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Article de revue

L'adversaire de Dieu dans la Philosophie de la révélation

Esquisse d'une satanologie schellingienne

Pages 87 à 112

Notes

  • [1]
    Selon Zacharie 3,2.
  • [2]
    Selon un mythe du Moyen Âge, la chute des anges rebelles serait due à Lucifer, qui aurait comploté contre Dieu. A l’origine, Lucifer renvoie à la mythologie grecque, son nom signifie en effet littéralement « le porteur de lumière » (Lux-fero) et désigne un dieu de lumière. Dans la Bible, et plus précisément dans le livre d’Isaïe, le porteur de lumière se rapporte au roi de Babylone, dont l’orgueil était tel qu’il cherchait à rivaliser avec Dieu lui-même. Ensuite, dans la tradition chrétienne, Lucifer sera assimilé à l’arrogant Archange qui voulu renverser Dieu avec l’aide de quelques anges rebelles, qui chuteront avec lui. Dans la Bible le nom de Lucifer n’apparaît pas comme tel, il apparaît sous le nom de Satan. Dans l’Apocalypse, il sera enfin le « grand Dragon » ou encore le « serpent ancien ». Pour plus de détails sur la chute des anges et le mythe du Moyen Âge, voir le Lexikon des Mittelalters, Deutscher Taschenbuch Verlag, München, 2002, p. 1905-1914.
  • [3]
    Voir notamment Isaïe 14,3-20 ; Matthieu 25,41 ; Pierre 2,4 ; Jude 6 ; Apocalypse 12,7-9.
  • [4]
    Schelling reprend la légende de la mort du grand Pan en citant De defectu oraculum (chapitre 17) de Plutarque, qui raconte l’histoire du pilote de navire Thamus qui, à l’approche des îles des deux Paxes, entendit une voix lui criant d’annoncer la mort du grand Pan. Schelling rappelle qu’on a assimilé la mort du Christ elle-même à la mort du grand Pan, survenue à l’époque de Tibère. De fait, la mort de Pan marque la fin du paganisme et du « principe aveugle, cosmique ». La mort d’un Christ qui signe la suppression des puissances extra-cosmiques est généralement admise en effet comme fin du paganisme, voir SW, XIV, 239-240 ; Leçon xxxiii de la Philosophie de la révélation, tome III, traduction du GDR Schellingiana sous la direction de J.-F. Marquet et J.-F. Courtine, Paris, PUF, 1994, p. 258-259. Pour les références à Schelling, nous renverrons d’abord à la version originale allemande, en nous référant à l’édition Cotta des œuvres complètes : Sämtliche Werke, 14 volumes, édition K.F.A. von Schelling, Stuttgart, 1855-1861 [SW] ; ensuite, nous citerons la traduction française.
  • [5]
    Le Maître et Marguerite, trad. C. Ligny, Paris, Pocket, 2003.
  • [6]
    Jean 12,31-32.
  • [7]
    Schelling y fait allusion dans la Philosophie de la révélation, voir SW, XIV, 245 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 264.
  • [8]
    X. Tilliette, Schelling, une philosophie en devenir, vol. II, Paris, Vrin, 1970, p. 477.
  • [9]
    Il est tout à la fois orgueilleux, féroce, cruel, meurtrier, méchant, puissant, malicieux, rusé, trompeur, menteur et Prince de ce monde. Son œuvre s’oppose à Dieu, afflige les hommes, pervertit les Écritures, cherche la destruction, fait obstacle à l’Évangile. Il veut en outre qu’on l’adore, il est l’auteur des tentations, de nos chutes, de faux miracles. On voit, à travers cette énumération, toute l’étendue de pouvoir et de malignité du Diable. Voir Isaïe 14,12-15 ; Job 1,9 ; Luc 4,10-11 ; 8,29 ; 13,11-16 ; Jean 8,44 ; Éphésiens 6,12-16 ; 2 Corinthiens 2,11-14 ; 11,3 ; Hébreux 2,14 ; Marc 3,11 ; 4,15 ; Matthieu 4,9 ; 8,29 ; 25,41 ; 2 Thessaloniciens 2,9 ; 2 Pierre 2,4 ; Jude 6 ; Apocalypse 12,7-9.
  • [10]
    SW, XIV, 260 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiv, p. 279.
  • [11]
    Du moins pas explicitement. De fait, Schelling y fait une allusion au Diable, pour montrer que, loin d’être lié à une simple imperfection, le mal est au contraire beaucoup plus proche d’une perfection : « Le Diable, dans la conception chrétienne, n’était pas la créature la plus limitée, mais plutôt la plus illimitée. », voir Recherches Philosophiques sur l’essence de la liberté humaine in Œuvres métaphysiques, trad. J.-F. Courtine et É. Martineau, Paris, Gallimard, 1980, p. 154 ; SW, VII, 369 [dorénavant Recherches].
  • [12]
    Il faut cependant noter la présence, dans la Philosophie de la révélation, d’une problématique du mal en général similaire à celle développée par Schelling dans les Recherches : un fond sous-jacent du mal qui ne devient actif que par la volonté, comme le souligne justement Tilliette : « La ‘satanologie’ offre la contrepartie, la face d’ombre, de la Philosophie de la Révélation. Schelling y retrouve le problème du mal des Recherches sur la liberté humaine et, si l’on en excepte la bonté intangible de la création première et par conséquent l’absolue immunité de Dieu, les représentations d’autrefois se perpétuent : le mal ne devient le mal que par la volonté qui l’ « excite » ; une fois activé, ce principe d’inquiétude et de trouble exerce une fonction providentielle et contribue au gouvernement divin du monde. » in Schelling, une philosophie en devenir, op. cit., p. 477.
  • [13]
    Les avis sont en effet partagés. Miklos Vetö parle d’un certain mépris de Schelling pour tout ce qui touchait à Satan, d’où son rejet du Liebhaberei de Baader, dans lequel ce dernier exposait la possession diabolique de sa fille. À l’inverse, parmi les contemporains de Schelling, certains pensaient que Schelling avait élevé Satan à une dignité et une sublimité nouvelles. Frauenstädt estimait que Schelling avait exprimé les idées les plus profondes sur ce sujet. En revanche, pour Jean-Paul ou Herbart, Schelling n’aurait construit sa théorie du fondement que pour donner la part belle au diable et ses Recherches sur la liberté humaine seraient en faveur d’un pan-satanisme. Pour l’ensemble du débat, voir M. Vetö, Le Fondement selon Schelling, Paris, l’Harmattan, 2002, p. 392-393.
  • [14]
    M. Vetö, op. cit., p. 392.
  • [15]
    SW, XIV, 242 ; 262 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 261 ; Leçon xxxiv, p. 281.
  • [16]
    SW, XIV, 243 ; S.W., XIV, 262 ; Leçon xxxiii, p. 261 ; Leçon xxxiv, p. 280.
  • [17]
    Voir E. Brito, Philosophie et théologie dans l’œuvre de Schelling, Paris, Cerf, 2000, p. 194-197.
  • [18]
    Nous soulignons.
  • [19]
    L. Pareyson, Ontologie de la liberté. La souffrance et le mal, trad. G. A. Tiberghien, Paris, éditions de l’éclat, 1998, p. 281-282 [dorénavant Ontologie de la liberté].
  • [20]
    SW, VII, 390 ; Œuvres métaphysiques, p. 173.
  • [21]
    J. Hatem, De l’Absolu à Dieu : autour du Traité sur la liberté de Schelling, Paris, Cariscript, 1987, p. 119 [dorénavant De l’Absolu à Dieu].
  • [22]
    Schelling souligne que le dieu inversé est « l’être qui, provoqué à l’actualisation par la révélation de Dieu, ne peut cependant jamais passer de la puissance à l’acte », in SW, VII, 390 ; Œuvres métaphysiques, p. 173.
  • [23]
    SW, VII, 358 ; 365 ; 399 ; Œuvres métaphysiques, p. 144 ; 151 ; 181.
  • [24]
    SW, VII, 373 ; Œuvres métaphysiques, p. 158.
  • [25]
    Schelling, La liberté humaine et controverses avec Eschenmayer, trad. B. Gilson, Paris, Vrin, 1988, p. 222 [dorénavant La liberté humaine].
  • [26]
    SW, VII, 374 ; 399 ; Œuvres métaphysiques, p. 158-159 ; 181 ; Réponses de Schelling, in La liberté humaine, op. cit., p. 240.
  • [27]
    SW, XIV, 245 sq. ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 263 sq.
  • [28]
    J. Hatem, De l’Absolu à Dieu, op. cit., p. 120.
  • [29]
    L. Pareyson, op. cit., p. 275.
  • [30]
    SW, VII, 468 ; Œuvres métaphysiques, p. 244.
  • [31]
    Ibidem.
  • [32]
    Ibidem.
  • [33]
    SW, XIV, 241 ; Leçon xxxiii, p. 260.
  • [34]
    SW, XIV, 243 ; Leçon xxxiii, p. 261.
  • [35]
    SW, XIV, 243 ; Leçon xxxiii, p. 262.
  • [36]
    Schelling consacre l’essentiel de la Leçon xxxiii à démontrer que Satan n’est pas une créature, et en quoi cette interprétation est contredite par l’Écriture elle-même, où « on ne trouve pas un seul passage ni dans l’Ancien Testament ni dans le Nouveau Testament où il soit dit que le diable aurait été créé, qu’il serait un esprit créé. » SW, XIV, 244 ; Leçon xxxiii, p. 263.
  • [37]
    SW, XIV, 246 ; Leçon xxxiii, p. 265.
  • [38]
    Idem. Schelling mentionne Milton et Klopstock qui ont tenté de justifier cette dimension sublime en gardant la signification traditionnelle d’un Satan devenu infidèle à Dieu par présomption et arrogance. Malgré « toutes les peines du monde », ils n’y sont pas parvenus. Pour Schelling, cela s’explique par le fait que la sublimité de Satan comme Prince de ce monde (et même Dieu de ce monde écrit Schelling en citant 2 Corinthiens 4,4) est incompatible avec l’arrogance.
  • [39]
    SW, XIV, 246 ; Leçon xxxiii, p. 265.
  • [40]
    SW, XIV, 248 ; Leçon xxxiii, p. 267.
  • [41]
    Ibidem.
  • [42]
    Satan est le pouvoir qui, sans être lui-même mauvais, est comme une « puissance envieuse devant le bonheur immérité », voir SW, XIV, 248 ; Leçon xxxiii, p. 267.
  • [43]
    SW, XIV, 250 ; Leçon xxxiii, p. 269.
  • [44]
    SW, XIV, 247 ; 250 ; 252 ; Leçon xxxiii, p. 266 ; 269 ; 271. Une économie divine don’t le diable est un moment, et dès lors non une catastrophe, comme l’écrit V. Jankelevich (L’Odyssée de la conscience dans la dernière philosophie de Schelling, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 47 – dorénavant L’Odyssée).
  • [45]
    SW, XIV, 251 ; Leçon xxxiii, p. 269.
  • [46]
    Ibidem.
  • [47]
    SW, XIV, 255 ; Leçon xxxiii, p. 273.
  • [48]
    SW, XIV, 256 ; Leçon xxxiv, p. 275.
  • [49]
    SW, XIV, 257 ; 258 ; Leçon xxxiv, p. 276.
  • [50]
    Ibidem.
  • [51]
    Ibidem.
  • [52]
    SW, XIV, 260 ; Leçon xxxiv, p. 279.
  • [53]
    Ibidem.
  • [54]
    SW, XIV, 262 ; Leçon xxxiv, p. 281.
  • [55]
    Ibidem.
  • [56]
    SW, XIV, 269 ; Leçon xxxiv, p. 288.
  • [57]
    SW, XIV, 270 ; Leçon xxxiv, p. 288.
  • [58]
    SW, XIV, 269 ; Leçon xxxiv, p. 288.
  • [59]
    Voir E. KANT, La Religion dans les limites de la simple raison, trad. M. Naar, Paris, Vrin, 2000, p. 107. Kant renvoie lui-même à la formule bien connue de Paul (Romains 3,23), selon laquelle tous les hommes sont également pécheurs : « il n’y en a aucun qui fasse le bien (selon l’esprit de la loi), pas même un seul ».
  • [60]
    SW, XIV, 270 ; Leçon xxxiv, p. 289. Au-delà de Kant, qui fait certes dériver la réalité du mal de la nature humaine (l’homme est mauvais par nature) dans la Religion dans les limites de la simple raison (1793), mais exclut fermement une origine métaphysique du mal en l’homme, Schelling, dans les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine (1809), étend la problématique du mal à l’ensemble des étants, y compris Dieu (Étant Suprême), en posant la réalité du mal en l’homme mais sa possibilité en Dieu.
  • [61]
    SW, XIV, 270 ; Leçon xxxiv, p. 289.
  • [62]
    SW, XIV, 271 ; Leçon xxxiv, p. 289.
  • [63]
    Ibidem.
  • [64]
    SW, XIV, 271 ; Leçon xxxiv, p. 290.
  • [65]
    SW, XIV, 272 ; Leçon xxxiv, p. 291.
  • [66]
    Idem. La lutte nécessaire contre le mal en vue du bien est un thème cher à Schelling. Dans les Recherches, il avait déjà souligné le fait que celui qui est incapable d’endurer le mal est peu enclin au bien, car là où il n’y a pas de lutte il n’y a pas de vie, voir SW, VII, 400 ; Œuvres métaphysiques, p. 182.
  • [67]
    SW, XIV, 273 ; Leçon xxxiv, p. 291.
  • [68]
    Ibidem.
  • [69]
    SW, XIV, 277 ; Leçon xxxiv, p. 295-296, SW, XIV, 283 ; Leçon xxxv, p. 303.
  • [70]
