Notes
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Ce bulletin est réalisé par le Centre Thomas Hobbes de l’Université Paris Descartes (Sorbonne). Directeur : Y.C. Zarka, Professeur de philosophie politique à l’Université Paris Descartes (Sorbonne). Directeur adjoint : F. Lessay, Professeur de civilisation britannique à l’Université de Paris 3 – Sorbonne Nouvelle. Secrétaire scientifique du bulletin : D. Lapenna avec la collaboration de D. Mineur.
Ont collaboré à ce numéro : D. Jiménez, D. Lapenna, A. Napoli, J. Olsthoorn, T. Papronty, L. Ribarevic, R. Santi, M. L. de Stier, F. Wilmann. Des indications ont été fournies par J. Monserrat Molas pour l’Espagne, par M. Lukac de Stier pour l’Amérique latine hispanophone et lusophone, par A. Napoli et R. Santi pour l’Italie, par S. Probst pour l’Allemagne, par J. Griffith pour les États-Unis. La mise en place de l’ensemble a été assurée par D. Lapenna.
L’ensemble des listes bibliographiques du Bulletin Hobbes est consultable sur le site des Archives de Philosophie : http://www.archivesdephilo.com.
Liminaire
Séminaire du centre Thomas Hobbes (2011-2012) le politique : philosophie, histoire, sociologie
1Le séminaire du Centre Thomas Hobbes de l’équipe PHILéPOL (Philosophie, épistémologie et politique) de l’Université Paris Descartes, Faculté SHS-Sorbonne, a consacré une journée d’étude au thème « Hobbes et le statut de la liberté » avec la participation de Pierre Guenancia, Jean-Maurice Monnoyer, Didier Mineur, Franck Lessay et Yves Charles Zarka. Il s’agissait de reprendre la conception hobbesienne de la liberté sous tous ses aspects, depuis la dimension métaphysico-théologique, jusqu’à ses développements politiques en passant par la physique et l’éthique. La conception hobbesienne de la liberté reste en effet l’un des points les moins étudiés de l’œuvre. Certes, il y a eu beaucoup d’articles et de livres sur ce sujet, mais ceux-ci ont été pour la plupart consacrés exclusivement à la théorie politique. On a ainsi sans cesse répété le lieu commun qui veut que la conception hobbesienne – où la liberté est identifiée à la nécessité – n’ait eu d’autre objet que de permettre une justification de la servitude au plan politique. Hobbes n’aurait eu d’autre intention que de combattre la conception « républicaniste » de la liberté telle qu’on la trouve formulée en particulier à la Renaissance. Or c’est ce lieu commun qu’il s’agissait de remettre en cause de deux manières : (1) en refusant d’isoler la liberté politique dans les Elements of Law (Œuvres traduites. Tome II, Paris, Vrin), le De Cive et le Léviathan (Œuvres traduites, t. VI-2, Paris, Vrin) de ses fondements métaphysico-théologiques développés dans la polémique avec l’évêque Bramhall (De la liberté et de la nécessité, Œuvres traduites, t. XI-1, Paris, Vrin et Questions concernant liberté, la nécessité et le hasard, Œuvres traduites, t. XI-2, Paris, Vrin) ; (2) en analysant le rapport de la liberté chez Hobbes avec la conception du libre arbitre chez Descartes, mais aussi avec sa postérité chez Spinoza, la critique qu’en a produit Leibniz sur la question de la contingence, et l’opposition de Cudworth.
2Il en ressort que l’enjeu principal de la pensée du philosophe anglais n’est pas du tout engagé dans une polémique avec la conception « républicaniste ». Le sens du geste proprement hobbesien est ailleurs : penser autrement la liberté individuelle dans ses rapports avec l’État. Loin de justifier la servitude politique, Hobbes fonde au contraire le concept moderne de la liberté.
3Cette démarche de reconsidération des thèses hobbesiennes sur la liberté et la nécessité sera poursuivie tout au long du séminaire du Centre Thomas Hobbes de la prochaine année universitaire (2012-2013), année au cours de laquelle les œuvres indiquées ci-dessus se trouvent au programme de l’agrégation de philosophie.
4Yves Charles Zarka
1 – Éléments pour une recherche
51.1. « Bulletin Hobbes XXIII. Bibliographie critique internationale des études hobbesiennes pour l’année 2009 », Archives de philosophie, tome 74, cahier 2, avril-juin 2011, p. 341-364.
2 – Textes et traductions
62.1. Hobbes (Thomas), El Cuerpo : Primera sección de los elementos de filosofía, edición y traducción de Bartomeu Forteza, prólogo de Yves-Charles Zarka, nota introductoria de Josep Monserrat, Valencia, Pre-Textos, 2010, 770 p.
7Au terme d’une longue attente paraît enfin en Espagne la traduction du De Corpore réalisée par l’un de ceux qui ont le plus contribué aux études hobbesiennes en Espagne : Bartomeu Forteza. Cette traduction, qui devait initialement paraître fin 1999, est aujourd’hui publiée aux éditions Pre-Textos grâce aux efforts des proches et des collaborateurs de Forteza.
8Plusieurs éléments font de l’édition de Forteza une édition particulière. Tout d’abord, il s’agit de la parution en castillan d’une œuvre de première importance pour la compréhension de la pensée hobbesienne. Il est vrai que nous disposions déjà de la grande traduction réalisée par J. Rodríguez Feo, mais ce qui en différencie celle-ci est, entre autres, le riche et judicieux apparat critique qui l’accompagne, dû à un grand connaisseur de Hobbes. Ensuite, un ensemble de contributions introduit le texte du De Corpore : un prologue d’Yves-Charles Zarka, une note introductive de Josep Monserrat-Molas et une longue introduction de Bartomeu Forteza lui-même.
9Dans son bref mais dense prologue, Yves Charles Zarka fait une synthèse des principales idées et théories qui forment la première partie des Éléments de Philosophie, concentrant son attention sur (1) « le rôle que joue le De Corpore dans la philosophie du xviie siècle » et (2) celui « qu’il joue dans l’œuvre de Hobbes, par rapport aux traités politiques notamment » (p. III). Pour le développer, Zarka engage plusieurs des thèses travaillées dans ses interprétations devenues désormais classiques sur la pensée hobbesienne.
10Mais l’élément quantitativement le plus important de ces textes est l’introduction de plus de 140 pages de Forteza lui-même, que l’on peut lire comme une monographie. Elle comporte cinq parties : I. Le long chemin jusqu’au De Corpore, II. Une philosophie linguistique, III. Le système philosophique de Hobbes : unité et fortune, IV. La présente édition et, enfin, une longue bibliographie sélective.
11Dans la première partie, l’auteur donne un aperçu des divers écrits hobbesiens qui, dès 1629, semblent conduire progressivement le philosophe à publier la première partie des Éléments de Philosophie. Forteza nous invite à ce voyage « afin de mieux connaître le contenu et le sens du livre dont [il] présente la traduction » (p. 15). Dans la deuxième partie, B. Forteza analyse les principales idées philosophiques du De Corpore à partir de l’étude de chacune des quatre sections qui le composent : la logique, la philosophie première, la géométrie et la physique. Pour la logique, l’auteur reprend les thèses principales de son L’Objectivitat a la Filosofia Lingüística de Thomas Hobbes (1999) et il interprète la pensée du philosophe anglais en insistant sur le problème du langage. Selon Forteza, la philosophie de Hobbes est « une philosophie marquée par la finitude de la condition humaine. Cette philosophie sera […] une philosophie linguistique, c’est-à-dire, non pas une philosophie du langage au sens propre du terme, mais une philosophie qui assume les caractéristiques, les possibilités et les limites marquées par le langage » (p. 46). En ce qui concerne la philosophie première, Forteza l’interprète comme une détermination de « l’usage juste de ces mots fondamentaux sans lesquels la science ne peut ni se faire ni se comprendre » (p. 66), tout en prêtant une attention particulière à l’hypothèse de l’annihilatio mundi. Enfin, il analyse la géométrie et la physique du De Corpore. Il y apparaît que Hobbes ne parvient pas à passer à l’histoire de la science parce que sa géométrie générative rejette l’inclusion de l’algèbre réalisée par Descartes, et parce que sa physique déductive n’est pas capable de laisser une place à la dimension d’expérience. Dans la troisième partie, l’auteur tente de résoudre une des grandes apories des études sur Hobbes : la possibilité de trouver un élément qui unifie et établisse la continuité entre la philosophie naturelle et la science civile de Hobbes. En accord avec certaines idées de L’Objectivitat a la Filosofia Lingüística de Thomas Hobbes, Forteza résout ce problème en faisant appel à la méthode selon laquelle Hobbes étudiait chacun des deux pôles de la réalité que sont la nature et la politique en portant une attention minutieuse au langage.
12Nous avons laissé pour la fin les considérations sur la note introductive de Josep Monserrat-Molas et sur la dernière partie de l’introduction de Forteza parce que nous croyons que toutes les deux éclairent la dernière question à traiter : celle de la qualité de la traduction dont il est question ici.
13Cette qualité tient tout d’abord à la magnifique reconstruction que donne J. Monserrat-Molas de la correspondance entre Forteza et un autre grand spécialiste de la philosophie hobbesienne – Karl Schumann. Forteza commença à correspondre avec Schumann après avoir entendu parler de son édition critique du De Corpore en latin (Paris, Vrin, 1999). Le fait que Forteza, après trois ans de travail sur le sujet, ait jugé utile le travail de Schumann pour parfaire sa propre traduction est une démonstration éloquente de sa rigueur. Après avoir reçu une copie de ce travail encore inédit et l’avoir exhaustivement révisé, Forteza écrira à Schumann pour lui proposer quelques corrections. L’aspect le plus intéressant de ces suggestions est qu’elles dénotent une maîtrise absolue du texte original du De Corpore – ce que Schumann reconnaîtra lui-même en les incorporant à sa propre édition.
