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Article de revue

Comptes rendus

Pages 169 à 174

English version

François TRÉMOLIÈRES. — Fénelon et le sublime. Littérature, anthropologie, spiritualité, Paris, Honoré Champion, 2009, 736 pages.

1 Surprise, peut-être, de trouver Fénelon dans une revue de philosophie. D’autant plus que le thème retenu, le sublime, évoque avant tout la littérature, la rhétorique : le fameux traité de Longin repris par Boileau. Fénelon, certes, n’était pas philosophe au sens où l’étaient Malebranche ou Spinoza. La philosophie, cependant, fait partie des domaines auxquels a été conduit à toucher, de main de maître, cet esprit supérieur, choisi par Louis XIV pour former son successeur. Et Henri Gouhier n’a pas craint de publier un Fénelon philosophe (1977). Dans le présent ouvrage, le second terme du sous-titre, « Anthropologie », est donc au moins aussi fondé que les deux autres. L’auteur du Télémaque et de l’Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, le romancier pédagogue et le théoricien de la mystique du « pur amour », de l’amour radicalement désintéressé, a fait preuve, dans l’ensemble de ses écrits, d’une cohérence remarquable dans sa vision philosophique et théologique de la condition humaine. Celle-ci s’exprime surtout dans sa Réfutation du système du P. Malebranche sur la nature et la grâce, comme dans sa Démonstration de l’existence de Dieu ou sa lettre au P. Lamy Sur la réfutation de Spinoza. Si la pensée de Fénelon n’est pas puissamment originale, elle représente un jalon significatif dans l’histoire de la philosophie, entre Descartes et Kant. C’est ce que montre cette thèse dont l’auteur fut philosophe avant de s’intéresser au discours mystique – il a dirigé la réédition de Bremond en 2006.

2 Le ch. III est consacré à l’examen des convictions proprement philosophiques et théologiques de Fénelon, notamment sur les rapports entre la raison et la foi. On y découvre la complexité, voire l’ambiguïté de sa pensée. On pourrait en faire une lecture fidéiste ou piétiste aussi bien que déiste. Elle ne saurait, en tout cas, se laisser réduire à un « rationalisme mystique ». Si l’acte de foi, chez Fénelon, se veut en continuité profonde avec la raison, son Dieu, comme celui de Pascal, est celui de l’Écriture (Dieu providentiel, qui intervient dans l’histoire, cf. Exode 3), non celui de la physique, celui de Malebranche, qui ne ferait que donner la chiquenaude initiale au branle de l’univers. Le Dieu de Malebranche, à ses yeux, n’est pas réellement transcendant et l’homme n’est pas réellement libre.

3 L’intérêt de cette reprise des idées philosophiques de Fénelon tient à ce qu’elles sont saisies en rapport étroit avec l’ensemble de sa pensée. La notion de sublime (notion somme toute vague, aux confins de plusieurs domaines de l’esprit) sert ici de fil rouge pour parcourir l’ensemble de l’œuvre de Fénelon : rhétorique (ch. II), apologétique et « philosophie première » (ch. III), spiritualité (ch. IV), morale (ch. V), politique (ch. VI). Particulièrement suggestif est l’éclairage qu’apporte la pensée kantienne du sublime (p. 291 sq.) (on n’oublie pas tout ce dont la morale kantienne est redevable à la pensée du pur amour, comme l’a montré J. Le Brun dans Le Pur Amour de Platon à Lacan, 2002).

4 C’est sans doute la critique de l’affect, du sensible, du « sentiment » (au sens que le mot avait encore au XVIIe siècle) qui est au centre de la pensée de Fénelon : critique du plaisir, de la grâce comme delectatio supérieure ; appel à la conversion au non-savoir, au non-sentir, au non-espérer. Cette recherche de déprise radicale en spiritualité, cette religion de la foi nue peuvent parler particulièrement à qui est fasciné, après Schopenhauer, par certaines formes de mystique orientale ou la pensée du rien. Elles correspondent en tout cas à une pensée dont J. Le Brun a souligné le caractère aporétique : la condamnation du plaisir, l’aspiration au dépouillement, la recherche du désintéressement peuvent être considérées comme chimériques ; en tout cas, elles portent en elles-mêmes leur propre contradiction – jouissance dans la non-jouissance.

