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Article de revue

Bayle et Hume devant l’athéisme

Pages 749 à 774

Notes

  • [1]
    Cf. P. BAYLE, OD, III, 932 (RQP, III, § 13).
  • [2]
    Pierre BAYLE, DHC, « Chrysippe », rem. F (entre les notes 41-42).
  • [3]
    Pierre BAYLE, OD, III, 932 (RQP, III, § 13).
  • [4]
    Cf. Pierre BAYLE, ibid. : « s’ils sont sceptiques, ils continuent à examiner dans l’espérance de trouver enfin quelque certitude ; mais s’ils sont acataleptiques, ils cessent de chercher, ils se persuadent que la question est impénétrable, et fort au-dessus de leur esprit, et ils se fixent dans le doute ». Dans cet article nous considérerons ces deux variantes sous l’étiquette unique de l’« athéisme sceptique ».
  • [5]
    Cf. Ralph CUDWORTH, The True Intellectual System of the Universe, London 1678, p. 134-135 et passim. Selon Cudworth, les quatre formes d’athéisme correspondent aux doctrines, respectivement, de Démocrite (et de Hobbes à l’âge moderne), d’Anaximandre, de Straton (et de Spinoza à l’âge moderne) et des Stoïciens.
  • [6]
    Cf. David HUME, Early Memoranda, in Ernest C. Mossner, « Hume’s Early Memoranda, 1729-1740 : The Complete Text », Journal of the History of Ideas, 9/4, 1948, p. 492-518 (p. 503, n. 40).
  • [7]
    David HUME, Dialogues sur la religion naturelle, éd. M. Malherbe [dorénavant : Dialogues], Paris, Vrin, 2005, 1ère partie, p. 105 (= édition Kemp Smith [dorénavant KS] p. 139).
  • [8]
    Cf. David HUME, Enquête sur l’entendement humain, dans ID., Essais et traités sur plusieurs sujets, éd. M. Malherbe, Paris, Vrin, 2006, p. 173 (= Enquiry concerning Human Understanding, éd. Selby-Bigge/Nidditch [dorénavant SBN] 149).
  • [9]
    Sur les rapports entre ces différentes formes de scepticisme selon Hume, voir l’article d’Emilio MAZZA (que je remercie également pour son aide amicale à l’égard du présent article) : « Riso scettico. Profondità e utilità dello scetticismo nella Enquiry concerning Human Understanding di Hume », Studi settecenteschi, 19, 1999, p. 55-108.
  • [10]
    D. Hume à M. Ramsay, mars 1732, in The Letters of David Hume, ed. G.Y.T. Greig, Oxford 1932, vol. I, p. 12.
  • [11]
    D. Hume à G. Elliot of Minto, 10 mars 1751, ibid., vol. I, p. 153-154. Nous reviendrons sur cette lettre de 1751.
  • [12]
    La datation de ces notes est très controversée. Michael A. STEWART, « The dating of Hume’s manuscripts », in Paul B. Wood éd., The Scottish Enlightenment: Essays in Reinterpretation, University of Rochester, 2000, p. 267-314, les place autour de l’année 1740. Cependant, au vu de leur contenu, elles pourraient être bien antérieures : voir Emilio MAZZA, Gianluca MORI, « ‘Loose Bits of Paper’ and ‘Uncorrect Thoughts’ : Hume’s Memoranda in Context », à paraître dans Hume Studies, 42, 2016.
  • [13]
    13. Voir Lothar KREIMENDHAL, « Bayles Bedeutung für den jungen Hume. Die Quelle der Reflexionen zur Philosophie in Humes Early Memoranda », Archiv für Geschichte der Philosophie, 84, 2002, p. 64-83 ; Gianni PAGANINI, « Hume, Bayle et les Dialogues concerning natural religion, in Pierre Bayle dans la République des Lettres. Philosophie, religion, critique, éd. A. McKenna et G. Paganini, Paris, H. Champion, 2004, p. 527-567.
  • [14]
    Voir éd. Mossner, p. 501, n. 12. Cf. P. BAYLE, Dict., « Thalès », remarque D.
  • [15]
    Voir cependant D. Hume to W. Mure of Caldwell, 1743 : « you know (or ought to know) that Plato says there are three kinds of Atheists. The first who deny a deity, the second who deny his Providence, the third who assert, that he is influenc’d by Prayers or Sacrifices », in New Letters of David Hume, éd. R. Klibansky et E.C. Mossner, Oxford 1954, p. 11. La source de Hume est ici un autre passage de Bayle : « Vous savez que Platon comptait trois espèces d’impiété, dont la premiere est de nier qu’il y ait des Dieux, la seconde de nier leur Providence ; la troisième de s’imaginer qu’on les apaise facilement par des sacrifices, et par des prières » (OD III, 949 – RQP III, § 18).
  • [16]
    Voir David HUME, Histoire naturelle de la religion, éd. M. Malherbe, Paris, Vrin, 1980, p. 56 (éd. Beauchamp [dorénavant : BEA], p. 47).
  • [17]
    D. HUME, Early Memoranda, éd. Mossner, p. 502, n. 35. Cf. FÉNELON, Œuvres philosophiques, Paris, J. Estienne, 1718, p. 370-396 : « [marg. Première preuve de l’existence de Dieu] Un être qui est par lui-même est au suprême degré d’être, et par conséquent infiniment parfait dans son essence […] ; [marg. Seconde preuve] Nous avons l’idée de l’infini et c’est un Etre infini qui peut seul nous la donner […] [marg. Troisième preuve] L’idée d’un Etre infiniment parfait […] renferme clairement l’existence actuelle ».
  • [18]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 213, 215 – CPD § 20) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 16).
  • [19]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 342b – CPD § 111) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 16).
  • [20]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 334 – CPD § 106) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 15).
  • [21]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 334 – CPD § 106) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 15).
  • [22]
    Cf. par exemple P. BAYLE, OD III, 675b (RQP II, ch. 89) où il affirme explicitement que le « sentiment » de Descartes sur la création divine des vérités éternelles « pourrait être de quelque usage dans quelques rencontres, mais il est combattu par tant de raisons, et sujet à des conséquences si fâcheuses, qu’il n’y a guère d’extrémités qu’il ne vaille mieux subir que de se jeter dans celle-là ».
  • [23]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 334 – CPD § 106) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 14).
  • [24]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 801a et 662a – RQP II, § 146 et 81) et D. HUME (Early Memoranda, p. 502, n. 23).
  • [25]
    Sur ce passage, cf. Michael A. STEWART, « Hume’s intellectual development », in Marina Frasca-Spada & Peter J. E. Kail éds., Impressions of Hume, Oxford, Oxford UP, 2005, p. 11-58 (p. 35).
  • [26]
    D. Hume à G. Elliot of Minto, 10 mars 1751, Letters, vol. I, p. 153-154 : « it is not long ago that I burned an old manuscript book, wrote before I was twenty, which contained, page after page, the gradual progress of my thoughts on that head. It begun with an anxious search after arguments to confirm the common opinion ; doubts stole in, dissipated, returned, were again dissipated, returned again, and it was a perpetual struggle of a restless imagination against inclination, perhaps against reason ».
  • [27]
    Ajoutons que de nouveaux détails sont en train d’émerger concernant la publication des Œuvres diverses en 1725-1731, qui attestent que Hume était dès 1725-1726 très proche des promoteurs de cette édition – qu’il utilisa certainement pour les Early Memoranda. Il s’agit du professeur d’Edinburgh Charles Mackie et du libraire de La Haye Thomas Johnson. Ce dernier avait déjà publié l’Adeisidaemon de Toland, le Scheme of Literal Prophecy de Collins et le fameux Esprit de Spinosa, ou Traité des trois imposteurs (en collaboration avec Charles Le Vier, autre libraire de La Haye qui participe également à la publication des Œuvres diverses de Bayle). Pour plus de détails voir notre article à paraître cité note 12. Pour un premier aperçu, voir Esther MIJERS, “News from the Republic of Letters”: Scottish Students, Charles Mackie and the United Provinces, 1650–1750, Leiden, Brill, 2013, p. 154-155.
  • [28]
    Notons que Philon partage parfois les croyants en monothéistes et polythéistes, ce qui donne lieu à trois partis différents : « Scepticism, Polytheism, and Theism » (Dialogues, p. 206 – KS 175).
  • [29]
    Voir ci-dessus, note 16.
  • [30]
    À Elliot of Minto, 10 March 1751, Letters, vol. 1, p. 155 : « Critias was a profest atheist, and Ariston an Epicurean, which is little or nothing different ».
  • [31]
    Voir D. HUME, Histoire naturelle de la religion : « the creed of these philosophers [Marcus Aurelius, Plutarch, and some other Stoics and Academics] may justly be said to exclude a deity, and to leave only angels and fairies » (éd. Malherbe, p. 58 – BEA 48).
  • [32]
    Voir D. HUME, Dialogues, p. 162 (KS 160).
  • [33]
    Voir D. HUME, Traité de la nature humaine, livre I, pt. 4, § 5 (Treatise of Human Nature, éd. Selby-Bigge/Nidditch, p. 240-241).
  • [34]
    Cf. Early Memoranda, p. 499, n. 4 (« A Proof that natural philosophy has no truth in it, is, that it has only succeeded in things remote, as he the heavenly bodys, or minute as light ») avec Dialogues, p. 99 (KS 136) : « the most abstruse and remote objects are those, which are best explained by philosophy. Light is in reality anatomized. The true system of the heavenly bodies is discovered and ascertained. But the nourishment of bodies by food is still an inexplicable mystery ».
  • [35]
    Cf. Early Memoranda, p. 503, note 17.
  • [36]
    Dialogues, p. 112 (KS 142).
  • [37]
    Cf. Dialogues, p. 246 (KS 190) et Bayle, OD III, 342b (CPD § 111) : « Franchement je vous déclare que je me fie plus à cela qu’à la raison à priori que l’on tire de ce que toute limitation doit être causée par un agent extérieur. Cette raison doit être obscure puis qu’elle n’a rien produit sur aucun ancien Philosophe. Ils ont tous crû que les défauts de la matière n’empêchaient pas qu’elle n’existât indépendamment de toute cause. Quelques Chrétiens le croient aussi ».
  • [38]
    Ralph CUDWORTH, The True Intellectual System of the Universe, London, R. Royston, 1678, p. 194.
  • [39]
    Cf. D. HUME, Dialogues, p. 250 (KS 191) : « And instead of admiring the order of natural beings, may it not happen, that, could we penetrate into the intimate nature of bodies, we should clearly see why it was absolutely impossible, they could ever admit of any other disposition ? So dangerous is it to introduce this idea of necessity into the present question! and so naturally does it afford an inference directly opposite to the religious hypothesis! »
  • [40]
    Dans cette lettre, Hume affirme que, bien que le « sentiment » soit très important en morale, il n’a aucune chance d’être employé en métaphysique contre des raisonnements (D. HUME, Letters, I, p. 151).
  • [41]
    Nous citons à partir du manuscrit autographe des Dialogues, Edinburgh, National Library of Scotland, ms. 23162, p. 38. Ce passage est barré dans le manuscrit et omis dans la version imprimée : « Your answer may, perhaps, be good, said Philo, upon your principles, that the religious system can be prov’d by experience, and by experience alone, [en interligne] or that the Deity arose from some external cause . But these [rayé : this] [rayé : system], you know, will be adopted by very few. And as to all those, who reason upon other Principles, and yet deny the mysterious Simplicity of the divine Nature, my objection still remains good ».
  • [42]
    Cf. Dialogues, p. 220 – KS 180 : « I may, with better authority, use the same freedom to push farther your hypothesis, and infer a divine generation or theogony from his principle of reason ».
  • [43]
    Pour une interprétation différente, voir Todd RYAN, « Bayle and the Regress Argument in Hume’s Dialogues », Libertinage et Philosophie à l’époque classique (XVIe-XVIIIe siècle), 14 (2017), p. 161-188. Ryan soutient que la « rétorsion » baylienne de Philon ne concernerait que « a small group of theologians such as Scotus » (p. 171). Cependant, Philon soutient exactement le contraire, c’est-à-dire que seuls un très petit nombre de théologiens pourraient échapper à son argument (cf. ci-dessus, note 41 : « these opinions will be adopted by very few »). Ces very few sont (1) ceux qui optent comme Cléanthe pour une théologie entièrement a posteriori, ou (2) ceux qui croient que la divinité est née de quelque cause extérieure inconnue. Ce dernier cas constitue une allusion évidente aux théogonies anciennes (cf. Dialogues, p. 206 – KS 175 : « 30,000 deities, who arose from the unknown powers of nature ») et fait comprendre que la concession de Philon est seulement apparente : il veut tout simplement montrer que l’approche de Cléanthe autorise les hypothèses les plus absurdes (cf. ci-dessus, note 34).
  • [44]
    Cf. D. HUME, Traité de la nature humaine, liv. III, pt. 3, § 1 (p. 578 de l’éd. citée) : « [it is] an inviolable maxim in philosophy, that where any particular cause is sufficient for an effect, we ought to rest satisfied with it, and ought not to multiply causes without necessity […] ; Appendix, p. 626 : « Why then look any farther, or multiply suppositions without necessity ? » Passages à comparer avec ce propos de Philon dans les Dialogues, p. 166-8 (KS 161-2) : « How can we satisfy ourselves without going on in infinitum ? […] It were, therefore, wise in us, to limit all our enquiries to the present world, without looking farther ».
  • [45]
    Voir l’éd. Sellier des Pensées, fragment 118, qui n’a été publié qu’au XIXe siècle.
  • [46]
    Cf. D. HUME, Enquête, p. 167 (SBN 142) : « While we argue from the course of nature, and infer a particular intelligent cause, which first bestowed, and still preserves order in the universe, we embrace a principle, which is both uncertain and useless ».
  • [47]
    Cf. Dialogues, p. 166-168 (KS 161-162) : « Why not stop at the material world ? » / « It were better, therefore, never to look beyond the present material world. » / « By supposing [the material world] to contain the principle of its order within itself, we really assert it to be God ; and the sooner we arrive at that divine Being so much the better » / « […] It were, therefore, wise in us, to limit all our enquiries to the present world, without looking farther ».
  • [48]
    C’était la deuxième des Regulae philosophandi : « les effets du même genre doivent toujours être attribués, autant qu’il est possible, à la même cause ». Philon avait déjà mentionné cette règle plus haut : « Like effects prove like causes. This is the experimental argument ; and this, you say too, is the sole theological argument » (Dialogues, p. 176 – KS 165).
  • [49]
    Pour cette distinction (et sa valeur dialectique) cf. OD III, 305b (CPD, § 79).
  • [50]
    Cf. Dialogues, p. 280 (KS 201). « Here, Cleanthes, I find myself at ease in my argument. Here I triumph ».
  • [51]
    Cf. Dialogues, p. 308 (KS 212) : « so long as there is any vice at all in the universe, it will very much puzzle you Anthropomorphites, how to account for it. You must assign a cause for it, without having recourse to the first cause. But as every effect must have a cause, and that cause another ; you must either carry on the progression in infinitum, or rest on that original principle, who is the ultimate cause of all things ».
  • [52]
    Voir P. BAYLE (OD III, 657b – RQP II, § 78) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 20 et Dialogues, p. 290 – KS 206).
  • [53]
    Voir P. BAYLE (OD III, 656a, 658a — RQP II, § 77, § 79) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 19 et Dialogues, p. 290 – KS 206).
  • [54]
    Voir P. BAYLE (OD III 668b – RQP II, § 85) et D. HUME (Early Memoranda, p. 502, n. 26 et Dialogues, p. 282 – KS 203).
  • [55]
    Voir surtout Dialogues, p. 282-286 (KS 203-5).
  • [56]
    Cf. aussi David HUME, Fragment on Evil (ed. M. A Stewart) dans Hume and Hume’s Connexions, éd. M.A. Stewart and J.P. Wright, The Pennsylvania State University Press, 1994, p. 165 : « The fourth objection is not levelled against the intelligence of the deity, but against his moral attributes, which are equally essential to the system of theism » ; Dialogues, p. 272 (KS 199) : « [Cléanthe :] For to what purpose establish the natural attributes of the Deity, while the moral are still doubtful and uncertain ? ». Ces passages permettent de mieux comprendre certaines expressions de Philon dans la partie XII des Dialogues, où ce dernier laisse entrevoir la possibilité d’une pacification théologique fondée sur la conscience du caractère purement « verbal » de la controverse. Une fois abandonnée l’idée chrétienne d’un Dieu infiniment bon, le différend entre athées et théistes ne concernerait que le degré d’intelligence de la cause première. En réalité, ce débouché n’est pas un démenti mais plutôt une possible conséquence du débat, qui amène les théistes à abandonner tour à tour tous les attributs de Dieu (son infinité, sa bonté, sa toute-puissance, son intelligence) en tombant à la fin dans une position tout à fait compatible avec l’athéisme (il y aurait une « analogie lointaine » entre la cause première et l’esprit de l’homme). Il s’agit donc moins d’une rétractation de Philon que d’un compromis dialectique qui n’atteint aucunement les conclusions athées des parties précédentes.
  • [57]
    On retrouve cette même conclusion dans le Fragment on Evil, éd. cit., p. 168 : « Pains and Pleasures seem to be scatter’d indifferently thro life, as Heat and Cold, Moist and Dry are disperst thro the Universe ; & if the one prevails a little above the other, this is what will naturally happen in any mixture of principles, where an exact equality is not expressly intended. On every occasion, Nature seems to employ either ».
  • [58]
    Voir Dialogues, p. 250 (KS 191) : « instead of admiring the order of natural beings, may it not happen, that, could we penetrate into the intimate nature of bodies, we should clearly see why it was absolutely impossible, they could ever admit of any other disposition? »
  • [59]
    Voir D. HUME, Enquête, p. 161-166 (SBN 139).
  • [60]
    Ibid., p. 161-166 (SBN 137-8).
  • [61]
    Selon Hume, on peut croire qu’un auteur est « sincère » lorsqu’il écrit un dialogue, lorsque ses personnages raisonnent sur la base des « principes capitaux de [son] système » (Letters, I, p. 173, [à J. Balfour], 1763).
  • [62]
    Voir les passages cités ci-dessus, notes 7, 8, 60.
  • [63]
    Cf. Dialogues, p. 102 (KS 138).
  • [64]
    Cf. Dialogues, p. 350 (KS 227) : « A person, seasoned with a just sense of the imperfections of natural reason, will fly to revealed truth with the greatest avidity » ; Enquête, p. 180 (SBN 158) : « The sceptical objections to moral evidence […] are either popular or philosophical. The popular objections are derived from the natural weakness of human understanding […] »
  • [65]
    Cf. Dialogues, p. 104, 350 (KS 138-9, 228). Pour ce qui concerne Bayle, voir la note suivante.
  • [66]
    Voir P. BAYLE, Dict., « Pyrrhon », B : « il n’y a donc que la religion qui ait à craindre le pyrrhonisme » ; mais ibid., C : « Il semble donc que ce malheureux état [le doute des pyrrhoniens] est le plus propre de tous à nous convaincre que notre Raison est une voie d’égarement, puisque lorsqu’elle se déploie avec le plus de subtilité, elle nous jette dans un tel abîme. La suite naturelle de cela doit être de renoncer à ce Guide, et d’en demander un meilleur à la Cause de toutes choses. C’est un grand pas vers la Religion Chrétienne… »
  • [67]
    Cf. Dialogues, p. 98 (KS 137) : « These sceptics, therefore, are obliged, in every question, to consider each particular evidence apart, and proportion their assent to the precise degree of evidence, which occurs ».
  • [68]
    Voir Dialogues, p. 206 (KS 175) : « All these systems, then, of Scepticism, Polytheism, and Theism, you must allow, on your principles, to be on a like footing […] » (mais peut-être c’est là une objection ad hominem de Philon contre Cléante) ; Dialogues, p. 238 (KS 186) : « All religious systems, it is confessed, are subject to great and insuperable difficulties […] A total suspense of judgement is here our only reasonable resource ». Ce passage est à comparer avec la conclusion de Philon déjà citée, où il dit que la théorie (athée) d’une nature douée d’un ordre éternel peut « résoudre à la fois toutes les difficultés » (Dialogues, p. 205 – KS 174).
  • [69]
    P. BAYLE, OD III 931 (RQP III, § 13). Cf. aussi Dict., « Pyrrhon », G : la nature étant un « abîme impénétrable […], il nous doit suffire qu’on s’exerce à chercher des hypothèses probables, et à recueillir des expériences ».
  • [70]
    Cf. P. BAYLE, OD III, 328a (CPD, § 103). Cf. aussi Dict., « Acosta », G, à propos d’Uriel Acosta, qui, ayant soumis toutes les religions à la raison, embrassa enfin le déisme : « s’il avait vécu encore six ou sept ans », dit Bayle, il serait parvenu à l’athéisme, « parce que sa misérable raison lui eût fait trouver des difficultés dans l’hypothèse de la providence et du libre arbitre de Dieu ».
  • [71]
    Cette étude a bénéficié d'une subvention du Dipartimento di Studi Umanistici de l’UPO – Università del Piemonte Orientale.
Atheist and Sceptic are almost synonymous
[David HUME, Dialogues sur la religion naturelle]

