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Article de revue

L’art politique et sa visée téléologique

Le bonheur chez Farabi, Miskawayh et le pseudo al-‘Āmiri

Pages 701 à 718

Notes

  • [1]
    En effet, une désintrication des sphères philosophiques et théologiques prend forme à cette époque et dans ces sphères de réflexions. Sur ce point, on pourra notamment voir Makram ABBÈS, « Essai sur les arts de gouverner en Islām » dans AL-MĀWARDĪ, De l’éthique du prince et du gouvernement de l’État, Paris, Les Belles Lettres, 2015, particulièrement le chapitre II « Renouer avec les expériences séculières de l’Islām classique », p. 78-105.
  • [2]
    La paternité de ce texte, recueil d’aphorismes éthiques et politiques de diverses provenances, n’a à ce jour pas été établie de manière certaine. Alors que depuis longtemps il a été considéré comme une œuvre authentique d’al-‘Āmiri, les recherches plus récentes tendent à remettre en question cette attribution. On pourra regarder les travaux d’Elvira WAKELNIG à ce sujet, notamment A Philosophy Reader from the Circle of Miskawayh, Cambridge, Cambridge University Press, 2014 ; Feder, Tafel and Mensch. Al-‘Āmirīs Kitāb al-Fuṣūl fī l-Ma‘ālim al-ilāhīya und die arabische-Proklos-Rezeption im 10. Jh., Leiden, Brill, 2006.
  • [3]
    La question se pose encore concernant une éventuelle traduction des Politiques en arabe, sans qu’on ait encore des preuves convaincantes allant dans ce sens. Pour l’une des dernières enquêtes en date sur le corpus aristotélicien traduit en arabe, voir Cristina D’ANCONA, « Greek Sources in Arabic and Islamic Philosophy », The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Winter 2017 Edition), Edward N. Zalta (ed.) [URL: https://plato.stanford.edu/archives/win2017/entries/arabic-islamic-greek/].
  • [4]
    Encyclopédie de l’Islam, version fr. de la 2e édition d’Encyclopedia of Islam, P.J. Bearman, Th. Bianquis, C.E. Bosworth, E. van Donzel et W.P. Heinrichs eds. [11954], 2005.
  • [5]
    Aḥmad b. Muḥammad b. Ya’qūb MISKAWAYH, Traité d’éthique (Tahḏīb al-Aẖlāq wa ṭathīr al-A‘rāq), III, 3, tr. fr. M. Arkoun, Paris, Vrin, 2010, p. 135.
  • [6]
    Cette référence à Porphyre viendrait d’un commentaire perdu de l’Éthique à Nicomaque, référencé dans Ibn AL-NADĪM, Kitāb al-Firhist, Gustav Flügel éd., Leipzig, F.C.W. Vogel, 1871, p. 252. Nous ne connaissons d’ailleurs l’existence de ce commentaire que par des sources arabes. Voir A. A. GHORAB, « The Greek Commentators on Aristotle quoted in al-‘Amiri’s ‘as-Sa‘āda wa’l-Is‘ād », Islamic Philosophy and the Classical Tradition. Essays presented by his friends and pupils to Richard Walzer on his seventieth birthday, Samuel M. Stern, Albert Hourani, Vivian Brown éd., Columbia, University of South Carolina Press, 1973, p. 79 ; Joel L. KRAEMER, Humanism in the Renaissance of Islam. The Cultural Revival during the Buyid Age, Leiden, Brill, 1992, p. 240.
  • [7]
    Abu l-Ḥasan AL-‘ĀMIRĪ, as-Sa‘āda wa-’l-is‘ād fi ’s-sīra al-insānīya, dans as-Sa‘āda wa-’l-is‘ād (On seeking and causing happiness). Written by Abu l-Ḥasan Al-‘Āmirī of Nēshābūr (992 A.D.) Mojtaba Minovi éd., Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, 1957-1958, fol. 5.
  • [8]
    Ibid., fol. 6.
  • [9]
    Abu Nasr Muḥammad AL-FĀRĀBĪ, Aphorismes choisis (Fuṣūl muntaza‘a), tr. fr. G. Dye et S. Mestiri, Paris, Fayard, 2003, p. 64-65, où il expose cette idée en l’imputant à Socrate, Platon et Aristote. Al-Farabi fait également allusion à ces deux formes de bonheur dès les premières lignes de son traité De l’Obtention du bonheur (Tahsīl al-sa‘āda).
  • [10]
    AL-FĀRĀBĪ, Livre du régime politique (Kitāb al-siyāsa al-madaniyya), tr. fr. P. Vallat, Paris, Les Belles Lettres, 2012, p. 6-7.
  • [11]
    AL-FĀRĀBĪ, Opinions des habitants de la cité vertueuse (Arā’ ahl al-madīna al-fāḍila), tr. fr. A. Cherni, Paris, Al-bouraq, 2011, p. 188. Pour plus de développements sur le rôle de l’intellect agent chez Farabi, on verra notamment son Livre du régime politique, op. cit., p. 132-134.
  • [12]
    MISKAWAYH, op. cit., p. 133-134.
  • [13]
    Ibid., p. 133-134.
  • [14]
    ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, tr. fr. J. Tricot, Paris, Vrin, 2012, 1178a 9-14.
  • [15]
    Le terme madaniyya est un adjectif que l’on peut apparenter au terme grec de politikè.
  • [16]
    Pour de plus longs développements sur la falsafa al-madaniyya de Farabi, on pourra se reporter notamment à l’article de Nadja Germann, « Al-Farabi’s philosophy of society and religion », Standford Encyclopedia of Philosophy, 2016 [URL: https://plato.stanford.edu/entries/al-farabi-soc-rel/].
  • [17]
    AL-FĀRĀBĪ, Opinions des habitants de la cité vertueuse, op. cit., p. 214.
  • [18]
    Yanis ESCHOT, « City (philosophical) », in Princeton Encyclopedia of Islamic Political Thought, Princeton University Press, 2012, p. 19.
  • [19]
    AL-FĀRĀBĪ, Aphorismes choisis, op. cit., p. 39.
  • [20]
    Sur cette question de l’humanisme arabe, on pourra notamment voir Mohammed ARKOUN, L’humanisme arabe au IVe/Xe siècle, Paris, Vrin, 1982 (2e éd.) ; Joël L. KRAEMER, op. cit. ; Lenn E. GOODMAN, Islamic Humanism, New York, Oxford University Press, 2003.
  • [21]
    L. GOODMAN, Islamic Humanism, op. cit., p. 27.
  • [22]
    Voir notamment le Pseudo-Aristote, Sirr al-Asrār (Secret des secrets), connu dans le monde latin sous le titre Secretum secretorum. Voir l’édition d’A. Badawi dans Al-Uṣūl al-yūnāniyya li l-naẓariyyāt al-siyāsiyya fi l-islām (Fontes Graecae doctrinarum politicarum Islamicarum), Le Caire, Maṭba‘at dār al-kutub al-miṣriyya, 1954.
  • [23]
    AL-FĀRĀBĪ, Opinions des habitants de la cité vertueuse, op. cit., p. 154 et suiv.
  • [24]
    Concernant la théorie de la santé comme équilibre humoral ou anatomopathologique chez Galien, on se reportera notamment au traité On humours dans GALIEN, On food and diet, trad. anglaise M. Grant, London and New-York, Routledge, 2000, p. 14-18.
  • [25]
    MISKAWAYH, op. cit., p. 75.
  • [26]
    Ibid., p. 45.
  • [27]
    Farabi dénombre les quatre facultés citées et y ajoute l’appétitive comme faculté à part entière dans les Aphorismes choisis (aph. 7 et suiv.), l’appétitive et la raisonnable appartenant respectivement à l’animal et à l’homme ; il n’en énumère que quatre dans les Opinions des habitants de la cité vertueuse (chap. III) : nutritive, sensitive, imaginative et rationnelle. L’appétitive n’est pas évoquée comme appartenant à l’animal mais elle est identifiée chez l’homme en tant qu’une faculté plus « diffuse », appétence présente dans chacune des quatre facultés de l’âme humaine.
  • [28]
    AL-‘ĀMIRI, op. cit., fol. 44-45.
  • [29]
    MISKAWAYH, op. cit., p. 23.
  • [30]
    AL-‘ĀMIRI, op. cit., fol. 16-17.
  • [31]
    Ibid., fol. 17.
  • [32]
    Cf. Mohammed ARKOUN, « La conquête du bonheur selon Abū-l-Ḥasan al-Āmirī », Studia Islamica, XXII, Maisonneuve &Larose,1965, p. 179.
  • [33]
    Chez Platon, voir le livre IV de La République, particulièrement 427d-e, où Socrate et Glaucon, après avoir fondé théoriquement la cité idéale, s’interrogent sur la justice et l’injustice en son sein.
  • [34]
    AL-FĀRĀBĪ, Aphorismes choisis, op. cit., p. 61.
  • [35]
    Ibid., p. 42. Pour une approche générale de ce rapprochement entre le médecin et l’homme politique chez Farabi, on pourra voir la section « Al-Fārābī’s moral and political teaching » de l’article « Ethical and political philosophy » de Charles Butterworth dans Peter Adamson et Richard Taylor (eds.), The Cambridge Companion to Arabic Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 275-280.
  • [36]
    PLATON, La République, tr. G. Leroux, Paris, Flammarion, 2002, 352e-353a.
  • [37]
    AL-FĀRĀBĪ, Aphorismes choisis, op. cit., p. 92.
  • [38]
    AL-‘ĀMIRI, op. cit., fol. 404.
  • [39]
    Il convient de préciser qu’al-‘Āmiri n’énumère pas trois mais quatre classes : celle des dirigeants et des sages, celle des gardiens, celle des kuttāb (scribes) et enfin celle des producteurs. La classe des scribes n’apparait pas chez Platon, même si elle peut être reliée à la première classe. Cet ajout souligne selon nous deux choses : tout d’abord l’importance de cette fonction de kuttāb dans la société musulmane de l’époque, fonction que l’auteur énumère à part comme pour insister sur sa place et son rôle. Puis, cela souligne également les réflexions menées par les penseurs musulmans pour fusionner l’influence grecque avec les spécificités de leur culture islamique.
  • [40]
    AL-‘ĀMIRI, op. cit., fol. 425-426.
  • [41]
    PLATON, op. cit., I, 373e-375a.
  • [42]
    MISKAWAYH, op. cit., p. 117.
  • [43]
    AL-‘ĀMIRI, op. cit., fol. 192.
  • [44]
    Ibid., fol. 354.
« Ce n’est pas seulement en vue de vivre, mais plutôt en vue d’une vie heureuse qu’on s’assemble en une cité. »
(Aristote, Politiques, III, 9, 1280a31-1281a4)