    Et notamment dans les Recherches ou les Conférences de Stuttgart, voir SW, VII, 366 ; 459 ; Œuvres métaphysiques, p. 152 et 237.
  • [71]
    SW, XIV, 277 ; Leçon xxxiv, p. 295.
  • [72]
    SW, XIV, 283 ; Leçon xxxv, p. 303.
  • [73]
    M. Vetö, Le Fondement…, p. 411.
  • [74]
    Chacun possède en effet, dit-on, à la fois un ange bon et un ange mauvais. Or, le lien de chacun avec son ange est le seul qui l’unisse à Dieu, même quand il s’en est éloigné ou rendu indigne. Ces concepts de bons ou mauvais anges ne sont pas pour Schelling que symboliques ou mythologiques, ils sont également philosophiques, preuves d’un « authentique monde des esprits » (SW, XIV, 292 ; Leçon xxxv, p. 312). Schelling se prononce ainsi très clairement contre la clôture trop hâtive de la philosophie par rapport à la mystique et à la religion au sens large. Le passage de notre histoire à l’histoire supérieure, celle de l’Absolu, est à ce prix. Voir SW, XIV, 285 sq. ; leçon xxxv, p. 305 sq.
  • [75]
    J. Hatem, De l’Absolu à Dieu, op. cit., p. 119.
  • [76]
    SW, XIV, 285 ; Leçon xxxv, p. 305. Dans Über den Ursprung des Übels, II, v. 33-34, Haller écrit : « Le monde avec ses défauts (die Welt mit ihren Mangeln) est meilleur qu’un royaume (Reich) d’anges sans volonté. », Leçon xxxv, note 7, p. 305.
  • [77]
    SW, XIV, 274 ; Leçon xxxiv, p. 292.
  • [78]
    Schelling précise qu’il en est ainsi dans l’Ancien et le Nouveau Testament (cf. Jean), SW, XIV, 274 ; Leçon xxxiv, p. 293.
  • [79]
    V. Jankelevitch, L’Odyssée, op. cit., Paris, L’Harmattan, 2005, p. 202.
  • [80]
    SW, XIV, 275 ; Leçon xxxiv, p. 293.
  • [81]
    SW, XIV, 275-276 ; Leçon xxxiv, p. 294.
  • [82]
    SW., XIV, 250 ; Leçon xxxiii, p. 269.
  • [83]
    Nous soulignons.
  • [84]
    J. Hatem, De l’Absolu à Dieu, op. cit., p. 121.
  • [85]
    Sur le statut de ce principe, voir notamment SW, XIV, 258 ; 261 ; 262 ; 268 ; 274 ; 275 ; Leçon xxxiv, p. 276, 280, 287, 293.
  • [86]
    X. Tilliette, Schelling, une philosophie en devenir, op. cit., p. 477.
  • [87]
    SW, XIV, 248 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 267.
  • [88]
    SW, XIII, 272 ; Philosophie de la révélation, T. II, Leçon xiii, p. 122.
  • [89]
    Cf. Isaïe 55,8-10 ; Daniel 12,8-10.
  • [90]
    St Paul, Première épître aux Corinthiens 1,25.
  • [91]
    « Le plus hardi des apôtres [i.e. Paul], en qui on reconnaît en même temps un profond dialecticien, parle carrément de la folie divine, de la faiblesse de Dieu qui d’ailleurs, dit-il, est plus forte et a plus de puissance que la sagesse et que les forces humaines. Le fort seul peut ou a le droit d’être faible. », SW, XIV, 24 ; Leçon xxiv, T. III, p. 44.
  • [92]
    J. Hatem, « L’ironie de Dieu. Luther, Schelling, Chesterton. », Studia Theologica, IV, 3/2006, p. 195.
  • [93]
    SW, XIV, 24 ; Leçon xxiv, T. III, p. 45.
  • [94]
    Paul, 1 Corinthiens 2,7-8.
  • [95]
    J.-G. Hamann, Les Méditations bibliques, trad. P. Klossovski, Paris, Minuit, 1948, p. 171, cité par J. Hatem, « L’ironie de Dieu », op. cit., p. 198.
  • [96]
    Voir Exode 33,20 ; Job 9,11 ; Jean 1,18 et 4,12 ; Hébreux 11,27.
  • [97]
    J. Hatem, op. cit., p. 202.
  • [98]
    Ibidem, p. 203.
  • [99]
    Voir notamment Job 5,17-18 ; Jérémie 31,3 ; 16 ; 20 ; Matthieu 5,45 ; 6,30.
  • [100]
    J.-L. Thebaud, « Le Diable est dans les détails », Le Portique, 12, 2003, Charme et séduction, 2003 [en ligne], mis en ligne le 15 juin 2006. http://leportique.revues.org/document573.html.
  • [101]
    Voir notamment SW, XIII, 272 ; 291 ; 305 ; T. II, Leçon xiii, p. 122 ; Leçon xiv, p. 143 et 158 ; SW, XIV, 24 ; T. III, Leçon xxiv, p. 45.
  • [102]
    SW, XIII, 305 ; Philosophie de la révélation, t. II, Leçon xiv, p. 158.
  • [103]
    Schellingiana, Bd I (1989), 115 ; Introduction à la philosophie, trad. M.-C. Challiol-Gillet et P. David, Paris, Vrin, 1996, Leçon xxix, p. 139.
  • [104]
    Ibidem.
  • [105]
    Satan va y tester la fidélité de Job à Dieu en le frappant de tous les maux, cf. Job 1,2.
  • [106]
    J. Hatem, « L’ironie de Dieu… », op. cit., p. 210.
  • [107]
    Sur le feu consumant, voir Deutéronome 4,24, et SW, VII, p. 438 ; SW, VII, 381-382 ; Conférences de Stuttgart, Œuvres métaphysiques, p. 219 ; p. 165-166.
  • [108]
    C’est-à-dire la liberté éternelle, décrite par Schelling dans les Âges du Monde, et qui est l’éblouissante Lumière dans laquelle l’Absolu réside, totalement hors de notre portée, SW, VIII, 199, 230 ; Les Âges du monde, trad. P. David, Paris, PUF, 2005, p. 233, 268.
  • [109]
    Voir SW, VII, 365, 381-382 ; Recherches philosophiques, Œuvres métaphysiques, p. 151, 165-166.
  • [110]
    C’est précisément ce qui laissera la raison sans voix, en proie au vertige de l’extase décrit par Schelling dans les Leçons d’Erlangen et la Philosophie de la révélation, et qui mènera la raison schellingienne aux confins du discours, dans un renoncement salvateur permettant précisément l’avènement de la philosophie positive comme philosophie de la révélation.
  • [111]
    Voir encore les Recherches : « Car Dieu lui-même voile ce principe dans la créature et le recouvre d’amour, en en faisant le fond et pour ainsi dire le support des êtres. », SW, VII, 391 ; Œuvres métaphysiques, p. 174.
  • [112]
    SW, XI, 566 ; Introduction à la philosophie de la mythologie, Leçon xxiv, trad. collective, Paris, Gallimard, 1998, p. 521.
  • [113]
    SW, VII, 479 ; Conférences de Stuttgart, in Œuvres métaphysiques, p. 254. Ici on constate paradoxalement la différence de point de vue des Conférences par rapport à la Philosophie de la révélation, car si Schelling parle en 1810 de « créature » spirituelle pour désigner Satan, il utilise bien le mot créature, qu’il refuse par la suite, et de plus il parle ici d’une créature « déchue », reprenant l’interprétation classique qu’il s’appliquera à réfuter dans la Philosophie de la révélation.
  • [114]
    Pour plus de détails, voir l’excellent appendice de J.-F. Marquet, « Schelling et la ‘théosophie germanique’ », in Liberté et existence. Étude sur la formation de la philosophie de Schelling, Paris, Gallimard, 1973, p. 571-586, mais également, E. Benz, Les sources mystiques de la philosophie romantique allemande, Paris, Vrin, 1987.
  • [115]
    Pour plus de détails sur le tsimtsum et Isaac Luria, voir notamment, D. Biale, Gershom Sholem. Caballe et contre-histoire, trad. J.-M. Mandosio, éditions de l’éclat, 2001.
  • [116]
    Voir J.-F. Marquet, « Schelling et la ‘théosophie germanique’ », op. cit., p. 571 sq. Voir également M. Vetö, Le Fondement…, op. cit., p. 408-410, où l’auteur souligne l’influence de Boehme sur Schelling, non seulement en général mais également en particulier concernant la figure de Satan, à la nuance près que Boehme croyait fermement, contrairement à Schelling, à la théorie des anges déchus et à la damnation éternelle des pécheurs.
  • [117]
    M. Vetö, Fondement…, op. cit., p. 410.
  • [118]
    SW, VII, 411 ; Recherches, Œuvres métaphysiques, p. 192 ; SW, VIII, 253 ; Âges du monde, p. 295.
  • [119]
    SW, VII, 401-402 ; Recherches, Œuvres métaphysiques, p. 183-184.
  • [120]
    Nous soulignons.
  • [121]
    L. Pareyson, Ontologie de la liberté, op. cit., p. 200.
  • [122]
    SW, VII, 359 ; Recherches, Œuvres métaphysiques, p. 145.
  • [123]
    SW, VII, 429 ; Conférences de Stuttgart, Œuvres métaphysiques, p. 210.
  • [124]
    Voir l’ensemble du volume III de la Philosophie de la révélation, centré sur la christologie schellingienne.
  • [125]
    SW, VII, 411 ; Recherches, Œuvres métaphysiques, p. 192.
  • [126]
    J. Hatem, De l’Absolu à Dieu, op. cit., p. 124.
  • [127]
    SW, XIV, 251, Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 269.
  • [128]
    M. Vetö, Fondement…, p. 407-408.
  • [129]
    L. Pareyson, Ontologie de la liberté, op. cit., p. 258.
  • [130]
    Dans la Bible, Satan est le serpent tentateur, voir Genèse 3,1.15.
  • [131]
    SW, XIV, 251 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 269.
  • [132]
    SW, XIV, 203 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxi, p. 221.
  • [133]
    V. Jankelevitch, L’Odyssée, op. cit., p. 200.
  • [134]
    SW, VIII, 43 ; Âges du monde, p. 58.
  • [135]
    Voir P. David, Postface aux Âges du monde, p. 345.
  • [136]
    P. David, Schelling, de l’absolu à l’histoire, Paris, PUF, 1998, p. 91. La citation de David renvoie à l’aphorisme de Wurzbourg de Schelling, voir SW, VII, 408, Recherches, Œuvres métaphysiques, p. 189, selon lequel « le secret de l’amour, c’est qu’il lie ceux qui pourraient être chacun pour soi, et cependant ne le sont pas, et ne peuvent être l’un sans l’autre. »
  • [137]
    SW., VIII, Âges du monde, p. 276.
  • [138]
    P. David, Schelling, de l’absolu à l’histoire, op. cit., p. 112.
  • [139]
    SW, XIII, 359 ; Philosophie de la révélation, T. II, Leçon xvii, p. 215.
  • [140]
    Une audace qui évoluera après l’échec des Âges du monde, pour se recentrer sur la révélation de Dieu dans la Philosophie de la révélation.
  • [141]
    SW, VII, 484 ; Conférences de Stuttgart, Œuvres métaphysiques, p. 259.
  • [142]
    Cet abaissement de la divinité à travers l’humilité du Christ est au cœur de l’épître aux Philippiens 2,5-9 : « Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ, lui qui, étant en forme de Dieu, n’a pas voulu se prévaloir de son égalité avec Dieu, mais s’est anéanti lui-même, en prenant la forme d’un serviteur et en devenant semblable aux hommes. Ayant paru comme un simple homme, il s’est abaissé (nous soulignons) lui-même, en se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. »
  • [143]
    M. Vetö, « Kénose et incarnation dans la dernière philosophie de Schelling », Philosophie et religion, Paris, L’Harmattan, Paris, 2006, p. 188.
  • [144]
    M. Vetö, op. cit., p. 189.
  • [145]
    M.-C. Challiol-Gillet, Schelling, Paris, PUF, 1996, p. 76.
  • [146]
    Hölderlin, Werke und Briefe, Francfort, Insel Verlag, 1969, t. 1, p. 319.
  • [147]
    X. Tilliette, L’Absolu et la philosophie, Paris, PUF, 1987, p. 250.
  • [148]
    SW, XIV, 251 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 269.
  • [149]
    Nous soulignons. X. Tilliette, Schelling, une philosophie en devenir, op. cit., p. 478-479.
  • [150]
    Capital mais mal compris, à cause de ses caractéristiques contradictoires, qui ne reflètent en réalité, selon Schelling, que la majesté de son caractère hautement dialectique : « […] le concept du Satan est de tous les concepts possibles le plus dialectique, ne serait-ce que par suite de la nature du principe dont il dérive finalement (le principe du pouvoir être et ne pas être, principe par nature amphibologique et équivoque) », SW, XIV, 251 ; Leçon XXXIII, p. 270.
  • [151]
    X. Tilliette, Schelling, une philosophie en devenir, II, op. cit., p. 488.
  • [152]
    Idem, p. 479.
  • [153]
    « […] il y a chez Schelling […] l’idée que rien n’est absolument indigne d’exister, que Satan n’est pas méprisable. », voir V. Jankelevitch, L’Odyssée, op. cit., XIV, 251-252 ; Leçon xxxiii, p. 269-270.
  • [154]
    SW, XIV, 253 ; Leçon xxxiii, p. 272.
  • [155]
    Idem, p. 480 : voir également V. Jankelevitch, L’Odyssée, op. cit., p. 54.
  • [156]
    Voir l’imposante œuvre de K. Barth, Dogmatique, en particulier vol. III/3 (1963) et IV/3 (1972), trad. F. Ryset, Genève, Labor et Fides.
  • [157]
    P. Ricœur, Lecture 3. Aux frontières de la philosophie, Paris, Seuil, 1994, p. 233.

