Couverture de APHI_831

Article de revue

La transcendantalité du langage

Pages 39 à 48

Notes

  • [1]
    Johann Gottlieb FICHTE, « Von der Sprachfähigkeit und dem Ursprung der Sprache », in Philosophisches Journal einer Gesellschaft Teutscher Gelehrten, Friedrich Immanuel Niethammer éd., vol. I, Neu Strelitz, 1795, cahier 3, p. 255-273 ; cahier 4, p. 283-326 (Johann Gottlieb FICHTE, Gesamtausgabe der Bayerischen Akademie der Wissenschaften [= GA], éd. R. Lauth, H. Jacob et alii, I/3, p. 93-127).
  • [2]
    « Ueber den Ursprung der Sprache », in Johann Gottlieb FICHTE, Vorlesungen über Logik und Metaphysik als populäre Einleitung in die gesammte Philosophie. Nach Platners philosophisch[en]. Aphorismen I Theil 1793. Im Sommerhj. 1797. Jena (GA IV/1, p. 292-327).
  • [3]
    Cf. Ernst Platners Philosophische Aphorismen neben einigen Anleitungen zur philosophischen Geschichte. Toute nouvelle éd., Partie 1, Leipzig, Schwickertscher Verlag, 1793. Cette édition a été republiée dans un volume supplément de la GA : II/4 S. Les Aphorismes de Platner contiennent un chapitre Sur la faculté linguistique, § 437-504 (GA II/4 S, p. 113-119). Nous disposons aujourd’hui également d’un groupe de manuscrits fichtéens (Sur l’origine du langage en général) qui se réfèrent au chapitre susmentionné de Platner Sur la faculté linguistique et qui remontent à 1796, cf. GA II/4, p. 158-181. Platner fut un philosophe éclectique, influencé par le rationalisme leibnizien et par le scepticisme humien. Sur Fichte et Platner cf. Daniel BREAZEALE, Thinking Through the Wissenschaftslehre. Themes from Fichte’s early Philosophy, Oxford, Oxford University Press, 2013.
  • [4]
    Dans Sur l’origine du langage, dans le cadre des leçons de Logique et métaphysique, Fichte fait allusion au concours consacré par l’Académie des sciences de Berlin à la question de l’origine du langage, dont le prix avait été décerné en 1771 à la Abhandlung über den Ursprung der Sprache de Herder. Ce dernier y soutenait l’origine humaine du langage et mettait en exergue une relation constitutive entre l’acte de la réflexion et l’acte linguistique. Il se démarquait de Johann Peter Süßmilch qui, dans Versuch eines Beweises, daß die erste Sprache ihren Ursprung nicht vom Menschen, sondern allein vom Schöpfer erhalten habe (1766), avait affirmé l’origine divine du langage et avait voulu en produire une preuve non « historique ou biblique » mais dérivée de la « constitution interne » du langage. Dans la recension de l’ouvrage de Herder datant de 1772 ainsi que dans d’autres écrits, Hamann avait lui aussi soutenu l’origine divine du langage (cf. Johann Georg HAMANN, Schriften zur Sprache, Josef Simon éd., Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1967). Dietrich Tiedemann soutenait en revanche dans Versuch einer Erklärung des Ursprungs der Sprache (Riga, Hartknoch, 1772) l’invention humaine du langage. Pour une orientation historico-théorique, voir Eugenio COSERIU, Storia della filosofia del linguaggio, Donatella Di Cesare éd., Roma, Carocci, 2010, p. 377 sq.
  • [5]
    Je ne prendrai toutefois pas ici en considération les travaux que Fichte a consacrés ultérieurement au langage, au cours de sa période berlinoise : je renvoie au second des Dialogues patriotiques de 1807 et aux quatrième et cinquième des Discours à la nation allemande (1808).
  • [6]
    Sur le thème du langage chez Fichte cf. Antonio CORSANO, « Il Fichte e l’origine della lingua », Giornale critico della filosofia italiana, XXI, 1967, p. 409-421 ; Anna Maria SCHURR-LORUSSO, « Il pensiero linguistico di Fichte », Lingua e stile, V, 1970, p. 253-270 ; Manfred ZAHN, « Fichtes Sprachproblem und die Darstellung der Wissenschaftslehre », in Klaus Hammacher éd., Der Transzendentale Gedanke. Die gegenwärtige Darstellung der Philosophie Fichtes, Hamburg, Meiner, 1981, p. 155-170 ; Marco IVALDO, « La riflessione sul linguaggio in Fichte », in Coll., Linguaggio : scienza-filosofia-teologia, Padova, Gregoriana, 1991, p. 83-95 ; Wolfgang JANKE, Vom Bilde des Absoluten. Grundzüge der Phänomenologe Fichtes, Berlin/New York, De Gruyter, 1993 (en particulier le chap. 5 dans la seconde partie) ; Jere Paul SURBER, « The Historical and Systematic Place of Fichte’s Reflections on Language », in Daniel Breazeale, Tom Rockmore éd., Fichte : Historical Contexts/Contemporary Controversies, New Jersey, Humanities Press, 1994, p. 113-127 ; Jere Paul SURBER, Language and German Idealism : Fichte’s Linguistic Philosophy, Atlantic Highlands, NJ, Humanities Press, 1995 ; Dominik SCHMIDIG, « Sprachliche Vermittlung philosophischer Einsichten nach Fichtes Frühphilosophie », Fichte-Studien, 10, 1997, p. 1-15 ; Thomas Sören HOFFMANN, « Die Grundlage der gesammten Wissenschaftslehre und das Problem der Sprache bei Fichte », Fichte-Studien, 10, 1997, p. 17-33 ; Jere Paul SURBER, « Fichtes Sprachphilosophie und der Begriff einer Wissenschaftslehre », Fichte-Studien, 10, 1997, p. 35-58 ; Kaoru HOSHIBA, « Das Problem der Sprache bei Fichte », Fichte-Studien, 32, 2009, p. 57-65 ; Martin SIEGEL, « Die Einforderung eines lebendigen Sprachvollzugs als Kennzeichnen der späten Wissenschaftslehren Fichtes », Fichte-Studien, 32, 2009, p. 67-78.
  • [7]
    Cf. sur ce point Eugenio COSERIU, « L’arbitraire du signe. Zur Spätgeschichte eines aristotelischen Begriffes », Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Literaturen, CCIV, 1968, p. 81-112.
  • [8]
    L’ouvrage standard sur cette question est : Luigi PAREYSON, Fichte (1950), éd. revue et corrigée : Fichte. Il sistema della libertà, Milano, Mursia, 1976. Cf. également Alexis PHILONENKO, La liberté humaine dans la philosophie de Fichte, Paris, Vrin, 1980 (2e éd.).
  • [9]
    Cf. par exemple la note figurant dans le Philosophisches Journal : « Je ne démontre pas ici que l’homme ne pourrait penser sans langage et que sans lui il ne pourrait avoir de concepts universels abstraits. Il le peut sans doute grâce aux images qu’il se forme par l’imagination » (GA I/3, 103).

