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Article de revue

La logique hégélienne et la vie

Pages 235 à 252

Notes

  • [1]
    Cf. par exemple L’esprit du christianisme et son destin, in Werke in zwanzig Bänden, hrsg. von E. Moldenhauer und K.M. Michel, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Verlag, 1970 (désormais W), 1, 370, trad. F. Fischbach, Paris, Presses Pocket, 1992, p. 114 ; la Préface de la Phénoménologie de l’esprit, W 3, 52, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 2006, p. 97 ; l’Encyclopédie des sciences philosophiques I, Add. du § 216, W 8, 374, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1970, p. 616-617.
  • [2]
    Pour la vie de l’Idée absolue, cf. par exemple Encyclopédie I, Add. du § 237, W 8, 389, trad. cit. p. 623.
  • [3]
    Pour la vie de l’esprit, cf. par exemple Encyclopédie III, § 539, W 10, 331, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1988, p. 313.
  • [4]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 181, W 6, 469, trad. cit. p. 601.
  • [5]
    Science de la logique III, W 6, 469. trad. G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, Paris, Aubier, 3 volumes, 1972-1981, t.3 p. 283.
  • [6]
    Science de la logique I (1832), W 5, 57, trad. G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, Paris, Kimé, 2007, p. 40. Cf. par exemple aussi les Leçons sur la logique de 1831, hrsg. von U. Rameil, Hambourg, Meiner, 2001, p. 88, trad. J.-M. Lardic, J.-M. Buée et D. Wittmann, Paris, 2007, p. 91.
  • [7]
    Encyclopédie I, Add. du § 24, W 8, 84, trad. cit. p. 477.
  • [8]
    Science de la logique, Préface à la seconde édition, W 5, 19, trad. cit. p. 5.
  • [9]
    Encyclopédie I, Add. du § 19, W 8, 70, trad. cit. p. 469.
  • [10]
    Cf. par exemple cet énoncé : « La logique […] est à saisir comme le système de la raison pure, comme le royaume de la pensée pure. » Science de la logique, Introduction, W 5, 44, trad. (2007) p. 27. On peut dire en outre que, dans le syntagme « science de la logique », la logique désigne l’objet de la science.
  • [11]
    Cf. par exemple cet énoncé : « La logique est la science de l’Idée pure », Encyclopédie I, § 19, W 8, 67, trad. cit. p. 283.
  • [12]
    Encyclopédie I, R. du § 19, W 8, 68, trad. cit. p. 284. Il est inutile de souligner l’héritage aristotélicien ainsi revendiqué.
  • [13]
    Cf. W. Maker, « Understanding Hegel today », in R. Stern (dir.), G.W.F. Hegel, Critical Assessments, New York, Routledge, vol. 3, 1993, p. 274.
  • [14]
    Science de la logique, Préface à la première édition, W 5, 17, trad. (1972) p. 7
  • [15]
    Science de la logique, Préface à la seconde édition, W 5, 19, trad. (2007) p. 11.
  • [16]
    Leçons sur l’histoire de la philosophie, W 19, 67, trad. P. Garniron, Paris, Vrin, 1972, t. 3, p. 438. Cf. H.G. Gadamer, Hegels Dialektik, Fünf hermeneutische Studien, Tübingen, Mohr, 1971, p. 114 sq.
  • [17]
    Science de la logique, Introduction, W 5, 55, trad. (2007) p. 36.
  • [18]
    Cf. Encyclopédie III, § 465-468, W 10, 283-288, trad. cit. p. 264-266.
  • [19]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 20, W 8, 75-76, trad. cit. p. 470-471.
  • [20]
    Science de la logique, Préface à la seconde édition, W 5, 22, trad. (2007) p. 6.
  • [21]
    Pour une interprétation opposée, cf. J. Burbidge, « Hegel’s conception of logic », in F. Beiser (dir.), The Cambridge Companion to Hegel, New York, CUP, 1993, p. 92-93, pour qui la logique n’est qu’un moment abstrait de la vie de l’esprit.
  • [22]
    C’est la thèse défendue par A. Doz, Hegel et les problèmes traditionnels de l’ontologie, Paris, Vrin, 1987, par exemple p. 16.
  • [23]
    Cf. par exemple D.A. Duquette, « Kant, Hegel and the possibility of a speculative logic », in George Di Giovanni (dir.), Essays on Hegels logic, Albany, State University of New York Press, 1990, p. 3.
  • [24]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 24, W 8, 81 sq., trad. cit. p. 474 sq.
  • [25]
    Science de la logique, Préface à la seconde édition, W 5, 27, trad. (2007) p. 10.
  • [26]
    Encyclopédie I, Add. du § 24, W 8, 32, trad. cit. p. 474.
  • [27]
    Cf. ibid., Add. du § 20, W 8, 76, trad. cit. p. 471. Voir aussi le débat proposé par la Science de la logique, Introduction, W 5, 53-55, trad. (2007) p. 34-36.
  • [28]
    En ce sens, la logique hégélienne n’est pas déductive, comme l’ont souligné de nombreux commentateurs, à l’exemple de N. Hartmann, Die Philosophie des deutschen Idealismus, Berlin, Walter de Gruyter, rééd. 1960, p. 384. Il n’y a donc pas lieu de reprocher à Hegel le caractère peu convaincant de ses arguments, comme le fait par exemple Ch. Taylor, Hegel et la société moderne, Paris, Cerf, 1998, p. 66-68, et ceci pour la bonne raison que le discours spéculatif n’est pas argumentatif. Ou, plus précisément, que seules le sont les préfaces, introductions, et « remarques » qui, en vérité, sont étrangères au discours proprement spéculatif.
  • [29]
    Encyclopédie I, Add. du § 172, W 8, 323, trad. cit. p. 596. Comme on le sait, le thème de l’achèvement comme accord avec soi-même est un fil conducteur du post-kantisme, relayé en particulier par Schiller, Fichte et Hölderlin.
  • [30]
    Cf. M. Theunissen, « Begriff und Realität. Hegels Aufhebung des metaphysischen Wahrheitsbegriffs », in R.P. Horstmann (Hrsg.), Seminar : Dialektik in der Philosophie Hegels, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1978, p. 346-349.
  • [31]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 172, W 8, 323, trad. cit. p. 596.
  • [32]
    Cf. Science de la logique, Introduction, W 5, 35, trad. (2007) p. 19.
  • [33]
    Encyclopédie I, R. du § 19, W 8, 68, trad. cit. p. 284.
  • [34]
    Ibid., R. du § 20, W 8, 74, trad. cit. p. 287.
  • [35]
    Cf. Encyclopédie II, R. du § 248, W 9, 28, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 2004, p. 187-189, et R. du § 250, W 9, 36, trad. cit. p. 190-191.
  • [36]
    Cf. ibid., § 247, W 9, 24, trad. cit. p. 187.
  • [37]
    Cf. ibid., R. du § 248, W 9, 28, trad. cit. p. 187.
  • [38]
    Cf. Encyclopédie III, Add. du § 382, W 10, 27, trad. cit. p. 393.
  • [39]
    Science de la logique, Préface à la seconde édition, W 5, 23, trad. (2007) p. 6-7.
  • [40]
    Cf. G. Marmasse, Penser le réel. Hegel, la nature et l’esprit. Paris, Kimé, 2008, p. 49-56.
  • [41]
    Ibid., Introduction, W 5, 44, trad. (2007) p. 27.
  • [42]
    Il est inutile d’insister ici sur la critique hégélienne de la pureté qui se tient à l’écart de la réalité effective. Cf. par exemple Encyclopédie I, Add. du § 92, W 8, 197, trad. cit. p. 526.
  • [43]
    Cf. ibid., § 142, W 8, 279, trad. cit. p. 393.
  • [44]
    Cf. ibid., Add. du § 131, W 8, 262, trad. cit. p. 564. Même si la scission, ici, n’est pas une division de type naturel. La division propre à l’Erscheinung logique consiste, en résumé, en ce que le moment essentiel ne s’exprime pas spontanément ni adéquatement dans le moment immédiat.
  • [45]
    Cf. Phénoménologie, Préface, W 3, 24, trad. cit. p. 70.
  • [46]
    Cf. ibid., W 3, 22-23, trad. cit. p. 69.
  • [47]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 92, W 8, 197, trad. cit. p. 526.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Ibid., Add. du § 108, W 8, 226, trad. cit. p. 544.
  • [50]
    Cf. G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, « Absolu/sujet. Le logique, le dialectique et le spéculatif », Laval théologique et philosophique, vol. 51, n° 2, 1995, p. 247.
  • [51]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 99, W 8, 211, trad. cit. p. 534.
  • [52]
    Cf. Encyclopédie II, R. du § 249, W 9, 31, trad. cit. p. 189. Cf. G. Lebrun, L’envers de la dialectique, Paris, Seuil, 2004, p. 266-268.
  • [53]
    Cf. Science de la logique, Introduction, W 5, 51, trad. (2007) p. 32.
  • [54]
    Phénoménologie, Préface, W 3, 12, trad. cit. p. 58 (nous soulignons).
  • [55]
    Sur la notion d’unité négative, cf. U. Richli, Form und Inhalt in Hegels Wissenschaft der Logik, Vienne, Oldenburg, 1982, p. 49 sq.
  • [56]
    Cf. Ch. Taylor, Hegel, New York, CUP, 1975, p. 230.
  • [57]
    B. Mabille, « La vie logique », in J.-L. Vieillard-Baron (dir.), Hegel et la vie, Paris, Vrin, 2004, p. 114-115, explicite ainsi la distinction de la vie logique et de la vie naturelle : la première « n’est pas dispersée dans l’extériorité » ; « elle est inconditionnée » ; « elle n’est pas liée à un organisme particulier […], son caractère organique est sa cohérence, sa systématicité même ». Ch. Daluz Alcaria, dans Une logique de la vie, la pensée hégélienne de l’organisme, Paris, Champion, 2010, insiste également, et à juste titre, sur ce qui distingue la processualité conceptuelle et la vie naturelle. Elle en tire cependant la conclusion que le recours à la notion de vie n’a qu’un sens analogique chez Hegel, que la vie n’est qu’une « figure représentative » (p. 197). Notre hypothèse est plutôt que le concept de vie, à l’instar d’ailleurs de tous les concepts importants chez Hegel, n’est pas fixe mais se définit à partir de sa situation systématique, de sorte que, comme dit plus haut, le concept de vie en général déborde celui de la vie naturelle.