14Mais c’est Forteza lui-même qui nous offre, dans la quatrième partie de son introduction, ce qui joue vraiment en faveur de cette traduction. On y apprend en effet que la présente édition est le fruit de quinze ans de travail et de deux traductions distinctes : la première basée sur le texte de Molesworth et une seconde réalisée à partir des éditions de Londres et d’Amsterdam complétées grâce à l’édition de Schumann, ainsi qu’en comparant la traduction définitive avec celles réalisées en anglais, en italien, en allemand et en français.
15David Jiménez (trad. J. Tramonte)
162.2. Hobbes (Thomas), Éléments du Droit naturel et politique. Introduction, notes, glossaire, index et traduction par Delphine Thivet. Tome II des Œuvres de Thomas Hobbes, sous la direction de Yves-Charles Zarka, Paris, Vrin, 2010, 254 p.
17Ce volume est le dernier publié dans le cadre de la collection Vrin des œuvres complètes de Hobbes. On le sait, il y a trois éditions des œuvres de Hobbes : celle de la première moitié du xixe siècle de William Molesworth, divisée en œuvres anglaises et latines, rééditée à plusieurs reprises, la seule complète à ce jour, mais qui n’est pas rigoureuse du point de vue philologique ; l’édition oxfordienne, The Clarendon Edition of the Works of Thomas Hobbes, avec un comité de rédaction composé de N. Malcolm, S. Schaffer, Q. Skinner et K. Thomas (1983-) et l’édition parisienne, dirigée par Y.-C. Zarka, Œuvres de Thomas Hobbes (1990-). Les Elements of Law, Natural and Politic, que Hobbes a fait circuler en copies manuscrites en 1640, publiées en 1650, sans son autorisation, comme deux essais séparés, Human Nature et De Corpore politico, constituent la première œuvre de Hobbes à caractère éthico-politique et anticipent de nombreux thèmes développés successivement dans le De Cive et le Leviathan. Compte tenu de l’imprécision du texte établi par Molesworth et en attendant la publication de l’édition de J.-P. Sommerville dans le cadre de l’édition oxfordienne, destinée à devenir l’édition anglaise de référence, les textes en langue originale disponibles à ce jour sont ceux édités par le sociologue allemand F. Tonnies en 1889 (réédité avec une nouvelle introduction de M.M. Goldsmith en 1969), traduit en français par L. Roux (1977) et D. Weber (2003) et celui édité par J. Gaskin pour la collection Oxford World’s Classics en 1994, traduit en français par A. Milanese (2006).
18Nous avons donc à faire à quatre traductions intégrales différentes en français (l’œuvre de Hobbes a d’ailleurs suscité dès le début l’intérêt du monde culturel francophone, comme en témoignent les traductions partielles de 1652 et 1653 : Le Corps politique, traducteur anonyme, peut-être Sorbière et, en 1772 : De la nature humaine, traduit par le baron d’Holbach). En quoi la nouvelle traduction de Delphine Thivet s’en différencie-t-elle ? Sa valeur, y compris à l’échelle internationale, tient à ce qu’il ne s’agit pas seulement d’une traduction mais d’une véritable « édition-traduction ». L’éditrice ne s’est pas contentée de traduire l’une des éditions existantes, mais elle a consulté les originaux de Hobbes, en prenant comme texte de base l’une des copies manuscrites conservées à la British Library, plus précisément celle répertoriée « Harley MS 4235 » (264 pages) – qui présente la signature originale de Hobbes, quelques notes manuscrites dans les marges et des corrections autographes – en la comparant aux premières éditions imprimées en 1650 et 1651. Cette opération, le soin philologique avec lequel le texte a été écrit et le fait que les différences ont été opportunément indiquées dans l’apparat critique, font de cette édition française un travail extrêmement utile pour tous les spécialistes de Hobbes.
19La traduction, dans le titre de l’œuvre, de Law par Droit peut certes susciter une certaine perplexité, compte tenu de la différence cruciale, soulignée à maintes reprises par Hobbes lui-même, ici et dans d’autres ouvrages, entre « loi » (law/lex) et « droit » (right/ius). Toutefois, comme l’indiquait Michel Villey, « le premier grand ouvrage de Hobbes se présente comme un traité de théorie générale du droit : Elements of Law. La philosophia civilis, il l’identifie à la science du droit naturel et civil » (La formation de la pensée juridique moderne, Paris, 2003). Villey l’indique encore, les autres écrits hobbesiens se spécialiseront de plus en plus vers la philosophie politique, tandis que les Elements of Law sont généralement considérés comme un ouvrage de philosophie du droit, ce que confirme le chapitre de conclusion, qui scelle le texte avec une divisio legis. Par conséquent, le titre choisi pour cette traduction française est parfaitement adapté (à noter que la même solution a été adoptée récemment en Espagne : Th. Hobbes, Elementos de Derecho Natural y Político, éd. D. Negro Pavón, Madrid, 2011).
20Les Éléments du droit ont une grande importance pour la compréhension du développement de la philosophie de Hobbes. Elle contient en quelque sorte tous les présupposés théoriques qui seront réélaborés (à des degrés différents) dans les ouvrages ultérieurs. Il suffit à ce propos de citer la phrase (chap. XVIII, partie I) contenant en résumé tout le fondement logique utilisé pour établir la nécessité de la construction de l’État : « Les lois mentionnées dans les chapitres précédents, de même qu’elles sont appelées ‘lois de nature’, puisqu’elles sont les prescriptions de la raison naturelle, et également ‘lois morales’ parce qu’elles concernent les mœurs et les conduites des hommes les uns à l’égard des autres, sont des lois divines au regard de leur auteur, Dieu Tout-Puissant […] ». Ici comme dans d’autres cas, il faut souligner la traduction correcte sans être littérale de « conversations » par « les mœurs et les conduites des hommes ». « Conversation », en effet, doit s’entendre comme le latin « conversatio » pour lequel l’Oxford Latin Dictionary indique les sens de « conduct » et de « behaviour », auxquels se réfère Hobbes.
21Le texte des Éléments du droit est ici précédé par une introduction qui en expose les grandes lignes, favorisant sa compréhension, et par une présentation du texte ; il est suivi par une bibliographie et un index. L’une des qualités majeures de ce travail réside encore une fois dans son apparat critique. En plus d’indiquer les ajouts de Hobbes au manuscrit et de corriger certaines omissions et des oublis de Tönnies, les notes reconstruisent le cas échéant aussi bien les vicissitudes biographiques de Hobbes que les aspects importants du contexte historique ; elles identifient les analogies et différences de perspective avec d’autres écrits de Hobbes, en particulier le Leviathan (anglais et latin), mais également avec d’autres textes comme la trilogie des Elementa Philosophiae ; en outre, elles explicitent les références de Hobbes ou la correspondance de sa pensée avec d’autres auteurs, classiques et modernes. C’est surtout dans ce dernier domaine que l’on peut apprécier la subtilité de l’interprétation de la traductrice, qui identifie des connexions – pas immédiatement évidentes et souvent négligées par les interprètes – avec certains textes aristotéliciens (par exemple, De la divination dans le sommeil et De l’âme à propos de l’imagination), avec le De officiis de Cicéron, les Essais de Montaigne, le poème Nosce teipsum de Sir John Davies et l’Anatomie de la Mélancolie de Robert Burton. Elles soulignent également ponctuellement des références aux œuvres de Descartes, les Méditations métaphysiques et le Discours de la méthode.
22En résumé, cet excellent travail profitera à l’ensemble de la communauté scientifique internationale des spécialistes de Hobbes.
23Raffaella Santi
242.3. Hobbes (Thomas), Elementos filosóficos. Del Ciudadano, Traducción, notas, glosario y prólogo d’Andrés Rosler, Buenos Aires, Hydra, 2010, 385 p.
25La traduction de Rosler, quatrième traduction espagnole du De Cive – généralement sous ce titre – part du texte latin de l’édition de W. Molesworth (Thomas Hobbes, Opera philosophica quae latine scripsit omnia, London, 1839, vol. II). Elle prend également en compte l’édition, par H. Warrender, de la version latine publiée par Oxford University Press en 1983. Cette traduction est intitulée Elementos filosóficos. Del ciudadano, suivant le titre que l’éditeur Elzévir d’Amsterdam donna en 1647 à la deuxième édition de l’œuvre qui, Hobbes l’indique lui-même dans son auto-biographie en vers, a été le premier ouvrage à le faire connaître.
26Cette excellente traduction reflète la maîtrise du latin du traducteur. En outre, elle est dotée d’une valeur ajoutée très importante : une préface qui constitue en elle-même un véritable projet de recherche, dépassant, avec ses 93 pages, ce à quoi l’on s’attend normalement. Puisque dans ce travail Hobbes considère la souveraineté de l’État comme un antidote aux tendances anarchiques du républicanisme dans le contexte de la guerre civile anglaise, le traducteur a intitulé sa préface : L’ennemi de la République : Hobbes et la souveraineté des États. La préface est divisée en 30 sections, le sous-titre attribué à chacune n’hésitant pas à faire appel à des expressions typiques de la culture politique populaire argentine. Par exemple, « Le peuple uni ne sera jamais vaincu » (p. 53), traite de la distinction entre pueblo et multitud. La préface comprend l’histoire du texte et sa méthode (§ 2-4) ; Libertas discute la première partie du De Cive (§ 5-10), Imperium la seconde partie (§ 11-26), Religio la troisième partie (§ 27-30). Il faut également souligner la richesse des notes, les précisions sur la traduction et sur les références explicites du texte de Hobbes à des personnages historiques, des faits et des proverbes. De même, les notes signalent les convergences avec la pensée d’autres philosophes, les relations thématiques avec d’autres œuvres politiques de Hobbes ainsi que les interprétations et les questions soulevées par les principaux critiques. Dans la dernière partie de son travail, Rosler propose un Glossaire des concepts et questions clés de la doctrine politique de Hobbes qui sera sans doute très utile à ceux qui ne sont pas familiers avec le texte hobbesien. Ajoutons que le lecteur de langue espagnole, expert de la pensée hobbesienne ou débutant, ne sera pas déçu.
