Notes
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[1]
Une première version de cet article est une conférence donnée le 12 mai 2014 au Collège de France (Paris) dans le cadre du Colloque C. S. Peirce : Logic and Metaphysics, organisé par Claudine Tiercelin (Chaire de Métaphysique et Philosophie de la Connaissance) à l’occasion du centenaire de la mort de Peirce.
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[2]
NEM renverra à The New Elements of Mathematics, C. Eisele éd., 1976, 4 vol. ; Ms à l’édition microfilmée des manuscrits de Peirce, dans la numérotation de Robin ; OE à l’édition française des œuvres de Peirce : Charles Sanders PEIRCE, Œuvres, sous la direction de Claudine Tiercelin et Pierre Thibaud, éditions du Cerf, 3 volumes parus à ce jour ; RLC à la traduction française par C. Chauviré, P. Thibaud et C. Tiercelin de The Reasoning and the Logic of Things, K. Ketner, éd., 1992 ; PPM à Pragmatism as a Principle and Method of Right Reasoning: The 1903 Harvard Lectures on Pragmatism, P. Turrisi, éd., 1997 ; EP à The Essential Peirce, t. 1-2, N. Houser et C. Kloesel éds, 1992-1998 ; enfin la notation décimale n.m (resp. vol. et paragraphe) aux Collected Papers of C. S. Peirce, Hartshorne, Weiss et Burks éd., 1931-1958, 8 vol.
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[3]
Les seules études en profondeur que nous connaissions sur ce thème sont celles de R. Lane (1997, 1999), centrées sur le couple affirmation/négation.
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[4]
« The Logic of Relatives », The Monist, 7 (janvier 1897), p. 208-209.
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[5]
On notera que c’est parce que le réel est vague que le langage doit l’être et, en ce sens, c’est grâce au vague du langage que le vague du réel peut être capté et donc que le réel peut être approché.
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[6]
On utilisera le terme « indéfini » (souvent employé par Peirce) à la place du terme « vague » (également employé par lui) pour ne pas le confondre avec la notion de vague introduite plus haut à propos de l’exemple de « chauve ». Ce qui signifie que « vague » renverra à la notion de cas d’application indéterminée et « indéfini » à la notion de forme particulière d’indétermination de l’objet d’une proposition.
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[7]
Cf. Rosenthal 1968 et 1996.
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[8]
L’importance du non-actuel au travers des potentialités que sont may-be et would be a été bien mise en lumière par Sfendoni-Mentzou (1991). On notera que may-be et would be s’opposent comme potentialité indéfinie et potentialité définie, ou encore pure possibilité abstraite et possibilité comme disposition à être actualisé dans un certain sens (cf. sur ce point Hausman 1998).
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[9]
Cf. Whitehead 1960 et 1967.
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[10]
James 1977.
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[11]
Mead 1959.
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[12]
Analyse d’ailleurs envisagée à titre de simple possibilité (mais non retenue) par Russell 1905, p. 98.
-
[13]
« Le principe de contradiction ne s’applique pas aux possibilités » (Ms 137, 1904).
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[14]
On notera ici que Peirce ne va pas jusqu’à dire que PTE est faux mais simplement non « tout à fait faux » (NEM III : 851, 26 fév. 1909) ou encore qu’il n’est pas « entièrement » rejeté (Ms 339, 23 fév. 1909), ce qui signifie qu’il désirait simplement l’affaiblir (Lane 1999).
-
[15]
Cf. 6.164, 1889 ; 6.162, 1892 ; NEM 3 : 747, sans date ; NEM 3 : 925, 1902 ; NEM 2 : 482, 1904 ; NEM 2 : 526 sq., 1904 ; 4.641 sq., 1908 ; 6.326, vers 1909.
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[16]
Potter et Shields 1977 et Potter 1996.
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[17]
Moore 2007.
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[18]
« The Conception of Time essential in Logic », Ms 390, p. 3 (cf. « Time and Thought », Ms 377, p. 2).
-
[19]
Zalamea 2001.
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[20]
E. KANT, Critique de la Raison Pure (A 170 / B 212). On pourrait sans doute faire remonter à Aristote cette idée de réflexivité, si l’on considère ensemble les deux définitions du continu apparaissant dans la Physique en 232 b 24-5 et 234 a 8-9 : « j’appelle continu ce qui est divisible en parties toujours divisibles » et « tout continu est tel qu’il y a quelque chose de synonyme entre les limites ».
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[21]
« The Conception of Time essential in Logic », Ms 390, p. 4-5.
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[22]
« The Conception of Time essential in Logic », Ms 390, p. 3-4 ; cf. « Time and Thought », Ms 377, p.2.
-
[23]
Pour une discussion approfondie des conceptions peirciennes des infinitésimaux, voir Herron 1997.
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[24]
Ceci aperçu par Peirce dès 1897 ; « En elle (la ligne), les identités individuelles des unités sont totalement confondues, de telle manière que pas une seule d’entre elles ne peut être identifiée, même approximativement » (4.219, 1897). Ou encore : « Continuité et généralité sont deux noms pour la même absence de distinction des individus » (4.172, 1897).
-
[25]
Déjà en 1897 dans « On Multitude » il écrivait : « Un ensemble supermultitudinien est si grand que ses individus ne sont plus distincts les uns des autres » (p. 86-87).
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[26]
On peut dater la première découverte par Peirce des œuvres de Cantor de l’hiver 1883-84, mais ce n’est que dans les années 85-95 qu’il en fera une lecture approfondie (cf. M. E. Moore 2007)
-
[27]
Noble 1989 a bien montré que c’est un changement dans la définition même du possible, intervenu vers 1896/1897, qui a permis à Peirce d’élaborer une nouvelle théorie du continu.
-
[28]
« Les points existent seulement en vertu de… connections », in « Multitude and Continuity », NEM III : 95.
-
[29]
Cf. Ms 137, 1904 : « Il n’existe réellement aucun point sur une ligne continue… ils ont un être potentiel ; mais ils n’existent pas jusqu’à ce que quelque chose se produise qui les marque… telle est la notion de continuité ».
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[30]
Lettre à Paul Carus du 17 août 1899, citée par M.E. Moore 2007.
-
[31]
II en serait de même pour un intervalle de temps ne contenant que des instants possibles et non-actuels (cf. Ms 137, p. 4-5, 1904).
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[32]
Hausman 1998 a bien souligné la différence entre pure possibilité et possibilité dispositionnelle ou potentialité. Une qualité est une pure possibilité, une qualité de couleur une potentialité.
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[33]
Huitième Conférence de Cambridge, RLC, p. 317. Ou encore, à la même page : « le mot ‘potentiel’ signifie indéterminé et pourtant susceptible de détermination dans n’importe quel cas spécial ».
-
[34]
Kock 1981. Cf. Moerdijk et Reyes 1991 ainsi que Petitot 1999.
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[35]
On notera cependant que certains textes (NEM II : 531, NEM III : 747 et 6.126) semblent dire qu’ici PC est falsifié. Cf. Lane 1999 et Annoni 2006. On peut penser que ces textes renvoient non à des brèches actuelles mais à des brèches potentielles où en fait PC ne s’applique pas (cf. Lane 1999).
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[36]
Johanson 2001, p. 10.
-
[37]
Cf. Dauben 1981.
-
[38]
Hudry 2004. Hudry montre que l’erreur de Peirce est d’avoir voulu faire de la topologie la branche la plus haute de la mathématique, alors que la topologie moderne se veut la branche la plus basse et la plus large commune à une majorité d’autres domaines mathématiques.
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[39]
« La généralité… est la même chose que la continuité » (6.173).
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[40]
Le caractère irréversible de la transformation opérée par la coupure a été bien souligné par Putnam 1995, p. 6-7.
-
[41]
On lira sur ce thème les remarques pertinentes de C. Hausman 1998.
-
[42]
Un point « pourrait exploser en une multitude discrète de points quelconques et ils auraient tous été un seul point avant l’explosion » (Ms 439, p. 27).
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[43]
Ce lien des états naissants avec la logique trivalente, pressenti par C. Eisele (cf. NEM III, 1976, p. XVIII) ne sera pleinement mis en lumière que par Lane 1999 et Annoni 2006.
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[44]
Quand, dans son manuscrit de 1909 où il fait une présentation matricielle de sa logique trivalente (MS 339), Peirce écrit que « tout ceci est très proche du non-sens », il ne faut pas voir, contrairement à ce que semblent penser Fisch 1986 (p. 172) et Williamson 1994 (p. 102), un aveu d’échec de la part de Peirce. Ce dernier est très conscient de l’importance de sa découverte, allant même jusqu’à écrire que sa « logique triadique est universellement vraie », et nous verrions volontiers dans la remarque de Peirce une anticipation de la notion Halldénienne de « proposition absurde » comme proposition ni vraie ni fausse (Halldèn 1949, p. 9).
