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Article de revue

Grégoire Wyrouboff : Penser la Russie. Essais de sociologie positive appliquée ?

Pages 297 à 316

Notes

  • [1]
    Voir Harry W. PAUL, « Scholarship and Ideology. The Chair of General History of Science at the Collège de France, 1892-1913 », Isis, 67, 1976, et Annie PETIT, « L’héritage du positivisme dans la création de la chaire d’histoire générale des sciences au Collège de France » Revue d’histoire des sciences, 1995, t. 48 n°4. p. 521-556. Voir aussi Jean-François BRAUNSTEIN, L’histoire des sciences. Méthodes, styles et controverses, Paris, Vrin, 2008, p. 28-29.
  • [2]
    Voir Auguste COMTE, « Sur la création d’une chaire d’histoire générale des sciences physiques et mathématiques au Collège de France », Correspondance générale et confessions, t. 1, Paris, Mouton, 1973, p. 406-410.
  • [3]
    Voir Georges CANGUILHEM, « La philosophie biologique d’Auguste Comte et son influence en France au XIXe siècle », in Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1983, p. 63-64.
  • [4]
    Pour la littérature secondaire, voir Hippolyte COPAUX, « Notice sur la vie et les travaux de Grégoire Wybouroff (1843-1913) », Bulletin de la société chimique de France, t. XV, p. i-xxi ; Général Émile Jourdy, « Wyrouboff, sa vie, son œuvre », Revue scientifique, 1914, n°1 (3 janvier 1914), p. 14-19 ; Frédéric WALLERANT, « Wyrouboff », La nature, n°2119 (3 janvier 1914), p. 94 ; Jean JACQUES, « Grégoire Wybouroff (1843-1913) et la chimie positive », C.R. Acad. Sciences. Paris, t. 2, série IIc, 1999, p. 467-470 ; René VERRIER, Roberty : le positivisme russe et la fondation de la sociologie, Paris, Alcan, 1934. À noter une monographie en russe à laquelle nous n’avons pas pu accéder, réalisée par des historiens de la chimie : E. A. ZAITSEVA, G. I. LUBINA, Grigorii Nikolaevich Wyrouboff, Moscou, Nauka, 2006, 336 p.
  • [5]
    C’est du moins à Tambov qu’il allait quand il retournait en Russie. Selon René Verrier, il possédait aussi des domaines dans les gouvernements de Penza et de Saratov : voir René VERRIER, Roberty, op. cit., p. 19.
  • [6]
    Grégoire WYROUBOFF, « Londres et Paris », La Philosophie positive, 1868, t. 3, p. 46 : « J’ai traversé maintes fois en long et en large le continent européen, depuis les steppes immenses de la Russie jusqu’aux rochers de Gibraltar, depuis les plages inhospitalières de la mer du Nord, jusqu’au sommet brûlant de l’Etna. J’ai vu la patrie des Pharaons, ce berceau de la civilisation antique, la Palestine, ce berceau de la civilisation chrétienne, l’Asie-Mineure, où la Grèce a laissé tant de vestiges ».
  • [7]
    L’expression est du général Émile JOURDY, « Wyrouboff, sa vie, son œuvre », op. cit., p. 15. Sa pratique à Tambov est évoquée dans « Lettres de Russie », La Philosophie positive, 1880, t. 24, p. 20-26 ; l’expérience du siège de Paris dans « Les ambulances de la Société française de Secours aux Blessés, pendant la Guerre de 1870-1871 », ibid., 1875, t. 14, p. 379-403. Enfin la guerre russo-turque est abordée dans les « Lettres d’Asie », ibid., 1877, t. 19, p. 429-448 et 1878, t. 20, p. 99-114. Pour son travail d’organisation des services sanitaires en tant que délégué de la Croix-Rouge, voir plus précisément ibid., t. 19, p. 443-448.
  • [8]
    Sur Eugène de Roberty, qui fut un intime de Wyrouboff et qui collabora régulièrement à La Philosophie positive, voir René VERRIER, op. cit. et Yusef SEMLALI, « Eugène de Roberty (1843-1915). Une page peu connue de l’histoire de la sociologie », 22 pages, 2005. <halshs-00003964>.
  • [9]
    Sur Edmond Pommier (né en 1812), voir René VERRIER, op. cit, p. 20-23 ; Mary PICKERING, Auguste Comte. An Intellectual Biography, 1993-2009, vol. II, p. 425, vol. III, p. 30 et 33 ; James H. BILLINGTON, « The Intelligentsia and the Religion of Humanity », American Historical Review, 1960, 65 (4), p. 813 (il s’agit d’un article sur la réception russe de la religion de l’Humanité). Pour son inscription à la Société positiviste de 1848, voir Auguste COMTE, Correspondance générale, t. 4, Paris, Mouton, 1981, p. 306-309 ; et Mirella LARIZZA, Bandiera verde contro bandiera rossa. Auguste Comte et gli inizi della Société positiviste (1848-1852), Bologne, Il Mulino, 1999, p. 196.
  • [10]
    Voir Hippolyte COPAUX, op. cit., p. xv-xxi. Pour un jugement moderne sur son œuvre de chimiste, voir Jean JACQUES, op. cit.
  • [11]
    Respectivement, Paris, Germer-Baillière, 1865 et 1867.
  • [12]
    Grégoire WYROUBOFF et Charles ROBIN, « Déclaration », La Philosophie positive, 1883, t. 31, p. 321-323.
  • [13]
    Émile LITTRÉ, Auguste Comte et la philosophie positive, Paris, Hachette, 1863, p. iv.
  • [14]
    « Le certain et le probable ; l’absolu et le relatif », La Philosophie positive, 1867, t. 1, p. 165-182.
  • [15]
    Ibid., p. 166.
  • [16]
    Ibid., respectivement p. 166, 167 et 168.
  • [17]
    Ibid., p. 167.
  • [18]
    Voir ibid., p. 181.
  • [19]
    Ibid., p. 171-172.
  • [20]
    Ibid., p. 174.
  • [21]
    Ibid., p. 176.
  • [22]
    Ibid., p. 181. Il semble que cela soit plus qu’une maladresse de formulation. Il est tout à fait symptomatique que Wyrouboff présente la philosophie positive comme une épuration de la métaphysique athée : celle-ci admet « une force ou des forces immanentes à la matière » (ibid., p. 168). Elle attribua donc « des propriétés fictives à un être naturel » (ibid.). La philosophie positive fait un pas de plus en ne considérant que les propriétés observables de cet être naturel : mais elle conserve l’idée que la matière est un être naturel visible. Il se peut que sa formation de cristallographe et de chimiste ait orienté Wyrouboff vers une conception de la matière difficilement compatible avec le positivisme comtien.
  • [23]
    Auguste COMTE, Lettre à Valat du 15 mai 1818, Correspondance générale, t. 1, Paris, Mouton, 1973, p. 37.
  • [24]
    Wyrouboff a couvert la plupart des sciences naturelles, de l’astronomie (via sa branche concrète, la géologie) à la biologie. Outre des articles qui répètent plus ou moins la vulgate comtienne, comme celui sur « Les hypothèses scientifiques » (La Philosophie positive, 1880, t. 25, p. 169-184), on trouve des contributions plus originales, concernant un domaine peu exploré par Comte, celui des sciences concrètes. « Qu’est-ce que la géologie » (ibid., 1867, t. 1, p. 31-50) et « La minéralogie » (ibid., 1876, t. 16, p. 199-215) traitent respectivement de la partie concrète de l’astronomie et de la chimie. L’article sur la géologie, le premier écrit par Wyrouboff, est d’une certaine façon programmatique : il est consacré à une science que Comte a peu abordée, en cela il contribue à l’extension du positivisme, mais il traite de la science de la terre sans évoquer le grand fétiche, et en cela il annonce implicitement son refus de la dernière philosophie de Comte.
  • [25]
    Voir la section « Société de sociologie », ibid., 1872, t. 8, p. 298-336.
  • [26]
    Voir Massayuki YAMASHITA, « La sociologie française entre Auguste Comte et Émile Durkheim : Émile Littré et ses collaborateurs », L’Année sociologique, 1995, 45/1, p. 83-115.
  • [27]
    Voir Johan HEILBRON, « Sociologie et positivisme en France au XIXe siècle : les vicissitudes de la Revue française de sociologie (1872-1874) », 2007/2, vol. 48, p. 307-331.
  • [28]
    Voir ibid., p. 326-327 : J. Heilbron insiste sur les visées politiques de Littré.
  • [29]
    Voir « Classification de la sociologie », La Philosophie positive, 1872, t. 8, p. 302-313. Dans cet article, Wyrouboff affirme, à la lecture de la 50e leçon du Cours de philosophie positive, que Comte assignait trois objets à la statique sociale : l’individu, la famille, la nation. Assimiler la société, terme qui se trouve dans le texte de Comte, à la nation est déjà un coup de force ; mais prétendre que Comte a affirmé que l’individu était le premier degré d’analyse sociologique est un contresens : selon Comte lui-même, et dans la même leçon, la famille est « la véritable unité sociale » (Auguste COMTE, Cours de philosophie positive, t. IV, Paris, Hermann, 2012, p. 250).
  • [30]
    « Le Prolétariat en Russie », La Philosophie positive, 1870, t. 7, p. 7.
  • [31]
    Voir les « Lettres de Russie » (ibid., 1880, t. 24, p. 1-31) qui sont le meilleur exemple de ce type d’analyse. Une première lettre dessine la situation économique de la région de Tambov (commerce du bois, régulation du gibier, commerce des grains). Une seconde décrit la structure sociale (le clergé, la question scolaire, l’administration communale). Une troisième traite des questions de médecine (état sanitaire de la population, mortalité infantile et composition du corps médical). Enfin la dernière évoque la question large du nihilisme à partir de la situation locale de Tambov. La description de la guerre russo-turque de 1877 (« Lettres d’Asie », ibid., 1877, t. 19 et 1878, t. 20) fait partie de ce même type d’étude au plus près du terrain.
  • [32]
    Voir « Le clergé russe », ibid., 1868, t. 2, p. 5-26. L’auteur de La Réforme du Clergé russe (Paris, Joseph Albanel, 1867), le Père Gagarin (1814-1882), est un prince russe converti au catholicisme, devenu jésuite et résidant à Paris, fondateur de la revue Études.
  • [33]
    Voir « Le clergé russe », op. cit., p. 7.
  • [34]
    Ibid., p. 11.
  • [35]
    Ibid., p. 14.
  • [36]
    Ibid., p. 20.
  • [37]
    Voir « La Russie sceptique », ibid., 1873, t. 11, p. 329-348. La substance de cet article est identique.
  • [38]
    Ibid., p. 347.
  • [39]
    L’article « Deux mois entre l’Europe et l’Asie » (ibid., 1876, t. 16, p. 13-40), par exemple, est tout entier consacré à étudier les conséquences sociales de l’abolition du servage.
  • [40]
    Voir par exemple « Stuart Mill et la philosophie positive », dans Émile LITTRÉ et Grégoire WYROUBOFF, Auguste Comte et Stuart Mill, Paris, Germer Baillière, 1867, p. 79-84. Ce que critique précisément Wyrouboff, ainsi que Littré, c’est l’idée que l’économie politique soit une science à part entière et autonome. L’économie politique doit être en effet subordonnée à la sociologie, et ce n’est que dans ce cadre que ses résultats sont utilisables.
  • [41]
    « De l’ivrognerie en Russie », La Philosophie positive, 1869, t. 4, p. 273-274. Sur le rapport de « M. Bouschen à la Société d’Économie Politique », voir ibid., p. 269. L’analyse menée sur l’ivrognerie est donnée en exemple dans l’article « De la méthode dans la statistique » (ibid., 1870, t. 6, p. 23-43), article dans lequel Wyrouboff, en analysant l’ouvrage de Quételet (Physique sociale ou essai sur le développement des facultés de l’homme, Paris, 1869) s’éloigne assez nettement de l’hostilité radicale de Comte envers l’usage des statistiques en sociologie.
  • [42]
    « Le communisme russe », La Philosophie positive, 1871, t. 7, p. 252-277.
  • [43]
    Ibid., p. 256-257.
  • [44]
    Ibid., p. 256. Cet article s’appuie en grande partie sur l’ouvrage classique du baron HAXTHAUSEN : Études sur la situation intérieure, la vie nationale et les institutions rurales de la Russie, 3 vol., Hanovre, Hahn, 1847-1853.
  • [45]
    Sur le rapport de Wyrouboff à Herzen, voir René VERRIER, op. cit., p. 27-48. R. Verrier, qui remarque que la naissance de La Philosophie positive coïncide avec la disparition de La Cloche, journal publié par Herzen, fait du positivisme radical la seconde moitié de l’héritage de Herzen, à côté du marxisme.
  • [46]
    « La commune russe », op. cit., p. 256.
  • [47]
    Ibid., p. 276.
  • [48]
    « Classification de la sociologie », ibid., 1872, t. 8, p. 303.
  • [49]
    Voir « La sociologie et sa méthode », ibid., 1881, t. 26, p. 5-25. Wyrouboff y rend compte du livre d’Eugène de ROBERTY, La sociologie, essai de philosophie sociologique, Paris, Germer Baillière, 1881.