1Étymologiquement, Satan renvoie à l’hébreu figure im1, et signifie « l’adversaire » ou « l’accusateur [1] ». Il devient le Diable en grec (figure im2, le contradicteur, le diviseur), et en latin (diabolus, le calomniateur). Le Diable incarne, depuis la mythologie classique, l’esprit du mal, le mauvais génie. Parallèlement, aussi loin que remonte l’espoir d’une punition des méchants, on retrouve la description de l’enfer, séjour des damnés. On raconte [2] que Dieu a créé les anges purs et bons, mais qu’il les a soumis à une épreuve, dont seule une partie des anges ressortit victorieuse, l’autre partie étant condamnée aux flammes de l’enfer : ce sont les anges déchus ou les fameux mauvais anges décrits dans la Bible [3]. Ces derniers obéissent tous à un seul chef : le Diable, que l’on nomme également Satan (l’ennemi, le mauvais) ou Lucifer (le brillant). Les anges mauvais, comme le Diable, n’ont qu’une mission, voire une obsession : la tentation. Et s’ils sont déchus, les mauvais anges n’en gardent pas moins certains pouvoirs issus de leur nature originellement bonne, qui leur confère une puissance (maléfique) sur les hommes. Ils éveillent en eux le manque et le désir, les jettent dans un trouble profond. Bien qu’il ait souvent été représenté dans l’imaginaire collectif sous un aspect difforme de monstre hirsute aux pieds fourchus et à la longue queue, Satan n’est jamais aussi puissant que lorsqu’il a une forme agréable. Une forme tellement agréable qu’elle se dissimule pour mieux abuser. Selon la légende, Luther aurait aperçu le Diable dans le noir des yeux et lui aurait jeté son encrier à la figure. Un passage de Matthieu (4,10) l’a immortalisé dans la Bible à travers la phrase célèbre du Christ « vade retro Satanas ! » Séduire au lieu de faire peur confère en effet au Diable un pouvoir beaucoup plus large, au point qu’il faudra l’arrivée du Christ pour briser, par le sacrifice de sa propre vie, sa force sournoise. Avec le christianisme advient en effet la mort du grand Pan [4], la fin du paganisme.

2On ne peut évoquer la figure de Satan indépendamment du processus du mal qu’il est supposé incarner. Un mal diabolique et tentateur que toute une tradition, à la fois philosophique et religieuse tend, sinon à minimiser, du moins à contrôler. C’est plus exactement la positivité du mal et la liberté sans limites qui s’y rattache qui posent problème. La défense traditionnelle du bien réduit en effet le mal à un simple manque ou à une absence de bien. Quand son existence elle-même n’est pas contestée, le mal semble opposition faible au bien. En même temps, il fascine partout où il impose son emprise, et l’existence de la religion elle-même est indissociable du phénomène du mal. Les mystères de Dieu ne se révèlent en effet que sur fond d’impiété, et la foi naît du péché. Le roman de Mikhaïl Boulgakov [5] illustre brillamment cette image de la nécessité du Diable pour révéler Dieu. Écrivant pour dénoncer le régime communiste qui avait fait table rase de toute forme de spiritualité, Boulgakov tente de mettre en évidence l’absurdité d’un monde sans Dieu, au point que le personnage de Satan lui-même, sous le pseudonyme de Woland, dénonce cette situation qui lui est directement préjudiciable et veut réinstaurer le retour de l’autre monde. Dans le Nouveau Testament, où Satan apparaît sous la figure connue du Prince de ce monde [6], son rôle essentiel est également souligné en vue de la lutte finale du Christ contre le principe du mal dans l’Apocalypse. Satan est non seulement reconnu mais « toléré » par Dieu, à titre de processus nécessaire. L’opinion commune rapporte que les Bogomiles [7], descendants des Illyriens, à l’origine du mouvement cathare et de l’eschatologie hérétique, iront jusqu’à assimiler Satan au frère aîné du Christ. Ainsi Satan, né Satanaël, après avoir fait crucifier le Christ, aurait changé son nom en Satanas. Il voulut faire concurrence au Père et se créer son propre royaume, et, après avoir corrompu les mauvais anges qui avaient été chassés du ciel, il exerça son pouvoir sur terre.

3L’épreuve du négatif semble ainsi omniprésente, et la lutte contre l’esprit du mal s’impose si on veut faire triompher le bien. C’est ce combat qui incitera Schelling à examiner la figure de Satan et à en proposer une vision renouvelée dans la Philosophie de la révélation. Une vision qui tient compte de la nature amphibologique de Satan et qui inclut l’ironie de Dieu qui, dans son voilement, semble approuver l’existence du Malin, afin de mettre à jour et de dénoncer tout le mal qui se cache derrière le bien. La question qui nous intéresse ici est dès lors celle du lien complexe unissant le Prince de ce monde (Satan) au Seigneur de l’être (Dieu), au regard de la définition multiple de Satan. Ce dernier est en effet à la fois un tentateur universel (celui qui divise) et un maillon nécessaire (celui qui accuse) à la révélation de Dieu. Schelling a non seulement perçu et décrit l’ambivalence du Satan, mais il l’a comme sublimée – dans une certaine mesure – dans la Philosophie de la révélation.

1 – Satan le tentateur

4« Le Christ, tout au long de la traversée mythologique, est en état de souffrance, de passion, exilé hors de Dieu et portant la colère et la malédiction. Le principe actif, réel, du paganisme, c’est Satan, l’adversaire, l’ennemi par excellence [8]. » Dans cette description du Christ souffrant et en lutte contre son contraire absolu, Xavier Tilliette souligne toute la tension comprise dans leur opposition. Or, la tension naît précisément de la difficulté à vaincre ce négatif, du fait de sa très grande capacité de séduction. Les caractéristiques du Diable dans la Bible sont nombreuses [9], mais nous privilégierons celle de la tentation, car elle englobe la double dimension de l’attraction et de la répulsion, deux aspects fondamentaux du mal chez Schelling. Au-delà de la simple répulsion en effet, l’attraît du mal se révèle nécessaire pour préparer le combat ultime que le Christ lui-même livrera contre Satan en vue de la purification de tous nos péchés. Satan le tentateur renvoie donc à une signification complexe, qui dépasse la simple assimilation du Mauvais à un état unilatéralement négatif, à une simple négation vide, à une dégradation de tous les sens ; elle permet au contraire d’éprouver la disposition intérieure de l’homme afin d’en faire sortir ce qui n’en est pas digne. « Si l’on entend par l’adversaire de l’homme, par le Satan, l’ennemi du bonheur ou de la félicité humaine, alors c’est déjà ici également (dans la séduction) que cet esprit trompeur doit être nommé l’adversaire […] afin d’éprouver si la disposition intérieure (Gesinnung) […] convient à ce bonheur [10]… ». Ce rôle positif du négatif, Schelling l’avait bien saisi, même si Satan n’apparaît pas dans son écrit le plus célèbre consacré au mal, les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine (1809) [11], mais bien plus tard, dans la Philosophie de la révélation (1831-1846) – en particulier dans les leçons xxxii et xxxiv, qui contiennent une satanologie [12] dans laquelle Schelling veut réhabiliter l’image positive du Satan. Il faut cependant souligner que, contrairement à ses contemporains romantiques [13], Schelling ne consacre pas une part considérable de sa philosophie à l’analyse de la figure de Satan : cela ne l’empêche pas « d’être conscient de la réalité très réelle de Satan et de l’enfer, et de les traiter comme des catégories métaphysiques importantes [14]. »

5Schelling distingue Satan de Lucifer, car il n’admet pas la chute des anges [15]. Il se prononce au contraire en faveur d’un principe positif de Satan, voulu par Dieu lui-même [16]. Selon Tilliette, la démonologie schellingienne exclut l’idée d’un ange déchu, car Schelling cherche plutôt à présenter une image positive de Satan, à lui conférer une certaine grandeur. La créature déchue laisse en effet supposer un amoindrissement qui ne va pas avec l’idée de Satan comme Prince de ce monde et partenaire de Dieu. Ce point fait néanmoins débat. Si Brito partage largement [17] l’interprétation de Tilliette d’un Satan positif qui exclut la réduction à une créature maléfique, Pareyson en revanche la rejette. Il ne différencie pas Satan d’un être créaturel : « Comment peut-on penser que, convaincu comme je le suis de l’absolue transcendance divine, j’arrive à annuler la différence abyssale entre le créateur et la créature au point de confondre ou de mélanger Dieu et Satan qui, de quelque manière qu’on le conçoive, est de toute façon une créature[18], par ailleurs au sommet de la corruption et de la méchanceté [19]. »

6Dans les Recherches, Satan est le Dieu inversé [20], et l’esprit du mal est ce qui aspire au renversement. Il en découle une conséquence importante : « Dire que Satan est un Dieu inversé qui aspire à l’être, c’est en premier lieu penser sa nature comme identique à celle de Dieu [21]. » Toutefois, l’inversion effective est impossible [22], compte tenu de l’indissociabilité absolue des deux principes en Dieu, de Lumière et des Ténèbres ou d’Existence et de Fond [23]. « Car Dieu, en tant qu’esprit, étant l’unité indissociable des deux principes, et cette même unité ne devenant effective que dans l’esprit de l’homme, si elle était aussi indissoluble chez lui qu’en Dieu, l’homme ne se distinguerait en rien de Dieu. Il se fondrait en Dieu, et il n’y aurait aucune révélation et aucune mobilité de l’amour [24]. » En Dieu, la lutte de la Lumière contre les Ténèbres a déjà pris fin, le chaos originaire a été vaincu, l’esprit du mal n’agit plus, il est seulement présent à titre d’ombre obscure, de potentialité, mais contenue à jamais. Ce fait irrémédiable nous empêche d’être tenté par la question d’Eschenmayer [25] qui, à la lecture de Schelling, se demandait si à partir de l’affirmation de la victoire de la Lumière sur les Ténèbres, victoire qui implique une préséance du chaos originaire et donc du mal, on ne pouvait déduire que Dieu provient directement du Diable. A quoi Schelling répondait vigoureusement par la négative, déplorant la lecture superficielle des Recherches et renvoyant Eschenmayer au texte : « Nous avons expliqué une fois pour toutes que le mal, comme tel, ne peut surgir que chez la créature ». « Il est exclu qu’en soi l’être fondamental initial (nous entendons par là le fond obscur de l’existence de Dieu) soit mauvais. » – « Il n’est pas non plus possible de dire que le mal vient du fond, ni que la volonté du fond est l’auteur du mal [26] ». Le Diable n’est donc pas une créature [27] mais un principe, pas mauvais en lui-même, mais qui ne s’active qu’au sein de la créature par excellence, l’homme, par l’intermédiaire de sa volonté.

7L’ombre obscure du mal éternellement présente en Dieu bien qu’originellement contenue, n’en constitue pas moins une menace réelle, tant cette trace de révolte satanique pèse lourd, d’abord sur Dieu lui-même, ensuite sur le destin de l’homme et de la création toute entière. « Telle est la raison pour laquelle Satan et le mal ne peuvent être – tout en étant car ce qui aspire à être est déjà de quelque façon. Mais nous savons quelle est cette manière d’être : c’est l’esprit de la scission auquel Schelling donne le nom de mal universel qui précède l’homme et vient à sa rencontre. Mais de renversement encore point, car si Dieu n’est pas satanisable, l’homme est faillible. En lui et par lui s’opère la perversion [28]. » Si en effet en Dieu l’esprit du mal n’est qu’une potentialité, en l’homme il est devenu une réalité. Cette différence fondamentale constitue précisément tout le drame de l’homme par rapport à Dieu, que Pareyson résume admirablement : « […] Dieu est à la fois réalité du bien et possibilité du mal : la réalité du bien choisi est la possibilité du mal écarté. L’homme est réalité du mal qui est à la fois possibilité du bien : la réalisation du mal préféré laisse néanmoins subsister la possibilité du bien [29]. »

8La menace du tentateur est dès lors liée à son intelligence ; c’est précisément pour cette raison que, dans les Conférences de Stuttgart (1810), Schelling assimile le mal diabolique à l’état spirituel le plus pur [30], parce qu’il mène la guerre la plus violente contre tout être, jusqu’à vouloir supprimer le fondement même de la création. Il apparaît vite à Schelling que chacun, s’il est un tant soit peu familier avec le mystère du mal, est conscient que la plus haute corruption est aussi la plus spirituelle. Le mal, il faut l’ignorer de cœur mais non de tête [31]. Il y a en effet dans le mal démoniquement diabolique quelque chose de bien plus étranger à la jouissance que dans le bien [32]. Dans la corruption la plus haute en effet, on retrouve une destruction générale, y compris de tout ce qui est matériel, même la sensibilité et la volupté devenant cruauté. Si le mal diabolique corrompt tout, il n’est toutefois pas absolu, car s’il est certes le principe qui invite à la transgression, il n’est pas pour autant lui-même mauvais par nature. Cette nuance fait précisément de Satan l’ennemi à abattre, à partir du moment où l’on a saisi ce pour quoi il existe, et surtout les moyens de le contrer et de le dépasser.