1) Scepticisme et athéisme

1Y a-t-il une voie sceptique menant à l’athéisme ? La réponse à cette question dépend principalement des définitions qu’on voudra adopter pour ces deux dénominations assez encombrantes qui appartiennent à la pensée occidentale depuis son début (ou presque). Scepticisme et athéisme tendent souvent, sinon toujours à se rapprocher, et quelquefois se fondent dans un mélange inextricable. En se bornant à l’âge moderne, les deux perspectives de Bayle et de Hume sont bien plus proches que ce que l’on croit généralement, et cela vaut aussi bien au niveau strictement terminologique et définitoire qu’à celui des doctrines effectives (ces deux niveaux différents ne sont pas toujours bien distingués alors qu’il est nécessaire de le faire avec soin pour éviter plusieurs malentendus). Cet accord substantiel n’est d’ailleurs pas le fruit d’une simple coïncidence : au contraire, il découle de l’influence constante que Bayle exerça sur Hume, en particulier en ce qui concerne l’athéisme, des Early Memoranda jusqu’aux Dialogues sur la religion naturelle.

2Pour Bayle, le scepticisme est une espèce du genre « athéisme ». Cette position, caractéristique de sa pensée, relève principalement d’une définition de l’athéisme très ample, caractéristique elle aussi de sa pensée. Pour Bayle en effet, on peut nommer « athées » tous ceux qui ne sont pas « persuadés » de l’existence de Dieu (et non pas seulement ceux qui « nient » cette même existence)  [1]. On retrouve déjà cette position dans le Dictionnaire historique et critique, à l’article « Chrysippe », où Bayle remarque que la Religion nécessite une adhésion pleine et inconditionnelle, et qu’elle « ne souffre pas l’esprit Académicien  [2] ». Dans la troisième partie de la Réponse aux questions d’un provincial (1706), Bayle présente les différentes espèces d’athéisme, qu’il divise d’abord en deux branches principales : l’athéisme « négatif » (typique des sauvages qui n’ont pas examiné la question de l’existence d’un être infiniment parfait) et l’athéisme « positif » (qui dépend au contraire d’un examen de cette même question)  [3]. L’athéisme « positif » se divise à son tour entre ceux qui nient explicitement l’existence de Dieu (soit qu’ils la croient moins probable que son inexistence, soit qu’ils croient pouvoir démontrer sa fausseté) et ceux qui demeurent « en suspens », sans prendre parti. Cette sous-espèce se divise à son tour entre les deux factions des athées « sceptiques » ou « acataleptiques  [4] ». Malgré sa lourdeur baroque, ce schéma permet de comprendre exactement le point de vue de son auteur : si la religion ne peut subsister sans la croyance, il suffit de ne pas croire pour être « athée » dans toute la force du terme.