1La référence à la vie est un leitmotiv chez Hegel. « Penser la vie » est un mot d’ordre que l’on trouve sous sa plume depuis les textes de jeunesse jusqu’à ceux de la pleine maturité [1]. À ses yeux, non seulement la capacité d’une philosophie à penser la vie est une pierre de touche de la validité de ses principes, mais l’être véritable – l’Idée – est d’une certaine manière vivant [2]. À la valorisation de la notion de vie s’ajoute donc son usage extensif. De prime abord, l’adjectif « vivant » qualifie pour Hegel ce qui se produit soi-même et existe en tant que totalité. Qu’une chose soit vivante signifie qu’elle rend compte d’elle-même par elle-même et se déploie en vertu d’un principe intérieur, lequel s’incarne en chacune de ses parties et assure leur unification. La notion de vie en général déborde ainsi celle de vie naturelle et tend à coïncider avec celle de raison comprise comme unité dynamique des contraires [3].

2Chez Hegel, comme d’ailleurs chez nombre de ses contemporains, la thématique vitale se constitue en réponse à la pensée des Lumières, jugée analytique et mécaniste. La thèse selon laquelle la réalité effective est vivante, donc manifeste une certaine spontanéité, apparaît comme une alternative au point de vue des Aufklärer qui, selon leurs détracteurs, accordent indûment un primat méthodologique et ontologique à l’enchaînement extérieur des causes et des effets. En outre, puisque le vivant se développe à partir de lui-même, l’insistance sur la vie contribue à rendre superflu le recours à un Dieu créateur. Enfin, dans la mesure où le vivant est réputé manifester en son activité sa loi interne, considérer que l’être véritable est vivant revient à admettre qu’il ne cache rien de ce qu’il est : ainsi la thèse de la séparation de la chose en soi et du phénomène se volatilise, et l’expérience devient le lieu de révélation de la vérité.

3Toutefois, pour Hegel, la vie ne peut se développer que dans un débat constant avec la mort. À la différence notamment du spinozisme, qui récuse la thèse selon laquelle l’être pourrait en lui-même inclure une entrave à son autodéploiement, l’hégélianisme considère que la réalité effective se définit par le conflit qu’elle entretient avec ce qui s’oppose à elle et, notamment, avec sa propre finitude. Ainsi le caractère auto-explicatif de l’être véritable suppose, en lui-même, un antagonisme avec ce qui s’explique par autre chose, voire est dépourvu de toute explication. L’être véritable, pour Hegel, met en scène la relation du même et de l’autre : par exemple de l’automouvement et de l’inertie, de la totalité et des parties, de l’âme autonome et du corps hétéronome… Penser la vie implique donc de reconnaître que l’Idée n’est pas intégralement vivante, et que sa manière d’être vivante n’est pas univoque mais varie d’un moment à l’autre.

4Dans cet article, nous nous intéresserons plus particulièrement au caractère vivant de la logique. Pour Hegel, cette dernière désigne, en l’un de ses sens, la « pensée pure » et constitue – pour une raison qui reste à élucider – l’objet de la première partie du système encyclopédique, par opposition à la nature et à l’esprit, objets respectifs de la deuxième et de la troisième partie de l’Encyclopédie. Or Hegel insiste régulièrement sur l’automouvement de la logique [4] et, critiquant les représentations qui font d’elle un ensemble de « formes intellectuelles mortes [5] », la caractérise comme une unité « vivante [6] ». La question est alors de savoir ce que le recours au thème de la vie nous apprend sur la spécificité de la conception hégélienne de la logique. Cette thématique n’est-elle pas plus séduisante que profonde, et n’y a-t-il pas ici une immixtion fâcheuse de la réalité naturelle dans la pensée pure ? En fait, l’hypothèse défendue sera que le caractère vivant de la logique exprime le caractère processuel de la rationalité : celle-ci, loin d’être une propriété toujours déjà disponible, est l’objet d’une conquête. Selon notre interprétation, la logique est vivante au sens où elle est en genèse, progresse en récusant ses formes déficientes et s’achève lorsqu’elle se rend capable de se justifier par elle-même.

La logique comme sphère de la vérité pure

5En quoi la conception hégélienne de la logique est-elle spécifique et se distingue-t-elle de la conception le plus souvent admise ? On considère communément que la logique désigne l’étude des règles formelles que doit respecter une inférence qui prétend à la validité. Selon cette perspective, les règles logiques – quels que soient par ailleurs leur objet et leur fondement – sont incapables de se mettre spontanément en œuvre dans des raisonnements. En d’autres termes, quel que soit le degré d’indépendance des règles ou des concepts logiques à l’égard de l’esprit, leur articulation dans des formules ou des démonstrations semble nécessairement l’œuvre d’un penseur. C’est toujours, considère-t-on généralement, le penseur qui raisonne. Or telle n’est pas la conception que se fait Hegel de la « pensée pure » (reines Gedanken) [7], objet de la science logique. Pour lui, celle-ci se caractérise par une vie autonome, c’est-à-dire par l’autodéploiement et l’auto-organisation. Il s’agit du « royaume de la pensée […] dans son activité immanente propre, ou, ce qui est la même chose, dans son développement nécessaire [8] », de « la pensée en son activité et en sa production [9] ». C’est avant tout cet autodéveloppement qui autorise à parler de vie à propos de la logique.