1 Wyrouboff a laissé, dans la mémoire de l’institution universitaire française, du moins en philosophie, un souvenir négatif à cause de la manière dont il a été élu à la chaire d’« Histoire générale des sciences » du Collège de France. L’histoire de cette chaire, dont Wyrouboff fut le titulaire de 1903 à 1913, est fortement liée à celle du positivisme  [1].

2 L’idée en avait été formulée en 1832 par Auguste Comte auprès de François Guizot  [2]. L’affaire fut enterrée par ce dernier, et il fallut attendre 1892 pour en voir la création. Elle fut soutenue par des républicains comme Ferry et Gambetta, qui étaient des positivistes convaincus, dans l’idée qu’une telle chaire pouvait contribuer à faire progresser la laïcisation de la société française. Elle échut logiquement à Pierre Laffitte, qui était le successeur désigné d’Auguste Comte et le directeur des positivistes orthodoxes. Il l’occupa de 1892 à 1903.

3 En 1903, à la mort de Laffitte, la chaire laissée vacante est mise au concours. Deux candidats se détachent nettement, Paul Tannery et Grégoire Wyrouboff. L’assemblée des professeurs du Collège de France ainsi que l’Académie des sciences placent Tannery en premier, Wyrouboff en second. Mais le ministère décide d’inverser les positions et désigne Wyrouboff comme titulaire de la chaire. Les mêmes motifs anticléricaux semblent à l’œuvre. Paul Tannery, un peu à l’image de Pierre Duhem, était connu pour ses convictions catholiques ; et de l’autre côté, l’anticléricalisme radical de Wyrouboff ne pouvait que plaire à un gouvernement dirigé alors par Émile Combes.

4 Cet incident a fait de Wyrouboff le symbole d’un positivisme institutionnel qui n’avait plus grand lien avec les exigences de la recherche universitaire, et qui se contentait de répéter une leçon conçue dans les années 1830. Il semble significatif qu’encore en 1958, Canguilhem, dans un passage consacré à la succession de Laffitte, ne daigne même pas citer Wyrouboff  [3]. Cependant, même si l’on peut accorder qu’il était un bien moins bon historien des sciences que Paul Tannery – si tant est qu’il en fût un –, Wyrouboff n’était pas un personnage insignifiant et son œuvre, qui va de travaux scientifiques en cristallographie à des études de type sociologique, bien qu’extrêmement variée, ne manque pas de cohérence. Cette cohérence et cet intérêt, nous les trouverons surtout dans son activité de publiciste exercée au sein de la revue La Philosophie positive, et dans ses tentatives d’appliquer une sociologie d’inspiration comtienne à la situation russe.

Données biographiques

5Son parcours biographique et intellectuel est pour le moins original. L’esquisse qui suit s’appuie essentiellement sur la littérature secondaire et sur les articles de Wyrouboff parus dans La Philosophie positive  [4].

6 Wyrouboff naît en Russie, vraisemblablement à Moscou, en 1843. Il est issu d’une famille noble, qui devait avoir pour berceau la région de Tambov, à environ 500 km au sud de Moscou  [5]. Il est certain qu’il a joui d’une très grande fortune. À la fin de ses études secondaires, en 1862, il proposa ainsi de subventionner la réimpression du Cours de philosophie positive ; il a également supporté financièrement la revue qu’il fondera avec Littré : La Philosophie positive.

7 Ses premières années ne se sont pas déroulées exclusivement en Russie : comme il le souligne lui-même, il a « passé une partie de [sa] jeunesse à voyager  [6] ». Il parlait parfaitement le français et l’allemand, qu’il a appris très jeune. En partie pour des raisons de santé, il fut envoyé en Italie alors qu’il était encore enfant. Vers sa douzième année, il fut inscrit à Paris au lycée Bonaparte (actuel lycée Condorcet). Ce n’est que dans sa quatorzième année qu’il rentra en Russie, pour suivre sa scolarité au lycée Alexandre de Saint Petersbourg. Il entreprit ensuite des études de médecine et de sciences naturelles, d’abord à Saint Petersbourg, puis en Allemagne, à Berlin (vers 1865) et enfin à Paris. Il semble cependant n’avoir jamais pratiqué la médecine, sinon dans des conditions très spéciales, gratuitement durant ses séjours à Tambov, pendant le siège de Paris en 1870, ou encore en 1877 lors de la guerre russo-turque où il dirigeait un service sanitaire, « une grande ambulance », dans le Caucase  [7].