3Hume, quant à lui, ne propose pas de définition précise de l’athéisme : il se borne à en décrire la phénoménologie à travers ses écrits. Dans les Early Memoranda, il ajoute aux quatre formes d’athéisme identifiées par Cudworth (l’athéisme atomiste, l’athéisme hylopatien, l’athéisme hylozoïste, l’athéisme cosmoplastique)  [5] trois autres variantes historiques, parmi lesquelles on trouve précisément l’« athéisme pyrrhonien ou sceptique » et l’« athéisme métaphysique » (l’athéisme « chimique, ou anaxagorien », est la dernière forme mentionnée par Hume)  [6]. Bien entendu, ces variantes de l’athéisme ont des statuts différents : deux concernent l’aspect épistémologique de la question et le degré de certitude de l’athée (c’est le cas de l’athéisme sceptique et de l’athéisme métaphysique), les autres portent sur le contenu de pensée effectif de la position qu’elles dénotent, au-delà de la négation de l’existence de Dieu.

4Dans les écrits suivants de Hume, il ne sera plus question de cet athéisme « pyrrhonien, ou sceptique » qui apparaît dans ses annotations manuscrites. En revanche, dans les Dialogues sur la religion naturelle, Hume soutiendra que « sceptique et athée sont presque synonymes  [7] », alors que la position qui se trouve dans l’Enquête sur l’entendement humain est encore plus nuancée : « le sceptique est un autre ennemi de la religion » (par rapport aux athées)  [8]. Où trouver le sens de ce presque et de cet autre ? Et quel est le rapport de cet athéisme « presque synonyme » du scepticisme avec l’athéisme « pyrrhonien, ou sceptique » des Early Memoranda et avec les athées « sceptiques » de Bayle ?

5Il faut sans doute rappeler que, pour Hume, le scepticisme n’est pas une doctrine mais une famille de doctrines ou, mieux, d’attitudes épistémologiques et cognitives : la Section XII de l’Enquête sur l’entendement humain analyse ces différentes attitudes  [9]. Il serait peut-être utile de se demander de quel « scepticisme » parmi elles l’athéisme pourrait être « presque synonyme ». En attendant de revenir sur cette question et sur les autres que nous venons de poser, il est nécessaire de parcourir les différents états de la réflexion de Hume autour de l’athéisme et des textes de Bayle qui y font référence. Nous nous bornerons ici aux deux moments décisifs de ce parcours : les Early Memoranda et les Dialogues sur la religion naturelle.

2) Les Early Memoranda

6Bayle est le premier philosophe moderne mentionné par Hume dans sa correspondance (en 1732)  [10] et le problème de l’existence de Dieu est le premier – autant que l’on sache – dont Hume s’occupe en philosophe pendant sa jeunesse  [11]. Il n’est donc pas surprenant de voir que Bayle et l’athéisme sont omniprésents dans ses notes manuscrites, qu’Ernest C. Mossner intitula en 1948 Early Memoranda : des 40 notes philosophiques – rédigées probablement avant ou en même temps que le Traité de la nature humaine  [12] –, 32 sont tirées directement de Bayle et plus de la moitié concernent l’athéisme ou des questions liées à l’athéisme. Or, bien que la présence de Bayle dans ces textes ait été souvent remarquée et à juste titre  [13], son importance en ce qui concerne la question de l’athéisme demeure encore inexplorée.

7Dans les Early Memoranda, Hume considère la question de l’athéisme aussi bien d’un point de vue historique que d’un point de vue strictement philosophique. En suivant l’article « Thalès » du Dictionnaire de Bayle, il en distingue trois degrés différents : (1) la pure et simple négation de Dieu (Diagoras) ; (2) la négation de la providence (Épicure) ; (3) la négation de la liberté de Dieu (Aristote et les stoïciens)  [14]. Cette tripartition ne sera pas reprise dans les écrits publics de Hume  [15], mais elle fait comprendre que, dès le début, il partage avec Bayle une définition très ample de l’athéisme, qui comprend la plupart des philosophes anciens (nous y reviendrons). Quant à la généalogie de la pensée athée, Hume suit fidèlement l’histoire de la philosophie grecque telle qu’elle avait été racontée par Bayle ; une histoire qui commence avec des philosophies sans Dieu comme celles de Thalès, d’Anaximandre et d’Anaximème, en attendant l’arrivée de celui qui fut (malgré ses contradictions) le premier « théiste » de l’Occident, c’est-à-dire Anaxagore. Beaucoup plus tard, dans l’Histoire naturelle de la religion, Hume remarquera qu’avant la naissance des grandes religions monothéistes, la question de l’athéisme n’était pas considérée comme problématique, comme le démontre le fait que ni la position de Thalès ni celle des autres pré-socratiques ne provoqua de scandale à leur époque  [16].

8Mais l’importance des Early Memoranda va bien au-delà de cette rapide revue de l’histoire de la pensée des anciens. Ces annotations manuscrites mettent en effet au jour un aspect dissimulé de l’activité philosophique de Hume : elles suggèrent qu’il possédait dès sa jeunesse une partie considérable des matériaux qui constitueront son argument antithéologique à l’époque des Dialogues sur la religion naturelle. Pour en prendre pleinement conscience, il suffira de relire les Early Memoranda à la lumière de l’antithéologie de Bayle, qui est leur source principale. C’est ainsi que ces notes manuscrites, concises et parfois obscures, pourront livrer leur leçon et, en l’occurrence, une leçon assez indigeste.

9(i) — Le point de départ implicite de Hume – et de Bayle – est constitué par la distinction classique, qui domine toutes les discussions autour des preuves de l’existence de Dieu jusqu’à Kant, entre une approche rationaliste (a priori) et une approche empiriste (a posteriori). Parmi les preuves a priori mentionnées dans les Early Memoranda, on trouve la preuve qui déduit l’existence de l’Être infiniment parfait de celle de l’Être nécessaire (dans la version donnée par Bayle dans la Continuation des pensées diverses), mais aussi la preuve cartésienne de la 5e Méditation (que Hume avait retrouvée dans un texte de Fénelon, où ce dernier exposait également la preuve de la 3e Méditation)  [17]. Quant aux preuves a posteriori, Hume songe surtout à la preuve téléologique tirée de l’« ordre de la nature », qu’il avait de nouveau retrouvée dans la Continuation des pensées diverses de Bayle.

10(ii) — En raisonnant a priori, selon Bayle, on démontre (au maximum) l’existence d’une cause première ; il s’agit du « centre d’unité » de tous les hommes, que les athées acceptent aussi et qui, par conséquent, ne permet pas de les réfuter. Hume reprend cette position de la Continuation des pensées diverses, sans rien y ajouter  [18]. Cependant, selon Bayle, il est impossible de démontrer a priori que cette cause première est infiniment parfaite (à moins de postuler que cet être doit son existence à un être qui le précède, et qui l’a créé à partir d’un modèle antécédent, ce qui est contradictoire). Hume met en exergue ce même passage  [19].

11(iii) — L’insuffisance de la preuve a priori implique que les attributs de la cause première qui marquent la différence entre athéisme et théisme (ou entre leurs différentes sous-familles) et qui sont censés « augmenter » notre connaissance de cette cause, ne peuvent être démontrés qu’a posteriori. Bayle, dans le passage de la Continuation des pensées diverses dont Hume donne un résumé un peu trop concis, parlait d’un « formulaire » qu’il faudrait présenter à tous les protagonistes du débat théologique. Le nombre de ceux qui le signeraient serait alors inversement proportionnel au nombre des attributs qu’on voudrait ajouter à l’essence divine, par exemple :

12

Mais si vous allongiez le formulaire en y ajoutant, Dieu a fait le monde, vous verriez sortir tout aussi-tôt du centre de l’unité quelques sectes de Philosophes, les Atomistes qui ont précédé Épicure, ceux qui l’ont suivi, les Physiciens qui ont précédé Anaxagoras, etc. […] tout sera rempli d’anti-conformistes [Bayle, OD III, p. 213, 215-216 – CPD § 20]
As you augment the propositions you find non-conformists, atheists, Epicureans, idolaters, those who maintain the extension, composition, necessity of the first cause &c. Id. [Hume, Early Memoranda, p. 500, n. 8]

13(iv)— Le premier attribut qu’il faudrait « ajouter » à la pure et simple affirmation de l’existence d’une cause première serait bien entendu l’intelligence : on pourrait dire que la plupart des débats entre théistes et athées au XVIIIe siècle tournent sur ce point. Or, concernant l’intelligence de la première cause, la contre-argumentation de Bayle se fondait entièrement sur l’instrument rhétorique de la « rétorsion ». Instrument foncièrement défensif, qui est censé démontrer que l’adversaire d’une position partage en réalité les mêmes doctrines – et les mêmes difficultés – qu’il voudrait combattre. Hume décrit fidèlement cette position de Bayle  [20].

14Pour le Bayle de la Continuation, comme pour le Hume des Early Memoranda, l’hypothèse théiste ne diffère au fond en rien de l’hypothèse matérialiste, et n’a aucun avantage par rapport à celle-ci, car tous les théologiens admettent que Dieu ne crée pas sa nature et que ses idées sont en lui sans qu’elles aient été produites par un esprit supérieur. En raisonnant sur les mêmes principes, on pourrait supposer que les parties de l’univers ont trouvé leur ordre d’elles-mêmes, sans avoir besoin d’aucun « guide » intelligent. Hume saisit avec exactitude le point culminant de la controverse : c’est là où les « jeunes stratoniciens » portés sur scène par Bayle démontrent que la même difficulté semblant accabler leur système (l’existence d’un ordre non produit par une cause intelligente) accable également le système adverse, dans la mesure où celui-ci admet l’existence d’une « nature de Dieu » finalisée (l’entendement divin avec ses idées constitue en effet une sorte d’ensemble ordonné) sur laquelle Dieu n’a aucun pouvoir et qui donc constitue un ordre primordial mais non créé, voire antérieur à n’importe quelle volonté  [21].

15Selon Bayle, seuls les cartésiens sembleraient échapper à cette « rétorsion », en postulant un pouvoir arbitraire de Dieu sur ses idées ; mais c’est une solution purement illusoire, comme Bayle le précisera dans ses écrits suivants : elle sauve peut-être la liberté de Dieu, mais détruit le savoir humain  [22]. Hume transcrit fidèlement le premier passage de Bayle mais sans mentionner la thèse de Descartes concernant la création des vérités éternelles, qu’il ne prend jamais en considération dans son œuvre (de même que Bayle, il croit sans doute que la solution est ici pire que le problème)  [23].

16(v)— Concernant la bonté de Dieu, l’autre attribut fondamental et indispensable pour pouvoir établir une religion digne de ce nom, les objections de Bayle (ici dans la Réponse aux questions d’un provincial) et de Hume portent inévitablement sur le fait qu’elle n’est pas conciliable avec le mal du monde, entendu surtout comme « mal physique » (la douleur) et « mal moral » (les péchés des hommes). Quant aux tentatives de justifier l’existence du mal, Hume considère surtout les positions des philosophes qui font appel aux lois générales (Malebranche) et de ceux qui misent sur la doctrine de la liberté de l’homme pour exempter Dieu de toute responsabilité (William King – mais c’était la justification classique depuis saint Augustin : Dieu est innocent parce que le péché relève de l’homme). Bayle et Hume semblent croire tous deux que ces tentatives sont bien loin d’aboutir. Dans le premier cas, si Dieu suit les lois générales qui lui sont prescrites par sa sagesse, il s’ensuit qu’il est conduit – dit Hume – par d’autres motifs indépendants de sa bonté, ce qui renforce – comme Bayle l’avait affirmé – le dogme manichéen de deux principes :

17

Les solutions sur l’origine du mal tirées de ce que les suites des loix générales ont amené ceci ou cela, que Dieu ne fait point de miracles continuels, qu’il ne trouble point la simplicité de ses voies, ne peuvent pas correspondre à toute la force de l’argument ad hominem de ceux qui combattent l’unité du premier principe. [Bayle, OD III, 657bRQP II, § 78]
Those, who solve the difficulties concerning the origin of ill by the apology of general laws suppose another motive beside goodness in the creation of the world. [Hume, Early Memoranda, p. 501, n. 20]

18Dans les deux cas, le théiste se trouve confronté au dilemme suivant : soit l’homme dépend de Dieu, qui le crée à chaque instant (et alors il n’est ni libre ni responsable de ses actions – c’est la théorie de la « création continuée » que Hume reprend d’un passage de Bayle contre Jaquelot, cf. Early memoranda, p. 502, n. 30), soit, si l’on suppose que l’homme est libre, Dieu peut le préserver du mal sans limiter sa liberté, en agissant sur les « motifs » qui sont à l’origine de ses choix, comme il le fait avec les anges et les saints. Il est donc impossible de résoudre la question en s’appuyant sur le prétendu libre arbitre des hommes  [24].