1Cette étude prendra en considération les deux textes que Fichte a consacrés au langage et qui appartiennent aux années de son enseignement à Iéna. Il s’agit, on le sait, de la dissertation De la faculté linguistique et de l’origine du langage publiée dans le Philosophisches Journal en 1795  [1], et de la leçon Sur l’origine du langage, prononcée en 1797 dans le cadre d’un cycle de leçons présentées sous le titre de Logique et métaphysique  [2], dans lequel Fichte proposait un commentaire des Aphorismes philosophiques d’Ernst Platner  [3]. Dans ces deux textes, selon des modalités de développement en partie diverses, Fichte me semble poursuivre un but semblable : engager une conception trascendantale du langage qui puisse constituer une contribution innovante à l’horizon du débat de l’époque sur le langage. La question, alors vivement débattue, de l’« origine du langage  [4] » est abordée par Fichte par le biais d’une déduction transcendantale des actes constitutifs de la conscience du monde et de leur dimension linguistique. En d’autres termes, Fichte développe dans ces textes les répercussions « linguistiques » – c’est-à-dire relatives au phénomène de la langue – de la position transcendantale de Kant et de sa propre doctrine transcendantale (le Concept de la Doctrine de la science date de 1794, l’Assise fondamentale de la Doctrine de la Science de 1794/1795). Il en résulte l’élaboration d’une philosophie (transcendantale) qui s’interroge sur le « fait » linguistique et vise à mettre en lumière la fonction constitutive des actes linguistiques pour la formation de la conscience du monde – entreprise que Kant lui-même n’avait pas explicitement menée  [5].

2C’est pourquoi, à l’égard des débats sur l’origine du langage, Fichte ne prend pas parti pour l’une des options fondamentales en conflit qui en admettent la genèse divine ou humaine. Il déplace la perspective à partir de laquelle il convient de formuler la question de la genèse et se propose d’élaborer une « histoire a priori du langage » (GA I/3,99). Autrement dit, il développe une « genèse transcendantale » du langage sur la base de l’idée que le langage est condition de l’humain et que genèse de la conscience humaine et genèse du langage sont intimement liées  [6].