27María Lukac de Stier (trad. D. Lapenna)
282.4. Hobbes (Thomas), Leviathan : Or The Matter, Forme, & Power of a Common-Wealth Ecclesiasticall and Civill. Edited and with an Introduction by Ian Shapiro, New Haven (CT), Yale University Press, 2010, 608 p.
292.5. Hobbes (Thomas), Moto, Luogo e Tempo, Gianni Paganini (éd.), Torino, Utet, 2010, 708 p.
30Le manuscrit de Hobbes (non olographe) de 474 pages, approximativement daté de 1643 et conservé à la Bibliothèque Nationale de France (Fonds latin 6566A), présente quelques modifications et ajouts de la main de Marin Mersenne (1588-1648). C’est une critique de bon nombre de thèses défendues par le philosophe anglais Thomas White dans son ouvrage De mundo dialogi tres, publié à Paris en 1642. Sans titre, il a été publié en 1973 par Jean Jacquot et Harold Whitmore Jones en tant que Critique du De Mundo de Thomas White. Dans sa traduction italienne, Gianni Paganini suit cette édition, mais en change le titre, en fonction du témoignage de Mersenne qui, dans la préface à sa Ballistica, dans les Cogitata physico-mathematica (1644), se réfère au texte de Hobbes comme au De motu, loco et tempore.
31Le texte de Hobbes, divisé en quarante chapitres, est précédé par une introduction et par les notes biographiques, bibliographiques et critiques, et suivi d’une table des matières comprenant un sommaire du manuscrit, très utile pour se retrouver dans le vaste domaine couvert par Hobbes. Les notes explicatives – commentaires et renvois aux autres écrits du philosophe de Malmesbury ou d’autres auteurs, in primis Thomas White et son De mundo – défilent au bas des pages sur tout le texte.
32L’introduction (p. 7-104) est une véritable monographie sur le De motu et aurait pu être publiée comme un livre en soi. Elle est divisée en six parties ou sections. Dans la première, « Hobbes et White : L’histoire d’une controverse », l’auteur reconstitue le cadre historique et intellectuel de la « controverse » entre Hobbes et White, notamment en se concentrant sur l’auteur de The Grounds of Obedience and Government (1655) et en partageant l’opinion exprimée par Beverley C. Southgate dans l’étude de 1993 ( jusqu’à ce jour la plus importante sur White : « Covetous of truth ». The Life and Work of Thomas White, 1503-1676), selon laquelle White a été capable de produire une « synthèse créative » entre la philosophie d’Aristote d’un côté, et celles de Copernic et de Galilée (la philosophie mécanique) de l’autre, dans la tentative de conjuguer foi et savoir, religion et philosophie nouvelle.
33La deuxième partie, « Mouvement, lieu et temps : une philosophie de Galilée », analyse les réponses de Hobbes aux conceptions de White sur la mécanique et la cinématique. Ici il est possible de mesurer la différence entre l’opération « conciliante » de White et la « rupture » opérée par Hobbes, lui aussi pourtant de formation aristotélicienne. Sa conception de la matière et du mouvement se caractérise par le matérialisme intégral et par le fait que Hobbes accueille et s’approprie le principe d’inertie identifié par Galilée. Paganini résume les « théorèmes du mouvement » énumérés au XXXVII, 3 ainsi : « 1. tout ce qui bouge est un corps, c’est-à-dire une substance qui est en trois dimensions, 2. Le mouvement est “le passage d’un endroit à un autre endroit”, donc le corps doit pouvoir être en un endroit, à savoir “remplir un espace en trois dimensions”, 3. Tout ce qui bouge, se déplace lui-même, en étant poussé ou tiré 4. rien ne peut se déplacer tout seul ; 5. Chaque mouvement est dirigé vers un endroit en particulier » (p. 29). En outre, la théorie du conatus est tout à fait originale, en tant que principe de mouvement, qui s’applique également au niveau psychologique.
34La troisième partie de l’Introduction, « Dans le ‘laboratoire’ de Hobbes : la réforme de la ‘philosophie première’ », développe l’idée que, dans le but d’analyser la relation (de rupture) entre la métaphysique de Hobbes et celle de la tradition occidentale, de Platon et Aristote en particulier, il faut vraiment faire référence à l’œuvre manuscrite de Hobbes. Le De Motu, loco et tempore, contrairement au De corpore (qui profitera du travail conceptuel realisé précisément dans De Motu), évolue dans le cadre d’idées et de catégories traditionnelles afin de les réinterpréter et de les réajuster selon la vision ontologique de Hobbes, comme cela arrive avec les concepts aristotéliciens de « substance » et d’« accident » : la substance est la substance corporelle (matière/corps) et « l’accident désigne la manière dont une chose est conçue par l’esprit qui se la représente » (p. 59). L’accident indique ou la présence d’un autre organisme ou un changement d’état dans le même corps, encore une fois à cause du mouvement. Comme le souligne justement Paganini, « le flux des accidents est l’équivalent ontologique du fluide des qualités secondaires décrit par Galilée » (p. 67).
35Les quatrième et cinquième parties, respectivement intitulées « À la recherche du premier moteur en mouvement : mécanisme et problèmes de la théologie » et « Questions de théodicée », abordent les questions théologiques du problème de l’existence de Dieu et de sa connaissance humaine, de la question du mal dans le monde – problèmes qui transcendent la naturalis ratio et sont philosophiquement insolubles. Paganini montre comment Hobbes, également dans De Motu, nous permet d’entrevoir la thèse de la matérialité de Dieu et affirme que « c’est justement en comparaison avec White que Hobbes se mesure à tout le système métaphysique de la scolastique sous sa forme la plus indiscutable et la plus sophistiquée ». Enfin, dans la dernière partie, « psychologie, morale et loi », l’auteur aborde la matérialité des processus émotionnels, le sens du bonheur selon Hobbes, le rapport entre la prudence (réinterprétée dans un sens issu de l’eudémonisme) et le savoir, et enfin la relation entre droit naturel et droit civil.
36Raffaella Santi
3 – Publications collectives
373.1. Paganini (Gianni) (éd.), « Hobbes and Renaissance Philosophy », Hobbes Studies (Special issue), 23, n° 1, 2010, p. 1-102.
383.2. Tralau (Johan) (éd.), Thomas Hobbes and Carl Schmitt. The Politics of Order and Myth, New York, Routledge, 2010, 216 p.
4 – Sources. Contexte historique et doctrinal
394.1. Alfonso Vargas (Jorge), « Hobbes y la literatura », Límite, 5, n° 22, 2010, p. 65-88.
40L’auteur aborde l’œuvre de Hobbes à partir de son contexte historique, de son environnement culturel, et plus particulièrement littéraire. Il commence par examiner la dernière période de la Renaissance anglaise. Les Anglais, toujours isolés du continent, ont cultivé une littérature originelle, à caractère national, forgée par la lutte contre le catholicisme et par l’opposition à d’autres nations. L’adoption du protestantisme a sans doute marqué l’écart entre l’Angleterre et le reste de l’Europe. Le résultat a été une nouvelle attitude quant à la morale ainsi qu’un fort intérêt pour la discussion des questions liées à la foi.
41Le climat anglais est anticlérical ; Hobbes partage cet esprit, en raison de la dépendance du clergé à la pensée médiévale et au dogme catholique, et par refus de l’intrusion du pouvoir spirituel dans le temporel. La Réforme a également laissé son empreinte sur la littérature : une abondance d’œuvres de polémique religieuse, de traductions de la Bible, de sermons et de livres de dévotion. Le meilleur témoignage en est la Bible de Jacques Ier (1611), adoptée par tous les courants protestants et d’une incomparable beauté littéraire. Alfonso Vargas signale aussi la profusion d’autres genres littéraires tels la critique et l’essai (non-fiction) ; Richard Hooker en serait le représentant exemplaire, éminent par son ton persuasif, son appel à l’imagination, son usage de la langue anglaise truffé de latin, et spécialement pour avoir mis ces ressources au service de l’anglicanisme. Hooker est le premier d’une série d’auteurs, essayistes et polémistes, parmi lesquels prendra place aussi John Donne. Dans cet article, l’auteur annonce un travail à venir dans lequel il analysera les auteurs les plus remarquables de la Renaissance anglaise tels que Donne, Bacon, Shakespeare et Milton, afin de saisir les résonances entre littérature et philosophie chez Thomas Hobbes. L’auteur conclut en affirmant qu’on ne peut pas parler d’une littérature proprement moderne, mais plutôt de l’abandon du style ancien qui permet de développer un style proprement anglais où la clarté, la vigueur et la beauté de la pensée se mêlent à une langue moderne qui se donne ses propres normes, s’épure et se donne à elle-même son propre brillant.
42María Lukac de Stier (trad. D. Lapenna)
434.2. Baumgold (Deborah), Contract Theory in Historical Context : Essays on Grotius, Hobbes, and Locke, Leiden, Brill, 2010, 190 p.
444.3. Botwinick (Aryeh), « Shakespeare in Advance of Hobbes : Pathways to the Modernization of the European Psyche as Charted in the Merchant of Venice », Telos : A Quarterly Journal of Critical Thought, 153, 2010, p. 132-159.