6Plus précisément, il y a lieu de distinguer la logique comme pensée pure[10] et la logique comme théorie de la pensée pure [11]. Si la seconde, « pensée de la pensée [12] », est bien l’œuvre de l’esprit, la première, en revanche, existe et se met en œuvre indépendamment de lui. Tandis qu’il y a de multiples doctrines portant sur la pensée pure (parmi lesquelles, d’ailleurs, la Science de la logique), en revanche, pour Hegel, il n’y a qu’une seule pensée pure – quoique celle-ci, on le verra, soit articulée en elle-même. C’est pourquoi, alors que les théories de la logique, œuvres de l’esprit, sont historiquement situées, la logique comme pensée pure se développe hors du temps [13].

7Pour Hegel, l’autarcie de la « pensée pure » ou des « essentialités pures » (reine Wesenheiten) [14] s’entend en deux sens. D’un côté, la pensée pure ne porte sur rien d’autre qu’elle-même. De l’autre, elle se développe de manière purement spontanée et en vertu d’une exigence interne. Précisons ces deux points :

8(a) Hegel critique avec vigueur l’idée selon laquelle la pensée pure ne serait pas un monde autosuffisant : « Comme le penser et les règles du penser doivent être son objet [de la science logique], elle a bien là, immédiatement, son contenu propre ; en cela elle a aussi […] une matière [15]. » Cette « matière » consiste dans ces catégories abstraites que métaphysiciens et logiciens examinent traditionnellement : catégories de la qualité, de la quantité, de la substance, de l’existence, du concept, du sujet, de l’objet, etc. – des catégories qui, aux yeux de Hegel, sont en elles-mêmes intelligibles. L’analyse qu’il fait du Sophiste de Platon est significative : « La recherche de Platon se situe entièrement sur le plan de la pensée pure. […] De telles pensées pures sont : l’être et le non-être, l’un et le multiple, l’infini (l’illimité) et le limité (le limitant). Ce sont là les objets que Platon considère pour eux-mêmes – c’est donc la pure considération logique [16]. » De même que, dans l’interprétation traditionnelle du platonisme, les eidè forment un univers indépendant, de même les moments de la logique, chez Hegel, forment une totalité subsistante-par-soi : « Le système de la logique est le royaume des ombres, le monde des essentialités simples, libéré de toute concrétion sensible [17]

9(b) Le pur penser ne requiert pas non plus un esprit qui serait capable de se le « représenter », un « porteur des représentations » pour parler comme Frege. En effet, dans le parcours systématique, la venue au jour du pur penser a lieu avant celle de l’esprit subjectif et indépendamment d’elle. Le moment de « l’esprit psychologique », dans la philosophie de l’esprit, théorise certes le « penser [18] », mais il est clair que ce dernier, justement, n’est pas pur, et ne se confond pas avec le penser logique. En outre, dans la Science de la logique, Hegel n’étudie pas les facultés de l’esprit et se prononce expressément contre un tel examen [19], soulignant l’indépendance réciproque du pur penser et de l’activité pensante subjective : « [Il] est à regarder comme un progrès infini le fait que les formes du penser se soient trouvées libérées du matériau dans lequel, dans l’intuitionner [et le] représenter auto-conscients, tout comme dans notre désirer et vouloir […] elles sont englouties, [que] ces universalités se soient trouvées mises en évidence pour soi [20].» La logique doit être dissociée de l’activité de l’esprit subjectif [21].

10Certains commentateurs soutiennent que la logique, aux yeux de Hegel, serait une « philosophie première » ou une « métaphysique » au sens ou elle porterait sur les caractères de l’être en tant qu’être [22]. Pour d’autres, ou pour les mêmes, elle serait un organon des sciences concrètes, un organon qui serait mis en œuvre dans les deuxième et troisième parties de l’Encyclopédie, c’est-à-dire dans la philosophie de la nature et la philosophie de l’esprit [23]. La difficulté, cependant, est que l’une et l’autre hypothèse, pour être cohérente, doit soutenir qu’aux yeux mêmes de Hegel le pur penser présuppose autre chose que lui-même. En premier lieu en effet, la philosophie première, au moins dans l’acception aristotélicienne de l’expression, est relative à l’étant concret, puisqu’elle doit justement déterminer, par abstraction, ses principes les plus généraux. En second lieu, un organon, dans son élaboration, se rapporte aux sciences particulières dont il détermine les règles. Or, si Hegel admet assurément qu’il existe un dehors du pur penser – précisément à titre de nature et d’esprit –, il considère en revanche que le pur penser ne se définit ni à partir de l’un ni à partir de l’autre [24]. C’est ce qu’implique la notion hégélienne de moment : si le pur penser est un moment – à savoir le premier du cycle encyclopédique global –, alors il se comprend strictement par lui-même et non en s’appuyant sur la nature ou l’esprit. En d’autres termes, il serait inconséquent de soutenir en même temps que la nature et l’esprit, en tant que deuxième et troisième moment du parcours encyclopédique, représentent l’Aufhebung du penser pur, et que ce dernier, ou sa connaissance, se détermineraient soit au moyen, soit en vue de la connaissance de la nature ou de l’esprit.

11Une difficulté se présente cependant. Hegel théorise régulièrement la présence de la logique, ou de la raison, dans le monde naturel et spirituel. Par exemple, dans la Préface de la seconde édition de la Science de la logique, il évoque « cette nature logique qui anime l’esprit, [qui] dans lui est à l’œuvre et opère [25] ». On est dès lors tenté, une nouvelle fois, de soutenir que la Science de la logique est l’étude de la structure pure du réel – bref, une philosophie première –, et tout autant la condition de la connaissance de ce dernier – bref, un organon.

12On répondra, cependant, en rappelant la distinction entre le logique et la logique. C’est une thèse cardinale de l’hégélianisme que la réalité dans son ensemble se déploie selon une dynamique systématique. Par exemple, tout processus, qu’il relève de la pensée pure, de la nature ou de l’esprit, commence par un moment d’immédiateté, puis se scinde et finalement fait retour à lui-même en s’élevant à l’universalité concrète. Le logique n’est rien d’autre que la forme du développement de chaque moment, une forme en vertu duquel le moment considéré en vient à se réconcilier avec lui-même : « Le logique […] est à rechercher comme un système de déterminations de pensées-en-général, où l’opposition du subjectif et de l’objectif […] disparaît. Cette signification de la pensée et de ses déterminations est exprimée de façon plus précise lorsque les Anciens disent que le noûs régit le monde, ou lorsque nous disons qu’il y a de la raison dans le monde [26]. » Mais que la raison gouverne le monde naturel et spirituel ne signifie pas qu’il soit gouverné par cette altérité que représenterait, pour lui, la pensée pure en tant que telle. Il est raisonnable, à l’opposé, de soutenir que, pour Hegel, la nature et l’esprit, comme Idées, sont l’une et l’autre autonomes. La nature et l’esprit représentent la « réalisation » de la pensée pure, au sens, respectivement, de son extériorisation (Entäußerung) finie et de son effectuation (Verwirklichung) infinie. À ce titre, on peut certes dire que la connaissance de la pensée pure est le préliminaire de la connaissance de l’une et de l’autre. Néanmoins, ce premier type de savoir n’est pas une composante positive des deux suivants.

13La Science de la logique étudie les formes de la rationalité pour elles-mêmes, mais, justement, elle ne les étudie pas en tant qu’elles sont incarnées, donc transformées, dans la nature et l’esprit. Hegel met régulièrement en avant l’intérêt de la connaissance de la logique pour la connaissance de la nature et de l’esprit. Mais il affirme tout autant que la logique doit être étudiée pour elle-même et non comme un instrument [27]. Ce désaccord apparent se résout en prenant en compte la nature dialectique du système hégélien : la logique s’incarne certes dans le réel, cependant non pas telle quelle, mais sur le mode de l’Aufhebung.

