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Article de revue

L’homme introuvable. Fondements et limites du discours anthropologique chez Adam Ferguson

Pages 631 à 648

Notes

  • [1]
    EHSC, I, 1, 10. Pour les références à l’Essai sur l’histoire de la société civile [1767], le chiffre romain renvoie à la partie considérée, le premier chiffre arabe au numéro de la sectionet le second chiffre arabe à la page correspondante dans notre édition de l’Essai, Paris, ENS Éditions, 2013.
  • [2]
    EHSC, I, 1, 6.
  • [3]
    EHSC, IV, 2, 184.
  • [4]
    EHSC, III, 8, 174.
  • [5]
    EHSC, I, 1, 2-3 et IMP, II, 1. Pour les références aux Institutes of Moral Philosophy (IMP), le chiffre romain renvoie à la partie, le premier chiffre arabe au chapitre. Le cas échéant, un second chiffre arabe renvoie à la section. Les chiffres suivants renvoient à la pagination de la première édition (1769) sauf indication contraire.
  • [6]
    EHSC, I, 5, 26.
  • [7]
    IMP, II, 1, 82.
  • [8]
    EHSC, I, 8, 55.
  • [9]
    EHSC, II, 2, 92.
  • [10]
    EHSC, I, 1, 6.
  • [11]
    IMP, III, 2, 2, 127.
  • [12]
    IMP, III, 1, 2, 125. Voir également Introduction, 3, 5.
  • [13]
    IMP, III, 1, 1, 121-122.
  • [14]
    Op. cit., III, 1, 2, 123.
  • [15]
    IMP, III, 1, 2, 117 de la seconde édition (1773).
  • [16]
    IMP, III, 1, 2, 124.
  • [17]
    IMP, I, 2, 2, 49.
  • [18]
    EHSC, I, 6, 34.
  • [19]
    EHSC, I, 1, 6.
  • [20]
    IMP, Introduction, 4, 8 ; 6, 10 de la seconde édition.
  • [21]
    Car ces facultés ne se manifestent qu’à travers leurs opérations (IMP, I, 2, 2, 49 ; EHSC, I, 5, 26).
  • [22]
    EHSC, I, 5, 25.
  • [23]
    L’expression nous paraît pouvoir s’appliquer à l’épistémologie de Ferguson non moins qu’à la théorie de Reid.
  • [24]
    IMP, Introduction, 2, 3. Voir également EHSC, I, 10, 71.
  • [25]
    Voir Patrick CHÉZAUD, La philosophie de Thomas Reid, des lumières au XIXe siècle, Grenoble, Ellug, 2002, p. 66-67, que nous suivons ici.
  • [26]
    L’expression « sens commun » apparaît à deux reprises dans l’Essai. Associé dans un cas à ce que Ferguson appelle « l’opinion du genre humain », il est donné comme le « grand législateur des nations » (EHSC, III, 3, 138). Voir également EHSC, II, 1, 78.
  • [27]
    EHSC, I, 1, 2 ; 2, 14 ; 5, 25 ; 6, 34, 38 ; II, 90 ; III, 8, 178-179 ; IV, 3, 189.
  • [28]
    Voir Patrick CHÉZAUD, op. cit., p. 55-58.
  • [29]
    IMP, Introduction, 1, 1.
  • [30]
    IMP, Introduction, 6, 10 (2e éd. de 1773).
  • [31]
    EHSC, I, 5, 27. La même idée se trouve chez Hume qui admet que « la différence entre un homme du commun et un homme de génie dépend principalement de la profondeur des principes sur lesquels ils fondent leurs idées », ce qui suppose que même l’homme du commun agit suivant des principes. Voir l’essai « Du commerce » [1752].
  • [32]
    EHSC, I, 5, 27. Dans l’Inquiry, Reid écrit des regulae philosophandi de Newton : elles sont « des maximes du sens commun et sont pratiquées tous les jours dans la vie courante » (Introduction, section I).
  • [33]
    Ce qui ne signifie nullement que le vrai philosophe – celui qui pratique le scepticisme mitigé – puisse ou doive faire abstraction de ces croyances ou de ces opinions pour élaborer la science de l’homme. Voir l’introduction au livre I du Traité de la nature humaine et l’essai « De l’essai » [1742]. Sur l’idée de « vie commune », voir l’introduction de Gilles Robel à l’édition des Essais moraux, politiques et littéraires et autres essais, Paris, PUF, 2001, p. 63 sq.
  • [34]
    Voir Michel MALHERBE, La philosophie empiriste de David Hume, Paris, Vrin, 1976, 2001, p. 49.
  • [35]
    Thomas REID, An Inquiry into the Human Mind on the Principles of Common Sense [1997], chap. VI, section XX, Dereck R. Brookes ed., Edimbourg, Edinburgh University Press, 2000, p. 173, traduction personnelle.
  • [36]
    Voir l’introduction au livre I du Traité de la nature humaine.
  • [37]
    David HUME, Enquête sur l’entendement humain, Paris, GF-Flammarion, éd. de M. Beyssade, p. 244.
  • [38]
    Traité de la nature humaine, I, IV, III.
  • [39]
    Ces références sont dans Yves MICHAUD, Hume et la fin de la philosophie [1983], Paris, PUF, Quadrige, 1999, p. 18.
  • [40]
    Nous empruntons la formule à Laurent JAFFRO, « Les recours philosophiques au sens commun dans les Lumières britanniques », in J.-P. Sylvestre et P. Guenancia éd., Le sens commun, Dijon, éditions universitaires de Dijon, 2006, p. 19-45. Accessible en ligne à : http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/17/42/56/PDF/Jaffro_recours_sens_commun.pdf. La citation se trouve à la p. 15 de la version numérisée (hors page de garde).
  • [41]
    Ibid., p. 14.
  • [42]
    Laurent JAFFRO, « La rétorsion du sens commun et la possibilité du scepticisme. Contre Reid » in M. Cohen-Halimi et H. L’Heuillet éd., Comment peut-on être sceptique ? Paris, Honoré Champion, 2010, p. 93-116 (halshs-00264778, version 2, 12 mai 2008). Article accessible en ligne à : http://hal.inria.fr/docs/00/27/83/63/PDF/Jaffro_Festschrift_Deleule3.pdf. La citation se trouve à la p. 13 de la version numérisée.
  • [43]
    Laurent JAFFRO, « Les recours philosophiques… », op. cit., p. 15 (version numérisée).
  • [44]
    Op. cit., p. 13.
  • [45]
    Op. cit., p. 15.
  • [46]
    Op. cit., p. 14.
  • [47]
    Op. cit., p. 20.
  • [48]
    Chez Shaftesbury, le sens commun est appréhendé « comme une forme de communication, c’est-à-dire non pas comme un ensemble d’intuitions déterminées, mais comme une présupposition de la communauté dans la pratique même de la philosophie ». Cette conception « insiste sur les aspects normatifs de la communication et, plus généralement, de la pratique ». Voir L. JAFFRO, « La rétorsion du sens commun… », p. 10 de la version numérisée.
  • [49]
    EHSC, I, 6, 33-34, 35 ; III, 8, 174.
  • [50]
    EHSC, III, 3, 138, le sens commun et l’opinion du genre humain qui sont ensemble le « grand législateur des nations ».
  • [51]
    EHSC, I, 2, 15 ; 6, 32.
  • [52]
    Sur la véracité du langage naturel, voir EHSC, I, 2, 14-15 et sur la sociabilité, EHSC, I, 5, 31, EHSC, III, 4, 147 ; 8, 180. Nous avons recensé ces arguments justificatifs des premiers principes du sens commun dans l’Essai de Ferguson, en empruntant à la topique de Reid, telle que présentée par L. Jaffro dans « La rétorsion du sens commun… », op. cit., p. 6-7.
  • [53]
    EHSC, I, 1, 6.
  • [54]
    EHSC, II, 1, 78.
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    P. CHÉZAUD, op. cit., p. 102.
  • [57]
    L’histoire « rationnelle » – équivalent ici de l’histoire « naturelle » – s’autorise des principes de la nature humaine (ou des lois de l’esprit) pour établir des conjectures destinées à suppléer l’absence de faits (traces ou témoignages) laissés à l’observation de l’historien. Dès lors que l’esprit est gouverné par des lois, l’histoire de l’homme peut être regardée comme intelligible : elle devient déchiffrable, explicable et prédictible, bref rationnelle. Dugald Stewart donnera un exposé systématique de cette démarche devant la Société Royale d’Édimbourg en janvier 1793, repris dans son compte rendu de la « Dissertation sur l’origine du langage » d’Adam Smith, extrait de An Account of the life and writings of A. Smith, publié en 1794.
  • [58]
    L’expression désigne l’esprit compris comme ensemble de faits psychologiques (se rapportant à ses opérations) fixes et invariables – ce que Ferguson nomme des « lois physiques » (pour les distinguer des « lois morales ») dont l’étude est l’objet de la « théorie de l’esprit ». Voir supra, notre introduction et IMP, II, 1, 81-82.
  • [59]
    P. CHÉZAUD, op. cit., p. 80.
  • [60]
    Op. cit., p. 104.
  • [61]
    An Inquiry into the Human Mind on the Principles of Common Sense, chap. VI, section XXIV.
  • [62]
    « Aspects de l’anthropologie des Lumières », in Essais d’anthropologie, Paris, PUF, 2005, p. 215.
  • [63]
    Voir Traité de la nature humaine, I, IV, IV.
  • [64]
    Voir Les mots et les choses, chap. X, « Les sciences humaines », § II, Paris, Gallimard, Tel, 1966, p. 363-365.