454.4. Corcilius (Klaus), « Thomas Hobbes », in Ideen : Repräsentationalismus in der Frühen Neuzeit, Dominik Perler, Johannes Haag (eds.), tome I : Texte, Berlin, De Gruyter, 2010, p. 119-164.
464.5. Corcilius (Klaus), « Thomas Hobbes », in Ideen : Repräsentationalismus in der Frühen Neuzeit, Dominik Perler, Johannes Haag (eds.), tome II : Kommentare, Berlin, De Gruyter, 2010, p. 83-122.
474.6. Dick (Howard), The Primacy of the Political : A History of Political Thought from the Greeks to the French & American Revolutions, New York, Columbia University Press, 2010, 416 p.
484.7. Duncan (Stewart), « Leibniz on Hobbes’s Materialism », Studies in History and Philosophy of Science, 41, n° 1, 2010, p. 11-18.
494.8. Galli (Carlo), « La Produttivita Politica della Paura : Da Machiavelli a Nietzsche », Filosofia Politica, 24, n° 1, 2010, p. 9-28.
504.9. Greene (Robert A.), « The Origin, Definition, Assimilation, and Endurance of Instinctu Naturae in Natural Law Parlance – From Isidore and Ulpian to Hobbes and Locke », History of European Ideas, 36, n° 4, 2010, p. 361-374.
514.10. Kingsbury (Benedict), Straumann (Benjamin), « State of Nature versus Commercial Sociability as the Basis of International Law : Reflections on the Roman Foundations and Current Interpretations of the International Political and Legal Thought of Grotius, Hobbes, and Pufendorf », in The Philosophy of International Law, Samantha Besson, John Tasioulas (éds.), Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 33-51.
524.11. Kramnick (Jonathan), Actions and Objects from Hobbes to Richardson, Palo Alto (CA), Stanford University Press, 2010, 307 p.
534.12. Mori (Gianluca), « Hobbes, Cartesio e le Idee : un Dibattito Segreto », Rivista di Storia della Filosofia, 65, n° 2, 2010, p. 229-246.
54Gianluca Mori montre de façon convaincante que l’auteur anonyme de la lettre adressée à Descartes par Mersenne, en latin, le 19 mai 1641 (voir l’édition Adam-Tannery, vol. 3, p. 375-377) peut être presque certainement identifié avec Hobbes. Une analyse conceptuelle et lexicale détaillée de la lettre – dont le contenu concerne la notion d’idée, avec une référence particulière à l’idée de Dieu et à sa fonction dans le contexte de la preuve cartésienne de l’existence divine – permet de mettre en évidence des similitudes surprenantes, et même des concordances textuelles, avec les positions exprimées par Hobbes dans ses œuvres officielles, tant antérieures que postérieures. L’auteur considère (de façon convaincante, à notre avis) que la clarté de ces points, et le fait que « la lettre a effectivement une signification dans l’horizon des thèses métaphysiques hobbesiennes » (p. 242), sont des éléments cruciaux pour attribuer à Hobbes la paternité de la lettre. De ce point de vue, la lettre du 19 mai (à laquelle Descartes répondra par deux lettres datées du 16 juin et de juillet 1641, sans se douter que son interlocuteur était en réalité « l’Anglais », qu’il détestait) peut être considérée comme une suite « secrète » du débat qui opposa les deux philosophes quelques mois plus tôt lors des Objections hobbesiennes aux Méditations (« une réplique brève de Hobbes aux trois réponses de Descartes : une tentative, peut-être, de renouer sous déguisement le dialogue interrompu brutalement », p. 234).
55Andrea Napoli (trad. D. Lapenna)
564.13. Moss (Laurence S.), « Thomas Hobbes’s Influence on David Hume : The Emergence of a Public Choice Tradition », The American Journal of Economics and Sociology, 69, n° 1, 2010, p. 398-430.
574.14. Moss (Laurence S.), « Hobbes and the Early Uses of Economic Method », The American Journal of Economics and Sociology, 69, n° 1, 2010, p. 499-523.
584.15. Mugnai (Massimo), « Logic and Mathematics in the Seventeenth Century », History and Philosophy of Logic, 31, n° 4, 2010, p. 297-314.
594.16. Picciotto (Joanna), Labors of Innocence in Early Modern England, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2010, 863 p.
604.17. Raylor (Timothy), « The Anglican Attack on Hobbes in Paris, 1651 », Historical Journal, 53, n°1, 2010, p. 153-164.
614.18. Riley (Patrick), « Leibniz and Modernity : Against the “Voluntarism” of Calvin, Descartes, Hobbes and Spinoza », in Leibniz und die Entstehung der Modernität, Juan Antonio Nicolás (éd.), Wiesbaden, Franz Steiner, 2010, p. 41-48.
624.19. Sergio (Emilio), « The Leviathan in Naples : Vico’s Response to Hobbes’s Life and Works », Journal for Eighteenth-Century Studies, 33, n° 2, 2010, p. 227-244.
63Nouvelle version révisée (avec l’ajout de 5 illustrations) de l’essai « Hobbes a Napoli (1661-1744) : Note sulla ricezione della vita e dell’opera di Hobbes nel previchismo napoletano et nell’opera di Vico », publié en 2007 dans le Bollettino del Centro di Studi Vichiani, n. 37. (Voir notre compte rendu dans le Bulletin Hobbes XXI, p. 363-364).
64Andrea Napoli (trad. D. Lapenna)
5 – Études générales du système
655.1. Burelli (Carlo), E fu lo Stato. Hobbes e il dilemma che imprigiona, Prefazione di Massimo Cacciari, Milano-Udine, Mimesis, 2010, 91 p.
66L’auteur interprète le modèle jusnaturaliste hobbesien à travers la ‘théorie des jeux’ (l’analyse des décisions d’agents rationnels dans des situations d’interaction mutuelle). Selon cette perspective (ouverte par David P. Gauthier dans son livre de 1969 The Logic of Leviathan), l’état de nature de Hobbes est un système dont la structure reflète le cas particulier de la théorie des jeux connu sous le nom de ‘dilemme du prisonnier’ : une situation où le choix stratégique des acteurs est nécessaire, car il n’y a aucune alternative adéquate (même s’il connaissait la décision de l’adversaire, le joueur ne pourrait faire un choix différent : cette situation est définie techniquement comme ‘l’équilibre de Nash’). Cela implique inévitablement l’impossibilité de coopération entre les individus, et entraîne les troubles généralisés qui caractérisent l’état de nature hobbesien. L’auteur souligne justement que cela implique également la nature moralement neutre du conflit (« l’obligation morale est fondée sur la responsabilité, mais la responsabilité demande un choix. Hobbes décrit une situation dans laquelle les individus n’ont pas de choix », p. 38).
67Une différence substantielle dans les stratégies des joueurs et, par conséquent, le renversement du dilemme, ne pourraient être obtenus qu’en suscitant un agent extérieur qui, par sa simple présence, introduirait un changement dans la structure des jeux. Le troisième sujet ici en question est bien l’État : avec la dissuasion fournie par la sanction législative, il transforme le dilemme du prisonnier (où la coopération est impossible) en un nouveau jeu (où s’applique la coopération). Dans cette situation nouvelle, le choix des joueurs est encore univoque, mais maintenant, c’est la coopération qui constitue le résultat naturel du jeu, c’est-à-dire, le choix le plus approprié pour chaque individu. La différence permet de résoudre le soi-disant problème du free rider, autrement dit l’impossibilité de créer un bien commun (en premier lieu la survie elle-même). De fait, aucun être rationnel ne voudrait en payer le prix : si la coopération est imposée, la production de biens publics – dont le coût est supporté par tous – est finalement possible. L’auteur considère la sortie de l’état de nature comme la conquête d’une ‘rationalité sociale’, à savoir d’un niveau plus élaboré de rationalité, « une sorte de méta-raison » (p. 68) acquise par la réflexion sur la raison elle-même et sur ses choix stratégiques – en d’autres termes, en identifiant la structure logique du dilemme du prisonnier et en même temps la manière de la contrôler à travers la création d’une institution coercitive : « L’homme est capable de raisonner non seulement sur la structure actuelle d’un jeu, mais aussi d’introduire des changements à la structure afin d’augmenter l’efficacité du résultat. Cette capacité, même si elle n’est suggérée qu’implicitement par Hobbes, pourrait contribuer à s’affranchir du dilemme, en optant pour la constitution de l’état civil » (p. 31-32).
68Dans la perspective d’une évaluation de l’actualité de la pensée hobbesienne, l’auteur trouve dans la prise de conscience par Hobbes de la fragilité et de la vulnérabilité du Léviathan un rappel constant à comprendre que la fonction de base de l’État est de garantir la survie des individus, condition essentielle pour la satisfaction de tout désir humain. Le point faible se trouve plutôt dans ce que l’auteur juge comme une vision dichotomique et abstraite de l’opposition entre l’état naturel des passions et du désordre, et l’état civil de la rationalité et de l’ordre. L’abstraction théorique de cette opposition bipolaire entre le Léviathan et le Behemoth – soutient Burelli – trahit la complexité de la réalité. En effet, « le terrible dilemme qui hante l’humanité » (p. 81) n’est pas le choix entre ces deux extrêmes, mais plutôt la nécessité d’équilibrer les risques entre un État trop fort qui, au nom de la sécurité, comprime la liberté individuelle, et un État trop faible qui favorise l’émergence d’un conflit destructeur (« le Scylla du totalitarisme » et « le Charybde de l’anarchie », p. 85). Cette faiblesse, cependant – ajoute l’auteur – « ne rend pas la pensée de Hobbes obsolète, au contraire, elle nous permet de la regarder sous une lumière nouvelle et plus intéressante », en l’utilisant comme un véritable ideal-type wébérien pour comprendre les phénomènes réels (p. 81). Toutefois, par rapport et contre le système théorique de Hobbes, l’expérience de la dégénération totalitaire du Léviathan au XXe siècle (les « Léviathans fous », comme les définit Burrelli de manière suggestive, p. 83 et 85) pose fortement à la pensée contemporaine la question de savoir s’il est rationnel de payer n’importe quel prix pour la protection de la vie et la stabilité sociale. Ces observations pertinentes, par lesquelles l’auteur conclut son travail, devraient peut-être être complétées par une discussion plus détaillée des caractéristiques spécifiques de l’État hobbesien, dont l’excessive abstraction (selon l’interprétation del’auteur lui-même, qui parle aussi de « stylisation aseptique », p. 81) doit être à notre avis reconsidérée. Néanmoins, le caractère absolu de l’État de Hobbes n’équivaut pas à un totalitarisme (à noter que si l’auteur rejette l’image de Hobbes théoricien de l’État absolu, c’est seulement parce qu’il identifie de manière réductrice l’État absolu avec l’État monarchique, p.18-19).