14En définitive, la pensée pure – pas plus d’ailleurs que la science qui la prend pour objet – ne peut, selon nous, être considérée comme un outil destiné à penser le réel. Elle n’est pas davantage le résultat de l’enquête menée par le philosophe sur les propriétés les plus générales de l’étant. Bien plutôt, dans une stricte indifférence à l’égard du non-logique, c’est-à-dire à la fois non soumise à lui et ne lui imposant aucune règle, elle se développe en sa seule intériorité et pour des raisons qui lui sont propres.

Simplicité et vérité

15La pensée pure réserve une autre surprise : si elle est active, néanmoins elle ne consiste pas en inférences reliant des termes distincts. Car elle est constituée de moments indépendants les uns des autres : par exemple la pensée de l’être, celle du néant, celle de la substance ou celle du concept… Dans la logique non hégélienne, c’est en général la relation entre différents termes qui est valide ou invalide. Dans la logique hégélienne, c’est à propos d’une pensée à chaque fois close sur elle-même et considérée dans sa relation à soi que la question de la vérité se pose. Certes, tout moment logique intègre, sur le mode de la négation, ceux qui le précèdent dans le développement systématique : mais, justement, la relation est alors purement intérieure. La vérité, en logique, ne tient pas à la validité d’un raisonnement combinant des termes originairement étrangers mais, bien plutôt, au caractère adéquat des moments considérés chacun en leur autarcie [28].

16Précisons ce point en examinant la notion de vérité en général. Celle-ci exprime l’égalité avec soi-même : « La vérité consiste dans l’accord de l’objet avec lui-même, c’est-à-dire avec son concept [29]. » La vérité ne renvoie pas primairement à une inférence, mais qualifie un moment en lui-même – qu’il soit logique, naturel ou spirituel –, et plus précisément l’accord de sa forme générale et de son contenu particulier. À l’inverse, un moment est faux lorsqu’il est en désaccord avec lui-même [30]. Hegel donne comme exemples extra-logiques de non-vérités la mauvaise action et la maladie : l’une et l’autre sont non vraies parce qu’elles impliquent une inégalité entre leur norme immanente et leur teneur factuelle, la norme étant en l’occurrence l’exigence que l’action soit bonne ou que l’état physiologique soit sain [31]. Plus généralement, est vrai ce qui est adéquat à soi car conforme à son essence intérieure. Par là même, est vrai ce qui est non pas divisé mais unifié, au sens où la détermination particulière de la chose est gouvernée par son principe général. Or la logique, dans son ensemble, est égale à soi puisque, dans la perspective hégélienne, tout moment logique est un acte de conception [32]. La pensée pure est unifiée parce que, en elle, tout est par définition soumis à la pensée. Dès lors on peut dire qu’un moment logique est vrai par définition : la logique est « la forme absolue de la vérité [33] ». En elle, chaque moment consiste en une opération d’appréhension qui ramène son contenu au fait d’être conçu. Il n’est pas un contenu donné – qui comme tel, aux yeux de Hegel, serait multiple – mais une activité spontanée qui prend entièrement en charge son contenu et ne laisse rien en dehors d’elle-même : « Dans la logique, il se révélera que la pensée et l’universalité est précisément ceci, à savoir qu’elle est elle-même et son Autre, a prise sur celui-ci, et que rien ne lui échappe [34]

17On saisit mieux l’adéquation de la pensée pure avec soi en comparant cette dernière avec la nature et l’esprit.

18(a) Tout être naturel peut être dit faux parce qu’il est radicalement multiple. Nous sommes aujourd’hui peu habitués à entendre qualifier un être naturel d’ « irrationnel », voire de « mauvais ». Mais Hegel n’hésite pas à tenir ce genre de propos [35], car il considère qu’un processus naturel est un enchaînement de phénomènes mutuellement extérieurs [36]. Les êtres naturels se conservent et se multiplient les uns aux dépens des autres et ne forment jamais des ensembles intégrés : la nature est le règne violent des partes extra partes. Dans la mesure où la fausseté renvoie à l’inégalité avec soi-même, on peut affirmer que la nature, série indéfinie d’individus à la fois mutuellement étrangers et dépendants les uns des autres, est caractérisée par une « contradiction non résolue [37] ».

19(b) À l’inverse, tout moment spirituel consiste à unifier l’être donné, un donné qui, dit Hegel, est originairement multiple. Par exemple, l’État unifie, par sa volonté législatrice, les volontés « naturellement » désunies des citoyens. Ou encore la sculpture unifie, par une forme signifiante, le marbre constitué de parties juxtaposées. L’esprit est donc vrai de part en part. Cela signifie pour Hegel que, quand bien même un être spirituel – par exemple un homme – est en proie à la déchéance, à la folie ou à la perversité, il reste néanmoins entièrement spirituel [38].

20(c) La vérité de la pensée pure, dès lors, est-elle de même type que celle de l’esprit ? Non, car ce dernier se produit comme valide médiatement, à l’encontre d’une fausseté originaire, tandis que la pensée pure est immédiatement valide. Si l’esprit se rend vrai en triomphant d’une altérité qui, par définition, est multiple donc non vraie, la logique est vraie en elle-même et tout en restant indifférente à l’altérité – ou tout au moins à cette altérité réelle qu’est la réalité extra-logique. La vérité de l’esprit est concrète, tandis que celle de la pensée pure est abstraite : « La philosophie en général a encore affaire, dans ses pensées, à des ob-jets concrets, Dieu, nature, esprit, mais la logique s’attache uniquement à ceux-ci tels qu’ils sont pour soi dans leur abstraction complète [39]. »

21Formulons ce dernier point autrement. La validité de la logique est corrélative de sa pureté. La logique est sans opposition interne, elle est vraie parce qu’elle est abstraite. Dans la pensée pure comme première étape du parcours encyclopédique, l’opposition n’a pas encore surgi. Pour Hegel, la contradiction n’advient jamais que dans un deuxième temps, avant d’être niée, à son tour, dans un troisième temps. Si donc on considère le cycle le plus englobant du système encyclopédique, à savoir la logique, la nature et l’esprit, il est inévitable que la logique soit abstraitement vraie, que la nature soit de part en part contradictoire, et enfin que l’esprit se constitue comme concrètement vrai en prenant en charge le faux. De manière plus générale, le commencement, en tout cycle, est « simple » et indifférent à l’altérité. C’est sa faiblesse mais aussi sa vertu, puisque, s’il est incapable d’assumer l’altérité, en revanche il ne pâtit pas d’elle. La logique, commencement du cycle logique-nature-esprit, est par construction affranchie du non-logique. À l’opposé, la nature souffre d’une constante sortie hors de soi, elle est affligée d’une autodivision incessante : c’est pourquoi elle est irrémédiablement fausse. Enfin, l’esprit opère son retour à soi à partir de l’extériorité, au sens où il est un sujet se constituant en unifiant le multiple. Il est donc vrai à son tour – cependant non plus abstraitement vrai comme la pensée pure, mais concrètement vrai puisqu’il conquiert sa vérité par une victoire sur la fausseté.

22En définitive, la logique ne se rapporte jamais à l’illogique, c’est-à-dire à l’impensable, dans la mesure où son contenu est d’emblée homogène à sa forme. Comme tout moment du système, la logique est articulée en divers moments. Cependant ceux-ci ne sont pas des parties mutuellement extérieures, entre lesquelles elle serait écartelée. Ils ne sont que ses réalisations particulières, en lesquelles, comme activité de pensée, elle s’investit à chaque fois tout entière. C’est pourquoi la totalité est inscrite dans la particularité, et l’une partage avec l’autre le fait de constituer une unité pure. À l’instar de la logique en général, tout moment logique est parfaitement vrai, car parfaitement simple.