9Dans la Philosophie de la révélation, Schelling divise les leçons consacrées à Satan en une partie critique (Leçon xxxiii) et une partie positive (Leçon xxxiv). Dans la Leçon xxxiii, Schelling commence par rappeler l’interprétation classique du Satan comme chef du paganisme, et son rôle essentiel dans le Nouveau Testament comme Prince de ce monde [33]. Satan incarne en effet le principe même du paganisme, celui contre lequel le Christ luttera jusqu’à la mort. Satan n’est pas un moindre ennemi, il est L’ennemi par excellence, il contient une réalité supérieure qui n’a rien en commun avec sa traditionnelle signification indigente ou mesquine [34]. Son nom implique l’universalité, car il est d’abord le contradicteur en général [35]. Encore une fois, Satan n’est pas une créature, Schelling s’y oppose farouchement [36], c’est un être extra ou supra-créaturel. Pour le démontrer, Schelling développe de nombreux arguments qui rendent absurde toute assimilation du diable à un être créaturel. Tout d’abord la disproportion qu’il y aurait, pour le Christ, dont la nature est indéniablement supra-créaturelle, à affronter et à endurer les souffrances d’un simple être créaturel [37]. Il y a ainsi dans ce principe mauvais une dimension sublime [38] qui justifie le rapport de connivence que Satan entretient avec Dieu lui-même. « Quoi qu’il en soit, c’est toute cette représentation selon laquelle un tel esprit serait devenu infidèle et hostile à Dieu par présomption et arrogance qui ne semble pas compatible avec la sublimité (Erhabenheit) qui est par ailleurs celle de Satan [39]. » Le rapport qui unit Dieu et Satan est plus exactement un rapport de fin à moyen, en ce que Dieu reconnaît en Satan un pouvoir nécessaire à sa propre révélation. Satan est la figure qui permet à « l’incertain de devenir certain, à l’indécis de se décider [40] », il permet à la « disposition intérieure de faire ses preuves [41] ». On voit très clairement en quoi il n’est pas qu’une figure négative ; tout au contraire, il révèle la positivité. Il fait ressortir le mal caché afin qu’il ne demeure pas sous le bien. En même temps, Satan est aussi l’artisan de la désunion entre l’homme et Dieu, celui qui incite [42] en permanence le fond obscur de la volonté de l’homme à s’extérioriser. Mais il sera justement brisé et anéanti par le Christ dans l’Apocalypse [43] Tentateur donc, mais d’abord principe de l’économie divine [44], sommé par Dieu d’entretenir la contradiction, la malédiction, la discorde et la désunion, afin que le triomphe ultime du Fils n’en soit que plus total. La victoire de la cause de Dieu (Sache Gottes[45]) sera alors accomplie. En conséquence, ce principe tentateur et maléfique ne doit en aucune manière être blâmé ni méprisé, parce qu’il sert directement à la glorification divine [46]. Bien plus qu’une lutte contre la chair et le sang, notre lutte est au contraire une lutte contre les puissances cosmiques de ce monde, à savoir les principes spirituels du mal [47].

10Tentateur encore, Satan est défini par Schelling comme l’ultime principe sous-jacent de la création [48] qui, en vertu de sa nature, est le principe qui incite à la transgression – un principe qui n’est pas à entendre au sens manichéen mais davantage comme un esprit [49]. Un esprit en aucune manière originaire mais un esprit devenu parce que « suscité par l’homme [50] ». À l’origine il reposait dans la conscience humaine mais inactivé ; à présent il menace directement la conscience en la « débordant [51] ». Satan est ainsi esprit suprêmement effectif à l’intérieur de la conscience humaine. Tentateur du premier homme, Satan est celui qui a troublé (et continue de troubler) son « bonheur tranquille [52] » immérité. Il pressent en effet le mal en l’homme avant même que celui-ci ne s’en rende compte, et il cherche à le mettre au jour ; il est la cause qui prend plaisir au mal devenu manifeste, mais cela n’implique pas qu’il soit lui-même mauvais [53].

11Tentateur toujours, principe nécessaire à la révélation divine, Satan incarne la crise que Dieu lui-même doit (muss) vouloir [54], pour éviter que le mal ne demeure caché. Schelling cite [55] l’Apocalypse (12,9), où Satan apparaît sous la forme du serpent ancien, révélateur d’une nature qui n’est que mensonge, duplicité, principe séducteur, le non-étant en soi. Schelling voit précisément en ce principe à la fois un « rapport universel au genre humain en général [56] », et « un rapport particulier à l’homme individuel [57] ». Un rapport au genre humain en général en tant que Prince de ce monde, puissance tentatrice et qui s’adapte indéfiniment, tel un monstre à qui l’on couperait la tête et qui repousserait éternellement : « […] le principe est versatile […] vaincu sur un terrain, il s’élance sur un autre [58] ». Un rapport à l’individu aussi, que Schelling traduit par péché originel ou mal radical de la nature humaine. Ici Schelling approuve l’idée kantienne d’un mal radical à la racine de notre nature, qui corrompt nécessairement tout homme, même le meilleur [59]. Schelling cite explicitement Kant qui, selon lui, avait vu et compris cette « mauvaiseté » exemplaire, mais uniquement « partiellement [60] ». Schelling reprend cette idée d’une fausseté secrète au plus profond de notre cœur, une méchanceté innée qui ne demande qu’à s’épanouir, comme dans ce sentiment intime et honteux qui fait que l’on éprouve une certaine satisfaction aux malheurs de nos amis. Ce mal défini comme l’ennemi secret [61] prend possession de nous bien avant que nous n’en prenions conscience.

12Tentateur enfin, le mal est partout, et Schelling, reprenant la formule de Pierre 5,8, le compare à un « lion affamé [62] », qui erre sans fin à la recherche d’une victime à « dévorer dans son désir éternel [63] », jamais rassasié. Il assiège littéralement la volonté de l’homme afin d’y trouver refuge dans les tourments et la tristesse de l’âme. Pour lui faire face, et dénouer ses machinations, Schelling reprend la formule de Paul (Éphésiens 6,11) selon laquelle il faudrait littéralement revêtir l’armure de Dieu [64]. Schelling écrit même que ce serait faire preuve d’une « fausse philanthropie » que de douter de l’existence d’un tel esprit prenant plaisir au mal [65]. Le vrai bien du genre humain diffère en effet d’un prétendu bonheur de l’état présent. Pour Schelling, ce vrai bien, c’est le temps du combat [66]. Car « l’esprit tentateur [67] » a besoin de l’homme pour se manifester. En effet, agité d’une insatisfaction permanente, il ne trouve de repos que dans le désordre qu’il introduit dans la volonté humaine. Schelling cite Matthieu (12,43) : « Quand l’esprit impur sort de l’homme, il parcourt les lieux arides, pour trouver le repos, et il ne trouve pas, et là-dessus il dit : je veux retourner dans la demeure dont je suis parti [68]. »

13Reste à l’homme à trouver la force d’affronter cet esprit impur. Ce n’est ni une tâche ni un combat faciles, car cet esprit impur agit sur nous telle une maladie [69], avec une faim de concrétisation dévorante. En effet, le mal a certes été rendu inopérant en Dieu, mais son ombre plane sur nous et ne cherche qu’à être activée. Schelling utilise souvent cette métaphore de la maladie [70].

14Celle-ci ne saurait en effet s’expliquer uniquement en termes de pathologie humorale [71]. Il y a aussi en elle quelque chose d’obscur, une puissance spirituelle à l’œuvre. Dans la maladie « cosmique [72] », c’est le même mécanisme : une puissance rageuse réactivée par nous-mêmes fait surface et cherche à prendre le pouvoir aux dépens de l’état actuel des choses. Le mal s’abat alors sur nous comme la manifestation douloureuse et scandaleuse d’une réalité qui ne devrait pas être, mais qui pourtant est : « […] la nature même de Satan est l’ambivalence. […] En fait, c’est son essence même que de dépasser les limites propres de sa nature et de passer à partir de son être-possible dans un être-actuel. Mais cette actualité est celle d’un être qui ne devrait pas être et pourtant est. En fait, il est le ne-devant-pas-être par excellence… [73] »

15L’homme s’est donc séparé de son bon ange [74] en ranimant le mal. Il a ex-posé hors de lui-même ce qu’il devait être pour devenir ce qu’il n’aurait pas dû. Ce drame contient néanmoins une possibilité, précisément cette « énergie de renversement [75] », qui contraste avec la sérénité tranquille du bien. Les anges bons sont en effet sans volonté. Il semble qu’il vaille mieux être mauvais, mais doté d’une volonté libre de choisir, plutôt que nécessairement et toujours déjà bon, mais dans une nécessité absolue. Schelling cite Haller en le modifiant légèrement : « Un monde de défauts est meilleur qu’une armée d’anges sans volonté [76]. »

16Une première conclusion s’impose après ces explorations : celle, pour Schelling, de la réalité du principe du mal[77]. C’est un principe absolument nécessaire à l’accomplissement de la vérité de la création. Il divise et désunit pour laisser advenir l’union, il laisse tout le possible arriver car sans lutte il n’y a pas de vie. C’est pourquoi il n’est pas banni mais toléré par Dieu [78] : « […] par un raffinement impénétrable à la raison vulgaire, Dieu a voulu que Satan fût ménagé. Christ ne demande qu’à l’exterminer, mais il faut que la conscience vide jusqu’à la lie le calice d’amertume et de tribulation [79]. »

17On perçoit donc en Satan l’effectivité d’un double principe : le contradicteur et l’adversaire. Contradicteur perpétuel [80], il est à la fois ce qui divise et un principe admis par l’économie divine. Adversaire immédiat [81], il est l’ennemi direct du Christ et l’auteur du mal. Seul le Christ est capable de briser [82] in fine cette effectivité. Et si le Fils de Dieu n’avait pas pu lui-même résister à la tentation, c’est l’ensemble de notre monde qui aurait été inversé et surtout opposé à Dieu : « Pour être le tentateur de l’homme, Satan n’en est pas moins le risque de dieu[83]. Le péché s’efforce, dit Schelling, de briser le Verbe. Satan affronte directement le Christ [84]. » On saisit davantage l’impact de Satan qui, rappelons-le, est chez Schelling un principe et non une créature, mais pas n’importe quel type de principe : un principe non individuel, une volonté animée uniquement par l’homme. Il ne saurait en effet être un principe originel au même titre que le bien, au risque de tomber dans le dualisme que Schelling refuse [85]. « Il a la dignité d’un principe, à condition que l’on n’entende pas – afin d’obvier au dualisme – un principe originellement et éternellement mauvais, avant et hormis la création [86]. »

18Il nous faut à présent analyser le contre-pouvoir que Dieu oppose à Satan, et surtout la raison de son voilement volontaire. En effet, derrière le Satan tentateur et le Satan nécessaire, il y a Dieu, qui décide de se voiler afin que tout le possible arrive et que l’indécis se décide [87]. Dans ce combat contre le négatif, il existerait une ironie divine qui trompe tout le monde, y compris Satan. Quel est le nerf de ce raisonnement ?

2 – L’ironie de Dieu

19

[…] rien n’empêche que Dieu, dans la mesure où il est de par sa nature l’essence (l’étant en soi) et par conséquent aussi le pouvoir-être celé en elle, ne soit à l’inverse, de par sa pure volonté, l’étant hors de soi […] selon une très ancienne doctrine, c’est toujours à la faveur du contraire figure im3 que Dieu accomplit ses desseins [88].