1. La genèse transcendantale

3Ce cadre transcendantal de la recherche est présenté en toute clarté au début de l’essai publié dans le Philosophisches Journal. « Dans une recherche sur l’origine du langage », explique Fichte, « on n’a pas le droit de recourir à des hypothèses, à la position arbitraire de circonstances particulières dans lesquelles une langue pouvait (konnte) éventuellement naître ». En empruntant cette voie – factuelle ou hypothétique, empirique ou « métaphysique » –, on ne parvient pas à des conaissances sûres. Il est assez vraisemblable que Fichte veuille par là marquer une distance critique à l’égard des idées prévalant à son époque. Il faut au contraire déduire la nécessité de l’invention du langage « à partir de la nature de la raison humaine » (aus der Natur der menschlichen Vernunft) : il s’agit donc de « montrer que et comment le langage devait nécessairement (musste) être inventé » (GA I/3, 97). L’expression employée plus haut, « genèse transcendantale » du langage, se trouve très clairement explicitée dès les premières formulations de l’essai : la genèse transcendantale du langage est la déduction du langage lui-même à partir de la nature de la raison humaine, et par « nature de la raison », on entend non pas une essence statique, « chosale », mais la forme dynamique d’auto-actuation de la raison elle-même, que Fichte présentait dans les leçons contemporaines sur la Doctrine de la Science. Il s’agit de découvrir dans cette auto-actuation de la raison la condition ou l’acte qui doit nécessairement faire advenir le langage. Cela exige une « expérimentation de la pensée » à laquelle Fichte invite les lecteurs qui partagent son effort de pensée, selon une approche dialogique propre à son style philosophique et ayant la valeur d’une invitation à la réflexion, ou d’un postulat. Il convient de se placer au point de vue d’hommes qui, n’ayant pas encore de langage et ne connaissant pas les modalités de sa formation, devaient l’inventer et en découvrir les règles par eux-mêmes. Celui qui recherche l’origine du langage doit donc effectuer une suspension et une ré-invention : faire comme si le langage n’avait pas été inventé, et imaginer qu’il doive être inventé pour la première fois. Cela revient à dire que nous-mêmes, au présent, sommes la scène de la naissance du langage ! L’essai dans le Philosophisches Journal peut en définitive être considéré comme la preuve par l’acte de la façon dont s’est déroulée cette expérimentation de la pensée.

4Rappelons encore une fois que cette approche transcendantale différencie la position de Fichte de celles d’autres doctrines dans le cadre du débat sur l’origine du langage prenant place dans ces années. Elle permet toutefois dans le même temps de discerner le principe de vérité que recèlent ces doctrines, nonobstant leurs limites « métaphysiques » ou empiristes. Ce point apparaît clairement dès les premières lignes de la leçon académique de Logique et métaphysique dédiée à l’origine du langage. Fichte récapitule les trois opinions principales sur le sujet : le langage est inné, le langage est un miracle produit par un esprit supérieur (ou le langage est donné), le langage est une invention humaine. Or, Fichte soutient que chacune de ces trois opinions a « à moitié raison, à moitié tort » (GA II/4, 292). Ce que ces doctrines contiennent de vrai, c’est la reconnaissance : (a) que le langage est « inné » dans la mesure où il est déductible de l’essence de l’homme ; (b) que le langage exige, pour advenir, un saut de la raison au-delà de la naturalité, que l’on peut nommer « miracle » et que les récits de la tradition attribuent à un « être rationnel » qui exhorte librement l’humain à la liberté ; enfin (c) que le langage est une invention des hommes qui correspond à – et qui rend possible – l’exigence socialisante et communicative qui caractérise structurellement l’être humain. Ces mêmes doctrines tombent dans l’erreur dès qu’elles veulent faire passer leurs assertions de base pour des affirmations de type « métaphysique » ou empiriste, c’est-à-dire non-transcendantal. Leurs affirmations ne trouvent leur pleine légitimité qu’à partir du point de vue transcendantal, à savoir dans la mesure où elles se posent comme des affirmation relatives à l’être de la conscience, qui est toujours conscience du monde, a une constitution linguistique, est le résultat d’une exhortation à la liberté provenant d’un autre être libre, et est connoté du point de vue pratique par une demande de reconnaissance et de communication.

2. Langage, signe, pensée

5L’essai de 1795 part d’une définition du langage dont la philosophie (transcendantale) doit mettre en évidence l’effectivité (Wirklichkeit), c’est-à-dire la capacité à déterminer l’expérience : « Le langage, au sens le plus large du terme, est l’expression de nos pensées au moyen de signes arbitraires (willkürliche Zeichen) » (GA I/3, 97). Deux aspects sont décisifs : la référence aux pensées, la médiation du signe. Si je dis : j’ai faim, je veux faire savoir quelque chose, par exemple je veux expliquer mon agir (manger). Dans la pratique du langage, dans l’acte de parler par exemple, on se propose précisément et uniquement la désignation d’une pensée. C’est cela le but du signe linguistique. En revanche, dans l’agir, l’expression de la pensée est accidentelle ; je ne mange pas pour communiquer que j’ai faim, l’acte de manger a son but relatif en lui-même.