8 C’est durant ses études au lycée qu’il rencontre Eugène de Roberty  [8]. C’est là aussi qu’il entend parler pour la première fois d’Auguste Comte, par Louis Edmond Pommier, titulaire de la chaire de littérature française depuis 1859. Edmond Pommier, qui avait adhéré en 1848 à la société positiviste fondée par Auguste Comte, avait ensuite suivi Littré dans son refus du positivisme religieux  [9]. Via Pommier, Wyrouboff reçoit non seulement une doctrine, le positivisme dans sa version « incomplète », antireligieuse et républicaine, mais aussi un réseau de relations au sein duquel il évoluera toute sa vie : par son professeur de littérature, il a eu un accès direct à Littré, qu’il rencontre dès 1862, ainsi qu’à Madame Comte, qui le poussera plus tard, alors qu’il n’avait que 24 ans, à s’engager dans l’aventure de la revue La Philosophie positive, et enfin à tous les cercles de pouvoir des quarante premières années de la troisième République. De fait, c’est à Paris qu’il va passer l’essentiel de sa vie, du milieu des années 1860 à sa mort. Il sera d’ailleurs naturalisé en 1887.

9 Les travaux de Wyrouboff peuvent se diviser en deux parties, une partie proprement scientifique, et une autre qu’on peut appeler « philosophique » au sens comtien du terme : c’est-à-dire selon un spectre large, allant de la philosophie des sciences à la sociologie, l’histoire et la politique.

10 Nous ne nous attarderons pas sur ses activités de scientifique, sinon pour dire qu’il a une véritable œuvre en chimie et en cristallographie. Il soutient sa thèse en 1886, donc assez tardivement : Recherches sur la structure des corps cristallisés doués de pouvoir rotatoire et recherches sur la composition et la forme cristalline de quelques nouveaux tartrates (Jean Jacques, p. 468). En 1901, la Sorbonne « lui fait le prêt gracieux d’un laboratoire personnel ». On lui doit un Manuel pratique de cristallographie (Paris, Gauthier-Villars et fils, 1889), mais l’essentiel de sa production est parcellaire, et consiste en « articles » et en conférences. La nécrologie de H. Copaux recense une centaine de contributions à la chimie qui s’étalent de 1866 à 1908  [10].

Une revue positiviste : La Philosophie positive

11Son œuvre philosophique, au sens susdit, partage au moins une caractéristique avec ses travaux scientifiques : dans ce domaine-là non plus, Wyrouboff n’est pas homme de livres, et ce qui se présente sous forme de livre (La science vis-à-vis de la religion ; Stuart Mill et la philosophie positive  [11]) n’est en fait que des articles réunis en volume. Il faut dire en effet que l’œuvre philosophique de Wyrouboff se confond essentiellement avec la revue qu’il a codirigée avec É. Littré (1801-1881) : La Philosophie positive. Cette revue, qui ne survivra que deux années à la mort de Littré, Wyrouboff non seulement l’a animée (et financée) en tant que directeur pendant les dix-sept ans de son existence, de 1867 à 1883, mais il y a aussi contribué au titre de soixante-seize articles (voir la liste mise en annexe), sans compter les recensions.

12 Fondée en 1867, La Philosophie positive est la première revue philosophique de tendance positiviste, qui plaide pour une philosophie non spiritualiste et antimétaphysique. Il s’agit donc d’une revue généraliste, mais orientée doctrinalement : c’est l’organe de propagation du positivisme non-religieux. Il est tout à fait significatif que les deux arguments développés par Wyrouboff pour justifier l’arrêt de la revue sont, d’une part, le désintérêt de l’époque pour les idées générales et, d’autre part, la pénétration des idées comtiennes au sein de la société française :

13

Au milieu de ce concours d’idées nouvelles qui, à la fin de l’Empire, attaquaient les vieilles doctrines, il nous a semblé que les idées fort peu connues alors de A. Comte (sic), avaient leur place ; nous les avons fait connaitre, nous les avons développées, amendées, appliquées aux cas particuliers qui se sont présentés. Cette tentative […] a pleinement réussi, et nous n’avons pas à nous en repentir ; la philosophie positive est entrée dans le domaine public, dans le grand courant des idées qui circulent un peu partout. […] L’état présent de la philosophie, quelque imparfait qu’il soit, contente […] l’immense majorité de ceux qui s’intéressent aux luttes intellectuelles. Les ennemis sont vaincus, les points fondamentaux sont acquis, on en conclut aisément qu’il est permis d’abandonner les généralités pour s’occuper des affaires courantes. […] Nous disparaissons donc devant l’indifférence générale pour les questions générales  [12].

14 En tant qu’organe du positivisme antireligieux, La Philosophie positive s’opposera à la Revue Occidentale, qui sera fondée par Laffitte en 1878 et représentera le positivisme intégral. L’œuvre de Comte peut être en effet partagée en deux périodes : la première, qui va jusqu’en 1844, est celle du Cours de philosophie positive. Comte y expose une philosophie exclusivement fondée sur le savoir scientifique, et étend la positivité à l’étude des phénomènes sociaux en instituant une sociologie historique. Le seconde période correspond au Système de politique positive : Comte adopte la méthode dite subjective, aborde frontalement la réorganisation politique en postulant que l’unification doit être sentimentale, opérée par la religion de l’Humanité et conçue par une science de l’individu supérieure à la sociologie : la morale.

15 Ces deux périodes ont créé une césure entre les disciples de Comte, les uns s’en tenant à la première période, les autres acceptant tout l’héritage, même religieux. Cette scission est d’ailleurs théorisée par Littré lui-même dans Auguste Comte et la philosophie positive : « J’ai eu à scinder M. Comte lui-même  [13] ». Littré se réclame en effet uniquement de la première période et, dans une hostilité marquée à l’égard de la religion positiviste, plaide pour une méthode objective et scientifique, qui va du monde à l’homme. La Philosophie positive, en tant qu’elle se situe dans cette tendance radicalement antimétaphysique et antireligieuse, représente donc cette tendance du positivisme, qu’on qualifie parfois de « positivisme incomplet ».

Une conception de la philosophie positive : « Le certain et le problable »

16On peut dire que Wyrouboff épouse pleinement ces options. Chez lui, cette adhésion débouche sur une forme de scientisme que l’on ne trouve pas chez Comte, et qu’il argumente de façon parfois surprenante. C’est dans l’article intitulé « Le certain et le probable ; l’absolu et le relatif », paru dans la deuxième livraison de la revue, qu’il expose sa conception globale du positivisme  [14].

17 Wyrouboff commence par une sorte d’exposition de la loi des trois états. Selon notre auteur, toute grande conception du monde part d’un axiome. Celui de la philosophie théologique consiste à admettre « un être créateur de l’univers  [15] » ; la métaphysique athée, dans sa partie affirmative, pose l’existence « d’une force créatrice matérielle » ; enfin, la philosophie positive n’étudie que « les propriétés observables » de la matière  [16]. Ces axiomes produisent des systèmes en quelque sorte fermés sur eux-mêmes, et ce qui les fait émerger les uns après les autres, c’est le progrès des connaissances positives. Dans ce cadre historique, l’avènement de la philosophie positive marque d’ailleurs la réunion de la philosophie et de la science :

18

La métaphysique athée remplaça l’être invisible par un être visible ; la philosophie positive n’admit de cet être visible que les propriétés observables. La philosophie et la science exacte se confondirent dès lors : l’une ne fut plus que la synthèse de l’autre. Le point de départ devient commun, les méthodes deviennent communes. Là est l’originalité de la philosophie positive. En effet, nous allons voir que tout découle de cette fusion de la philosophie avec la science  [17].

19 Wyrouboff, poursuivant son exposition du positivisme, aborde ensuite la question du critérium de la vérité. En cela, il a sans doute été motivé par la critique de Mill selon laquelle Comte n’avait pas exhibé de façon claire un « critérium de la vérité  [18] ». Ce critère est le suivant : « la philosophie positive admet que la réalité seule peut être vraie ». Reste bien évidemment à définir et à garantir la consistance de ce réel. Wyrouboff élabore une stratégie d’étaiement par élargissement, permettant d’éliminer le doute. Ce qui est réel, ce n’est pas le fait isolé, mais le fait constaté par tous, et dont la vérification par tous sera toujours possible : « Ces conditions nous donnent ce que dans la science on est convenu d’appeler loi  [19] ». Ce premier élargissement n’est cependant pas suffisant, car une loi seule, parce qu’elle a été obtenue comme toutes les autres lois empiriques par induction, peut être exposée au démenti futur d’un contre-exemple. Ce qui assoie en définitive la certitude et la rationalité de la loi, c’est qu’elle s’insère dans un ensemble de lois cohérentes entre elles et qui font système : « …nous ne voulons aucune autre vérité que la vérité scientifique, et […] il n’y a et n’y aura jamais dans la science de certitude plus grande que la loi rationnelle  [20]. »

20 À partir de ces analyses, Wyrouboff définit ce qu’il faut entendre par absolu et par relatif : ces deux notions se trouvent « enfermées dans les limites du monde cognoscible  [21] ». L’absolu n’étant rien d’autre que le réel, et le réel étant la loi, « la loi peut seule avoir le privilège d’exprimer une vérité absolue ». Le relatif est tout ce qui, n’étant pas encore démontré rigoureusement, demeure probable.