20L’énigme de la révélation divine résulte de la façon indirecte selon laquelle Dieu se révèle à nous. Si ses voies étaient aisément pénétrables, on ne se laisserait pas piéger aussi facilement par l’attrait du principe négatif. Face à la visibilité écrasante du mal dans ce monde, l’éclat du divin fait en quelque sorte pâle figure. Les mystères de ses actes [89] nous rendent Dieu incompréhensible, au point de nous interroger sur sa présence ou son existence réelle. Pour contrer le vide de l’explication par l’absurdité de la Providence, ou la tentation de la mort de Dieu, il faut postuler un mode de donation divine qui repose sur l’absence ou la présence voilées. Mais comment alors le voilé peut-il se dévoiler ? Paul a souligné l’ambiguïté du rapport de Dieu à l’homme dans la première épître aux Corinthiens : « C’est que la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu plus forte que les hommes [90]. » Cette formule est évidemment connue de Schelling [91], et Hatem va jusqu’à penser la Philosophie de la révélation comme un commentaire de cet énigmatique propos paulinien [92]. Or, « il n’est pas donné à chacun de comprendre la profonde ironie de toute manière divine d’agir [93]… »

21En se voilant Dieu trompe tout le monde, y compris Satan, qui n’a pas reconnu ses mystères [94]. Il en va de même pour les mauvais anges qui ont pactisé avec l’ennemi et seront punis au jugement éternel. Le sort de l’homme n’est guère différent, et lui aussi est trompé sur les intentions divines, car la raison se fourvoie dans ses tentatives de compréhension. « La raison incline à adorer un Dieu inconnu, mais elle reste fort éloignée de le connaître. Elle ne veut pas le connaître et, ce qui est plus étonnant encore, une fois qu’elle l’a reconnu, elle cesse de l’adorer. C’est là le motif pour lequel Dieu ne se dévoile que tardivement et lentement ; il sait que dès qu’il veut se révéler aux hommes et s’en faire connaître, cette connaissance sera pour eux une pierre d’achoppement, un scandale [95]. » Un paradoxe en découle qu’il faut souligner : là où l’homme ment sur ce qu’il cherche à cacher, Dieu semble au contraire voiler ce qu’il cherche à révéler. On retrouve ce voilement dans de nombreux passages de l’Évangile [96], ironie d’un bien éternellement caché sous le vice, du salut sous la perdition, de la justice sous le péché. À tel point qu’on en arrive à des conclusions surprenantes, qui semblent contraires à toute logique. « Se souhaiter des biens teintés de l’amour de soi (biens du monde, mais également biens célestes, désirs par amour de soi), c’est donc là ironiquement se promettre le mal. Inversement, les biens que nous devons assumer, ce sont les maux [97]. »

22Selon Hatem, Luther, dont l’œuvre, connue de Schelling, est parsemée d’allusions à Satan, a fait de l’ironie un « parfait chiasme moral » en montrant la révélation de Dieu sous le masque du Diable, et du Diable sous le masque de Dieu [98]. Le Diable aussi use de l’ironie, mais pour tromper et non pour montrer quelque chose de voilé. Si Dieu et Satan ont donc une visée similaire, l’homme, les moyens dont ils usent sont radicalement différents. La conquête ou la possession de l’âme humaine sont des mots qui appartiennent uniquement au vocabulaire du Diable. Dieu n’en use pas car il n’en a pas besoin : il n’a pas besoin qu’on l’adore car il est amour et compassion [99]. Il est liberté originelle, ce qui l’empêche précisément d’être violence contre la liberté de l’homme. « Certes, il y a le vocabulaire des milices célestes, il y a les deux étendards de saint Ignace de Loyola, il y a les mystères médiévaux ou baroques, il y a eu Job, mais ce sont des figures que le monde a imposées, en rigueur Dieu ne peut agir contre la liberté de l’homme, car cette liberté vient de lui[100]. » Cette formule conduit à penser qu’aucune de nos actions n’est neutre, que chaque acte posé est un acte en vue de ou contre notre propre salut. Le Diable est partout, jusque dans les moindres détails, et il nous appartient d’avoir le discernement suffisant pour distinguer quand on a affaire au masque de Dieu ou au masque du Diable.

23Schelling reprend cette idée d’ironie divine [101] et l’analyse d’un point de vue philosophique. La révélation divine par le contraire, c’est même le mode privilégié de Dieu pour exprimer ses desseins. Il est nécessaire à Dieu non de se cacher mais de se montrer caché. Schelling assimile cette ironie divine à un éveil, pour celui qui prend conscience des mystères divins. Ainsi, la liberté divine peut vouloir le contraire de ce qu’on lui demande. Si les voies empruntées par le Seigneur étaient limpides, il n’y aurait aucune difficulté à les suivre. « Tout ce qui va à l’encontre de Dieu dans le cours du monde, tout ce qui lui fait obstacle est considéré comme une divine mise à l’épreuve par celui qui est soumis à Dieu – car comment le sérieux d’une décision, la fermeté d’une volonté soumise à Dieu peuvent-ils être éprouvés autrement que si ce qui arrive est précisément le contraire de tout ce que cette dernière a reconnu comme la volonté divine ? Il n’y aurait pour ainsi dire aucun art à marcher dans les voies de Dieu, c’est-à-dire à agir dans le sens du mouvement divin, si ce qui arrive dans le monde lui était toujours conforme. Ce concept d’une mise à l’épreuve divine présuppose donc lui aussi la liberté de Dieu de faire apparemment quelque chose qu’en fait il ne veut pas [102] ».

24Dans un cours de 1830, Schelling précise que Dieu se manifeste différemment selon qu’il apparaît au pervers ou au juste. « À celui qui prend tout de travers, Dieu ne manquera pas d’apparaître de travers [103]. » Au pervers, il oppose la colère [104] et se révèle selon des voies détournées. Au juste, il se manifeste certes également de travers, mais cette fois pour éprouver la foi du juste et l’épurer en vue de l’amour véritable, de l’attachement sincère, comme dans l’exemple de Job [105]. Si le scandale du mal semble beaucoup plus choquant quand il touche les hommes justes, il n’est que dans l’apparence. L’épreuve du juste n’est en effet qu’un renforcement salutaire de sa foi, et par elle une confirmation, alors qu’au pervers Dieu manifeste sa colère en apparaissant par des voies inversées. En outre, les intentions ultimes de Dieu échappent par nature à notre jugement fini et « il faut prendre de l’altitude afin d’embrasser le panorama d’un point de vue supra-humain, ou à défaut, d’en supposer l’existence et l’observateur [106]. » Il va de soi que si nous tentons de nous élever jusqu’à l’Absolu même, l’entreprise est désespérée.

25Chez Schelling, il y a une double justification de cette révélation masquée. D’abord, si Dieu se révélait de manière immédiate nous serions anéantis par le feu dévorant du Principe [107]. Ce dernier n’est en effet accessible qu’au cœur pur [108]. Notre volonté, stimulée par le désir égoïste du fond (Grund), nous pousse à nous éloigner de ce centre qu’est le feu dévorant. Ce faisant, nous nous exposons au voile de tristesse de la volonté humaine, qui survient quand nous prenons conscience de notre finitude indépassable [109]. Ensuite, la donation de Dieu doit être oblique, car l’Absolu ne saurait s’appréhender directement [110] ; en effet, une révélation sans contraction (sans voilement) réduirait Dieu à un simple être [111] (Wesen) alors qu’il est et doit en demeurer le Seigneur (Herr des Seins) [112], à ne pas confondre avec Satan l’usurpateur. « Sans aucun doute, cette plus haute créature du monde des esprits, qui, comme l’homme du côté de la nature, était destinée de l’autre côté à être Seigneur du monde, voulut être le Seigneur de ce monde sans Dieu et de sa propre autorité, et ainsi elle fut déchue [113]. »

26Le concept de contraction-expansion de Dieu est donc un concept développé par Schelling à de nombreuses reprises, dans sa philosophie intermédiaire (Recherches, Conférences de Stuttgart) mais surtout dans sa dernière philosophie (Âges du monde et Philosophie de la révélation). Cette donation voilée renvoie aux sources mystiques et théosophiques de l’idéalisme allemand, que Schelling connaissait plus ou moins bien [114]. Nous pensons notamment au concept de tsimtsum dans la mystique juive du dernier courant de la kabbale (dont le principal interprète est Isaac Luria) ou encore à Jacob Boehme, dont le mythe renversé de la Création a inspiré assez largement Schelling. En ce qui concerne le tsimtsum, le mot exprime la retraite, le repli sur soi, plus originellement la contraction. D’après la théorie du tsimtsum[115], Dieu, seul être hors du chaos primordial, aurait décidé de se retirer en lui-même, pour faire place à un monde à venir, mais ce faisant, des faisceaux de lumière divine auraient subsisté et permettraient son retour. Or ce retour n’est possible que par l’intervention de l’homme, auquel la kabbale assigne un rôle central. Le travail de l’homme consisterait en effet – nous résumons ici une théorie très complexe – à écarter les forces du mal afin de faire rejaillir toutes les étincelles de lumière enfouies dans le monde. Pour ce qui est de l’influence boehmienne, si elle est manifeste [116] dans les Recherches et dans les Âges du monde, elle apparaît déjà antérieurement dans les Aphorismes par exemple (1807). La théorie boehmienne de la tristesse de la vie sur terre par contraste avec la puissance et la joie dans les ténèbres est précisément « le développement d’une dialectique du mal que le théosophe pousse jusqu’à la différenciation de Satan, principe incréé et Lucifer, créature, en anticipant ainsi sur les considérations schellingiennes transformant le Malin en tentateur [117]. »

27Ce qu’il importe de retenir, c’est que le double processus d’abaissement et de contractio est directement lié chez Schelling à la création et en particulier au devenir-homme comme médiateur [118] essentiel de la révélation divine. Cela explique le rôle central de l’homme dans les Recherches mais également dans tout Schelling. La liberté de l’homme, capable du mal, constitue le drame de l’Absolu. En effet, Dieu aurait pu ne pas créer le monde ; en tant que liberté originaire, il a pris une décision ex-nihilo, rien ne l’a précédée. Le nœud du problème se situe donc au niveau de l’intention secrète de Dieu : pourquoi a-t-il voulu la création, quels sont ses desseins cachés, et surtout comment expliquer qu’il ait pris le risque fou de tout miser sur la liberté humaine pour lui permettre de se révéler ? Dieu se révèle en effet à travers ce qui, en lui, n’est pas lui-même ; cela ne saurait impliquer que Dieu ait voulu le mal, c’est exactement l’inverse selon Schelling. « Qui prétendrait donc que c’est Dieu lui-même qui a voulu le mal devrait chercher la justification de cette affirmation dans l’acte de l’auto-révélation comme création, de même que l’on a souvent cru par ailleurs que celui qui a voulu le monde a dû vouloir aussi le mal. Mais Dieu, en ordonnant les fruits désordonnés du chaos, et en proférant son éternelle unité jusque dans la nature, a bien plutôt contrecarré les effets des ténèbres et opposé le Verbe, comme centre fixe et éternel flambeau, aux mouvements sans règle du principe privé d’entendement [119]. » Mais pourquoi faut-il précisément que l’homme tombe dans le péché pour en prendre conscience ? « Dans ces accusations, on oublie d’abord que la liberté de l’homme, même si elle peut avoir des conséquences désastreuses […] peut être aussi de la plus féconde productivité[120] et que, en tout cas, mieux vaut le mal libre que le bien imposé et le risque de la révolte que l’obéissance soumise, et que même le mal le plus monstrueux et répugnant présente toujours, avec la liberté qui lui est essentielle, ne serait-ce qu’une minuscule ouverture […] non moins que l’incitation et la promesse d’un possible et surprenant retournement [121]… »

28La conséquence de ce mode de révélation divine, qui passe par le contraire et l’ironie, est qu’il faut postuler une phase irrationnelle en Dieu lui-même. Ou plus exactement en le fond de Dieu lui-même, puisque le mal comme tel, s’il s’origine en Dieu, n’est pas créé par lui (mais par la chute de l’homme) ; il est ce qui, en Dieu, n’est pas Dieu [122]. Le fond présente un double aspect : il est à la fois expansion, au sens où il est désir de révélation et d’entendement d’une part, et d’autre part rétraction ou contraction, retour vers lui-même, au sens où il est le fondement égoïste de Dieu qui cherche à imposer son monstrueux appétit de pouvoir. L’amour et l’égoïsme sont tous deux contenus en Dieu, ce dernier ayant choisi de faire triompher l’amour sur l’égoïsme et ce faisant de surmonter le chaos primordial.

29Une trace d’égoïsme, une phase irrationnelle, une ombre obscure, autant de caractéristiques de l’esprit du mal dont la présence en Dieu comme en l’homme justifient respectivement sa possibilité et sa réalité. Entre l’une et l’autre (la possibilité et la réalité) néanmoins, une différence accablante fait de l’homme un être à part. Son point commun avec Dieu, la liberté, est également son plus grand point de rupture. Cependant Dieu a besoin de l’homme pour se révéler et faire triompher le bien sur le mal. Cela ne se peut que grâce à l’abaissement de la divinité elle-même [123], et cela ne se fait que grâce à l’homme-dieu, dont la figure du Christ incarne la lutte finale contre l’esprit du mal [124]. Au regard du sacrifice du Christ mort pour sauver l’humanité, l’homme est devenu précisément le médiateur de la Nouvelle Alliance[125], car c’est par la kénose de Dieu que les deux libertés, humaine et divine, se sont rejointes dans un devenir-homme. « Il me paraît remarquable que l’homme ne soit pas guéri par la Passion du Dieu incarné, mais médiatement par l’Incarnation qui conjoint les deux volontés divine et humaine, harmonieusement et parfaitement, et par là théocentre la volonté humaine et universalise l’homme [126]. »

30L’ironie divine la plus cinglante ne consiste-t-elle pas cependant dans le fait de confier à Satan, l’ennemi intime, le rôle essentiel de révélateur, en la créature, du bien enfoui sous le mal qui habite en chacun de nous ? Ne pourrait-on pas se demander si le grand manipulateur n’est pas, non pas Satan, mais Dieu lui-même, qui ne se manifeste que par des voies détournées ? Schelling admet une volonté divine ambiguë qui veut et cherche la crise et le mal, afin de faire ressortir le bien voulu comme unique réalité [127]. De là découle l’idée d’une positivité de Satan, dont l’existence nécessaire concorde avec un équilibre choisi par l’Absolu lui-même. « Satan se réjouit du mal ou plus exactement du fait que le mal se révèle […] Cette fonction lui est enjointe par Dieu pour qu’il provoque une crise voulue par Dieu lui-même [128]. »

31Mais cette alliance de Dieu avec Satan, bien que destinée à révéler en nous le meilleur sous le pire, présente malgré tout un aspect effrayant, parce que si en Dieu le mal ne peut jamais devenir effectif, confiné on le sait à l’état de possibilité à jamais étouffée, en l’homme la lutte est risquée, tant la réalité du mal en lui semble le perdre plutôt que le sauver. « On a l’impression que le mal peut encore constituer un danger, non certes de la part de Dieu […] mais de la part de quelqu’un d’autre, qui, en survenant, sait trouver dans le mal gisant, oublié et endormi dans la profondeur divine, l’inspiration et la suggestion pour une néfaste réactivation et une réalisation désastreuse [129]. » La seule façon de contrer la réactivation désastreuse est l’avènement de l’homme-dieu, incarné par le Christ, dont le combat pour le bien cristallise la victoire finale de l’Amour sur l’égoïsme. Mais avant ce stade ultime, on peut affirmer à présent que Dieu a voulu Satan comme maillon essentiel et nécessaire à sa révélation. Il est le moyen par lequel tout le possible doit arriver.