23Il est cependant tentant d’adresser à Hegel une objection de style kantien. Si l’on admet l’équivalence, à propos de la logique, de la vérité et de la pureté, comment rendre compte de cette dernière ? Peut-on vraiment admettre, par exemple, une pensée pure de la quantité (sphère de l’être), ou du rapport de cause à effet (sphère de l’essence), ou encore du jugement (sphère du concept) ? Car on pourrait considérer, à l’opposé, que seuls existent des étants naturels ou spirituels. Dans cette hypothèse, l’entendement humain serait sans doute capable d’appréhender la quantité, le rapport de cause à effet ou le jugement, toutefois ces pensées ne seraient indépendantes ni de l’activité intellectuelle concrète ni de l’expérience, et la théorie d’une pensée pure et autonome ne serait qu’un mythe.

24À cela, l’hégélianisme fournit deux réponses équivalentes. En premier lieu, Hegel considère que la pensée pure est une réalité qui se constate, puisqu’il suffit de se tourner vers l’intelligible pour l’appréhender. Cet intelligible constitue d’ailleurs l’objet des théories logiques et métaphysiques traditionnelles. L’auteur de la Science de la Logique est à mille lieues de l’attitude de Kant, selon qui l’objet de la métaphysique dogmatique serait une chimère. Pour Hegel, si un savoir peut être borné – et tel est assurément le cas de la pensée dogmatique –, il ne saurait être illusoire [40]. C’est pourquoi les théories métaphysiques et logiques classiques, quoique critiquables à maints égards, sont, entres autres témoignages, un indice significatif de la réalité de la pensée pure. En second lieu, la logique en son autarcie, c’est-à-dire en son abstraction, ne peut pas ne pas exister factuellement. La pensée pure « est » de toute éternité, quand bien même elle ne répond à aucune cause extérieure (comme la nature) ni à aucun processus de Bildung à partir de ce qui s’oppose à elle (comme l’esprit). La remarque « représentative » bien connue sur la logique comme « présentation de Dieu tel qu’il est dans son essence éternelle avant la création de la nature et d’un esprit fini [41] » doit être prise au sérieux. Le caractère inchoatif de la logique, par rapport au cycle logique-nature-esprit, se paie certes de son absence de contenu extérieur et de raison intérieure. Mais, dans la perspective hégélienne, sa détermination la plus fondamentale, qui l’oppose à la nature et à l’esprit, à savoir son existence comme pensée pure, est irrécusable.

25Pour Hegel, affirmer l’existence de la « raison pure » comme sphère autonome de la vérité ne relève pas de la Schwärmerei. Cependant, loin d’être ce qu’il y a de plus haut, la raison pure n’est que le commencement du cycle systématique. Certes, elle n’est pas non plus ce qu’il y a de plus bas : car la nature, on l’a dit, est de part en part contradictoire. La pensée pure est bel et bien vraie, cependant elle n’est qu’abstraitement vraie, car elle se présuppose au lieu de s’établir par une victoire remportée sur son autre. C’est parce qu’elle est inchoative qu’elle est pure, mais sa pureté est sa déficience [42]. Si l’on compare la logique avec l’esprit, on voit ce qui manque à la première. L’esprit se constitue dans une histoire, il n’est pas toujours déjà là mais se produit contre ce qu’il n’est pas, à savoir la nature. La logique, en revanche, est éternelle, elle n’a pas d’histoire mais est présupposée. Elle est sans opposé véritable, ni à titre d’origine ni à titre d’objet. Elle n’a, en quelque sorte, qu’à se donner la peine d’être : c’est son privilège, car rien ne s’oppose à ce qu’elle soit, mais aussi sa limite, car son existence demeure infondée. La logique en vient à fonder son contenu propre, cependant la question : « pourquoi et avec quelle légitimité y a-t-il une pensée pure ? » reste sans réponse. Si Hegel restaure les droits de la raison pure, cependant il ne considère pas qu’elle soit un sommet : car, pour lui – et en cela il rejoint le kantisme –, la vérité la plus haute est celle qui prend en charge le divers de l’expérience. La logique n’est pas menacée par l’erreur ou l’absurdité, et en elle tout est vrai. En revanche, elle est incapable de rendre raison de son origine, et ceci, précisément, parce qu’elle reste indifférente à ce qui est non logique. Alors que l’esprit établit sa légitimité propre en se faisant surgir librement de la nature, la logique, éternellement présente, demeure rivée à une indépassable factualité.

Le progrès de la logique

26Nous avons dit plus haut que la logique n’a pas d’histoire. Cela signifie-t-il qu’elle serait immobile, incapable d’évoluer, qu’elle serait donnée tout entière et d’emblée ? Nullement, car la forme et le contenu de la pensée pure sont en devenir et se constituent grâce à un processus interne. Quand bien même la logique n’est pas temporalisée, elle consiste en moments distincts qui représentent les phases d’un progrès d’ensemble. Les principes logiques se produisent eux-mêmes, ils sont suspendus à leur activité d’autodétermination, quoiqu’ils soient impérissables. Comme on l’a dit, si la logique en général se présuppose, en revanche elle se pose elle-même en son contenu déterminé.

27Être valide, pour un moment logique, consiste à se faire advenir. Par exemple « l’effectivité » (die Wirklichkeit) de l’essence – ou plus précisément : l’effectivité de l’essence en tant qu’elle est pensée – désigne le processus par lequel l’essence intérieure se fait valoir au sein de l’existence extérieure [43]. L’effectivité n’est pas une chose morte mais une activité vivante d’auto-affirmation. Or toute opération d’autoposition s’effectue à l’encontre du moment précédent. En l’espèce, l’effectivité est une unification qui, en tant que telle, déjoue une scission, celle qui se déploie dans le moment qui précède l’effectivité, à savoir « l’apparition » (die Erscheinung) [44]. Cependant cette disqualification ne consiste pas à abolir purement et simplement le clivage antérieur. Bien plutôt, elle consiste à conférer une forme unitaire au matériau scindé présupposé. De l’un à l’autre moment, il y a une relation d’Aufhebung, au sens où l’Aufhebung nomme, chez Hegel, l’opération par laquelle un sujet « idéalise » un objet en faisant de lui le matériau subordonné qui lui permet d’affirmer sa propre plénitude. L’Aufhebung consiste à transposer, dans un moment unifié – ici : l’effectivité –, ce qui est originairement pluriel – ici : l’apparition. On ne peut dire que l’effectivité remplace l’apparition, mais bien plutôt qu’elle l’assujettit activement. L’unité s’oppose à la scission en faisant d’elle son assise. Plus généralement, tout moment se fait surgir spontanément à l’encontre d’un autre. Cependant l’autre, quand il est nié, n’est pas invalidé mais utilisé à titre d’objet subordonné. Il conserve sa validité de moment logique, mais se trouve rabaissé au rang d’un simple moyen. Désormais, il ne se présente plus comme autodéterminant ni souverain, mais comme donné et soumis à un principe de rang supérieur.

28Nous avons dit que la logique est pure et qu’elle ne se rapporte ni à la nature ni à l’esprit. Cela ne l’empêche pourtant pas d’être intérieurement différenciée, au sens où ses moments s’opposent les uns aux autres. Cette différenciation est également une critique, puisque les moments se contredisent et se récusent les uns les autres. La notion de processus – en allemand Prozeß – associe les idées de transformation mouvementée et de condamnation. Dans le sillage du kantisme, Hegel accorde à la critique un rôle primordial. Néanmoins, contre Kant, il ne considère pas que la critique soit l’attitude du penseur extérieur à son objet, car pour lui elle est l’œuvre de la chose même. En un mot, la critique, dans l’hégélianisme, est une autocritique.