1C’est au travers d’une pensée à vocation universalisante que les penseurs musulmans ont interrogé la question du bonheur humain. À la suite des penseurs antiques, principalement grecs mais aussi perses et indiens, les philosophes de culture islamique ont cherché à définir le bonheur et les moyens pour l’homme de l’acquérir, cela à partir de réflexions s’appuyant sur des expériences séculières  [1]. Ce champ de réflexion éthique, qui prend naissance en Orient au VIIIe siècle, entreprend une mondanisation de la question du bonheur, cherchant alors à circonscrire les réflexions autour de la question du bonheur terrestre et à la fonder sur un modèle purement rationnel. L’idée directrice est la suivante : s’il est indéniable que ce sont les actions de l’homme sur terre qui le mèneront au salut dans l’au-delà, et si ce salut est la visée de l’homme durant sa vie terrestre, il n’en reste pas moins que la vie qu’il mène dans ce monde est, elle aussi, source de bonheur. La vie humaine n’est alors plus appréhendée uniquement comme étape vers la félicité de l’âme dans l’au-delà, mais bien en tant que fin en soi, fin que l’on cherche à atteindre pour elle-même et non en vue d’autre chose. La pensée éthique qui se développe alors n’est pas seulement théorique mais porteuse d’une visée pratique indéniable ; et elle devient politique, puisque c’est par le biais d’un gouvernement vertueux, de lui-même et de sa cité, que l’homme pourra atteindre le bonheur.

2Cette pensée, commune à la plupart des penseurs à l’âge classique, tels que Farabi (872-950), Miskawayh (932-1030) ou encore le pseudo al-‘Āmiri (m. 992) – dans le Kitāb al-Sa‘āda wa l-Is‘ād (Livre du bonheur et de son obtention)  [2] – s’élabore tout d’abord en dialogue avec Platon et Aristote. C’est toujours dans un effort d’harmonisation entre les deux maîtres grecs que ces penseurs d’islam ont pu étudier cette question transversale, à cheval entre l’éthique et la science politique. S’ils possédaient des traductions ou compendiums de la majeure partie des dialogues de Platon, leur connaissance des œuvres éthico-politiques d’Aristote était vraisemblablement plus limitée  [3]. L’influence aristotélicienne s’est, de fait, exercée principalement à travers l’Éthique à Nicomaque, alors largement interprété comme un texte politique.

3Dans les pages qui suivent, nous essayerons de voir comment, dans la pensée islamique classique, la question de l’atteinte du bonheur par l’homme s’est déployée dans une réflexion sur la constitution et le gouvernement de la cité politique. Nous nous demanderons quelle organisation politique nous propose cette pensée afin que la cité puisse atteindre sa fin ultime : le bonheur.

Définition du bonheur chez les penseurs de langue arabe 

4Le bonheur – sa‘āda en arabe – vient de la racine S‘D, qui englobe divers sens : être heureux, être propice ou favorable à quelque chose, mais également l’idée d’assistance, d’aide ou de secours. Entendu enfin comme félicité ou bénédiction, la sa‘āda est un concept central de la philosophie islamique, qui désigne alors « le but suprême de l’effort humain, qui peut être atteint par la perfection morale et l’accroissement de la connaissance  [4]. » Même si le terme revêt également des significations plus religieuses ou ésotériques – telles que le séjour éternel au paradis ou le jour de la résurrection (yawm al-sa‘āda) –, le présent travail se concentrera sur les réflexions proprement philosophiques.

5Dans ce cadre proprement philosophique, le bonheur est défini sous deux formes, un bonheur relatif (al-sa‘āda al-muqīda), terrestre, immédiat et limité – qui est le bonheur humain (al-sa‘āda al-insāniya) – et un bonheur absolu (al-sa‘āda al-muṭlaqa), qui rejoint l’idée de bonheur autarcique présente dans la pensée aristotélicienne. Le premier est qualifié de bonheur humain car, déclare Miskawayh :

6

L’homme est doué d’une vertu spirituelle par laquelle il se rattache aux esprits bons, appelés anges, et d’une vertu corporelle, par laquelle il se rattache aux bêtes, car il est composé d’un corps et d’une âme. Considéré dans sa partie corporelle par laquelle il se rattache aux bêtes, il demeure une courte période en ce monde sublunaire pour le faire prospérer, l’organiser, l’ordonner. Quand il a pris possession de ce rang à la perfection, il accède au monde céleste où il demeure pour l’éternité en compagnie des anges et des esprits bons  [5].

7Miskawayh expose ici le fait que le bonheur suprême est celui auquel l’homme accèdera dans le monde céleste, le bonheur terrestre, lui, n’étant qu’imparfait. Cela se retrouve également chez le pseudo al-‘Āmiri, dans son kitāb al-sa‘āda, texte contemporain des œuvres de Miskawayh. Au début du texte, on trouve cette citation de Porphyre :

8

Certes le bonheur est l’achèvement de la forme de l’homme, dit Porphyre  [6]. Celle-ci réside, en tant qu’il est homme, dans ses actes volontaires, et, en tant qu’il est ange et intellect, dans la contemplation. Chacune de ces deux perfections est parfaite relativement à son sujet [mais si on les mesure] l’une par rapport à l’autre, la perfection humaine est incomplète  [7].