3 – La nécessité de Satan

32L’esprit tentateur du mal a un lien direct avec la faute originelle qui pèse sur l’homme, qu’il a corrompu par la séduction et le mensonge [130] ; il a un lien direct avec la nécessité du mal. Car l’homme n’est pas seulement coupable, ou simple coupable, il doit pécher afin de faire triompher le bien, et bien plus, afin de faire se révéler Dieu. On retrouve chez Schelling cette idée d’un Dieu qui a laissé le mal advenir, qui a éprouvé la créature afin de permettre au bien de triompher [131], et c’est la chute de l’homme qui permet à Dieu de se révéler, par la kénose, c’est-à-dire l’incarnation divine en un dieuhomme souffrant. L’épreuve de la kénose est donc fondamentale, car en elle le devenir-homme de l’Absolu n’utilise pas la nature humaine comme un simple moyen, mais comme une fin suprême à travers la véritable conversion de l’Infini dans le fini opérée par le Christ. La conséquence en est que Schelling fait de ce devenir-homme la condition ultime de la restauration de l’unité divine [132]. Ici réapparaît le rôle essentiel du principe du mal, censé éprouver non seulement l’homme en général mais également l’homme-dieu, pour permettre l’avènement du principe positif dépouillé de toute trace obscure. « C’est pourquoi Dieu a voulu Satan. […] il hâte la séparation, la ‘krisis’ du juste et de l’injuste ; il purge le bien de la malveillance qui l’empoisonne. Sans être méchant lui-même, il tente la créature, pressentant le mal et le provoquant ; il éprouve même Jésus, car Dieu veut que tout soit vérifié. Comme la Némésis d’Aristote, Satan est un génie ombrageux, jaloux du bonheur immérité [133]. »

33La réactivation en l’homme du principe du mal est donc aussi la promesse d’une origine transcendante qui a rendu cette réactivation possible, et chez Schelling cette réalité du principe mauvais renvoie à sa possibilité en Dieu et permet surtout à l’Absolu de souffrir [134] pour la créature et de vouloir l’aider. Ainsi le médiateur divin, le Christ éprouvé par les forces du mal, ne cèdera pas aux appels de Satan, car il s’est incarné précisément pour sauver les hommes de ce pouvoir maléfique, jusqu’à sacrifier sa propre vie. On ne saurait dès lors sous-estimer dans la philosophie schellingienne le rôle central de l’homme au sein de la création : sa liberté est à la fois un signe divin et un poids humain à cause du choix qu’elle impose entre le bien et le mal. Ce choix influe en effet sur l’histoire entière. La réactivation par l’homme de ce qui n’est qu’une ombre en Dieu, le mal, a en effet entraîné la naissance de l’histoire, du temps, et de la finitude tragique qui les accompagne. Mais en même temps elle souligne le lien de l’homme au divin, car l’histoire ordinaire n’est chez Schelling que la manifestation d’une histoire plus haute (divine) qui l’a précédée, et qui renvoie à l’Absolu. Le drame de l’Absolu [135] qui a choisi de sortir de soi et d’engendrer la créature est précisément aussi un signe de son amour envers ce qui s’est détaché de lui. « L’Absolu et l’engendré peuvent bien vivre l’un sans l’autre, car il n’y aurait pas sinon d’autonomie de la progéniture, et ne peuvent pourtant être l’un sans l’autre, car des opposés ont besoin de leur liaison pour être [136]. »

34Le point important de toute cette réflexion, c’est que si l’activation du mal pèse sur les épaules de l’homme, c’est en même temps parce que l’homme a ébranlé le fondement de la création, que l’histoire est née, que le devenir [137] est advenu, mais aussi l’action et le dépassement. C’est grâce à cet « archi-événement [138] » aussi que l’Absolu est sorti de sa léthargie initiale, et qu’il a dû se manifester. On le voit une fois encore, le principe du mal n’a pas seulement un rôle négatif, il a surtout un rôle positif de révélateur, il est le principe qui éveille la lutte, il fait naître en nous le pire mais aussi le meilleur, car c’est grâce à la faute que l’homme va se rendre compte de sa liberté et de la confiance de Dieu, qui « […] fait si grand cas de la liberté de la créature qu’il fait dépendre le destin de toute son œuvre de la volonté libre de la créature [139]. » La chute permet en effet la renaissance, et l’histoire humaine est la promesse d’une histoire plus haute. Ce lien de l’Absolu à la créature est extrêmement risqué, parce qu’avec lui c’est l’inversion complète des rapports entre l’infini et le fini qu’il laisse supposer. Et si l’histoire supérieure reste la plus haute, il semble bien que celle-ci dépende in fine de l’histoire humaine, par le biais de cette liberté humaine dont les choix vont conditionner le sort de l’Absolu lui-même. Il n’est pas besoin d’insister sur l’audace [140] schellingienne dans ce passage de l’Absolu à l’homme. L’originalité de Schelling tient donc à cette dramaturgie de l’Absolu, qui appelle l’incarnation complète de l’homme-dieu, mais de façon telle que « […] l’infini est devenu complètement fini sans préjudice pour son infinité [141]. »

35Dès lors, la kénose du Verbe repose sur un pari fou de la divinité, qui décide de tout miser sur la liberté humaine, plaçant entre ses mains le sort de la création toute entière. « Schelling veut repenser à nouveaux frais la logique de l’Incarnation et il la conçoit à partir d’une solidarité étroite avec l’abaissement [142] du Fils de Dieu, le dépouillement de sa condition divine, bref, la kénose[143]. »

36Le risque inhérent à cette exposition divine, c’est le dévoilement de sa vulnérabilité, mais aussi de l’avenir incertain de l’Absolu lui-même, dont le règne définitif et la victoire sur le mal ne sont pas assurés. En effet, comme le souligne Vetö, l’incarnation de l’Absolu dans la chair signifie certes une exaltation de l’homme, mais elle signifie également une consécration de l’abaissement de Dieu. « L’Incarnation est l’accomplissement de l’Amour de Dieu qui veut racheter et renouveler la Création, et la logique de l’Amour, c’est le sacrifice, la renonciation [144]. » L’histoire reste donc ouverte. Le combat contre Satan continue et se joue à travers chaque acte individuel. De fait, « l’un des sens de la positivité est en effet le risque, le danger, l’imprévu inséparable de toute véritable expérience dans laquelle il s’agit toujours de sortir de soi-même pour affronter ce dont on ne saurait avec toute certitude prévoir l’issue [145]. » Schelling laisse donc une place à l’événement, au surgissement d’un acte qui ferait basculer le destin de l’histoire. Cependant, il ne s’y intéresse qu’au regard et dans la perspective d’une histoire supérieure, une histoire supra-historique qui contraste avec l’histoire de notre monde dont Satan (et non la perfection) est le centre. Schelling comme Hölderlin pense plutôt que « l’État dont l’homme a voulu faire son ciel s’est toujours transformé en enfer [146]. » Une fois de plus, l’agir de l’homme en ce monde conditionne sa responsabilité au regard d’une histoire supérieure, inséparable d’une lutte nécessaire contre Satan dont la positivité doit servir à son propre dépassement, afin de permettre au voilé de se dévoiler. « Durant le temps du Christ et de la première communauté chrétienne l’histoire salutaire perce à travers l’histoire profane et l’inonde à flots. […] Ensuite commence le cours du christianisme, attentif à garder la mémoire qui fait son intériorité, tandis que Satan, vrai principe dynamique de l’histoire, s’affaire à dégorger toutes les possibilités, à dégager toutes les issues [147]. »

37Schelling ne manque pas de mots pour sublimer l’image de Satan, déjà évocatrice dans les Écritures. Il est la natura anceps, un principe de l’économie divine, celui qui accomplit la cause de Dieu, un grand pouvoir, nécessaire à la glorification de Dieu [148]. Toujours, on devine davantage une défense de ce principe du mal chez Schelling qu’une dénonciation, la volonté d’une réhabilitation du pouvoir positif du mal comme maillon nécessaire à la révélation de Dieu. « Inlassablement, en oscillant des rappels mythologiques aux commentaires scripturaires, Schelling s’efforce de justifier sa conception positive de Satan. Il intègre par une espèce d’enveloppement la signification subjective, la relation à l’homme, où le diable est le père du mensonge, le trompeur depuis le commencement, par la signification objective, où il est une pièce capitale sur l’échiquier de Dieu[149]. » Avant la chute, dans le chaos originaire primordial, il n’y avait que des possibilités. Après la chute et avec la création, les possibilités se sont dispersées et celles du mal se sont répandues comme autant de produits de Satan. Une fois activées sous l’impulsion du principe de révolte, ces possibilités vont devenir ce qui est mais ne devrait pas être, alors que ce qui devrait être est devenu par voie de conséquence une simple possibilité. Pour Schelling, Dieu est précisément celui qui va redonner le sens originaire aux possibilités et pousser les puissances du mal à être détruites, grâce au Fils et à la kénose. C’est ici que nous comprenons bien en quoi Satan représente un moment capital dans l’avènement du règne de Dieu [150], car ce travail d’expiation n’est pas possible sans l’aide de Satan, de sorte que « Dieu veut, c’est-à-dire accepte, le mal en vue du bien. Le pire toujours sûr est le chemin du meilleur [151]. » Dès lors, bien que tentateur, Satan n’est pas mauvais en soi. Il n’est pas le méchant de nos représentations fantasmées, mais celui qui pressent le mal et le révèle. Schelling lui a conféré une signification philosophique non négligeable. Agitateur perpétuel, tentateur du mal toujours en mouvement, toujours en quête jamais assouvie d’une volonté, il contient un pouvoir essentiel : celui de jouer ou de rejouer la vie, de la mettre en branle, au point qu’un monde sans ce principe serait un monde vide. Satan ou le principe du mal est le « principium movens de toute histoire [152] ».

38Pour conclure, le mérite de Schelling est d’avoir mis en évidence la nature multiple et complexe de Satan : tentateur, adversaire, mais aussi et surtout allié, dans le sens où il participe à l’économie divine elle-même en vue de l’avènement du seul bien. Schelling a ainsi modifié l’image naïve de Satan en évitant d’en faire une simple « créature » déchue [153], pâle figure de l’arrogance qui ne pèse pas lourd et est incompatible avec la figure extra-créaturelle de son adversaire, le Christ. Schelling a donc rendu à Satan une majesté [154] certaine, en en faisant un principe hautement spirituel. Toutefois, le risque inhérent d’une telle position est de rendre Satan plus sublime que Dieu lui-même, et de se laisser attirer (tenter !) par le principe négatif au lieu de le dénoncer et de le combattre. C’est ce contre quoi Tilliette met pertinemment en garde, à cause de la réelle fascination que le mal exerce sur nous : « Le mal n’est tel que par son opacité absolue, ce qui renvoie, pour l’auteur et l’instigateur du mal, aussi à une liberté personnelle, à une Gesinnung. En voulant exalter la puissance des Ténèbres, Schelling l’a innocentée. On attendait Lucifer, et on rencontre Méphisto [155]. » Paradoxalement donc, face à l’ombre obscure de Dieu, Satan garde plus que jamais sa part de lumière.

39Bien après Schelling, Karl Barth [156] développera cette intuition schellingienne de l’aspect démoniaque de la divinité, en faisant du Diable la main gauche de Dieu, le néant qui relève également de Dieu, comme expression de sa colère. Le risque, une fois de plus, de cette reconnaissance du principe du mal en Dieu, c’est son exaltation implicite qui menace de nous faire retomber dans la forme la plus dure de Schwärmerei que Kant dénonçait comme une folie mystique. Il semblerait finalement que la sagesse suprême, pour ne pas laisser Satan gagner, consiste à lui faire perdre son pari en aimant Dieu inconditionnellement, ce que Ricœur n’a pas manqué de souligner, se référant à la piété de Job : « Pareille sagesse est peut-être esquissée à la fin du Livre de Job, quand il est dit que Job est arrivé à aimer Dieu pour rien, faisant ainsi perdre à Satan son pari initial. Aimer Dieu pour rien, c’est sortir complètement du cycle de la rétribution, dont la lamentation reste encore captive tant que la victime se plaint de l’injustice de son sort [157]. »

40L’esprit du mal nous confronte en effet à notre ennemi le plus intime : un mal radical que l’on sait et que l’on sent présent au plus profond de notre cœur, et qui doit inciter à se battre, parce que la Lumière vient des Ténèbres et pas l’inverse. C’est Satan qui fait connaître le Dieu caché.