29En quel sens cependant un moment logique peut-il être déficient ? Cette déficience ne peut consister pour lui à être faux, c’est-à-dire divisé au sens naturel du terme, car alors il ne serait plus logique. Bien plutôt, une pensée logique est défectueuse lorsqu’elle manque d’objectivité ou reste insuffisamment justifiée. Elle est imparfaite lorsqu’elle reste indifférenciée ou ne se légitime pas entièrement. Quel est en effet le sens global de l’évolution de la logique ? Celle-ci tend à se donner un contenu varié et un fondement intérieur. Elle consiste dans le passage d’un moment où elle n’est que factuellement donnée, et donnée en tant qu’être radicalement simple, à un moment dont le contenu est différencié (quoique différencié seulement intérieurement) et dont la forme est telle qu’il se légitime par lui-même. Pour Hegel, est rationnel ce qui est pluriel mais dispose en même temps d’un principe intérieur unitaire. Toutefois la rationalité (ou plutôt la rationalité effective) n’est qu’un résultat [45] et succède, à ce titre, (a) à un moment d’immédiateté, c’est-à-dire d’existence factuelle et sans différenciation, puis (b) à un moment de médiation extérieure, c’est-à-dire de dépendance à l’égard de l’altérité et donc de pluralité sans unité [46]. À la différence de Leibniz, Hegel ne considère pas qu’un « principe de raison » se vérifierait en toute chose. Pour lui, la rationalité existe certes, mais non pas d’emblée. Bien plutôt, elle se fait advenir contre un irrationnel qui existe soit comme immédiateté, soit comme médiation extérieure. Les trois grandes parties de la logique, l’être, l’essence et le concept, correspondent ainsi aux moments d’immédiateté, de dépendance et enfin d’autolégitimation de la logique. Précisons :

30(a) Au commencement, la sphère de l’être consiste en moments mutuellement indifférents, isolés les uns des autres. La « qualité », la « quantité » et la « mesure » sont des déterminations accidentelles, qui surgissent sans cause ni raison. Proposons quelques illustrations extra-logiques de ces concepts, comme le fait Hegel dans ses leçons orales. Que tel ou tel fonds de terre se présente comme une prairie, un bois ou un étang (détermination « qualitative », c’est-à-dire superficielle et ponctuelle, et cependant telle qu’elle définit la chose [47]), voila qui est simplement factuel. De même, que le fonds de terre ait pour surface trois ou quatre arpents (détermination « quantitative », c’est-à-dire indifférente à la qualité [48]), et que tel liquide se solidifie à telle température et se vaporise à telle autre (« mesure », c’est-à-dire détermination du rapport de la qualité et de la quantité [49]), voilà qui est contingent. Les moments de la sphère de l’être n’ont besoin d’aucune médiation pour être : ils se font être spontanément. En revanche ils sont trop simples, ne répondent à aucun principe essentiel et sont encore moins capables de se justifier par eux-mêmes.

31(b) À l’opposé, la sphère de l’essence porte sur des moments qui dépendent d’une altérité et, en même temps, la font dépendre d’eux. À chaque fois, un principe « essentiel » tend à se réfléchir dans le donné « existant ». Les deux moments sont mutuellement relatifs et, néanmoins, prétendent chacun à l’indépendance, de sorte qu’ils sont contradictoires. D’un côté, l’essence tend à l’autonomie mais se trouve en fait tributaire des circonstances contingentes de son existence. De l’autre, l’existence est rabaissée par sa propre essence au statut de reflet inadéquat. Telle est, par exemple, l’interprétation hégélienne de la doctrine spinoziste, laquelle à ses yeux relève typiquement de la sphère de l’essence. Le Dieu de Spinoza, dit Hegel, ne se connaît pas lui-même mais n’est connu que par un entendement extérieur et selon le point de vue particulier de l’étendue et de la pensée. Corrélativement, les modes individuels ne sont pas libres mais entièrement dominés par la substance aveugle. Au-delà du caractère discutable de cette exégèse du spinozisme, elle permet de saisir la portée et la limite du moment de l’essence selon Hegel : l’entendement y trouve certes son compte, car toute existence y est expressive d’une essence et tout effet y dépend d’une cause. Néanmoins, dans l’essence, rien n’est inconditionné ni libre [50]. Toute identité fait face à une différence qu’elle ne peut prendre en charge et qui, par conséquent, l’aliène.

32(c) Enfin, dans la sphère du concept, chaque moment logique rend compte par lui-même de ses propriétés. Il ne s’agit plus de propriétés superficielles et passagères comme dans la sphère de l’être, il ne s’agit plus d’une relation dualiste entre le même et l’autre comme dans la sphère de l’essence, mais d’une relation à soi-même par laquelle le sujet se constitue en ayant un rapport de « conception » à ses propriétés objectives. Le sujet établit la règle de son devenir pour le connaître ou le gouverner. Par exemple, le syllogisme selon Hegel est le processus par lequel un sujet singulier justifie son contenu particulier au moyen d’un principe universel immanent. Par rapport à l’économie générale de la logique, la sphère du concept est le stade de la justification et donc de l’achèvement. En effet, la logique devient adéquate lorsque la pensée pure cesse d’être quelque chose de simplement donné ou d’expressif d’une altérité, pour être une activité subjective qui rend compte d’elle-même.

33Dans la sphère de l’être, la logique est certes vraie : néanmoins, elle est privée de contenu véritable et de fondement intérieur. Dans la sphère de l’essence, elle est différenciée, médiatisée, et par là-même pourvue d’un contenu consistant : toutefois elle ne se pense pas elle-même. En revanche, dans la sphère du concept, la pensée se produit comme son propre sujet : en effet, pour Hegel un principe est subjectif si, à partir d’une intuition ou d’une aspiration indéterminée (moment abstraitement universel), et au sein de son objectivité propre (moment abstraitement particulier), il accède à la connaissance adéquate de soi ou se produit conformément à ce qu’il veut de lui-même (moment concrètement singulier).

Une processualité vivante

34Quelle est cependant la forme du progrès logique et en quoi peut-on la qualifier de « vivante » ? On peut ici formuler trois remarques :

35(a) Tout d’abord, la logique se développe de manière fondamentalement spontanée, elle est en genèse. Certes, la logique en tant que telle ne se transgresse pas en elle-même. Cependant, on l’a vu, son contenu et sa forme – en d’autres termes, son objet et son mode de rationalisation – ne cessent d’être bouleversés. Le développement de la logique est en outre une autotransformation. Elle n’est pas sans matériau, puisqu’elle se présuppose elle-même. Cependant tout moment logique, quand bien même il s’appuie sur le moment antérieur, se fait advenir par ses propres forces. Il est inconditionné, car il n’est pas dépendant de son matériau mais, à l’opposé, lui impose sa forme propre.

36Au demeurant, la genèse est bien plus radicale dans la logique que, par exemple, dans la sphère organique de la nature. Car le développement du vivant naturel, pour l’auteur de l’Encyclopédie, est essentiellement quantitatif et consiste dans la prolifération des individus et la croissance de chacun d’entre eux [51]. On sait en outre que Hegel est fixiste : pour lui, dans la nature, rien n’est véritablement nouveau, car tout être n’y fait que se reproduire ou répéter un processus qui existe déjà [52]. En revanche, dans la logique, tout moment est inaugural.

37(b) Ensuite, la logique se développe par négation [53]. La négation, notion polysémique chez Hegel, désigne l’activité d’altération ou l’instance qui opère ou subit cette altération. Or, pour Hegel, la négation est une propriété fondamentale de la vie, comme on le voit, entre mille exemples, dans cet énoncé célèbre de la préface de la Phénoménologie de l’esprit qui analyse le développement de la plante : « Le bouton disparaît lors de l’éclosion de la fleur, et l’on pourrait dire que celui-là est réfuté par celle-ci ; de même, la fleur est qualifiée par le fruit comme un faux être-là de la plante, et c’est comme sa vérité que le second vient prendre la place de la première. Ces formes ne font pas que se différencier, mais elles se supplantent aussi comme incompatibles les unes avec les autres [54]. » Selon ce texte, au sein d’un même processus organique, les moments ne sont pas seulement distincts mais aussi tels que leurs déterminations s’opposent mutuellement. Cependant ils ne se nient pas seulement en soi (ou pour nous) mais également pour eux-mêmes. Ils ne sont pas seulement différents aux yeux du spectateur extérieur, mais chaque moment, pour se donner une identité opposée à celui qui le précède, prend ce dernier pour base. En un mot, chacun se fait activement valoir aux dépens des autres.