19 Enfin, quant au mal physique (la douleur), Bayle a critiqué la solution de Descartes, qui postule l’utilité de la douleur pour la conservation du corps, en remarquant que le même effet aurait pu être obtenu par la simple diminution du plaisir. Hume annote ce passage, en le joignant à un autre où Bayle notait que la douleur n’est pas essentielle à l’homme, comme l’atteste le cas des bienheureux au Paradis :

20

[Les animaux pourraient éviter ce qui leur peut nuire] aussi promptement, aussi sûrement, par le seul attrait des plaisirs, augmentés ou diminués selon certaines proportions ; […] n’admet-on point un état dans le Paradis, où l’homme ne sera sujet à aucun mal ? [Bayle, OD III, 656a, 658a — RQP II, § 77 et 79]
Men might have been determin’d to avoid things harmful & seek the useful by the augmentation & diminution of pleasure as well as by pain. In Heaven men are suppos’d to be lyable to no pain. Baile. [Hume, Early Memoranda, p. 501, n. 19]

21 La conclusion de Hume (et de Bayle) s’impose. Il est impossible de résoudre les difficultés qui accablent la théologie, notamment celle qui naît des « inconvénients » que l’on trouve dans la création. Si l’on suppose que ces inconvénients n’auraient pu être évités (par Dieu) qu’en introduisant d’autres inconvénients encore plus grands (solution de King qui ne sera pas pour déplaire à Leibniz), on tombe dans une pétition de principe inutile et incapable de faire avancer nos connaissances. D’où la remarque finale de Hume : « pas de solution » (no solution).

22

[Titre] Réflexions particulière sur ce que l’on dit, que les inconvénients objectés n’auraient pu être prévenus que par d’autres inconvénients encore plus grands. [Bayle, OD III 668bRQP II, § 85]
The remedy of every inconvenience wou’d become a new one. No solution. [Hume, Early Memoranda, p. 502, n- 26]

23Il est ici légitime de se demander si et quand Hume, après avoir rencontré ces arguments de Bayle, les a refondus dans un schéma antithéologique accompli plus ou moins semblable à celui que nous venons de proposer (et qui correspond en tout à la démarche de Bayle sur ces questions). En 1732, en écrivant à Michael Ramsay, Hume remercie son ami pour son « trouble about Baile » (généralement, on interprète cela comme si Ramsay lui avait procuré le Dictionnaire ou les Œuvres diverses)  [25]. Or il ajoute également qu’il espère que son ami trouvera chez Bayle « diversion and improvement », et cela suggère qu’il savait bien de quoi il parlait. Il est d’ailleurs bien connu que, vers 1729-1730 (« before I was twenty »), Hume avait mis sur papier une série de « doutes » antireligieux, auxquels il n’avait pas été en mesure de répondre de manière convaincante (dans une lettre à Gilbert Elliot of Minto de 1751, il dit avoir brûlé le cahier manuscrit où il avait transcrit ses pensées)  [26]. Malheureusement, les détails qu’il donne à cet égard sont trop minces pour conjecturer quoi que ce soit. Mais il est intéressant de relever qu’il parle de ces « doutes » en même temps qu’il discute avec son correspondant des Dialogues sur la religion naturelle et, en particulier, des arguments de « l’autre part » (the other side – euphémisme pour le parti des incroyants). Hume fait aussi comprendre que le cahier de jeunesse et les Dialogues portent sur le même sujet (« my thoughts on that head »). Or, nous le verrons, les objections du sceptique/athée Philon dans les Dialogues ne seront pas autres que celles que l’on trouve dans les Early Memoranda : il suivra le même parcours et il aboutira aux mêmes conclusions. A-t-on alors le droit de conjecturer que les Early Memoranda – qui trouvent plusieurs de leurs sources dans les objections des jeunes stratoniciens de Bayle – apportent quelques lumières sur les doutes du jeune Hume et sur le manuscrit qu’il dit avoir brûlé ? Il est impossible de l’affirmer catégoriquement dans l’état actuel des connaissances. Mais il est également impossible d’écarter cette possibilité  [27].

3) De Straton à Philon

24Dans la lettre à Elliot que nous venons de citer, où il parle pour la première fois de ses Dialogues sur la religion naturelle, Hume déclare à son correspondant que Cléanthe est « le héros » de cet ouvrage. Cette déclaration a été parfois prise au sérieux, et même récemment il arrive de lire que Cléanthe, à la fin des Dialogues, sort victorieux du débat. Il faudrait rappeler que Gilbert Elliot of Minto était un orthodoxe assez strict, avec très peu de sympathie pour les free-thinkers. Peu après, dans la même lettre, Hume lui propose aimablement de prendre le rôle du même Cléanthe, alors que lui, Hume, prendrait celui du sceptique/athée Philon, rôle qu’il reconnaît adopter « assez naturellement » (naturally enough). Mais peu importe. On notera plutôt qu’à l’époque des Dialogues, Hume n’a pas encore abandonné l’approche générale de Bayle envers la question de l’athéisme.

25Certes, lorsque Cléanthe soutient que scepticisme et athéisme sont « almost synonymous » (KS 139), il pourrait tout simplement imiter la vulgate des apologistes chrétiens, pour lesquels tous les hétérodoxes sont plus ou moins semblables. Il n’en reste pas moins que nulle part dans les Dialogues Hume ne considère d’autres protagonistes possibles du débat sur la nature de Dieu, qui se joue entre les sceptiques/athées (qui forment apparemment un même parti) et les tenants de la religion  [28]. Dans les Dialogues, Hume ne mentionne les déistes qu’une fois, en parlant du Moyen Âge – ce qui est plutôt anachronique (Dialogues, p. 105 – KS 139-40) –, et il n’oppose jamais explicitement la suspension du jugement des sceptiques à l’athéisme comme s’il s’agissait de deux positions différentes sur la question théologique. Le débat se jouera donc autour d’une alternative nette entre le théisme (l’« hypothèse religieuse ») et le scepticisme/athéisme : « le hasard ne trouve aucune place, dans quelque hypothèse que ce soit, sceptique ou religieuse » (Dialogues, p. 205 – KS 174). Le théisme pose l’existence d’une cause première douée de bonté et intelligence infinies, alors que les « sceptiques et les athées » la considèrent comme inconnue et incompréhensible (Dialogues, p. 156 – KS 158). C’est à partir de cette conception de Dieu (et donc, par négation, de l’athéisme) que Hume, en suivant encore une fois Bayle, considère comme athées les pré-socratiques  [29], Épicure  [30], quelques Stoïciens et Académiciens  [31], mais aussi, en général, tous les idolâtres  [32]. Quant aux athées modernes, il n’en est question que dans le Traité de la nature humaine, où Hume évoque le nom de Spinoza  [33]. Ce dernier, en affirmant la simplicité de la substance infinie, nie tous les attributs intellectuels et moraux qui étaient considérés comme essentiels au théisme.

26En rédigeant les Dialogues sur la religion naturelle, Hume s’est servi à plusieurs reprises des Early Memoranda. Le fait est (en partie) connu mais, encore une fois, il faut le considérer dans le cadre d’une stratégie bien plus ample, qui montre l’identité d’intention entre les deux textes, avec quelques exceptions. Les nouveautés les plus importantes des Dialogues, par rapport aux Early Memoranda, sont, d’une part, l’apparition d’une épistémologie empiriste dont il n’y avait aucune trace dans les annotations manuscrites, et, d’autre part, l’irruption du thème du scepticisme, qui y était largement minoritaire (à deux exceptions près : une remarque sur le manque de vérité des sciences de la nature, qui revient telle quelle dans les Dialogues  [34], et une citation d’Épicharme qui se trouve au verso de la dernière page du cahier et qui pourrait avoir été ajoutée après coup)  [35]. En réalité, malgré cette apparition du scepticisme avec toutes ses formes différentes, Hume réfléchit toujours sous l’emprise du schéma antithéologique de Bayle que l’on pouvait déjà retrouver dans les Early Memoranda.

27(i) Dans les Dialogues, tout comme dans les Early Memoranda (et dans la Continuation des pensées diverses), le destin de la « religion naturelle » se joue sur les deux plans différents de ce qui est connu a priori et de ce qui relève d’une enquête a posteriori. Parfois, Hume préfère utiliser l’opposition raison / expérience (Dialogues, p. 163 – KS 160), mais la substance est la même, comme le confirment beaucoup d’autres passages (cf. Dialogues, p. 115-118, 181, 217, 225-226, 241-248, 305 – KS 143-146, 166, 179, 183, 188-193, 211).

28(ii) En ce qui concerne la voie a priori, Hume revient encore une fois (dès la deuxième partie des Dialogues) au « centre d’unité » dont Bayle avait parlé dans la Continuation des pensées diverses, c’est-à-dire à l’existence d’une « cause première » qui existe nécessairement et qui « doit être appelée Dieu » :

29

[…] le plus stupide paysan est convaincu que tout effet a une cause, et qu’un très-grand effet suppose une cause dont la vertu est très-grande […] Il y a une cause premiere, universelle, éternelle, qui existe nécessairement, et qui doit être appelée Dieu. [Bayle, OD III, 213 – CPD § 20]
The Center of Unity of all Men with Relation to Religion is, That there is a first Cause. [Hume, Early Memoranda, p. 500, n. 8]
The former truth, as you well observe, is unquestionable and self-evident. Nothing exists without a cause ; and the original cause of this universe (whatever it be) we call God. [Hume, Dialogues, p. 112 – KS 142]

30C’est le sceptique Philon qui avance (non sans paradoxe) cette proposition, en la considérant comme « immédiatement évidente » (« self-evident »). Quant aux suites de ce dogme, le diagnostic de Philon est celui que Hume, en suivant Bayle, avait déjà fait sien dans les Early Memoranda : si l’existence d’une cause première ne fait pas difficulté, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de préciser quels sont ses attributs. Il est vrai que Philon ajoute qu’il faut donner à cette cause « toutes les perfections », mais l’adverbe qu’il utilise de façon plus ou moins ironique (piously)  [36] fait du moins comprendre que cette conséquence est loin d’avoir une base rationnelle. En effet, la conclusion de Philon est que nous n’avons pas d’idée de Dieu, et donc que ses perfections sont totalement incompréhensibles – c’est la position que Cléanthe attribue aussitôt aux sceptiques et aux athées. Mais ce sera le même Cléanthe qui tirera plus bas la conclusion la plus audacieuse : si les attributs de la cause première qui font la différence entre athéisme et théisme ne sont pas connaissables a priori, on ne peut exclure que la matière ne soit cette cause première, qui existe indépendamment de quoi que ce soit, ce qui nous ramènerait encore une fois à l’athéisme (comme Bayle l’avait remarqué dans le passage de la Continuation des pensées diverses d’où est tirée l’annotation des Early Memoranda concernant la preuve a priori)  [37].

31À cette critique, Hume ajoute cependant un autre argument, qui détruit de fait toute possibilité d’une preuve a priori. C’est l’argument très célèbre de la partie IX des Dialogues, qui annonce la critique par Kant de la preuve ontologique, et qui empêche d’utiliser le principe de contradiction comme critère en faveur de l’existence de quoi que ce soit. Or cet argument porte atteinte à la théologie aussi bien qu’à un athéisme métaphysique fondé sur la nécessité de la substance (comme le spinozisme), car il frappe la possibilité de déduire a priori l’existence d’une cause première : il s’agit en effet ici de la première critique connue du prétendu « lemme préparatoire » de Cudworth  [38], que tous les protagonistes du débat théologique avaient cru jusque-là au-dessus de toute discussion (tous, y compris Philon lorsqu’il affirmait que l’existence d’une cause première serait « immédiatement évidente » [self-evident]). Il s’agit aussi d’une position substantiellement originale, qui va bien au-delà des prises de position de Bayle. Mais c’est une position qui, de fait, ne jouera qu’un rôle secondaire dans l’économie des Dialogues, étant donné que le débat se déroule dès le commencement (Dialogues, p. 114 – KS 141-2), non pas sur l’existence d’une cause première, mais sur les attributs qu’il faut lui accorder.

