui ne s’oppose pas à la sensibilité : « Certaines contraintes d’ordre déontologique, certaines prohibitions peuvent alors être comprises comme ayant leur source directement dans notre sensibilité [48]. » En outre, cette empathie n’est pas contradictoire avec le respect de l’autonomie d’autrui, la notion d’autonomie étant ici entendue en son sens relationnel.

34A. Le Goff souligne que « si la mise en relief de l’empathie est censée permettre à l’éthique du care de prendre la forme d’une éthique compréhensive, c’est aussi parce qu’elle sert de pivot à l’articulation d’une perspective politique à cette même éthique [49] ». Mais elle n’est pas convaincue par les capacités de cette éthique compréhensive à fonder une politique du care : M. Slote ne semble pas voir les écueils suscités par une approche du care « presque exclusivement sous l’angle de la disposition et de la motivation [50] ». Il en va tout autrement, selon elle, chez J. Tronto, qui les perçoit parfaitement et les évite en mettant l’accent sur la dimension pratique du care.

35J. Tronto propose une conception globale du care et l’envisage comme une activité qui se décline selon quatre volets : celle du caring about, qui implique la reconnaissance d’un besoin et de la nécessité de le satisfaire ; celle du taking care of, qui implique le fait d’assumer la responsabilité de répondre au besoin identifié ; celle du care-giving, qui recouvre la pratique du soin en elle-même ; et enfin celle du care-receiving, qui concerne la réaction de celui qui fait l’objet des pratiques de soin [51]. À travers ces quatre volets, la dimension dynamique du care est manifeste, dans la mesure où, concernant tout le monde, il implique de concilier, dans de multiples relations, le souci des autres avec le souci de soi et de faire face aux tensions ou aux conflits qui peuvent surgir dans l’activité caring.

36On retrouve l’intégration du conflit à la pensée du care évoquée dans la partie précédente, cette fois-ci comme élément de la politisation de celui-ci. Selon J. Tronto, cette conception du care lui confère une dimension critique : il devient le vecteur

37

d’un dévoilement des inégalités sociales, économiques et politiques que Tronto appréhende notamment à travers la notion de « privilège d’irresponsabilité » (privileged irresponsability), laquelle renvoie au privilège octroyé à certaines catégories sociales favorisées qui peuvent, notamment, ignorer les difficultés propres aux pratiques de care qui leur facilitent l’existence au quotidien et qui sont accomplies par des catégories sociales défavorisées.
[ibid., p. 120] [52]

38Si l’œuvre de J. Tronto ouvre des pistes décisives pour la politisation du care, celle-ci se poursuit selon d’autres orientations et a particulièrement retenu l’attention de philosophes politiques français [53].

39Sans préjuger des avantages théoriques et normatifs respectifs de telle ou telle forme de politisation du care, il nous semble que la perspective développée par J. Tronto permet déjà d’identifier les implications d’une telle politisation pour les situations de soin confrontées à la critique d’un défaut d’« humanité ». Aussi ne développerai-je pas plus avant ce point sur les cheminements de la politisation du care pour me concentrer maintenant sur ces implications. Tout d’abord, la dénonciation du « privilège d’irresponsabilités » et la mise en évidence de toutes les relations de care et d’interdépendance qui tissent le monde s’avère très éclairante pour considérer l’articulation entre le care privé et le care mis en œuvre par les politiques de santé en France et dans un certain nombre d’autres sociétés occidentales. Comme le souligne le philosophe Ruud ter Meulen, ces politiques, qu’elles soient fondées sur la référence à la justice ou à la solidarité, tendent aujourd’hui à déléguer aux familles un certain nombre de tâches auparavant assumées par l’État ou qui pourraient être assumées par des institutions publiques [54]. Le care des personnes en situation de handicap, des malades chroniques, des personnes âgées en perte d’autonomie, voire dépendantes, tend aujourd’hui, dans les sociétés occidentales, à relever de l’engagement de leurs proches. Lui-même prend l’exemple des mesures de transfert des politiques de solidarité, en particulier à l’égard des personnes âgées et en perte d’autonomie, en direction de l’espace domestique et des proches [55]. Tout comme les théoriciennes du care, Ruud ter Meulen ne considère pas que cette privatisation du care va de soi. Elle relève plutôt d’un choix politique qui, selon lui, quoiqu’on en pense sur le fond, est viable si et seulement si des politiques publiques fortes étayent ce care privé, par des mesures financières ou organisationnelles non seulement destinées aux receveurs du care mais aussi à celles et ceux qui le prodiguent : le care informel, familial a besoin d’une vision politique du care et d’un soutien effectif par des politiques publiques [56].