38Or la logique est également le théâtre d’une activité continue de négation [55]. Dans tout cycle logique, on commence par une forme sans différenciation ; puis un contenu irréductiblement scindé en vient à s’opposer à la forme unitaire initialement donnée ; et dans le passage du deuxième au troisième moment – passage qui constitue l’Aufhebung à proprement parler, comme négation de la scission – une forme inédite se subordonne le contenu multiple donné et le conforme à son identité propre. Le développement logique n’est pas une paisible accumulation de données, il n’est pas un empilement de strates, mais tout moment se déploie à l’encontre de ceux qui le précèdent [56].

39(c) Enfin, comme un être vivant, la logique tend à rendre compte d’elle-même. Aux yeux de Hegel, l’achèvement d’un processus organique naturel coïncide avec la reproduction sexuelle, par laquelle il est rendu compte non plus seulement de la conservation du vivant mais désormais également de son avènement. En son moment ultime, le vivant n’est plus simplement donné à lui-même (comme dans sa première figure), il ne tend plus seulement à s’incorporer le donné environnant (comme dans sa deuxième figure), mais il en vient à incarner son espèce en engendrant d’autres vivants. Il en va de même pour la logique. L’achèvement du parcours logique est un « retour à soi » (Rückkehr zu sich), au sens de l’avènement d’un soi universel comme principe d’autodétermination et d’autolégitimation. Alors que, du point de vue hégélien, la logique est originellement immédiate, lorsqu’elle atteint son achèvement, elle se constitue comme sujet et parvient à se comprendre elle-même – de même que le vivant naturel s’élève à la reproduction sexuelle. La différence, cependant, tient à ce que le vivant naturel engendre un autre vivant, tandis que la logique rend compte d’elle-même.

40***

41Dans quelle mesure peut-on accorder, à partir des prémisses de Hegel lui-même, que la logique est vivante ? Elle ne l’est certes pas au sens où l’organisme naturel est vivant. Car ce dernier se déploie dans l’espace et le temps, il n’est que la reproduction d’un type spécifique immuable, et est voué, en tant qu’individu, à une disparition inéluctable. À l’inverse, chaque moment logique est purement intérieur, il est novateur et, enfin, demeure définitivement valide [57]. En outre, si l’on définit la vie par une loi immanente de finalité, on ne peut dire que la logique soit tout entière vivante. En effet, seule la sphère conceptuelle est finalisée, au sens où seule elle est gouvernée par une raison venue au jour objectivement et subjectivement. À l’opposé, l’être et l’essence se déploient sans telos en et pour soi. Pour autant, le concept de vie manifeste le fait que le développement de la logique est spontané, qu’il suppose une lutte et est tendu vers l’auto-engendrement. Ainsi, la logique peut être dite vivante au sens où elle se développe par elle-même, contre son immédiateté propre, et en vient à rendre compte d’elle-même.

42On connaît les réserves – et le mot est faible – que les logiciens opposent à l’hégélianisme selon une tradition bien établie. Celles-ci n’ont rien de surprenant, et on ne saurait les récuser comme reposant sur un simple malentendu. Pour autant, la construction hégélienne est loin d’être incohérente, et il serait léger de la balayer d’un revers de la main. Disons plutôt qu’elle choque à proportion de son caractère novateur et authentiquement subversif. En premier lieu la philosophie, aux yeux de Hegel, n’a que faire des lois logiques pour autant que celles-ci prétendent s’imposer de l’extérieur. Pour lui, la philosophie engendre sa propre loi, et ne doit être fidèle qu’à elle-même. Un discours philosophique est vrai dans la seule mesure où il manifeste son principe à même son contenu. Le discours vrai n’a ni à convaincre ni à être conforme aux règles communes de la pensée, mais seulement à être autodéterminant et fidèle à son exigence interne. En second lieu, le rationnel selon Hegel n’est jamais exempt de l’irrationnel. Il consiste, bien plutôt, dans sa prise en charge sensée. En d’autres termes, si le rationnel se libère de l’irrationnel grâce à une Aufhebung, il a néanmoins ce dernier pour assise. La rationalité consiste en effet à objectiver et à unifier un donné initialement formel et multiple. Alors que, pour une certaine logique traditionnelle, la contradiction est ruineuse, pour Hegel elle est fructueuse : non pas parce que l’absurdité serait, à ses yeux, directement productive, mais parce qu’elle constitue le matériau qui permet l’auto-affirmation du rationnel. Pour l’auteur de l’Encyclopédie, la vérité n’est effective que si elle vainc la non-vérité (ou une forme déficiente de vérité) sur le terrain de cette dernière. Pour le rationalisme traditionnel, le vrai est par nature immunisé contre la déraison ; pour Hegel, c’est à même la déraison qu’il se conquiert.


Mots-clés éditeurs : pensée, logique, Hegel, processus, vie

Date de mise en ligne : 18/05/2012.