9Il y a donc une perfection au-delà du bonheur humain, qui est le bonheur intellectuel, ce bonheur qu’on trouve dans l’activité de contemplation. Le bonheur humain n’est pas parfait car il ne se suffit pas à lui-même, il a besoin du corps pour atteindre les vertus corporelles. A contrario, le bonheur intellectuel se suffit à lui-même et est auto-suffisant, dans la mesure où la contemplation est la seule activité que l’homme puisse exercer seul. Cette idée est développée chez nos penseurs, qui se réfèrent ici à Aristote. On peut lire dans les premiers folios du kitāb al-sa‘āda cet aphorisme : « Aristote déclare, [à propos du] bonheur humain, que même s’il atteint sa perfection, il ne peut être totalement satisfaisant, parce que le bonheur parfait est celui qui est autarcique  [8] ».

10Farabi, quant à lui, développe une pensée similaire. Pour lui, le vrai bonheur est céleste mais l’accomplissement de l’homme dans sa vie terrestre en est une condition. Il déclare que l’homme a une double nature : à la fois humaine, ce qui l’attache à la vie sur terre dans laquelle il réalise sa perfection première, et spirituelle, ce qui l’attache à la vie céleste, dans laquelle il réalise sa perfection ultime et atteint le bonheur suprême  [9]. Cependant, il ajoute que la perfection ultime de l’homme peut être atteinte déjà dans cette vie, si elle est précédée de la perfection première. Pour saisir l’idée farabienne, nous devons partir du fait que, pour lui, l’homme est un composé. Il est à la fois un corps, comme tout ce qui vit dans le monde sublunaire, et un intellect, capable de connaître les choses supérieures aux choses humaines. Il est donc soumis d’une part aux lois naturelles mais, de l’autre, à l’Intellect Agent, qui lui confère cette capacité de connaissance intellectuelle :

11

L’activité propre de l’intellect agent consiste dans le soin provident à l’égard de l’animal rationnel et dans le fait de chercher à lui faire atteindre le rang ultime de la perfection qu’il appartient à l’homme d’atteindre, c’est-à-dire la félicité ultime  [10].

12L’Intellect Agent pourvoit l’homme de sa faculté rationnelle : il donne à l’homme un principe (mabda’) qui va lui permettre de tendre par lui-même vers les autres perfections, et ce principe est la connaissance des intelligibles premiers. C’est cela que Farabi définit comme la perfection première de l’homme  [11]. Ce dernier doit utiliser cette perfection première afin d’atteindre sa perfection ultime, c’est-à-dire une existence parfaite dans laquelle l’âme sera affranchie de toute matière. La perfection ultime de l’homme prend ainsi naissance dans sa vie première, au moment du passage de son intellect à l’acte, par l’acquisition des connaissances les plus parfaites.

13Il est intéressant de constater que Miskawayh reprend également un cheminement de pensée aristotélicien dans son Tahḏīb al-Aẖlāq wa ṭathīr al-A‘rāq (Traité d’éthique). Au chapitre portant sur le bonheur, il s’appuie sur les théories des « Anciens », arguant que « pour les uns, l’homme ne peut connaître le bonheur suprême qu’une fois débarrassé du corps et de toutes les choses naturelles  [12] », ce qui revient à dénier à la vie terrestre la possibilité d’offrir le bonheur à l’homme. Il ajoute :

14

Selon d’autres, il serait franchement odieux de croire que l’homme passe toute sa vie à accomplir des œuvres salutaires, à professer des opinions droites, à s’efforcer d’abord d’acquérir les vertus, ensuite d’être utile à ses semblables […] mais que, pendant tout ce temps, il demeure malheureux et imparfait jusqu’à sa mort ! Alors seulement, quand il n’exerce plus toutes ces activités, il accéderait au bonheur parfait  [13] !

15De fait, il lui semble tout à fait injuste que l’homme, même le plus vertueux qui soit, ne puisse atteindre le bonheur qu’après sa mort. Miskawayh préfère alors suivre l’idée aristotélicienne selon laquelle une forme de bonheur est possible sur terre. Dès lors, la pensée du bonheur se développe sur une autre assertion d’Aristote. En effet, le bonheur décrit par Aristote comme autarcique est un bonheur réservé à l’homme, parce qu’atteignable par l’activité de l’intellect que seul l’homme possède.

16

Ce qui est propre à chaque chose est par nature ce qu’il y a de plus excellent et de plus agréable pour cette chose. Et pour l’homme, par suite, ce sera la vie selon l’intellect, s’il est vrai que l’intellect est au plus haut degré l’homme même. Cette vie-là est donc aussi la plus heureuse  [14].

17Cette activité intellective, qui est propre à l’homme, est ce qu’il y a de meilleur pour lui, et c’est elle qui le mène au bonheur. Ayant ainsi défini le bonheur comme accessible durant la vie terrestre, comment les penseurs arabes l’ont-ils intrinsèquement lié à la question politique ?

Al-falsafa al-madaniyya : pensée politique de la cité

18La falsafa al-madaniyya  [15] est une partie de la philosophie, développée en premier lieu par Farabi  [16], qui traite de la question de la cité politique. Elle mêle les investigations aristotéliciennes sur la perfection de l’homme en tant qu’individu aux réflexions platoniciennes sur la constitution et le gouvernement de la cité, envisagée alors comme un tout. Elle se déploie notamment en questionnant la manière dont la cité guide les citoyens vers leur perfection individuelle et leur permet d’atteindre cette perfection propre qu’Aristote pose comme ce qui doit être recherché : on s’interroge sur la nature de la cité et de son organisation dans la mesure exacte où elle est condition nécessaire au bonheur.

19La cité, selon Farabi, est l’association d’individus en vue de « [leur] subsistance et pour atteindre [leur] plus grande perfection  [17] ». Le concept de cité vertueuse (madīna al-fāḍila) s’élabore dans une telle optique ; elle est en effet définie comme « une société parfaite utopique créée dans le but de guider ses habitants vers la perfection et la félicité  [18]. » De nombreux penseurs de la culture islamique se sont ensuite interrogés sur le bonheur à travers ce concept de cité vertueuse et, partant, ont développé une pensée politique du bonheur. Farabi, lui, définit l’art politique comme suit :

20

[L’art politique est l’art s’appuyant sur] de nombreux principes tirés des propos des Anciens sur la manière dont les cités devraient être gouvernées et rendues prospères, les modes de vie de leurs habitants rendus meilleurs, et ceux-ci conduits vers le bonheur  [19].

21Comme nous l’avons souligné au début, cette pensée politique s’est construite sur des bases principalement éthiques et c’est cette démarche spécifique qui a donné naissance à ce qu’on a appelé « l’humanisme arabe  [20] ». Bien que cet humanisme cherche à fonder une réflexion indépendante notamment vis-à-vis des données théologiques, il n’est cependant pas celui du Quattrocento ou du XXe siècle, car nos penseurs portent un regard critique sur leur tradition religieuse sans pour autant s’en détacher  [21]. Il est vrai qu’ils visaient à fonder leurs réflexions sur les sciences et la raison, en dehors du champ des données révélées. Mais ils n’ont pas rejeté pour autant les croyances de l’islam ou l’idée d’un Dieu unique, créateur de l’univers et moteur de la vie humaine. C’est plutôt leur volonté de penser indépendamment des sphères religieuses ou théologiques, cette volonté de focaliser leurs réflexions sur l’homme et la vie terrestre, qui permet de parler ici d’une forme de sécularisation de la pensée philosophique.