1 Quand il publie son Essai sur l’histoire de la société civile en 1767, Adam Ferguson, alors âgé de 44 ans, occupe la chaire de philosophie pneumatique et morale à l’université d’Édimbourg. La table des matières des Institutes of Moral Philosophy, un résumé de son cours en sept parties publié par Ferguson à la même époque que l’Essai (1769), donne une idée de ce que recouvre cet enseignement.

2 La première partie, consacrée à l’« Histoire naturelle de l’homme », est divisée en deux chapitres : l’« histoire de l’espèce » et l’« histoire de l’individu ». Le premier traite d’anatomie, d’ethnologie, de démographie, de sociologie, d’économie, de politique, de linguistique et de littérature. Il est essentiellement question de théorie de la connaissance et de psychologie dans le second, qui étudie les facultés de l’entendement (conscience, sensation, perception, observation, mémoire, imagination, etc.) et les facultés de la volonté (penchants, sentiment de ce qui est bon ou mauvais, désir et aversion, volition).

3 La deuxième partie du cours est consacrée à la « Théorie de l’esprit » qui traite des « lois physiques de l’entendement » et des « lois physiques de la volonté ». Les premières énoncent d’abord le fait de la conscience de soi (« loi de la conscience de soi »), décrivent ensuite les mécanismes de la perception des objets par l’intermédiaire, soit de la sensation, pour les objets matériels, soit des signes, pour le sens et la pensée (« loi générale d’information ») et exposent enfin les règles d’acquisition des connaissances (« loi de compréhension des objets »). Les secondes énoncent la disposition de l’individu respectivement à se conserver (« loi de la conservation de soi »), à vivre en société (« loi de société ») et à s’améliorer (« loi de jugement » [law of estimation] ou « loi de progression »). Cette partie se clôt par un chapitre consacré à la manière dont les trois lois de la volonté expliquent certains traits de caractère ou de comportement (caractère intéressé, émulation, fierté, vanité, probité et approbation morale) et aux interactions sociales qui en découlent. Un ultime chapitre traite de l’immatérialité et de l’immortalité de l’âme.

4 Avec la troisième partie consacrée à la « Connaissance de Dieu » (preuve de son existence, recensement de ses attributs et étude de son « gouvernement » sous la forme d’une théodicée) se clôt l’exposé de la science pneumatique. Les parties IV à VII, consacrées respectivement aux « Lois morales et leurs applications les plus générales », à la « Jurisprudence », à la « Casuistique » et à la « Politique » composent la philosophie morale dont la pneumatique est le fondement.

5 L’organisation des Institutes illustre le partage des savoirs au siècle des Lumières. D’abord, selon la dichotomie cardinale alors en usage, la philosophie morale (au sens large) couvre tout ce qui est laissé de côté par la philosophie naturelle. Autrement dit, elle embrasse tout ce qui intéresse l’homme en sa spécificité d’être pensant et agissant : l’homme dans son individualité, mais aussi l’homme social. Ensuite, les proto-sciences humaines qui forment l’histoire naturelle ne sont pas constituées en disciplines séparées et autonomes mais annexées à un même réseau archéologique comme autant de perspectives différentes sur un même objet : l’homme. Enfin, l’exposé des faits de la nature humaine, son « histoire », est ce qui permet d’établir les lois explicatives des phénomènes. La découverte et l’exposé des faits sont étroitement déterminés par les lois sous lesquelles ils se trouvent subsumés. Ces trois constats illustrent le regard posé sur l’homme par les Lumières et la manière dont elles envisagent de faire sa connaissance.

6 C’est ce même regard qui inspire l’Essai qui s’ouvre justement sur une étude des « caractéristiques générales de la nature humaine », laquelle doit servir à la compréhension de l’histoire de la société civile. Car si la nature humaine informe cette histoire, elle n’en constitue pas l’objet. Le but de Ferguson n’est pas de fonder à nouveaux frais la science de l’homme – d’autres s’y sont essayé – mais d’appliquer les principes de cette science, d’une part, à l’étude de l’homme considéré dans son environnement naturel – la société –, d’autre part, à l’étude des sociétés considérées dans leur devenir – la civilisation entendue comme processus.