21 Cette présentation ne laisse pas d’étonner un lecteur attentif du Cours de philosophie positive. Nous soulignerons deux points. Le premier est la façon dont Wyrouboff met en avant le concept de « matière ». Il en fait un usage parfaitement métaphysique, qui s’inscrit en faux contre l’usage comtien. On ne trouve ce concept sous la plume de Comte que dans des passages techniques et en relation avec (ou en opposition à) un pôle intellectuel et moral : il y a une existence matérielle et une existence intellectuelle et morale ; il n’y a pas de matière absolument, il n’y a la plupart du temps qu’une forme adjectivale ou une forme nominale au pluriel. Comte part de la matérialité, c’est-à-dire d’un ensemble de qualités phénoménales qui autorisent à parler ensuite d’un type d’existence. Au contraire la plupart des formules de Wyrouboff semblent supposer une antériorité de la matière, au singulier, par rapport à ses manifestations sensibles : « la réalité, c’est-à-dire les propriétés visibles de la matière, qui sont évidemment considérées comme immanentes  [22] ». C’est pourquoi le fait de ne s’attacher qu’aux « qualités cognoscibles de la matière », comme il l’affirme, ne diminue pas la charge métaphysique.

22 Le second point est encore plus déconcertant. Comte a souvent répété que s’il y avait dans son système un principe premier, ce serait celui d’un relativisme, qui prend d’ailleurs bien des formes, de l’affirmation de l’historicité de tout phénomène à la position de l’Humanité comme terme par rapport auquel les jugements doivent se déterminer. En tous les cas, Comte a toujours rejeté l’absolu hors de son système : il affirme ce principe dès 1818 : « Il n’y a rien d’absolu dans ce monde, tout est relatif  [23] ». Et dans ses dernières œuvres il répète incessamment que la substitution positiviste des lois aux causes revient à remplacer l’absolu par le relatif. On est donc aux antipodes de l’analyse de Wyrouboff sur ce point – qui identifie loi rationnelle et absolu.

23 Ces deux déplacements ont finalement pour caractéristique commune de rejeter ce qui dans le positivisme comtien va contre le réalisme des lois, que cette tendance prenne la forme du relativisme, ou celle, moins classique et appartenant à la seconde philosophie, du subjectivisme. Les analyses de Wyrouboff, bien qu’opérées dans un cadre comtien, aboutissent donc à une interprétation incontestablement scientiste de la philosophie positive. Selon une orientation propre à l’interprétation de Littré (« La doctrine du sujet ne peut être au-dessus de celle de l’objet »), Wyrouboff comprend le naturalisme comtien comme une sorte d’objectivisme scientiste radical.

24 C’est donc à l’intérieur de ce cadre théorique très général que se déploie l’activité éditoriale de Wyrouboff. Un coup d’œil rapide sur la liste des articles qu’il a rédigés fait apparaître deux groupes assez nettement définis. Le premier groupe est consacré à des questions de philosophie des sciences : « Qu’est-ce que la géologie ? », « L’hypothèse de l’éther en optique », etc. L’autre groupe est constitué d’articles de sociologie : ce groupe est plus large que ne le laisse entrevoir la liste au premier regard, car il faut compter non seulement les articles portant sur la sociologie en général, comme « Classification de la sociologie » (1872), ou « La sociologie et sa méthode » (1881), mais aussi la plupart des articles sur la Russie comme « Le clergé russe » (1867), « L’ivrognerie en Russie » (1869), « Le prolétariat en Russie » (1870), etc.

25 Les articles consacrés à la philosophie des sciences ne constituent qu’une part assez faible de la production de Wyrouboff : environ neuf à onze articles sur soixante-seize, et la proportion ne changerait guère en incluant les recensions  [24]. Si, la plupart du temps, ils ne font pas preuve d’innovations théoriques et conceptuelles, ils sont en revanche d’un très bon niveau technique et témoignent d’une information scientifique de première main, bien supérieure à ce qu’on trouvera plus tard dans la Revue Occidentale. En revanche aucun des articles n’atteste une compétence d’historien : ce sont pour l’essentiel des articles d’actualité qui font le point sur un domaine. Sous ce dernier point de vue, la nomination de Wyrouboff à la chaire d’histoire générale des sciences pouvait effectivement apparaître illégitime.

Des essais de sociologie appliquée

26Mais c’est sans nul doute le domaine sociologique, et plus précisément celui d’une sociologie appliquée, qui a le plus mobilisé l’attention de notre auteur. L’apport de La Philosophie positive à la théorie sociologique passe d’abord par une estimation du rôle de la « Société de sociologie » fondée par Littré en 1872, et dont la revue a partiellement publié les travaux  [25]. Cette estimation divise les historiens de la sociologie. Massayuki Yamashita, dans un article consacré à la sociologie française entre Comte et Durkheim, remarque qu’entre 1857, date de la mort de Comte, et 1893, date du premier grand livre de Durkheim (La Division sociale du travail), aucune entreprise n’a véritablement émergé, sauf celle de la Société de sociologie  [26]. Au contraire, Johan Heilbron, estime que cette société, compte tenu de l’orientation empirique et « opportuniste » de Littré, a plutôt joué le rôle d’un « club politique », que celui d’une société savante  [27]. Quel rôle a pu jouer Wyrouboff ? S’il n’est pas certain que son attitude soit strictement semblable à celle de Littré – pour expliquer la fin rapide de la société il n’invoque que des raisons théoriques  [28] –, force est de constater cependant que son apport et son originalité ne consistent pas dans l’élaboration de concepts théoriques nouveaux, mais plutôt dans une pratique de la sociologie mettant en œuvre des outils et des expériences que l’on ne trouve pas dans le positivisme strict. L’article théorique qu’il a présenté à la Société de sociologie n’est en effet guère convaincant, et montre même, ce qui est assez déconcertant, une certaine méconnaissance des positions théoriques de Comte sur la statique  [29].

27 Les articles sur la Russie, auxquels nous allons nous consacrer maintenant, sont incontestablement le lieu d’une mise en pratique de la sociologie autrement plus intéressante que ses essais théoriques. Le point de vue sociologique en général est d’abord pour Wyrouboff le moyen d’une mise à distance d’un objet qui autrement lui serait trop proche. C’est pourquoi, chaque fois qu’il parle de la Russie, c’est pour faire œuvre de science. Deux buts sont ainsi couramment assignés à ces travaux : d’abord un but immédiat et limité à l’objet étudié : connaître tel ou tel aspect de la Russie ; d’autre part, un but plus général de confirmation d’un grand principe comtien : l’universalité des lois sociologiques, même en milieu pathologique ou morbide :

28

Ce qui nous intéresse ici – car ceci a une immense portée philosophique – c’est l’explication de l’état social d’un pays qui s’est développé en dehors de la civilisation européenne, c’est l’analyse de ses éléments, c’est la démonstration de cette vérité que là même, aux confins de l’Asie, malgré un climat que l’organisme humain peut à peine supporter […], malgré tous les malheurs historiques, invasions des hordes sauvages, morcellement politique du pays pendant une longue suite d’années, la loi du progrès ne change pas, et les sociétés parcourent les mêmes phases  [30].

29 Dans les études sur la Russie, on peut discerner trois niveaux d’analyse. Un niveau macrosociologique, qui brosse, de manière très comtienne, les grands traits de l’histoire russe ; un niveau intermédiaire qui étudie une classe particulière (le prolétariat par exemple) ou une institution précise (la commune rurale russe). Enfin un dernier niveau, qui tient quasiment de l’enquête anthropologique, décrit, à partir d’un lieu particulier, la région de Tambov, l’organisation d’une société rurale, ses différents classes sociales (les médecins, les maîtres d’école, le personnel religieux, etc.), et les questions qu’elle doit résoudre. Ces notes de « terrain », si l’on peut dire, confirment et illustrent les analyses opérées aux niveaux supérieurs  [31]. La question du christianisme en Russie et celle des communes russes permettront d’illustrer les deux premiers niveaux d’analyse.

La Russie et le christianisme

30 C’est à la faveur de la parution du livre d’Ivan Sergeevitch Gagarin sur La Réforme du Clergé russe que Wyrouboff entreprend une étude historique sur la religion en Russie  [32]. Son point de départ est la spécificité de la Russie par rapport aux peuples occidentaux : elle n’a pas reçu l’héritage de la civilisation romaine, héritage qui a mené l’Europe, par une série de transformations, aux principes de 1789. Le monde slave a certes servi de rempart contre les invasions mongoles, mais il n’en est pas moins resté étranger aux peuples qu’il a protégés  [33].