69Andrea Napoli (trad. D. Lapenna)
705.2. Fish (Stanley), « How Hobbes Works », in Visionary Milton : Essays on Prophecy and Violence, Peter E. Medine, John T. Shawcross, David V. Urban (éds.), Pittsburgh (PA), Duquesne University Press, 2010, p. 65-87.
715.3. Gert (Bernard), Hobbes : Prince of Peace, Cambridge, Polity Press, Classic Thinkers Series, 2010, 183 p.
72Cette introduction à la philosophie morale et politique de Hobbes est la première monographie de Gert sur Hobbes. Il y intègre beaucoup de ses travaux antérieurs, en reprenant ses deux argument interprétatifs principaux : d’abord, la conception de la raison chez Hobbes, de type aristotélicien et non pas humien (c’est-à-dire instrumental) ; qui plus est, le but de ‘la raison naturelle’ : éviter la mort et la douleur. Par conséquent, agir contre l’auto-préservation ne peut pas être rationnel.
73Ensuite, Hobbes ne suit pas la doctrine de l’égoïsme psychologique. Du moment que le ‘bon’ équivaut à tout objet du désir, des passages comme « mais l’objet, quel qu’il soit, de l’appétit ou du désir d’un homme est ce que pour sa part celui-ci appelle bon » (Lev 25,2) ne posent aucune restriction à ce que les humains devraient désirer. ‘L’égoïsme tautologique’ de Gert semble difficile à concilier avec l’affirmation hobbesienne que les saints aussi agissent en vue du bien qui leur est propre – c’est la béatitude céleste qui les motive (EW4, 378). Il faut noter que, compte tenu de son intérêt pour la psychologie de Hobbes, Gert ignore complètement Questions Concerning Liberty, Necessity, and Chance.
74L’exposition de la théorie morale de Hobbes par Gert mérite d’être signalée parce qu’il sépare les éléments de l’éthique : les vertus, les éléments déontologiques et utilitaires. Les vertus morales (traits du caractère prescrits par les lois de nature) profitent à tous et de manière impartiale, en promouvant la paix. L’ouvrage se termine par une discussion sur les philosophes influencés par Hobbes, notamment Gert lui-même.
75Johan Olsthoorn (trad. D. Lapenna)
765.4. Gert (Bernard), « Hobbes », in The Routledge Companion to Ethics, John Skorupski (éd.), New York, Routledge, 2010, p. 88-98.
775.5. Höffe (Otfried), Thomas Hobbes, München, Beck, 2010, 251 p.
78Otfried Höffe compte parmi les représentants éminents de la philosophie pratique, le point fort de son travail étant la théorie politique. Il se réclame d’une approche traditionnelle, au meilleur sens du terme, c’est-à-dire qu’il étudie ses sujets en les resituant dans leur contexte, de manière historique et critique et en les ordonnant dans le déploiement historique de la systématique philosophique – un travail sérieux, fondé sur les textes et informé. Ce faisant, Höffe, dans son nouveau livre sur Thomas Hobbes, se distingue une fois de plus des tendances analytiques à la mode et du courant dominant imprégné de philosophie des sciences. Il expose les différents aspects de la richesse de l’œuvre de Thomas Hobbes de manière concise et claire, ses analyses sont justes et fondées.
79L’auteur illustre ainsi de manière véritablement exemplaire le sérieux d’un travail en sciences humaines fondé non pas sur des idées brillantes et aventureuses ou des thèses extravagantes, mais faisant confiance à la force de l’argument, vérifiable dans le texte et le contexte. En d’autres termes, Höffe ne joue pas à la manière post-moderne, il présente au lecteur la richesse de l’œuvre de Thomas Hobbes de manière classique. Dans une introduction largement biographique, il donne une image vivante du philosophe. Les références à la guerre civile qui ont marqué Hobbes pour la vie montrent bien qu’il est certes possible de lire une œuvre comme le Léviathan – qui fit date dans l’histoire de la philosophie – sans avoir conscience du contexte dans lequel elle a été rédigée, mais qu’au bout du compte, une telle lecture risque d’induire une compréhension limitée, voire erronée du texte. Aussi Höffe fonde-t-il l’orientation du Léviathan et explique-t-il la démarche de Hobbes ainsi : « Depuis les Elements of Law jusqu’au Léviathan en passant par le De cive, Hobbes met l’œuvre de sa vie au service de ce qui est selon lui le bien suprême de l’homme, au plan individuel, la vie, et au plan de ce qui la rend possible socialement, la paix.
80Dans la mesure où la science de la paix se déploie comme une technique au service de la paix, elle se présente directement comme une prescription politique. Hobbes n’élabore pas sa théorie de l’État comme une philosophie à laquelle s’ajouterait une prescription politique, mais directement comme une instruction politique pour constituer son objet, le Léviathan, ce qui en fait tout de même une technique sociale, plus précisément, une technique de l’État. Le philosophe ne fait pas de différence entre la théorie générale et l’instruction pour une pratique politique particulière, dépendante d’une situation historique donnée. Dans sa théorie, la science est en même temps directive pour l’action, à savoir injonction à mettre effectivement en œuvre les moyens nécessaires et suffisants pour la paix. » (p. 76) Le thème majeur de Hobbes fournit également le fil directeur de cet ouvrage. Höffe étudie les idées anthropologiques du philosophe ; il discute les problèmes de la souveraineté, la nécessité de la paix mais aussi la menace pesant sur la liberté humaine du fait de souverains puissants et surpuissants que Hobbes, pensant et écrivant dans les limites de son époque, ne pouvait anticiper sous cette dernière forme. Aujourd’hui encore, le réalisme déterminé et sans illusion de Hobbes parait remarquable, a fortiori face à la situation compliquée voire inextricable dans le champ de la théorie politique – on songe par exemple aux modèles du libéralisme, des théories du discours ou du communautarisme, qui trouvent toujours autant d’écho, alors que repenser Hobbes serait peut-être plus utile que les constructions théoriques insipides de ces quarante dernières années.
81Höffe montre bien également la légitimité des réflexions anthropologiques de Hobbes, dont la réception a souvent donné lieu à des quiproquos : « Que dans l’état de nature, l’homme soit violent, du moins de manière latente, ne signifie pas que Hobbes pense que l’homme est agressif et destructeur par nature. Les passions humaines sont pour lui des pulsions détachées de toute valeur, qu’il faut prendre telles qu’elles sont, par réalisme. L’homme n’est pas antisocial, en un sens moral, c’est-à-dire méchant ; il n’est pas même méchant par innocence. Ses passions fondamentales ne sont nullement l’envie et la haine, la violence et l’hostilité, mais la recherche évoquée de la libre préservation de soi et du bonheur. Ces instincts primaires conduisent cependant nécessairement à ces autres tendances, certes secondaires, mais néanmoins inévitablement asociales. Aussi longtemps que l’homme n’est pas limité par un pouvoir étatique, et qu’il suit exclusivement son intérêt propre et libre, il tend à la violence. » (p. 130) Il est donc nécessaire d’assurer la paix, afin que la vie humaine telle qu’elle est décrite dans le Léviathan, ne soit pas « misérable, répugnante, animale et brève ». Höffe résume précisément la conséquence qui en découle : « L’intérêt propre de l’homme s’avère dysfonctionnel, et l’état qui fait cesser la guerre latente, l’état de paix, est de l’intérêt bien compris de tout un chacun. » (p. 130) Lire les écrits de Thomas Hobbes s’avère toujours aussi fécond, qu’on les soumette à réflexion critique ou qu’on se les approprie en entrant en résonance avec les textes. Le livre d’Otfried Höffe est extraordinairement travaillé ; on en recommandera vivement la lecture à tous ceux qui se sont d’ores et déjà intéressés à la philosophie de Hobbes, aussi bien qu’à ceux qui voudraient y entrer.
82Thorsten Paprotny (trad. F. Willmann)
835.6. Hull (Gordon), Hobbes and the Making of Modern Political Thought, New York, Continuum, 2010, 218 p.
845.7. Kühnelt (Jörg), Pluralistische Gesellschaften und Vertragstheorien. Eine Konstruktive Kritik der Hobbesianischen Vertragstheorie, Frankfurt-Heusenstamm, Ontos Verlag, 2010, 331 p.
85Jörg Kühnelt se propose d’analyser la théorie classique du contrat de Thomas Hobbes en se demandant dans quelle mesure il est possible, dans des sociétés pluralistes comme les nôtres, de légitimer l’ordre étatique. La question est de savoir si des individus ayant différentes représentations des valeurs peuvent adhérer à un seul modèle d’ordre. L’ouvrage de Kühnelt se divise en deux grandes parties : l’une traite des États territoriaux, du pluralisme et des théories du contrat, l’autre esquisse une théorie du contrat prenant en compte les contextes. L’auteur présente ensuite ses réflexions en huit sections.