7 L’Essai sur l’histoire de la société civile, c’est donc l’application des lois physiques de l’esprit à l’histoire de la société en tant qu’elle se civilise. L’expression « société civile » déborde ici la notion classique de corps politique ou de république et doit être entendue dans un sens spécifique. La société, chez Ferguson, est ce qui forme le cadre à la fois naturel et historique du progrès de l’humanité depuis l’état sauvage jusqu’à la civilisation, selon un processus uniforme et continu. Parce que « toutes les actions des hommes sont également le résultat de leur nature  [1] » et que « l’art lui-même est naturel à l’homme  [2] », l’histoire de la société civile ne sera rien d’autre qu’une « histoire naturelle » de l’homme social aux différents stades de son progrès. Selon la théorie stadiale – un topique de la philosophie des Lumières –, toute société, au cours de son histoire, a vocation à progresser en passant par les mêmes stades socio-économiques. Chez Ferguson, la série comprend successivement : le « stade sauvage », le « stade barbare » et la société civile. Ce qui distingue celle-ci des sociétés qui la précèdent, c’est la présence d’institutions politiques formelles, de rangs, offices et dignités, mais aussi le progrès des arts libéraux, de la police et du commerce et l’existence d’inégalités fondées sur les « habitudes qui s’acquièrent par la pratique des différents arts  [3] ».

8 Si Ferguson adhère à l’idéal d’un perfectionnement matériel et moral continu de l’homme à mesure qu’il marche vers la civilisation, il s’inquiète de la tournure du progrès dans les sociétés modernes. Il dénonce l’abus des richesses qui détourne les hommes de la vertu civique et de la recherche du bonheur véritable et éloigne les citoyens de la chose publique, mais aussi la désagrégation des liens sociaux qui résulte de l’essor de la propriété et du commerce. Ce diagnostic constitue le point de départ de son projet, inspiré par une double interrogation : dans quelle mesure la liberté et la vertu dont dépend le bonheur de l’homme sont-elles compatibles avec le progrès de la civilisation ? Existe-t-il un critère sûr de civilisation qui puisse guider les hommes dans la voie de ce progrès ? Par ces questionnements, il ne s’agit pas de spéculer sur la civilisation mais d’agir sur l’esprit et le devenir des hommes.

9 L’histoire de la société civile relève donc ultimement d’un projet politique et moral. Mais la possibilité même de ce projet repose sur la compréhension des déterminants qui gouvernent l’action, ces lois que la science de la nature humaine a pour objet d’étudier. Cependant, les fondations de cette science nouvelle avaient été fortement ébranlées par les coups de boutoir du scepticisme triomphant qui, avec Hume, avait rendu problématique le concept même de nature humaine. Parce qu’il fallait à Ferguson étayer son anthropologie sur une théorie de la connaissance, c’est vers Thomas Reid qu’il choisit de se tourner. Celui-ci avait publié, en 1764, An Inquiry into the Human Mind on the Principles of Common Sense, ouvrage explicitement destiné à réfuter le scepticisme de Hume, héritier de la théorie des idées représentatives de Locke.

10 Nous montrerons d’abord ce que la théorie de la connaissance qui sert de point d’appui au projet politique et moral de l’Essai doit à l’épistémologie de Reid et à son « axiomatique du sens commun », inspirée du modèle de Newton. Nous verrons ensuite comment les croyances communes, élevées à la dignité épistémique d’un savoir philosophique, sont mobilisées contre le scepticisme accusé de saper les fondements de la vie sociale et les conséquences de cette théorie à la fois sur le champ, les objets et les sources de ce nouveau savoir anthropologique qui se développe à la surface de l’Essai. Enfin, nous essaierons de montrer en quoi la prétention à constituer un savoir nouveau sur l’homme se heurte à la réduction méthodologique du discours anthropologique qui tient ce savoir très éloigné de l’anthropologie moderne telle qu’elle se constituera à partir du XIXe siècle.

Les fondements de la science de l’homme chez Ferguson

La possibilité d’une science de l’homme

11« L’esprit, comme le corps, a ses lois, illustrées par la pratique des hommes, et que le critique reçoit seulement après que l’exemple a montré ce qu’elles sont  [4]. » Par cette formule jetée incidemment au détour de considérations sur l’histoire de la littérature, Ferguson pose l’homologie entre nature et nature humaine. À l’image du « système matériel du monde », l’homme est un « système animal et intellectuel  [5] », un ensemble organisé d’éléments physiques et mentaux régi par des lois. Or, de sa capacité à découvrir et à maîtriser ces lois dépend sa capacité à appliquer adéquatement ses facultés à la recherche d’une vie heureuse, comme individu et comme citoyen. Voilà pourquoi Ferguson écrit de ces facultés : « leur existence et leur usage sont les principaux objets de notre étude  [6] ». Ce qui donne à cette étude le caractère d’une science, c’est que les lois qui gouvernent l’esprit présentent le même degré d’universalité et de nécessité que celles qui gouvernent les corps, car « il y a des faits se rapportant aux opérations de l’esprit qui sont fixes et invariables  [7] ». Entre la nature de l’homme et la nature du monde, il n’existe donc pas de rupture épistémologique, mais au contraire une continuité et une unité. Telle est la condition de possibilité de l’élaboration d’une science de l’homme. Sur quoi repose cette condition de possibilité ? Sur la garantie divine. Le monde est gouverné par la sagesse de Dieu  [8], source première et unique de toute existence, « providence sage de la vraie religion opérant par des causes physiques  [9] » qui « constituent ces preuves mêmes d’un dessein » d’après lesquelles nous inférons son existence  [10]. L’unité du système de la nature est donc garantie, sur le plan métaphysique, par celle de son Créateur  [11] tandis que le système des causes finales est le langage par lequel Dieu révèle son existence à la raison commune, en même temps qu’il impose comme une évidence l’existence de l’esprit et du monde  [12].

Le fondement anthropologique de la croyance comme fait premier de la nature humaine

12La croyance en l’existence de Dieu est universelle et les arguties des sceptiques n’y changent rien, comme elles ne changent rien à l’universalité de la perception qu’ont les hommes de l’existence de la matière  [13]. La nature de l’homme est ainsi faite qu’il perçoit des causes partout où apparaissent des effets et que, partout où des moyens s’accordent en vue d’une fin, il perçoit un dessein  [14]. Toutes nos connaissances sont fondées sur ce type de perceptions naturelles comme celles que nous acquérons par la sensation, le témoignage ou l’interprétation. Dans tous ces cas, il nous est impossible de rendre raison de la croyance dans ce que nous percevons, sinon que nous sommes naturellement faits pour percevoir  [15]. Les fondements de cette croyance sont moins métaphysiques qu’anthropologiques. Elle est ce que Ferguson nomme un fait premier (ultimate fact) de la nature humaine. Sa nécessité n’a rien d’apodictique ou de logique. Elle ne relève ni de la démonstration ni de la réfutation puisque c’est la nature elle-même qui nous impose de croire, « qui a décidé que nous continuerons à croire » écrit Ferguson  [16]. Elle finit pourtant par partager avec la nécessité apodictique le caractère irrésistible de l’évidence intuitive, une évidence à laquelle nous ne saurions nous soustraire puisqu’elle relève de notre constitution originelle. Elle mérite, pour cette raison, le nom d’axiome. Quand cette croyance intéresse la conscience que l’esprit a de lui-même et des lois de la pensée et de la raison, ces axiomes sont dits métaphysiques  [17]. Ils renvoient alors au cadre transcendantal de l’expérience, à cette matrice intellectuelle que Ferguson nomme la « forme première de l’esprit » (original mode of the mind) et que le langage ne saurait décrire adéquatement car, par hypothèse, elle échappe à la saisie de la raison. Enfin, « avec le sentiment de notre existence (the sense of our existence), nous devons admettre quantité de circonstances qui viennent à notre connaissance en même temps et de la même manière et qui, en réalité, constituent notre façon d’être (the mode of our being  [18]). »