5 F. Trémolières montre bien que le sublime et le pur amour ont en commun de conduire l’esprit aux limites du langage, là où il peut être saisi par le vertige de l’impossible à penser.

6 Dominique SALIN

Andreas SCHMIDT. — Göttliche Gedanken. Zur Metaphysik der Erkenntnis bei Descartes, Malebranche, Spinoza und Leibniz, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 2009, 452 pages.

7 La thèse d’habilitation d’Andreas Schmidt est un ouvrage d’histoire de la philosophie, très érudit et d’une visée et d’une aptitude spéculative puissante. Il s’agit de retrouver dans l’œuvre des quatre grands penseurs du rationalisme classique une philosophie de l’esprit qui serait la racine de la métaphysique, voire la métaphysique elle-même. Ce projet implique l’enseignement d’une certaine continuité entre l’être fini et l’être infini, une continuité qui est accomplie par l’attribution de la visio beatifica à l’esprit humain dans sa condition présente. Pour la théologie chrétienne, la vision béatifique n’est le partage que des bienheureux qui contemplent Dieu, mais A. Schmidt tente de démontrer que pour Descartes et les grands post-cartésiens, elle est une potentialité essentielle de la connaissance humaine. À la fin de la Troisième Méditation, Descartes semble établir une véritable continuité entre la vision béatifique et une contemplation qui dès maintenant est accessible à l’esprit, même si elle est moins parfaite que ne sera celle des bienheureux (64 sq.). Plus tard, dans une lettre au Marquis de Newcastle, l’auteur des Méditations parle de l’aptitude de notre âme à jouir d’« une connaissance intuitive de Dieu » qui, d’après le contexte de la lettre, correspond bel et bien à la visio beatifica (79s). Sans doute, l’accès à l’Idée de Dieu qui est le sens par excellence de la vision béatifique n’est pas fondé dans la nature de notre esprit, mais dans la mesure où l’Idée de Dieu est une idea ingenita, une intervention divine qui a eu lieu pour ainsi dire dès toujours, a inscrit l’essentiel de la vision dans notre âme (70). Cette « naturalisation » de la vision béatifique ne fait que progresser chez les post-cartésiens. Selon sa constitution théologique, la doctrine de la visio beatifica signifie que l’âme humaine n’est capable de contempler l’Idée de Dieu qu’après avoir accédé à la communion céleste avec Lui, donc quand elle se trouve quasi en Dieu. Or la célèbre doctrine malebranchienne de la vision en Dieu signifie que nous voyons toutes les idées, pas seulement celle de Dieu en Dieu, elle implique donc une extraordinaire extension de la vision béatifique (125). Quant à Spinoza, il ne mentionne pas le théologoumène chrétien de la visio, mais son enseignement revient à sa généralisation inédite. Désormais le problème n’est pas : comment l’entendement humain pourrait-il accéder à la contemplation et à la connaissance de l’Idée de Dieu, mais comment pourrait-on concevoir qu’il n’en soit pas capable ? Selon la doctrine de Spinoza l’entendement humain fait partie de l’entendement de Dieu et, de ce fait, la visio beatifica de notre âme n’est rien d’autre que la conscience de soi de Dieu (198). Quant à Leibniz, un philosophe de solide compétence en théologie chrétienne, lui non plus, ne parle pas de la visio comme d’une réalité de l’existence d’ici-bas. Toutefois, une subtile épistémologie métaphysique attribue aux monades une connaissance « sans species » qui n’est propre qu’au savoir immédiat qu’est la vision béatifique (406s).

8 La vision béatifique est un important thème conceptuel mais il n’advient pas comme deus ex machina, il s’impose contre l’arrière-fond d’une continuité ontologique entre l’esprit fini et l’esprit divin. Cette atteinte à l’équivocité de Dieu et de la créature n’est guère présente chez Descartes, et reste à peine visible chez Malebranche, même si l’oratorien semble enseigner une unité entre l’âme humaine et l’entendement divin : « la Raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-même est une Raison universelle » (Rech. Vér. OC III 129) ! En revanche, chez Spinoza et Leibniz une essentielle univocité d’esprit, donc d’être, s’esquisse entre le fini et l’Infini. L’auteur de l’Éthique enseigne une véritable intégration de l’entendement humain dans l’entendement divin. Nous avons une certitude de Dieu parce que notre esprit est une partie de Dieu et Dieu est certain de lui-même (268). En fait, dans la mesure où notre entendement fait partie de l’entendement de Dieu, la construction du concept de Dieu par notre intelligence revient à l’auto-construction conceptuelle de Dieu (230). Quant à Leibniz, il ne cesse de vouloir prendre ses distances par rapport à Spinoza, mais ses écrits sont clairsemés de passages qui annoncent la participation de l’entendement humain à l’entendement divin (402s). Les monades, en dépit de toute fermeture et de toute autarcie ne sont que des « regards de Dieu », elles héritent de Dieu « l’omniscience » (390s) et le philosophe finit par confesser qu’en dernière instance, « il est assez difficile de distinguer les actions de Dieu de celles des créatures » (Disc. Métaph. § 8).