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[45]
« Le maître à qui appartient l’oracle de Delphes ne parle pas, ne dissimule pas : il fait signe », HÉRACLITE, frag. 93 (Diels).
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[46]
Cf. Thibaud 1983, p. 25.
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[47]
Cf. Dozoretz 1979.
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[48]
Cf. 5.539 (vers 1902).
J’ai senti depuis longtemps qu’un défaut sérieux dans la logique existante était qu’elle ne tient aucun compte de la limite entre deux royaumes.
1 Les commentateurs de Peirce ont souvent souligné l’importance dans sa philosophie de certains couples de termes contradictoires, en particulier des couples déterminé/indéterminé, actuel/non-actuel, affirmation/négation mais rares sont ceux ayant étudié les efforts déployés par Peirce pour en explorer ce qu’il appelle les « états intermédiaires ou naissants » dans Issues of Pragmaticism (5.450) [3]. C’est ainsi qu’il y écrit :
il est à remarquer qu’il y a des cas où nous pouvons avoir une idée apparemment définie d’une frontière entre l’affirmation et la négation. Ainsi, un point sur une surface peut être situé dans une région de cette surface, ou en dehors, ou sur sa limite. Ceci nous donne une conception indirecte et vague d’un état intermédiaire entre affirmation et négation en général, et, par conséquent, d’un état intermédiaire, ou naissant, entre détermination et indétermination. Il doit exister un état intermédiaire semblable entre général et vague. De fait, dans un article publié dans le septième volume du Monist [4] il y a, juste en filigrane de ce qui est dit de façon explicite, l’idée d’une série infinie de tels états intermédiaires (5.450 ; OE II, p. 58-59).
3 Et à la fin du même article, développant sa propre conception du temps, il analyse le présent comme « état naissant entre le déterminé et l’indéterminé » (5.459 ; OE II, p. 66), ou encore « état naissant de l’actuel » (5.462 ; OE II, p. 68).
4 Dans ces brèves et si denses remarques de 1905 apparaît, nous semble-t-il, au travers des concepts de « frontière » et de « limite », une notion dont Peirce va n’avoir de cesse de développer à la fois la logique et la philosophie sous-jacentes, ainsi que nous voudrions le montrer dans cette étude guidée par l’espoir d’obtenir ainsi l’un des concepts peut-être les plus éclairants de toute sa pensée.
1. Les états intermédiaires ou naissants comme états limites
5 Dans Issues of Pragmaticism la notion d’état intermédiaire ou naissant semble apparaître dans le double contexte d’une philosophie de la détermination et d’une philosophie du vrai.
1.1 Entre détermination et indétermination
6 Entre le déterminé et l’indéterminé se situe le royaume du vague. Mais l’on peut dire que le projet peircien d’une logique du vague ne prend tout son sens que si l’on remarque que les deux extrêmes entre lesquels apparaît ce dernier sont deux extrêmes imaginaires : aucun terme ou signe n’est absolument déterminé (3.93, 1870) car tout terme est toujours susceptible de division logique et il est illusoire d’espérer trouver un élément ultime inanalysable, pas plus qu’absolument indéterminé (L 224, Lettre à W. James, août 1904 ; NEM 3 : 813) car, s’il l’était, il désignerait une propriété partagée par toutes choses et dont nous aurions à épeler l’indétermination pour tous les prédicats possibles, ce qui est impossible. Naviguant entre ces deux extrêmes, la logique peircienne du vague n’apparaît pas très éloignée des tentatives contemporaines pour sauver la « cohérence des prédicats vagues » au sens de Fine (1975) : il est toujours possible de décider de préciser un concept vague. Un tel concept n’est pas un concept ayant des limites vagues mais un concept caractérisé par l’absence de limites (Sainsbury 1988, Engel 1992), ce qui ne l’empêche pas de jouer un rôle classificatoire. Une sémantique en termes de degrés est ici inadéquate. Quand Peirce utilise le concept de chauve, il ne signifie pas quelque degré précis de calvitie, situé entre la pleine chevelure et son absence, mais veut dire seulement « que nous sommes incapables d’associer un degré précis à l’application du concept, quoique nous soyons capables de faire une distinction entre le vaguement vague et le réellement vague » (Tiercelin 1996, p. 704). Quand il écrit qu’avec de tels prédicats « une absolue précision est impossible » (5.506), cette « absence de précision absolue n’implique pas nécessairement l’absence absolue de précision » (Tiercelin 1993, p. 332) : si « to precide » (supprimer toute indétermination) est impossible, préciser est toujours possible et s’il n’y a pas de limite entre l’application d’un degré et l’application d’un autre degré proche, on doit admettre cependant des degrés d’application. On voit ici que le concept vague apparaît comme un concept régulateur entre deux concepts régulateurs et que le qualifier en disant qu’il renvoie à un état « naissant », c’est mettre d’abord l’accent sur l’inépuisabilité même du processus de détermination induit par le concept vague : ce dernier, sur le chemin vers la détermination, est fondamentalement dans un état d’« incipience, de croissance » (1.615), pour reprendre une expression que Peirce applique à la raison et, en ce sens, comme cette dernière, n’est jamais pleinement réalisé dans ses incarnations [5].
7 Dans le texte d’Issues of Pragmaticism cité plus haut, Peirce illustre la dialectique infinie du déterminé et de l’indéterminé au travers de deux oppositions, celle existant entre général et indéfini [6] d’une part, entre actuel et non-actuel d’autre part.
8 La première oppose général et indéfini. Ces deux concepts « antithétiques » (5.505) apparaissent comme deux figures radicalement distinctes de l’indéterminé. La première, exprimée par l’idée de généralité, renvoie à une notion de latitude d’interprétation laissée à l’interprète :
Un signe... est objectivement général dans la mesure où il étend à l’interprète le privilège de poursuivre sa détermination. Exemple : ‘L’homme est mortel’. À la question : Quel homme ? la réponse est que la proposition vous laisse explicitement libre d’appliquer l’assertion à l’homme ou aux hommes de votre choix (5.447 ; cf. L 224, Lettre à W. James, août 1905 ; NEM 3 : 812).
10 La seconde figure, exprimée par l’idée d’indéfini, renvoie à une notion de latitude d’interprétation laissée au locuteur lui-même :
Un signe... est objectivement vague (indéfini) dans la mesure où il réserve sa détermination ultérieure à quelque autre signe concevable, ou du moins ne nomme pas l’interprète comme son délégué dans cette tâche. Exemple : ‘Un homme que je pourrais nommer semble être assez imbu de lui-même’. La suggestion faite ici est que l’homme visé est la personne à laquelle le discours s’adresse ; mais la personne qui énonce n’autorise pas une telle interprétation, ni aucune autre application de son propos. Elle peut toujours dire, si elle le désire, qu’elle ne veut pas dire qu’il s’agit de l’interlocuteur. Tout énoncé laisse de façon naturelle à l’énonciateur le droit d’interprétation ultérieure (5.447).
12 Pragmatiquement différents, général et indéfini, analysés sur le plan d’une logique des prédicats, renvoient respectivement aux quantificateurs universel et existentiel. En écrivant qu’il « doit exister » (5.450) – car Peirce n’a pu développer son intuition – non seulement un état intermédiaire ou naissant entre les deux mais une infinité de tels états, Peirce semble préfigurer ici les recherches les plus actuelles portant sur l’existence de quantificateurs non-standards. Mais dans un sens radicalement différent des recherches d’un Mostowski. Car si le travail de ce dernier consiste simplement à étendre la logique des prédicats du premier ordre par l’introduction de nouveaux quantificateurs (Mostowski 1957 ; cf. également Fuhrken 1964, Vaught 1964 et Keisler 1970), la problématique de Peirce est tout autre. Il s’agit de penser jusqu’au bout, non pas l’extension d’une logique donnée, mais l’émergence d’une infinité de logiques nouvelles : entre deux logiques opposées (prenons comme exemple commode la logique classique et la logique intuitionniste), il doit exister, semble dire Peirce, une infinité de logiques intermédiaires caractérisées chacune par un statut particulier donné aux quantificateurs et c’est cet éclatement que nous invite à penser la notion même d’état naissant appliquée au domaine de la quantification. Ce à quoi nous sommes conviés ici, c’est sans doute à une sorte de modélisation quantificationnelle de la logique, préfigurant en ce sens la ligne ouverte par les recherches récentes de Gila Sher (1991).