31 La religion, parce qu’elle détermine profondément le lien social, est, d’après Wyrouboff, le point de vue le plus pertinent pour aborder la spécificité de la race slave. Son analyse part d’une loi sociologique d’inspiration comtienne, qu’on peut formuler ainsi : « Jamais une religion ne s’est directement substituée à une autre religion », il faut qu’une phase critique de dissolution s’intercale, de façon à rendre caducs les principes destinés à être remplacés  [34].

32 À partir de ce principe, Wyrouboff montre que le développement du christianisme en Russie a suivi un processus morbide en se dispensant de la phase de transition critique. Pour faire cette démonstration, il s’appuie sur « le récit de ce qu’on appelle à bon droit “le baptême de la Russie” transmis par le chroniqueur slave Nestor » et en seconde main par l’historien Karamzine  [35]. Ce récit raconte comment le « grand prince » Vladimir a imposé arbitrairement une religion (la religion catholique grecque) à un peuple slave essentiellement païen.

33 Ce baptême détermine selon Wyrouboff le caractère du christianisme russe, qui n’a jamais eu la fonction organique du catholicisme occidental : « Le christianisme n’avait pas relié les intelligences et les intérêts. […]. Le catholicisme avait servi, dans le monde slave, d’arme destructrice contre le paganisme, mais il n’a pas constitué, comme dans l’Occident, un régime définitif ; obligé d’être critique, il n’a pas eu le temps d’être organisateur  [36] ».

34 La conclusion de ce survol historique, selon Wyrouboff, est que la Russie n’a jamais été véritablement chrétienne, et qu’elle est restée, tout au long de son histoire, essentiellement « sceptique  [37] ». Cet état, qui résulte d’une anomalie historique, d’une pathologie du développement, va cependant se retourner au XIXe siècle en un avantage : au contact de l’Europe, cette Russie sceptique parviendra d’autant plus facilement à rattraper son retard et à entrer « dans la grande famille européenne » qu’elle n’aura pas à lutter contre les « préjugés théologiques » qui, même en 1867, entravent encore l’Europe.

35 On a donc là une analyse qui se situe au niveau des lois les plus hautes de la sociologie comtienne, puisqu’en dernier ressort c’est la loi des trois états elle-même qui est validée par cette étude : elle donne en effet l’exemple « d’un développement anormal pour la race aryenne, d’un développement dans lequel quelques-uns des termes de la série de M. Comte ont été supprimés. Cela n’infirme point la loi des trois états, car aucune loi, quelque exacte qu’elle soit, ne peut prévoir toutes les circonstances, cela prouve au contraire en sa faveur, de même que les aérostats démontrent la justesse de la chute des corps  [38] ».

La question des communes

36 La question des communes russes est typiquement une question de niveau intermédiaire, qui s’intéresse à une institution présente, la décrit précisément et envisage son avenir en fonction de données historiques macroéco­nomiques. C’est dans ces analyses de niveau intermédiaire que Wyrouboff est le plus fécond d’un point de vue méthodologique. Il mobilise toute une série d’instruments qui ne seraient pas forcément attendus d’un positiviste orthodoxe. Trois types d’instruments sont utilisés.

37 Le premier type est le plus attendu : l’attention aux réformes, aux lois promulguées qui ont pour visée de transformer les institutions : abolition du servage, monopole sur l’eau de vie, modification de l’imposition communale, etc.  [39]

38 Le second type d’instrument est constitué par les analyses économiques, quel qu’en soit le niveau. Il y a là, d’ailleurs, une certaine schizophrénie, dans la mesure où il ne cesse de dénoncer le discours de l’économie politique, ce qui est un des lieux communs du positivisme  [40].

39 Enfin, et c’est peut-être le plus surprenant du point de vue de la méthodologie positiviste, Wyrouboff porte une grande attention aux chiffres et à la statistique. Il cherche continuellement des sources fiables qui mesurent quantitativement les phénomènes qu’il étudie. De ce point de vue, l’étude sur l’ivrognerie est un cas parfaitement typique, par exemple lorsqu’il essaie de démontrer, à partir des chiffres fournis par la Société d’économie politique, que le peuple russe dans son ensemble « boit très peu, même comparativement aux peuples de la zone tempérée de l’Europe  [41] ».

40 L’étude sur « Le communisme russe » fait partie des études intermédiaires  [42]. Par communisme, il faut entendre le sens qu’il avait avant qu’il ne devienne plus ou moins synonyme du marxisme. Par là on entendait la thèse qui prônait, de façon littérale, l’abolition de la propriété et la mise en commun des biens. De ce point de vue, il a chez Wyrouboff le sens qu’il avait déjà chez Comte en 1848. Contre cette thèse, Wyrouboff remarque qu’il n’a pas véritablement d’arguments logiques à lui opposer : il a en revanche des arguments quant à sa possibilité pratique :

41

Loin de craindre le communisme comme un effroyable épouvantail, loin de le considérer comme un objet d’horreur pour le genre humain, je le tiens pour la théorie la plus logique de toutes celles qui ont été proposées à diverses époques pour “résoudre la question sociale”. […] dans le domaine des phénomènes sociaux, le juste et le possible ne sont malheureusement pas une seule et même chose, ce sont même deux choses presque contraires. […] Le mot possible je l’emploie ici dans un sens particulier : il ne s’agit pas, en effet, de cette possibilité logique qui nous apparaît comme le résultat d’une analyse philosophique, mais de cette possibilité réelle, c’est-à-dire de celle qui résulte de l’examen des conditions sociologiques  [43].

42 Plus spécifiquement, ce que Wyrouboff entend par « communisme russe », c’est l’organisation sociale qui procède de la commune russe :

43

Je vais montrer maintenant que le communisme russe, non pas ce communisme doctrinaire qui s’invente dans le silence du cabinet, mais le communiste pratique que la classe agricole expérimente déjà depuis des siècles, après avoir eu pendant longtemps sa raison d’être, est destiné à disparaître petit à petit  [44].

44 Cette contestation sociologique est en fait destinée à combattre une « première forme » du communisme en Russie, inspirée par Alexandre Herzen (1812-1870), qui prônait le modèle rural de la commune russe comme modèle du communisme  [45].Wyrouboff entreprend donc une étude minutieuse de la commune et de son contexte social et économique global. L’article sur « Le prolétariat en Russie », qui précède immédiatement l’étude du communisme, sert ainsi d’appui à Wyrouboff : il montrait un transfert inexorable des campagnes aux villes, de l’agriculture à l’industrie.

45 Le principe de la commune russe, telle que la décrit Wyrouboff, consiste dans la mise en commun des terres. La terre est partagée en autant de parties égales qu’il y a de familles dans la commune : les paysans n’ont qu’un droit d’usufruit, et ils ne peuvent transmettre leurs lots, d’autant plus que ces lots sont redistribués tous les trois ans. Comme le souligne Wyrouboff, ce système qui se perd dans la nuit des temps réalise « une partie des théories rêvées par les communistes […] elle supprime les deux droits considérés comme primordiaux dans toute société constituée – le droit de propriété et le droit d’héritage  [46] ».

46 Quelles sont les raisons qui selon Wyrouboff condamnent ce système ? Une première raison vient d’une perspective comparatiste : on peut trouver ailleurs qu’en Russie des systèmes semblables. Dans l’antiquité César et Tacite témoignent que les Germains avaient adopté cette organisation ; au XIXe siècle certaines régions d’Allemagne (vers Trèves) conservaient ce système. De ces faits Wyrouboff tire deux conséquences : la première pose que la commune russe n’est pas un accident de l’histoire ; la seconde montre que cette normalité a un coût : l’institution communale se révèle être un archaïsme.

47 À cette perspective comparatiste s’adjoint l’explication économique de cet archaïsme et de l’inéluctabilité de la disparition de la commune. S’appuyant en partie sur un schéma comtien classique, d’ailleurs emprunté à Saint-Simon, Wyrouboff explique que l’âge moderne est celui de l’industrie, et que cette industrialisation ne peut se faire à l’échelle de la commune, c’est-à-dire sous la forme de « la petite industrie ». En résumé, Wyrouboff déclare :

48

Grande industrie, propriété privée, prolétariat, ce sont les membres d’une même équation sociale, les termes d’un même régime économique, régime supérieur au régime communal, parce qu’il s’adapte à un état mental supérieur et qu’il est incompatible avec l’esclavage avec lesquels la commune a pu exister durant des siècles et bien mieux encore qu’elle n’existe à présent  [47].

49 On voit donc comment une sociologie d’inspiration massivement comtienne, quoique adaptée à des questions actuelles et œuvrant avec des instruments renouvelés, permet à Wyrouboff d’intervenir dans un débat qui était vif en Russie.