9 A. Schmidt dispose d’une maîtrise souveraine des corpus des quatre grands philosophes qu’il étudie et il est parfaitement familier avec la littérature secondaire qui leur est consacrée. Or, étrangement, ce savant historien polyglotte de la philosophie n’a recours essentiellement qu’à des sources anglophones, très secondairement à des études de langue allemande et seulement très rarement à des commentateurs français. Sans doute y a-t-il une littérature secondaire de langue anglaise respectable sur Descartes et Spinoza, mais pourquoi s’évertuer à mettre à contribution quasi exclusivement les très maigres résultats des recherches de langue anglaise sur Malebranche ? Évidemment, la motivation de cette manière de procéder n’est pas contingente : si A. Schmidt met entre parenthèses la littérature secondaire française et, dans une grande mesure aussi de langue allemande, c’est pour des raisons proprement philosophiques mais qui ne sont jamais explicitées. Ce savant historien de la philosophie témoigne d’une préférence pour les travaux issus de la tradition de la philosophie analytique avec l’argumentation conceptuelle serrée contre l’historiographie « continentale » pratiquant des exposés où les thèses du commentateur se confirment à travers le déploiement immanent des textes de l’auteur étudié. Sans doute est-ce un parti pris respectable mais, en l’occurrence, il conduit à des résultats étranges. Le but de cet ouvrage est la reconstruction d’une métaphysique de l’esprit, mais cette reconstruction s’exerce par des moyens d’analyse plutôt logiques et dialectiques que métaphysiques. C’est dire qu’il se trouve une espèce de contradiction ou au moins d’incongruité dans la tentative de construire un édifice philosophique dont les thèmes et les thèses, les intérêts et les desseins n’ont presque rien à voir avec le telos de la philosophie analytique, avec l’esprit de la pensée anglo-américaine, au moins de ses courants majeurs. Qui plus est, l’auteur a comme ambition la monstration et la démonstration de l’avènement d’une véritable métaphysique de l’esprit à travers la pensée des quatre grands philosophes rationalistes. L’histoire de la philosophie atteste effectivement des métaphysiques de l’esprit : la spéculation de Hegel, mais aussi celles de Schelling et de Fichte en constituent des échantillons suprêmes. Or, A. Schmid qui pourtant connaît les grands post-kantiens ne parle jamais de leur système, passe sous silence leur ambition majeure, l’immense tentative de construire et de déployer des métaphysiques absolues, des philosophies qui revendiquent l’univocité du fini et de l’infini et qui interprètent et développent cette univocité, précisément, par une haute et hardie spéculation sur le sens de la subjectivité, la structure et la portée de l’Esprit. À notre avis, le mérite majeur du très beau et très riche ouvrage sur les Pensées divines est de montrer avec éclat que la spéculation idéaliste des temps modernes n’est pas limitée à la pensée postkantienne, mais qu’elle se manifeste avec éclat dès la pensée cartésienne ou post-cartésienne. Cependant, il faudrait encore que cette proximité des deux grandes écoles philosophiques soit énoncée et analysée. Nous aimerions que dans un travail futur Monsieur Schmid procède à une mise au point de cette problématique. En attendant, nous ne pouvons que redire notre admiration devant un ouvrage combien riche, combien intéressant, combien fécond.

10 Miklos VETÖ

Max WEBER.— Le judaïsme antique, trad. par I. Kalinowski en collab. avec C. Joseph et B. Lévy, introd. glossaire et notes par I. Kalinowski. Paris, Flammarion (Champs classiques, 867), 2010, 762 p.