13 La seconde opposition illustrant la dialectique déterminé/indéterminé est celle renvoyant, dans le cadre d’une philosophie du temps, à la distinction actuel/non-actuel. Comprendre l’idée peircienne de présent comme « état naissant de l’actuel » (5.462) suppose que le problème de la relation entre actuel et non-actuel ne se ramène pas à l’opposition présent/futur mais qu’au niveau même du présent se joue une relation entre actuel et non-actuel (possible) [7]. Ce qui signifie que le présent possède deux dimensions, l’une d’actualité, l’autre de non-actualité. Si l’on se souvient que, du point de vue d’une théorie des catégories, l’actualité est pour Peirce une question de secondéité et la non-actualité une double question à la fois de possibilité négative (priméité comme pur may-be) et de possibilité positive (tiercéité comme would be) [8], alors il s’agit de penser comment, dans le présent, opèrent les trois catégories. L’image la plus suggestive donnée par Peirce est sans doute celle du tableau noir sur lequel est tracée une ligne à la craie. Le tableau est considéré par Peirce comme continuité rendant tout ce qui est sur lui continu. La ligne tracée sur le tableau est une discontinuité qui présente en même temps un aspect de continuité :
Il y a un certain élément de continuité dans cette ligne. D’où vient cette continuité ? Elle n’est rien d’autre que la continuité originelle du tableau noir qui fait que tout sur lui est continu (6.203).
15 Sans doute pourrait-on dire que le tableau originel, perçu comme passé, contient l’ensemble infini des possibilités négatives de la priméité comme pur hasard ; le tracé de la ligne, comme secondéité, l’actualisation présente de l’une des possibilités négatives du tableau ; la continuité de la ligne, comme tiercéité, contenant tout le futur possible (would be) de cette ligne. Ainsi le présent – qui est « moitié passé et moitié à venir » (6.126) – est-il au croisement de l’actuel comme secondéité et du non-actuel comme priméité et tiercéité. Le présent comme actuel est riche d’un continuum inépuisable de possibilités, non-actuelles quoique réelles, qui font que passé et futur sont, dans une certaine mesure, dans le présent même, rendant ce dernier en partie indéterminé. En ce sens on voit que le présent apparaît comme un véritable état intermédiaire ou naissant entre actuel et non-actuel. On devine ici l’arrière plan anti-atomiste et donc anti-Whiteheadien [9] d’une telle position (Rosenthal 1996) dont on peut suivre les riches et subtiles variations chez James [10] et Mead [11].
1.2 Entre affirmation et négation
16 Mais tous les couples d’opposés étudiés jusqu’ici comme donnant naissance à une multiplicité d’états intermédiaires ou naissants – naissance ici envisagée comme mise en branle d’un processus inépuisable – sont sous-tendus par une opposition plus fondamentale qui nous introduit au cœur même d’une philosophie de la vérité.
17 Nous voulons parler de l’opposition affirmation/négation notée dans le texte de 1905 cité au début et dont l’importance est soulignée en 1909 :
Je déclare que dans tout domaine de la pensée quel qu’il soit il y a un terrain intermédiaire entre l’assertion positive et la négation positive, qui est tout aussi réel que ces dernières (NEM 3 : 851, 26 fev. 1909).
19 En reconnaissant dès 1905 l’existence d’une « frontière » (5.450) entre affirmation et négation – frontière où Peirce voit un aspect essentiel de la notion d’état naissant –, il prend, on l’a vu, l’exemple mathématique d’un point sur une surface pouvant être ou bien « situé dans une région de cette surface, ou en dehors, ou sur sa limite » (5.450). Il faudra attendre 1909 pour qu’apparaisse à nouveau cette notion de limite, mais cette fois dans le contexte d’une recherche sur des opérateurs de logique trivalente :
La Logique triadique est cette logique qui, quoique ne rejetant pas entièrement le Principe du Tiers Exclu, reconnaît néanmoins que toute proposition, S est P, est ou bien vraie ou bien fausse ou bien S a un mode d’être inférieur tel qu’il ne peut être ni de façon déterminée P, ni de façon déterminée non-P, mais est à la limite entre P et non-P (Ms 339, 23 fév. 1909).
21 Dans l’embryon de son système de logique trivalente joint à ce manuscrit, Peirce emploie les valeurs « V », « F » et « L » pour respectivement « vrai », « faux » et « la limite ». Mais le manuscrit en question ne précise pas quel type de proposition Peirce plaçait à la limite entre vrai et faux. Ce qui nous amène à tenter de reconstituer en détail, en nous appuyant pour l’essentiel sur les travaux de R. Lane (1997, 1999), d’une part la logique et d’autre part la philosophie sous-jacentes à cette notion de limite.
2. Les états intermédiaires ou naissants comme états limites
22 2.1. La recherche d’un état limite situé entre le général et l’indéfini, c’est-à-dire entre l’universel et l’existentiel, entraîne des conséquences importantes quant au statut et au fonctionnement des principes de contradiction (PC) et de tiers exclu (PTE). En effet on se souvient que pour Peirce :
une chose quelconque est générale dans la mesure où le principe du tiers exclu ne s’y applique pas (5.448, 1905 ; cf. Ms 530, p. 15, vers 1903).
24 Ce que Peirce présente comme une conséquence du caractère « partiellement indéterminé » du général :
l’individu est déterminé par rapport à toute possibilité, ou qualité, soit comme la possédant, soit comme ne la possédant pas. C’est le principe du tiers exclu, qui n’est pas valable pour quelque chose de général, parce que le général est partiellement indéterminé (1.434, vers 1896).
26 On voit ici que Peirce faisait une analyse non standard du PTE [12] dans la mesure où celui-ci se présente sous la forme d’une négation interne (portant sur des prédicats) et non externe (portant sur une proposition entière), comme le confirme un autre passage :
Par le principe du... tiers exclu on signifie toujours le principe que deux prédicats mutuellement contradictoires ne sont pas tous les deux faux de tout sujet individuel (Ms 611, p. 13, 1908).
28 Ce qui signifie que PTE pourrait s’exprimer ainsi : pour tout couple de prédicats contradictoires « P » et « non-P » et pour tout sujet individuel (non général) S, ou bien « S est P » ou bien « S est non-P » est vrai.
29 D’un autre côté :
une chose quelconque... est vague (indéfinie) dans la mesure où le principe de contradiction ne s’y applique pas (5.448, 1905 ; cf. Ms 530, p. 14, vers 1903).
31 Ce que Peirce commente ainsi en 1908 :
Par le principe de contradiction, des écrivains rigoureux durant presque deux siècles ont compris le principe que deux prédicats contradictoires tels que « est P » et « est non-P » sont tous les deux vrais seulement du Néant et non de quelque sujet défini que ce soit (Ms 611, p. 12-13, 1908).
33 On retrouve ici la même analyse non standard du PC, qui pourrait ainsi s’exprimer : pour tout couple de prédicats contradictoires « P » et « non-P » et pour tout sujet défini « S », « S est P » et « S est non-P » ne sont pas simultanément vrais. On voit donc que, dans la mesure où le général se caractérise par la non-applicabilité du PTE et l’indéfini par la non-applicabilité du PC, un état limite entre le général et l’indéfini sera caractérisé par l’applicabilité des principes de contradiction et de tiers exclu. Mais cette applicabilité va entraîner à son tour deux conséquences.
34 2.2. La première concerne la modalité des propositions L. En effet :
ce qui caractérise et définit une assertion de Possibilité est son émancipation du Principe de Contradiction [13], tandis qu’elle reste sujette au Principe du Tiers Exclu ; tandis que ce qui caractérise et définit une assertion de Nécessité est qu’elle reste sujette au Principe de Contradiction, mais rejette le joug du Principe du Tiers Exclu ; et ce qui caractérise et définit une assertion d’Actualité, ou de simple Existence, est qu’elle reconnaît son allégeance aux deux formules, et est juste à mi-chemin entre les deux « Modaux » rationnels, comme tous les anciens logiciens appellent les formes modifiées (Ms 678, p. 34-35, 1910 ; cf. 8.216, vers 1910 et 6.182, vers 1911).
36 Ce qui signifie que les propositions L – qui sont des propositions auxquelles PC et PTE s’appliquent – ne peuvent être des propositions modales et sont donc des propositions exprimant une actualité (Lane 1999).