32(iii) Quoi qu’il en soit, l’aboutissement de la voie a priori est un dilemme qui s’avère être sans issue : soit le concept d’une cause première existant nécessairement n’a aucune signification, soit, si quelque chose existe nécessairement, il est tout à fait légitime de croire qu’il s’agit de la matière, ou en tout cas d’un être soumis à la nécessité, incompatible avec toute forme de théologie (selon Philon, le seul fait de fonder la théologie sur le concept d’un Être nécessaire risque de soumettre à la nécessité toute la nature : conclusion spinoziste qui, par ailleurs, n’est pas pour lui déplaire)  [39]. Dans les deux cas, les espoirs de bâtir une théologie rationnelle, en démontrant que la cause première est intelligente et bienveillante, sont entièrement reportés sur les preuves a posteriori.

33(iv) La seule preuve a posteriori de l’existence de Dieu examinée dans les Dialogues est encore une fois la preuve téléologique, dont il est question d’abord dans les parties II et III, où Cléanthe essaie de l’exposer dans toute sa force, aidé en apparence par Philon, qui profite par ailleurs de l’occasion pour avancer ses premières réserves. Ces sections des Dialogues sont celles où la présence de Bayle est moins évidente (l’article « Simonide » du Dictionnaire pourrait pourtant être la source de l’anecdote célèbre sur ce poète-philosophe, rappelée par Philon : cf. Dialogues, p. 133 – KS 149). Dans la partie III, pour surmonter les difficultés, Cléanthe s’appuie sur un prétendu « argument irrégulier », qui fait appel à l’évidence immédiate, sensible, de l’existence d’une suprême intelligence qui serait la source de l’ordre de la nature. Cependant, comme l’atteste la lettre à Elliot of Minto du 18 février 1751, on ne saurait croire que Hume lui accorde la moindre confiance  [40].

34Mais c’est la quatrième partie qui marque le tournant des Dialogues. On y voit le grand retour sur scène du Straton de la Continuation des pensées diverses. La question que Hume se pose est la même qu’il avait notée dans les Early Memoranda. Il s’agit de savoir si l’ordre de la nature renvoie à un esprit intelligent, à un projet, à un design. La question se dédouble désormais en deux parties, dont l’une serait à nouveau une question a priori : en principe, tout ordre semblerait nécessiter un esprit intelligent (Dialogues, p. 217 – KS 179). Cependant, tout esprit intelligent est lui-même ordonné et donc exigerait un autre esprit intelligent comme sa propre cause, et ainsi, potentiellement, à l’infini. Il ne reste donc qu’à se placer du côté de l’expérience, mais là aussi on arrive à la même impasse, car si ce monde matériel nécessite une cause qui explique son ordre, il en irait de même d’un éventuel monde spirituel dont le premier serait l’effet. C’est ici que le Philon de Hume peut s’inspirer du Straton de Bayle, en paraphrasant le même passage de la Continuation des pensées diverses qui avait été utilisé dans les Early Memoranda :

35

Vous devez donc vous arrêter à cette nature ignée que vous nommez Dieu, et convenir que l’arrangement de ses parties, et leur dégré de mouvement n’a été réglé par une cause qui connut ce qu’elle rangeoit, ce quelle mouvoit […]. Pourquoi voulez-vous que le monde ne soit pas l’ouvrage d’une cause qui agit sans se connoître ? […] Le subtil Scot qui soûtenoit que les attributs de Dieu sont distincts les uns des autres y devoit reconnoître un certain arrangement, dont il ne pouvoit donner d’autre raison que la nature des choses. […] Straton auroit pû faire aux Platoniciens cette question : Est-il vrai que vous admettiez des idées éternelles separées de la substance de Dieu ? Si cela est, vous devez dire ou qu’elles existent d’elles-mêmes, ou que Dieu les a produites comme une copie des idées originales qui ne sont point séparées de sa substance. Si elles existent d’elles-mêmes, voilà des choses qui sans dépendre d’aucune cause doüée de direction, et de vie, ont chacune leurs qualitez propres […] Si elles ne sont que la copie des idées originales unies intimement à la substance de Dieu, la dificulté retombera sur les idées originales ; elles auront chacune leurs propriétez ; il y aura des raports et des subordinations des unes aux autres. [Bayle, OD III, 334-5 – CPD § 106]
The same Question, Why the Parts or Ideas of God had that particular Arrangement ? is as difficult as why the World had [Hume, Early Memoranda, p. 501, n. 15]
To say, that the different ideas, which compose the reason of the Supreme Being, fall into order, of themselves, and by their own nature, is really to talk without any precise meaning. If it has a meaning, I would fain know, why it is not as good sense to say, that the parts of the material world fall into order, of themselves, and by their own nature. Can the one opinion be intelligible, while the other is not so ? [Hume, Dialogues, p. 168 – KS 162]

36Voici donc, encore une fois, la « rétorsion » stratonicienne dans toute sa vigueur : supposer l’existence d’un entendement divin qui, sans avoir été créé par un autre entendement, contient « par sa nature » des idées ordonnées et douées de relations téléologiques, équivaut à soutenir que la matière possède d’elle-même un principe d’ordre, et la première supposition, en principe, n’a aucun avantage sur la deuxième (ce serait plutôt le contraire, nous le verrons bientôt).

37Force est de reconnaître que cette objection n’obtient aucune réponse digne de ce nom dans les Dialogues. Quant à la réplique de Cléanthe, dont Philon avouait peut-être la force dans la première version du texte  [41], elle est aussitôt attaquée par le même Philon dans la version définitive, où ce dernier propose un autre argument ad hominem contre les théologiens empiristes : il est vrai qu’un « naturaliste » n’est pas tenu de donner « la cause de la cause » d’un certain effet (il n’est donc pas tenu, selon Cléanthe, de donner la cause des idées de Dieu), mais aucun « naturaliste » n’acceptera jamais comme « explication » d’un effet inconnu le renvoi à une cause dont on ne sait rien (Dialogues, p. 172 – KS 164). En outre, en suivant l’approche expérimentale de Cléanthe (qui rejette l’argument que l’ordre implique a priori une intelligence qui en serait la cause), l’argument téléologique n’aboutira plus nécessairement à l’existence d’une cause première intelligente, mais, comme le fait remarquer Philon, sera compatible avec n’importe quelle théorie sur l’origine de l’univers, y compris celle qui fait naître Dieu par génération à partir de la matière (la « théogonie » d’Hésiode)  [42]. Il n’en reste pas moins que la « rétorsion » de Philon demeure valide contre tous ceux qui, loin d’admettre la théologie intégralement empiriste de Cléanthe, reconnaissent en Dieu soit un entendement et des idées (qui sont en lui « par sa nature »), soit des attributs différents. On peut songer à Malebranche, qui oppose la sagesse à la bonté, ou à Leibniz, qui suppose l’existence en Dieu d’un ordre d’infinis mondes possibles non créés, mais aussi à Cudworth, à Locke et à Clarke. En d’autres termes, la « rétorsion » – stratonicienne et baylienne – de Philon garde sa pertinence contre la plupart des philosophes et théologiens modernes  [43].

38Il y a plus. Cette « rétorsion » n’implique pas du tout un équilibre épistémologique entre athéisme et théisme, qui ouvrirait la voie à la suspension pyrrhonienne du jugement. Au contraire, Philon va cette fois bien au-delà de Bayle, qui se bornait à laisser entendre la supériorité de la position athée sans essayer de l’argumenter formellement. Ce qui était sous-entendu chez Bayle devient tout à fait explicite chez Philon. D’un seul geste, il fait sienne l’approche empiriste de son adversaire, le newtonien Cléanthe, pour montrer que la solution athée au problème de l’origine de l’univers est la plus appropriée, précisément du point de vue de la science et en particulier de la science newtonienne. Comme l’avait dit Déméa, dûment instruit par Hume, l’argumentation a posteriori, fondée sur l’« expérience » et sur la « probabilité », donne aux athées des avantages évidents (« vous donnez aux athées des avantages qu’ils ne pourraient jamais obtenir par la seule force de l’argument et du raisonnement » – Dialogues, p. 117 ; KS 144).

39Quels sont ces avantages ? La première des Regulae philosophandi de Newton (publiées sous ce titre à partir de l’édition 1713 des Principia mathematica) prescrivait de ne pas multiplier les causes sans nécessité, à savoir de « ne pas admettre un plus grand nombre de causes que celles qui sont vraies et suffisantes pour expliquer les phénomènes » (Regula I). Hume, qui n’avait pas manqué de citer cette règle dans le Traité de la nature humaine, l’applique dans les Dialogues aux débats sur l’origine de l’univers  [44]. En effet, la réfutation par Philon de la position du théiste expérimental Cléanthe se fonde sur les dogmes mêmes de tout expérimentalisme, et notamment sur l’impossibilité de dépasser les bornes de l’expérience avec des hypothèses sans valeur explicative et non fondées sur des faits établis. Dans l’Enquête sur l’entendement humain, Hume était déjà allé jusqu’à soutenir que l’hypothèse d’un premier principe intelligent est « incertaine » et « inutile » (curieusement, les deux mêmes adjectifs utilisés par Pascal pour qualifier la physique de Descartes)  [45]. Inutile, parce que dépourvue de valeur explicative ; incertaine, parce que fondée sur une entité inconnue qui se trouve au-delà des bornes de la connaissance humaine  [46]. Il s’avère donc que, contrairement à la stérilité de l’explication théologique, l’athéisme se constitue comme la solution la plus simple, en postulant l’existence d’un monde matériel doué par nature d’un certain ordre, sans qu’il soit nécessaire d’en chercher la cause ailleurs que dans la matière. Hume – peut-être en vain, puisque personne n’a voulu comprendre que la pensée de Philon se constitue ici en athéisme ou matérialisme – fait répéter ce constat quatre fois à son Philon  [47].

40Les « avantages » épistémologiques de la position athée sont confirmés par les parties VI-VIII des Dialogues, où trois explications possibles de l’origine de l’univers (la théorie de l’âme du monde dans la Partie VI ; la panspermie universelle dans la partie VII ; l’évolution du monde à partir du chaos originel dans la partie VIII) sont mises en concurrence avec l’hypothèse créationniste. Ces trois explications ont un point commun : elles relèvent toutes d’une option athée, car elles nient toute action d’un esprit intelligent dans la naissance de l’ordre de la nature. Mais on devine le résultat de cette confrontation : toutes les hypothèses athées, même les plus abstruses, sont plus défendables d’un point de vue scientifique que l’hypothèse « religieuse ». Au sujet de l’âme du monde en particulier, Philon utilise un principe qu’il considère comme équivalent au principe newtonien de l’analogie causale  [48] pour montrer qu’il est plus naturel de considérer Dieu comme l’âme (matérielle) du monde matériel que comme le créateur (immatériel) de celui-ci (Dialogues, p. 193 – KS 170-171). À une autre occasion, Philon réfute le créationnisme en faisant appel au principe newtonien d’action et de réaction : l’univers étant un système dynamique clos ne peut subir l’action d’un principe extérieur sans agir également sur ce dernier (Dialogues, p. 237 – KS 186). Enfin, à propos de la thèse évolutionniste épicurienne (que Hume avait sans doute retrouvée dans l’article « Ovide » du Dictionnaire de Bayle, rem. G), il remarque qu’elle suit l’analogie de la nature, où l’on voit que les idées naissent des corps, et non l’inverse (Dialogues, p. 218-221 – KS 179-180). Philon ne semble cependant pas pencher vers l’évolutionnisme mais plutôt vers une conception athée qui postule l’existence éternelle d’un principe d’ordre dans la matière (cela rappelle, encore une fois, le Straton de Bayle, mais aussi les positions de Collins, de Toland, de Fréret et, plus tard, de Diderot et de d’Holbach). Au dire de Philon, cette hypothèse semble « résoudre à la fois toutes les difficultés » (Dialogues, p. 205 – KS 174).