22En outre, cet humanisme a une ambition universaliste. Pour y parvenir, nos trois penseurs musulmans s’appuient non seulement sur les données de leur culture islamique, mais également sur les pensées antiques « étrangères », d’origine grecque, persane ou indienne ; le canevas philosophique qu’ils dressent est ainsi principalement nourri par des concepts et théories venant d’horizons hétérogènes. Cela fait de cette pensée un formidable vecteur de la Sagesse universelle.

23Dans cette pensée humaniste et universaliste, ce sont notamment les influences grecques et perses qui amènent nos penseurs à lier le bonheur à la question politique du gouvernement de la cité. Les deux bonheurs sont questionnés et développés sous deux aspects. Tout d’abord, un aspect technico-pratique est abordé au travers des ādāb sulṭāniyya (Règles de conduites des pouvoirs politiques), genre historico-littéraire qui se développe à partir des références à des modèles de gouvernants tels que ceux d’Alexandre le Grand  [22], des rois sassanides Ardašīr (qui a régné de 227 à 241) ou encore Chosroês Anūširwān (531-579). Puis, un second aspect, purement théorique, s’y ajoute, cette fois en partant de références proprement philosophiques. Ces références, principalement platoniciennes et aristotéliciennes, portent sur la question de ce que devrait être le souverain pour gouverner correctement la cité, et ainsi lui permettre de jouer son rôle de « voie » vers le bonheur. Les propos développés dans ce champ de réflexion abordent la question du gouvernement, non pas dans ses réalités historiques, mais d’un point de vue purement spéculatif ; on ne pose pas la question de ce qu’est le gouvernant, mais de ce qu’il doit être. Ce questionnement politique sur le bonheur se fonde sur deux paradigmes que nous allons maintenant évoquer.

La biologie et la noétique : deux paradigmes politiques

24Déjà pour Aristote, on se rappelle que la pensée politique n’est pas une réflexion indépendante, mais prend ses racines dans d’autres champs scientifiques, notamment la biologie et la noétique. Les penseurs musulmans s’inscrivent dans son sillage tout en essayant de mener cette articulation plus loin. Farabi pouvait ainsi partir de la théorie cardio-centriste qui définit dans le corps trois organes principaux, ces organes nobles grâce auxquels le corps peut vivre et conserver la santé : le cœur, le cerveau et le foie. Conformément à cette théorie, c’est le cœur qui va insuffler aux autres organes la vie et déterminer les fonctions de chacun. Cependant, il a nécessairement besoin des autres organes afin que le corps atteigne son équilibre, conçu comme un bon état de santé. Et Farabi de déclarer:

25

Le cœur est l’organe gouvernant qui n’est gouverné par aucun autre organe du corps. Il est suivi par le cerveau qui est, lui aussi, un certain organe gouvernant ; seulement son gouvernement n’est pas premier mais second ; car il est gouverné par le cœur et gouverne les autres organes. Il sert le cœur en lui-même et est servi par les autres organes selon ce qui est naturellement exigé par le cœur  [23].

26Le cœur est ici le gouvernant premier et suprême, puisqu’il n’est gouverné par rien d’autre que lui-même. Les autres organes sont ses subordonnés, et parmi eux s’établit également une hiérarchie. Le cerveau est le gouvernant des subordonnés qui se soumettent à lui selon la structure rendue nécessaire par le cœur. Pour le clarifier, Farabi explique que le cœur propage une chaleur vitale vers les organes, et que c’est le cerveau qui la tempère, en tant qu’intermédiaire entre le cœur et les autres organes. Il en va de même en ce qui concerne les nerfs, dans la mesure où le cerveau les pourvoit des sensations et des mouvements volontaires.

27À l’intérieur de ce paradigme biologique, le souci de la santé du corps est considéré comme la première étape vers l’acquisition du bonheur, amenant l’homme à développer un souci de soi constant et stable. Il lui faut tout d’abord garantir sa survie et nourrir son corps, la maladie physique – et à plus forte raison la mort – étant des obstacles évidents au bonheur terrestre. C’est sur cette même ligne argumentative que, précisément à la même époque, Razi (855-925) expose, tout au long de sa Médecine spirituelle, une théorie du rapport à la nourriture permettant de maintenir le corps en vie, mais aussi de garantir une certaine sérénité de l’âme. L’homme qui voudra acquérir les connaissances et la sagesse, s’il néglige de prendre soin de son corps, manquera irrémédiablement son but. Il s’agit à vrai dire de construire un rapport à la nourriture qui soit juste et équilibré, afin de développer un rapport à soi similaire. L’homme doit alors chercher à manger à satiété sans gourmandise, trop plein ou ascétisme qui le rendrait malade et nuirait à l’équilibre de son corps. Il peut également boire, même des boissons enivrantes, tant que cela est fait sans déraison. L’enjeu est d’équilibrer tous les désirs, avec un contrôle sur la fréquence des rapports sexuels, mais aussi de prendre soin de son corps par l’activité physique. Sur ce point, les penseurs musulmans sont notamment les héritiers de Galien chez qui on retrouve la même recherche d’équilibre : il considérait en effet la maladie comme résultat d’un déséquilibre des humeurs ou d’un dysfonctionnement anatomique, l’un entrainant d’ailleurs souvent l’autre et vice-versa  [24].

28À travers ce paradigme biologique se développe ainsi l’idée d’un rapport réfléchi au corps, lié à un mode de vie centré sur l’équilibre et le juste milieu. La médecine est dès lors présentée comme un corpus de savoirs et de règles permettant de définir une manière de vivre dans laquelle l’homme peut maintenir l’équilibre des tempéraments de son corps, par la maîtrise de soi et la vertu de tempérance. Après avoir envisagé l’homme sous son aspect biologique, c’est-à-dire du point de vue de l’organisation de son corps et de l’ordre qu’il faut y introduire, la pensée musulmane interroge également l’homme sous l’angle psychologique, en tant qu’animal détenteur d’un entendement. Et voilà que cette nouvelle approche va introduire dans la réflexion politique un second paradigme : le paradigme noétique.

29Cette fois, tout part de la définition aristotélicienne de l’homme comme animal pensant et politique. Pensant tout d’abord, car l’homme possède un intellect et cet intellect est la faculté rationnelle de l’âme, c’est-à-dire la raison humaine. C’est ce qui différencie l’homme de l’animal, point que réaffirme à plusieurs reprises Miskawayh :

30

Les facultés [de l’âme humaine] sont, comme nous l’avons souvent répété, au nombre de trois : la plus basse, c’est l’âme brute, la moyenne, l’âme fière et la plus noble, l’âme raisonnable. L’homme n’est devenu homme que grâce à la plus éminente de ces âmes ; j’entends la raisonnable  [25]

31Politique ensuite, car l’homme ne peut vivre sans une association avec ses semblables, ce qui fera dire à Miskawayh :

32

L’homme est de tous les animaux celui qui ne suffit pas à lui-même pour assurer à son essence sa perfection. L’aide d’un grand nombre de gens lui est indispensable pour que sa vie soit parfaitement agréable […]. C’est ce qui a fait dire aux philosophes que l’homme est politique par nature  [26].

33L’argumentation de Miskawayh se poursuit en insistant sur l’idée selon laquelle l’homme a besoin de la cité pour « jouir totalement du bonheur humain ». L’individu est envisagé selon ces deux principes, son entendement et la nécessité pour lui d’une association politique. Maintenant, c’est en se référant au paradigme noétique, extrait de la structure de l’âme humaine, que la politique se justifie et devient pensable.