40Il est intéressant de remarquer que cette préconisation a été formulée dans différents contextes sociaux. La philosophe Hilde Lindemann l’énonce également pour l’Amérique des années 2000 où Medicare couvre seulement une partie des soins, quand ce n’est pas de manière intermittente et où les assurances privées offrent une couverture limitée de la prise en charge de la dépendance. En évoquant le tissu d’aides familiales, quand il existe, qui s’élabore pour aider une grand-mère autrefois pivot familial, elle souligne les difficultés de tous ordres rencontrées par les familles : organisationnelles, financières, affectives, reliées à la fatigue des aidants, etc [57]. Elle considère que cette grand-mère en état de démence, au rôle affectif encore fort malgré cet état, et son entourage, doivent être accompagnés par des politiques sociales qui permettent autant que faire se peut le maintien de la personne dépendante chez elle et un soutien adéquat des aidants [58].

41En suivant les analyses de Ruud ter Meulen et de Hilde Lindemann, on peut avancer l’idée d’un nécessaire maillage du care, qui renvoie in fine à un choix politique et exige, comme le montrent Aurélie Damamme et Patricia Paperman à l’occasion d’une enquête sur les évolutions du care domestique, un travail considérable de coordination entre les différents acteurs mobilisés dans une situation de soin [59]. Dans cette enquête, la situation de Christine, qui aide son frère paralysé au quotidien, éclaire la nécessité de ce travail de coordination rendu nécessaire par la pluralité des acteurs. Ce travail incombe à l’aidant familial lorsque le care domestique devient l’acteur principal d’une construction politique de prise en charge de la dépendance. Christine interagit ainsi avec différentes sources d’aide : des médecins et des soignants de diverses spécialités, « l’Association des paralysés de France (APF) qui intervient pour faciliter l’acquisition d’équipement adapté aux paralysés (un dispositif permettant à son frère de continuer à utiliser l’ordinateur avec d’autres interfaces que le seul clavier, cherchant à pallier les ruptures de communication induites par la maladie) » et « des collectivités territoriales (certains conseils généraux fournissant des aides complémentaires substantielles à la prise en charge) [60] ». Outre la mise en évidence de ce travail de coordination, une autre raison d’avancer cette idée d’un maillage du care tient à la perte de chances induite par une vision fragmentée et dépolitisée du care pour les personnes malades et/ou en perte d’autonomie : considérer les activivités et les gestes de soin isolément les uns des autres contribue à gommer des options de prise en charge pertinentes dans certains situations de soin, telles que des allers et retours entre domicile et hôpital, domicile et EHPAD, car perçues comme impossibles ou trop compliquées à organiser si la coordination n’a pas été mise en place entre les différents acteurs concernés – famille, équipe médicale, service d’assistance sociale, mairie ou conseil régional, etc.

42Une vision politique du care a par ailleurs des conséquences pour l’organisation du travail dans les institutions médicales ou médicalisées. On voudrait ici signaler rapidement deux d’entre elles. D’une part, elle invite à valoriser la temporalité propre des situations de soin. Comme le souligne P. Paperman, le care se déploie dans une temporalité non compressible : « quotidienneté, répétition, constance, continuité qui assurent la bonne marche des affaires pour les autres, proches et distants. Les temps du care ne peuvent être contrôlés et compressés de la même façon que d’autres temps de travail [61] ». Les réflexions sur le temps du travail dans les institutions de soin déplorent le drastique manque de temps, son fractionnement en de multiples micro-tâches qui font perdre aux pourvoyeurs de care le sens global de leurs activités. Elles suggèrent que cette temporalité du care n’a pas été (encore) ou n’est plus prise en compte dans l’organisation institutionnelle du travail du soin [62]. D’autre part, si une vision politique du care, ouverte au fait d’affronter des conflits surgissant dans l’activité caring elle-même, doit avoir une réalité, cela a aussi des implications en termes d’organisation du travail. P. Molinier avance à ce sujet l’idée selon laquelle il convient de mettre en place conjointement une culture du care et une culture du conflit :

43

Ce que j’ai appris à la Villa Plénitude, dans ce dispositif de recherche-action qui avait pour but de comprendre quels sont les éléments organisationnels nécessaires à réunir pour favoriser le développement d’une culture de care, c’est qu’il faut peut-être avant tout cultiver une culture du conflit ou de la controverse dans laquelle chaque voix compte [63].