37 2.3. La seconde conséquence de l’applicabilité de PTE et PC aux propositions L concerne les sujets de telles propositions. Puisque les propositions L ne sont ni indéfinies (puisque PC s’applique aux propositions L mais non aux propositions indéfinies), ni générales (puisque PTE s’applique aux propositions L mais non aux propositions générales), les sujets des propositions L doivent être à la fois définis et individuels, c’est-à-dire singuliers :
Une proposition universelle est non-individuelle... par rapport à son sujet. Une proposition particulière est indéfinie... par rapport à son sujet. Une proposition singulière est à la fois définie et individuelle par rapport à son sujet (Ms 515, p. 21, sans date).
39 En résumé, les sujets des propositions L sont singuliers, c’est-à-dire des individus définis (Lane 1999).
40 2.4. Une dernière caractéristique de la logique des propositions L est que si PTE s’applique à ces propositions, il est faux pour ces mêmes propositions. Peirce n’a jamais exprimé comment il entendait que PTE soit faux par rapport à une proposition. En revanche, il nous a dit comment il entendait que PC le soit. Son raisonnement, comme le montre Lane, se trouve pour l’essentiel dans un manuscrit de novembre 1909 :
Je ne dis pas que le Principe de Contradiction est faux des Indéfinis. Il ne pourrait l’être sans s’appliquer à ces derniers, ce qui est précisément ce que je nie de lui. Un argument contre ce que je dis, à savoir que le Principe de Contradiction ne s’applique pas à ‘Un homme’ parce que ‘Un homme est grand’ et ‘Un homme n’est pas grand’ reviennent seulement à dire que cet homme-là qui est grand ne l’est pas, en étant grand ne l’étant pas. Cela est vrai ; et c’est ce que je veux dire en refusant de dire que le Principe de Contradiction est faux de ‘Un homme’, mais quand il est dit de cet homme qui est grand qu’il n’est pas grand, ceci est dit de l’homme existant, qui n’est pas Indéfini, mais est au contraire un certain homme et aucun autre » (Ms 641, p. 24 2/3-3/4, 3-18 novembre 1909).
42 Peirce soutient ici que PC ne peut être faux des indéfinis que s’il doit s’appliquer à eux ; c’est-à-dire dire quelque chose d’eux. Un principe qui ne dit rien sur x ne peut être faux (ou vrai) par rapport à x. Et puisque PC ne dit rien des indéfinis, il ne peut être faux (ou vrai) par rapport à eux. Donc si PC est faux par rapport à une proposition, et donc s’applique à elle, alors la proposition n’est pas indéfinie, c’est-à-dire qu’elle possède un sujet défini (Ms 515, p. 20-21, sans date). Ainsi, dire que PC est faux par rapport à « Un homme est grand », c’est nier que le sujet de la proposition soit indéfini, c’est donc prendre « Un homme » comme se référant à un individu défini. Il s’ensuit que si PC est faux par rapport à la proposition « Un homme est grand », alors le même homme est à la fois grand et non-grand et « Un homme est grand » est à la fois vrai et faux.
43 Dans la même ligne de pensée, on dira que PTE ne peut être faux (ou vrai) par rapport à une proposition que s’il en dit quelque chose. Comme PTE porte sur des propositions à sujet individuel, il ne peut être faux par rapport à des propositions générales. Donc si PTE est faux par rapport à « S est P », alors le même sujet individuel n’est ni P ni non-P et « S est P » n’est ni vrai ni faux. Car, comme l’écrit Peirce :
Dire que toute proposition est ou vraie ou fausse est dire que, quel que soit le prédicat X d’une proposition, son sujet est ou X ou non-X. Mais c’est le Principe du Tiers Exclu... et le principe du tiers exclu définit simplement l’individualité (PPM, p. 175, 1903 ; cf. Ms 515, p. 21, sans date et 6.168, vers 1903).
45 Et c’est dans ce contexte qu’il faut lire ce que Peirce dit des propositions L, à savoir, on l’a vu, que :
S a un mode d’être inférieur tel qu’il ne peut être ni de façon déterminée P, ni de façon déterminée non-P, mais est à la limite entre P et non-P (Ms 339, 23 fév. 1909).
47 Peirce pensait que la logique avait besoin d’être amendée pour tenir compte des propositions auxquelles PTE s’applique mais par rapport aux-quelles il est faux [14]. Mais quelles pouvaient être les motivations philosophiques d’un tel amendement ? L’examen des exemples donnés par Peirce de propositions L, en nous orientant clairement vers une philosophie du continu, va nous permettre de mieux comprendre le sens des recherches nouvelles de 1909.
3. Une philosophie de la limite : limite et continuité
3.1 Propositions L et brèches de continuité
48 Nous avons vu plus haut que les objets des propositions L sont des individus définis. Comme exemple de tels objets, Peirce citait en 5.450 celui du point situé sur une surface, ou en dehors, ou sur sa limite. Exemple qu’il précise en 1909, au travers de la tache d’encre, dans le texte cité plus haut consacré à la logique trivalente :
Ainsi, une tache est faite sur la feuille. Alors tout point de la feuille est non-noirci ou noirci. Mais il y a des points sur la ligne frontière, et ces points ne sont pas susceptibles d’être non noircis ou d’être noircis, étant donné que ces prédicats se réfèrent à la surface autour de S et une ligne n’a aucune surface autour de n’importe lequel de ses points (Ms 339, p. 344 recto, 23 fév. 1909).
50 L’objet singulier visé par Peirce est la ligne limite (soit A) entre deux régions d’une surface, une région noire (la tache) et une non-noire. Selon la formulation d’un autre passage de Ms 339 déjà cité, A n’est « ni déterminément (noire), ni déterminément (non-noire), mais est à la limite entre (noire) et (non-noire) ». Ainsi la proposition « A est noire » n’est pas vraie, puisqu’il n’est pas vrai que A est noire ; mais elle n’est pas fausse puisqu’il n’est pas vrai que A est non-noire. On voit donc que « A est noire » (comme « A est non-noire ») est à la limite entre vérité et fausseté.
51 On notera que, dans ces exemples, les propositions L portent sur des brèches de continuité et nous abordons ici le second sens de la notion d’état naissant, exprimant le fait que toute naissance n’est pas seulement mise en branle d’un processus inépuisable mais aussi rupture, en l’occurence rupture dans un continu. Ces brèches, qui peuvent être mathématiques (point sur une ligne, ligne sur une surface), peuvent être aussi temporelles (instant dans un intervalle) [15]. Est-ce à dire que toute proposition sur ces brèches n’est ni vraie ni fausse, c’est-à-dire que PTE s’applique à ces propositions tout en étant faux par rapport à elles ? Il faut bien voir que cette caractéristique ne concerne que les propositions frontières (Lane 1999), c’est-à-dire celles qui prédiquent d’une brèche une propriété frontière relative à cette dernière, propriété que le continu a sur un seul côté de la brèche. Quelques exemples de ces propriétés frontières :
52 — la ligne frontière A entre la tache d’encre et la surface blanche du papier n’est ni noire ni non-noire : noir et non-noir sont des propriétés frontières relatives à A ;
53 — un point P divisant une ligne en deux moitiés (soit g et d mis pour « gauche » et « droite ») n’appartient ni à g ni à d : appartenir à g et appartenir à d sont des propriétés frontières relatives à P ;
54 — un instant i séparant un intervalle de temps en deux moitiés (soit Av et Ap mis pour « avant » et « après ») n’appartient ni à Av ni à Ap : appartenir à Av et appartenir à Ap sont des propriétés frontières relatives à i.
55 Nous dirons que seules les propriétés frontières peuvent prendre la valeur L de Peirce. Ce qui explique sans doute, comme le note Lane (1999), l’hésitation de Peirce à dire que PTE soit « tout à fait faux » : PTE n’est faux que par rapport à un domaine très restreint de propositions, celui des propositions frontières.