86Kühnelt établit l’importance du contexte en développant la thèse selon laquelle des théories du contrat orientées vers des valeurs, tournées par exemple vers les idées de liberté et de droit naturel, ne peuvent emporter l’adhésion dans le cadre de structures communautaires pluralistes. Un ordre imposé nécessite en effet des justifications auxquelles puissent adhérer des sceptiques moraux, des altruistes modérés (tel le citoyen moyen de la République fédérale, volontiers prêt à faire des dons) et des égoïstes rationnels. Par sceptiques moraux, l’auteur entend des personnes qui fondent leur scepticisme sur la morale. Ce n’est pas ainsi que l’entend généralement le discours de la philosophie politique, pour lequel le scepticisme moral soumet les maximes morales à un questionnement critique.
87Kühnelt met en œuvre une approche positiviste qui conçoit Hobbes comme un contractualiste modéré, une orientation épistémologique rigoureuse rejetant comme irrationnel tout recours à des valeurs. Par « modéré », il faut entendre que les valeurs morales, religieuses ou politiques ne sauraient être utilisées pour obliger d’autres individus à des comportements déterminés. C’est pourquoi, pour obtenir un critère de rationalité instrumentale, il faut montrer que l’État est un avantage pour tous. En d’autres termes, il faut un État reconnu comme étant dans l’intérêt de tous, y compris lorsque coexistent dans une collectivité les conceptions de la vie et les cultures les plus diverses.
88L’auteur essaie ensuite de présenter le passage d’une compatibilité des valeurs à une compatibilité des intérêts en analysant des exemples, ainsi qu’à travers une discussion approfondie de la théorie contemporaine du contrat. L’intérêt est placé avant la valeur, ce que Kühnelt s’efforce de fonder en théorie (non pas ontologiquement). Il va chercher très loin ses arguments et tient compte de nombreuses variantes. Il fait notamment appel à James Buchanan qui s’évertue tout particulièrement à transposer Hobbes dans le contexte moderne, indiquant des pistes pour organiser les biens communs économiques ou sociaux.
89Tout cela mérite d’être lu. Kühnelt aboutit à l’idée que l’on peut faire un État constitutionnel de ce qui n’est qu’un simple État minimal pourvu que deux conditions soient remplies : « Premièrement, un État constitutionnel doit prendre en charge des tâches qui rendent possible une réduction efficace des problèmes d’interaction et de coordination, une majorité au moins de citoyens devant tirer un profit suffisant, relativement à un éventail d’intérêts donné, de l’élargissement de l’État minimal à un État constitutionnel ». (p. 307)
90Hobbes n’était pas, chacun le sait, un simple positiviste, et l’interprétation moderne des sciences politiques est sans conteste excellente lorsqu’elle creuse et expose des questionnements complexes. Malgré tout, la distinction entre intérêts et valeurs n’est pas tout à fait convaincante. L’auteur fait comme si l’intérêt, à même d’être énoncé rationnellement, pouvait davantage se légitimer que ce qui relève de la valeur, dont il est possible après tout qu’elles aient été données à l’homme et que celui-ci ne puisse, ou ne soit pas obligé, de les produire : valeurs fondamentales de l’être homme, qui ont un rapport avec ce qui est transcendant. Choses peu prisées dans la science politique des carriéristes et des omniscients.
91Rainer Miehe (trad. F. Willmann)
925.8. Pink (Thomas), « Thomas Hobbes », in A Companion to the Philosophy of Action, Timothy O’Connor, Constantine Sandis (éds.), Oxford, Wiley-Blackwell, 2010, p. 473-480.
6 – Études particulières du système
6.1 – Philosophie première, logique, langage et science
936.1.1. Dear (Peter), « Divine Illumination, Mechanical Calculators, and the Roots of Modern Reason », Science in Context, 23, n° 3, 2010, p. 351-366.
6.2 – Éthique et politique. Religion et histoire
946.2.1. Alfonso Vargas (Jorge), « La Biblia como un texto político : Federalismo no es contractualismo. Una crítica a Hobbes », Límite, 5, n° 21, 2010, p. 33-58.
95A partir des travaux de Daniel J. Elazar, présentant la Bible comme un texte politique qui définit l’alliance politique et religieuse des Juifs avec Dieu, l’intéressante étude de Jorge Alfonso Vargas analyse la Bible comme un texte pédagogique à caractère moral. À travers l’étude de cas particuliers, le travail propose de véritables paradigmes de la constitution politique de la communauté juive. L’un de ces paradigmes est notamment l’alliance entre Dieu et le peuple juif. L’existence politique de ce peuple est étroitement liée au pacte, dont dérive, selon Eléazar, toute la théologie politique chrétienne occidentale. Cette alliance concilie obligation et consentement. L’auteur analyse les termes juifs berit (devoir) et khesed (amour) utilisés pour décrire cette alliance. Considérant que la Vulgate traduit berit comme foedus, Elazar et Alfonso Vargas en dérivent le terme ‘fédéral’, au sens de ‘convenu par le pacte’. Le devoir et le consentement amoureux s’impliquent ainsi mutuellement de sorte que le « fédéralisme » concerne les relations personnelles autant que communautaires. En analysant les différentes formes de l’idée fédéraliste de l’alliance juive tout au long de l’histoire, Elazar affirme que cette théologie politique a été sécularisée par Hobbes, Locke, Spinoza et d’autres modernes, qui ont transformé le « fédéralisme » en contractualisme. En particulier, Elazar critique le modèle du pacte chez Hobbes, car il se rapproche davantage d’un contrat commercial que d’une alliance solennelle. Cette question est abordée par J. Alfonso Vargas qui, de fait, intitule son article : ‘Le fédéralisme n’est pas le contractualisme’ ; Vargas ne prend pas de distance avec Elazar, et attribue à Hobbes, à notre sens injustement, une idée commerciale du pacte et une morale strictement utilitaire.
96María Lukac de Stier (trad. D. Lapenna)
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1246.2.29. Paganini (Gianni), « Thomas Hobbes e la questione dell’umanesimo », in Le Origini dell’umanesimo dcientifico dal Rinascimento all’Illuminismo, Lorenzo Bianchi, Gianni Paganini (éds.), Napoli, Liguori, 2010, p. 135-158.
125Ce travail constitue une nouvelle et importante étape de la recherche que Gianni Paganini consacre depuis plusieurs années à l’enracinement culturel de la pensée de Hobbes. Ici, l’élément spécifique de l’analyse est la relation complexe entre la réflexion de Hobbes et la conception de l’homme propre à la tradition humaniste. Paganini identifie en Hobbes la coexistence de deux éléments : d’une part, un aspect antihumaniste, qui trouve son expression dans la critique hobbesienne de la formulation anthropocentrique de l’humanisme de la Renaissance, fondée sur l’image classique de la dignitas hominis ; d’autre part, la proposition d’une forme nouvelle et différente d’humanisme, qu’on pourrait qualifier de technique et constructiviste, où la spécificité de l’homme par rapport aux autres êtres vivants n’est plus un apanage naturel et inné (tels que dans l’humanisme traditionnel), mais plutôt une dimension acquise par un processus évolutif et intégratif. Selon l’auteur, la coexistence des deux aspects au sein de la pensée hobbesienne est possible grâce aux niveaux très différents qu’ils impliquent : chez Hobbes, au niveau naturel l’homme n’a pas de position privilégiée par rapport aux autres êtres vivants, mais il retrouve sa propre spécificité et son rôle de premier plan dans la dimension opérationnelle de la science et dans la dimension artificielle de la politique, c’est-à-dire précisément sur un plan technico-constructif.
126Le premier aspect, à savoir la prise de distance hobbesienne vis-à-vis de la conception humaniste traditionnelle, apparaît fortement dans les écrits sur la liberté et la nécessité, ainsi que dans les pages consacrées à la psychologie et à l’anthropologie. Comme l’a noté Paganini, il s’accomplit ici « une rapide démolition critique du paradigme humaniste » (p. 137) : le refus d’une volonté rationnelle séparée de l’appétit sensible, et plus généralement le refus des différences essentielles entre les bases psychologiques de l’homme et des animaux, comporte en effet le rejet de la spécificité et de la supériorité de l’action humaine – pourtant le dénominateur commun de toute la grande tradition de l’humanisme classique (de la tradition aristotelico-scolastique à la tradition platonico-ficiniane, et à la tradition issue d’Érasme). Paganini localise les racines du dépassement de l’anthropocentrisme humaniste séculaire opéré par Hobbes dans la tradition sceptique, reprise et développée à l’époque moderne par des penseurs qui eurent sur Hobbes une influence indirecte (Montaigne) ou directe (Gassendi). La continuité entre les humains et les animaux qu’exprime la pensé sceptique – selon laquelle l’intelligence et la raison ne sont pas des prérogatives exclusives de l’homme – implique la perte de la position privilégiée de l’homme sur les autres êtres vivants, de sorte que, parallèlement aux positions de Hobbes, on remarque une véritable « crise du paradigme humaniste de la Renaissance » (p. 145).