44Il me semble qu’on peut voir dans la mise en place d’un Centre d’éthique clinique à l’hôpital Cochin en 2004, par le Ministère de la santé français, un exemple d’action politique témoignant d’une conscience forte de cette articulation entre culture du care et culture du conflit. Même si cette création n’a pas été justifiée en ces termes, elle en est proche dans la mesure où cette création s’est faite dans le sillage du vote de la loi sur les droits des malades de 2002. En effet, la pratique de l’éthique clinique consiste à cultiver une forme de « conversation éthique » qui permet d’identifier et de traiter, par l’analyse et l’argumentation, les conflits éthiques relatifs à des décisions médicales : elle conduit donc l’institution à inscrire dans ses modes de fonctionnement un temps dédié à cette activité, à reconnaître et à entendre ce conflit [64].

45La ressource de la pensée du care explorée dans la présente partie est liée à sa vision politique. Celle-ci permet de considérer l’articulation entre care privé et care public, care familial et informel et care professionnel et salarié, d’affirmer leur nécessaire maillage et de souligner que celui-ci relève pleinement d’un choix de société. Par ailleurs, la politisation du care conduit aussi à insister sur les implications du care en termes d’organisation du travail, en particulier sous l’angle de sa temporalité et de la conflictualité qui peut émerger dans l’attention à autrui. Il s’agit de trouver des formes d’activité et de collaboration qui permettent de respecter cette temporalité et d’actualiser et traiter cette conflictualité.

Conclusion

46Envisagées à travers les ressources offertes par la pensée du care, les situations de soin s’inscrivent tout à fait dans l’ensemble des activités déployées en soutien à la vie qui, selon Berenice Fischer et J. Tronto, constituent le cœur même de la définition du care :

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Plutôt que de soumettre à discussion les multiples utilisations du terme de care (« sollicitude/soin »), je proposerai cette définition élaborée par Berenice Fischer et moi-même : “Au niveau le plus général, nous suggérons que le care soit considéré comme une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre ‘monde’, en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie [65].”

48Ces situations s’y inscrivent même à double titre, sans que cela ne leur confère un privilège particulier par rapport à d’autres formes de care : comme soin orientée vers la guérison ou la vie avec la maladie, et comme activité caring, enchâssée dans un réseau dense de pratiques de care, « maillées » avec elles, toutes destinées à soutenir la vie. On remarquera sur ce point la proximité d’A. Mol avec cette définition du care, lorsqu’elle conclut sa réflexion sur la logique du soin en soulignant sa valeur morale et l’inscription du « care » dans un monde où les êtres humains sont « absorbés » et auquel ils « participent », « avec leur corps et tout le reste, jusqu’à l’heure de leur mort [66] ». Dans cette perspective, la pensée du care propose, pour les soins prodigués aux personnes malades et/ou en perte d’autonomie, une orientation décisive, (ré-)humanisante, mais en un sens distinct de celui porté par la dénonciation courante d’un défaut d’humanité dans les pratiques de soin : cette orientation est associée à la considération de la condition humaine, de ses dimensions de dépendance et de vulnérabilité, et de l’ensemble des activités caring qu’elles rendent nécessaires.

49L’analyse présentée ici suggère par ailleurs que l’examen des situations de soin prodigué aux personnes malades et/ou en perte d’autonomie peut, sans qu’il soit besoin de leur conférer un statut privilégié dans la pensée du care, contribuer de manière spécifique à celle-ci. L’exploration de ces situations permet d’étudier les variations de rythme et d’intensité du care : toutes les activités caring constituent des soutiens à la vie, mais la vie humaine n’est pas linéaire, elle connaît des accidents et lorsque les gestes du soin interviennent, c’est parfois pour la soutenir dans des moments critiques ou de façon continûment indispensable. Cette exploration permet également d’observer les stratégies du care, parfois compromettantes, en tout cas à la frontière de l’admis et du légitime, pour prendre soin de personnes dont les facultés cognitives sont altérées, ou qui veulent à la fois pouvoir énoncer leur point de vue et s’en remettre à autrui, à ceux qui manifestent un refus de soin, à ceux qui ne peuvent plus communiquer.