3.2 Propositions L et théories du continu
56 L’intérêt, pour Peirce, d’une étude des propositions L apparaît clairement si l’on se souvient du rôle central accordé à la notion de continuité, notion qui, dit-il, « joue un grand rôle dans toute pensée scientifique » (1.163, vers 1897) et est « de première importance en philosophie » (6.169, 1902), au point d’apparaître comme « le passe partout qui, nous le disent les initiés, donne accès aux arcanes de la philosophie » (1.163). Et l’on peut voir qu’à chaque grande étape de la philosophie peircienne du continu (synéchisme) correspond une analyse différente des propriétés frontières. En s’inspirant des travaux de Potter, Shields [16] et Moore [17] on peut, à la suite de Lane (1999), caractériser trois grandes étapes significatives pour les brèches de continuité :
57 — la première, de 1868 à 1890, correspond à l’époque dite kantienne où le continu est défini comme « ce dont toute partie a des parties, dans le même sens » (5.335, 1868 ; cf. 3.256, 1881). Ce qu’il illustre dans un petit texte de 1873 :
Un continuum (comme le temps et l’espace) est défini comme étant quelque chose dont n’importe quelle partie, aussi petite qu’elle soit elle-même, a des parties du même genre. Toute partie d’une surface est une surface et toute partie d’une ligne est une ligne [18]
59 C’est l’idée, qui restera constante dans la pensée peircienne, que le continu ne peut être composé de points (c’est-à-dire de parties discrètes), propriété qu’on pourrait qualifier de « réflexivité », pour reprendre le terme de Fernando Zalamea [19]. L’idée nous renvoie directement au Kant de la Critique de la Raison pure :
On nomme continuité des grandeurs la propriété qu’elles ont de n’avoir en soi aucune partie qui soit la plus petite possible (aucune partie simple). L’espace et le temps sont des quanta continua, parce qu’aucune partie n’en peut être donnée qui ne soit enfermée dans certaines limites (points et moments) et parce qu’il faut, par suite, que cette partie elle-même soit à son tour un espace ou un temps. L’espace donc ne se compose que d’espaces et le temps que de temps [20]
61 Dans cette perspective, ce qui différencie le continu de ce que Peirce appelle des quanta discrets, c’est l’infinie divisibilité du continu par opposition à la divisibilité finie des derniers : « Un quantum discret, d’un autre côté, contrairement à un continuum, a des parties uniques ultimes [21] ». L’on voit alors Peirce s’orienter vers une analyse des points comme de simples façons de parler, en tant que produits finaux de processus qui n’ont pas de fin : « Le point de temps et d’espace n’est rien d’autre que la limite idéale de laquelle nous nous approchons indéfiniment, sans jamais l’atteindre en divisant le temps ou l’espace [22] ». Et c’est durant cette période, où se forge peu à peu la notion de continuité, qu’il écrit à propos des limites géométriques : « Il n’est à vrai dire pas contradictoire, par exemple, de dire qu’une frontière est à la fois dans et hors de ce qu’elle limite » (2.420, 1867). Ce qui signifie que la limite est en partie à l’intérieur et en partie à l’extérieur de ce qu’elle relie, ou encore, si B est une brèche de continuité et P et non-P ses propriétés frontières, que B est en partie P et en partie non-P.
62 — la seconde, de 1891 à 1895, durant laquelle Peirce complète la définition kantienne par une propriété appelée « Aristotélicité » :
la continuité se compose de Kanticité et d’Aristotélicité. La Kanticité consiste en la propriété d’avoir un point entre deux points quelconques. L’Aristotélicité consiste en la propriété d’avoir tout point qui est une limite à une suite infinie de points qui appartiennent au système (6.166, vers fin 1891),
64 ou encore : l’Aristotélicité est la propriété qu’un continuum « contient le point final qui appartient à chaque suite infinie de points qu’il contient » (6.123, 1892), ce qui revient à écrire que l’Aristotélicité consiste, pour un continuum, à inclure tout point qui est une limite. Peirce en vient à soutenir que les points « n’existent pas au sens où ils auraient des caractères entièrement déterminés qui leur seraient attribués » (4.127, 1893). Ce n’est pas le point (ligne, instant) lui-même mais la région dans le « voisinage immédiat » du point (ligne, instant) qui est en partie P et en partie non-P (cf. 6.126 1892 ; 4.127, 1893). On doit considérer la région à l’intérieur d’une distance infinitésimale de la brèche de continuité [23] et c’est la région immédiatement près de B qui est en partie P et en partie non-P. Mais il faut bien voir qu’à l’époque, si l’importance de l’infinitésimal est bien mise en évidence (les lois de la nature sont sujettes à des changements infinitésimaux, « Design and Chance », in E.P.l, p. 219), la théorie des infinitésimaux est loin encore d’être intégrée à une conception du continu.
65 — à partir de 1896, Peirce en vient à penser qu’il faut revenir au vrai Kant. La définition de la continuité comme Kanticité plus Aristotélicité :
...implique une incompréhension de la définition de Kant, dans laquelle (Kant) lui-même est tombé. À savoir, il définit un continuum comme ce dont toutes les parties ont des parties du même genre. Lui-même, et moi après lui, nous avons compris que cela signifiait une infinie divisibilité, ce qui clairement n’est pas ce qui constitue la continuité (6.168, 1903 ; cf. NEM II : 482, vers 1904 et NEM III : 748, sans date).
67 Et Peirce propose une dernière conception du continu à laquelle il restera fidèle jusqu’au bout :
un continuum est un ensemble d’une multitude si grande que, dans tout l’univers des possibles, il n’y a pas de place pour qu’ils puissent conserver leurs identités distinctes ; mais ils deviennent soudés les uns aux autres [24]. Ainsi le continuum est tout ce qui est possible, quelle que soit la dimension selon laquelle il soit continu (NEM IV : 343, RLC, p. 218).
69 Ce texte, extrait de la troisième Conférence de Cambridge de 1898 (qui reprend et développe des idées exprimées en 1896 dans « On Quantity » et en 1897 dans « Multitude and Number » et « On Multitude ») énonce deux caractéristiques essentielles des ensembles continus selon Peirce, caractéristiques qui s’ajoutent à la réflexivité déjà vue plus haut, à savoir :
70 — leur multitude (puissance, nombre cardinal) dépasse toute multitude cantorienne. Comme l’écrit Putnam, « (Son) hypothèse métaphysique audacieuse » est que « ce qui répond à notre conception d’un continuum est une possibilité de division répétée qui ne peut jamais s’épuiser dans un monde possible quelconque, pas même dans un monde possible dans lequel on peut accomplir des processus non-dénombrablement infinis » (Putnam 1995, p. 17 ; cf. Sfendoni-Mentzou 1993 et 1997). C’est pourquoi Peirce forgera, à propos des ensembles continus, la notion de « supermultitude » (Ms 28, p. 8 et NEM III : 86), vers 1897, par opposition aux multitudes transfinies de type cantorien. Dans « On Multitude » Peirce dit qu’il faut réserver le terme de multitude aux ensembles discrets (p. 87). On voit que la transinfinitude implique l’impossibilité de définir les points en termes de passages à la limite car ceci ferait du continu un ensemble déterminé de discreta ayant une multitude définie ;
71 — la dissolution de la notion d’individu comme individu distinct et indépendant des autres individus, propriété de confusion présentée comme conséquence directe de la transinfinitude du continu [25]. Pour Cantor, les éléments d’un ensemble, de quelque puissance que soit ce dernier, sont des individus distinguables les uns des autres, c’est-à-dire « discrets » : « ils sont décrits… comme étant par leur propre nature distincts, et ainsi comme étant discrets » (Ms 137 et NEM II : 527) – en 1904 [26]. L’intuition décisive de Peirce va consister ici à donner aux entités d’un ensemble continu un statut modal, en l’occurrence le statut d’une entité possible [27] : « les points inoccupés d’une ligne sont de simples possibilités de points » (« Note on Continuity », 4. 537-542), ou encore, ainsi qu’on l’a vu : « le continuum est tout ce qui est possible, quelle que soit la dimension selon laquelle il soit continu » (NEM IV : 343). Dans la mesure où le possible fait référence, non à des individus (comme dans une sémantique de mondes possibles à la Rescher), mais à un général conçu comme « un continu vaguement défini » (NEM III : 925, en 1902), il est indéterminé, c’est-à-dire vague et indistinguable d’autres possibles du même ordre, ce qui entraîne que les entités constituant un continuum ne sont plus, en tant que possibles, distinctes, indépendantes, mais deviennent des entités n’existant qu’à travers les rapports qu’elles entretiennent avec les autres entités [28], de sorte qu’aucune multitude de cas individuels ne peut les épuiser :
En résumé, l’idée d’un général implique l’idée de variations possibles qu’aucune multitude de choses existantes ne pourrait épuiser mais qui laisseraient entre deux choses quelconques non simplement plusieurs possibilités mais des possibilités absolument au-delà de toute multitude (5.103, 1903).