127Paganini affirme aussi que Hobbes a en outre cherché à surmonter les résultats les plus extrêmes de la réflexion sceptique, et que c’est pour cette raison qu’« avec la démolition de l’humanisme traditionnel il s’est aussi engagé à bâtir un humanisme nouveau et différent » (p. 140). Selon l’auteur, cette tentative de construire une nouvelle idée de l’homme (anti-sceptique) en jetant les bases d’un « nouvel humanisme » (p. 146), est fondée tout d’abord sur la reprise d’un aspect central de l’héritage humaniste, à savoir la base introspective – exprimée par l’idée socratique du « connais-toi toi-même » – qui, dans l’introduction du Léviathan apparaît comme la méthode la plus appropriée pour fonder l’anthropologie et la politique. C’est proprement dans cette perspective, c’est-à-dire sur des fondements empiriques, que Hobbes définit la caractéristique qui fait la spécificité de la condition humaine, traçant ainsi une nouvelle forme de discontinuité entre les humains et les autres êtres vivants. Cet élément particulier est introduit par le rôle du langage en tant que prérogative spécifiquement humaine pour l’accès à la raison et à la science. Ces deux perspectives sont acquises (construites) par un processus évolutif basé sur deux facteurs cardinaux : l’‘industrie’, à savoir l’exercice réglé et méthodique du langage, et la ‘curiosité’, à savoir, une passion typiquement humaine qui mène à la recherche des effets futurs des causes présentes (et donc à la recherche du ‘pouvoir’, ouvrant ainsi l’horizon du politique). C’est précisément ici, au carrefour entre langage, industrie, curiosité et pouvoir qu’on trouve « le propre de l’homme selon le ‘philosophe anglais’ » (p. 153).
128À cet égard, Paganini suggère aussi que Hobbes reprend certains aspects de la tradition hermétique, dont les liens « très inattendus » (p. 153) avec la pensée hobbesienne n’ont fait que récemment l’objet de recherches. L’auteur montre comment Marsile Ficin, bien que dans un contexte métaphysique totalement étranger à Hobbes développe dans sa Theologia platonica des thèmes liés à la curiosité et à l’industrie, en identifiant dans l’art humain (et surtout dans la politique, le plus excellent de tous les arts selon Ficin) les éléments d’une assimilation entre l’homme et Dieu. De plus, cela semble présenter des similitudes importantes avec les pages du Léviathan qui décrivent l’art de l’homme comme une imitation de la nature (c’est-à-dire l’art de Dieu) et l’État comme un ‘homme artificiel’ et un ‘dieu mortel’. Avec l’actualisation de cette thématique hermétique, le ‘nouvel humanisme’ hobbesien trouve son accomplissement dans la dimension artificielle du politique, où « l’humanité se dépasse elle-même pour accéder à une dimension privilégiée, qu’on peut dire divine, même si elle est précaire, finie et mortelle comme toute construction humaine » (p. 157).
129Andrea Napoli (trad. D. Lapenna)
1306.2.30. Parra Quintero (José Daniel), « Entre Carl Schmitt y Thomas Hobbes. Un estudio del liberalismo moderno a partir del pensamiento de Leo Strauss », Eidos, Revista de Filosofía de la Universidad del Norte, 12, 2010, p. 48-86.
1316.2.31. Pavesi (Ermanno), « Thomas Hobbes, teorico dell’assolutismo », Cultura e Identità, 2, n° 8, 2010, p. 54-63.
1326.2.32. Peacock (Mark), « Obligation and Advantage in Hobbes’ Leviathan », Canadian Journal of Philosophy, 40, n° 3, 2010, p. 433-458.
1336.2.33. Polat (Necati), « Peace as War », Alternatives : Global, Local, Political, 35, n° 4, 2010, p. 317-345.
1346.2.34. Quirico (Stefano), « Paura, terrore, ordine : note sul pensiero politico di Thomas Hobbes », Il Pensiero Politico, 43, n° 2, 2010, p. 253-264.
135L’article traite de l’analyse – dans la littérature critique récente – du thème de la peur chez Hobbes. Il prend en particulier en compte les interprétations de Skinner, Ginzburg et Borrelli.
1366.2.35. Runciman, (Walter G.), Great Books, Bad Arguments. Republic, Leviathan, and the Communist Manifesto, Princeton (NJ), Princeton University Press, 2010, 138 p.
1376.2.36. Saada (Julie), Hobbes et le sujet du droit : contractualisme et consentement, Paris, CNRS éd., 2010, 250 p.
1386.2.37. Sreedhar (Susanne), Hobbes on Resistance. Defying the Leviathan, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, 183 p.
139Cet ouvrage se propose de donner une nouvelle interprétation de la notion de droit à la résistance envers le pouvoir souverain de Hobbes. Susanne Sreedhar commence par une analyse de la définition du droit à l’autodéfense donnée par Hobbes. D’après cette définition, ce droit n’est que le reliquat du droit naturel que les sujets gardent dans l’État. Contrairement aux interprétations selon lesquelles l’inaliénabilité de ce droit relève de l’impossibilité de sa limitation contractuelle ou de l’impossibilité psychologique d’assumer l’obligation de la non-résistance envers la mort, l’auteur trouve que les sujets gardent ce droit en raison du caractère spécifique du contrat social. En mettant en cause la thèse selon laquelle la mort chez Hobbes est décrite comme mal univoquement absolu, l’auteur considère que dans le cadre de sa science politique il est possible d’envisager des contrats renonçant au droit à l’autodéfense (par exemple, le contrat d’un soldat portant sur l’engagement militaire). Cependant, quand il s’agit du contrat social, ce droit ne peut pas faire l’objet de limitations. Les règles formelles conditionnant la validité du contrat s’y opposent. L’auteur les a formulées en s’appuyant sur le texte de Hobbes. Il s’agit du principe d’attente raisonnable selon lequel ne sont valides que des contrats permettant à chaque partie contractuelle d’avoir des raisons raisonnables de croire que l’autre partie remplira ses obligations contractuelles. Ensuite, le principe de fidélité selon lequel ne sont valables que des contrats assurant un transfert de droit fidèle à la finalité du contrat. Et finalement, le principe de nécessité selon lequel les parties contractuelles ne transfèrent que des droits nécessaires à la réalisation du contrat. Or, étant donné que cela violerait les trois principes susmentionnés, il n’est pas possible d’aliéner le droit à l’autodéfense par le contrat social. En appliquant ces principes au contrat social, Seedhar s’intéresse aussi aux vraies libertés des sujets qui, en tant que droits spécifiques à la résistance envers le souverain, sont issues, d’après Hobbes, du droit fondamental à l’autodéfense.
140Chez Hobbes, la théorie du droit à la résistance est l’expression directe de ses efforts pour fonder sa théorie de l’obligation politique sur l’intérêt personnel et éclairé des sujets. L’existence de cette théorie a cependant amené ses nombreux commentateurs, à commencer par Bramhall, à qualifier sa science politique d’échec car il semble qu’entre le droit à la résistance et l’idée d’un souverain absolu existe une tension insurmontable. Toutefois, Sreedhar démontre de manière convaincante que la théorie politique de Hobbes est imperméable aux remarques de ce genre car sa théorie du droit à la résistance est conçue de manière à rendre compatible la nature conditionnelle de l’obligation politique et la nature absolue du pouvoir souverain. L’obéissance limitée au souverain illimité est possible parce que le droit à la résistance au pouvoir souverain est réduit aux droits dont l’exercice ne met pas en péril le pouvoir du souverain et qu’il est impossible d’interdire aux sujets de manière efficace. De plus, l’auteur pense que l’on peut également parler d’un droit spécifique individuel à la rébellion chez Hobbes. Il s’active seulement lorsque le souverain n’assure pas la sécurité de ses sujets. On peut alors conclure que dans la science politique de Hobbes le droit à la rébellion n’est possible que parce que son extension est considérablement limitée par l’interdiction explicite de la rébellion motivée par des convictions politiques, éthiques ou religieuses. Finalement, cela veut dire que dans un État bien organisé dont le souverain gouverne conformément à son devoir principal qui est d’assurer la sécurité, la rébellion légitime des sujets est en effet inimaginable.
141Luka Ribarevic (trad. S. Stojakovic)
1426.2.38. Stauffer (Devin), « ‘Of Religion’ in Hobbes’s Leviathan », Journal of Politics, 72, n° 3, 2010, p. 868-879.
1436.2.39. Stauffer (Devin), « Strauss’s Discussion of Hobbes in What Is Political Philosophy ? », Perspectives on Political Science, 39, n° 2, 2010, p. 87-91.
1446.2.40. Stillman (Robert E.), « Mastering the Monster Text : Teaching Hobbes’s Leviathan », in Teaching Early Modern English Prose, Susannah Brietz Monta, Margaret W. Ferguson (éds.), New York, Modern Language Association of America, 2010, p. 282-291.
1456.2.41. Taylor (Quentin), « Thomas Hobbes, Political Economist : His Changing Historical Fortunes », The Independent Review, 14, n° 3, 2010, p. 415-433.
1466.2.42. Thivet (Delphine), Une pensée hétérodoxe de la guerre. De Hobbes à Clausewitz, Paris, PUF, 2010, 192 p.
1476.2.43. Tuomo (Aho), « Hobbes and Religion », in Theology and Early Modern Philosophy (1550-1750), Simo Knuuttila and Risto Saarinen (éds.), Helsinki, Academia Scientiarum Fennica, 2010, p. 155-168.
1486.2.44. Vanderschraaf (Peter), « The Invisible Foole », Philosophical Studies, 147, n° 1, 2010, p. 37-58.
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7 – Réception et influence. Extrapolations
1517.1. Altini (Carlo), « ‘Potentia’ As ‘Potestas’ : An Interpretation of Modern Politics between Thomas Hobbes and Carl Schmitt », Philosophy and Social Criticism, 36, n° 2, 2010, p. 231-252.
1527.2. Beiner (Ronald), « Three Versions of the Politics of Conscience : Hobbes, Spinoza, Locke », San Diego Law Review, 47, n° 4, 2010, p. 1107-1124.
1537.3. Crinella (Galliano), Norberto Bobbio. Dall’umanesimo politico-giuridico alla « Lettura » di Hobbes, Urbino, Argalìa, 2010, 130 p.