50La dimension politique de la pensée du care constitue un élément tout à fait essentiel ici, parce qu’il convient de trouver les moyens économiques, institutionnels et légaux d’une politique caring. Sur ce point, un prolongement possible de la présente réflexion consisterait en l’examen, à l’aune de la pensée du care, des politiques publiques fondées sur l’idée et le financement de l’accompagnement des personnes malades et/ou en perte d’autonomie [67].


Mots-clés éditeurs : care, politisation, perte d’autonomie, condition humaine, maladie

Mise en ligne 29/10/2020

https://doi.org/10.3917/aphi.834.0041

Notes

  • [1]
    Barbara CASSIN dir., Vocabulaire européen des philosophies, art. « Humanité », Paris, Le Seuil/Le Robert, 2004, p. 580.
  • [2]
    Voir Marie GAILLE, « L’expérience du déni de reconnaissance dans la relation médecin/patient : nouvel exemple ou motif d’élargissement pour la théorie de la reconnaissance ? », Le temps philosophique, 13, La reconnaissance : perspectives critiques, Marie Garrau et Alice Le Goff dir., Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2009, p. 89-113 ; co-écrit avec Nicolas FOUREUR, « Médecine “inhumaine” ou violence irréductible de la situation de soin ? Enjeux conceptuels et interprétatifs d’un lieu commun sur la relation médecin-patient », in Lazare Benaroyo, Céline Lefève, Jean-Christophe Mino et Frédéric Worms dir., La philosophie du soin – éthique, médecine et société, Paris, PUF, 2010, p. 189-204.
  • [3]
    Marie Gaille et Nicolas Foureur, « Médecine “inhumaine” ou violence irréductible de la situation de soin ? Enjeux conceptuels et interprétatifs d’un lieu commun sur la relation médecin-patient », in Lazare Benaroyo, Céline Lefève, Jean-Christophe Mino et Frédéric Worms dir., La philosophie du soin – éthique, médecine et société, op. cit., p. 189-204.
  • [4]
    Ibid.
  • [5]
    Il convient d’inclure dans la réflexion les maisons de retraite et aujourd’hui les EHPAD. En effet, ils ont également fait et font encore l’objet de nombreuses critiques relatifs au degré d’« humanité » avec lequel leurs personnels s’occupaient des résidents, et ce malgré l’évolution du regard à l’égard des personnes séniles ou atteintes par la maladie d’Alzheimer : « Dans les institutions gériatriques, les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, en dépit des limitations que leur impose leur pathologie, ne “tombent” plus dans la classe des non-personnes. (…) Aussi, ce qui fait problème en gériatrie n’est-il pas la reconnaissance de l’altérité ni de l’identité, mais la construction d’un sens de l’humanité commune. » (Pascale MOLINIER, Le travail du care, Paris, La Dispute, 2013, p. 108 et 113).
  • [6]
    Dans cette contribution, je parlerai de pensée du care en désignant spécifiquement ce courant philosophique, par différence avec les moments où j’emploierai « care » entre guillemets et italiques, pour renvoyer au terme anglais usuellement traduit par soin en français.
  • [7]
    Lazare BENAROYO, Céline LEFÈVE, Jean-Christophe MINO et Frédéric WORMS dir, La philosophie du soin – éthique, médecine et société, Première partie, Éthique, p. 11-103.
  • [8]
    Catherine LE GALÈS, Martine BUNGENER et le groupe Capabilités, Alzheimer : préserver ce qui importe – les « capabilités » dans l’accompagnement à domicile, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015.
  • [9]
    Fabienne BRUGÈRE, « L’éthique du care : entre sollicitude et soin, dispositions et pratiques », in La philosophie du soin – éthique, médecine et société, op. cit., p. 69-86. C’est la sémantique du « soin » qui est retenue pour la traduction en français de l’ouvrage d’Annemarie MOL, Ce que soigner veut dire. Repenser le libre choix du patient, Paris, Presses des Mines, 2009. L’édition utilisée ici est l’édition mise en ligne en 2013, sous le titre Ce que soigner veut dire. Les patients, la vie quotidienne et les limites du choix, Presses des Mines, OpenEdition (https://www.openedition.org/6540). Cette édition étant sans pagination, nous indiquerons le chapitre où se trouve le propos cité ou la réflexion évoquée.
  • [10]