73 Dans une telle conception, la ligne apparaît comme faite d’infinitésimaux (Ms 955) conçus comme pures possibilités ne contenant aucun point actuel :
(la ligne) ne contient aucun point jusqu’à ce que la continuité soit rompue en marquant les points. En accord avec cela, il semble nécessaire de dire qu’un continuum, là où il est continu et non rompu, ne contient aucune partie définie ; que ses parties sont créées dans l’acte qui consiste à les définir et leur définition précise rompt la continuité (6.168, 1903) [29]
75 Dans cette conception, la ligne ne contient aucun point actuel mais seulement des points possibles. Ce que, dira Peirce dans une lettre à Paul Carus de 1899, Kant n’a pas vu, « considérant les points comme existants dans la ligne » (même s’il le crédite de « ne pas essayer de construire un continuum à partir de points, comme le fait Cantor [30] »). Les points possibles de la ligne sont présentés comme des possibilia [31] et la ligne devient ce que Peirce appelle un « agrégat potentiel » (4.172), le mot « potentiel » signifiant qu’on passe ici d’une pure possibilité négative à une possibilité réelle, comme disposition à être actualisée selon une certaine manière et dans une certaine direction [32]. En tant que potentialité la ligne contient, non des individus, mais simplement « des conditions générales permettant la détermination d’individus [33] », et une telle ligne découle, selon Peirce, d’une définition de la continuité comme Kanticité, mais où cette dernière signifie, non une divisibilité infinie, mais la propriété d’avoir des parties dont toutes ont des parties de la même espèce (réflexivité). On voit ici le renversement complet par rapport à Cantor, qui construisait son continu à partir du discret, c’est-à-dire d’une façon totalement contre-intuitive, ne cadrant pas avec l’idée intuitive de « smoothness » telle qu’elle apparaît dans le langage et la perception ordinaires, ce qui ne pouvait qu’interpeller le pragmatiste du « Comment rendre nos idées claires ». Pour Peirce – qui considère que le paradis de Cantor est décidément trop petit pour contenir un vrai continu – la réflexivité signifie que le continu est premier, antérieur au discret qui ne peut apparaître que par passage du potentiel à l’actuel, passage faisant jaillir une brèche de continuité :
Je suis entièrement d’accord avec James, contre l’idée de Dedekind ; et soutiens qu’il n’y aurait aucun point actuellement existant dans un continuum existant, et… si un point était placé dans un continuum, il constituerait une brèche de continuité (6.182, vers 1911).
77 Ou encore, le point :
réellement n’existe pas, sauf s’il y a actuellement quelque chose qui est là pour le marquer, qui… interrompt la continuité (Century Dictionary, p. 168).
79 Dans cette perspective résolument constructiviste, le point sur la ligne est la conséquence d’une discontinuité :
s’il n’y avait là aucune discontinuité, il n’y aurait aucun point distinct, c’est-à-dire aucun point absolument distinct dans son être de tous les autres (3e Conférence de Cambridge, RLC, p.217).
81 Une assez bonne illustration du modèle peircien de la ligne continue pourrait, comme le remarque Herron (1997), être trouvée dans le modèle développé en 1981 par Kock et Lawvere [34], dans le cadre de ce qu’on a appelé la géométrie synthétique, géométrie dont les idées remontent au moins à Isaac Barrow, le professeur de Newton. Dans ce modèle popularisé par J. L. Bell en 1988 et 1998 – modèle différent de ceux de Robinson (1974) ou de Nelson (1977) et plus proche que ces derniers, comme le montre Herron (1997), des idées de Peirce –, entourant tout point, il y a un petit intervalle autour du point donné dans lequel on peut définir une fonction continue linéaire, où la loi du tiers exclu ne fonctionne pas. Ces intervalles infinitésimaux sont les vraies parties à partir desquelles la ligne peut être construite ; mais ce ne sont pas des parties atomiques. Dans cette théorie délibérément anti-fondationnaliste, la ligne apparaît comme un système sans fin de parties de plus en plus petites, mais où il n’y aurait aucune partie qui soit atomique. Dans ce modèle, les points ne sont pas les éléments atomiques puisque la loi du tiers exclu ne peut être utilisée pour distinguer entre deux points avec une infinie précision. Les points apparaissent, ainsi qu’on le voit chez Peirce, comme des éléments potentiels de la ligne, se produisant, dira Peirce, quand une brèche de continuité actuelle est opérée. Un véritable continu peircien, en ce qui concerne les brèches de continuité, ne peut contenir que des brèches potentielles. Mais les propositions L ne concernent que des brèches actuelles. Quand en 1898 Peirce écrivait, à propos de la ligne tracée à la craie sur le tableau noir, que « la frontière entre le noir et le blanc n’est ni noire, ni blanche, et elle n’est ni l’un ou l’autre, ni les deux » (6.203 et RLC, p. 333, 1898) – ce qui signifie que si B est une brèche de continuité et P et non-P ses propriétés frontières, B n’est ni P ni non-P – il se référait à des brèches actuelles. Brèches dans lesquelles, si PC et PTE s’appliquent, PC est vrai tandis que PTE est falsifié. Dans l’exemple peircien de la tache d’encre sur la feuille blanche, il est faux que les points sur la frontière soient blancs et noirs et il est faux de dire qu’ils sont blancs ou noirs (ceci violant PTE) [35]. En termes de valeurs de vérité, la troisième valeur L est un cas évident de violation du principe de bivalence selon lequel une proposition concernant un état de choses est ou vraie ou fausse. On voit ici que la logique triadique peircienne ne cherche pas à éliminer les principes fondamentaux de la logique mais seulement à rendre compte des états de choses se trouvant en position de limites dans un système continu.
82 Le problème fondamental qui apparaît dans le modèle peircien du continu est celui du rapport continu/discret, problème sur lequel Peirce va revenir jusqu’à sa mort sans pouvoir en trouver une formulation logico-mathématique satisfaisante à ses yeux, ainsi que le montre bien Jérôme Havenel (2008). On peut dire qu’à partir de 1908 Peirce devient de plus en plus conscient qu’une théorie des ensembles est incapable de rendre compte du continu et qu’il faut chercher du côté d’une géométrie projective (3.526) avec son modèle de ligne infinie qui ne saurait être la droite euclidienne mais le cercle de rayon infini, et surtout du côté de la topologie qui, disait-il, est la seule géométrie abstraite traitant purement des propriétés de continuité et de discontinuité et qu’il présente comme « le compte rendu complet de toutes les formes de continuité » (NEM II : 626, Ms 145). Topologie qui est essentielle car dans un continuum parfait (sans brèches de continuité) « toute partie suffisamment petite possède le même mode de connexion immédiate avec les autres qu’à chaque autre » (4.642, 1908) et la topologie est l’étude de ces connexions. Mais la topologie ne peut in fine qu’échouer à rendre compte du continu car elle « présuppose la doctrine du temps car elle considère des mouvements » (NEM II : 481). Plus généralement, Peirce finit par se rendre compte que la meilleure théorie du continu « se trouve au-delà de la juridiction de la Mathématique Pure » (6.182, 1911, A Sketch of Logical Critic). Car la mathématique pure ne peut rendre compte de l’aspect dynamique du continu, tel qu’il apparaît dans l’évolution. Le vrai continu doit être recherché du côté du « sens commun », c’est-à-dire des phénomènes mentaux (pensée, mémoire, perception) : « dire que les phénomènes mentaux sont gouvernés par des lois ne signifie pas seulement qu’ils sont décrivables par une formule générale ; mais qu’il y a une idée vivante, un continuum conscient de sentiment, qui les traverse et auquel ils se plient » (6.152)
83 Ce n’est pas pour rien qu’« On Multitude » s’arrête brutalement au moment où Peirce semble sur le point de tenir sa promesse de « réexaminer soigneusement la relation d’un ensemble supramultitudinien à ses individus » (p. 100). La quête peircienne, qui partait d’une analyse logico-mathématique du continu, va s’achever par une explication métaphysique qualitative de ce dernier où le temps, qui est un « continuum par excellence à travers les lunettes duquel nous regardons tout autre continuum » (6.86), apparaît comme « une forme, c’est-à-dire... de la nature d’une Loi et non d’une Existence » (6.96). De même que la loi est antérieure à ses instances et ne saurait s’épuiser en elles, de même le continu est antérieur à ses discrets et ne saurait s’épuiser en eux. Le rejet d’une théorie nominaliste de la loi est un trait fondamental de la philosophie de Peirce et, sur ce point, ses idées sont inséparablement liées à sa théorie du continu, qui n’est peut-être au fond qu’une tentative désespérée pour jeter une lumière plus profonde sur la notion même de généralité.
84 Elle le fait tout d’abord en nous offrant l’exemple le plus parfait de généralité et donc en sauvant la notion même de généralité. Comme le fait remarquer Johanson, la meilleure justification du continu supermultitudinien est qu’il réalise ce que Peirce souhaitait, à savoir « la généralité la plus extrême possible [36] ». Par rapport à la couleur, par exemple, le continu transinfini de couleurs permet le plus grand nombre de solutions pour x de la relation triadique dans laquelle a et b sont des couleurs et x une couleur possible entre a et b.