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1557.5. Gillespie (Michael Allen), PERKINS (Lucas), « Political Anti-Theology », Critical Review : An Interdisciplinary Journal of Politics and Society, 22, n° 1, 2010, p. 65-84.
1567.6. Kellogg (Frederic R.), « Hobbes, Holmes, and Dewey : Pragmatism and the Problem of Order », Contemporary Pragmatism, 7, n° 2, 2010, p. 1-14.
1577.7. Springborg (Patricia), « Liberty Exposed : Quentin Skinner’s Hobbes and Republican Liberty », British Journal for the History of Philosophy, 18, n° 1, 2010, p. 139-162.
1587.8. Vinx (Lars), « Constitutional Indifferentism and Republican Freedom », Political Theory : An International Journal of Political Philosophy, 38, n° 6, 2010, p. 809-837.
Complément Bibliographique pour l’année 2009
1598.1. Bernardo (Paola), « Questioni Testuali. Hobbes, Leibniz e il Nominalismo », Studi filosofici : Annali dell’Istituto universitario Orientale, 31, 2008/2009, p. 79-97.
160L’auteur analyse de façon systématique l’influence de Hobbes sur Leibniz, suivant l’évolution chronologique de la théorie nominaliste de Leibniz à partir de la Disputatio Metaphysica (1663) jusqu’aux Nouveaux Essais (1705).
1618.2. Brito Vieira (Monica), The Elements of Representation in Hobbes. Aesthetics, Theatre, Law and Theology in the Construction of Hobbes’s Theory of State, Leiden, Brill, 2009, 286 p.
162Le livre de Monica Brito Vieira représente une contribution importante à la discussion contemporaine sur la conception hobbesienne de la notion de représentation. L’approche particulière de Vieira consiste à aborder le problème de la représentation selon plusieurs perspectives différentes, en se démarquant de la perspective juridique qui a constitué jusqu’à présent l’essentiel des interprétations de la détermination hobbesienne de la représentation. L’argument principal de l’auteure consiste à affirmer qu’une compréhension appropriée du rôle de la représentation dans la théorie de l’État de Hobbes n’est pas possible si l’on ne tient pas compte, outre son aspect juridique, des registres de signification esthétiques, théâtraux et théologiques que Hobbes attribue à cette notion. Autrement dit, étant donné que la science politique de Hobbes dans le Léviathan s’organise autour de la relation de représentation entre le souverain et les sujets, sa valorisation théorique restera incomplète si l’on ne considère la nature de cette relation politique fondamentale qu’exclusivement du point de vue de la théorie juridique de l’autorisation.
163Dans le premier chapitre du livre, consacré à la dimension esthétique de la conception de Hobbes de la représentation, Vieira démontre que l’essentiel est codéterminé par l’ancienne conception de la représentation en tant qu’image descriptive, métaphorique ou symbolique. Étudiée dans une perspective esthétique, la représentation se révèle être processus dynamique qui sous-tend l’interaction entre ceux qui la créent et le public. En outre, Hobbes souligne la puissance de production de la représentation visuelle qui modifie de façon créative la réalité par le changement constant de ce qu’elle représente. Qui plus est, la représentation visuelle est capable de construire son propre objet. En se référant au fait que la réalité n’est pas la présupposition nécessaire de sa propre représentation, mais que, bien au contraire, elle peut être le résultat de la représentation, Hobbes remet en question de façon cohérente la relation présupposée de la primauté de la réalité sur sa propre image.
164Le deuxième chapitre traite de l’aspect théâtral de la représentation. Étant donné que tout pouvoir est dépendant de sa propre visibilité, le pouvoir politique relève du théâtre : l’obéissance envers l’État dépend du succès de la représentation de l’État comme pouvoir irrésistible. L’autorité souveraine n’existe qu’à travers sa propre représentation, et elle est efficace lorsque le public lui-même est prêt à accepter l’entité fictive représentée par le souverain en tant qu’image collective du public à laquelle il accepte de se soumettre. La soumission au jugement du public investit la représentation politique d’un élément puissant de contingence qui oblige le souverain à construire avec soin le masque qu’il porte. Son expression, projetée de nouveau vers le public/sujets, peut former un public unifié/une unité politique, mais seulement dans la mesure où chaque membre réussit à se reconnaître en elle.
165Afin de responsabiliser le public du théâtre politique vis-à-vis de ce qui se passe sur la scène, Hobbes était obligé de recourir aux concepts juridiques. Vieira analyse de manière très précise les éléments de la théorie de l’autorisation de Hobbes par laquelle est établie la nature de la relation juridique entre le représentant et les représentés. Grâce à sa théorie de l’autorisation, Hobbes indique la façon dont il est possible de créer la fiction d’une personnalité juridique à partir de quelqu’un ou de quelque chose qui, auparavant, ne disposant pas de sa propre volonté, ne possédait pas de personnalité juridique. La représentation, cependant, peut faire encore davantage : elle est capable de créer des personnes ex nihilo. L’État représente une personne qui n’existe pas antérieurement à lui et indépendamment du processus de la représentation. Puisque l’État, en tant que détenteur impersonnel de la souveraineté irréductible à la personne du souverain ou à sa propriété, n’existe pas si les sujets ne sont pas prêts à établir et à maintenir la fiction de leur personnalité politique collective, leur autorisation du souverain ne peut consister en un acte unique isolé, mais doit être conçue comme acte permanent. Il est nécessaire que les sujets se conçoivent dans le rôle des auteurs de paroles et d’actions du représentant souverain pour que, par la suite, ils puissent agir conformément à ce rôle et ainsi, rendre l’État réel. Or, l’acceptation de ce rôle dépend de leur perception de l’État en tant que réalité qui leur est extérieure, et les force de façon impérieuse à l’obéissance. Le pouvoir politique possède donc un caractère ambivalent : il s’agit d’un pouvoir s’exerçant sur ses sujets qui est, en même temps, le pouvoir des sujets eux-mêmes. Cela signifie que l’interprétation que le souverain se fait de l’État est sujette à certaines restrictions qui prennent la forme d’injonctions destinées à sa conscience, et dont le respect dépend de la plausibilité de sa personnification de l’État et de la disposition des sujets à l’obéissance.
166Dans le dernier chapitre du livre, Vieira traite dans un sens théologique de l’emploi que Hobbes fait du concept de représentation développé dans la sphère de la politique. Selon Vieira, Hobbes n’hésitait pas à faire face aux condamnations sévères suite à la reformulation excessivement désinvolte qu’il fit du dogme central chrétien de la sainte Trinité, considérant qu’il n’était possible de l’accorder à l’idée du pouvoir souverain unifié qu’en la réinterprétant radicalement. L’interprétation hobbesienne de la Trinité a de graves conséquences politiques. L’image de Dieu n’est présente qu’à travers le souverain en tant que son représentant exclusif. Ce sont les souverains, et non pas l’Église, qui représentent les successeurs immédiats du rôle de Moïse, comme détenteur du pouvoir spirituel et laïque à l’époque du Royaume divin de l’ancien Israël.
167Brito Vieira démontre de manière convaincante que la conception hobbesienne de la représentation ne peut se réduire à l’interprétation de son aspect juridique. Une telle approche simpliste débouche sur une compréhension déformée de la théorie de l’État de Hobbes qui exagère l’importance du pouvoir du souverain en tant que figure isolée du détenteur du monopole politique. Dans son analyse de la notion de représentation en tant que mécanisme de la production du pouvoir, Vieira fait valoir la dynamique forte qui relie le souverain, incarnation de l’État, aux sujets dont l’obéissance dépend de leur capacité à reconnaitre leur propre visage d’acteurs de l’unité politique dans le masque porté par le souverain. C’est pour cette raison, montre Vieira, que le sens de la théorie hobbesienne de la représentation ne peut être pleinement saisi que si la théorie juridique de l’autorisation est interprétée en tenant compte de la compréhension que se faisait Hobbes d’autres aspects de la même notion, à savoir, les aspects esthétique, théâtral et théologique.
168Luka Ribarevic (trad. B. Lalovic)
1698.3. Gonnelli (Filippo), « Status hominum naturalis est status belli omnium in omnes. Lo Hobbes di Kant in una nota de La religione entro i limiti della sola ragione », La Cultura, 47, n° 3, 2009, p. 481-491.
1708.4. Marini (Sergio), Il tema della libertà in Cartesio e in Hobbes, Milano, EDUCatt, 2009, 95 p.
1718.5. Perissinotto (Luigi), « Sui miracoli e il miracoloso. Qualche considerazione tra Hobbes, Spinoza, Hume e Wittgenstein », Filosofia e Teologia, 23, n° 3, 2009, p. 589-605.
Notes
-
[1]
Ce bulletin est réalisé par le Centre Thomas Hobbes de l’Université Paris Descartes (Sorbonne). Directeur : Y.C. Zarka, Professeur de philosophie politique à l’Université Paris Descartes (Sorbonne). Directeur adjoint : F. Lessay, Professeur de civilisation britannique à l’Université de Paris 3 – Sorbonne Nouvelle. Secrétaire scientifique du bulletin : D. Lapenna avec la collaboration de D. Mineur.
Ont collaboré à ce numéro : D. Jiménez, D. Lapenna, A. Napoli, J. Olsthoorn, T. Papronty, L. Ribarevic, R. Santi, M. L. de Stier, F. Wilmann. Des indications ont été fournies par J. Monserrat Molas pour l’Espagne, par M. Lukac de Stier pour l’Amérique latine hispanophone et lusophone, par A. Napoli et R. Santi pour l’Italie, par S. Probst pour l’Allemagne, par J. Griffith pour les États-Unis. La mise en place de l’ensemble a été assurée par D. Lapenna.
L’ensemble des listes bibliographiques du Bulletin Hobbes est consultable sur le site des Archives de Philosophie : http://www.archivesdephilo.com.