Mots-clés éditeurs : mal, Satan, nécessité, positivité, tentateur

Date de mise en ligne : 16/02/2012.

https://doi.org/10.3917/aphi.751.0087

Notes

  • [1]
    Selon Zacharie 3,2.
  • [2]
    Selon un mythe du Moyen Âge, la chute des anges rebelles serait due à Lucifer, qui aurait comploté contre Dieu. A l’origine, Lucifer renvoie à la mythologie grecque, son nom signifie en effet littéralement « le porteur de lumière » (Lux-fero) et désigne un dieu de lumière. Dans la Bible, et plus précisément dans le livre d’Isaïe, le porteur de lumière se rapporte au roi de Babylone, dont l’orgueil était tel qu’il cherchait à rivaliser avec Dieu lui-même. Ensuite, dans la tradition chrétienne, Lucifer sera assimilé à l’arrogant Archange qui voulu renverser Dieu avec l’aide de quelques anges rebelles, qui chuteront avec lui. Dans la Bible le nom de Lucifer n’apparaît pas comme tel, il apparaît sous le nom de Satan. Dans l’Apocalypse, il sera enfin le « grand Dragon » ou encore le « serpent ancien ». Pour plus de détails sur la chute des anges et le mythe du Moyen Âge, voir le Lexikon des Mittelalters, Deutscher Taschenbuch Verlag, München, 2002, p. 1905-1914.
  • [3]
    Voir notamment Isaïe 14,3-20 ; Matthieu 25,41 ; Pierre 2,4 ; Jude 6 ; Apocalypse 12,7-9.
  • [4]
    Schelling reprend la légende de la mort du grand Pan en citant De defectu oraculum (chapitre 17) de Plutarque, qui raconte l’histoire du pilote de navire Thamus qui, à l’approche des îles des deux Paxes, entendit une voix lui criant d’annoncer la mort du grand Pan. Schelling rappelle qu’on a assimilé la mort du Christ elle-même à la mort du grand Pan, survenue à l’époque de Tibère. De fait, la mort de Pan marque la fin du paganisme et du « principe aveugle, cosmique ». La mort d’un Christ qui signe la suppression des puissances extra-cosmiques est généralement admise en effet comme fin du paganisme, voir SW, XIV, 239-240 ; Leçon xxxiii de la Philosophie de la révélation, tome III, traduction du GDR Schellingiana sous la direction de J.-F. Marquet et J.-F. Courtine, Paris, PUF, 1994, p. 258-259. Pour les références à Schelling, nous renverrons d’abord à la version originale allemande, en nous référant à l’édition Cotta des œuvres complètes : Sämtliche Werke, 14 volumes, édition K.F.A. von Schelling, Stuttgart, 1855-1861 [SW] ; ensuite, nous citerons la traduction française.
  • [5]
    Le Maître et Marguerite, trad. C. Ligny, Paris, Pocket, 2003.
  • [6]
    Jean 12,31-32.
  • [7]
    Schelling y fait allusion dans la Philosophie de la révélation, voir SW, XIV, 245 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 264.
  • [8]
    X. Tilliette, Schelling, une philosophie en devenir, vol. II, Paris, Vrin, 1970, p. 477.
  • [9]
    Il est tout à la fois orgueilleux, féroce, cruel, meurtrier, méchant, puissant, malicieux, rusé, trompeur, menteur et Prince de ce monde. Son œuvre s’oppose à Dieu, afflige les hommes, pervertit les Écritures, cherche la destruction, fait obstacle à l’Évangile. Il veut en outre qu’on l’adore, il est l’auteur des tentations, de nos chutes, de faux miracles. On voit, à travers cette énumération, toute l’étendue de pouvoir et de malignité du Diable. Voir Isaïe 14,12-15 ; Job 1,9 ; Luc 4,10-11 ; 8,29 ; 13,11-16 ; Jean 8,44 ; Éphésiens 6,12-16 ; 2 Corinthiens 2,11-14 ; 11,3 ; Hébreux 2,14 ; Marc 3,11 ; 4,15 ; Matthieu 4,9 ; 8,29 ; 25,41 ; 2 Thessaloniciens 2,9 ; 2 Pierre 2,4 ; Jude 6 ; Apocalypse 12,7-9.
  • [10]
    SW, XIV, 260 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiv, p. 279.
  • [11]
    Du moins pas explicitement. De fait, Schelling y fait une allusion au Diable, pour montrer que, loin d’être lié à une simple imperfection, le mal est au contraire beaucoup plus proche d’une perfection : « Le Diable, dans la conception chrétienne, n’était pas la créature la plus limitée, mais plutôt la plus illimitée. », voir Recherches Philosophiques sur l’essence de la liberté humaine in Œuvres métaphysiques, trad. J.-F. Courtine et É. Martineau, Paris, Gallimard, 1980, p. 154 ; SW, VII, 369 [dorénavant Recherches].
  • [12]
    Il faut cependant noter la présence, dans la Philosophie de la révélation, d’une problématique du mal en général similaire à celle développée par Schelling dans les Recherches : un fond sous-jacent du mal qui ne devient actif que par la volonté, comme le souligne justement Tilliette : « La ‘satanologie’ offre la contrepartie, la face d’ombre, de la Philosophie de la Révélation. Schelling y retrouve le problème du mal des Recherches sur la liberté humaine et, si l’on en excepte la bonté intangible de la création première et par conséquent l’absolue immunité de Dieu, les représentations d’autrefois se perpétuent : le mal ne devient le mal que par la volonté qui l’ « excite » ; une fois activé, ce principe d’inquiétude et de trouble exerce une fonction providentielle et contribue au gouvernement divin du monde. » in Schelling, une philosophie en devenir, op. cit., p. 477.
  • [13]
    Les avis sont en effet partagés. Miklos Vetö parle d’un certain mépris de Schelling pour tout ce qui touchait à Satan, d’où son rejet du Liebhaberei de Baader, dans lequel ce dernier exposait la possession diabolique de sa fille. À l’inverse, parmi les contemporains de Schelling, certains pensaient que Schelling avait élevé Satan à une dignité et une sublimité nouvelles. Frauenstädt estimait que Schelling avait exprimé les idées les plus profondes sur ce sujet. En revanche, pour Jean-Paul ou Herbart, Schelling n’aurait construit sa théorie du fondement que pour donner la part belle au diable et ses Recherches sur la liberté humaine seraient en faveur d’un pan-satanisme. Pour l’ensemble du débat, voir M. Vetö, Le Fondement selon Schelling, Paris, l’Harmattan, 2002, p. 392-393.
  • [14]
    M. Vetö, op. cit., p. 392.
  • [15]
    SW, XIV, 242 ; 262 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 261 ; Leçon xxxiv, p. 281.
  • [16]
    SW, XIV, 243 ; S.W., XIV, 262 ; Leçon xxxiii, p. 261 ; Leçon xxxiv, p. 280.
  • [17]
    Voir E. Brito, Philosophie et théologie dans l’œuvre de Schelling, Paris, Cerf, 2000, p. 194-197.
  • [18]
    Nous soulignons.
  • [19]
    L. Pareyson, Ontologie de la liberté. La souffrance et le mal, trad. G. A. Tiberghien, Paris, éditions de l’éclat, 1998, p. 281-282 [dorénavant Ontologie de la liberté].
  • [20]
    SW, VII, 390 ; Œuvres métaphysiques, p. 173.
  • [21]
    J. Hatem, De l’Absolu à Dieu : autour du Traité sur la liberté de Schelling, Paris, Cariscript, 1987, p. 119 [dorénavant De l’Absolu à Dieu].
  • [22]
    Schelling souligne que le dieu inversé est « l’être qui, provoqué à l’actualisation par la révélation de Dieu, ne peut cependant jamais passer de la puissance à l’acte », in SW, VII, 390 ; Œuvres métaphysiques, p. 173.
  • [23]
    SW, VII, 358 ; 365 ; 399 ; Œuvres métaphysiques, p. 144 ; 151 ; 181.
  • [24]
    SW, VII, 373 ; Œuvres métaphysiques, p. 158.
  • [25]
    Schelling, La liberté humaine et controverses avec Eschenmayer, trad. B. Gilson, Paris, Vrin, 1988, p. 222 [dorénavant La liberté humaine].
  • [26]
    SW, VII, 374 ; 399 ; Œuvres métaphysiques, p. 158-159 ; 181 ; Réponses de Schelling, in La liberté humaine, op. cit., p. 240.
  • [27]
    SW, XIV, 245 sq. ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 263 sq.
  • [28]
    J. Hatem, De l’Absolu à Dieu, op. cit., p. 120.
  • [29]
    L. Pareyson, op. cit., p. 275.
  • [30]
    SW, VII, 468 ; Œuvres métaphysiques, p. 244.
  • [31]
    Ibidem.
  • [32]
    Ibidem.
  • [33]
    SW, XIV, 241 ; Leçon xxxiii, p. 260.
  • [34]
    SW, XIV, 243 ; Leçon xxxiii, p. 261.
  • [35]
    SW, XIV, 243 ; Leçon xxxiii, p. 262.
  • [36]
    Schelling consacre l’essentiel de la Leçon xxxiii à démontrer que Satan n’est pas une créature, et en quoi cette interprétation est contredite par l’Écriture elle-même, où « on ne trouve pas un seul passage ni dans l’Ancien Testament ni dans le Nouveau Testament où il soit dit que le diable aurait été créé, qu’il serait un esprit créé. » SW, XIV, 244 ; Leçon xxxiii, p. 263.
  • [37]
    SW, XIV, 246 ; Leçon xxxiii, p. 265.
  • [38]
    Idem. Schelling mentionne Milton et Klopstock qui ont tenté de justifier cette dimension sublime en gardant la signification traditionnelle d’un Satan devenu infidèle à Dieu par présomption et arrogance. Malgré « toutes les peines du monde », ils n’y sont pas parvenus. Pour Schelling, cela s’explique par le fait que la sublimité de Satan comme Prince de ce monde (et même Dieu de ce monde écrit Schelling en citant 2 Corinthiens 4,4) est incompatible avec l’arrogance.
  • [39]
    SW, XIV, 246 ; Leçon xxxiii, p. 265.
  • [40]
    SW, XIV, 248 ; Leçon xxxiii, p. 267.
  • [41]
    Ibidem.
  • [42]
    Satan est le pouvoir qui, sans être lui-même mauvais, est comme une « puissance envieuse devant le bonheur immérité », voir SW, XIV, 248 ; Leçon xxxiii, p. 267.
  • [43]
    SW, XIV, 250 ; Leçon xxxiii, p. 269.
  • [44]
    SW, XIV, 247 ; 250 ; 252 ; Leçon xxxiii, p. 266 ; 269 ; 271. Une économie divine don’t le diable est un moment, et dès lors non une catastrophe, comme l’écrit V. Jankelevich (L’Odyssée de la conscience dans la dernière philosophie de Schelling, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 47 – dorénavant L’Odyssée).
  • [45]
    SW, XIV, 251 ; Leçon xxxiii, p. 269.
  • [46]
    Ibidem.
  • [47]
    SW, XIV, 255 ; Leçon xxxiii, p. 273.
  • [48]
    SW, XIV, 256 ; Leçon xxxiv, p. 275.
  • [49]
    SW, XIV, 257 ; 258 ; Leçon xxxiv, p. 276.
  • [50]
    Ibidem.
  • [51]
    Ibidem.
  • [52]
    SW, XIV, 260 ; Leçon xxxiv, p. 279.
  • [53]
    Ibidem.
  • [54]
    SW, XIV, 262 ; Leçon xxxiv, p. 281.
  • [55]
    Ibidem.
  • [56]
    SW, XIV, 269 ; Leçon xxxiv, p. 288.
  • [57]
    SW, XIV, 270 ; Leçon xxxiv, p. 288.
  • [58]
    SW, XIV, 269 ; Leçon xxxiv, p. 288.
  • [59]
    Voir E. KANT, La Religion dans les limites de la simple raison, trad. M. Naar, Paris, Vrin, 2000, p. 107. Kant renvoie lui-même à la formule bien connue de Paul (Romains 3,23), selon laquelle tous les hommes sont également pécheurs : « il n’y en a aucun qui fasse le bien (selon l’esprit de la loi), pas même un seul ».
  • [60]
    SW, XIV, 270 ; Leçon xxxiv, p. 289. Au-delà de Kant, qui fait certes dériver la réalité du mal de la nature humaine (l’homme est mauvais par nature) dans la Religion dans les limites de la simple raison (1793), mais exclut fermement une origine métaphysique du mal en l’homme, Schelling, dans les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine (1809), étend la problématique du mal à l’ensemble des étants, y compris Dieu (Étant Suprême), en posant la réalité du mal en l’homme mais sa possibilité en Dieu.
  • [61]
    SW, XIV, 270 ; Leçon xxxiv, p. 289.
  • [62]
    SW, XIV, 271 ; Leçon xxxiv, p. 289.
  • [63]
    Ibidem.
  • [64]
    SW, XIV, 271 ; Leçon xxxiv, p. 290.
  • [65]
    SW, XIV, 272 ; Leçon xxxiv, p. 291.
  • [66]
    Idem. La lutte nécessaire contre le mal en vue du bien est un thème cher à Schelling. Dans les Recherches, il avait déjà souligné le fait que celui qui est incapable d’endurer le mal est peu enclin au bien, car là où il n’y a pas de lutte il n’y a pas de vie, voir SW, VII, 400 ; Œuvres métaphysiques, p. 182.
  • [67]
    SW, XIV, 273 ; Leçon xxxiv, p. 291.
  • [68]
    Ibidem.
  • [69]
    SW, XIV, 277 ; Leçon xxxiv, p. 295-296, SW, XIV, 283 ; Leçon xxxv, p. 303.
  • [70]