85 D’autre part le continu peircien jette une lumière nouvelle sur les généralités à l’œuvre dans la science, à savoir les lois de la nature, en nous présentant ces dernières non comme des réels existant dans un monde transcendantal platonique totalement non instancié ou dans un monde physique nominaliste totalement instancié, mais comme de simples possibilités d’existence, infiniment riches en contenu en tant que contenant virtuellement l’inépuisable richesse concrète de leurs futures instanciations (cf. Sfendoni-Mentzou 1997), à la façon du Dieu du Buisson Ardent ne se déclinant à Moïse qu’en un présent irrémédiablement lié à un futur infini (à travers le fameux « qui je suis et serai » biblique). De même que le Dieu de la Bible est, comme disent les théologiens, toujours à venir autant qu’il est déjà venu, de même pour Peirce, comme nous le montre sa notion si riche de continu, la possibilité dépasse l’actualité, mais de façon intrinsèque et non à cause de la finitude des pouvoirs humains ou des limitations imposées par les lois physiques. On voit ici que l’analyse que fait Peirce des lois concrètes, comme le montre sa théorie du continu, se veut d’abord une analyse délibérément philosophique et non seulement mathématique, dans la mesure où son but était, non de fonder les mathématiques comme pouvait à l’époque chercher à le faire un Weierstrass, mais de pousser aussi loin que possible les conséquences logiques de ses idées pour les besoins de la philosophie [37], plus précisément d’une analyse philosophique du fonctionnement même de l’esprit humain. Par exemple, la propriété de confusion des entités entrant dans le continu peircien a amené certains logiciens à étudier en logique mathématique de nouvelles lois, dans le cadre des recherches des dernières décennies portant sur les topologies sans points (cf. Johanson 1981 et 2001). Mais il faut bien voir qu’une topologie à la Peirce, à la différence des topologies modernes, est une topologie qui exclut la mathématique des nombres, dans la mesure où les points potentiels, en tant qu’indéterminés, ne peuvent recevoir de signification algébrique et où, par conséquent, la notion de continu potentiel ne peut être utilisée dans d’autres domaines de la mathématique. Mais si le concept de continu potentiel ne peut être un concept mathématiquement fondationnel, comme l’a bien montré Hudry [38], il reste, et c’est cela qui compte aux yeux de Peirce, un concept heuristiquement fécond. Nous l’avons déjà vu plus haut au niveau de la quantification, mais il faudrait ici généraliser et dire qu’avec l’idée peircienne d’état intermédiaire apparaît l’idée d’une proposition comme espace de variations infinitésimales entre des états propositionnels (Thibaud 1997), la logique devenant alors l’étude des degrés infinis de vérité, d’assertabilité, de connexion, de quantification et de modalité appartenant à toute proposition. « Proposition » qui mérite bien alors son nom de « pro-position », c’est-à-dire de position se projetant en avant vers une infinité d’univers logiques possibles. Mais c’est une question que nous ne pouvons aborder ici et, pour terminer, nous nous contenterons de montrer brièvement l’intérêt du concept peircien de continu pour une analyse des changements de lois opérés dans la science.
3.3 Propositions L et création de continua
86 On devine l’importance des brèches de continuité pour une philosophie du continu dans laquelle les lois de la nature, en tant que générales, sont de pures continuités [39] mais plongées dans un univers soumis à un principe général de transformation et d’évolution rendant toute philosophie du continu par essence paradoxale. Comment un synéchisme de type évolutionniste peut-il assumer en même temps les continuités que sont les lois de la nature et les discontinuités que sont les changements intervenant dans ces lois ? Une réponse particulièrement éclairante nous est fournie par l’exemple de la coupure de Dedekind. En effet, la division conceptuelle de la ligne continue AD au point P par la coupure :
87 A—–————————————–D
88 P
89 donne naissance à deux points nouveaux :
90 A——–——— B C———————D
91 B et C introduits au point P et deux lignes continues nouvelles AB et CD non réductibles à la ligne initiale AD [40]. On peut dire, en langage peircien, que la division au point P correspond, dans la ligne continue de la semiosis, à un acte interprétatif de l’esprit qui vient briser une continuité mais pour en produire de nouvelles [41]. Et en ce sens on peut dire que la coupure en P – véritable état naissant que Peirce décrit en Ms 439 comme une « explosion [42] » par laquelle le potentiel devient actuel – représente l’état naissant par excellence au travers duquel peuvent être envisagés tous les autres, dans la mesure où elle montre comment peuvent se créer, à partir d’un continuum originel, des continua nouveaux, par le moyen même d’une discontinuité introduite lors de l’actualisation d’une potentialité. Par où l’on voit que, dans la philosophie peircienne du continu, les discontinuités sont moins des « défauts » de continuité que ce par quoi de nouvelles continuités peuvent naître. D’où la justification ultime du beau qualificatif de « naissant » donné par Peirce aux états limites. Peut-être est-ce seulement à travers de tels états que peut être pensé – dans le cadre d’une philosophie synéchiste posant la médiation et la continuité comme conditions fondamentales de l’intelligibilité – le dynamisme des généraux ? On saisit mieux alors l’importance que pouvaient revêtir, aux yeux de Peirce, les recherches menées à la toute fin de sa vie pour tenter de capter, à travers une logique nouvelle de type trivalent, la logique des ruptures du continu [43] : « J’ai senti depuis longtemps qu’un défaut sérieux dans la logique existante était qu’elle ne tient aucun compte de la limite entre deux royaumes [44] » (NEM III : 851, 26 fév. 1909).
Conclusion
92 La notion peircienne d’état intermédiaire ou naissant – naissance envisagée dans son triple aspect, d’une part d’engendrement d’un processus continu où la notion de potentialité joue un rôle essentiel, d’autre part de rupture dans un continu et enfin de création de nouveaux continua (deux derniers aspects où la notion de passage du potentiel à l’actuel joue un rôle déterminant) – nous apparaît comme l’une des notions les plus éclairantes de toute la pensée de Peirce. Car elle nous renvoie à un réel caractérisé par sa nature fondamentalement potentielle, mais en état constant de transition du potentiel à l’actuel, ce dernier servant de potentialité pour une nouvelle étape à venir, dans un mouvement irréversible et sans fin aux formes typiquement aristotéliciennes. Mouvement capté par un langage dont les signes, comme le maître dont l’oracle est à Delphes, ne disent ni ne dissimulent mais, dans leur dimension proprement intermédiaire ou naissante, font signe selon la belle expression d’Héraclite [45].
93 La notion d’état naissant jette, ainsi qu’on l’a vu, une lumière nouvelle sur un certain nombre de couples de contradictoires ou d’antithétiques. Mais d’autres couples pourraient être envisagés. Si l’on considère, par exemple, le couple Signe/non-Signe, sans doute y aurait-il intérêt à penser l’habitude, qui se trouve à la frontière des deux [46], à la lumière des états naissants. Et c’est bien ce vers quoi nous oriente la remarque de Peirce sur l’habitude présentée comme étant un « signe d’une autre façon » (5.491), ce qui montre qu’elle n’est ni signe ni non-signe et peut donc s’analyser dans le cadre des propositions L. On pourrait faire la même analyse à propos du couple Réel/Fictif et de la notion de « Réel interne » (Ms 333, p. 19) [47] se situant à la limite entre les deux. Ou encore à propos du couple Dedans/Dehors et de sa région intermédiaire ou naissante où se jouent les expériences décisives de la sensation et de l’effort [48]. Peut-être est-ce à la lumière de la notion d’état intermédiaire ou naissant, envisagée dans le contexte d’une philosophie du continu, que certaines arcanes de la philosophie pourraient être « déverrouillées (unlocked) », selon l’expression et le voeu même de Peirce.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : Potentialité, Détermination, Vérité, État intermédiaire, Continuité, Infinitésimaux, Limite, Vague
Date de mise en ligne : 19/02/2018.
https://doi.org/10.3917/aphi.811.0143Notes
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[1]
Une première version de cet article est une conférence donnée le 12 mai 2014 au Collège de France (Paris) dans le cadre du Colloque C. S. Peirce : Logic and Metaphysics, organisé par Claudine Tiercelin (Chaire de Métaphysique et Philosophie de la Connaissance) à l’occasion du centenaire de la mort de Peirce.