41(v) Si le débat sur l’« ordre de la nature » était pour le Bayle de la Continuation des pensées diverses « le faible » de l’athéisme, la question du mal était son « fort  [49] ». Hume le suit également sur ce point. C’est ainsi que, dans les parties X et XI des Dialogues, consacrées à la question du mal et de sa compatibilité avec la bonté de Dieu, on assiste au « triomphe » du sceptique/athée Philon  [50]. Par rapport aux Early Memoranda, la question du libre arbitre est moins présente, car elle est immédiatement résolue en un sens déterministe : si chaque action dépend de la cause première, Dieu est donc, plus ou moins directement, l’auteur du péché (dans les Early Memoranda Hume préférait se fonder sur la doctrine de la « création continuelle », mais sa conclusion n’était pas différente)  [51].

42C’est plutôt le thème – hyperbaylien – du contraste entre l’existence du mal et celle d’un Dieu prétendu infiniment bon qui fait la substance des objections de Philon. C’est là du Bayle à l’état pur, tiré de la Continuation et de la Réponse (mais aussi des articles « manichéens » du Dictionnaire) et disséminé tout au long des parties X-XI des Dialogues. Le no solution des Early Memoranda – et du manuscrit perdu écrit avant 1731 ? – est confirmé et dûment développé, à l’aide des mêmes arguments et des mêmes objections. C’est ainsi que l’on retrouve dans ces pages les deux objections principales proposées par Bayle (et annotées par Hume dès les Early Memoranda), adressées à deux prétendues solutions de la question de la théodicée : celle (issue de Malebranche) fondée sur les « lois générales » et celle (venant de Descartes) fondée sur l’utilité de la douleur comme instrument pour la conservation du corps. Quant aux lois générales, Hume confirme ce qu’il avait déjà avancé – en s’inspirant de Bayle – dans les Early Memoranda, et notamment qu’elles s’opposent à la bonté infinie de Dieu. Car un Dieu infiniment bienveillant devrait produire des effets « tous bons » sans être distrait par d’autres préoccupations  [52].

43Quant à la thèse de l’utilité de la douleur pour la conservation du corps humain, on retrouve dans les Dialogues la même allusion que nous avons déjà trouvée dans les Early Memoranda à la « diminution de plaisir » comme instrument possible que Dieu aurait pu utiliser pour nous avertir des inconvénients qui pourraient se présenter pour le corps. Cette objection aussi, on l’a déjà vu, vient directement de Bayle  [53].

44Enfin, on retrouve chez Cléanthe un argument de King que Bayle avait réfuté et que Hume avait également annoté dans les Early Memoranda  [54].

45La conclusion de Philon sur la question de la bonté de Dieu est claire et n’admet aucune nuance. Certes, il semble parfois admettre que l’existence du mal n’est pas en elle-même incompatible avec celle d’un Dieu bienveillant (surtout si l’on renonce à l’infinité de sa bienveillance)  [55], mais cette compatibilité demeure entièrement abstraite par rapport au nœud de la question, qui est l’inférence qu’il est légitime de proposer, en raisonnant a posteriori sur la base des souffrances des hommes et de leurs péchés. Or cette inférence ne peut aller que vers une conclusion qui, encore une fois, ne peut être que strictement athée, dans la mesure où elle aboutit à l’indifférence de Dieu pour les souffrances des hommes, en niant ainsi les attributs moraux de la cause première (Hume, on l’a dit, ne prend même pas en considération l’échappatoire déiste d’un Dieu intelligent mais non bienveillant)  [56]. Cet athéisme – faut-il le préciser ? – n’est pas explicite : il demeure en l’occurrence bien masqué, de même que chez Bayle, derrière la critique des deux principes des Manichéens. Mais il ne faut pas s’appeler Leo Strauss pour voir que les mêmes objections avancées dans le passage qui suit seraient valables à l’égard non seulement des deux principes des Manichéens mais aussi d’une cause première (unique) de l’univers :

46

There may four hypotheses be framed concerning the first causes of the universe ; that they are endowed with perfect goodness, that they have perfect malice, that they are opposite and have both goodness and malice, that they have neither goodness nor malice. Mixt phenomena can never prove the two former unmixt principles. And the uniformity and steadiness of general laws seem to oppose the third. The fourth, therefore, seems by far the most probable. (Dialogues, p. 306-8 – KS 212)

47 D’ailleurs, c’est la même affirmation qui est explicitement formulée à l’égard de la « source originelle de toutes les choses » (alias Dieu), dont on affirme en toutes lettres qu’elle est « entièrement indifférente » au bien et au mal comme au froid et au chaud. Selon Philon, on trouve là « la vraie conclusion » du débat :

48

The true conclusion is, that the original source of all things is entirely indifferent to all these principles [hot and cold, moist and dry, light and heavy] and has no more regard to good above ill than to heat above cold, or to drought above moisture, or to light above heavy. (Dialogues, p. 308-10 – KS 212)  [57]

49À la fin de son parcours, après s’être inspiré du Straton de Bayle (mais aussi, au passage, de Spinoza)  [58], Philon rejoint ici un autre athée célèbre : Épicure. Mieux, cet Épicure revu et corrigé auquel Hume avait donné la parole vers la fin de l’Enquête sur l’entendement humain, dans une section prudemment intitulée (à partir de l’édition 1750) « Sur une providence particulière et sur un état futur ». Ici, Hume avait précisé que « l’hypothèse religieuse » doit être considérée comme une théorie scientifique comme les autres, c’est-à-dire comme une « méthode pour rendre compte des phénomènes visibles de l’univers », ce qui l’empêche, par là-même, de dépasser avec ses explications le champ des données empiriques  [59]. Mais alors, si les données dont on dispose montrent un effet fini, imparfait, où il y a un peu de bien, mais aussi beaucoup de mal, on en conclura à une cause similaire et proportionnée, qui ne saurait posséder les attributs que la tradition théologique occidentale attribue à son Dieu. D’où la conclusion obligée de Hume-Épicure, qui n’est pas très différente de celle de Hume-Philon : « Cette intelligence et cette bienveillance superlative » (allusion à peine voilée au Dieu du Christianisme) « sont entièrement imaginaires, ou du moins sans aucune base dans la raison  [60] ».

4 ) Métamorphoses du scepticisme

50Le débouché athée de la démarche de Hume, ou – si l’on préfère s’en tenir au written record – de ses personnages les plus réussis lorsqu’ils raisonnent à partir « des principes capitaux de [son] système  [61] », permet de mieux saisir les rapports qu’elle entretient avec le scepticisme et en particulier avec l’athéisme « sceptique » tel qu’il est présenté par Bayle. Si athéisme et scepticisme sont « presque synonymes » pour Hume, c’est parce qu’il s’agit de deux « ennemis de la religion » qui amènent les hommes à rejeter toute croyance en un être « imaginaire » excédant les limites de la connaissance  [62]. Cependant, les champs sémantiques des deux notions ne sont pas entièrement superposables, car Hume, comme Bayle, avoue qu’il existe bien un athéisme non-sceptique (celui de Spinoza) et un scepticisme non-athée (le scepticisme « religieux » qui était largement répandu dans les premiers temps de la Réforme)  [63]. Mis à part ces deux cas-limites, le scepticisme implique nécessairement l’athéisme et s’y identifie, en ce qui concerne son rapport avec la religion, avec autant de nécessité. Ainsi, Hume semblerait partager la position de Bayle : ne pas croire en Dieu, ne pas être persuadé de l’existence d’une intelligence suprême et infiniment bienveillante, c’est embrasser une forme d’athéisme.

51On a longuement discuté sur le genre de scepticisme qui se manifeste dans les Dialogues sur la religion naturelle. Car dans ce texte le scepticisme prend plusieurs formes et se transforme insensiblement de l’une à l’autre. Il fait son apparition dès le début, lorsque Philon énonce un philosophical scepticism, comme l’appellera Cléanthe (Dialogues, p. 86 – KS 132), qui est assez proche de ce scepticisme qui doit s’exercer à l’égard de la raison, et est désigné déjà comme « philosophique » dans l’Enquête sur l’entendement humain. Dans la première partie des Dialogues, il est aussi question d’un scepticisme « brutal » (Dialogues, p. 96 – KS 136) qui pourrait avoir quelque rapport avec ce scepticisme qui était dit « populaire » dans l’Enquête. Mais ce dernier se retrouve mieux dans l’abjuration finale de Philon qui, tout comme les sceptiques populaires de l’Enquête, se plaint en général de la faiblesse « naturelle » de la raison humaine  [64], en imitant un peu maladroitement les textes des grands fidéistes sceptiques de l’âge moderne (de Charron jusqu’au même Bayle) et en allant jusqu’à soutenir, dans le sillage de l’article « Pyrrhon » du Dictionnaire, qu’« être un sceptique philosophe est, chez un homme de lettres, le premier pas et le plus essentiel vers l’état de vrai croyant et de vrai chrétien ». Il est à remarquer cependant qu’au début des Dialogues Cléanthe avait qualifié Bayle, qui avait fait sienne cette même position, de sceptique « irréligieux  [65] ». Autrement dit, on retrouve chez Hume la même oscillation (voire contradiction) que chez Bayle à l’égard de la signification ultime du scepticisme : ennemi de la religion, mais en même temps son meilleur soutien  [66]. On ne peut éviter cette contradiction qu’en distinguant, comme le fait Hume, entre deux formes différentes de scepticisme : un scepticisme philosophique fondé sur des arguments rationnels indiscutables et irréfutables (qui détruisent les dogmes religieux), et un scepticisme populaire qui se borne à remettre en question de manière superficielle l’autorité de la raison, en ouvrant la porte aux croyances irrationnelles et superstitieuses des religions positives.

52Dans les Dialogues en revanche, il n’est jamais question, du moins explicitement, de ce « scepticisme mitigé » loué par Hume dans la section XII de l’Enquête sur l’entendement humain, qui combat tout dogmatisme et limite les prétentions de la raison à l’intérieur du champ de l’expérience. En apparence, surtout dans la première partie des Dialogues, c’est Cléanthe qui fait sienne une attitude sceptique de ce genre, et qui l’oppose au scepticisme « absolu » de Philon. Mais en apparence seulement, car en réalité, surtout à partir de la partie IV, Philon s’appropriera lui-même cette forme de scepticisme, pour montrer qu’elle conduit non pas à la théologie expérimentale de son adversaire mais à son propre athéisme. Ainsi, si Cléanthe (comme Hume) souligne qu’il est impossible de se maintenir dans un scepticisme « total » (Dialogues, p. 88 – KS 132), Philon peut répliquer (toujours comme Hume) que tout sceptique raisonne comme les autres hommes en ce qui concerne la common life et qu’il tire ses conclusions comme n’importe qui d’autre, en augmentant son patrimoine de connaissances (Dialogues, p. 94-96 – KS 134). Mais cela vaut également pour toute théorie, scientifique ou théologique, dépassant les limites strictes de l’expérience commune des hommes. Comme l’affirme cette fois Cléanthe (mais c’est Hume qui le fait parler ainsi), un sceptique serait inconsistant avec lui-même s’il refusait d’examiner les questions religieuses d’un point de vue empirique, étant donné que son scepticisme ne l’empêche pas d’examiner les théories scientifiques (même « abstruses ») et de donner son plein assentiment lorsque leur évidence lui semble indiscutable (Dialogues, p. 98 – KS 136).

53 Dans le reste des Dialogues, Philon retiendra la suggestion de Cléanthe en soumettant « l’hypothèse religieuse » à un test épistémologique rigoureux, comme s’il agissait d’une théorie scientifique quelconque. Ce sera pourtant précisément cette manière de « philosopher », renvoyant à un scepticisme capable de distinguer entre conclusions plus ou moins évidentes et de proportionner l’assentiment à ces dernières  [67], qui conclura à l’athéisme. En ce sens, les objections de Philon dans les parties IV-XI des Dialogues, loin de remettre en question de manière « antécédente » ou « successive » l’autorité de la raison (ou des sens), se fondent sur des rappels continuels du principe empiriste de l’analogie de la nature et du canon des Regulae newtoniennes, dont il ressort une supériorité évidente, soulignée par Philon, des hypothèses athées par rapport au dogme créationniste.