13 La consécration de la primauté de la croyance comme socle de la raison, loin de disqualifier celle-ci comme instrument de la connaissance, délimite strictement le champ de validité de ses opérations et garantit l’espace de sa légitimité épistémique. La séparation stricte entre le champ de la métaphysique comme instance de validation des principes nécessaires de la connaissance (croyance) et le domaine d’application de ces principes (causalité) est précisément ce qui permet de consolider sur ses bases l’édifice de la connaissance. Le fondationnalisme naturaliste que Ferguson emprunte à Reid a des conséquences importantes sur sa théorie de la connaissance. Contre les tentations de la métaphysique, il nous faut résister aux conjectures dans lesquelles nous entraîne l’imagination et renoncer à remonter à la « source de l’existence  [19] ». Toute théorie repose sur des faits premiers qui n’admettent ni preuve ni explication  [20]. Dès lors qu’elle n’a plus à s’interroger sur la source de l’existence ou l’origine des facultés, il reste à la raison, pour édifier une science de l’homme, à s’attacher à l’analyse empirique de ces facultés  [21] et à rassembler les lois de la nature humaine  [22]. Le sensualisme de Locke avait ouvert la voie au scepticisme et à l’atomisme. La double réduction humienne, respectivement, des objets externes à des collections d’impressions et d’idées, et du sujet à une succession de perceptions liées par des relations, avait fermé la possibilité d’un accès au monde et au moi autrement que par la médiation des représentations. En restaurant les conditions d’un accès épistémique direct de l’homme à la nature, en réconciliant le sujet et l’objet de la connaissance, le naturalisme rend possible l’édification d’une science de la nature humaine fondée sur une « axiomatique du sens commun  [23] » censée garantir la validité de ses opérations et celle de ses conclusions.

L’attraction du modèle de Newton

14Il faut ici souligner, au-delà de la référence obligée pour l’époque, et purement rhétorique, l’influence du modèle newtonien sur la science fergusonienne de la nature humaine en rappelant l’utilisation qu’en fait l’épistémologie de Reid – dont elle s’inspire directement. Les découvertes de Newton en physique et en optique avaient sanctionné, contre la méthode cartésienne, la validité d’une démarche inductive fondée sur l’expérimentation, l’observation et le refus des hypothèses a priori, et sur l’utilisation des mathématiques comme instrument de modélisation des phénomènes physiques. Se trouvait ainsi validé un véritable corpus des règles de la méthode scientifique, qui ouvrait des perspectives immenses à la recherche, particulièrement aux enquêtes – alors si prisées – consacrées à explorer la nature de l’homme. Selon cette méthode, l’observation des faits ou des phénomènes devait permettre d’établir des règles générales (temps de l’analyse) pouvant servir, soit à dégager d’autres règles ou lois de la nature, soit à expliquer d’autres phénomènes en vue de l’élaboration ultime d’un système explicatif du monde (temps de la synthèse).

15 De ce modèle, Ferguson retient essentiellement la validité de la méthode inductive, fondée sur l’observation des faits et le refus des hypothèses a priori. À l’histoire naturelle, il reviendra de rassembler et d’ordonner les faits particuliers (particular facts) selon leurs propriétés communes. À la science, il appartiendra de dégager les règles générales (general rules) à partir des faits pour établir les « lois de la nature », puis d’expliquer les phénomènes en leur appliquant les règles générales (alors baptisées « principes ») pour bâtir une théorie  [24]. La méthode « résolutive-compositive » sera appliquée successivement à l’histoire de l’individu et à l’histoire de l’espèce. On déterminera d’abord les qualités universelles de la nature humaine, c’est-à-dire les caractéristiques qui unissent, par-delà leur diversité, les individus d’une même espèce. Il faudra ensuite constituer une connaissance générale des sociétés humaines en exprimant ce qui leur est commun sous la forme de règles générales susceptibles d’expliquer leur organisation et leur évolution. Mais au-delà de la méthode, ce qui intéresse Reid dans l’usage que fait Newton des mathématiques – et ce qui fait l’intérêt de la théorie de Reid pour Ferguson –, c’est leur axiomatique. C’est elle qui doit lui permettre de fonder la méthode inductive sur des bases solides – les principes du sens commun. Pour pouvoir transposer le modèle (axiomatique) des mathématiques à la science de l’homme, tout comme il a été transposé avec succès dans les sciences de la nature, il faut que l’induction repose sur une évidence comparable à l’apodicticité mathématique, sur une intuition (l’évidence du sens commun) donnée par les principes nécessaires, innés et originaux sur lesquels elle reposera (les principes du sens commun)  [25].

Contre le scepticisme, une philosophie de la vie ordinaire

2.1 Le statut épistémologique des croyances, premier enjeu de la controverse avec le scepticisme

16Il résulte de l’axiomatique du sens commun  [26] que la pneumatique ne saurait aller au-delà de la description et du dénombrement de ses principes constitutifs et qu’elle interdit à la raison toute recherche ou analyse de leur fondement  [27]. La seule science possible est celle qui se propose d’explorer le monde compris à l’intérieur des limites du sens commun, toute tentative pour forcer ces limites étant condamnée au non-sens  [28], de sorte qu’est exclue toute coupure épistémique entre le domaine du sens commun et celui de la science. La connaissance des faits, si nécessaire dans la pratique des arts et la conduite des affaires, doit certes être distinguée de celle des règles générales établies par la spéculation, mais toutes deux n’en embrassent pas moins le champ entier du savoir, sans qu’il y ait lieu d’en rompre l’unité et l’homogénéité  [29]. Les « maximes de la raison » ont vocation à s’appliquer de la même manière à la spéculation et à la vie ordinaire  [30] et la pratique expérimentale de tout professionnel dans son métier n’est pas fondamentalement différente de celle du savant qui, s’il porte ses vues plus loin, suit la même démarche  [31]. De fait, la connaissance des règles générales n’est nullement l’apanage du savant ou du philosophe car nombre des lois physiques de l’esprit « et même les plus importantes, sont connues du vulgaire et se présentent au plus bas degré de la réflexion  [32] ». À Hume, qui marque la coupure épistémique entre les conceptions générales (spéculatives) de la réflexion philosophique et de la science et les jugements particuliers, croyances et opinions qui ont cours dans la vie commune  [33], Ferguson oppose donc la vertu de l’intelligence pratique qui articule avec profit, par le lien de l’expérience, ces vérités universelles que sont les règles générales de la conduite et les faits particuliers. Alors que, pour le premier, « la science n’est pas un sens commun amélioré qui permet d’affiner l’appréhension des objets ; car si le sens commun décrit, la science construit  [34] », pour Ferguson – comme pour Reid – « la science de la nature demeure si près de l’entendement ordinaire que nous ne pouvons discerner où s’arrête celui-ci et où commence la première  [35] ».