-
[2]
NEM renverra à The New Elements of Mathematics, C. Eisele éd., 1976, 4 vol. ; Ms à l’édition microfilmée des manuscrits de Peirce, dans la numérotation de Robin ; OE à l’édition française des œuvres de Peirce : Charles Sanders PEIRCE, Œuvres, sous la direction de Claudine Tiercelin et Pierre Thibaud, éditions du Cerf, 3 volumes parus à ce jour ; RLC à la traduction française par C. Chauviré, P. Thibaud et C. Tiercelin de The Reasoning and the Logic of Things, K. Ketner, éd., 1992 ; PPM à Pragmatism as a Principle and Method of Right Reasoning: The 1903 Harvard Lectures on Pragmatism, P. Turrisi, éd., 1997 ; EP à The Essential Peirce, t. 1-2, N. Houser et C. Kloesel éds, 1992-1998 ; enfin la notation décimale n.m (resp. vol. et paragraphe) aux Collected Papers of C. S. Peirce, Hartshorne, Weiss et Burks éd., 1931-1958, 8 vol.
-
[3]
Les seules études en profondeur que nous connaissions sur ce thème sont celles de R. Lane (1997, 1999), centrées sur le couple affirmation/négation.
-
[4]
« The Logic of Relatives », The Monist, 7 (janvier 1897), p. 208-209.
-
[5]
On notera que c’est parce que le réel est vague que le langage doit l’être et, en ce sens, c’est grâce au vague du langage que le vague du réel peut être capté et donc que le réel peut être approché.
-
[6]
On utilisera le terme « indéfini » (souvent employé par Peirce) à la place du terme « vague » (également employé par lui) pour ne pas le confondre avec la notion de vague introduite plus haut à propos de l’exemple de « chauve ». Ce qui signifie que « vague » renverra à la notion de cas d’application indéterminée et « indéfini » à la notion de forme particulière d’indétermination de l’objet d’une proposition.
-
[7]
Cf. Rosenthal 1968 et 1996.
-
[8]
L’importance du non-actuel au travers des potentialités que sont may-be et would be a été bien mise en lumière par Sfendoni-Mentzou (1991). On notera que may-be et would be s’opposent comme potentialité indéfinie et potentialité définie, ou encore pure possibilité abstraite et possibilité comme disposition à être actualisé dans un certain sens (cf. sur ce point Hausman 1998).
-
[9]
Cf. Whitehead 1960 et 1967.
-
[10]
James 1977.
-
[11]
Mead 1959.
-
[12]
Analyse d’ailleurs envisagée à titre de simple possibilité (mais non retenue) par Russell 1905, p. 98.
-
[13]
« Le principe de contradiction ne s’applique pas aux possibilités » (Ms 137, 1904).
-
[14]
On notera ici que Peirce ne va pas jusqu’à dire que PTE est faux mais simplement non « tout à fait faux » (NEM III : 851, 26 fév. 1909) ou encore qu’il n’est pas « entièrement » rejeté (Ms 339, 23 fév. 1909), ce qui signifie qu’il désirait simplement l’affaiblir (Lane 1999).
-
[15]
Cf. 6.164, 1889 ; 6.162, 1892 ; NEM 3 : 747, sans date ; NEM 3 : 925, 1902 ; NEM 2 : 482, 1904 ; NEM 2 : 526 sq., 1904 ; 4.641 sq., 1908 ; 6.326, vers 1909.
-
[16]
Potter et Shields 1977 et Potter 1996.
-
[17]
Moore 2007.
-
[18]
« The Conception of Time essential in Logic », Ms 390, p. 3 (cf. « Time and Thought », Ms 377, p. 2).
-
[19]
Zalamea 2001.
-
[20]
E. KANT, Critique de la Raison Pure (A 170 / B 212). On pourrait sans doute faire remonter à Aristote cette idée de réflexivité, si l’on considère ensemble les deux définitions du continu apparaissant dans la Physique en 232 b 24-5 et 234 a 8-9 : « j’appelle continu ce qui est divisible en parties toujours divisibles » et « tout continu est tel qu’il y a quelque chose de synonyme entre les limites ».
-
[21]
« The Conception of Time essential in Logic », Ms 390, p. 4-5.
-
[22]
« The Conception of Time essential in Logic », Ms 390, p. 3-4 ; cf. « Time and Thought », Ms 377, p.2.
-
[23]
Pour une discussion approfondie des conceptions peirciennes des infinitésimaux, voir Herron 1997.
-
[24]
Ceci aperçu par Peirce dès 1897 ; « En elle (la ligne), les identités individuelles des unités sont totalement confondues, de telle manière que pas une seule d’entre elles ne peut être identifiée, même approximativement » (4.219, 1897). Ou encore : « Continuité et généralité sont deux noms pour la même absence de distinction des individus » (4.172, 1897).
-
[25]
Déjà en 1897 dans « On Multitude » il écrivait : « Un ensemble supermultitudinien est si grand que ses individus ne sont plus distincts les uns des autres » (p. 86-87).
-
[26]
On peut dater la première découverte par Peirce des œuvres de Cantor de l’hiver 1883-84, mais ce n’est que dans les années 85-95 qu’il en fera une lecture approfondie (cf. M. E. Moore 2007)
-
[27]
Noble 1989 a bien montré que c’est un changement dans la définition même du possible, intervenu vers 1896/1897, qui a permis à Peirce d’élaborer une nouvelle théorie du continu.
-
[28]
« Les points existent seulement en vertu de… connections », in « Multitude and Continuity », NEM III : 95.
-
[29]
Cf. Ms 137, 1904 : « Il n’existe réellement aucun point sur une ligne continue… ils ont un être potentiel ; mais ils n’existent pas jusqu’à ce que quelque chose se produise qui les marque… telle est la notion de continuité ».
-
[30]
Lettre à Paul Carus du 17 août 1899, citée par M.E. Moore 2007.
-
[31]
II en serait de même pour un intervalle de temps ne contenant que des instants possibles et non-actuels (cf. Ms 137, p. 4-5, 1904).
-
[32]
Hausman 1998 a bien souligné la différence entre pure possibilité et possibilité dispositionnelle ou potentialité. Une qualité est une pure possibilité, une qualité de couleur une potentialité.
-
[33]
Huitième Conférence de Cambridge, RLC, p. 317. Ou encore, à la même page : « le mot ‘potentiel’ signifie indéterminé et pourtant susceptible de détermination dans n’importe quel cas spécial ».
-
[34]
Kock 1981. Cf. Moerdijk et Reyes 1991 ainsi que Petitot 1999.
-
[35]
On notera cependant que certains textes (NEM II : 531, NEM III : 747 et 6.126) semblent dire qu’ici PC est falsifié. Cf. Lane 1999 et Annoni 2006. On peut penser que ces textes renvoient non à des brèches actuelles mais à des brèches potentielles où en fait PC ne s’applique pas (cf. Lane 1999).
-
[36]
Johanson 2001, p. 10.
-
[37]
Cf. Dauben 1981.
-
[38]
Hudry 2004. Hudry montre que l’erreur de Peirce est d’avoir voulu faire de la topologie la branche la plus haute de la mathématique, alors que la topologie moderne se veut la branche la plus basse et la plus large commune à une majorité d’autres domaines mathématiques.
-
[39]
« La généralité… est la même chose que la continuité » (6.173).
-
[40]
Le caractère irréversible de la transformation opérée par la coupure a été bien souligné par Putnam 1995, p. 6-7.
-
[41]
On lira sur ce thème les remarques pertinentes de C. Hausman 1998.
-
[42]
Un point « pourrait exploser en une multitude discrète de points quelconques et ils auraient tous été un seul point avant l’explosion » (Ms 439, p. 27).
-
[43]
Ce lien des états naissants avec la logique trivalente, pressenti par C. Eisele (cf. NEM III, 1976, p. XVIII) ne sera pleinement mis en lumière que par Lane 1999 et Annoni 2006.
-
[44]
Quand, dans son manuscrit de 1909 où il fait une présentation matricielle de sa logique trivalente (MS 339), Peirce écrit que « tout ceci est très proche du non-sens », il ne faut pas voir, contrairement à ce que semblent penser Fisch 1986 (p. 172) et Williamson 1994 (p. 102), un aveu d’échec de la part de Peirce. Ce dernier est très conscient de l’importance de sa découverte, allant même jusqu’à écrire que sa « logique triadique est universellement vraie », et nous verrions volontiers dans la remarque de Peirce une anticipation de la notion Halldénienne de « proposition absurde » comme proposition ni vraie ni fausse (Halldèn 1949, p. 9).
-
[45]
« Le maître à qui appartient l’oracle de Delphes ne parle pas, ne dissimule pas : il fait signe », HÉRACLITE, frag. 93 (Diels).
-
[46]
Cf. Thibaud 1983, p. 25.
-
[47]
Cf. Dozoretz 1979.
-
[48]
Cf. 5.539 (vers 1902).