6La désignation linguistique opère selon des signes arbitraires. L’adjectif « arbitraire » renvoie au substantif Willkür, compris comme la capacité à disposer de soi, à poursuivre une intention. Le langage est un complexe dynamique de signes qui sont mis en œuvre ou élaborés pour signifier les pensées de nature les plus diverses. Le caractère arbitraire des signes n’est pas l’indice d’un caprice mais d’une intentionnalité appliquée à signifier des pensées. Le langage est un signe ou un complexe de signes dont la finalité est de communiquer une pensée et des relations de pensées. Il est parfaitement indifférent que le signe présente une ressemblance avec l’objet signifié. Je peux prononcer devant autrui la parole « poisson » (un signe qui n’a aucune ressemblance avec l’objet auquel il renvoie), ou bien je peux lui dessiner un poisson (un signe qui possède certainement une ressemblance avec l’objet). Les deux modes opératoires sont des actes linguistiques, parce qu’ils ont tous deux pour but de produire la représentation d’un objet chez autrui. Ils sont en ce sens willkürlich : portés par l’intention de signifier des représentations. La faculté linguistique est la faculté de désigner arbitrairement nos propres pensées, à savoir d’élaborer des signes destinés à signifier des pensées  [7].

7La définition une fois posée, il s’agit de la déduire, c’est-à-dire de justifier son contenu comme principe de l’expérience du monde. Ici se pose une question principale, qui peut à son tour être subdivisée en deux : comment l’être humain – l’être humain que nous sommes nous-mêmes – est-il parvenu à l’idée de désigner ses propres pensées au moyen de signes arbitraires ? Cette question peut être envisagée sous deux aspects : (a) qu’est-ce qui pousse l’homme à inventer un système de signes signifiants ? (b) sur quelles lois de la nature le fait qu’une telle invention soit advenue ainsi et non autrement se fonde-t-il ?

8La référence faite aux lois de la nature laisse entrevoir la direction prise par Fichte – dans le Philosophisches Journal – pour répondre aux questions soulevées. Il s’agit de prêter attention à la constitution même de l’être humain, c’est-à-dire précisément à la nature humaine. Fichte ne considère toutefois pas la nature humaine selon une approche qui s’exile du fait de conscience, mais il cherche comment l’humain émerge dans la conscience et pour la conscience. Même si le langage est celui de la tradition métaphysique, l’approche est celle de la philosophie transcendantale.

9La compréhension de la destination de l’homme en soi montre qu’agit en l’être humain le « principe suprême » de l’harmonie, dont la formule est « sois toujours en accord avec toi-même » (GA I/3, 100). Le « référé » anthropologique élémentaire, si nous voulons utiliser une expression non fichtéenne, est alors une pulsion dont l’objet est l’harmonie, que les Leçons sur la destination du savant qui avaient précédé de peu indiquaient comme la « fin ultime et suprême de l’homme » (leçon première, GA I/3, 32). Or, cette pulsion s’extériorise nécessairement – elle est précisément la pulsion élémentaire de l’humain – et conduit l’homme à chercher un tel accord hors de lui, à chercher donc hors de lui cette rationalité ou harmonie qu’il saisit en lui-même comme le véritable principe et bien suprême. Le monde, le mien et celui d’autrui, doit concorder avec les concepts pratiques et théoriques que l’homme s’est forgé de lui.

10Toutefois la modalité selon laquelle la pulsion à la rationalité ou à l’harmonie se manifeste est différente selon qu’il s’agit du rapport de l’homme à la nature ou du rapport de l’homme à autrui. Dans le premier cas, la pulsion rationnelle s’exprime comme assujettissement des forces naturelles, pour que celles-ci s’harmonisent ou concordent avec la rationalité humaine, à savoir avec les concepts qui fondent le vrai et le juste. Ce travail d’assujettissement ne peut en revanche être admis pour la relation humaine. Dans le cas du rapport de l’homme à l’homme, il convient de découvrir un autre principe de relation. Si, dans la pulsion qui le pousse à chercher rationalité et harmonie hors de soi, l’homme rencontre quelque chose qui montre qu’il possède déjà cette rationalité, il ne peut que s’abstenir d’élaborer davantage un tel « objet ». Cet objet est en réalité un sujet ! L’homme, déclare Fichte, « se réjouira d’avoir rencontré un être qui concorde avec lui – un homme » (GA I/3,101). Entre êtres humains, la pulsion rationnelle s’exprime comme pulsion qui tend vers la reconnaissance.