17 Pour autant, Hume n’est pas l’ennemi du sens commun. L’observation de ses semblables dans la diversité des circonstances et des situations ordinaires de la vie, conformément à la méthode expérimentale, est au point de départ de sa science de l’homme  [36]. L’Enquête sur l’entendement humain affirme ainsi que « les décisions philosophiques ne sont que les réflexions de la vie courante rendues méthodiques et corrigées  [37] ». Le Traité souligne la proximité, certes relative, de la vraie philosophie et des sentiments du vulgaire  [38]. L’Abrégé veut « réconcilier la philosophie et le sens commun  [39] ». Ce qui est en cause, ce n’est donc pas la confiance à accorder au sens commun dans l’orientation générale de notre vie quotidienne, mais la portée à accorder à la raison commune comme instrument de la connaissance. Au cœur du débat avec le scepticisme, on trouve le statut épistémologique des croyances communes. Alors que Reid et Ferguson placent les thèses philosophiques sur le même plan (épistémique) que les croyances, Hume, d’accord sur ce point avec Berkeley, regarde l’activité philosophique comme extérieure à celles-ci. Il « ne confond pas la certitude psychologique à l’origine de nos croyances avec la connaissance véritable  [40] ». Pour lui, les croyances communes et l’analyse philosophique des croyances communes se situent sur des plans différents  [41]. Et s’il existe une articulation entre ces plans, ils ne se confondent pas. C’est pourquoi « il n’y a pas de contradiction performative à soutenir, dans le cadre de la recherche philosophique, des principes contraires à ceux du sens commun », cette recherche supposant, précisément, « une suspension temporaire des pratiques ordinaires et de la vie commune  [42] ». Le sceptique ne voit aucune contradiction à contester la justifiabilité de certains principes alors même qu’ils constituent pour lui, dans sa vie ordinaire, des croyances irrésistibles. Contrairement à Reid et à Ferguson qui assimilent irrésistibilité et vérité en s’appuyant sur la garantie divine d’un Être suprême  [43] infiniment bon et puissant, le scepticisme mitigé de Hume soutient que l’irrésistibilité de la croyance ne signifie pas qu’elle soit justifiée d’un point de vue épistémique  [44].

Les relations entre la philosophie et la vie ordinaire : second enjeu de la controverse avec le scepticisme

18L’enjeu central du débat se déplace alors vers les relations entre les croyances communes et l’analyse philosophique et il engage le type d’argumentation, de discussion ou de réfutation recevable en philosophie  [45]. Dès lors que, comme nous l’avons vu, les axiomes du sens commun n’ont ce statut qu’en raison même de la croyance dont ils sont investis – qui est un fait premier de la nature humaine – il ne saurait y avoir contradiction entre la raison, fût-elle spéculative, et le sens commun supposé constituer le cadre indépassable dans lequel elle opère. Admettre le contraire serait considérer qu’il est possible, dans le même mouvement, de croire et de ne pas croire ce que l’on croit. Dans le schéma épistémique de Ferguson comme dans celui de Reid, le scepticisme est logiquement impossible en raison de l’homogénéité noétique de la philosophie et du sens commun  [46]. L. Jaffro a montré que, dans ce schéma, « les présuppositions normatives de la vie sociale quotidienne ne [différant] pas des présuppositions normatives de la discussion », la position sceptique est nécessairement assimilée à une contradiction performative. « Si les principes de la pratique et les principes de la discussion sont fondamentalement homogènes (…), alors le scepticisme mitigé n’est plus possible  [47] ».

19Ce point étant acquis, Ferguson mobilise, dans l’Essai, tout un arsenal d’arguments dialectiques, hérités notamment de Shaftesbury  [48], visant à fonder la justification des principes du sens commun sur l’assimilation de la position sceptique à une forme de contradiction performative, ce qui revient à regarder toute incohérence entre la vie et la « spéculation » comme une contradiction rédhibitoire. Il montre notamment que les intuitions du sens commun s’appuient sur le consentement universel, que celui-ci prenne la forme d’un accord sur les premiers principes de la conduite, de l’action ou de la vie  [49] ou d’un ensemble d’opinions partagées par l’humanité  [50] et marquées dans la structure des langues  [51]. Il montre aussi que certaines opinions du sens commun sont indispensables à la conduite de la vie et suggère ainsi que les conséquences de la non-validité des premiers principes seraient potentiellement désastreuses pour la vie en société, notamment quand la spéculation remet en cause l’évidence intuitive du sens des mots au risque de pervertir les notions morales, ou lorsqu’elle détourne les hommes de l’action et des affaires publiques  [52].

Les « affaires humaines », nouvel objet de l’histoire naturelle

20La dimension normative reconnue à la vie ordinaire explique l’importance de la pratique dans le savoir sur l’homme. Lorsque Ferguson écrit, comme nous l’avons vu dans la toute première citation de l’Essai, que les lois de l’esprit sont « illustrées par la pratique des hommes », il n’exprime pas seulement le point de vue de ce qu’on pourrait appeler une psychologie empirique. Il suggère qu’il n’existe pas d’écart épistémique entre les pratiques et les lois. Les premières ne sont pas seulement les manifestations phénoménales des secondes : elles en sont l’expression véritable. Il existe, autrement dit, une rationalité immanente aux pratiques humaines qui ouvre directement accès à la connaissance des lois de l’esprit. C’est pourquoi la connaissance des hommes passe essentiellement par l’observation sans exclusive de toutes leurs pratiques. Ce qui définit désormais le domaine d’étude de l’historien, c’est l’ensemble des « affaires humaines » – mœurs, usages, conventions, coutumes, institutions, arts, techniques, etc. – et non plus seulement l’événement ou ce qui intéresse les choses de la politique, de la diplomatie ou de la guerre. Tout ce qui atteste la présence de l’homme ou qui intéresse son existence collective est éligible au rang de matériau historique. Celui-ci ne se réduit plus aux archives ou aux documents jalousement conservés dans les bibliothèques par les « antiquaires ». L’historien n’est plus tributaire du document comme source exclusive d’information. Les signes – vestiges et traces – des pratiques humaines ont désormais vocation à témoigner. Parce qu’ils contiennent de multiples informations pour l’historien, ils deviennent des sources de la plus haute importance, qui ne cessent de se diversifier à mesure qu’elles se banalisent.