34Nos penseurs s’appuient en réalité sur une théorie selon laquelle l’âme humaine est envisagée comme étant divisée en trois facultés ou puissances (quwwāt) : la puissance appétitive (an-nafs aš-šawānyia), la puissance irascible (an-nafs al-ġaḍabyia) et la puissance raisonnable (an-nafs an-nāṭiqa). La première, l’appétitive ou concupiscible, est celle par laquelle l’homme expérimente les sensations – la faim, la soif, les pulsions érotiques, etc. –, c’est-à-dire tous les désirs liés au corps. La deuxième, l’irascible, est celle du tempérament, celle par laquelle l’homme expérimente les sensations émotionnelles telles que la colère, la jalousie mais aussi le courage ou la joie. Enfin, la troisième, la raisonnable ou rationnelle, est la partie réflexive de l’âme, celle par laquelle l’homme peut juger du vrai et du faux et prendre les décisions justes en accord avec son amour du Bien.

35Farabi étend cette division à quatre facultés  [27] – nutritive, sensitive, imaginative et rationnelle – alors que d’autres se conforment à la division tripartite platonicienne. Ainsi, le pseudo al-‘Āmiri, citant explicitement Platon, déclare :

36

L’âme humaine, dit Platon, n’est pas une [et] simple comme l’intellect mais elle est divisée en trois facultés. [La première est] l’âme concupiscente, celle de l’amour du plaisir des nourritures, des boissons et des relations sexuelles. Elle est [aussi portée à] l’avidité et au désir ardent des profits et de l’acquisition des richesses à cause de la passion et du plaisir. [La deuxième est] l’âme irascible, celle de l’amour de la domination, du pouvoir et de l’honneur. La troisième est [l’âme] raisonnable, celle de l’amour du vrai, de la haine du futile, c’est pourquoi elle aime les savoirs et la sagesse  [28].

37C’est la même tripartition qu’on retrouve par ailleurs chez Miskawayh :

Il est évident pour qui étudie la nature de cette âme et ses facultés que celles-ci sont au nombre de trois, à savoir : la faculté grâce à laquelle s’exercent la pensée réfléchie, le discernement et la spéculation sur les vérités-essences ; la faculté qui donne lieu à la colère, à la bravoure, à la hardiesse face à ce qui est terrifiant, au désir de dominer, de s’élever au-dessus des autres et de recevoir toutes sortes d’honneurs ; la faculté qui donne lieu aux appétits, à la recherche de la nourriture, au désir des puissances qu’on trouve dans le manger, le boire, le commerce charnel et toutes sortes de plaisirs sensibles  [29].

38Ces trois facultés étant en lutte perpétuelle, il est nécessaire que l’homme parvienne à y instaurer un ordre, afin de les équilibrer. Pour ce faire, tel que l’explique le pseudo al-‘Āmiri, il faut que l’homme instaure une prééminence de la faculté raisonnable, afin qu’elle soit en mesure de gouverner les deux autres. Si le gouvernement est laissé à l’âme appétitive, l’homme n’est ni libre ni tempérant ; de même, si c’est l’âme irascible qui gouverne, l’homme ne ressent alors que discorde et haine. Or, tout cela est négatif, tant pour lui que pour la cité  [30]. La référence à Platon vient une nouvelle fois appuyer le propos de l’auteur :

39

L’homme n’atteint le bonheur que lorsque la partie logique de son âme est victorieuse et commande la fin, quand la partie spirituelle l’aide et que l’appétitive obéit et écoute les deux autres. Nous disons que, quand la rationnelle ordonne aux deux autres, l’homme est victorieux de son essence, libre, bon et vertueux et qu’il se contrôle lui-même. Quand il y a dissension, nous disons qu’il est vaincu par son essence, esclave, malheureux, mauvais et vil  [31]

40Le pseudo al-‘Āmiri expose très clairement les conséquences d’un gouvernement de la partie raisonnable de l’âme sur les deux autres : l’homme est alors libre et vertueux et, de ce fait, heureux.

41Une fois ces deux paradigmes posés, il nous faudrait voir en quoi ils forment les soubassements de la pensée politique sur la cité et l’atteinte du bonheur dont elle est la condition nécessaire. Le concept qui est alors développé est celui de régime (tadbīr) ; il va se déployer selon ces différents paradigmes.

42Comme nous l’avons vu, toute activité humaine est téléologique, tournée vers une fin ; la question est alors de savoir où mène l’action et quelle est sa visée. Or, de la même manière que l’homme va concevoir des stratégies en vue de la santé de son corps et du bien-être de son esprit, il s’agit de penser analogiquement les stratégies réfléchies et rationnelles permettant à la cité d’atteindre la fin qui y est visée ; c’est bien cela que la pensée islamique nomme tadbīr, au sens de rationalités gouvernementales. Ce terme renvoie à l’idée de soin, dans la mesure où il ne désigne pas seulement le fait de gouverner, mais le soin continu que le gouvernant prend de ses gouvernés.

Analogie corps – âme – cité politique : le concept de tadbīr

43Nous venons de l’entrevoir : les réflexions politiques des penseurs musulmans à l’âge classique se sont développées à travers une analogie entre le corps, l’âme et la cité. En effet, l’établissement d’un ordre dans son corps et dans son âme, et donc d’un gouvernement de soi juste et équilibré, permet à chacune des facultés de l’homme d’acquérir sa vertu propre. La faculté appétitive, localisée dans le foie, atteint la tempérance ; la faculté irascible, localisée dans le cœur, atteint quant à elle le courage ; et la faculté rationnelle, localisée dans le cerveau, atteint la sagesse. Ces trois vertus cardinales se rejoignent dans la vertu suprême de justice : justice dans les appétits, justice dans la volonté et justice de l’esprit. C’est par la suite la pratique de ces vertus cardinales qui permet à l’homme de maintenir la faculté rationnelle en place, « entre les poussées contradictoires des âmes irascible et appétitive  [32] ».

44Cette théorie de la tripartition du corps et de l’âme est appliquée telle quelle au politique, et ce afin que la cité atteigne sa vertu ultime, la justice, garantie d’harmonie et de bonheur. La Cité est alors envisagée comme corps politique et il s’agit d’y instaurer le juste régime politique. Le régime (tadbīr) est ici l’ordonnancement des actions en vue d’une fin visée ; de la même manière que l’on parle de régime alimentaire en vue de la conservation de la santé ou de régime des vertus pour atteindre la bonne conduite de l’âme, le régime politique est ce qui donnera naissance à la cité vertueuse, elle-même moyen de la fin ultime de l’existence humaine : le bonheur.

45La cité doit pour cela être gouvernée par l’idéal de justice qui s’applique de manière mathématique : aux trois organes du corps et aux trois qualités de l’âme correspondent trois classes de citoyens. Les producteurs fourniront à la cité ce dont elle a besoin pour vivre, les gardiens lui garantiront la sécurité et la paix et les gouvernants instaureront un ordre entre ces trois classes, permettant à chaque individu de trouver sa place dans cette cité de manière juste, en fonction de son caractère, de ses facultés et de son éducation.

46La théorie de la division de l’âme humaine en trois facultés rejoint ici la théorie platonicienne des vertus de la cité  [33] : la cité excellente sera sage, courageuse, modérée et juste, regroupant ainsi les trois vertus des facultés de l’âme et la vertu cardinale de justice. Le raisonnement par analogie s’opère précisément sur cette base : pour être vertueuse, atteindre sa perfection et son achèvement, la cité doit être construite sur le même modèle tripartite que le corps et l’âme, modèle dans lequel il faut instaurer un équilibre, comme pour les deux autres organismes. De la même manière que le cœur – organe le plus noble – gouverne le corps et que la faculté rationnelle – faculté la plus excellente – gouverne l’âme, la cité doit être gouvernée par la fonction la plus haute afin de garantir son équilibre et d’assurer sa pérennité. Et, même si Farabi ne rejoint pas Miskawayh ou le pseudo al-‘Āmiri sur la division tripartite déjà évoquée, il n’en reste pas moins qu’il établit lui aussi une analogie entre corps et cité :

47

En effet, la tête, la poitrine, le ventre, le dos, les mains et les pieds, dans leur rapport au corps, sont comme les foyers de la cité dans leur rapport à la cité. L’action de chacun des organes importants est différente de l’action d’un autre, et les parties de chacun de ses organes s’entraident, par leurs différentes actions, pour parfaire le dessein […] du corps dans son ensemble  [34].