    Je ne m’appuierais pas ici sur la réflexion exposée par Joan C. TRONTO dans son ouvrage le plus récent sur le care : Caring Democracy. Markets, Equality and Justice, New-York et Londres, New-York University Press, 2013. J’en explore la portée en contexte médical ou médicalisé dans une recherche en cours sur l’éducation thérapeutique.
  • [11]
    Annemarie MOL, Ce que soigner veut dire. Les patients, la vie quotidienne et les limites du choix, op. cit., chap. 6.
  • [12]
    Ibid., chap. 2.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    Ibid., chap. 4.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Ibid., chap. 6.
  • [18]
    Sandra LAUGIER, « Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire », in Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2009, p. 161.
  • [19]
    Ibid. p. 163.
  • [20]
    Ibid., p. 161.
  • [21]
    21. Joan TRONTO, Un monde vulnérable. Pour une politique du care (1993), trad. H. Maury, Paris, La Découverte, 2009, p. 147.
  • [22]
    Anne M. LOVELL, Stefania PANDOLFO, Veena DAS, Sandra LAUGIER dir., Face aux désastres – une conversation à quatre voix sur la folie, le care et les grandes détresses collectives, Paris, Ithaque, 2013.
  • [23]
    Anne GONON, « Quelles vies pour les corps irradiés ? Désorientation et résistance après l’accident nucléaire de Fukushima », Raison publique, 2015 ; et « L’espace de la catastrophe. Naissance de sujets et nouvelles formes de vie », in Estelle Ferrarese et Sandra Laugier dir., Formes de vie, Paris, CNRS éditions, 2018, p. 325-337.
  • [24]
    Pascale MOLINIER, Sandra LAUGIER, Patricia PAPERMAN, Introduction, in Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, op. cit., p. 10.
  • [25]
    Carol GILLIGAN, Une voix différente – Pour une éthique du care, trad. A. Kwiatek revue par V. Nurock, Paris, Champ essais, 2008 [1982]. Voir sur ce point Sandra LAUGIER, « Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire », in Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, op. cit., p. 176 sq.
  • [26]
    Voir en particulier les contributions de Catherine DRAPERI, « Narration et accompagnement : accéder au monde de l’autre » (p. 37-55) et de Céline LEFÈVE, « La relation de soin doit-elle être une relation d’amitié ? » (p. 107-126) dans Lazare Benaroyo, Céline Lefève, Jean-Christophe Mino et Frédéric Worms dir., La philosophie du soin – éthique, médecine et société, op. cit.
  • [27]
    Jacqueline LAGRÉE a insisté sur cette prise en compte de la temporalité du patient in Le médecin, le malade et le philosophe, Paris, Bayard, 2002, p. 86.
  • [28]
    Au sujet de ces écueils, voir Marie GAILLE, « La vertu thérapeutique du récit de vie : illusion humaniste ou réalité d’un soin bien compris ? Enjeux d’une “éthique du dialogue” en médecine contemporaine », Perspective soignante, 2013, 46, p. 42-57.
  • [29]
    Voir la présentation et la discussion de ce type de “care” et des rôles professionnels qui lui sont associés par Tom L. BEAUCHAMP et James F. CHILDRESS, Les principes de l’éthique biomédicale, trad. M. Fisbach, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 53 sq.
  • [30]
    Voir sur ce point les analyses de Joan TRONTO, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, op. cit., p. 153 sq. ; Fabienne BRUGÈRE, « L’éthique du care : entre sollicitude et soin, dispositions et pratiques », art. cit., p. 84 sq.
  • [31]
  • [32]
    Ibid.
  • [33]
    Patricia PAPERMAN, « Pour un monde sans pitié », Revue du MAUSS, 2008/2, 32, p. 167-183.
  • [34]
    Pascale MOLINIER, Sandra LAUGIER, Patricia PAPERMAN, Introduction, in Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman dir., Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, op. cit., p. 11.
  • [35]
    Pascale MOLINIER, Le travail du care, op. cit., p. 112.
  • [36]
    Joan TRONTO, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, op. cit., p. 151.
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    Pascale MOLINIER, Le travail du care, op. cit., p. 242-243.
  • [39]
    César MEURIS, Faire et défaire la capacité d’autonomie – Enquête sur la prise en charge des patients atteints de la maladie d’Alzheimer hospitalisés en service gériatrique de soins aigus, thèse de doctorat en philosophie de l’Université Libre de Bruxelles et l’Université Sorbonne Paris Cité, préparée à l’Université Paris 7- Paris Diderot, soutenue le 20 septembre 2017.