21Les quatre conséquences de ce nouvel empirisme méthodologique sont d’une grande importance épistémologique. Première conséquence : il est impossible de rien dire d’une époque ou d’un peuple dont il ne resterait nulle trace. Voilà qui suffit à disqualifier l’idée abstraite d’un état de nature conçu comme stade historique de l’humanité puisque, s’il fut un temps où les hommes vécurent isolés et dépourvus de ces facultés qui les distinguent de la bête, « c’est un temps dont il ne nous reste aucune trace et relativement auquel nos opinions ne peuvent nous servir de rien et ne sont soutenues par aucune preuve  [53] ». Deuxième conséquence : l’entrée dans l’histoire des peuples sans écriture par la voie d’une valorisation épistémique du spontané, du quotidien, de l’informel et de l’intime. Dès lors qu’une époque ou un peuple laisse des traces, des marques ou un quelconque témoignage, il est susceptible d’être saisi par le discours de l’historien. Les traditions des peuples anciens et des « primitifs » contemporains, leurs us et coutumes, les rites d’alliance entre les familles et les relations entre les sexes, les gestes de la vie quotidienne, les arts, les formes d’ornement et de parure, les techniques de combat, les manières de parler et d’agir, les formes d’humour et d’expression sensible ou lyrique, les superstitions, les religions, les valeurs et les croyances, la conception de l’honneur : tous ces faits sociaux et culturels font l’objet d’une revalorisation comme matériau historique. Troisième conséquence, directement liée à la précédente : le divorce entre l’écriture et l’histoire. À la promotion des faits observables et ethnographiables répond la dévaluation relative de l’écrit, du formel et de l’officiel comme sources. Ainsi, la condamnation, à forte connotation morale et politique, de ce que Ferguson considère comme l’abus scripturaire dans la société civile se renforce de la reconnaissance de la valeur spirituelle, esthétique, éthique et politique des pratiques et des productions culturelles des sociétés sans écriture. Quatrième conséquence : le statut épistémologique du récit historique ou littéraire change. Même les fictions – fables et légendes – constituent, par leur contenu, une source précieuse d’information pour « établir ce qu’était la manière de penser et de sentir de l’époque où elles furent composées  [54] », tant que l’histoire « n’a rien à offrir qui soit digne de foi  [55] ».

Le discours autoréférentiel sur la nature humaine

Les impasses théoriques du discours anthropologique : l’uniformité problématique de l’homme

22Campée sur les fondations solides de l’axiomatique du sens commun transposée du modèle du Newton, armée de la méthode inductive héritée de la philosophie naturelle de Bacon et dotée d’un objet distinct mais non moins naturel que le reste de l’univers, la nouvelle science de l’homme semble en passe de triompher du scepticisme. Il s’avère qu’en réalité, la démarche fergusonienne est prisonnière du même cercle que la philosophie du sens commun de Reid. De même que « le sens commun est à la fois le critère de jugement et la vérité à démontrer  [56] », le discours anthropologique censé fonder sa légitimité sur la validité des lois de la nature humaine est à lui-même sa propre instance de validation.

23La possibilité d’une histoire rationnelle  [57] implique de faire reposer la physique de l’homme sur le même postulat que celui qui gouverne la physique de la nature, et qui est au cœur du principe de causalité, à savoir l’uniformité de la nature humaine. L’énoncé des lois physiques de l’esprit suppose la fixité des faits relatifs aux facultés de l’homme. Cette unité de l’esprit, c’est dans l’expérience qu’elle va se manifester, dans ces exemples qu’il reviendra à l’historien de la nature humaine de rassembler et de comparer selon des procédés empruntés, là encore, à la physique de la nature. Le discours anthropologique va ainsi s’efforcer de prendre en charge la démonstration de cette unité. Sur le plan théorique, elle est première et fondatrice, les différences entre les types humains n’étant que des accidents qui trouvent leur origine dans des déterminants externes – notamment le climat.

24 Les choses sont radicalement différentes dans l’ordre du discours. Tout se passe en effet comme si le discours anthropologique visait non pas à rendre compte des lois qui gouvernent l’esprit suivant la méthode expérimentale mais à valider, sur le plan discursif, les lois de l’esprit de façon à ce qu’il soit possible d’affirmer que le système intellectuel  [58] possède ses lois. Car pour pouvoir affirmer quoi que ce soit de vrai sur le devenir de l’homme et sur ses fins, il faut au discours un fondement stable et rationnel, un point fixe, l’instrument fiable de la saisie du fait humain qu’il prétend opérer. En clair, il lui faut l’appui de la loi comme principe explicatif de la réalité humaine et condition de possibilité de sa mise en ordre. On aperçoit alors la circularité de la démarche : le discours anthropologique s’évertuera à fonder la validité d’une science de la nature humaine qui lui est nécessaire pour le légitimer en tant que discours rationnel. Ayant pour fonction de construire de toutes pièces le champ d’effectuation des principes généraux de la nature humaine, il est donc ce qui tient lieu à la fois de champ d’expérimentation, c’est-à-dire d’étalonnage des faits, et de vérification des lois physiques de l’esprit.

25 Ainsi, tout se passe comme si la nature humaine était première dans l’ordre des choses – les faits premiers de la nature humaine –, et comme si le rapport s’inversait dans l’ordre du discours. Ici, l’histoire imprime sa forme à la réalité anthropologique (ou sociologique), et somme les sociétés de répondre de leur historicité dans le cadre imposé de la théorie stadiale. C’est donc l’objectivité de la méthode inductive qui se trouve ainsi remise en cause, « car quelque ordre que recèle le langage des faits, il n’est constitué en langage que par l’interaction entre l’esprit et les choses. L’esprit impose de facto son ordre au monde et la méthode est ensuite chargée de reconnaître cet ordre », ou plutôt de l’imposer sous la forme « d’une abstraction injustifiée qui ne peut se légitimer qu’au moyen du naturalisme qui décrète dogmatiquement la correspondance nécessaire entre schéma abstrait et réalité concrète  [59] ». Dans ce schéma, comme l’exprime justement Chézaud à propos de Reid, « l’axiomatique de la science de l’homme se suffit à elle-même et n’a que faire de l’induction  [60]. »

Le traitement réducteur des témoignages et des sources

26D’où le traitement simplificateur et réducteur que Ferguson fait subir à ses sources. De ce qui fait la richesse ethnographique des témoignages tirés de la littérature de contact – la précision et la couleur des descriptions, le souci du détail, la variété et les nuances des réalités rapportées –, on ne retrouve qu’un pâle souvenir. La diversité des peuples amérindiens est recouverte sous le vocable de « sauvages », qui ne rend évidemment pas compte de l’extrême variété de coutumes, mœurs, pratiques ou traditions que les pères jésuites Lafitau et Charlevoix s’étaient efforcés – certes avec leur regard d’Européens – de rendre dans leurs écrits, abondamment utilisés par Ferguson. Sont de même occultées les différences parfois subtiles qui séparent les dizaines de tribus rencontrées au cours de leurs voyages, au profit, dans l’Essai, d’une généralisation simplificatrice, où la situation géographique sert de principal critère de discrimination entre les tribus. Dans ce décalage entre l’Essai et ses sources, on mesure concrètement la violence que l’histoire naturelle fait subir à la réalité des faits observés et décrits. On voit comment la recherche d’une improbable intelligibilité de l’histoire rend paradoxalement impossible l’intelligence de l’altérité amérindienne. On comprend, du même coup, pourquoi l’émergence d’un véritable point de vue anthropologique supposera de rompre avec l’ambition d’une théorie globalisante et évolutionniste de l’histoire humaine qui sacrifie à sa logique simplificatrice l’irréductible complexité du réel.