48L’art politique interviendra sur les âmes des citoyens de la cité, quand leurs conduites éloigneront la cité de sa perfection – de la même manière que le médecin intervient sur le corps quand apparaissent les symptômes d’une maladie éloignant le corps de sa perfection. Ainsi, Farabi peut énoncer :

49

De même que la santé du corps est l’équilibre de ses tempéraments et sa maladie la déviation de cet équilibre, de même la santé et la droiture de la cité sont l’équilibre des mœurs de ses habitants et la maladie, la disparité trouvée dans leurs mœurs. Quand le corps dévie de l’équilibre de ses tempéraments, c’est le médecin qui le ramène à l’équilibre et l’y maintient. De même, quand la cité, concernant les mœurs de ses habitants, dévie de l’équilibre, c’est le politique qui la ramène à la droiture et l’y maintient. Ainsi le politique et le médecin ont en commun leurs actions et diffèrent quant aux sujets de leurs arts, le sujet du premier étant l’âme, celui du second le corps  [35].

50Les rôles du médecin et du chef de la cité sont mis en parallèle, ils sont tous deux le praticien qui va être en mesure d’instaurer un équilibre dans le corps dont ils ont la charge. Nous sommes ici en présence d’une vision purement scientifique, et non idéaliste, de l’art politique. L’activité politique est celle visant à atteindre sa fin par une réflexion rationnelle qui se déploie en deux aspects : noétique – c’est l’âme qui va gouverner le corps pour que l’individu soit en mesure de se gouverner lui-même, condition nécessaire au gouvernement d’autrui – et biologique, par le paradigme médical que nous venons d’évoquer. Dans cette optique, l’analogie peut s’établir entre les trois corps, physique, spirituel et politique dans la mesure où ils sont chacun gouvernés par un organe qui y endosse un rôle directif. Chacun de ces corps oriente son activité vers un telos, la santé pour le corps physique, le bien-être pour le corps spirituel et le bonheur pour le corps politique.

Vie de la cité : mise en pratique de l’analogie

51La voie de l’organisation et du bon ordre de la cité est de donner à chaque classe de citoyens ce qui convient. L’essentiel est que chacun soit formé dans ce qui lui est inné, et il convient d’éviter ce qui n’est pas en lui de nature. Le point de départ est le principe platonicien : la vertu est l’excellence dans sa fonction propre  [36]. Les instances de gouvernement, organisatrices de la vie de la cité, devront interroger la fonction (ergon) propre de chaque individu ainsi que sa capacité (dunamis) à accomplir cette fonction ; car c’est uniquement dans la mesure où les fonctions propres et capacités de chacun seront respectées que le bon ordre pourra régner. Chaque citoyen doit s’individualiser dans un seul métier, s’y attacher et ne pas en changer. En rejoignant le principe platonicien, Farabi déclare donc qu’il doit être confié à chaque habitant de la cité un seul art, auquel il se consacrera soit dans le rang de la servitude, soit dans le rang de la souveraineté, sans jamais outrepasser ce rang  [37]. C’est en effet à l’intérieur de ces deux rangs que nous retrouvons les trois classes de la cité ayant chacune une fonction propre. La vie des citoyens de chaque classe est réglementée, selon la fonction de cette classe et le naturel de ses membres.

52La première des classes est celle des producteurs. Cette classe, loin d’être dévalorisée, est d’une importance capitale puisque c’est elle qui assure la subsistance matérielle de la cité, en fournissant aux autres citoyens tout le nécessaire : nourriture, boissons, habitations, vêtements, etc. La fonction des producteurs est vitale et ils doivent s’y adonner sans restriction ; pour cela ils ne doivent pas vivre dans l’opulence, laquelle les porterait vers l’abandon de leur ouvrage, ni dans la pauvreté qui les couperait de l’excellence du travail par leur difficulté propre à acquérir ce dont ils ont besoin pour l’accomplir correctement. Voilà comment cette classe s’apparente au foie dans le corps humain et à la faculté appétitive de l’âme humaine ; et, de ce fait, elle est subordonnée aux deux autres.

53La deuxième classe est celle des gardiens, qui ont une fonction triple à en croire le pseudo al-‘Āmiri : « Il faut que les gardiens sachent qu’ils gardent la cité des ennemis extérieurs à elle, qu’ils la gardent des maux qui sont en elle, et qu’ils en gardent également les lois  [38]. » Ils sont donc protecteurs de la cité sous trois aspects, extérieur, intérieur et légal. La classe des gardiens s’apparente au cœur dans le corps et à la faculté irascible de l’âme. À cet égard, les gardiens représentent la vertu de courage, placée dans le cœur. Ils ne sont pas pour autant l’organe dirigeant premier de la cité, comme le cœur l’est dans la théorie cardio-centriste. En tant que gardiens de la cité, ils sont eux-mêmes subordonnés à la troisième et dernière classe, celle des dirigeants, associée au cerveau et la faculté rationnelle. Cette troisième classe est celle sur laquelle se concentre la majeure partie des réflexions des philosophes musulmans, la thématique du gouvernant vertueux ayant donné lieu à une littérature importante  [39].

54Cette classe de gouvernants se divise à son tour en deux : d’une part le prince, gouvernant premier, chef ultime de la cité ; et, d’autre part, les savants, gens de la sagesse, qui gravitent autour du pouvoir et le conseillent. C’est cette classe, et principalement son chef, qui va être en mesure de déterminer la nature et la fonction de chaque citoyen puisqu’elle possède les connaissances nécessaires à cette répartition. C’est ici que l’on retrouve l’idée de la science politique comme art ou teknè. En effet, le gouvernant suprême et ses conseillers doivent posséder une somme de savoirs considérable, concernant la nature humaine, les différents caractères et tempéraments de l’âme, les règles de bonne conduite morale, les arts de gouverner – faire ou éviter la guerre, faire prospérer la cité, conduire les citoyens sur le droit chemin en termes de mœurs, etc. Le gouvernant doit être ainsi juste, savant, vertueux et bienveillant envers ses sujets.

55

[Le gouvernant], dit Anūširwān, doit se distinguer par la vertu ; [il doit] avoir une intelligence authentique et disposer de vivacité d’esprit ; l’adversité ne doit pas le déconcerter […]. Il ne doit pas précipiter une affaire avant que son heure ne soit venue, ni la retarder après son heure ; Il doit connaître la loi, être éclairé dans les conduites politiques, apprécié des gouvernés, impénétrable quant à sa véritable manière de penser ; il doit user de patience dans la réflexion, connaître les affaires qui vont et qui viennent […], et être savant dans les catégories d’individus, leurs rangs et leurs situations  [40]

56Cette idée apparait dans la pensée musulmane derechef au travers de l’influence platonicienne. La République, on s’en souvient, envisage la politique quant à son usage : le philosophe-roi gouverne une cité à l’intérieur de laquelle il rend les citoyens savants et vertueux, en les contraignant à n’accomplir que leur fonction propre. La politique est une technique  [41] (teknè) et le philosophe est celui qui en use le mieux. Elle n’est plus seulement une compétence savante, elle devient la pièce maîtresse du rassemblement de toutes les techniques dans la cité et elle est alors épitactique, car elle s’exerce en vue de l’action. La politique est même la seule science qui produit son objet – la cité – et son usage – elle la gouverne. Vu sous cet angle, le gouvernant est alors l’artisan politique par excellence, celui qui rassemble des éléments distincts pour produire une unité. Selon Miskawayh :

57

[Le gouvernant a] le devoir d’orienter chacun vers le bonheur qui lui est propre. Dans l’intérêt et la sollicitude qu’il porte à ses administrés, il aura ainsi à faire deux parts : d’un côté, il visera à les bien orienter et diriger au moyen des sciences discursives ; de l’autre, à les orienter vers les métiers et les travaux concrets  [42].