    Et notamment dans les Recherches ou les Conférences de Stuttgart, voir SW, VII, 366 ; 459 ; Œuvres métaphysiques, p. 152 et 237.
  • [71]
    SW, XIV, 277 ; Leçon xxxiv, p. 295.
  • [72]
    SW, XIV, 283 ; Leçon xxxv, p. 303.
  • [73]
    M. Vetö, Le Fondement…, p. 411.
  • [74]
    Chacun possède en effet, dit-on, à la fois un ange bon et un ange mauvais. Or, le lien de chacun avec son ange est le seul qui l’unisse à Dieu, même quand il s’en est éloigné ou rendu indigne. Ces concepts de bons ou mauvais anges ne sont pas pour Schelling que symboliques ou mythologiques, ils sont également philosophiques, preuves d’un « authentique monde des esprits » (SW, XIV, 292 ; Leçon xxxv, p. 312). Schelling se prononce ainsi très clairement contre la clôture trop hâtive de la philosophie par rapport à la mystique et à la religion au sens large. Le passage de notre histoire à l’histoire supérieure, celle de l’Absolu, est à ce prix. Voir SW, XIV, 285 sq. ; leçon xxxv, p. 305 sq.
  • [75]
    J. Hatem, De l’Absolu à Dieu, op. cit., p. 119.
  • [76]
    SW, XIV, 285 ; Leçon xxxv, p. 305. Dans Über den Ursprung des Übels, II, v. 33-34, Haller écrit : « Le monde avec ses défauts (die Welt mit ihren Mangeln) est meilleur qu’un royaume (Reich) d’anges sans volonté. », Leçon xxxv, note 7, p. 305.
  • [77]
    SW, XIV, 274 ; Leçon xxxiv, p. 292.
  • [78]
    Schelling précise qu’il en est ainsi dans l’Ancien et le Nouveau Testament (cf. Jean), SW, XIV, 274 ; Leçon xxxiv, p. 293.
  • [79]
    V. Jankelevitch, L’Odyssée, op. cit., Paris, L’Harmattan, 2005, p. 202.
  • [80]
    SW, XIV, 275 ; Leçon xxxiv, p. 293.
  • [81]
    SW, XIV, 275-276 ; Leçon xxxiv, p. 294.
  • [82]
    SW., XIV, 250 ; Leçon xxxiii, p. 269.
  • [83]
    Nous soulignons.
  • [84]
    J. Hatem, De l’Absolu à Dieu, op. cit., p. 121.
  • [85]
    Sur le statut de ce principe, voir notamment SW, XIV, 258 ; 261 ; 262 ; 268 ; 274 ; 275 ; Leçon xxxiv, p. 276, 280, 287, 293.
  • [86]
    X. Tilliette, Schelling, une philosophie en devenir, op. cit., p. 477.
  • [87]
    SW, XIV, 248 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 267.
  • [88]
    SW, XIII, 272 ; Philosophie de la révélation, T. II, Leçon xiii, p. 122.
  • [89]
    Cf. Isaïe 55,8-10 ; Daniel 12,8-10.
  • [90]
    St Paul, Première épître aux Corinthiens 1,25.
  • [91]
    « Le plus hardi des apôtres [i.e. Paul], en qui on reconnaît en même temps un profond dialecticien, parle carrément de la folie divine, de la faiblesse de Dieu qui d’ailleurs, dit-il, est plus forte et a plus de puissance que la sagesse et que les forces humaines. Le fort seul peut ou a le droit d’être faible. », SW, XIV, 24 ; Leçon xxiv, T. III, p. 44.
  • [92]
    J. Hatem, « L’ironie de Dieu. Luther, Schelling, Chesterton. », Studia Theologica, IV, 3/2006, p. 195.
  • [93]
    SW, XIV, 24 ; Leçon xxiv, T. III, p. 45.
  • [94]
    Paul, 1 Corinthiens 2,7-8.
  • [95]
    J.-G. Hamann, Les Méditations bibliques, trad. P. Klossovski, Paris, Minuit, 1948, p. 171, cité par J. Hatem, « L’ironie de Dieu », op. cit., p. 198.
  • [96]
    Voir Exode 33,20 ; Job 9,11 ; Jean 1,18 et 4,12 ; Hébreux 11,27.
  • [97]
    J. Hatem, op. cit., p. 202.
  • [98]
    Ibidem, p. 203.
  • [99]
    Voir notamment Job 5,17-18 ; Jérémie 31,3 ; 16 ; 20 ; Matthieu 5,45 ; 6,30.
  • [100]
    J.-L. Thebaud, « Le Diable est dans les détails », Le Portique, 12, 2003, Charme et séduction, 2003 [en ligne], mis en ligne le 15 juin 2006. http://leportique.revues.org/document573.html.
  • [101]
    Voir notamment SW, XIII, 272 ; 291 ; 305 ; T. II, Leçon xiii, p. 122 ; Leçon xiv, p. 143 et 158 ; SW, XIV, 24 ; T. III, Leçon xxiv, p. 45.
  • [102]
    SW, XIII, 305 ; Philosophie de la révélation, t. II, Leçon xiv, p. 158.
  • [103]
    Schellingiana, Bd I (1989), 115 ; Introduction à la philosophie, trad. M.-C. Challiol-Gillet et P. David, Paris, Vrin, 1996, Leçon xxix, p. 139.
  • [104]
    Ibidem.
  • [105]
    Satan va y tester la fidélité de Job à Dieu en le frappant de tous les maux, cf. Job 1,2.
  • [106]
    J. Hatem, « L’ironie de Dieu… », op. cit., p. 210.
  • [107]
    Sur le feu consumant, voir Deutéronome 4,24, et SW, VII, p. 438 ; SW, VII, 381-382 ; Conférences de Stuttgart, Œuvres métaphysiques, p. 219 ; p. 165-166.
  • [108]
    C’est-à-dire la liberté éternelle, décrite par Schelling dans les Âges du Monde, et qui est l’éblouissante Lumière dans laquelle l’Absolu réside, totalement hors de notre portée, SW, VIII, 199, 230 ; Les Âges du monde, trad. P. David, Paris, PUF, 2005, p. 233, 268.
  • [109]
    Voir SW, VII, 365, 381-382 ; Recherches philosophiques, Œuvres métaphysiques, p. 151, 165-166.
  • [110]
    C’est précisément ce qui laissera la raison sans voix, en proie au vertige de l’extase décrit par Schelling dans les Leçons d’Erlangen et la Philosophie de la révélation, et qui mènera la raison schellingienne aux confins du discours, dans un renoncement salvateur permettant précisément l’avènement de la philosophie positive comme philosophie de la révélation.
  • [111]
    Voir encore les Recherches : « Car Dieu lui-même voile ce principe dans la créature et le recouvre d’amour, en en faisant le fond et pour ainsi dire le support des êtres. », SW, VII, 391 ; Œuvres métaphysiques, p. 174.
  • [112]
    SW, XI, 566 ; Introduction à la philosophie de la mythologie, Leçon xxiv, trad. collective, Paris, Gallimard, 1998, p. 521.
  • [113]
    SW, VII, 479 ; Conférences de Stuttgart, in Œuvres métaphysiques, p. 254. Ici on constate paradoxalement la différence de point de vue des Conférences par rapport à la Philosophie de la révélation, car si Schelling parle en 1810 de « créature » spirituelle pour désigner Satan, il utilise bien le mot créature, qu’il refuse par la suite, et de plus il parle ici d’une créature « déchue », reprenant l’interprétation classique qu’il s’appliquera à réfuter dans la Philosophie de la révélation.
  • [114]
    Pour plus de détails, voir l’excellent appendice de J.-F. Marquet, « Schelling et la ‘théosophie germanique’ », in Liberté et existence. Étude sur la formation de la philosophie de Schelling, Paris, Gallimard, 1973, p. 571-586, mais également, E. Benz, Les sources mystiques de la philosophie romantique allemande, Paris, Vrin, 1987.
  • [115]
    Pour plus de détails sur le tsimtsum et Isaac Luria, voir notamment, D. Biale, Gershom Sholem. Caballe et contre-histoire, trad. J.-M. Mandosio, éditions de l’éclat, 2001.
  • [116]
    Voir J.-F. Marquet, « Schelling et la ‘théosophie germanique’ », op. cit., p. 571 sq. Voir également M. Vetö, Le Fondement…, op. cit., p. 408-410, où l’auteur souligne l’influence de Boehme sur Schelling, non seulement en général mais également en particulier concernant la figure de Satan, à la nuance près que Boehme croyait fermement, contrairement à Schelling, à la théorie des anges déchus et à la damnation éternelle des pécheurs.
  • [117]
    M. Vetö, Fondement…, op. cit., p. 410.
  • [118]
    SW, VII, 411 ; Recherches, Œuvres métaphysiques, p. 192 ; SW, VIII, 253 ; Âges du monde, p. 295.
  • [119]
    SW, VII, 401-402 ; Recherches, Œuvres métaphysiques, p. 183-184.
  • [120]
    Nous soulignons.
  • [121]
    L. Pareyson, Ontologie de la liberté, op. cit., p. 200.
  • [122]
    SW, VII, 359 ; Recherches, Œuvres métaphysiques, p. 145.
  • [123]
    SW, VII, 429 ; Conférences de Stuttgart, Œuvres métaphysiques, p. 210.
  • [124]
    Voir l’ensemble du volume III de la Philosophie de la révélation, centré sur la christologie schellingienne.
  • [125]
    SW, VII, 411 ; Recherches, Œuvres métaphysiques, p. 192.
  • [126]
    J. Hatem, De l’Absolu à Dieu, op. cit., p. 124.
  • [127]
    SW, XIV, 251, Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 269.
  • [128]
    M. Vetö, Fondement…, p. 407-408.
  • [129]
    L. Pareyson, Ontologie de la liberté, op. cit., p. 258.
  • [130]
    Dans la Bible, Satan est le serpent tentateur, voir Genèse 3,1.15.
  • [131]
    SW, XIV, 251 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 269.
  • [132]
    SW, XIV, 203 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxi, p. 221.
  • [133]
    V. Jankelevitch, L’Odyssée, op. cit., p. 200.
  • [134]
    SW, VIII, 43 ; Âges du monde, p. 58.
  • [135]
    Voir P. David, Postface aux Âges du monde, p. 345.
  • [136]
    P. David, Schelling, de l’absolu à l’histoire, Paris, PUF, 1998, p. 91. La citation de David renvoie à l’aphorisme de Wurzbourg de Schelling, voir SW, VII, 408, Recherches, Œuvres métaphysiques, p. 189, selon lequel « le secret de l’amour, c’est qu’il lie ceux qui pourraient être chacun pour soi, et cependant ne le sont pas, et ne peuvent être l’un sans l’autre. »
  • [137]
    SW., VIII, Âges du monde, p. 276.
  • [138]
    P. David, Schelling, de l’absolu à l’histoire, op. cit., p. 112.
  • [139]
    SW, XIII, 359 ; Philosophie de la révélation, T. II, Leçon xvii, p. 215.
  • [140]
    Une audace qui évoluera après l’échec des Âges du monde, pour se recentrer sur la révélation de Dieu dans la Philosophie de la révélation.
  • [141]
    SW, VII, 484 ; Conférences de Stuttgart, Œuvres métaphysiques, p. 259.
  • [142]
    Cet abaissement de la divinité à travers l’humilité du Christ est au cœur de l’épître aux Philippiens 2,5-9 : « Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ, lui qui, étant en forme de Dieu, n’a pas voulu se prévaloir de son égalité avec Dieu, mais s’est anéanti lui-même, en prenant la forme d’un serviteur et en devenant semblable aux hommes. Ayant paru comme un simple homme, il s’est abaissé (nous soulignons) lui-même, en se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. »
  • [143]
    M. Vetö, « Kénose et incarnation dans la dernière philosophie de Schelling », Philosophie et religion, Paris, L’Harmattan, Paris, 2006, p. 188.
  • [144]
    M. Vetö, op. cit., p. 189.
  • [145]
    M.-C. Challiol-Gillet, Schelling, Paris, PUF, 1996, p. 76.
  • [146]
    Hölderlin, Werke und Briefe, Francfort, Insel Verlag, 1969, t. 1, p. 319.
  • [147]
    X. Tilliette, L’Absolu et la philosophie, Paris, PUF, 1987, p. 250.
  • [148]
    SW, XIV, 251 ; Philosophie de la révélation, T. III, Leçon xxxiii, p. 269.
  • [149]
    Nous soulignons. X. Tilliette, Schelling, une philosophie en devenir, op. cit., p. 478-479.
  • [150]
    Capital mais mal compris, à cause de ses caractéristiques contradictoires, qui ne reflètent en réalité, selon Schelling, que la majesté de son caractère hautement dialectique : « […] le concept du Satan est de tous les concepts possibles le plus dialectique, ne serait-ce que par suite de la nature du principe dont il dérive finalement (le principe du pouvoir être et ne pas être, principe par nature amphibologique et équivoque) », SW, XIV, 251 ; Leçon XXXIII, p. 270.
  • [151]
    X. Tilliette, Schelling, une philosophie en devenir, II, op. cit., p. 488.
  • [152]
    Idem, p. 479.
  • [153]
    « […] il y a chez Schelling […] l’idée que rien n’est absolument indigne d’exister, que Satan n’est pas méprisable. », voir V. Jankelevitch, L’Odyssée, op. cit., XIV, 251-252 ; Leçon xxxiii, p. 269-270.
  • [154]
    SW, XIV, 253 ; Leçon xxxiii, p. 272.
  • [155]
    Idem, p. 480 : voir également V. Jankelevitch, L’Odyssée, op. cit., p. 54.
  • [156]
    Voir l’imposante œuvre de K. Barth, Dogmatique, en particulier vol. III/3 (1963) et IV/3 (1972), trad. F. Ryset, Genève, Labor et Fides.
  • [157]
    P. Ricœur, Lecture 3. Aux frontières de la philosophie, Paris, Seuil, 1994, p. 233.
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