27La mise à distance des sources est d’autant plus remarquable chez Ferguson qu’elle semble contredire l’épistémologie testimoniale qu’il emprunte, là encore, à Reid. Dieu, écrit celui-ci en substance, a inscrit dans la nature de l’homme deux principes qui se répondent et qui vont ensemble : l’un qui nous pousse naturellement à dire la vérité – c’est le principe de véracité –, l’autre qui nous porte tout aussi naturellement à croire ce que les autres nous disent – c’est le principe de crédulité. Non seulement nous avons un penchant naturel à dire la vérité et à nous servir, dans le langage, des signes qui interprètent le plus fidèlement nos sentiments, mais encore nous sommes naturellement enclins à nous en remettre aux autres pour croire ce qu’ils nous disent. Mieux, nous sommes soumis à la nécessité anthropologique de croire ce qu’autrui nous raconte et cette croyance peut être entretenue légitimement d’un point de vue épistémologique  [61]. Cette contradiction, qui n’est qu’apparente, s’explique, là encore, par l’imposition de la logique historique à la réalité des faits. Si Ferguson ne suit pas toujours ses témoins, ce n’est pas qu’il conteste leur autorité ou qu’il doute de leur crédibilité – la convergence de leurs récits renforce au contraire leur véracité. Ce qu’il met en cause, c’est leur point de vue, c’est-à-dire leur capacité, dans la position qu’ils occupent, à interpréter correctement les faits en les replaçant dans la perspective de l’histoire naturelle. Car la vérité, loin de se déduire de la réalité observée, doit émerger de l’application à cette réalité du schème d’intelligibilité de l’histoire humaine. Ce n’est pas la réalité qui fait la vérité de l’Essai sur l’histoire de la société civile, ce sont les lois de l’histoire, discursivement reconstruites, qui donnent à la réalité son sens et sa vérité. Ce ne sont pas les témoignages qui éclairent l’histoire, c’est l’histoire qui, chez Ferguson, gouverne l’interprétation des témoignages.

L’homme introuvable   

28« L’anthropologie, écrit Michèle Duchet, ne peut se constituer comme discipline à part entière que lorsque deux conditions seront réalisées : la première est que l’espèce prenne le pas sur l’individu, et la seconde que l’humanité dans son ensemble, dans la diversité de ses races et des mœurs, s’impose comme un objet qui ne peut être appréhendé par aucune des “méthodes” existantes  [62]. » Ni le point de vue individualiste du cogito cartésien qui domine la tradition idéaliste, ni la réduction de l’humain à une nature, fût-elle fondatrice d’un nouveau savoir, n’étaient en mesure de remplir l’une ou l’autre de ces conditions. La théorie des idées représentatives avait conduit Hume à faire dépendre la nature humaine de la stabilité des lois de l’imagination, l’exposant ainsi à l’impermanence de ses principes  [63]. La réponse de Reid, reprise par Ferguson, consista à faire de la nature humaine le lieu d’une axiomatique pour une science de l’homme qui fût autre chose que la déconstruction sceptique d’une pure fiction. Mais qu’elle fût le socle d’une nouvelle histoire de l’homme, ou qu’elle menaçât, au contraire, de se dissoudre dans cette histoire, la nature humaine ne pouvait constituer le fondement d’une connaissance authentique de l’homme.

29D’un point de vue épistémologique, la distance est immense qui sépare l’étude de la nature humaine par les Lumières et l’anthropologie qui se constituera progressivement comme science au siècle suivant. Même si l’intérêt pour l’homme jette les bases d’un savoir nouveau, ce savoir ne dispose, à la fin du XVIIIe siècle, ni des méthodes d’observation adéquates, ni des instruments opératoires nécessaires à la construction scientifique de son objet. S’il représente une avancée fondatrice dans la conquête de l’humanité, le savoir est trop impliqué dans la maîtrise pratique et intéressée des hommes, et trop mal assuré sur ses bases, pour prétendre accéder au statut scientifique dans l’espace théorique. D’un point de vue archéologique, c’est en rupture avec l’histoire naturelle telle que la pensaient les historiens écossais que se sont construites les sciences nouvelles. Pour que l’anthropologie – et avec elle l’ensemble des sciences humaines – devienne possible, il faudra que se forme le projet non plus d’un regard métaphysique ou spéculatif sur l’homme, mais d’un savoir fondé sur l’observation raisonnée qui permette, pour parler comme M. Foucault, de saisir l’homme dans sa positivité d’être vivant, travaillant, parlant et en tant que cet être possède la capacité de construire des représentations qui lui donnent accès au savoir de ce que sont la vie, le travail et le langage  [64]. C’est précisément ce à quoi ne parvient jamais le discours anthropologique qui se déploie à la surface de l’Essai, dès lors qu’il reste dépendant du schéma évolutionniste de la marche universelle des sociétés vers la civilisation, condamné ainsi à la quête sans fin d’un homme introuvable.


Mots-clés éditeurs : Nature humaine, Axiomatique, Histoire, Homme, Empirisme, Sens commun, Société civile, Scepticisme, Anthropologie, Croyances, Épistémologie