58De plus, le gouvernant est celui qui est en mesure de pratiquer un triple gouvernement. Le pseudo al-‘Āmiri explique ce point en se référant encore une fois à Porphyre, qui aurait déclaré que celui qui mérite de gouverner est celui qui est d’abord capable de mener ses propres affaires, celles de son foyer selon la bonne manière  [43]. Il ajoute que l’artiste véritable est celui qui est en mesure d’élever son art au plus haut degré de perfection, et le gouvernant doit s’efforcer de faire de même dans son art propre.

59La division tripartite que nous venons d’expliciter sommairement révèle maintenant sa grande importance : elle est garante de la bonne marche de la cité, elle doit donc être respectée et tout doit être fait pour qu’elle perdure. Cette division permet de construire la cité sur la base du naturel des citoyens ; et la politique est une science productrice, non pas d’une normativité imposée aux citoyens, allant à l’encontre de leur bonheur, mais d’un ordre respectant l’individu dans sa particularité et garantissant l’harmonie dans la cité. La cité est ainsi un ensemble, l’unité d’une multiplicité hétérogène ; et c’est une telle unité en tant que fin qui donne à la politique sa fonction.

L’énigme du bonheur politique

60La lutte à laquelle se livrent les puissances de l’âme à l’intérieur de l’individu et sa résolution par un gouvernement de la faculté rationnelle sur les deux autres dépendent de trois choses : le tempérament, que l’on peut réguler par un bon rapport au corps et une bonne hygiène de vie ; les habitudes, qui rentrent également dans ce champ du mode de vie sain et équilibré ; et enfin l’éducation. C’est cette dernière qui permet à l’homme d’obtenir la victoire sur lui-même, comme le souligne le pseudo al-‘Āmiri  [44].

61Par ces trois dispositifs, l’individu instaure en lui-même ce que l’on peut nommer un gouvernement de soi. Si chaque individu se gouverne lui-même, il peut alors atteindre sa perfection propre et trouver sa juste place dans la cité, organisée comme un tout. C’est bien de ce gouvernement que découle le gouvernement vertueux de la cité. Le gouvernant premier devient de la sorte indissociable d’un tel gouvernement de soi : celui-ci se présente comme condition nécessaire au gouvernement d’autrui.

62Le bonheur politique, acquis par l’homme par et dans l’association avec ses semblables dans la cité, n’exclut ainsi pas le bonheur individuel. Au contraire, c’est seulement à l’intérieur de la cité que chaque individu atteindra son bonheur particulier. On voit comment la soumission au double gouvernement de soi et du chef de la cité conduit l’individu au bonheur, en lui permettant de s’éclore selon sa nature propre sous le régime de la cité, de s’y inclure selon sa juste place et ainsi de participer au bon ordre citoyen, tout en accédant à son bonheur individuel.

63Lorsque Farabi parle du bonheur politique, il est certes sous l’influence du concept aristotélicien de l’être humain, cet animal politique (Politiques, 1253a2). Par sa définition, cet être a besoin de l’aide de ses concitoyens dans une cité vertueuse, gouvernée par celui qui possède les capacités et connaissances nécessaires pour guider cette cité vers sa perfection. Si l’État, au sens de la politeia, est nécessaire, c’est donc pour obtenir la vertu et atteindre le bonheur. Dès lors, la cité s’impose comme cadre de perfectionnement de la nature humaine : sans vie en cité, il n’y aura pas d’épanouissement de soi possible. Il faudrait convenir qu’en fin de compte toute la théorie du bonheur politique développée par les penseurs musulmans à l’âge classique est soutenue par une analogie ultime : analogie entre la siyāsat an-nafs (gouvernement de l’âme) et la siyāsat al-madina (gouvernement de la cité). La cité est pensée comme un tout, une association d’organes qui doivent vivre en adéquation les uns avec les autres en vue d’une unité qui amènera équilibre et force. L’intérêt particulier n’y a pas de réelle importance, puisque l’intérêt qui prime est celui du tout, et chaque membre de ce tout doit laisser de côté son intérêt propre pour que le tout fonctionne. Cependant, il ne faut pas y voir une annihilation de l’individu, puisque la fin du tout, en tant qu’association civile, est le bonheur de tout un chacun. Le particulier s’affirme ici à travers le général, et le bonheur de l’individu ne se dissout pas dans le bonheur du tout, mais il y trouve son existence. Si la cité, cette association créée pour le bien de l’homme, doit atteindre son excellence, c’est afin de réaliser le but pour lequel elle a été créée. La science politique est ici l’art qui permettra à la cité d’atteindre cette excellence propre et donc la fin ultime de son existence : le bonheur.


Mots-clés éditeurs : Pseudo al-‘Āmiri, Âme, Farabi, Fin, Miskawayh, Bonheur, Politique, Cité