11La reconnaissance de la rationalité d’autrui, ou l’attribution de la subjectivité à un objet rencontré, se fonde avant tout sur la reconnaissance de la présence en lui du même type d’agir que j’admets chez moi comme rationnel, c’est-à-dire d’un agir selon des fins (Handeln nach Zwecken). Cependant, la finalité de l’agir n’est pas une propriété suffisante pour attester dans l’objet rencontré la présence de la rationalité. Je peux certes discerner un certain finalisme dans la plante ou l’animal, mais ce finalisme n’est pas du tout un type de finalisme qui me permette de voir en lui l’œuvre de la raison. Le point décisif est la possibilité de modifier les fins. Je peux reconnaître comme rationnel uniquement l’être qui, une fois que je lui ai communiqué mon but, change le sien en fonction de celui-là : il me répond par exemple par la violence si j’ai été violent avec lui, ou par de la bienveillance si je me suis montré bienveillant à son égard. De l’action réciproque (Wechselwirkung) qui s’est instaurée entre nous, je peux en effet déduire qu’il s’est fait une représentation de ma conduite, qu’il l’a mesurée à partir de ses propres fins et qu’en fonction du résultat de cette comparaison, il a librement imprimé une autre direction à ses actions. Ici opère une action réciproque de liberté et de finalité, et c’est proprement à cette réciprocité que nous reconnaissons la présence de la raison, et non à la seule liberté ou à la seule finalité.

3. Pulsion à la communication et langage

12Voyons comment cette esquisse anthropologique se répercute sur le thème du langage. Dans le rapport homme-homme s’instaure, nous l’avons vu, une action réciproque entre les sujets. Or, la pulsion à l’harmonie avec soi-même, qui sollicite – nous l’avons également vu – tout être raisonnable pour qu’il cherche cette harmonie hors de lui, se manifeste à travers l’action réciproque entre les sujets comme désir de communiquer avec l’autre sujet. Il ne s’agit pas d’assujetissement mais de communication : tel est le sens de l’interaction entre sujets. Quand l’homme entre en rapport avec son semblable, sa pulsion rationnelle génère en lui le désir de communiquer à autrui ses pensées et de recevoir d’autrui clairement formulées les siennes. Il en découle l’exigence constitutive, non purement psychologique, d’inventer une forme de communication qui rende possible l’expression des intentions réciproques et qui évite, dans la mesure du possible, tous malentendus et ambiguïtés. Cette forme de communication est le langage : du besoin de communiquer qui exprime la pulsion de la reconnaissance qui agit dans l’individu, naît l’exigence d’inventer certains signes, ou un complexe dynamique de signes, qui permettent de communiquer à autrui nos pensées. Par conséquent, sans langage il n’y a aucune communication ; sans communication il n’y a aucune adéquation réciproque possible des finalités respectives ; sans adéquation des finalités (qui suppose la possibilité de les modifier), il n’y a aucune reconnaissance de l’être rationnel en nous et hors de nous ; sans reconnaissance intersubjective, il n’y a aucune réalisation du « principe suprême » de l’accord de l’homme avec lui-même. En un mot : sans langage, il n’y a aucune actuation de la destination de l’homme.

13Revenant à la question de l’origine du langage, à savoir à la question (transcendantale) de sa nécessité de principe, Fichte répond en définitive que l’idée du langage, c’est-à-dire l’idée de désigner nos pensées au moyen de signes arbitraires, est suscitée en nous par l’interaction avec nos semblables. La pulsion particulière vers le langage s’appuie sur la pulsion de la nature humaine à trouver une conformité rationnelle hors de soi ; et la nécessité de satisfaire une telle pulsion se présente lorsque les individus rationnels entrent en interaction.

4. Le langage comme condition de l’humain

14La leçon sur l’origine du langage appartenant au cours de Logique et métaphysique reprend en partie seulement l’approche du Philosophisches Journal. Il reprend la déduction de l’origine ni empirique ni métaphysique mais transcendantale du langage à partir de la « nature de la raison humaine », et en particulier de la pulsion communicative à l’horizon de l’action réciproque entre individus rationnels. Il reprend la définition du langage comme signe de la pensée. Toutefois la leçon apporte quelques innovations ou met de nouveaux accents par rapport à l’essai, qui dénotent l’influence de l’élaboration contemporaine de la Doctrine de la Science, en particulier du Fondement du droit naturel selon les principes de la Doctrine de la Science (1796-1797) que Fichte mentionne expressément, et de ce que l’on est convenu d’appeler la Doctrine de la science nova methodo (1796-1798). Je souligne trois de ces nouveaux accents, tout en précisant que cela ne signifie pas que ces motifs n’aient pas été déjà présents précédemment, mais simplement qu’ils prennent un relief particulier dans la leçon de 1797.