50 La position occidentaliste de Wyrouboff concernant le sort futur de la Russie est certainement le symptôme le plus net de son adhésion aux schémas dynamiques comtiens. Par-delà le caractère exceptionnel – anormal – de son développement, comparé au standard établi par la loi des trois états ; par-delà la prégnance de structures sociales anciennes, comme la commune russe ou le servage, qui ne fut aboli qu’en 1861, la Russie est destinée à rejoindre le groupe des cinq nations les plus avancées, à rejoindre l’Occident tel qu’il est défini par Comte. Cet occidentalisme est d’autant plus fort qu’il s’ancre aussi dans une sorte de déni de l’importance de la religion, comme en témoigne l’article sur le clergé russe. Ce déni, qui n’est pas seulement un anti-théologisme, est incontestablement un trait hérité de l’interprétation de la philosophie positive faite par Littré, refusant toute idée de religion. La plus grande part du positivisme de Wyrouboff tient finalement dans ces convictions idéologiques, scientistes et anti-religieuses.

51 Pour autant, du point de vue strictement scientifique, l’adhésion de Wyrouboff aux thèses de la sociologie comtienne a été plus réservée. En 1872, il admettait déjà que la sociologie, bien qu’étant « une science constituée », n’était pas encore explorée, et restait à l’état d’enfance  [48]. Vers la fin de son parcours éditorial, en 1881, il endosse avec enthousiasme la thèse de Roberty selon laquelle la sociologie en était encore à une phase où sa constitution abstraite, comme corpus de lois générales, est impossible, et où seules sont permises des analyses descriptives, mobilisant des disciplines rejetées par Comte : l’économie politique, la science juridique, la morale (au sens non comtien du terme)  [49]. Nul doute que si Wyrouboff adopte avec enthousiasme les thèses de son ami sur ce point précis, c’est parce qu’il les avait déjà mises en œuvre dans ses descriptions sociologiques de la Russie.


52Annexe. Liste des articles de Grégoire Wyrouboff parus dans la revue La Philosophie positive
[n.B. Cette liste ne comprend pas les nombreuses recensions faites par l’auteur. les tomes 16 et 31 contiennent des tables analytiques générales qui permettent de les retrouver]

53Tome 1

  • « Qu’est-ce que la géologie ? », 1re année, n°1, juillet-août 1867, p. 31-50
  • « Le certain et le probable, l’absolu et le relatif », 1re année, n°2, septembre-octobre 1867, p. 165-182
  • « Quelques mots à propos d’un discours de M. Mill sur l’instruction moderne », 1re année, n°3, novembre-décembre 1867, p. 413-437
  • « Le Congrès de la paix », 1re année, n°3, novembre-décembre 1867, p. 477-488

54 Tome 2

  • « Le clergé russe – La réforme du clergé russe, par le P. Gagarin », 1re année, n°4, janvier-février 1868, p. 5-26
  • « L’hypothèse de l’éther en optique », 1re année, n°5, mars-avril 1868, p. 246-264
  • « L’enseignement libre », 1re année, n°6, mai-juin 1868, p. 442-456

55 Tome 3

  • « Londres et Paris », 2e année, n°1, juillet-août 1868, p. 46-62
  • « Le Congrès de Berne », 2e année, n°3, novembre-décembre 1868, p. 471-485

56 Tome 4

  • « De l’individu dans le règne inorganique », 2e année, n°4, janvier-février 1869, p. 52-70
  • « De l’ivrognerie en Russie », 2e année, n°5, mars-avril 1869, p. 264-283

57 Tome 5

  • « De l’espèce et de la classification en zoologie », 3e année, n°1, juillet-août 1869, p. 121-138
  • « Le Congrès de Lausanne », 3e année, n°3, novembre-décembre 1869, p. 456-466

58 Tome 6

  • « De la méthode dans la statistique », 3e année, n°4, janvier-février 1870, p. 23-43
  • « Quelques mots à propos d’une nouvelle métaphysique : conséquences philosophiques et métaphysiques de la thermodynamique, par G. A. Hirn », 3e année, n°5, mars-avril 1870, p. 225-240

59 Tome 7

  • « Le Prolétariat en Russie », 4e année, n°1, juillet-août 1870, p. 5-23
  • « Un point de politique contemporaine », 4e année, n°2, septembre-octobre 1871, p. 200-218
  • « Le communisme russe », 4e année, n°2, septembre-octobre 1871, p. 252-277

60 Tome 8

  • « La politique qualitative et la politique quantitative », 4e année, n°4, janvier-février 1872, p. 5-23
  • « Classification de la sociologie », 4e année, n°5, mars-avril 1872, in section « Société de sociologie », p. 302-313
  • « De la pénalité », 4e année, n°6, mai-juin 1872, p. 337-357

61 Tome 9

  • « Opinion d’un civil sur la défense de Paris », 5e année, n°1, juillet-août 1872, p. 101-122
  • « A propos de la morale de M. Dumas fils », 5e année, n°3, novembre-décembre 1872, p. 433-446

62 Tome 10

  • « L’École libre des sciences politiques », 5e année, n°4, janvier-février 1873, p. 115-124
  • « Les civilisations de l’Extrême-Orient », 5e année, n°6, mai-juin 1873, p. 321-345

63 Tome 11

  • « Les civilisations de l’Extrême-Orient (2e art.) », 6e année, n°1, juillet-août 1873, p. 5-35
  • « La Russie sceptique », 6e année, n°3, novembre-décembre 1873, p. 329-348

64 Tome 12

  • « Quelques notes de voyage », 6e année, n°4, janvier-février 1874, p. 75-92
  • « La Philosophie positive à l’Exposition de Vienne », 6e année, n°4, janvier-février 1874, p. 159
  • « Quelques mots sur J.-St. Mill. [Mes mémoires. Histoire de ma vie et de mes idées, par J.-St. Mill, traduit par Cazelle, Germer Baillère, 1874] », 6e année, n°6, mai-juin 1874, p. 402-419

65 Tome 13

  • « Un nouveau livre de Philosophie positive [Problems of life and mind, by G.-H. Lewes. Vol. I. London, Trubner, 1874] », 7e année, n°1, juillet-août 1874, p. 93-115
  • « Une promenade sur le théâtre de la guerre civile en Espagne », 7e année, n°3, novembre-décembre 1874, p. 411-427

66 Tome 14

  • « Les ambulances de la Société française de Secours aux Blessés, pendant la Guerre de 1870-1871 », 7e année, n°6, mai-juin 1875, p. 379-403

67 Tome 16

  • « Deux mois entre l’Europe et l’Asie », 8e année, n°4, janvier-février 1876, p. 13-40
  • « Variétés. – Un singulier incident scolaire », 8e année, n°4, janvier-février 1876, p. 143-146
  • « La Minéralogie », 8e année, n°5, mars-avril 1876, p. 199-215

68 Tome 17 – Deuxième série

  • « Remarques sur le calendrier de M. Comte », 9e année, n°1, juillet-août 1876, p. 49-65
  • « Plan d’une École supérieure des Sciences positives » [Discours prononcé lors de l’anniversaire de la réception de M. É. Littré dans la Franc-Maçonnerie], 9e année, n°2, septembre-octobre 1876, p. 271-287
  • « Le Congrès ouvrier de Paris », 9e année, n°3, novembre-décembre 1876, p. 428-439

69 Tome 18 – Deuxième série

  • « La question d’Orient », 9e année, n°5, mars-avril 1877, p. 161-174
  • « Réplique à M. Mismer » [Réponse à un article de Charles Mismer « La question d’Orient et la Philosophie positive » paru dans le même numéro, p. 437-445], 9e année, n°6, mai-juin 1877, p. 446-452

70 Tome 19 – Deuxième série

  • « Lettres d’Asie », 10e année, n°3, novembre-décembre 1877, p. 429-448

71 Tome 20 – Deuxième série

  • « Lettres d’Asie », 10e année, n°4, janvier-février 1878, p. 99-114
  • « La guerre d’Orient 1854-1856 », 10e année, n°6, mai-juin 1878, p. 321-342

72 Tome 21 – Deuxième série

  • « La guerre d’Orient (suite) », 11e année, n°1, juillet-août 1878, p. 12-35
  • « Variétés. – Quelques réflexions à propos de deux récents procès », 11e année, n°1, juillet-août 1878, p. 155-159
  • « La question d’Orient et le Traité de Berlin », 11e année, n°2, septembre-octobre 1878, p. 286-295
  • « Variétés. – Nouvel appel aux sentiments religieux du public », 11e année, n°2, septembre-octobre 1878, p. 315-316
  • « Quelques nouveaux livres [La mythologie comparée, par M. Girard de Rialle ; Histoire de l’évolution du sens des couleurs, par Hugo Magnus, avec une introduction de Jules Soury] », 11e année, n°3, novembre-décembre 1878, p. 461-474 Tome 22 – Deuxième série

73 Tome 22 – Deuxième série

  • « La philosophie matérialiste et la philosophie positive. La Philosophie – I. Les Philosophes – II. La Philosophie, par A. Lefèvre », 11e année, n°4, janvier-février 1879, p. 23-49
  • « Nécrologie : G. H. Lewes », 11e année, n°4, janvier-février 1879, p. 146
  • « Remarques sur la philosophie critique en Allemagne », 11e année, n°6, mai-juin 1879, p. 375-394

74 Tome 23 – Deuxième série

  • « De l’esprit métaphysique en chimie » 12e année, n°2, septembre-octobre 1879, p. 177-199.