Mise en ligne 13/11/2019

https://doi.org/10.3917/aphi.824.0701

Notes

  • [1]
    En effet, une désintrication des sphères philosophiques et théologiques prend forme à cette époque et dans ces sphères de réflexions. Sur ce point, on pourra notamment voir Makram ABBÈS, « Essai sur les arts de gouverner en Islām » dans AL-MĀWARDĪ, De l’éthique du prince et du gouvernement de l’État, Paris, Les Belles Lettres, 2015, particulièrement le chapitre II « Renouer avec les expériences séculières de l’Islām classique », p. 78-105.
  • [2]
    La paternité de ce texte, recueil d’aphorismes éthiques et politiques de diverses provenances, n’a à ce jour pas été établie de manière certaine. Alors que depuis longtemps il a été considéré comme une œuvre authentique d’al-‘Āmiri, les recherches plus récentes tendent à remettre en question cette attribution. On pourra regarder les travaux d’Elvira WAKELNIG à ce sujet, notamment A Philosophy Reader from the Circle of Miskawayh, Cambridge, Cambridge University Press, 2014 ; Feder, Tafel and Mensch. Al-‘Āmirīs Kitāb al-Fuṣūl fī l-Ma‘ālim al-ilāhīya und die arabische-Proklos-Rezeption im 10. Jh., Leiden, Brill, 2006.
  • [3]
    La question se pose encore concernant une éventuelle traduction des Politiques en arabe, sans qu’on ait encore des preuves convaincantes allant dans ce sens. Pour l’une des dernières enquêtes en date sur le corpus aristotélicien traduit en arabe, voir Cristina D’ANCONA, « Greek Sources in Arabic and Islamic Philosophy », The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Winter 2017 Edition), Edward N. Zalta (ed.) [URL: https://plato.stanford.edu/archives/win2017/entries/arabic-islamic-greek/].
  • [4]
    Encyclopédie de l’Islam, version fr. de la 2e édition d’Encyclopedia of Islam, P.J. Bearman, Th. Bianquis, C.E. Bosworth, E. van Donzel et W.P. Heinrichs eds. [11954], 2005.
  • [5]
    Aḥmad b. Muḥammad b. Ya’qūb MISKAWAYH, Traité d’éthique (Tahḏīb al-Aẖlāq wa ṭathīr al-A‘rāq), III, 3, tr. fr. M. Arkoun, Paris, Vrin, 2010, p. 135.
  • [6]
    Cette référence à Porphyre viendrait d’un commentaire perdu de l’Éthique à Nicomaque, référencé dans Ibn AL-NADĪM, Kitāb al-Firhist, Gustav Flügel éd., Leipzig, F.C.W. Vogel, 1871, p. 252. Nous ne connaissons d’ailleurs l’existence de ce commentaire que par des sources arabes. Voir A. A. GHORAB, « The Greek Commentators on Aristotle quoted in al-‘Amiri’s ‘as-Sa‘āda wa’l-Is‘ād », Islamic Philosophy and the Classical Tradition. Essays presented by his friends and pupils to Richard Walzer on his seventieth birthday, Samuel M. Stern, Albert Hourani, Vivian Brown éd., Columbia, University of South Carolina Press, 1973, p. 79 ; Joel L. KRAEMER, Humanism in the Renaissance of Islam. The Cultural Revival during the Buyid Age, Leiden, Brill, 1992, p. 240.
  • [7]
    Abu l-Ḥasan AL-‘ĀMIRĪ, as-Sa‘āda wa-’l-is‘ād fi ’s-sīra al-insānīya, dans as-Sa‘āda wa-’l-is‘ād (On seeking and causing happiness). Written by Abu l-Ḥasan Al-‘Āmirī of Nēshābūr (992 A.D.) Mojtaba Minovi éd., Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, 1957-1958, fol. 5.
  • [8]
    Ibid., fol. 6.
  • [9]
    Abu Nasr Muḥammad AL-FĀRĀBĪ, Aphorismes choisis (Fuṣūl muntaza‘a), tr. fr. G. Dye et S. Mestiri, Paris, Fayard, 2003, p. 64-65, où il expose cette idée en l’imputant à Socrate, Platon et Aristote. Al-Farabi fait également allusion à ces deux formes de bonheur dès les premières lignes de son traité De l’Obtention du bonheur (Tahsīl al-sa‘āda).
  • [10]
    AL-FĀRĀBĪ, Livre du régime politique (Kitāb al-siyāsa al-madaniyya), tr. fr. P. Vallat, Paris, Les Belles Lettres, 2012, p. 6-7.
  • [11]
    AL-FĀRĀBĪ, Opinions des habitants de la cité vertueuse (Arā’ ahl al-madīna al-fāḍila), tr. fr. A. Cherni, Paris, Al-bouraq, 2011, p. 188. Pour plus de développements sur le rôle de l’intellect agent chez Farabi, on verra notamment son Livre du régime politique, op. cit., p. 132-134.
  • [12]
    MISKAWAYH, op. cit., p. 133-134.
  • [13]
    Ibid., p. 133-134.
  • [14]
    ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, tr. fr. J. Tricot, Paris, Vrin, 2012, 1178a 9-14.
  • [15]
    Le terme madaniyya est un adjectif que l’on peut apparenter au terme grec de politikè.
  • [16]
    Pour de plus longs développements sur la falsafa al-madaniyya de Farabi, on pourra se reporter notamment à l’article de Nadja Germann, « Al-Farabi’s philosophy of society and religion », Standford Encyclopedia of Philosophy, 2016 [URL: https://plato.stanford.edu/entries/al-farabi-soc-rel/].
  • [17]
    AL-FĀRĀBĪ, Opinions des habitants de la cité vertueuse, op. cit., p. 214.
  • [18]
    Yanis ESCHOT, « City (philosophical) », in Princeton Encyclopedia of Islamic Political Thought, Princeton University Press, 2012, p. 19.
  • [19]
    AL-FĀRĀBĪ, Aphorismes choisis, op. cit., p. 39.
  • [20]
    Sur cette question de l’humanisme arabe, on pourra notamment voir Mohammed ARKOUN, L’humanisme arabe au IVe/Xe siècle, Paris, Vrin, 1982 (2e éd.) ; Joël L. KRAEMER, op. cit. ; Lenn E. GOODMAN, Islamic Humanism, New York, Oxford University Press, 2003.
  • [21]
    L. GOODMAN, Islamic Humanism, op. cit., p. 27.
  • [22]
    Voir notamment le Pseudo-Aristote, Sirr al-Asrār (Secret des secrets), connu dans le monde latin sous le titre Secretum secretorum. Voir l’édition d’A. Badawi dans Al-Uṣūl al-yūnāniyya li l-naẓariyyāt al-siyāsiyya fi l-islām (Fontes Graecae doctrinarum politicarum Islamicarum), Le Caire, Maṭba‘at dār al-kutub al-miṣriyya, 1954.
  • [23]
    AL-FĀRĀBĪ, Opinions des habitants de la cité vertueuse, op. cit., p. 154 et suiv.
  • [24]
    Concernant la théorie de la santé comme équilibre humoral ou anatomopathologique chez Galien, on se reportera notamment au traité On humours dans GALIEN, On food and diet, trad. anglaise M. Grant, London and New-York, Routledge, 2000, p. 14-18.
  • [25]
    MISKAWAYH, op. cit., p. 75.
  • [26]
    Ibid., p. 45.
  • [27]
    Farabi dénombre les quatre facultés citées et y ajoute l’appétitive comme faculté à part entière dans les Aphorismes choisis (aph. 7 et suiv.), l’appétitive et la raisonnable appartenant respectivement à l’animal et à l’homme ; il n’en énumère que quatre dans les Opinions des habitants de la cité vertueuse (chap. III) : nutritive, sensitive, imaginative et rationnelle. L’appétitive n’est pas évoquée comme appartenant à l’animal mais elle est identifiée chez l’homme en tant qu’une faculté plus « diffuse », appétence présente dans chacune des quatre facultés de l’âme humaine.
  • [28]
    AL-‘ĀMIRI, op. cit., fol. 44-45.
  • [29]
    MISKAWAYH, op. cit., p. 23.
  • [30]
    AL-‘ĀMIRI, op. cit., fol. 16-17.
  • [31]
    Ibid., fol. 17.
  • [32]
    Cf. Mohammed ARKOUN, « La conquête du bonheur selon Abū-l-Ḥasan al-Āmirī », Studia Islamica, XXII, Maisonneuve &Larose,1965, p. 179.
  • [33]
    Chez Platon, voir le livre IV de La République, particulièrement 427d-e, où Socrate et Glaucon, après avoir fondé théoriquement la cité idéale, s’interrogent sur la justice et l’injustice en son sein.
  • [34]
    AL-FĀRĀBĪ, Aphorismes choisis, op. cit., p. 61.
  • [35]
    Ibid., p. 42. Pour une approche générale de ce rapprochement entre le médecin et l’homme politique chez Farabi, on pourra voir la section « Al-Fārābī’s moral and political teaching » de l’article « Ethical and political philosophy » de Charles Butterworth dans Peter Adamson et Richard Taylor (eds.), The Cambridge Companion to Arabic Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 275-280.
  • [36]
    PLATON, La République, tr. G. Leroux, Paris, Flammarion, 2002, 352e-353a.
  • [37]
    AL-FĀRĀBĪ, Aphorismes choisis, op. cit., p. 92.
  • [38]
    AL-‘ĀMIRI, op. cit., fol. 404.
  • [39]
    Il convient de préciser qu’al-‘Āmiri n’énumère pas trois mais quatre classes : celle des dirigeants et des sages, celle des gardiens, celle des kuttāb (scribes) et enfin celle des producteurs. La classe des scribes n’apparait pas chez Platon, même si elle peut être reliée à la première classe. Cet ajout souligne selon nous deux choses : tout d’abord l’importance de cette fonction de kuttāb dans la société musulmane de l’époque, fonction que l’auteur énumère à part comme pour insister sur sa place et son rôle. Puis, cela souligne également les réflexions menées par les penseurs musulmans pour fusionner l’influence grecque avec les spécificités de leur culture islamique.
  • [40]
    AL-‘ĀMIRI, op. cit., fol. 425-426.
  • [41]
    PLATON, op. cit., I, 373e-375a.
  • [42]
    MISKAWAYH, op. cit., p. 117.
  • [43]
    AL-‘ĀMIRI, op. cit., fol. 192.
  • [44]
    Ibid., fol. 354.
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