15En premier lieu, le caractère de la raison est reconnu dans la liberté : « Le caractère de la raison est la liberté » (GA IV/2, 293). La pulsion de la raison qui pousse à chercher la conformité avec soi-même dans le monde naturel et, de façon spécifique, dans le monde des individus rationels, se trouve fondée sur un principe « plus originaire », la liberté. Nous savons que la Doctrine de la Science – comme le montre très clairement la version « selon une nouvelle approche » (Nova methodo  !) – veut proprement être le système de la liberté  [8], Cela se reflète également dans la recherche sur le langage, dont le phénomène est lié à l’actuation de la liberté. En second lieu, la portée transcendantale du principe d’action réciproque se trouve démultipliée : elle n’est plus seulement le lieu de l’extériorisation de la pulsion rationnelle des sujets mais la condition du devenir autoconscient de l’être libre. En troisième lieu, ce qui en est la conséquence, le langage, comme signe communicatif de la pensée, est considéré comme condition de la relation intersubjective et donc comme principe médiateur de la genèse de l’humain.

16Voyons comment Fichte développe tout cela. Le caractère de la raison, on l’a déjà vu, est la liberté. Dire « je suis moi » et dire « je suis libre » reviennent au même. Dans le moi dont je suis conscient (mon moi), conscience de l’égoïté (je suis moi) et conscience de la liberté (je suis libre) coïncident. Cette attribution ne peut s’effectuer à propos d’un objet de la nature mais elle peut en revanche s’effectuer de façon sensée à propos du sujet humain : nous associons à tout individu qui se présente à nous dans l’expérience la connotation de la rationalité, c’est-à-dire l’idée que son être n’est pas déterminé par la nature mais qu’il se fait par sa volonté (nous avons déjà rencontré la notion importante de modificabilité de la fin).

17Si je me trouve, je me trouve comme libre ; et vice versa : si je me trouve comme libre, je me trouve. Il n’est pas correct d’affirmer que je me fais libre, ou qu’il y aurait un stade de mon intelligence auquel je ne suis pas (encore) libre et un stade auquel je produis ma liberté, passant ainsi de l’état d’objet à celui de sujet. Personne ne connaît le début de sa propre conscience. Nous devrions en ce cas être conscients d’un état précédent dont nous n’étions pas conscients, ce qui contient une contradiction. Nous parvenons à la conscience (je suis moi) dans la mesure seulement où nous nous trouvons libres (je suis libre). Autrement dit : nous sommes donnés à nous-mêmes comme libres. Mais que signifie : être donné à soi comme libres ? Fichte introduit ici le concept de passivité active ou d’activité passive qui, pour être pensé selon « les lois de la raison » (c’est-à-dire d’un point de vue transcendantal), exige une interaction ou postule que la subjectivité d’autrui interagit de façon spécifique sur la mienne.

18Nous ne pouvons comprendre le fait de nous trouver libres que dans la mesure où nous nous plaçons face à un être libre hors de nous qui provoque ou, mieux, qui sollicite en nous la représentation de notre liberté. Notre être-donné-à-nous-mêmes-comme-libres ne peut être produit par nous, mais doit nous être communiqué par autrui. Or aucun objet de la nature ne peut nous communiquer ce qu’il n’est pas lui-même, c’est-à-dire la liberté. La communication du concept de liberté requiert donc, toujours selon « les lois de la raison », que sa cause soit à son tour un être libre, autrement dit que la cause soit une subjectivité : cette dernière doit être pensée comme ayant (déjà) la représentation de la liberté et comme ayant le projet de la communiquer hors de soi. Mais un tel projet ne pouvait exister que dans un être raisonnable et libre, doté – on l’a vu – d’un finalisme modifiable. Le me-trouver-libre est conditionné par l’existence d’une action réciproque entre subjectivités. La conscience de ma liberté (le me-trouver-libre) dépend de la rencontre avec une autre conscience de la liberté, qui m’exhorte à la liberté.

19Toutefois cette action réciproque n’est pas du tout une « action immédiate » (unmittelbare Einwirkung, GA II/4, 295). Les êtres libres, en tant que libres, ne se comportent pas les uns envers les autres selon les lois du mécanisme (ou du seul finalisme naturel). L’action réciproque ici en jeu est au contraire une certaine médiation. La communication du concept de liberté requiert que la subjectivité qui initie, élabore et communique à la subjectivité qui reçoit un certain objet, un objet sui generis. Il s’agit en effet d’un objet qui n’est pas du tout un simple objet de la nature, mais qui est le signe d’un concept – qui guide la liberté en attirant l’attention sur elle, comme « une exhortation à connaître » (Aufforderung zum Erkennen). L’objet médiateur – l’objet qui m’est donné et qui me permet de me trouver comme exhorté à la liberté (tel est en effet le sens du « me trouver libre »), ou l’objet qui me sollicite à me trouver comme sujet – est en définitive un signe. Le signe est en effet un objet (phonique, graphique, mimétique) qui contient en soi une exhortation à la connaissance. Le caractère du signe est précisément de conduire à la liberté à travers la liberté, ou de conduire la libre réflexion d’autrui à la connaissance de sa propre liberté.