https://doi.org/10.3917/aphi.752.0235

Notes

  • [1]
    Cf. par exemple L’esprit du christianisme et son destin, in Werke in zwanzig Bänden, hrsg. von E. Moldenhauer und K.M. Michel, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Verlag, 1970 (désormais W), 1, 370, trad. F. Fischbach, Paris, Presses Pocket, 1992, p. 114 ; la Préface de la Phénoménologie de l’esprit, W 3, 52, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 2006, p. 97 ; l’Encyclopédie des sciences philosophiques I, Add. du § 216, W 8, 374, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1970, p. 616-617.
  • [2]
    Pour la vie de l’Idée absolue, cf. par exemple Encyclopédie I, Add. du § 237, W 8, 389, trad. cit. p. 623.
  • [3]
    Pour la vie de l’esprit, cf. par exemple Encyclopédie III, § 539, W 10, 331, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1988, p. 313.
  • [4]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 181, W 6, 469, trad. cit. p. 601.
  • [5]
    Science de la logique III, W 6, 469. trad. G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, Paris, Aubier, 3 volumes, 1972-1981, t.3 p. 283.
  • [6]
    Science de la logique I (1832), W 5, 57, trad. G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, Paris, Kimé, 2007, p. 40. Cf. par exemple aussi les Leçons sur la logique de 1831, hrsg. von U. Rameil, Hambourg, Meiner, 2001, p. 88, trad. J.-M. Lardic, J.-M. Buée et D. Wittmann, Paris, 2007, p. 91.
  • [7]
    Encyclopédie I, Add. du § 24, W 8, 84, trad. cit. p. 477.
  • [8]
    Science de la logique, Préface à la seconde édition, W 5, 19, trad. cit. p. 5.
  • [9]
    Encyclopédie I, Add. du § 19, W 8, 70, trad. cit. p. 469.
  • [10]
    Cf. par exemple cet énoncé : « La logique […] est à saisir comme le système de la raison pure, comme le royaume de la pensée pure. » Science de la logique, Introduction, W 5, 44, trad. (2007) p. 27. On peut dire en outre que, dans le syntagme « science de la logique », la logique désigne l’objet de la science.
  • [11]
    Cf. par exemple cet énoncé : « La logique est la science de l’Idée pure », Encyclopédie I, § 19, W 8, 67, trad. cit. p. 283.
  • [12]
    Encyclopédie I, R. du § 19, W 8, 68, trad. cit. p. 284. Il est inutile de souligner l’héritage aristotélicien ainsi revendiqué.
  • [13]
    Cf. W. Maker, « Understanding Hegel today », in R. Stern (dir.), G.W.F. Hegel, Critical Assessments, New York, Routledge, vol. 3, 1993, p. 274.
  • [14]
    Science de la logique, Préface à la première édition, W 5, 17, trad. (1972) p. 7
  • [15]
    Science de la logique, Préface à la seconde édition, W 5, 19, trad. (2007) p. 11.
  • [16]
    Leçons sur l’histoire de la philosophie, W 19, 67, trad. P. Garniron, Paris, Vrin, 1972, t. 3, p. 438. Cf. H.G. Gadamer, Hegels Dialektik, Fünf hermeneutische Studien, Tübingen, Mohr, 1971, p. 114 sq.
  • [17]
    Science de la logique, Introduction, W 5, 55, trad. (2007) p. 36.
  • [18]
    Cf. Encyclopédie III, § 465-468, W 10, 283-288, trad. cit. p. 264-266.
  • [19]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 20, W 8, 75-76, trad. cit. p. 470-471.
  • [20]
    Science de la logique, Préface à la seconde édition, W 5, 22, trad. (2007) p. 6.
  • [21]
    Pour une interprétation opposée, cf. J. Burbidge, « Hegel’s conception of logic », in F. Beiser (dir.), The Cambridge Companion to Hegel, New York, CUP, 1993, p. 92-93, pour qui la logique n’est qu’un moment abstrait de la vie de l’esprit.
  • [22]
    C’est la thèse défendue par A. Doz, Hegel et les problèmes traditionnels de l’ontologie, Paris, Vrin, 1987, par exemple p. 16.
  • [23]
    Cf. par exemple D.A. Duquette, « Kant, Hegel and the possibility of a speculative logic », in George Di Giovanni (dir.), Essays on Hegels logic, Albany, State University of New York Press, 1990, p. 3.
  • [24]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 24, W 8, 81 sq., trad. cit. p. 474 sq.
  • [25]
    Science de la logique, Préface à la seconde édition, W 5, 27, trad. (2007) p. 10.
  • [26]
    Encyclopédie I, Add. du § 24, W 8, 32, trad. cit. p. 474.
  • [27]
    Cf. ibid., Add. du § 20, W 8, 76, trad. cit. p. 471. Voir aussi le débat proposé par la Science de la logique, Introduction, W 5, 53-55, trad. (2007) p. 34-36.
  • [28]
    En ce sens, la logique hégélienne n’est pas déductive, comme l’ont souligné de nombreux commentateurs, à l’exemple de N. Hartmann, Die Philosophie des deutschen Idealismus, Berlin, Walter de Gruyter, rééd. 1960, p. 384. Il n’y a donc pas lieu de reprocher à Hegel le caractère peu convaincant de ses arguments, comme le fait par exemple Ch. Taylor, Hegel et la société moderne, Paris, Cerf, 1998, p. 66-68, et ceci pour la bonne raison que le discours spéculatif n’est pas argumentatif. Ou, plus précisément, que seules le sont les préfaces, introductions, et « remarques » qui, en vérité, sont étrangères au discours proprement spéculatif.
  • [29]
    Encyclopédie I, Add. du § 172, W 8, 323, trad. cit. p. 596. Comme on le sait, le thème de l’achèvement comme accord avec soi-même est un fil conducteur du post-kantisme, relayé en particulier par Schiller, Fichte et Hölderlin.
  • [30]
    Cf. M. Theunissen, « Begriff und Realität. Hegels Aufhebung des metaphysischen Wahrheitsbegriffs », in R.P. Horstmann (Hrsg.), Seminar : Dialektik in der Philosophie Hegels, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1978, p. 346-349.
  • [31]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 172, W 8, 323, trad. cit. p. 596.
  • [32]
    Cf. Science de la logique, Introduction, W 5, 35, trad. (2007) p. 19.
  • [33]
    Encyclopédie I, R. du § 19, W 8, 68, trad. cit. p. 284.
  • [34]
    Ibid., R. du § 20, W 8, 74, trad. cit. p. 287.
  • [35]
    Cf. Encyclopédie II, R. du § 248, W 9, 28, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 2004, p. 187-189, et R. du § 250, W 9, 36, trad. cit. p. 190-191.
  • [36]
    Cf. ibid., § 247, W 9, 24, trad. cit. p. 187.
  • [37]
    Cf. ibid., R. du § 248, W 9, 28, trad. cit. p. 187.
  • [38]
    Cf. Encyclopédie III, Add. du § 382, W 10, 27, trad. cit. p. 393.
  • [39]
    Science de la logique, Préface à la seconde édition, W 5, 23, trad. (2007) p. 6-7.
  • [40]
    Cf. G. Marmasse, Penser le réel. Hegel, la nature et l’esprit. Paris, Kimé, 2008, p. 49-56.
  • [41]
    Ibid., Introduction, W 5, 44, trad. (2007) p. 27.
  • [42]
    Il est inutile d’insister ici sur la critique hégélienne de la pureté qui se tient à l’écart de la réalité effective. Cf. par exemple Encyclopédie I, Add. du § 92, W 8, 197, trad. cit. p. 526.
  • [43]
    Cf. ibid., § 142, W 8, 279, trad. cit. p. 393.
  • [44]
    Cf. ibid., Add. du § 131, W 8, 262, trad. cit. p. 564. Même si la scission, ici, n’est pas une division de type naturel. La division propre à l’Erscheinung logique consiste, en résumé, en ce que le moment essentiel ne s’exprime pas spontanément ni adéquatement dans le moment immédiat.
  • [45]
    Cf. Phénoménologie, Préface, W 3, 24, trad. cit. p. 70.
  • [46]
    Cf. ibid., W 3, 22-23, trad. cit. p. 69.
  • [47]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 92, W 8, 197, trad. cit. p. 526.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Ibid., Add. du § 108, W 8, 226, trad. cit. p. 544.
  • [50]
    Cf. G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, « Absolu/sujet. Le logique, le dialectique et le spéculatif », Laval théologique et philosophique, vol. 51, n° 2, 1995, p. 247.
  • [51]
    Cf. Encyclopédie I, Add. du § 99, W 8, 211, trad. cit. p. 534.
  • [52]
    Cf. Encyclopédie II, R. du § 249, W 9, 31, trad. cit. p. 189. Cf. G. Lebrun, L’envers de la dialectique, Paris, Seuil, 2004, p. 266-268.
  • [53]
    Cf. Science de la logique, Introduction, W 5, 51, trad. (2007) p. 32.
  • [54]
    Phénoménologie, Préface, W 3, 12, trad. cit. p. 58 (nous soulignons).
  • [55]
    Sur la notion d’unité négative, cf. U. Richli, Form und Inhalt in Hegels Wissenschaft der Logik, Vienne, Oldenburg, 1982, p. 49 sq.
  • [56]
    Cf. Ch. Taylor, Hegel, New York, CUP, 1975, p. 230.
  • [57]
    B. Mabille, « La vie logique », in J.-L. Vieillard-Baron (dir.), Hegel et la vie, Paris, Vrin, 2004, p. 114-115, explicite ainsi la distinction de la vie logique et de la vie naturelle : la première « n’est pas dispersée dans l’extériorité » ; « elle est inconditionnée » ; « elle n’est pas liée à un organisme particulier […], son caractère organique est sa cohérence, sa systématicité même ». Ch. Daluz Alcaria, dans Une logique de la vie, la pensée hégélienne de l’organisme, Paris, Champion, 2010, insiste également, et à juste titre, sur ce qui distingue la processualité conceptuelle et la vie naturelle. Elle en tire cependant la conclusion que le recours à la notion de vie n’a qu’un sens analogique chez Hegel, que la vie n’est qu’une « figure représentative » (p. 197). Notre hypothèse est plutôt que le concept de vie, à l’instar d’ailleurs de tous les concepts importants chez Hegel, n’est pas fixe mais se définit à partir de sa situation systématique, de sorte que, comme dit plus haut, le concept de vie en général déborde celui de la vie naturelle.
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