  • [40]
    Sandra LAUGIER, « Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire », art. cit., p. 160-161.
  • [41]
    Ibid., p. 199.
  • [42]
    Pascale MOLINIER, Sandra LAUGIER, Patricia PAPERMAN, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, op. cit., « Introduction », p. 19.
  • [43]
    Ibid., p. 20.
  • [44]
    Ibid., p. 18.
  • [45]
    Alice LE GOFF, « Care, empathie et justice – Un essai de problématisation », Revue du MAUSS, 32, 2008, dossier « L’amour des autres – care, compassion et humanitarisme », p. 131.
  • [46]
    Ibid.
  • [47]
    Michael SLOTE, The Ethics of Care and Empathy, Londres-New-York, Routledge, 2008.
  • [48]
    Alice LE GOFF, « Care, empathie et justice – Un essai de problématisation », art. cit., p. 137.
  • [49]
    Alice LE GOFF, version intégrale de l’article « Care, empathie et justice – Un essai de problématisation », Revue du MAUSS, 2008/2, 32, p. 203-241, https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2008-2-page-203.htm (consulté le 24 août 2019, p. 23).
  • [50]
    Ibid.
  • [51]
    Joan TRONTO, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, op. cit., p. 151.
  • [52]
    Alice LE GOFF, version intégrale de l’article « Care, empathie et justice – Un essai de problématisation », Revue du MAUSS, 2008/2, 32, p. 203-241.
  • [53]
    Alice LE GOFF et Marie GARRAU, Care, justice et dépendance : introduction aux théories du care, Paris, PUF, 2010 ; Alice LE GOFF et Marie GARRAU, Politiser le care ? Perspectives sociologiques et philosophiques, Lormont, le Bord de l’eau, 2012 ; Alice LE GOFF, Care et démocratie radicale, Paris, PUF, 2013, Fabienne BRUGÈRE, Le sexe de la sollicitude, Paris, Le Seuil, 2008 ; Fabienne BRUGÈRE, « L’éthique du care : entre sollicitude et soin, dispositions et pratiques », art. cit., p. 69-86.
  • [54]
    Ruud TER MEULEN, Solidarity and Justice in Health and Social Care, Cambridge, Cambridge University Press, 2017.
  • [55]
    Ibid., chapitre 4.
  • [56]
    Ibid., chapitre 5.
  • [57]
    Hilde LINDEMANN, « Holding One Another (Well, Wrongly, Clumsily) in a Time of Dementia », in Eva Feder Kittay and Licia Carlson éd., Cognitive Disability and Its Challenge to Moral Philosophy, Malden, Wiley-Blackwell, 2010 p. 161-169.
  • [58]
    Ibid., p. 168.
  • [59]
    Aurélie DAMAMME et Patricia PAPERMAN, « Care domestique : délimitations et transformations », in Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman dir., Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, op. cit., p. 133-155.
  • [60]
    Ibid., p. 150.
  • [61]
    Patricia PAPERMAN, « Pour un monde sans pitié », Revue du MAUSS, 32, 2008, dossier « L’amour des autres – care, compassion et humanitarisme », p. 182.
  • [62]
    Nous ne développerons pas ici ce point plus avant, mais il faut noter à ce sujet que la vision du travail du care comme non marchandisable, non estimable, défendue par P. Paperman (« Pour un monde sans pitié », art. cit., p. 182) et P. Molinier (Le travail du care, op. cit., p. 11) rend compliquée cette prise en compte et mériterait à cet égard d’être interrogée. Il me paraît difficile de promouvoir la reconnaissance d’une telle temporalité du care et d’affirmer dans le même temps l’impossibilité de la mesurer pour élaborer des propositions concrètes en termes d’organisation du travail des équipes dans les institutions de soin.
  • [63]
    Pascale MOLINIER, Le travail du care, op. cit., p. 112.
  • [64]
    Je me permets sur ce sujet de renvoyer à l’analyse que j’en ai proposé dans « Le retour à la vie ordinaire : un enjeu épistémologique de la réflexion philosophie morale – ce que nous apprend l’enquête éthique en contexte médical », Raison publique, dossier coordonné par M. Gaille et S. Laugier, « Le retour à la vie ordinaire », 18, 2014, p. 93-107.
  • [65]
    Joan TRONTO, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, op. cit., p. 143.
  • [66]
    Annemarie MOL, Ce que soigner veut dire. Repenser le libre choix du patient, op. cit., chap. 6.
  • [67]
    Je veux adresser tous mes remerciements à Sandra Laugier pour m’avoir invitée, et le faire encore, à découvrir la pensée du care.
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