Date de mise en ligne : 26/10/2015

https://doi.org/10.3917/aphi.784.0631

Notes

  • [1]
    EHSC, I, 1, 10. Pour les références à l’Essai sur l’histoire de la société civile [1767], le chiffre romain renvoie à la partie considérée, le premier chiffre arabe au numéro de la sectionet le second chiffre arabe à la page correspondante dans notre édition de l’Essai, Paris, ENS Éditions, 2013.
  • [2]
    EHSC, I, 1, 6.
  • [3]
    EHSC, IV, 2, 184.
  • [4]
    EHSC, III, 8, 174.
  • [5]
    EHSC, I, 1, 2-3 et IMP, II, 1. Pour les références aux Institutes of Moral Philosophy (IMP), le chiffre romain renvoie à la partie, le premier chiffre arabe au chapitre. Le cas échéant, un second chiffre arabe renvoie à la section. Les chiffres suivants renvoient à la pagination de la première édition (1769) sauf indication contraire.
  • [6]
    EHSC, I, 5, 26.
  • [7]
    IMP, II, 1, 82.
  • [8]
    EHSC, I, 8, 55.
  • [9]
    EHSC, II, 2, 92.
  • [10]
    EHSC, I, 1, 6.
  • [11]
    IMP, III, 2, 2, 127.
  • [12]
    IMP, III, 1, 2, 125. Voir également Introduction, 3, 5.
  • [13]
    IMP, III, 1, 1, 121-122.
  • [14]
    Op. cit., III, 1, 2, 123.
  • [15]
    IMP, III, 1, 2, 117 de la seconde édition (1773).
  • [16]
    IMP, III, 1, 2, 124.
  • [17]
    IMP, I, 2, 2, 49.
  • [18]
    EHSC, I, 6, 34.
  • [19]
    EHSC, I, 1, 6.
  • [20]
    IMP, Introduction, 4, 8 ; 6, 10 de la seconde édition.
  • [21]
    Car ces facultés ne se manifestent qu’à travers leurs opérations (IMP, I, 2, 2, 49 ; EHSC, I, 5, 26).
  • [22]
    EHSC, I, 5, 25.
  • [23]
    L’expression nous paraît pouvoir s’appliquer à l’épistémologie de Ferguson non moins qu’à la théorie de Reid.
  • [24]
    IMP, Introduction, 2, 3. Voir également EHSC, I, 10, 71.
  • [25]
    Voir Patrick CHÉZAUD, La philosophie de Thomas Reid, des lumières au XIXe siècle, Grenoble, Ellug, 2002, p. 66-67, que nous suivons ici.
  • [26]
    L’expression « sens commun » apparaît à deux reprises dans l’Essai. Associé dans un cas à ce que Ferguson appelle « l’opinion du genre humain », il est donné comme le « grand législateur des nations » (EHSC, III, 3, 138). Voir également EHSC, II, 1, 78.
  • [27]
    EHSC, I, 1, 2 ; 2, 14 ; 5, 25 ; 6, 34, 38 ; II, 90 ; III, 8, 178-179 ; IV, 3, 189.
  • [28]
    Voir Patrick CHÉZAUD, op. cit., p. 55-58.
  • [29]
    IMP, Introduction, 1, 1.
  • [30]
    IMP, Introduction, 6, 10 (2e éd. de 1773).
  • [31]
    EHSC, I, 5, 27. La même idée se trouve chez Hume qui admet que « la différence entre un homme du commun et un homme de génie dépend principalement de la profondeur des principes sur lesquels ils fondent leurs idées », ce qui suppose que même l’homme du commun agit suivant des principes. Voir l’essai « Du commerce » [1752].
  • [32]
    EHSC, I, 5, 27. Dans l’Inquiry, Reid écrit des regulae philosophandi de Newton : elles sont « des maximes du sens commun et sont pratiquées tous les jours dans la vie courante » (Introduction, section I).
  • [33]
    Ce qui ne signifie nullement que le vrai philosophe – celui qui pratique le scepticisme mitigé – puisse ou doive faire abstraction de ces croyances ou de ces opinions pour élaborer la science de l’homme. Voir l’introduction au livre I du Traité de la nature humaine et l’essai « De l’essai » [1742]. Sur l’idée de « vie commune », voir l’introduction de Gilles Robel à l’édition des Essais moraux, politiques et littéraires et autres essais, Paris, PUF, 2001, p. 63 sq.
  • [34]
    Voir Michel MALHERBE, La philosophie empiriste de David Hume, Paris, Vrin, 1976, 2001, p. 49.
  • [35]
    Thomas REID, An Inquiry into the Human Mind on the Principles of Common Sense [1997], chap. VI, section XX, Dereck R. Brookes ed., Edimbourg, Edinburgh University Press, 2000, p. 173, traduction personnelle.
  • [36]
    Voir l’introduction au livre I du Traité de la nature humaine.
  • [37]
    David HUME, Enquête sur l’entendement humain, Paris, GF-Flammarion, éd. de M. Beyssade, p. 244.
  • [38]
    Traité de la nature humaine, I, IV, III.
  • [39]
    Ces références sont dans Yves MICHAUD, Hume et la fin de la philosophie [1983], Paris, PUF, Quadrige, 1999, p. 18.
  • [40]
    Nous empruntons la formule à Laurent JAFFRO, « Les recours philosophiques au sens commun dans les Lumières britanniques », in J.-P. Sylvestre et P. Guenancia éd., Le sens commun, Dijon, éditions universitaires de Dijon, 2006, p. 19-45. Accessible en ligne à : http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/17/42/56/PDF/Jaffro_recours_sens_commun.pdf. La citation se trouve à la p. 15 de la version numérisée (hors page de garde).
  • [41]
    Ibid., p. 14.
  • [42]
    Laurent JAFFRO, « La rétorsion du sens commun et la possibilité du scepticisme. Contre Reid » in M. Cohen-Halimi et H. L’Heuillet éd., Comment peut-on être sceptique ? Paris, Honoré Champion, 2010, p. 93-116 (halshs-00264778, version 2, 12 mai 2008). Article accessible en ligne à : http://hal.inria.fr/docs/00/27/83/63/PDF/Jaffro_Festschrift_Deleule3.pdf. La citation se trouve à la p. 13 de la version numérisée.
  • [43]
    Laurent JAFFRO, « Les recours philosophiques… », op. cit., p. 15 (version numérisée).
  • [44]
    Op. cit., p. 13.
  • [45]
    Op. cit., p. 15.
  • [46]
    Op. cit., p. 14.
  • [47]
    Op. cit., p. 20.
  • [48]
    Chez Shaftesbury, le sens commun est appréhendé « comme une forme de communication, c’est-à-dire non pas comme un ensemble d’intuitions déterminées, mais comme une présupposition de la communauté dans la pratique même de la philosophie ». Cette conception « insiste sur les aspects normatifs de la communication et, plus généralement, de la pratique ». Voir L. JAFFRO, « La rétorsion du sens commun… », p. 10 de la version numérisée.
  • [49]
    EHSC, I, 6, 33-34, 35 ; III, 8, 174.
  • [50]
    EHSC, III, 3, 138, le sens commun et l’opinion du genre humain qui sont ensemble le « grand législateur des nations ».
  • [51]
    EHSC, I, 2, 15 ; 6, 32.
  • [52]
    Sur la véracité du langage naturel, voir EHSC, I, 2, 14-15 et sur la sociabilité, EHSC, I, 5, 31, EHSC, III, 4, 147 ; 8, 180. Nous avons recensé ces arguments justificatifs des premiers principes du sens commun dans l’Essai de Ferguson, en empruntant à la topique de Reid, telle que présentée par L. Jaffro dans « La rétorsion du sens commun… », op. cit., p. 6-7.
  • [53]
    EHSC, I, 1, 6.
  • [54]
    EHSC, II, 1, 78.
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    P. CHÉZAUD, op. cit., p. 102.
  • [57]
    L’histoire « rationnelle » – équivalent ici de l’histoire « naturelle » – s’autorise des principes de la nature humaine (ou des lois de l’esprit) pour établir des conjectures destinées à suppléer l’absence de faits (traces ou témoignages) laissés à l’observation de l’historien. Dès lors que l’esprit est gouverné par des lois, l’histoire de l’homme peut être regardée comme intelligible : elle devient déchiffrable, explicable et prédictible, bref rationnelle. Dugald Stewart donnera un exposé systématique de cette démarche devant la Société Royale d’Édimbourg en janvier 1793, repris dans son compte rendu de la « Dissertation sur l’origine du langage » d’Adam Smith, extrait de An Account of the life and writings of A. Smith, publié en 1794.
  • [58]
    L’expression désigne l’esprit compris comme ensemble de faits psychologiques (se rapportant à ses opérations) fixes et invariables – ce que Ferguson nomme des « lois physiques » (pour les distinguer des « lois morales ») dont l’étude est l’objet de la « théorie de l’esprit ». Voir supra, notre introduction et IMP, II, 1, 81-82.
  • [59]
    P. CHÉZAUD, op. cit., p. 80.
  • [60]
    Op. cit., p. 104.
  • [61]
    An Inquiry into the Human Mind on the Principles of Common Sense, chap. VI, section XXIV.
  • [62]
    « Aspects de l’anthropologie des Lumières », in Essais d’anthropologie, Paris, PUF, 2005, p. 215.
  • [63]
    Voir Traité de la nature humaine, I, IV, IV.
  • [64]
    Voir Les mots et les choses, chap. X, « Les sciences humaines », § II, Paris, Gallimard, Tel, 1966, p. 363-365.

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