11 Cette nouvelle traduction de ce classique offre à un très large public la mise à jour d’une version qui n’était ni fautive ni critiquable, mais qui, simplement, avait vieilli – sort commun à presque toutes les traductions. Elle prend place désormais dans le vaste ensemble des travaux de Weber dont la maîtresse d’œuvre du volume, Isabelle Kalinowski, a entrepris de donner une présentation systématique. Cette nouvelle version bénéficie ainsi d’un choix lexical et conceptuel mieux justifié et davantage étayé que les traductions pionnières. Cette édition de poche, offre néanmoins, outre les index des noms et des notions, la bibliographie des ouvrages cités par Weber, un glossaire très utile pour les non-hébraïsants (qui ne figurait pas dans la version signée de Freddy Raphaël) et, surtout, une longue introduction qui joue le rôle d’un vademecum de lecture en traitant historiquement et systématiquement des points jugés litigieux par la réception de l’ouvrage, notamment la notion de « peuple paria » qui avait suscité les réactions de Julius Guttmann et de Salo Baron. I. Kalinowski montre très bien comment Weber avait compris l’expression tout en étant conscient des limites de la comparaison avec les parias de l’Inde installés dans un système de caste. De même, la question de la berith est mise en relation avec ce qui attachait Weber tant au judaïsme qu’aux sectes protestantes : le pouvoir exceptionnel de certaines formes religieuses à contrôler les réalités les plus triviales de la vie ordinaire au nom d’une transcendance, comprise ainsi radicalement. Enfin, la vaste problématique du prophétisme que Weber examine de manière très détaillée – et qui est sans doute l’aspect le plus singulier de l’ouvrage. À l’occasion du centenaire de Weber, Jacob Taubes avait écrit une sorte de compte rendu sur l’ouvrage en insistant sur la filiation nietzschéenne de Weber, refusant ce qu’il appelait la « scolastique néokantienne » ; or précisément, c’est bien pour prendre ses distances avec Nietzsche s’affirmant « poète-prophète » que Weber scrute le prophétisme antique dans une optique qui le rend plus sagement voisin du fondateur de l’École de Marbourg que de ceux qui, à la même époque, cherchèrent à remodeler le messianisme en dissimulant bien le nietzschéisme qui les animait.

12 Marc DE LAUNAY

Paul RICŒUR. — Écrits et conférences 2. Herméneutique, textes rassemblés et anno tés par Daniel Frey et Nicola Stricker, Paris, Le Seuil (La couleur des idées), 2010, 309 p.