54De ce point de vue, malgré quelques déclarations isolées qui ne correspondent en aucune manière au résultat effectif du débat  [68], Philon se rapproche moins de l’« athée sceptique » tel qu’il avait été imaginé par Bayle – sorte d’âne de Buridan demeurant parfaitement en suspens entre l’affirmation et la négation de Dieu – que de son « athée stratonicien ». Car Bayle lui-même distinguait entre un athéisme démonstratif (Spinoza) et un athéisme non dogmatique fondé sur des « probabilités », et son Straton considérait sa position comme une « opinion qui n’exclut pas toute crainte de se tromper  [69] ». Dans le même sens, selon le Philon de Hume, bien que l’on ne puisse pas décider définitivement parmi les différentes hypothèses sur l’origine de l’univers, il est « probable » (Dialogues, p. 250 – KS 191), voire « plus probable » (Dialogues, p. 186, 208, 306-8 – KS 168, 176, 212) qu’il soit le résultat d’un développement de principes matériels, et non le produit d’une « idée » ou d’une création ex nihilo. En tout cas, l’expérience constitue pour Hume un système cognitif clos sur lui-même, qui n’admet pas de point de vue extérieur. L’expérience ne se peut expliquer que par l’expérience et dans l’expérience, ce qui ouvre la voie à un athéisme expérimental directement opposé au théisme expérimental, dont Cléanthe est le porte-parole (parfois caricaturé). Cet athéisme expérimental, capable de défier les newtoniens sur leur terrain, est le fruit envenimé du scepticisme mitigé subrepticement adopté par Philon au cours des Dialogues.

55On comprend ainsi, finalement, pourquoi Hume s’était tellement intéressé pendant sa jeunesse au combat antithéologique des « jeunes stratoniciens » de la Continuation des pensées diverses et de la Réponse aux questions d’un provincial. Les traces de ces combats remplissent les feuilles manuscrites des Early Memoranda mais se retrouvent encore, en filigrane, dans les pages imprimées des Dialogues sur la religion naturelle. Les « jeunes stratoniciens » de Bayle étaient parvenus à l’athéisme après cinq ans de réflexion  [70], à force de rétorsions et d’argumentations critiques, de doutes et d’objections, en comparant les forces et les faiblesses des deux systèmes. On ne saurait affirmer avec une pleine certitude que le jeune Hume ait suivi le même parcours, mais il nous semble légitime d’affirmer que ces textes de Bayle ont constitué pour lui une lecture décisive. Une lecture, peut-on ajouter, qui devait le hanter tout au long de sa carrière intellectuelle  [71].


Mots-clés éditeurs : Hume (David), Bayle (Pierre), Mal, Athéisme, Religion, Théisme, Scepticisme