20Le pur objet de la nature ne renvoie pas à la liberté, l’objet-signe est tel en revanche parce qu’il renvoie à la liberté sous la figure d’une exhortation ou d’une invitation. La genèse de l’humain est par conséquent conditionnée par l’existence d’une action réciproque au moyen de signes, ou de cette forme de médiation entre êtres libres que l’on nomme communication. La genèse de l’humain implique un signe qui communique, une exhortation à agir.

21On voit apparaître ici un point de grande importance : dire que la genèse de l’humain est conditionnée par l’existence d’une action réciproque au moyen de signes revient à dire que la genèse de l’humain est conditionnée par l’existence (en développement) du langage. Le langage est en effet interaction au moyen de signes, signes qui désignent des pensées (comme il en est question dans le Philosophisches Journal), signes qui appellent et sollicitent la pensée (aspect accentué dans la leçon académique). Il en résulte que Fichte n’identifie pas pensée et langage, entre lesquels il pose une certaine articulation  [9]. Ce qui lui tient à cœur, c’est en revanche de rappeler que l’interaction linguistique est condition de possibilité pour que l’humain puisse originairement se trouver. L’action réciproque au moyen de signes – explique Fichte – est « condition de l’humanité » (Bedingung der Menschheit), car l’homme ne vit pas isolé mais appartient à une communauté. Les individus y existent dans une relation au moyen de concepts et rendue possible par des signes ; ils existent comme êtres-de-langage (Sprachwesen).

22D’où la thèse forte de Fichte, sur laquelle je souhaiterais conclure : sans cette interaction linguistique, sans le langage au sens le plus général, « l’homme ne peut pas être ». Le langage a donc une portée transcendantale, il rend possible la genèse transcendantale de la conscience humaine. C’est de ce point de vue d’une « histoire a priori du langage », c’est-à-dire du point de vue de la transcendantalité, que l’on peut comprendre correctement les recherches spécifiques que Fichte consacre au phénomène linguistique dans le « Philosophisches Journal » et dans la leçon académique.


Mots-clés éditeurs : genèse, signe, transcendantal, communication, impulsion

Date de mise en ligne : 03/02/2020.