75 Tome 24 – Deuxième série

  • « Lettres de Russie », 12e année, n°4, janvier-février 1880, p. 1-31
  • « L’influence métaphysique en biologie : l’anthropologie, ce qu’elle est, ce qu’elle doit être », 12e année, n°6, mai-juin 1880, p. 343-360

76 Tome 25 – Deuxième série

  • « Les Hypothèses scientifiques », 13e année, n°2, septembre-octobre 1880, p. 169-184

77 Tome 26 – Deuxième série

  • « La Sociologie et sa méthode [à propos du livre d’Eugène de Roberty, La sociologie, essai de philosophie sociologique, Paris, Germer Baillière, 1881] », 13e année, n°4, janvier-février 1881, p. 5-25
  • « Variétés. – Un discours de M. Gambetta », 13e année, n°4, janvier-février 1881, p. 151-154
  • « Les modernes théories du néant : Schopenhauer, Leopardi, Hartmann », 13e année, n°5, mars-avril 1881, p. 161-186
  • « Variétés. – La ligue de l’enseignement : discours de MM Jean Macé Gambetta », 13e année, n°6, mai-juin 1881, p. 434-448

78 Tome 27 – Deuxième série

  • « Déclaration » [co-signé avec Charles Robin], 14e année, n°1, juillet-août 1881, p. iii-iv
  • « La mort de M. Littré », 14e année, n°1, juillet-août 1881, p. 1-12
  • « La Russie dans le passé et dans le présent », 14e année, n°1, juillet-août 1881, p. 50-73
  • « Les élections nouvelles et la vieille politique », 14e année, n°2, septembre-octobre 1881, p. 258-277
  • « La Philosophie positive, par A. Comte, résumée par Jules Rig », 14e année, n°2, septembre-octobre 1881, p. 278-285

79 Tome 28 – Deuxième série

  • « La nouvelle politique et la vieille diplomatie », 14e année, n°4, janvier-février 1882, p. 5-27
  • « La crise politique », 14e année, n°5, mars-avril 1882, p. 305-312
  • « La conception métaphysique d’une vie universelle », 14e année, n°6, mai-juin 1882, p. 416-431

80 Tome 29 – Deuxième série

  • « Variétés. – Académie française ; discours de M. Pasteur ; discours de M. Renan. – Les deux opinions académiques sur M. Littré », 15e année, n°1, juillet-août 1882, p. 128-156
  • « À propos des crédits égyptiens », 15e année, n°2, septembre-octobre 1882, p. 296-302

81 Tome 30 – Deuxième série

  • « Autocratie et nihilisme », 15e année, n°4, janvier-février 1883, p. 5-23
  • « Louis Blanc et Gambetta », 15e année, n°5, mars-avril 1883, p. 300-309
  • « Variétés. – Un singulier syndicat professionnel », 15e année, n°5, mars-avril 1883, p. 310-314

82 Tome 31 – Deuxième série

  • « Ce qu’il faut pour philosopher [à propos de L’univers invisible. Études physiques sur un état futur, de B. Stewart et Tait, et Génie de l’homme. Libre philosophie de Jules Gresland] », 16e année, n°1, juillet-août 1883, p. 5-26
  • « Déclaration » [co-signé avec Charles Robin], 16e année, n°3, novembre-décembre 1883, p. 321-323
  • « Quelques considérations sur la morale [à propos de Morale et enseignement civique, de Louis Liard] », 16e année, n°3, novembre-décembre 1883, p. 323-338


Mots-clés éditeurs : Wyrouboff (Grégoire), La philosophie positive, Herzen (Alexandre), Comte (Auguste), Littré (Émile), Société de sociologie, Positivisme russe, Clergé russe, Commune russe

Date de mise en ligne : 03/05/2016.