Date de mise en ligne : 07/11/2018

https://doi.org/10.3917/aphi.814.0749

Notes

  • [1]
    Cf. P. BAYLE, OD, III, 932 (RQP, III, § 13).
  • [2]
    Pierre BAYLE, DHC, « Chrysippe », rem. F (entre les notes 41-42).
  • [3]
    Pierre BAYLE, OD, III, 932 (RQP, III, § 13).
  • [4]
    Cf. Pierre BAYLE, ibid. : « s’ils sont sceptiques, ils continuent à examiner dans l’espérance de trouver enfin quelque certitude ; mais s’ils sont acataleptiques, ils cessent de chercher, ils se persuadent que la question est impénétrable, et fort au-dessus de leur esprit, et ils se fixent dans le doute ». Dans cet article nous considérerons ces deux variantes sous l’étiquette unique de l’« athéisme sceptique ».
  • [5]
    Cf. Ralph CUDWORTH, The True Intellectual System of the Universe, London 1678, p. 134-135 et passim. Selon Cudworth, les quatre formes d’athéisme correspondent aux doctrines, respectivement, de Démocrite (et de Hobbes à l’âge moderne), d’Anaximandre, de Straton (et de Spinoza à l’âge moderne) et des Stoïciens.
  • [6]
    Cf. David HUME, Early Memoranda, in Ernest C. Mossner, « Hume’s Early Memoranda, 1729-1740 : The Complete Text », Journal of the History of Ideas, 9/4, 1948, p. 492-518 (p. 503, n. 40).
  • [7]
    David HUME, Dialogues sur la religion naturelle, éd. M. Malherbe [dorénavant : Dialogues], Paris, Vrin, 2005, 1ère partie, p. 105 (= édition Kemp Smith [dorénavant KS] p. 139).
  • [8]
    Cf. David HUME, Enquête sur l’entendement humain, dans ID., Essais et traités sur plusieurs sujets, éd. M. Malherbe, Paris, Vrin, 2006, p. 173 (= Enquiry concerning Human Understanding, éd. Selby-Bigge/Nidditch [dorénavant SBN] 149).
  • [9]
    Sur les rapports entre ces différentes formes de scepticisme selon Hume, voir l’article d’Emilio MAZZA (que je remercie également pour son aide amicale à l’égard du présent article) : « Riso scettico. Profondità e utilità dello scetticismo nella Enquiry concerning Human Understanding di Hume », Studi settecenteschi, 19, 1999, p. 55-108.
  • [10]
    D. Hume à M. Ramsay, mars 1732, in The Letters of David Hume, ed. G.Y.T. Greig, Oxford 1932, vol. I, p. 12.
  • [11]
    D. Hume à G. Elliot of Minto, 10 mars 1751, ibid., vol. I, p. 153-154. Nous reviendrons sur cette lettre de 1751.
  • [12]
    La datation de ces notes est très controversée. Michael A. STEWART, « The dating of Hume’s manuscripts », in Paul B. Wood éd., The Scottish Enlightenment: Essays in Reinterpretation, University of Rochester, 2000, p. 267-314, les place autour de l’année 1740. Cependant, au vu de leur contenu, elles pourraient être bien antérieures : voir Emilio MAZZA, Gianluca MORI, « ‘Loose Bits of Paper’ and ‘Uncorrect Thoughts’ : Hume’s Memoranda in Context », à paraître dans Hume Studies, 42, 2016.
  • [13]
    13. Voir Lothar KREIMENDHAL, « Bayles Bedeutung für den jungen Hume. Die Quelle der Reflexionen zur Philosophie in Humes Early Memoranda », Archiv für Geschichte der Philosophie, 84, 2002, p. 64-83 ; Gianni PAGANINI, « Hume, Bayle et les Dialogues concerning natural religion, in Pierre Bayle dans la République des Lettres. Philosophie, religion, critique, éd. A. McKenna et G. Paganini, Paris, H. Champion, 2004, p. 527-567.
  • [14]
    Voir éd. Mossner, p. 501, n. 12. Cf. P. BAYLE, Dict., « Thalès », remarque D.
  • [15]
    Voir cependant D. Hume to W. Mure of Caldwell, 1743 : « you know (or ought to know) that Plato says there are three kinds of Atheists. The first who deny a deity, the second who deny his Providence, the third who assert, that he is influenc’d by Prayers or Sacrifices », in New Letters of David Hume, éd. R. Klibansky et E.C. Mossner, Oxford 1954, p. 11. La source de Hume est ici un autre passage de Bayle : « Vous savez que Platon comptait trois espèces d’impiété, dont la premiere est de nier qu’il y ait des Dieux, la seconde de nier leur Providence ; la troisième de s’imaginer qu’on les apaise facilement par des sacrifices, et par des prières » (OD III, 949 – RQP III, § 18).
  • [16]
    Voir David HUME, Histoire naturelle de la religion, éd. M. Malherbe, Paris, Vrin, 1980, p. 56 (éd. Beauchamp [dorénavant : BEA], p. 47).
  • [17]
    D. HUME, Early Memoranda, éd. Mossner, p. 502, n. 35. Cf. FÉNELON, Œuvres philosophiques, Paris, J. Estienne, 1718, p. 370-396 : « [marg. Première preuve de l’existence de Dieu] Un être qui est par lui-même est au suprême degré d’être, et par conséquent infiniment parfait dans son essence […] ; [marg. Seconde preuve] Nous avons l’idée de l’infini et c’est un Etre infini qui peut seul nous la donner […] [marg. Troisième preuve] L’idée d’un Etre infiniment parfait […] renferme clairement l’existence actuelle ».
  • [18]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 213, 215 – CPD § 20) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 16).
  • [19]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 342b – CPD § 111) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 16).
  • [20]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 334 – CPD § 106) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 15).
  • [21]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 334 – CPD § 106) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 15).
  • [22]
    Cf. par exemple P. BAYLE, OD III, 675b (RQP II, ch. 89) où il affirme explicitement que le « sentiment » de Descartes sur la création divine des vérités éternelles « pourrait être de quelque usage dans quelques rencontres, mais il est combattu par tant de raisons, et sujet à des conséquences si fâcheuses, qu’il n’y a guère d’extrémités qu’il ne vaille mieux subir que de se jeter dans celle-là ».
  • [23]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 334 – CPD § 106) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 14).
  • [24]
    Cf. P. BAYLE (OD III, 801a et 662a – RQP II, § 146 et 81) et D. HUME (Early Memoranda, p. 502, n. 23).
  • [25]
    Sur ce passage, cf. Michael A. STEWART, « Hume’s intellectual development », in Marina Frasca-Spada & Peter J. E. Kail éds., Impressions of Hume, Oxford, Oxford UP, 2005, p. 11-58 (p. 35).
  • [26]
    D. Hume à G. Elliot of Minto, 10 mars 1751, Letters, vol. I, p. 153-154 : « it is not long ago that I burned an old manuscript book, wrote before I was twenty, which contained, page after page, the gradual progress of my thoughts on that head. It begun with an anxious search after arguments to confirm the common opinion ; doubts stole in, dissipated, returned, were again dissipated, returned again, and it was a perpetual struggle of a restless imagination against inclination, perhaps against reason ».
  • [27]
    Ajoutons que de nouveaux détails sont en train d’émerger concernant la publication des Œuvres diverses en 1725-1731, qui attestent que Hume était dès 1725-1726 très proche des promoteurs de cette édition – qu’il utilisa certainement pour les Early Memoranda. Il s’agit du professeur d’Edinburgh Charles Mackie et du libraire de La Haye Thomas Johnson. Ce dernier avait déjà publié l’Adeisidaemon de Toland, le Scheme of Literal Prophecy de Collins et le fameux Esprit de Spinosa, ou Traité des trois imposteurs (en collaboration avec Charles Le Vier, autre libraire de La Haye qui participe également à la publication des Œuvres diverses de Bayle). Pour plus de détails voir notre article à paraître cité note 12. Pour un premier aperçu, voir Esther MIJERS, “News from the Republic of Letters”: Scottish Students, Charles Mackie and the United Provinces, 1650–1750, Leiden, Brill, 2013, p. 154-155.
  • [28]
    Notons que Philon partage parfois les croyants en monothéistes et polythéistes, ce qui donne lieu à trois partis différents : « Scepticism, Polytheism, and Theism » (Dialogues, p. 206 – KS 175).
  • [29]
    Voir ci-dessus, note 16.
  • [30]
    À Elliot of Minto, 10 March 1751, Letters, vol. 1, p. 155 : « Critias was a profest atheist, and Ariston an Epicurean, which is little or nothing different ».
  • [31]
    Voir D. HUME, Histoire naturelle de la religion : « the creed of these philosophers [Marcus Aurelius, Plutarch, and some other Stoics and Academics] may justly be said to exclude a deity, and to leave only angels and fairies » (éd. Malherbe, p. 58 – BEA 48).
  • [32]
    Voir D. HUME, Dialogues, p. 162 (KS 160).
  • [33]
    Voir D. HUME, Traité de la nature humaine, livre I, pt. 4, § 5 (Treatise of Human Nature, éd. Selby-Bigge/Nidditch, p. 240-241).
  • [34]
    Cf. Early Memoranda, p. 499, n. 4 (« A Proof that natural philosophy has no truth in it, is, that it has only succeeded in things remote, as he the heavenly bodys, or minute as light ») avec Dialogues, p. 99 (KS 136) : « the most abstruse and remote objects are those, which are best explained by philosophy. Light is in reality anatomized. The true system of the heavenly bodies is discovered and ascertained. But the nourishment of bodies by food is still an inexplicable mystery ».
  • [35]
    Cf. Early Memoranda, p. 503, note 17.
  • [36]
    Dialogues, p. 112 (KS 142).
  • [37]
    Cf. Dialogues, p. 246 (KS 190) et Bayle, OD III, 342b (CPD § 111) : « Franchement je vous déclare que je me fie plus à cela qu’à la raison à priori que l’on tire de ce que toute limitation doit être causée par un agent extérieur. Cette raison doit être obscure puis qu’elle n’a rien produit sur aucun ancien Philosophe. Ils ont tous crû que les défauts de la matière n’empêchaient pas qu’elle n’existât indépendamment de toute cause. Quelques Chrétiens le croient aussi ».
  • [38]
    Ralph CUDWORTH, The True Intellectual System of the Universe, London, R. Royston, 1678, p. 194.
  • [39]
    Cf. D. HUME, Dialogues, p. 250 (KS 191) : « And instead of admiring the order of natural beings, may it not happen, that, could we penetrate into the intimate nature of bodies, we should clearly see why it was absolutely impossible, they could ever admit of any other disposition ? So dangerous is it to introduce this idea of necessity into the present question! and so naturally does it afford an inference directly opposite to the religious hypothesis! »
  • [40]
    Dans cette lettre, Hume affirme que, bien que le « sentiment » soit très important en morale, il n’a aucune chance d’être employé en métaphysique contre des raisonnements (D. HUME, Letters, I, p. 151).
  • [41]
    Nous citons à partir du manuscrit autographe des Dialogues, Edinburgh, National Library of Scotland, ms. 23162, p. 38. Ce passage est barré dans le manuscrit et omis dans la version imprimée : « Your answer may, perhaps, be good, said Philo, upon your principles, that the religious system can be prov’d by experience, and by experience alone, [en interligne] or that the Deity arose from some external cause . But these [rayé : this] [rayé : system], you know, will be adopted by very few. And as to all those, who reason upon other Principles, and yet deny the mysterious Simplicity of the divine Nature, my objection still remains good ».
  • [42]
    Cf. Dialogues, p. 220 – KS 180 : « I may, with better authority, use the same freedom to push farther your hypothesis, and infer a divine generation or theogony from his principle of reason ».
  • [43]
    Pour une interprétation différente, voir Todd RYAN, « Bayle and the Regress Argument in Hume’s Dialogues », Libertinage et Philosophie à l’époque classique (XVIe-XVIIIe siècle), 14 (2017), p. 161-188. Ryan soutient que la « rétorsion » baylienne de Philon ne concernerait que « a small group of theologians such as Scotus » (p. 171). Cependant, Philon soutient exactement le contraire, c’est-à-dire que seuls un très petit nombre de théologiens pourraient échapper à son argument (cf. ci-dessus, note 41 : « these opinions will be adopted by very few »). Ces very few sont (1) ceux qui optent comme Cléanthe pour une théologie entièrement a posteriori, ou (2) ceux qui croient que la divinité est née de quelque cause extérieure inconnue. Ce dernier cas constitue une allusion évidente aux théogonies anciennes (cf. Dialogues, p. 206 – KS 175 : « 30,000 deities, who arose from the unknown powers of nature ») et fait comprendre que la concession de Philon est seulement apparente : il veut tout simplement montrer que l’approche de Cléanthe autorise les hypothèses les plus absurdes (cf. ci-dessus, note 34).
  • [44]
    Cf. D. HUME, Traité de la nature humaine, liv. III, pt. 3, § 1 (p. 578 de l’éd. citée) : « [it is] an inviolable maxim in philosophy, that where any particular cause is sufficient for an effect, we ought to rest satisfied with it, and ought not to multiply causes without necessity […] ; Appendix, p. 626 : « Why then look any farther, or multiply suppositions without necessity ? » Passages à comparer avec ce propos de Philon dans les Dialogues, p. 166-8 (KS 161-2) : « How can we satisfy ourselves without going on in infinitum ? […] It were, therefore, wise in us, to limit all our enquiries to the present world, without looking farther ».
  • [45]
    Voir l’éd. Sellier des Pensées, fragment 118, qui n’a été publié qu’au XIXe siècle.
  • [46]
    Cf. D. HUME, Enquête, p. 167 (SBN 142) : « While we argue from the course of nature, and infer a particular intelligent cause, which first bestowed, and still preserves order in the universe, we embrace a principle, which is both uncertain and useless ».
  • [47]
    Cf. Dialogues, p. 166-168 (KS 161-162) : « Why not stop at the material world ? » / « It were better, therefore, never to look beyond the present material world. » / « By supposing [the material world] to contain the principle of its order within itself, we really assert it to be God ; and the sooner we arrive at that divine Being so much the better » / « […] It were, therefore, wise in us, to limit all our enquiries to the present world, without looking farther ».
  • [48]
    C’était la deuxième des Regulae philosophandi : « les effets du même genre doivent toujours être attribués, autant qu’il est possible, à la même cause ». Philon avait déjà mentionné cette règle plus haut : « Like effects prove like causes. This is the experimental argument ; and this, you say too, is the sole theological argument » (Dialogues, p. 176 – KS 165).
  • [49]
    Pour cette distinction (et sa valeur dialectique) cf. OD III, 305b (CPD, § 79).
  • [50]
    Cf. Dialogues, p. 280 (KS 201). « Here, Cleanthes, I find myself at ease in my argument. Here I triumph ».
  • [51]
    Cf. Dialogues, p. 308 (KS 212) : « so long as there is any vice at all in the universe, it will very much puzzle you Anthropomorphites, how to account for it. You must assign a cause for it, without having recourse to the first cause. But as every effect must have a cause, and that cause another ; you must either carry on the progression in infinitum, or rest on that original principle, who is the ultimate cause of all things ».
  • [52]
    Voir P. BAYLE (OD III, 657b – RQP II, § 78) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 20 et Dialogues, p. 290 – KS 206).
  • [53]
    Voir P. BAYLE (OD III, 656a, 658a — RQP II, § 77, § 79) et D. HUME (Early Memoranda, p. 501, n. 19 et Dialogues, p. 290 – KS 206).
  • [54]
    Voir P. BAYLE (OD III 668b – RQP II, § 85) et D. HUME (Early Memoranda, p. 502, n. 26 et Dialogues, p. 282 – KS 203).
  • [55]
    Voir surtout Dialogues, p. 282-286 (KS 203-5).
  • [56]
    Cf. aussi David HUME, Fragment on Evil (ed. M. A Stewart) dans Hume and Hume’s Connexions, éd. M.A. Stewart and J.P. Wright, The Pennsylvania State University Press, 1994, p. 165 : « The fourth objection is not levelled against the intelligence of the deity, but against his moral attributes, which are equally essential to the system of theism » ; Dialogues, p. 272 (KS 199) : « [Cléanthe :] For to what purpose establish the natural attributes of the Deity, while the moral are still doubtful and uncertain ? ». Ces passages permettent de mieux comprendre certaines expressions de Philon dans la partie XII des Dialogues, où ce dernier laisse entrevoir la possibilité d’une pacification théologique fondée sur la conscience du caractère purement « verbal » de la controverse. Une fois abandonnée l’idée chrétienne d’un Dieu infiniment bon, le différend entre athées et théistes ne concernerait que le degré d’intelligence de la cause première. En réalité, ce débouché n’est pas un démenti mais plutôt une possible conséquence du débat, qui amène les théistes à abandonner tour à tour tous les attributs de Dieu (son infinité, sa bonté, sa toute-puissance, son intelligence) en tombant à la fin dans une position tout à fait compatible avec l’athéisme (il y aurait une « analogie lointaine » entre la cause première et l’esprit de l’homme). Il s’agit donc moins d’une rétractation de Philon que d’un compromis dialectique qui n’atteint aucunement les conclusions athées des parties précédentes.
  • [57]
    On retrouve cette même conclusion dans le Fragment on Evil, éd. cit., p. 168 : « Pains and Pleasures seem to be scatter’d indifferently thro life, as Heat and Cold, Moist and Dry are disperst thro the Universe ; & if the one prevails a little above the other, this is what will naturally happen in any mixture of principles, where an exact equality is not expressly intended. On every occasion, Nature seems to employ either ».
  • [58]
    Voir Dialogues, p. 250 (KS 191) : « instead of admiring the order of natural beings, may it not happen, that, could we penetrate into the intimate nature of bodies, we should clearly see why it was absolutely impossible, they could ever admit of any other disposition? »
  • [59]
    Voir D. HUME, Enquête, p. 161-166 (SBN 139).
  • [60]
    Ibid., p. 161-166 (SBN 137-8).
  • [61]
    Selon Hume, on peut croire qu’un auteur est « sincère » lorsqu’il écrit un dialogue, lorsque ses personnages raisonnent sur la base des « principes capitaux de [son] système » (Letters, I, p. 173, [à J. Balfour], 1763).
  • [62]
    Voir les passages cités ci-dessus, notes 7, 8, 60.
  • [63]
    Cf. Dialogues, p. 102 (KS 138).
  • [64]
    Cf. Dialogues, p. 350 (KS 227) : « A person, seasoned with a just sense of the imperfections of natural reason, will fly to revealed truth with the greatest avidity » ; Enquête, p. 180 (SBN 158) : « The sceptical objections to moral evidence […] are either popular or philosophical. The popular objections are derived from the natural weakness of human understanding […] »
  • [65]
    Cf. Dialogues, p. 104, 350 (KS 138-9, 228). Pour ce qui concerne Bayle, voir la note suivante.
  • [66]
    Voir P. BAYLE, Dict., « Pyrrhon », B : « il n’y a donc que la religion qui ait à craindre le pyrrhonisme » ; mais ibid., C : « Il semble donc que ce malheureux état [le doute des pyrrhoniens] est le plus propre de tous à nous convaincre que notre Raison est une voie d’égarement, puisque lorsqu’elle se déploie avec le plus de subtilité, elle nous jette dans un tel abîme. La suite naturelle de cela doit être de renoncer à ce Guide, et d’en demander un meilleur à la Cause de toutes choses. C’est un grand pas vers la Religion Chrétienne… »
  • [67]
    Cf. Dialogues, p. 98 (KS 137) : « These sceptics, therefore, are obliged, in every question, to consider each particular evidence apart, and proportion their assent to the precise degree of evidence, which occurs ».
  • [68]
    Voir Dialogues, p. 206 (KS 175) : « All these systems, then, of Scepticism, Polytheism, and Theism, you must allow, on your principles, to be on a like footing […] » (mais peut-être c’est là une objection ad hominem de Philon contre Cléante) ; Dialogues, p. 238 (KS 186) : « All religious systems, it is confessed, are subject to great and insuperable difficulties […] A total suspense of judgement is here our only reasonable resource ». Ce passage est à comparer avec la conclusion de Philon déjà citée, où il dit que la théorie (athée) d’une nature douée d’un ordre éternel peut « résoudre à la fois toutes les difficultés » (Dialogues, p. 205 – KS 174).
  • [69]
    P. BAYLE, OD III 931 (RQP III, § 13). Cf. aussi Dict., « Pyrrhon », G : la nature étant un « abîme impénétrable […], il nous doit suffire qu’on s’exerce à chercher des hypothèses probables, et à recueillir des expériences ».
  • [70]
    Cf. P. BAYLE, OD III, 328a (CPD, § 103). Cf. aussi Dict., « Acosta », G, à propos d’Uriel Acosta, qui, ayant soumis toutes les religions à la raison, embrassa enfin le déisme : « s’il avait vécu encore six ou sept ans », dit Bayle, il serait parvenu à l’athéisme, « parce que sa misérable raison lui eût fait trouver des difficultés dans l’hypothèse de la providence et du libre arbitre de Dieu ».
  • [71]
    Cette étude a bénéficié d'une subvention du Dipartimento di Studi Umanistici de l’UPO – Università del Piemonte Orientale.

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