13 Il faut savoir gré au Fonds Ricœur de plusieurs choses essentielles à la vie posthume d’une philosophie : d’abord d’exister (ce n’est pas évident), ensuite d’être aussi transparent, en organisant des rencontres scientifiques de haut calibre et en maintenant un site internet (www.fondsricoeur.fr) regorgeant de textes et documents passionnants, enfin de gérer de manière aussi ouverte que compétente l’œuvre posthume du philosophe. Ricœur n’a pas voulu que l’on publie ses cours (ce qui est dommage pour son célèbre cours d’herméneutique donné à Louvain en 1971-1972) ou ses manuscrits inachevés, mais il a lui-même nommé par testament un comité éditorial chargé de la publication de certains de ses textes. Après un premier volume consacré à la psychanalyse, paru en 2008, voici que l’on publie quelques-uns de ses écrits d’herméneutique qu’il n’avait pas lui-même repris dans l’un ou l’autre de ses recueils. Cinq textes sont ici réunis : 1. la version française d’un cours sur « Le problème de l’herméneutique » paru en italien en 1988 (p. 17-89), 2. l’article sur « La métaphore et le problème central de l’herméneutique » de 1972 (91-122), 3. l’essai « Logique herméneutique ? » (123-196), 4. « Herméneutique de l’idée de révélation » (197-269) déjà publié dans un collectif belge en 1977, et 5. « Mythes de salut et raison », dont seule la version italienne avait été publiée en 1990 (271-297). Tous les herméneutes et amis de l’œuvre de Ricœur ne peuvent que se réjouir de la publication de ces textes importants. Le choix a dû être difficile, car Ricœur a évidemment publié beaucoup d’autres travaux sur l’herméneutique. Les deux derniers textes concernent plus proprement l’herméneutique biblique et la philosophie de la religion que la théorie de l’herméneutique qui intéresse les trois premiers textes, ce qui a sans doute quelque chose à voir avec les intérêts de recherche des responsables du recueil (il n’est guère question d’herméneutique dans le dernier texte). Il est dommage que l’on n’ait pas repris ici l’article de Libération sur le « Retour de Gadamer » (1996), et d’autant qu’il est très court, mais on le retrouve sur le site du Fonds. Le premier texte sur le problème de l’herméneutique est autobiographique et récapitulatif. Comme Ricœur l’a souvent fait dans les années 80 et 90 (on pensera à « De l’interprétation » dans Du texte à l’action et à Réflexion faite, 1995), il retrace les principales étapes de son parcours herméneutique depuis l’herméneutique des symboles jusqu’à Temps et récitet Soi-même comme un autre. L’article sur la métaphore de 1972 est précieux puisqu’il s’agit de la cellule germinale du grand livre de 1975. Avec la pénétrante « Herméneutique de l’idée de révélation », le texte le plus instructif est sans doute « Logique herméneutique ? », car il montre un Ricœur extraordinairement bien informé de l’état des débats herméneutiques suscités par Heidegger, Gadamer, Apel, Habermas, Bubner et Jauss, dans la continuité desquels il situe sa propre contribution, qui met davantage l’accent sur la distanciation dans l’interprétation des textes. Ricœur estime que Gadamer aurait à tort jugé « moins significative » une réflexion sur « l’être-pour-le-texte » (136). L’apport de Ricœur est ici inestimable, car il tient beaucoup plus compte que Gadamer des différentes méthodes d’interprétation littéraire. Il n’a cependant pas tout à fait compris, pas plus que la note de l’éditeur commentant ce texte, le sens de la réserve de Gadamer au sujet de « l’être-pour-le-texte ». La formule fut introduite par Odo Marquard comme une boutade dans son essai sur Les difficultés avec la philosophie de l’histoire de 1973 : si Gadamer se situe dans la continuité de Heidegger, il aurait remplacé selon Marquard « l’être-pour-la-mort » de Sein und Zeit par « l’être-pour-le-texte ». Il le disait pour souligner, avec son humour bien à lui, que Gadamer s’intéressait davantage aux disciplines philologiques (et pas moins comme le croient Ricœur et les éditeurs de ce recueil !) que Heidegger, laissant entendre que sa problématique était du coup moins radicale que celle de son maître. C’est cette banalisation, sur un ton plaisantin, de son propos qui n’a pas trop plu à Gadamer (deux tomes sur dix de l’édition de ses Œuvres complètes étant consacrés à la poétique, on peut difficilement dire qu’il se soit désintéressé de l’être-pour-le-texte). Décidément, l’humour traverse mal les frontières.

14 Ceci nous amène à parler des notes que les éditeurs ont cru devoir ajouter au texte de Ricœur. Elles sont parfois éclairantes, mais peut-être trop nombreuses, faisant en sorte qu’un recueil de cinq articles de Ricœur finit par occuper 300 pages. Elles n’apparaissent pas toujours nécessaires. Lorsque Ricœur parle du Pentateuque ou des Évangiles synoptiques, est-il besoin d’une note pour nous rappeler le titre des cinq premiers livres de la Bible et le nom des trois premiers évangélistes ? Une autre nous instruit sur le sens de l’Aufhebung hégélienne. Tous ne savent pas ces choses, bien entendu, mais les lecteurs de Ricœur – et de cette revue – les sauront. D’autres notes jugent bon d’expliquer le sens des termes eschatologie, pneumatologie, parousie, magistère ou kénose. Le lecteur qui d’aventure ne connaîtrait pas le sens de ces notions, ce qui est permis, ne pourrait-il pas consulter un dictionnaire ou se servir d’un moteur de recherche ? Les notes sont aussi répétitives : on nous dit deux fois que l’on ne sait pas quelle traduction de la Bible Ricœur utilisait (203, 277), la référence des textes cités par Ricœur est répétée plusieurs fois tout au long et l’origine des textes est indiquée en note au début de chaque texte et dans une section à la fin de l’ouvrage. L’édition posthume de ces textes est très louable, indispensable même, mais à l’avenir il faudra davantage laisser parler les textes eux-mêmes, déjà assez lumineux.

15 Jean GRONDIN

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