https://doi.org/10.3917/aphi.792.0297

Notes

  • [1]
    Voir Harry W. PAUL, « Scholarship and Ideology. The Chair of General History of Science at the Collège de France, 1892-1913 », Isis, 67, 1976, et Annie PETIT, « L’héritage du positivisme dans la création de la chaire d’histoire générale des sciences au Collège de France » Revue d’histoire des sciences, 1995, t. 48 n°4. p. 521-556. Voir aussi Jean-François BRAUNSTEIN, L’histoire des sciences. Méthodes, styles et controverses, Paris, Vrin, 2008, p. 28-29.
  • [2]
    Voir Auguste COMTE, « Sur la création d’une chaire d’histoire générale des sciences physiques et mathématiques au Collège de France », Correspondance générale et confessions, t. 1, Paris, Mouton, 1973, p. 406-410.
  • [3]
    Voir Georges CANGUILHEM, « La philosophie biologique d’Auguste Comte et son influence en France au XIXe siècle », in Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1983, p. 63-64.
  • [4]
    Pour la littérature secondaire, voir Hippolyte COPAUX, « Notice sur la vie et les travaux de Grégoire Wybouroff (1843-1913) », Bulletin de la société chimique de France, t. XV, p. i-xxi ; Général Émile Jourdy, « Wyrouboff, sa vie, son œuvre », Revue scientifique, 1914, n°1 (3 janvier 1914), p. 14-19 ; Frédéric WALLERANT, « Wyrouboff », La nature, n°2119 (3 janvier 1914), p. 94 ; Jean JACQUES, « Grégoire Wybouroff (1843-1913) et la chimie positive », C.R. Acad. Sciences. Paris, t. 2, série IIc, 1999, p. 467-470 ; René VERRIER, Roberty : le positivisme russe et la fondation de la sociologie, Paris, Alcan, 1934. À noter une monographie en russe à laquelle nous n’avons pas pu accéder, réalisée par des historiens de la chimie : E. A. ZAITSEVA, G. I. LUBINA, Grigorii Nikolaevich Wyrouboff, Moscou, Nauka, 2006, 336 p.
  • [5]
    C’est du moins à Tambov qu’il allait quand il retournait en Russie. Selon René Verrier, il possédait aussi des domaines dans les gouvernements de Penza et de Saratov : voir René VERRIER, Roberty, op. cit., p. 19.
  • [6]
    Grégoire WYROUBOFF, « Londres et Paris », La Philosophie positive, 1868, t. 3, p. 46 : « J’ai traversé maintes fois en long et en large le continent européen, depuis les steppes immenses de la Russie jusqu’aux rochers de Gibraltar, depuis les plages inhospitalières de la mer du Nord, jusqu’au sommet brûlant de l’Etna. J’ai vu la patrie des Pharaons, ce berceau de la civilisation antique, la Palestine, ce berceau de la civilisation chrétienne, l’Asie-Mineure, où la Grèce a laissé tant de vestiges ».
  • [7]
    L’expression est du général Émile JOURDY, « Wyrouboff, sa vie, son œuvre », op. cit., p. 15. Sa pratique à Tambov est évoquée dans « Lettres de Russie », La Philosophie positive, 1880, t. 24, p. 20-26 ; l’expérience du siège de Paris dans « Les ambulances de la Société française de Secours aux Blessés, pendant la Guerre de 1870-1871 », ibid., 1875, t. 14, p. 379-403. Enfin la guerre russo-turque est abordée dans les « Lettres d’Asie », ibid., 1877, t. 19, p. 429-448 et 1878, t. 20, p. 99-114. Pour son travail d’organisation des services sanitaires en tant que délégué de la Croix-Rouge, voir plus précisément ibid., t. 19, p. 443-448.
  • [8]
    Sur Eugène de Roberty, qui fut un intime de Wyrouboff et qui collabora régulièrement à La Philosophie positive, voir René VERRIER, op. cit. et Yusef SEMLALI, « Eugène de Roberty (1843-1915). Une page peu connue de l’histoire de la sociologie », 22 pages, 2005. <halshs-00003964>.
  • [9]
    Sur Edmond Pommier (né en 1812), voir René VERRIER, op. cit, p. 20-23 ; Mary PICKERING, Auguste Comte. An Intellectual Biography, 1993-2009, vol. II, p. 425, vol. III, p. 30 et 33 ; James H. BILLINGTON, « The Intelligentsia and the Religion of Humanity », American Historical Review, 1960, 65 (4), p. 813 (il s’agit d’un article sur la réception russe de la religion de l’Humanité). Pour son inscription à la Société positiviste de 1848, voir Auguste COMTE, Correspondance générale, t. 4, Paris, Mouton, 1981, p. 306-309 ; et Mirella LARIZZA, Bandiera verde contro bandiera rossa. Auguste Comte et gli inizi della Société positiviste (1848-1852), Bologne, Il Mulino, 1999, p. 196.
  • [10]
    Voir Hippolyte COPAUX, op. cit., p. xv-xxi. Pour un jugement moderne sur son œuvre de chimiste, voir Jean JACQUES, op. cit.
  • [11]
    Respectivement, Paris, Germer-Baillière, 1865 et 1867.
  • [12]
    Grégoire WYROUBOFF et Charles ROBIN, « Déclaration », La Philosophie positive, 1883, t. 31, p. 321-323.
  • [13]
    Émile LITTRÉ, Auguste Comte et la philosophie positive, Paris, Hachette, 1863, p. iv.
  • [14]
    « Le certain et le probable ; l’absolu et le relatif », La Philosophie positive, 1867, t. 1, p. 165-182.
  • [15]
    Ibid., p. 166.
  • [16]
    Ibid., respectivement p. 166, 167 et 168.
  • [17]
    Ibid., p. 167.
  • [18]
    Voir ibid., p. 181.
  • [19]
    Ibid., p. 171-172.
  • [20]
    Ibid., p. 174.
  • [21]
    Ibid., p. 176.
  • [22]
    Ibid., p. 181. Il semble que cela soit plus qu’une maladresse de formulation. Il est tout à fait symptomatique que Wyrouboff présente la philosophie positive comme une épuration de la métaphysique athée : celle-ci admet « une force ou des forces immanentes à la matière » (ibid., p. 168). Elle attribua donc « des propriétés fictives à un être naturel » (ibid.). La philosophie positive fait un pas de plus en ne considérant que les propriétés observables de cet être naturel : mais elle conserve l’idée que la matière est un être naturel visible. Il se peut que sa formation de cristallographe et de chimiste ait orienté Wyrouboff vers une conception de la matière difficilement compatible avec le positivisme comtien.
  • [23]
    Auguste COMTE, Lettre à Valat du 15 mai 1818, Correspondance générale, t. 1, Paris, Mouton, 1973, p. 37.
  • [24]
    Wyrouboff a couvert la plupart des sciences naturelles, de l’astronomie (via sa branche concrète, la géologie) à la biologie. Outre des articles qui répètent plus ou moins la vulgate comtienne, comme celui sur « Les hypothèses scientifiques » (La Philosophie positive, 1880, t. 25, p. 169-184), on trouve des contributions plus originales, concernant un domaine peu exploré par Comte, celui des sciences concrètes. « Qu’est-ce que la géologie » (ibid., 1867, t. 1, p. 31-50) et « La minéralogie » (ibid., 1876, t. 16, p. 199-215) traitent respectivement de la partie concrète de l’astronomie et de la chimie. L’article sur la géologie, le premier écrit par Wyrouboff, est d’une certaine façon programmatique : il est consacré à une science que Comte a peu abordée, en cela il contribue à l’extension du positivisme, mais il traite de la science de la terre sans évoquer le grand fétiche, et en cela il annonce implicitement son refus de la dernière philosophie de Comte.
  • [25]
    Voir la section « Société de sociologie », ibid., 1872, t. 8, p. 298-336.
  • [26]
    Voir Massayuki YAMASHITA, « La sociologie française entre Auguste Comte et Émile Durkheim : Émile Littré et ses collaborateurs », L’Année sociologique, 1995, 45/1, p. 83-115.
  • [27]
    Voir Johan HEILBRON, « Sociologie et positivisme en France au XIXe siècle : les vicissitudes de la Revue française de sociologie (1872-1874) », 2007/2, vol. 48, p. 307-331.
  • [28]
    Voir ibid., p. 326-327 : J. Heilbron insiste sur les visées politiques de Littré.
  • [29]
    Voir « Classification de la sociologie », La Philosophie positive, 1872, t. 8, p. 302-313. Dans cet article, Wyrouboff affirme, à la lecture de la 50e leçon du Cours de philosophie positive, que Comte assignait trois objets à la statique sociale : l’individu, la famille, la nation. Assimiler la société, terme qui se trouve dans le texte de Comte, à la nation est déjà un coup de force ; mais prétendre que Comte a affirmé que l’individu était le premier degré d’analyse sociologique est un contresens : selon Comte lui-même, et dans la même leçon, la famille est « la véritable unité sociale » (Auguste COMTE, Cours de philosophie positive, t. IV, Paris, Hermann, 2012, p. 250).
  • [30]
    « Le Prolétariat en Russie », La Philosophie positive, 1870, t. 7, p. 7.
  • [31]
    Voir les « Lettres de Russie » (ibid., 1880, t. 24, p. 1-31) qui sont le meilleur exemple de ce type d’analyse. Une première lettre dessine la situation économique de la région de Tambov (commerce du bois, régulation du gibier, commerce des grains). Une seconde décrit la structure sociale (le clergé, la question scolaire, l’administration communale). Une troisième traite des questions de médecine (état sanitaire de la population, mortalité infantile et composition du corps médical). Enfin la dernière évoque la question large du nihilisme à partir de la situation locale de Tambov. La description de la guerre russo-turque de 1877 (« Lettres d’Asie », ibid., 1877, t. 19 et 1878, t. 20) fait partie de ce même type d’étude au plus près du terrain.
  • [32]
    Voir « Le clergé russe », ibid., 1868, t. 2, p. 5-26. L’auteur de La Réforme du Clergé russe (Paris, Joseph Albanel, 1867), le Père Gagarin (1814-1882), est un prince russe converti au catholicisme, devenu jésuite et résidant à Paris, fondateur de la revue Études.
  • [33]
    Voir « Le clergé russe », op. cit., p. 7.
  • [34]
    Ibid., p. 11.
  • [35]
    Ibid., p. 14.
  • [36]
    Ibid., p. 20.
  • [37]
    Voir « La Russie sceptique », ibid., 1873, t. 11, p. 329-348. La substance de cet article est identique.
  • [38]
    Ibid., p. 347.
  • [39]
    L’article « Deux mois entre l’Europe et l’Asie » (ibid., 1876, t. 16, p. 13-40), par exemple, est tout entier consacré à étudier les conséquences sociales de l’abolition du servage.
  • [40]
    Voir par exemple « Stuart Mill et la philosophie positive », dans Émile LITTRÉ et Grégoire WYROUBOFF, Auguste Comte et Stuart Mill, Paris, Germer Baillière, 1867, p. 79-84. Ce que critique précisément Wyrouboff, ainsi que Littré, c’est l’idée que l’économie politique soit une science à part entière et autonome. L’économie politique doit être en effet subordonnée à la sociologie, et ce n’est que dans ce cadre que ses résultats sont utilisables.
  • [41]
    « De l’ivrognerie en Russie », La Philosophie positive, 1869, t. 4, p. 273-274. Sur le rapport de « M. Bouschen à la Société d’Économie Politique », voir ibid., p. 269. L’analyse menée sur l’ivrognerie est donnée en exemple dans l’article « De la méthode dans la statistique » (ibid., 1870, t. 6, p. 23-43), article dans lequel Wyrouboff, en analysant l’ouvrage de Quételet (Physique sociale ou essai sur le développement des facultés de l’homme, Paris, 1869) s’éloigne assez nettement de l’hostilité radicale de Comte envers l’usage des statistiques en sociologie.
  • [42]
    « Le communisme russe », La Philosophie positive, 1871, t. 7, p. 252-277.
  • [43]
    Ibid., p. 256-257.
  • [44]
    Ibid., p. 256. Cet article s’appuie en grande partie sur l’ouvrage classique du baron HAXTHAUSEN : Études sur la situation intérieure, la vie nationale et les institutions rurales de la Russie, 3 vol., Hanovre, Hahn, 1847-1853.
  • [45]
    Sur le rapport de Wyrouboff à Herzen, voir René VERRIER, op. cit., p. 27-48. R. Verrier, qui remarque que la naissance de La Philosophie positive coïncide avec la disparition de La Cloche, journal publié par Herzen, fait du positivisme radical la seconde moitié de l’héritage de Herzen, à côté du marxisme.
  • [46]
    « La commune russe », op. cit., p. 256.
  • [47]
    Ibid., p. 276.
  • [48]
    « Classification de la sociologie », ibid., 1872, t. 8, p. 303.
  • [49]
    Voir « La sociologie et sa méthode », ibid., 1881, t. 26, p. 5-25. Wyrouboff y rend compte du livre d’Eugène de ROBERTY, La sociologie, essai de philosophie sociologique, Paris, Germer Baillière, 1881.
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