https://doi.org/10.3917/aphi.831.0039

Notes

  • [1]
    Johann Gottlieb FICHTE, « Von der Sprachfähigkeit und dem Ursprung der Sprache », in Philosophisches Journal einer Gesellschaft Teutscher Gelehrten, Friedrich Immanuel Niethammer éd., vol. I, Neu Strelitz, 1795, cahier 3, p. 255-273 ; cahier 4, p. 283-326 (Johann Gottlieb FICHTE, Gesamtausgabe der Bayerischen Akademie der Wissenschaften [= GA], éd. R. Lauth, H. Jacob et alii, I/3, p. 93-127).
  • [2]
    « Ueber den Ursprung der Sprache », in Johann Gottlieb FICHTE, Vorlesungen über Logik und Metaphysik als populäre Einleitung in die gesammte Philosophie. Nach Platners philosophisch[en]. Aphorismen I Theil 1793. Im Sommerhj. 1797. Jena (GA IV/1, p. 292-327).
  • [3]
    Cf. Ernst Platners Philosophische Aphorismen neben einigen Anleitungen zur philosophischen Geschichte. Toute nouvelle éd., Partie 1, Leipzig, Schwickertscher Verlag, 1793. Cette édition a été republiée dans un volume supplément de la GA : II/4 S. Les Aphorismes de Platner contiennent un chapitre Sur la faculté linguistique, § 437-504 (GA II/4 S, p. 113-119). Nous disposons aujourd’hui également d’un groupe de manuscrits fichtéens (Sur l’origine du langage en général) qui se réfèrent au chapitre susmentionné de Platner Sur la faculté linguistique et qui remontent à 1796, cf. GA II/4, p. 158-181. Platner fut un philosophe éclectique, influencé par le rationalisme leibnizien et par le scepticisme humien. Sur Fichte et Platner cf. Daniel BREAZEALE, Thinking Through the Wissenschaftslehre. Themes from Fichte’s early Philosophy, Oxford, Oxford University Press, 2013.
  • [4]
    Dans Sur l’origine du langage, dans le cadre des leçons de Logique et métaphysique, Fichte fait allusion au concours consacré par l’Académie des sciences de Berlin à la question de l’origine du langage, dont le prix avait été décerné en 1771 à la Abhandlung über den Ursprung der Sprache de Herder. Ce dernier y soutenait l’origine humaine du langage et mettait en exergue une relation constitutive entre l’acte de la réflexion et l’acte linguistique. Il se démarquait de Johann Peter Süßmilch qui, dans Versuch eines Beweises, daß die erste Sprache ihren Ursprung nicht vom Menschen, sondern allein vom Schöpfer erhalten habe (1766), avait affirmé l’origine divine du langage et avait voulu en produire une preuve non « historique ou biblique » mais dérivée de la « constitution interne » du langage. Dans la recension de l’ouvrage de Herder datant de 1772 ainsi que dans d’autres écrits, Hamann avait lui aussi soutenu l’origine divine du langage (cf. Johann Georg HAMANN, Schriften zur Sprache, Josef Simon éd., Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1967). Dietrich Tiedemann soutenait en revanche dans Versuch einer Erklärung des Ursprungs der Sprache (Riga, Hartknoch, 1772) l’invention humaine du langage. Pour une orientation historico-théorique, voir Eugenio COSERIU, Storia della filosofia del linguaggio, Donatella Di Cesare éd., Roma, Carocci, 2010, p. 377 sq.
  • [5]
    Je ne prendrai toutefois pas ici en considération les travaux que Fichte a consacrés ultérieurement au langage, au cours de sa période berlinoise : je renvoie au second des Dialogues patriotiques de 1807 et aux quatrième et cinquième des Discours à la nation allemande (1808).
  • [6]
    Sur le thème du langage chez Fichte cf. Antonio CORSANO, « Il Fichte e l’origine della lingua », Giornale critico della filosofia italiana, XXI, 1967, p. 409-421 ; Anna Maria SCHURR-LORUSSO, « Il pensiero linguistico di Fichte », Lingua e stile, V, 1970, p. 253-270 ; Manfred ZAHN, « Fichtes Sprachproblem und die Darstellung der Wissenschaftslehre », in Klaus Hammacher éd., Der Transzendentale Gedanke. Die gegenwärtige Darstellung der Philosophie Fichtes, Hamburg, Meiner, 1981, p. 155-170 ; Marco IVALDO, « La riflessione sul linguaggio in Fichte », in Coll., Linguaggio : scienza-filosofia-teologia, Padova, Gregoriana, 1991, p. 83-95 ; Wolfgang JANKE, Vom Bilde des Absoluten. Grundzüge der Phänomenologe Fichtes, Berlin/New York, De Gruyter, 1993 (en particulier le chap. 5 dans la seconde partie) ; Jere Paul SURBER, « The Historical and Systematic Place of Fichte’s Reflections on Language », in Daniel Breazeale, Tom Rockmore éd., Fichte : Historical Contexts/Contemporary Controversies, New Jersey, Humanities Press, 1994, p. 113-127 ; Jere Paul SURBER, Language and German Idealism : Fichte’s Linguistic Philosophy, Atlantic Highlands, NJ, Humanities Press, 1995 ; Dominik SCHMIDIG, « Sprachliche Vermittlung philosophischer Einsichten nach Fichtes Frühphilosophie », Fichte-Studien, 10, 1997, p. 1-15 ; Thomas Sören HOFFMANN, « Die Grundlage der gesammten Wissenschaftslehre und das Problem der Sprache bei Fichte », Fichte-Studien, 10, 1997, p. 17-33 ; Jere Paul SURBER, « Fichtes Sprachphilosophie und der Begriff einer Wissenschaftslehre », Fichte-Studien, 10, 1997, p. 35-58 ; Kaoru HOSHIBA, « Das Problem der Sprache bei Fichte », Fichte-Studien, 32, 2009, p. 57-65 ; Martin SIEGEL, « Die Einforderung eines lebendigen Sprachvollzugs als Kennzeichnen der späten Wissenschaftslehren Fichtes », Fichte-Studien, 32, 2009, p. 67-78.
  • [7]
    Cf. sur ce point Eugenio COSERIU, « L’arbitraire du signe. Zur Spätgeschichte eines aristotelischen Begriffes », Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Literaturen, CCIV, 1968, p. 81-112.
  • [8]
    L’ouvrage standard sur cette question est : Luigi PAREYSON, Fichte (1950), éd. revue et corrigée : Fichte. Il sistema della libertà, Milano, Mursia, 1976. Cf. également Alexis PHILONENKO, La liberté humaine dans la philosophie de Fichte, Paris, Vrin, 1980 (2e éd.).
  • [9]
    Cf. par exemple la note figurant dans le Philosophisches Journal : « Je ne démontre pas ici que l’homme ne pourrait penser sans langage et que sans lui il ne pourrait avoir de concepts universels abstraits. Il le peut sans doute grâce aux images qu’il se forme par l’imagination » (GA I/3, 103).
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions