Notes
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La coordination du Bulletin est assurée, sous la responsabilité de J.-F. Kervégan, par F. Menegoni, O. Tinland, D. Wittmann, J.-M. Buée, A. Sell, G. Marmasse (coordonnateur). Ont participé à la rédaction de la présente livraison : C. Binkelmann, S. Bird-Pollan, M. Bordignon, C. Bouton, A. Breitling, J.-M. Buée, O. Depré, A. Gambarotto, W. Grießer, N. Hebing, J. Herla, J.-F. Kervegan, J. Labia, G. Lejeune, G. Marmasse, Cl. Melica, R. Moati, G. Nottebom, F. Palacio, E. Renault, F. Sanguinetti, A. Sell, A. Simhon, O. Tinland, P. Tschirner, D. Wittmann.
LIMINAIRE
1 Le vingtième Bulletin de littérature hégélienne comporte 34 notices, soit un retour à l’étiage après une livraison plus maigre. Un tiers seulement des livres recensés est écrit en langue française, ce qui témoigne de la dimension internationale du Bulletin, qu’illustre aussi la composition de l’équipe qui l’a cette année rédigé [1]. À côté de Francesca Menegoni, qui continue de coordonner avec efficacité la recension des ouvrages en langue italienne, Annette Sell (Bochum) a rejoint l’équipe et accomplit désormais le même travail pour l’espace germanophone. Le caractère largement international du Bulletin, tout simplement nécessaire au demeurant, se trouve ainsi confirmé.
2 Cela dit, le travail des membres de l’équipe en charge de l’organisation du Bulletin est éprouvant, et ceci explique que certains de ses membres souhaitent à un moment ou à un autre prendre de la distance. Ce sera le cas, à partir du prochain Bulletin, de Gilles Marmasse, qui en a été la cheville ouvrière depuis la mise en place de la nouvelle équipe qui a pris le relais de Pierre-Jean Labarrière en 2004, et qui assurait depuis plusieurs années la coordination du travail rédactionnel ; il souhaite se consacrer dans la prochaine période à ses recherches personnelles, et se mettra donc en retrait sans cesser de collaborer au Bulletin. Gilles Marmasse a rendu d’immenses services à notre entreprise, dont je peux témoigner qu’elle n’a pu se poursuivre que grâce à son énergie et à sa disponibilité. Je tiens donc à dire toute la gratitude que les rédacteurs du Bulletin et moi-même éprouvons pour lui.
3 Jean-François KERVÉGAN
Textes de Hegel
1. HEGEL, Grundlinien der Philosophie des Rechts, hrsg. von Kl. Grotsch und E. Weisser-Lohmann. Gesammelte Werke, Band 14-1, Hambourg, Felix Meiner, 2009, vi + 282 p.
4 Avec ce volume s’achève en principe la publication des Gesammelte Werke de Hegel, entreprise en 1957 sous l’impulsion de Otto Pöggeler, et à laquelle fut consacré l’essentiel de l’activité du Hegel-Archiv de Bochum, fondé par O. Pöggeler et maintenant dirigé par Walter Jaeschke. En principe seulement, toutefois. Car, contrairement à l’habitude, c’est cette fois-ci un texte nu, sans introduction ni annotations, et muni d’un appareil critique très restreint, qui nous est livré ; autrement dit c’est, avec quelques corrections, le texte paru en 1820, dont on sait qu’il n’est pas exempt d’erreurs, de coquilles et de bévues diverses. Tous ces éléments d’érudition, qui font le prix des GW, doivent figurer dans un volume 14-2 dont la publication devrait intervenir assez rapidement. Le lecteur est forcément déçu, qui attendait de cette édition un établissement définitif du texte et des leçons critiques précises, ainsi que des éléments contextuels particulièrement importants dans le cas de ce texte. Pour évaluer l’apport véritable de cette édition, il faudra donc attendre (avec une certaine impatience !) la publication du volume 14-2. En attendant, ceux qui pourront l’utiliser savoureront, comme dans le cas des précédents volumes, le caractère techniquement impeccable, et tout simplement l’élégance de cette somptueuse édition.
5 Jean-François KERVÉGAN (Université de Paris 1/IUF)
2. HEGEL, La Vie de Jésus, précédé de Dissertations et Fragments de l’époque de Stuttgart et Tübingen, trad. de T. Barazon, R. Legros et A. Simhon, Paris, Vrin, 2009, 193 p.
6 Cette nouvelle édition de La vie de Jésus, traduite et présentée par Ari Simhon à partir du tome I des Gesammelte Werke, est accompagnée de sept autres textes datant de l’époque de Stuttgart et des années d’études de Hegel au Stift de Tübingen.
7 Les six premiers textes couvrent une période de trois ans (1785-1788). S’y dessine l’émergence d’une pensée encore balbutiante qui, d’abord attachée au rationalisme des Lumières, se tourne progressivement vers une réhabilitation du sentiment marquant un infléchissement préromantique. Les trois premiers textes (Entretiens à trois, Quelques remarques sur la représentation de la grandeur, Extrait d’un discours prononcé à l’occasion de la sortie du lycée) constituent divers fragments et exercices scolaires conservés par Hegel et valent surtout pour leur intérêt documentaire. Les analyses plus proprement philosophiques de la religion et de l’esprit antique présentées dans les trois textes suivants témoignent d’une prise de distance progressive à l’égard du kantisme orthodoxe et d’une discussion des présupposés du rationalisme moderne. Parti d’une critique de la religion populaire (À propos de la religion des grecs et des romains), le jeune Hegel s’achemine vers une réévaluation positive de l’expérience et de la sensibilité des anciens (À propos de quelques traits distinctifs caractéristiques des poètes anciens, À propos de quelques avantages que procure la lecture des auteurs classiques de l’antiquité grecque et romaine).
8 Le dernier fragment datant de l’époque de Tübingen qui nous soit présenté constitue une réflexion plus rigoureuse sur la distinction entre religion populaire et religion rationnelle. La religion est une des affaires les plus importantes de notre vie, présenté par Robert Legros et dont la rédaction se situe entre août 1792 et l’hiver 1793, appelle à reconnaître dans la sensibilité une modalité nécessaire de l’existence humaine devant être accueillie et satisfaite par la religion si cette dernière veut parvenir à déterminer la volonté. En ce sens, la religion, par l’influence qu’elle possède sur le sentiment et l’imagination, se donne comme un renfort de la moralité. Peuvent alors se voir distinguées religion objective et religion subjective ou religion rationnelle, se laissant formuler en un système rigide, et religion populaire et vivante se frayant un chemin jusqu’au sentiment. Si l’entendement a bien sa place dans la religion objective en tant qu’il sert à purifier les principes, il ne peut par lui-même rendre ces principes déterminants pour la volonté. Autrement dit, la religion objective a bien un intérêt théorique mais, du point de vue pratique, elle ne peut empêcher l’émergence d’impulsions mauvaises. Le sentiment, et plus précisément l’amour – dont on sait l’importance dans le développement ultérieur de la pensée hégélienne –, apparaît alors comme un mobile déterminant pour la volonté.
9 La vie de Jésus datée de 1795, présentée par T. Barazon et A. Simhon, appartient à la période du préceptorat de Berne. À la lecture de ce texte, on ne trouve aucune mention de la dimension christique du personnage de Jésus. Toute allusion aux miracles et à la résurrection est évacuée au profit d’un portrait kantien du Galiléen. Contre le légalisme de la religion judaïque, le Jésus de Hegel voue l’homme à la reconnaissance de sa destination morale. Opposant la lettre qui tue à l’esprit qui vivifie, Jésus prône le respect de la raison et de la loi morale inscrite dans la conscience et le cœur de l’homme. La raison pure est d’emblée présentée par Hegel comme la divinité elle-même. Les différents épisodes des évangiles sont convoqués, de la prédication de Jean jusqu’à la mise au tombeau de Jésus, et relus à travers les leçons du rationalisme des Lumières. On découvre ainsi, avec surprise et intérêt, une traduction rationaliste du Notre Père en termes moraux. Néanmoins, demeure présente une revalorisation du sentiment en contradiction avec le dualisme kantien et qui approfondit encore la césure préromantique déjà présente au sein des textes de Tübingen. Hegel n’oppose pas sentiment et raison mais donne pour tâche à la raison l’ennoblissement des penchants sensibles. La critique de la positivité à l’œuvre dans le légalisme judaïque n’en apparaît pas moins comme un héritage de La religion dans les limites de la simple raison parue en 1793 et se trouvera davantage développée dans La positivité de la religion chrétienne dont la rédaction suit de près celle de cette Vie de Jésus.
10 François PALACIO (Université de Montpellier III)
3. HEGEL, La philosophie de l’histoire, trad. de M. Bienenstock (dir.), Ch. Bouton, J.-M. Buée, G. Marmasse et D. Wittmann, appareil critique de N. Waszek, Paris, LGF (la Pochothèque), 2009, 758 p.
11 Si la philosophie de la nature de Hegel est, comme on l’a dit, la partie honteuse de son système, sa philosophie de l’histoire n’est pas moins difficile à défendre : en cause, des raccourcis cristallisés autour de la fin de l’histoire, d’un orgueil européocentriste et partant d’un racisme désolant…
12 Saluons donc ici un travail utile et nécessaire, seul à même de favoriser une meilleure compréhension du projet philosophique de Hegel.
13 Nécessaire d’abord. On le sait, Hegel n’a jamais publié une philosophie de l’histoire de son vivant. Ce sont ses cours de Berlin en 1822-23, puis une année sur deux jusqu’en 1831 qui en furent le lieu d’exposition et les seules traces que nous en gardions sont ses rares notes personnelles et les notes d’auditeurs qui nous sont parvenues. Selon des principes éditoriaux aujourd’hui d’un autre âge, les premiers éditeurs de Hegel « construisirent » sa philosophie de l’histoire sur le mode de la compilation. C’est ainsi que le public philosophique francophone, quand il lisait La raison dans l’histoire, lisait la traduction française, par K. Papaoiannou, d’une édition de J. Hoffmeister qui proposait un texte artificiel mélangeant différentes leçons. Exemple à l’appui, M. Bienenstock montre combien ce procédé a pu être égarant (« Présentation », p. 9-35). Aussi le choix retenu a-t-il été d’offrir en traduction française les introductions manuscrites de Hegel des années 1822 et 1830-31 (p. 37-109), ce qui permet d’en mesurer l’évolution, ainsi qu’une reconstitution du cours de 1822- 23 (p. 111-538), le plus complet dont nous disposions actuellement.
14 Utile ensuite. Car si d’aucuns prétendront qu’une traduction doit faire l’impasse sur toute forme d’information extérieure sous peine d’influencer le lecteur, Myriam Bienenstock et ses collaborateurs ont pris l’excellent parti d’agrémenter leur traduction d’un « dossier » (p. 539-619) permettant une mise en contexte tout à la fois historique et thématique de l’œuvre. Ce dossier se compose de quatre parties. « I. Textes complémentaires de Hegel. Sources et modèles » nous rappelle que, dès ses années de jeunesse, Hegel se penchait sur la Bible, l’Antiquité et les philosophes de son époque pour s’interroger sur le sens de l’histoire. Un deuxième dossier est consacré aux « débats d’époque » (p. 572-592) auxquels prirent part Lessing, Kant, Fichte ou Schelling. Vient ensuite une section consacrée à « trois grands critiques au XIXe siècle » (p. 593-610) : Kierkegaard, Marx et Nietzsche. Le dossier se conclut enfin avec les « quelques positions contemporaines » (p. 611-619) de J. Ritter, N. Waszek, Chr. Bouton et B. Bourgeois.
15 Le tout se clôt sur un « appareil critique » (p. 621-758) qui contient notamment un index nominum, toujours très utile, mais trop souvent omis dans l’édition française.
16 Olivier DEPRÉ (Université catholique de Louvain)
Études générales sur l’idéalisme allemand
4. Philippe SOUAL et Miklos VETÖ (dir.), L’idéalisme allemand et la religion, Paris, L’Harmattan, 2008, 266 p.
17 Ce recueil, issu d’un colloque au Centre de Recherche sur Hegel et l’Idéalisme allemand de l’Université de Poitiers, confirme l’influence de la réflexion théologique sur les pensées de l’idéalisme allemand et leur fécondité pour l’interprétation de la religion. Deux articles portent sur Kant : R. Theis présente de manière systématique son ontothéologie à partir de sa critique de Wolff et R. Schaeffler réfléchit sur le rôle de l’histoire de la raison dans le système kantien. La contribution de V. Kokoszka explore ensuite l’architecture du savoir et le rapport de la science et de la religion dans l’œuvre tardive de Fichte. Puis deux textes sont consacrés au jeune Schelling : J. Hatem dégage la signification de ses éléments de mystique en soulignant leur soubassement spéculatif et A. Ardovino montre comment sa dissertation sur Marcion permet de clarifier le rapport entre religion et spéculation. La philosophie de Hegel, quant à elle, fait l’objet, directement ou indirectement, de cinq articles. J.- L. Vieillard-Baron donne un exposé de sa christologie et Ph. Soual de ses leçons sur la religion chrétienne. B. Mabille pense l’évolution et la double détermination platonicienne et johannique de sa conception du Logos. V. Waibel compare les conceptions de la religion de Hölderlin et du jeune Hegel, alors que M. Westphal aborde le système hégélien par le biais des critiques de Kierkegaard. Par ailleurs, deux textes ont pour thème la révélation de Dieu : P. Valenza confronte Jacobi et Reinhold, quand J. Lambinet parcourt la voie qui, de Paracelse et Boehme à Schelling, envisage la nature comme révélation de Dieu. Enfin, ce recueil se clôt par deux études comparatives. E. Brito traite de la notion de foi chez Kant, Fichte, Hegel, Schelling et Schleiermacher. J.-F. Marquet évoque les moments successifs qui ont réintroduit (Kant) puis imposé (Fichte, Schelling, Hegel) le dogme théologique de la Trinité comme la clé permettant de penser non seulement le contenu le plus intime de la religion mais aussi la structure propre de l’absolu.
18 Julien HERLA (Université de Liège)
Études générales sur Hegel
5. Frederick C. BEISER (ed.), The Cambridge Companion to Hegel and Nineteenth- Century Philosophy, New York, Cambridge University Press, 2008, 518 p.
19 L’ouvrage, dirigé par Fr. Beiser, prend place à côté du Cambridge Companion to Hegel que le même auteur avait publié en 1993. Contrairement à ce que laisse entendre son titre, le nouvel opus porte exclusivement sur Hegel et ignore aussi bien les relations entretenues par Hegel avec ses contemporains que le devenir de l’hégélianisme au XIXe siècle. Comme la plupart des essais de cette collection, le nouveau Cambridge Companion n’est pas un ouvrage d’initiation mais, bien plutôt, propose un bilan de la recherche contemporaine. Notons toutefois que l’horizon des exposés est essentiellement anglo-saxon, avec quelques exceptions en faveur de la recherche germanophone. La plupart des champs classiques de la pensée hégélienne sont étudiés, mais on remarque une minoration des thématiques juridico-politiques et historiques (un seul article sur l’esprit objectif, à propos de la société civile), au profit de la Naturphilosophie (trois articles). Par ailleurs, des thèmes relativement neufs sont abordés, comme ceux de l’herméneutique et du mysticisme.
20 Citons quelques articles – selon un choix inévitablement discutable. L’ouvrage s’ouvre avec une introduction très engagée de Fr. Beiser, qui fait le point sur l’état actuel de la recherche hégélienne. L’auteur dénonce, comme anachroniques les lectures « non métaphysiques » de Hegel, illustrées selon lui par R. Pippin et R. Brandom. Sommes-nous alors voués à choisir entre une recherche « antiquaire », historiquement exacte mais sans intérêt proprement philosophique, et une attitude consistant à projeter indûment sur l’œuvre de Hegel des problématiques et des convictions contemporaines ? En fait, répond Beiser, en dehors des aspects proprement métaphysiques de l’hégélianisme, qui sont effectivement désuets, d’autres aspects, comme par exemple la Naturphilosophie et la philosophie du droit naturel, rejoignent des problématiques contemporaines et, pour cette raison même, méritent un examen attentif.
21 On retient ensuite un aperçu incisif de la biographie de Hegel par T. Pinkard, qui livre un condensé de son ouvrage récent Hegel : A Biography (2001). L’article vaut notamment par une mise en évidence de l’arrière-plan sociologique et historique de la carrière de Hegel. Dans un long article sur la logique, essentiellement appuyé sur les moments de l’être, du néant et du devenir, St. Houlgate affirme que Hegel, dans la Science de la logique, tend à « dériver et clarifier les catégories de base de la pensée », et ceci en établissant « leur structure intrinsèque et nécessaire ». R. Stern montre que l’idéalisme de Hegel est basé sur la critique du fini, au nom de l’incapacité de ce dernier à rendre compte de lui-même. Enfin, K. Westphal présente le système hégélien de Naturphilosophie comme un « émergentisme » dans lequel Hegel s’efforce de montrer comment la nature rend possible l’avènement de l’esprit humain.
22 Gilles MARMASSE (Université Paris-Sorbonne)
6. John W. BURBIDGE, Hegel’s Systematic Contingency, New York, Palgrave- Macmillan, 2007, 218 p.
23 John Burbidge propose ici un recueil d’articles, tous réécrits pour l’occasion, autour du thème central de son interprétation de Hegel : la contingence. Comme il l’explique dans la préface, la spécificité de son analyse consiste en une approche non pas ontologique mais logico-méthodologique de la contingence.
24 Si la première étude traite de philosophie de l’histoire, c’est que toute démarche prenant l’histoire au sérieux doit tourner le dos à la pensée métaphysique pour affranchir le particulier de sa subordination à l’universel et réévaluer la contingence (chap. 1). C’est à lumière de cette rupture que sont ensuite abordés les développements consacrés par la Science de la logique à la nécessité de la contingence (chap. 2). Le reste de l’ouvrage s’emploie à établir qu’une prise en compte de la contingence est méthodologiquement décisive à toutes les étapes du système. D’une part, cette thèse est argumentée positivement par l’analyse de la démarche de la Phénoménologie de l’esprit (chap. 3), puis des chapitres portant sur la certitude sensible et la religion (chap. 3 et 4), ainsi que par une étude des rapports entre la nécessité spéculative et la contingence du langage (chap. 6). D’autre part, elle est argumentée négativement, par réfutation des interprétations identifiant savoir absolu (chap. 5), idée absolue (chap. 7) et esprit absolu (chap. 12) à un savoir de l’absolu et à un dépassement de toute contingence.
25 Une deuxième série d’analyses concerne les modalités spécifiques de la prise en compte de la contingence dans la Philosophie de la nature et la Philosophie de l’esprit : comment la nécessité spéculative s’articule-t-elle à la contingence propre à la réalité naturelle et spirituelle finie ? Ce problème général se diffracte en quatre questions : celles du rapport du chimisme et de la chimie (chap. 8), de l’idée de la vie et des organismes vivants (chap. 9), de l’idée du connaître et de l’esprit théorique (chap. 10) et de la téléologie avec l’histoire (chap. 11). Le modèle général qui se dégage est le suivant : c’est parce que les schèmes d’intelligibilité de la Science de la logique intègrent en eux la nécessité de la contingence qu’il est possible à travers eux de réfléchir (dans l’espace théorique intermédiaire qui spécifie les deux autres parties du système) la manière dont le savoir positif prend en charge la contingence empirique.
26 Dans deux chapitres conclusifs (chap. 14 et 15), John Burbidge renoue avec son interrogation initiale sur l’histoire et se demande comment l’aspect systématique de la philosophie hégélienne est compatible avec la prise au sérieux de la contingence historique en son ouverture irréductible à l’avenir. Même si la promotion hégélienne de la contingence devrait conduire à un ensemble de révisions méthodologiques, elle est également portée par des enjeux pratiques qui pourraient bien donner raison à Hegel. En effet, toute la question est finalement de savoir si nous devons porter l’espérance moderne d’une réduction progressive de la contingence dans l’histoire, ou bien si nous devons croire que la contingence et la dislocation s’affirmeront avec toujours plus de force, ou enfin, troisième solution, si nous pouvons admettre avec Hegel que les contingences sont des parties constituantes d’un processus historique dans lequel peuvent se produire des états de réconciliation limitée et encore empreinte de contingence (192).
27 Emmanuel RENAULT (ENS Lyon)
7. Jérôme LÈBRE, Le fil de l’identité. Frivolité et puissance de l’analyse chez Hegel, Hildesheim, Olms Verlag, 2008, 336 p.
28 Dans ce livre ardu, l’auteur montre en quel sens l’analyse joue un rôle essentiel chez Hegel. Il part du fait que la dialectique hégélienne articule l’analyse et la synthèse en un mouvement unique pour, en suivant le fil de cette identité, distinguer une analyse frivole, à l’origine des faux mouvements de la pensée représentative, d’une analyse inventive, moment essentiel de l’activité d’une subjectivité vivante.
29 Le livre développe cette distinction en confrontant la notion d’analyse à travers trois thématiques qui lui sont traditionnellement attachées : la représentation, la réflexion et la disjonction.
30 Pour l’auteur, l’analyse, cette activité de décomposition, ne se clôture sur des représentations finies, étriquant la pensée dans des catégories figées, que lorsqu’elle est coupée du mouvement synthétisant de la réflexion. La différence critique qui érige la finitude de la représentation en horizon de pensée n’est donc que la conséquence des vices d’une analyse tournant à vide.
31 Il reste à voir comment le mouvement de réflexion évite les dérives d’un formalisme infécond. D’un point de vue logique, il s’agit d’éviter de tomber dans le paradoxe suivant : ne rien expliquer, sous prétexte de fidélité à l’objet analysé. Pour dépasser ce niveau frivole de la tautologie, l’auteur redéfinit la signification et la productivité logique du jugement analytique. Cette redéfinition consiste à faire reposer l’idée d’analyse inventive tant sur la détermination conceptuelle par la pensée que sur le donné de l’expérience perceptive.
32 On peut toutefois se demander si, de par son caractère universel, une telle caractérisation de l’analyse ne manque pas, quand il en va de l’application, la singularité de l’objet. Pour répondre à ce paradoxe, l’auteur glisse du plan du questionnement logique au plan du questionnement méthodologique. À l’aune de ce nouveau plan, il s’efforce de montrer, à travers une lecture éclairante de la Logique subjective, comment l’extension universelle de l’analyse peut se singulariser en s’intensifiant dans une tendance où se détermine la subjectivité de l’objet analysé. La mise en œuvre d’une telle intensification de l’analyse présuppose la subversion du jugement prédicatif classique, lequel repose sur une division du sujet en propriétés disparates, où il est ce qu’il a. Ainsi qu’il en va dans le syllogisme disjonctif, le sujet de l’analyse ne se détermine bien plutôt essentiellement que par des espèces autres, en lesquelles il s’effectue comme ce qu’il est, en lesquelles il se détermine comme sa propre fin.
33 En se confondant avec le mouvement de détermination de son objet, l’analyse ne constitue donc pas une suite de caractéristiques abstraites juxtaposées, mais un progrès qui rend compte de la différenciation de l’idée en tant que liberté. De là, la totalité de l’analyse qu’est l’Encyclopédie réalise, pour Jérôme Lèbre, la synthèse la plus intensive, car elle saisit et présente – contre toute mécanisation de l’organique – dans chacun de ses moments, la capacité d’accueil et de détermination d’un sujet vraiment libre.
34 En conclusion, l’auteur, en présentant les conditions d’une analyse inventive dans un dialogue avec la tradition, non seulement éclaire d’un jour nouveau l’hégélianisme, mais suscite en outre des questions qui ne peuvent qu’intéresser notre époque où la philosophie analytique occupe une place de choix.
35 Guillaume LEJEUNE (Aspirant du FNRS, Belgique)
8. Christian BUDER, Les Dimensions du temps. Le concept de temps dans l’œuvre de Hegel, Berlin, Logos Verlag, 2009, 392 p.
36 Ce livre, issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’EHESS en 2007, est rédigé en français et paraît chez un éditeur allemand spécialiste des publications de thèse. Il manifeste la vitalité de la recherche hégélienne sur les thèmes du temps et de l’histoire, qui a déjà été récemment illustrée par Wilfried Grießer (Geist zu seiner Zeit. Mit Hegel die Zeit denken, Würzburg, 2005, 661 p.), travail qui n’est malheureusement pas mentionné dans Les Dimensions du temps. L’ouvrage de Ch. Buder soulève, de prime abord, quelques difficultés. Les cours de Hegel sur la philosophie de l’histoire sont cités dans l’édition Suhrkamp, sans référence au tome 18 des Gesammelte Werke ni aux Vorlesungen de l’édition Meiner (Vorlesungen über die Philosophie der Weltgeschichte, Berlin, 1822-1823, F. Meiner, 1996), d’où une information incomplète sur ce point. La typographie est imparfaite et la maîtrise du français laisse parfois à désirer. Relevons par exemple la traduction d’« Ausser » par « horsdeté » (46), le présent « plaque tournante du développement du temps » (103), « la vitesse de pérennité » (260), le « cumul d’Entwicklung » (322), « la chasse infinie aux concepts apparentés » (337)… Pour une réédition, il serait souhaitable de le corriger. Quant au fond, l’ouvrage présente un intérêt certain. Sa thèse convaincante est que Hegel tente de concevoir un seul concept de temps capable d’intégrer la nécessité de la nature et la liberté dans l’histoire (10). Elle est instruite par l’étude de textes hégéliens sur le sujet, selon une méthode systématique et non chronologique, qui alterne entre un commentaire classique et des analyses novatrices. On retiendra notamment la confrontation avec Kant (15 sq., 183, 187, 202-203), qui ignore toutefois le livre d’A. Stanguennec, Hegel critique de Kant (PUF, 1985), l’analyse du « déséquilibre ontologique entre le Vergehen et l’Entstehen » (135), la critique de la durée (209-219), la réflexion sur les deux sens du présent fini et infini (373 sq.). La conclusion est de prime abord quelque peu décevante, dans la mesure où elle reconduit des poncifs de la critique hégélienne qu’on pensait dépassés. L’auteur reproche à Hegel d’avoir eu le projet irréalisable « d’éliminer le temps complètement » dans la Logique (381), de prendre « la place d’un Créateur du monde » (383), de supprimer « la simple contingence » au moyen de la « ruse » de la Raison (384). Mais il rappelle ensuite à juste titre que le motif de « l’effacement du temps » (Tilgung der Zeit), à la fin de la Phénoménologie de l’esprit, s’accompagne de l’idée que l’esprit doit se sacrifier, se temporaliser dans la forme du « libre événement contingent » : « L’Esprit doit s’aliéner pour s’intuitionner hors de lui dans le temps et son être dans l’espace, car sans son aliénation, sans réalisation, d’abord dans la nature puis dans l’histoire, les tableaux de l’Idée, de l’Esprit en-soi, demeureraient blancs et vides » (385). On ne saurait que partager cette affirmation.
37 Christophe BOUTON (Université de Bordeaux III)
9. Abdel-Azize HOUCINE, Temps et langage dans la philosophie de Hegel, Paris, L’Harmattan, 2009, 250 p.
38 Avec ce livre, Abdel-Azize Houcine entend, à partir de la philosophie de Hegel, faire une épistémologie de la notion de temps. Par ce biais, il s’agit pour lui de remettre en cause la représentation finie que l’on se fait de notre temporalité et qui serait à l’origine du nihilisme contemporain.
39 Comme l’auteur le montre dans le premier chapitre de son livre, alors que, pour Kant, le temps était une « condition formelle a priori de tous les phénomènes possibles », pour Hegel, « le naître et le périr » des objets de l’expérience ne s’effectue plus dans le temps, mais constitue le temps, lequel se fondant sur l’expérience, devient alors l’objet d’une possible épistémologie.
40 En en retraçant, dans son second chapitre, les grandes lignes, l’auteur s’intéresse à la traduction théologique du logique qui, à travers l’Incarnation, donne une première voie de compréhension du temps comme figure que se donnerait l’éternité logique.
41 Le dernier chapitre du livre est consacré aux présupposés linguistiques d’une compréhension de l’éternité dans le temps. L’enjeu de la dialectique du langage qui y est proposée est de faire de l’expression de la représentation finie du temps une manifestation de l’éternité réflexive et, de la sorte, de constituer « un processus de contre-violence universelle » à même de « donner un sens au vécu de notre temporalité ».
42 On regrette cependant que dans ce processus, dont les enjeux sont indéniables, l’auteur assimile la dialectique opérée dans le langage à une dialectique du langage. C’est en effet, selon nous, moins un changement de langage ou de modalité de langage que la réflexion du langage dans lequel on est qui rend possible la transfiguration des représentations finies chez Hegel.
43 Guillaume LEJEUNE (Aspirant du FNRS)
10. Thamar ROSSI LEIDI, Hegel et la liberté individuelle. Ou les apories de la liberté moderne, Paris, L’Harmattan, 2009, 182 p.
44 Quelle place le monde moderne (GPR, § 124, Rem.) octroie-t-il, selon Hegel, à l’individu et à sa liberté ? On sait qu’au cours de son développement, la Weltgeschichte affirme de plus en plus la valeur et le droit de l’individu, qui atteignent leur apogée au sein du quatrième et dernier monde de l’Esprit. Il n’empêche : en dépit de l’ensemble des déclarations explicites de Hegel, certains interprètes estiment que, dans la perspective hégélienne, la part fondamentale de l’individu ne consiste qu’à assimiler l’ethos de sa civilisation, y compris quand il s’agit du monde moderne. Le mérite de l’ouvrage de Th. Rossi Leidi est de s’inscrire en faux contre cette lecture, en mettant en évidence le rôle critique de l’individu au sein de la communauté institutionnelle, et donc à l’égard du monde que les institutions expriment. En d’autres termes, si Hegel affirme assurément que l’État moderne, au sein du monde européen chrétien, traduit ou incarne le principe de la subjectivité, et donc la liberté, cette traduction pourrait sembler signifier que la liberté de l’individu, se trouvant chez elle et accomplie en ce monde, devrait avant tout accepter ce monde. Cela est vrai, mais seulement au sens où cette « acceptation » n’est pas pure passivité et signifie que la dimension critique de l’esprit doit pouvoir s’exercer, ceci plus encore en un tel monde qu’en aucun autre : car celui-ci non seulement la rend possible mais la requiert pour évoluer : le « bei sich sein » ou « être auprès de soi dans l’autre » de la liberté est ainsi, tout particulièrement dans la modernité, un être-chez-soi objectivement et subjectivement critique ou, en tout cas, comportant une telle dimension.
45 L’ouvrage met en évidence comment, avec sa pensée spéculative, Hegel surmonte les antinomies de la modernité politique (Lumières et romantisme, jusnaturalisme et historicisme, libéralisme pur et socialisme), mais ne saurait résoudre le problème aporétique de la pauvreté liée au développement des économies modernes.
46 Ari SIMHON (Académie de Rouen)
11. Rossella BONITO-OLIVA, Labirinti e costellazioni, Milano-Udine, Mimesis, 2008, 189 p.
47 Ce livre se présente comme un itinéraire intérieur, dépourvu de toute systématicité étroite, à travers quelques-uns des lieux escarpés de la philosophie hégélienne, dans la conviction que c’est dans ses interstices et ses passages les plus instables que celle-ci se prête le mieux à un dialogue intime avec la pensée contemporaine. Selon le fil subtil qui ordonne les huit chapitres de ce texte, ce sont autant de moments de tension au sein du monolithisme supposé de la pensée hégélienne que le lecteur est invité à reparcourir, là où la dialectique se fait plus aiguë et moins conciliante : friction entre exigence systématique et vie historique (chap. I) ; continuité-discontinuité entre l’antique et le moderne, exemplifiée dans les figures humaines correspondantes, à savoir le héros et l’individu (chap. II) ; rapport entre instinct et raison dans la particularité de leur déclinaison anthropogénétique (chap. III), auquel se lient d’un côté la valeur symbolique de la corporéité dans cette perspective processuelle entre biologie et historicité (chap. IV), de l’autre le passage délicat de la nature anthropologique à la nature éthique (chap. V) ; position contradictoire, enfin, de la conscience morale dans le contexte éthico-social (chap. VI), qui débouche sur l’analyse des limites « pathologiques » du spirituel, tant au niveau humain qu’au niveau collectif (chap. VII), pour s’achever par l’examen du rapport, lourd de conséquences, de la conscience à son temps, à son histoire et à son action (chap. VIII).
48 R. Bonito-Oliva vise ainsi à restituer, en prenant ce parcours pour toile de fond, une image de l’humain qui ne renonce ni à sa complexité ni à son ambiguïté structurelles, mais se révèle voué à la recherche incessante de stratégies qui lui évitent d’avoir à se perdre dans les contradictions, sans céder pour autant à l’ambition naïve de vouloir les éliminer.
49 Federico SANGUINETTI (Université de Padoue) (trad. J.-M.B.)
12. Michael SPIEKER, Wahres Leben denken. Über Sein, Leben und Wahrheit in Hegels Wissenschaft der Logik, Hegel-Studien, Beiheft 51, 2009, 424 p.
50 Le thème de ce travail est la « vraie vie » – une signification spécifique étant ici attribuée à l’adjectif « vrai ». Selon M. Spieker en effet, la vérité est le centre de la philosophie hégélienne (14), une vérité qui n’est autre que la vie elle-même (48). Vie et vérité sont cependant à entendre ici en un sens religieux : « La tâche de la philosophie est la réconciliation. Pour l’accomplir, la pensée doit se faire religieuse. » (12) L’ensemble de l’étude, de même que l’interprétation de la Science de la logique, s’inscrivent sous cette prémisse dogmatique.
51 Après avoir, dans un « concept préliminaire », considéré la pensée du jeune Hegel, l’auteur présente une interprétation de quelques chapitres de la Science de la logique. Cette interprétation constitue le noyau de son travail. À propos du concept de vie chez le Hegel de Francfort, Spieker propose cette formulation : « C’est dans la reconstruction de la pensée de la vie pure que la pensée se révèle elle-même comme religieuse. » (11) Toutefois, dans le parcours – intéressant et clairement formulé – de la Science de la logique, le rapport au concept de vie reste souvent obscur, même si l’auteur a bien vu que la contradiction est la racine de la vitalité (226 sq.) et s’il discute en détails le chapitre sur la « vie immédiate » (326 sq.). D’un côté, lorsque Spieker s’élève contre la manière dont les philosophes de la nature ont reçu la Science de la logique, on ne peut que lui donner raison (13 sq.). De l’autre, il aurait dû analyser plus exactement l’arrière-plan « naturphilosophique » du concept de vie, et ceci de manière à repérer la tension entre la vie naturelle et la vie logique. Certes, le concept de vie dans la pensée de Hegel en général et dans la Science de la logique en particulier est très difficile à penser. Néanmoins, la fixation sur ce que Spieker appelle la « vraie vie » ne permet pas d’exploiter le potentiel formel et systématique de ce concept.
52 Annette SELL (Université de Bochum) (trad. G.M.)
13. Günter ROHRMOSER, Glaube und Vernunft am Ausgang der Moderne. Hegel und die Philosophie des Christentums. Hrsg. von Harald Seubert, EOS Verlag, St. Ottilien, 2009, 543 p.
53 Cette étude est publiée à partir des archives de Günter Rohrmoser (1927-2008). Selon les indications de l’éditeur, Harald Seubert, cet ouvrage s’appuie sur des transcriptions de leçons enregistrées dans les années 1980 et 1990, leçons qui étaient prononcées « de manière tout à fait libre » (p. 8). Dans l’ensemble, cet ouvrage de 550 pages – contrairement à ce que l’on peut supposer en considérant le titre, la photo de couverture ou l’articulation de l’œuvre – ne concerne pas au premier plan la philosophie hégélienne de la religion. Cette dernière n’est abordée que dans la quatrième et dernière partie qui fait une centaine de pages, et encore Rohrmoser se limite-t-il à la « religion accomplie ». De nombreuses questions importantes comme le statut de la religion pour le jeune Hegel, sa fonction dans la Phénoménologie de l’esprit ou le sens des « religions déterminées » ne sont guère traitées ou ne sont évoquées qu’en quelques phrases. Au fond, cet ouvrage est une introduction à la philosophie de Hegel et une présentation détaillée des interprétations de Ritter et de Rohrmoser ; une introduction complétée par de nombreuses prises de position personnelles de Rohrmoser à l’égard de Hegel ou de problèmes actuels, mais qui n’aide pas toujours à la compréhension de la philosophie (de la religion).
54 Le problème principal de ce livre est que l’on a cherché d’une part à « constituer un texte articulé et cohérent » tout en voulant conserver d’autre part « les caractéristiques du discours oral ». Il en résulte que les leçons sont soumises à un schéma extérieur qui ne correspond guère à leur contenu et à leur forme et que l’ensemble n’a que l’apparence d’un livre logiquement articulé. Cela conduit également à ce que de nombreux intitulés ne restituent pas le contenu réel du propos, parce que les digressions sont à vrai dire des résumés etc. L’ouvrage se compose de quatre parties. La première consiste en une introduction à la philosophie de Hegel à partir de la préface et de l’introduction à la Phénoménologie de l’esprit (19-160). Cette partie du livre montre assez clairement que le discours oral a, selon toute probabilité, été transcrit littéralement ; en effet les thèses principales sont répétées en permanence, parfois mot pour mot, et ce sont toujours les mêmes citations de la Phénoménologie qui sont utilisées. Dans ces passages introductifs, la philosophie de la religion joue un rôle dans la mesure où, pour Rohrmoser, la « vérité de la foi [chrétienne]… [constitue] la présupposition qui porte et conditionne l’ensemble de la philosophie hégélienne en général » et où la « foi chrétienne » est « au fondement » du concept hégélien d’esprit (141-142). La seconde partie commence à nouveau par une introduction à la philosophie de Hegel, avant d’offrir une rapide évocation de Marx et de l’école de Francfort ainsi qu’une présentation détaillée de l’interprétation de Joachim Ritter (161-358). En dépit du titre de cette seconde partie, « La querelle épochale entre les hégéliens de droite et les hégéliens de gauche », la querelle autour de la philosophie hégélienne de la religion qui commence à partir des années 1830 ne joue qu’un rôle mineur. La troisième partie est consacrée à Kierkegaard, à sa critique de Hegel et à ses conceptions en matière de philosophie de la religion (359-414). La quatrième partie, de loin la plus réussie, se consacre enfin à la thématique propre du livre – c’est-à-dire à la philosophie hégélienne de la religion (415-506). Rohrmoser fait ressortir de manière très compréhensible les éléments essentiels du concept de religion qui, dans le christianisme en tant qu’il serait la « religion absolue », est devenu objet et objectif pour lui-même.
55 Patrick TSCHIRNER (Université de Hagen) (trad. D.W.)
14. Tilman WEGERHOFF, Hegels Dialektik. Eine Theorie der positionalen Differenz, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2008, 193 p.
56 Ce livre essaie de trouver la véritable signification de la dialectique hégélienne. L’auteur part tout d’abord de l’interprétation de P. Stekeler-Weithofer en termes de théorie pragmatiste de la connaissance et montre que cette dernière peut trouver des points d’appui dans l’article sur le droit naturel ou dans le Système de l’Éthicité. Il montre cependant que, dès 1803-1804, cette interprétation ne tient plus, puisqu’un changement décisif intervient avec l’introduction du concept de « conscience absolue » qui tranche avec la genèse des formes du savoir à partir des pratiques intersubjectives auparavant prédominantes. Cette rupture s’accentuerait encore en 1805-1806 dans la mesure où Hegel définit la philosophie comme un « savoir de soi de l’esprit » en la détachant de toute forme de pratique concrète. Pour l’auteur, ce savoir de soi se développe alors dans la Science de la logique, théorie de la pensée pure, qui récuse la dualité kantienne des sources de la connaissance et se détache de toute référence aux contenus empiriques, pour s’instituer comme une « logique de la connaissance pure ». Le changement dans la perspective adoptée par Hegel se caractérise également par une transformation du rôle de l’imagination qui semble ne plus jouer aucun rôle dans la fondation de la connaissance à partir de 1803-1804 ; signe d’un concept idéaliste de la philosophie qui se détache notablement des modèles proposés par Fichte ou par Schelling. Cependant, si la logique se détache d’une théorie de la sensibilité, l’auteur pense que le modèle de la réflexion présent dans la doctrine de l’essence constitue la reformulation hégélienne de la synthèse de l’imagination. La réflexion – qui constitue alors le cœur de la dialectique hégélienne – est une « théorie de la différence positionnelle ». Si la doctrine de l’être est encore constituée par des catégories qui ne se rapportent pas les unes aux autres et sont « indépendantes au sens intentionnel », la doctrine de l’essence dépasse quant à elle la théorie kantienne des catégories qui se réfèrent à autre chose qu’à elles-mêmes. C’est là que prend place la théorie de la différence positionnelle. Cette théorie est explicitée via une analyse de la théorie hégélienne de la réflexion à travers la notion de nombre ordinal de Dedekind. Il faut trouver un modèle qui permette de penser un type de différence (différence positionnelle) où les déterminations conceptuelles sont reliées les unes aux autres alors que la distinction de leur contenu ne joue plus aucun rôle. La théorie du nombre comme pur concept de relation qui est celle de Dedekind et de Cassirer peut servir de modèle à la construction d’un système dans lequel tous les éléments sont caractérisés par leur position, c’est-à-dire par la place qu’ils occupent dans l’ensemble du système. L’auteur essaie ensuite de montrer que cette théorie est susceptible d’éclairer le premier chapitre de la Phénoménologie de l’esprit ainsi que la théorie hégélienne de la gravitation.
57 David WITTMANN (ENS Lyon)
Œuvres de jeunesse – Phénoménologie de l’esprit
15. Bernard BOURGEOIS (dir.), Hegel, bicentenaire de la Phénoménologie de l’es prit, Paris, Vrin, 2008, 256 p.
58 Ce colloque, organisé par la Société française de philosophie, se caractérise par sa grande diversité : études de points précis (M.-J. Königson-Montain sur le monde renversé, ou B. Mabille, qui rend compte de manière très convaincante de l’ouverture du savoir absolu à la contingence, à partir des développements de la Logique sur l’absolu), tentatives pour expliciter des thématiques qui traversent l’œuvre de 1807, mais sans donner lieu à une élaboration spéculative spécifique (le langage, « médiateur de l’esprit » – B. Bourgeois ; le droit, à propos duquel la Phénoménologie suggère, en en montrant les insuffisances dans le monde antique, qu’il y a « place pour une Sittlichkeit moderne » – J.-F. Kervégan ; l’effectivité des œuvres que Hegel oppose au luthéranisme orthodoxe – C. Bouton), volonté d’« actualiser » certaines analyses, avec originalité (C. Malabou, sur le double visage du Rousseau hégélien, celui du Contrat et celui des Confessions), ou de façon plus laborieuse (Y.-J. Harder, pour qui le hégélianisme se heurterait, comme le christianisme, à la modernité comme à un destin). Les autres contributions explorent diverses questions : statut du fait historique et possibilité de « faire l’histoire » (M. Bienenstock), critique du subjectivisme (N. Waszek), rapports État-religion dans le dernier paragraphe de la Philosophie du droit (J.-L. Vieillard-Baron), présence d’une dimension « herméneutique » dans la Phénoménologie, mais aussi dans la Logique (J.-M. Lardic), façon dont le dispositif théâtral qu’est la mise en scène phénoménologique thématise son appropriation par le « lecteur-spectateur » (P. Osmo), appartenance de la philosophie à l’expérience qu’E. Cattin présente sur un mode « méditatif », manifestement inspiré du Heidegger des Holzwege. L’ensemble est complété par l’examen de quelques critiques du hégélianisme : Nietzsche, qui interprète la figure de Socrate d’une manière à la fois proche de celle de Hegel et strictement inverse (A. Stanguennec), Kierkegaard, dont H. Politis rappelle qu’il fut aussi « un excellent lecteur de Hegel », Marx dont la lecture de la Phénoménologie dans les Manuscrits de 1844 est remarquablement éclairée par F. Fischbach.
59 J.-M. BUÉE (Université de Grenoble 1)
16. Czeslaw MICHALEWSKI (dir.), La Phénoménologie de l’esprit à plusieurs voix, Paris, Ellipses, 2008, 304 p.
60 L’originalité de l’ouvrage coordonné par C. Michalewski est de demander à des auteurs différents de traiter de chacun des moments importants du texte de 1807. Dans l’ensemble, la démarche se révèle convaincante. P.-J. Labarrière expose très clairement l’organisation logique de l’œuvre, G. Marmasse montre que l’expérience de la conscience est le procès en lequel le savoir absolu ressaisit les étapes de son avènement, A. Simhon explique que la conception du vrai comme sujet échappe au dogmatisme « substantialiste », même s’il regrette avec Levinas que Hegel méconnaisse le rapport originaire de l’homme à l’altérité. De même, le procès des trois premières figures est parfaitement éclairé par le commentaire d’O. Tinland qui fait comprendre comment la conscience, contrainte de renoncer à son présupposé « objectiviste », en vient à la conscience d’elle-même, celui de la conscience de soi étant illustré par les remarques de J.-F. Marquet, qui reprend ici une partie de ses Leçons sur la Phénoménologie. M.-J. Königson-Montain et P.-J. Labarrière mettent bien en évidence l’abstraction de la raison observante et celle des figures de la raison agissante, sous-tendues par une saisie du vrai dont le formalisme appelle la concrétisation dans l’effectivité historique de l’esprit. La section esprit donne lieu à des lectures issues d’horizons différents : commentaire clair et précis du texte sur le monde éthique (A. Stanguennec), réflexion plus « floue » sur le monde de la culture (I. Weiss), accent mis sur le danger que recèle pour l’esprit la divinisation de sa propre subjectivité finie (E. Cattin). La section religion est abordée, elle aussi, dans des perspectives différentes : approche « contextualiste » qui, en replaçant le propos hégélien sur la religion naturelle dans le cadre du débat religieux de l’époque, souligne qu’il est aussi une façon d’assumer l’héritage de Lessing (M. Bienenstock), interrogation sur les raisons de la présence dans l’ouvrage de 1807 d’une phénoménologie de la religion qui inclut une phénoménologie de l’art (H. Devissaguet), explicitation conceptuelle rigoureuse du chapitre sur la religion manifeste, qui montre comment celle-ci en vient à appréhender pour elle-même ce qui est d’abord son sens pour nous (B. Bourgeois). L’ensemble s’achève sur un texte de P.-J. Labarrière, qui rappelle que le savoir absolu, loin de désigner la clôture sur soi d’un discours devenu étranger à la nature et à l’histoire, témoigne au contraire d’un « geste de désubstantialisation » dont le sens est d’ouvrir à « la médiation infinie, jamais achevée, jamais achevable » qu’est la compréhension de l’événement immédiat et contingent.
61 J.-M. BUÉE (Université de Grenoble I)
17. M. BORDIGNON, G. CECCHINATO, P. CESARONI, D. DE PRETTO, P. LIVIERI, G. MENDOLA, V. RICCI, L. SAMONÀ, P. VINCI, Che cos’è il sapere assoluto ? Sul capitolo conclusivo della « Fenomenologia dello spirito » di Hegel. Prefazione di F. Menegoni, Verifiche 37, 2008, 223 p.
62 Ce volume réunit neuf essais, tous consacrés au dernier chapitre de la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel. La qualité principale de ce travail tient à un équilibre remarquable entre des écrits hétérogènes, présentés tant par des professeurs bien connus que par de jeunes chercheurs. On peut souligner la cohérence de l’interprétation générale, qui aborde la question de la compréhension du savoir absolu, au-delà de toute méprise « absolutiste » et de toute prétention conciliatrice à l’égard de l’expérience limitée de la conscience. Telle est la ligne autour de laquelle se développent les introductions de P. Vinci et L. Samonà, qui trouvent dans l’Anerkennung et dans l’Entäusserung le signe du caractère absolu du savoir, qui consiste dans la reconnaissance de l’autre et dans la destitution de l’autosubsistance de la conscience. Les textes de G. Mendola et P. Cesaroni suivent la même direction, en mettant en relief l’impossibilité de séparer le savoir absolu des limites constitutives de la dimension de la conscience, caractérisée par son infranchissable Unruhe. D’autres contributions (P. Livieri, D. De Pretto, M. Bordignon) envisagent, quant à elles, certaines des thématiques centrales de la section, en analysant comment le caractère absolu se confond avec le franchissement de l’unilatéralité, dans la notion d’essence spirituelle aussi bien que dans la discussion de la Bildung et du jugement infini. V. Ricci propose une reconstruction du rapport entre la forme conceptuelle du savoir absolu et la nécessité qu’elle s’incarne en une Gestalt phénoménologique concrète. Le volume se termine par l’article de G. Cecchinato, dont le but est d’ouvrir un dialogue très fécond entre la conclusion de la Phénoménologie et le cours d’esthétique.
63 Andrea GAMBAROTTO (Université de Padoue)
18. Thomas Sören HOFFMANN (Hrsg.), Hegel als Schlüsseldenker der modernen Welt. Beiträge zur Deutung der Phänomenologie des Geistes aus Anlaß ihres 200-Jahr-Jubiläums, Hegel-Studien Beiheft 50, 2009, 324 p.
64 Dans ce volume consacré à la Phénoménologie de l’esprit, différentes lignes d’interprétation de la Hegelforschung sont rassemblées, avec le but d’ouvrir de nouvelles possibilités d’exégèse. En même temps, il s’agit de lire à nouveaux frais la PhE comme l’un des « textes fondamentaux de la modernité », un texte qui rend possible la compréhension de la « grammaire d’une époque » et ici, en particulier, de la nôtre.
65 W. Jaeschke souligne ce qui distingue l’histoire de la conscience de soi relevant de la philosophie transcendantale et celle relevant de la philosophie de l’esprit. Th. S. Hoffmann met en évidence, principalement sur la base de l’introduction de la PhE, trois moments de la Doctrine de l’essence qui contribuent à clarifier les considérations de Hegel à propos de l’histoire de la dialectique en général et le mode spécifique de progression de la PhE. S’appuyant sur l’introduction, R. Beuthan tente d’expliquer le modèle d’expérience spécifique de la PhE.T. Pierini montre que l’on trouve, dès le moment de la conscience sensible, des préfigurations de l’esprit et des amorces d’historicité. A. Sell discute le passage « du jeu des forces au mouvement de l’esprit » en se référant à des textes de Hegel antérieurs et postérieurs à la Phénoménologie. L’essai de T. Penolidis porte sur les moments de réalisation de l’unité du connaître et de la vie comme totalité de la conscience de soi. G. Marmasse traite des différences entre le scepticisme antique et le scepticisme moderne, ainsi que de la discussion critique que Hegel mène avec ces deux positions. M. Gottschlich montre, dans une interprétation de la section « la raison observante », que la PhE est bel et bien l’un des textes fondamentaux de la modernité. L. Illetterati se consacre de même à la critique hégélienne de la métaphysique des sciences naturelles et met en évidence la tâche d’une Naturphilosophie « postmétaphysique » et « postkantienne ». Kl. Vieweg étudie comment l’individu tend à réaliser l’unité de la raison théorique et de la raison pratique dans l’« œuvre ». M. Wladika se penche sur la philosophie morale de Kant, sur la critique qu’en fait Hegel et, chez ce dernier, sur le concept alternatif d’une Sittlichkeit rendue effective sur un mode historique – et non pas seulement exigée. M. Höfler propose une discussion de fond de la première section du chapitre sur l’« esprit », et met en évidence la tension qui oppose ici le droit divin et le droit positif. St. Houlgate compare les analyses de la Révolution française dans la PhE et dans les Leçons sur la philosophie de l’histoire. Fr. Schick examine la question de savoir si la morale requiert une fondation religieuse et tente de saisir le point de vue de la conscience morale dans sa dynamique dialectique propre. Enfin, dans son essai conclusif, Th. S. Hoffmann montre les moments essentiels de la philosophie de la religion, ainsi que les modes sous lesquels la religion est présente tout au long de la PhE.
66 Patrick TSCHIRNER (Université de Hagen) (trad. G.M.)
19. B. SANDKAULEN, V. GERHARDT, W. JAESCHKE (Hrsg.), Gestalten des Bewußtseins. Genealogisches Denken im Kontext Hegels, Hegel-Studien Beiheft 32, Hamburg, Meiner, 2009, 356 p.
67 Cet ouvrage est issu d’un colloque qui s’est tenu à l’occasion du 200e anniversaire de la Phénoménologie de l’Esprit. La première section porte sur la « connaissance » et est introduite par B. Sandkaulen. Dans le premier article, J. Stolzenberg se concentre sur les histoires de la conscience de soi et essaie de montrer les différents usages de ce thème chez Fichte, Schelling et Hegel. Puis G. Hindrichs s’intéresse au thème de la « religion de l’art » en cherchant à préciser sa place dans le cadre d’une généalogie de la conscience de soi et en montrant que le projet hégélien échoue pour ne pas avoir pris en compte l’autre véritable de la pensée, présent dans l’expérience de l’inconnu que constitue l’objet artistique. Enfin M. Hampe s’interroge sur la notion d’ontologie historique à partir des œuvres de Foucault et de Hacking. La seconde section porte sur la « vie » et est introduite par A. Arndt. P. Stekeler-Weithofer se propose tout d’abord d’expliciter le concept de téléologie dans une optique pragmatiste ; pour lui l’idée selon laquelle la téléologie serait la vérité du mécanisme et du chimisme signifie que toute explication physicaliste doit être comprise comme faisant fond sur l’Idée, c’est-à-dire comme étant un élément de « l’organisation du savoir » (p. 109) – la thèse centrale de Hegel étant que nous ne pouvons comprendre et expliquer les mouvements mécaniques, les processus chimiques et les comportements téléologiques des êtres vivants qu’à partir de « notre propre perspective » (p. 125). V. Gerhardt s’interroge sur les rapports de la nature, de la technique et de l’esprit chez Hegel ; il souligne combien la nature et l’esprit sont proches et montre que l’on pourrait presque parler d’une « évolution de l’esprit » (p. 145). Il affirme ensuite que le moyen-terme entre nature et esprit peut être trouvé dans le concept de technique et cherche à savoir en quel sens il faut comprendre la supériorité de l’esprit sur la nature. H-P. Krüger se consacre à l’anthropologie philosophique de Plessner et à sa critique de Hegel. La troisième section est introduite par H.F. Fulda et porte sur la « science ». B. Sandkaulen signe un article fondamental qui s’attache au concept de culture (Bildung) pour en faire « l’opérateur du concept hégélien de généalogie ». O. Breidbach réfléchit quant à lui au statut que pourrait revêtir une phénoménologie dans le cadre actuel des recherches sur le cerveau. Enfin, S. Poggi analyse rapidement le rapport intime entre les interrogations philosophiques et l’activité scientifique au XIXe siècle (en particulier en ce qui concerne la psychologie). La quatrième partie, introduite par L. Siep, est consacrée à la morale. R.B. Pippin s’interroge sur le statut de la littérature dans la Phénoménologie de l’esprit tandis que H. Ottmann revient sur les rapports de la moralité et de l’éthicité. La dernière partie, dédiée à la « politique et à l’histoire du droit » est présentée par V. Gerhardt. W. Jaeschke s’attache à la « généalogie du droit » et montre le rapport particulier qu’entretient Hegel avec l’histoire du droit. Il souligne la forte relation réciproque entre l’histoire du droit et l’histoire de la conscience de soi (p. 300). J.-F. Kervégan montre que la fonction normative du droit qui est la « face positive de son abstraction » est liée à la situation particulière qu’il occupe entre nature et histoire. La théorie du droit abstrait définit les conditions abstraites ou intemporelles de tout ordre social sensé, quoiqu’elle ne soit pas susceptible de fonder un ordre politique. Pour l’histoire comprise comme l’esprit qui prend conscience de sa liberté, elle est comme une nature ; mais cette nature a elle-même une histoire, celle de l’accès de l’humanité – luttant avec sa naturalité – à sa véritable expression qui est politique. Enfin G. Lübbe-Wolff revient sur la question de l’actualité de la philosophie du droit de Hegel.
68 David WITTMANN (ENS Lyon)
20. Jean-Clet MARTIN, Une intrigue criminelle de la philosophie. Lire la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, Paris, La Découverte, 2009, 245 p.
69 L’auteur, qui choisit délibérément d’ignorer l’organisation logique de la Phénoménologie, voit en elle une série d’épisodes, dont la signification tiendrait aux images, souvent morbides (d’où le titre), qui surgissent au détour des diverses figures de la conscience. Il en résulte que le propos de Hegel ne serait pas si éloigné de celui de Nietzsche (généalogie de la morale, nihilisme, mort de Dieu, quête d’un au-delà de l’humain, etc.), ou encore que le savoir absolu, assimilé à une sorte de dessin animé rudimentaire – une « roue de Faraday », dont la rotation crée la perception du mouvement, en animant une série d’images fixes (p. 231) –, se caractériserait par un « vertige » que la fin de l’ouvrage n’hésite pas à comparer à la dérive du Bateau ivre de Rimbaud ; bref, si l’on ne peut douter de l’inventivité de l’auteur et de sa capacité à associer librement au discours hégélien toutes sortes d’images ou de thèmes, fréquemment empruntés à Deleuze, à Derrida et à quelques autres, peut-on réellement considérer qu’il s’agit encore ici de Hegel et de sa Phénoménologie de l’esprit ?
70 Jean-Michel BUÉE (Université de Grenoble I)
21. Luigi RUGGIU, Logica, Metafisica, Politica. Hegel a Jena, Milano-Udine, Mimesis, 2009, 2 vol., 772 p.
71 L’ample monographie en deux volumes de Luigi Ruggiu est une enquête sur le rapport entre logique, métaphysique et politique durant la période d’Iéna. En réalité, l’arc chronologique dans lequel se situe cette étude est bien plus large que ne le dit le titre, parce qu’elle n’aborde pas seulement l’époque d’Iéna (1801-1807), mais aussi les années de jeunesse. Dès sa formation au Stift théologique de Tübingen, Hegel commence à comprendre quel lien la politique entretient avec la religion, et comment cette relation renvoie, à son tour, à celle qui lie la logique à la métaphysique. L’interprétation proposée par Ruggiu part de la thèse selon laquelle il ne faut pas considérer cette période d’Iéna, qui va se conclure par la Phénoménologie de l’esprit, comme une simple préparation au système définitif, mais comme une période philosophiquement auto-suffisante et indépendante de ce que Hegel va peu à peu élaborer après son séjour à Iéna. L’auteur ne reconnaît aucun changement radical entre la période de Berne et de Francfort, orientée vers des enquêtes politiques et religieuses, et la période postérieure, celle d’Iéna, consacrée à la réflexion sur la logique. Il estime au contraire que la continuité entre les deux périodes est telle que l’on peut considérer « l’intérêt de Hegel pour la logique » comme une « conséquence » de sa réflexion sur les thèmes éthiques, politiques et religieux.
72 Claudia MELICA (Sapienza Università di Roma) (Trad. J.-M.B.)
22. Wolfram HOGREBE (Hrsg.), Phänomen und Analyse. Grundbegriffe der Philosophie des 20. Jahrhunderts in Erinnerung an Hegels Phänomenologie des Geistes, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2008, 202 p.
73 L’année jubilaire de la Phénoménologie de l’esprit est finie et nous nous sommes remis des innombrables colloques consacrés à ce thème. Mais à cette première secousse fait suite, depuis quelque temps, sa réplique sous forme de documents écrits. On compte parmi ceux-ci l’ouvrage édité par W. Hogrebe, dans lequel des chercheurs venus de Pologne, de Russie et d’Allemagne se penchent sur les analyses hégéliennes du point de vue de leur signification et de leurs effets actuels.
74 Le volume se place dans le sillage du postulat de Windelband selon lequel le nombre de ceux qui comprennent la philosophie de Hegel ne cesse de diminuer. À l’occasion, les auteurs montrent pourquoi il en est ainsi – et aussi pourquoi il devrait en aller autrement. Ainsi, J. Kloc-Konkolowicz démontre de manière impressionnante comment l’appropriation unilatérale, par Honneth, du concept de reconnaissance en son sens communicationnel est source de problèmes et comment on pourrait échapper à ceux-ci si l’on considérait tout autant, avec Hegel, les aspects technico-économiques du concept. Th. S. Hoffmann met en évidence combien exigeante et complexe est la représentation qu’a Hegel de la religion, et comment à son époque – et en net contraste avec la perte de signification qui la caractérise aujourd’hui – la religion intègre et organise les multiples relations cognitives et pratiques de l’homme avec le monde. H. Busche montre le fil conducteur de la Phénoménologie du point de vue de l’avènement (téléo-) logique du sens. Et c’est justement à propos de la téléo-logie que l’esprit d’aujourd’hui se sépare de celui d’autrefois : ainsi la comparaison effectuée par P. Dybels des significations accordées à Antigone par Hegel, Lacan et J. Butler suggère que les analyses de Hegel montrent une autoréflexivité historique plus grande que celle de nombre de ses successeurs.
75 Le volume montre en quelques textes combien la force intellectuelle de Hegel, en sa complexité, pourrait être un auxiliaire dans l’analyse des phénomènes contemporains – dans un monde qui ne cesse de se complexifier ou du moins se comprend comme tel. À ceci près, sans doute, qu’il faut renoncer à la fermeture systématique propre à Hegel.
76 Christoph BINKELMANN (Technische Universität Berlin) (trad. G.M.)
Encyclopédie des sciences philosophiques
LOGIQUE
23. Andreas ROSER, Ordnung und Chaos in Hegels Logik, Frankfurt a. M., Peter Lang, 2009, 2 vol., 1028 p.
77 Andreas Roser propose une interprétation du commencement de la Doctrine de l’Être de 1812-1813, en insistant sur sa dimension de contingence. Une contingence qui, pour lui, affecte l’ensemble de l’édifice logique et constitue un légitime motif de dénonciation de la Science de la logique. Roser critique également le fait que Hegel explicite les catégories à l’œuvre dans la Logique objective – en particulier l’être-autre et l’être-pour-autre-chose – sur un mode essentiellement « analytique » et non pas au moyen de leur « auto-réflexivité ». Hegel serait enfin coupable de ne pas justifier la position de ces catégories dans le développement logique, et de ne pas proposer de concept « immanent » de la contingence. Pour Roser, le fondement propre de la Logique est l’existence contradictoire de la relation conceptuelle à soi-même, l’existence du concept absolu en tant qu’elle détermine toutes choses. Les catégories seraient dès lors de simples exemples de l’auto-interprétation du concept absolu. À partir de là, l’exigence d’absoluité propre au système hégélien ne pourrait être préservée que si le concept absolu atteignait l’auto-réflexivité en échappant au contingent – ce qui, aux yeux de l’auteur, n’est malheureusement pas acquis dans la logique hégélienne.
78 Gregor NOTTEBOM (Bochum) (trad. G.M.)
NATURE
24. Wolfgang NEUSER (Hrsg.), Naturwissenschaft und Methode in Hegels Naturphilosophie, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2009, 193 p.
79 S’il est clair que Hegel intègre dans sa philosophie de la nature l’essentiel de la science de son temps telle qu’il l’a comprise, la question est de savoir quel statut il accorde aux sciences empiriques de la nature et comment il pense le rapport que la philosophie spéculative entretient avec elles. L’ouvrage examine la question de savoir si la philosophie, pour Hegel, a pour tâche de fonder les sciences empiriques ou, au contraire, si elle attend sa validation de ces dernières.
80 Parmi les nombreux articles, celui de W. Neuser étudie le problème du statut philosophique de la méthode des sciences naturelles. Il se demande notamment dans quelle mesure, chez Hegel, la méthode moderne des sciences naturelles peut être considérée comme représentative de la modernité. Lu de Vos considère l’Idée du connaître et sa relation à la philosophie de la nature. Il défend la thèse selon laquelle la philosophie ne propose aucune fondation « métaphysique » des sciences de la nature, en arguant que celles-ci constituent bien plutôt la « présupposition » de celle-là. G. Rinaldi insiste sur la distinction entre les sciences finies, dépendantes et partielles, et la philosophie, autonome et totale. T. Posch examine le concept d’empirie chez Hegel à travers l’exemple de la chute libre. Il défend l’hypothèse selon laquelle la philosophie tend à fonder les lois de la nature telles qu’elles sont formulées par les sciences. D. Wandschneider, enfin, adopte la perspective du hégélianisme « pragmatique » de R. Brandom et réfléchit à un scepticisme « scientifique » susceptible d’être fondé.
81 Une des originalités du livre est d’expliciter les controverses entre ces différents auteurs, qui n’hésitent pas à se critiquer mutuellement. On obtient ainsi un ouvrage qui renonce à proposer une thèse unitaire mais, en même temps, met en évidence la richesse et les potentialités du thème traité.
82 Gilles MARMASSE (Université Paris-Sorbonne)
POLITIQUE
25. Walter PAULY (Hrsg.), Der Staat – eine Hieroglyphe der Vernunft. Staat und Gesellschaft bei Hegel, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, 2009, 272 p.
83 Pour Hegel, l’État doit être considéré comme « un hiéroglyphe de la raison qui se présente dans la réalité effective », c’est-à-dire comme une institution de la liberté réalisée. Le but du présent volume est de montrer comment, avec Hegel, on peut déchiffrer, en ce sens, l’« hiéroglyphe » étatique, quelles sont les limites d’une telle appréhension, et quelle impulsion la pensée hégélienne de l’État peut donner à une théorie moderne de l’État constitutionnel et des relations internationales.
84 Les contributions de la première partie mettent en évidence les fondements de la compréhension hégélienne de l’État et de la constitution. Elle est replacée dans la tradition de la pensée politique et des concepts fondamentaux : la liberté, l’esprit, la reconnaissance, l’éthicité. Dans la deuxième partie, à côté du concept hégélien de société civile, les éléments centraux de sa philosophie politique sont présentés, et notamment la théorie de la constitution et des institutions politiques. La troisième partie propose des réflexions sur le droit extérieur, la guerre et l’histoire mondiale. Dans la quatrième partie enfin, la réception de la pensée hégélienne est reconstituée : d’un côté les critiques anti-hégéliennes de Marx à Adorno, Popper et Derrida, de l’autre, l’héritage hégélien chez les communautariens et les libéraux.
85 Conformément à l’esprit de la collection dans laquelle il s’insère, le volume n’est pas seulement destiné aux philosophes mais aussi aux étudiants en sciences humaines et sociales (et en premier lieu de sciences politiques et de droit public). C’est sans doute en raison de cette orientation que l’ouvrage est dépourvu d’introduction systématique à la méthode spéculative-dialectique de Hegel en son application aux objets de la Realphilosophie. Les contributions, rédigées par des philosophes, des juristes et des spécialistes du politique, se rattachent cependant à l’état actuel de la recherche. Ainsi, non seulement elles offrent un bon panorama des thèmes et des problèmes de la philosophie hégélienne de l’État, mais elles donnent de multiples pistes pour une discussion fructueuse de cette philosophie dont elles démontrent qu’elle reste toujours actuelle.
86 Andris BREITLING (Université de Rostock) (trad. G.M.)
26. Andreas ARNDT, Christian IBER, Günter KRUCK (Hg.), Staat und Religion in Hegels Rechtsphilosophie, Berlin, Akademie Verlag, 2009, 161 p.
87 Ce livre, issu d’un colloque qui s’est tenu à Francfort en 2007, réunit onze contributions autour d’un thème des plus actuels et qui dépasse largement le simple domaine du discours philosophique. La remarque du § 270 des Principes de la philosophie du droit est au centre des débats, mais sur ce point il y a consensus : Hegel a en vue « un État séculier qui historiquement est pourtant issu des idées protestantes de liberté », un État qui « coopère avec une éthicité, obligeante, organisée par l’Église » (p. 117). Si la contribution de Walter Jaeschke qui ouvre le volume décrit la voie suivant laquelle Hegel est parvenu à cette position et si de nombreuses contributions éclairent de possibles malentendus, on trouve également dans ce volume des points de vue sur Spinoza, Marx ou Benjamin. La question qui anime ces contributions est celle de savoir dans quelle mesure la conception hégélienne de l’État, qui requiert une « disposition d’esprit » fondée sur la religion protestante, reste encore attachée au verdict de la société civile (Iber) ou si, à travers la réception de l’histoire politique du christianisme dans la pensée chrétienne de Dieu, il offre une conception de la « religion politique » et, à nouveau, si cette dernière doit être comprise comme le corrélat de la société civile ou comme une restriction dans le cadre de son outrepassement. Il y a consensus sur le fait que Hegel n’a pas en vue un « romantisme du citoyen » au sens de Rousseau. Si la conception de Hegel peut s’avérer dépassée à l’âge de la globalisation (le problème n’est certes posé qu’à une seule reprise sous la forme d’une question, p. 120), du point de vue de Hegel un simple « patriotisme constitutionnel » est une réponse trop courte. Mais il faudrait ouvrir d’autres débats sur ce point.
88 Wilfried GRIEßER (Wien) (trad. D.W.)
27. Andreas ARNDT, Paul CRUYSBERGHS, Andrzej PRZYLEBSKI (Hg.), Hegel- Jahrbuch 2008. Hegels politische Philosophie, Erster Teil, Berlin, Akademie Verlag, 2008, 324 p. Hegel-Jahrbuch 2009. Hegels politische Philosophie, Zweiter Teil, Berlin, Akademie Verlag, 2009, 336 p.
89 Ces deux volumes se composent de 99 conférences qui ont été tenues par des chercheurs du monde entier lors du XXVIe congrès de la Internationale Hegel-Gesellschaft en Pologne. Ce recueil, dont la richesse ne permet guère que l’on mette en avant tel ou tel auteur, est tout à fait précieux dans la mesure où la perspective transculturelle et transnationale qui est la sienne ne permet pas seulement d’éclairer les multiples facettes des propos de Hegel touchant l’État, la société, le droit et la liberté, mais permet en outre de montrer combien sa philosophie est actuelle dans divers contextes. Si l’on considère le rapport de Hegel à la nation qui a accueilli ce colloque durant cinq jours en septembre 2006, il devient tout à fait clair que le philosophe souabe s’est attaché de manière nuancée à l’histoire et à la politique de chaque pays ; certes, à cause de la domination du catholicisme, il compte la Pologne parmi les nations qui ne sont pas encore consolidées politiquement, mais il estime et reconnaît sa culture de manière inconditionnelle et soutient idéellement les luttes du peuple polonais en vue de sa liberté. Le concept de « liberté » est lui aussi, avec celui de « droit », au cœur des essais que réunissent ces deux volumes. Hegel ne comprend pas le droit comme la limitation d’une liberté qui serait prétendûment infinie en elle-même, mais bien plutôt comme la réalisation de cette dernière. Bon nombre de contributions ne s’attachent pas simplement à l’élucidation du sens de cette pensée fondamentale, mais aussi au malentendu fréquent qui voudrait en faire une oppression totalitaire des individus. Il s’avère que la liberté ne peut pas être déterminée du point de vue de la subjectivité mais seulement dans la médiation universelle. Pourtant les contributions montrent également que la liberté est historiquement conquise et que l’histoire comporte de ce fait une signification inestimable. Un autre concept clef qui apparaît dans ces volumes est celui de « raison ». Afin de prémunir la philosophie d’une fuite hors de la réalité, Hegel ne conçoit ni ce qui a été effectué comme s’opposant à la raison, ni la raison comme une fiction. L’État n’est pas quelque chose qui serait simplement pensé, mais il est la raison devenue effective de la loi. Ainsi un grand nombre d’articles se consacrent aux formes concrètes de l’éthicité : les débats relatifs aux genres, le traitement actuel des problèmes de la société civile ainsi que le modèle de l’État de droit moderne compte tenu des transformations historiques des 200 dernières années. Un complexe thématique tout aussi important touche au rôle des instances de l’esprit absolu qui attribuent une certaine ligne de conduite à l’État. C’est particulièrement le cas pour la religion et pour la détermination du rôle de l’islam, de la laïcité, de l’influence des Églises dans la vie moderne ou pour la philosophie comme conscience de soi plus élevée de l’État.
90 Il était nécessaire et important d’offrir à la recherche hégélienne une publication aussi riche de perspectives qui satisfait pleinement à la pluralité des thèmes et à l’actualité de la philosophie politique de Hegel ; une publication qui entreprend en outre d’interroger le rapport de cette philosophie politique avec d’autres approches comme celles de Kant, de Fichte, de Nietzsche, de Habermas ou du marxisme et qui offre un vaste panorama de la manière dont on travaille à travers le monde ainsi que des résultats auxquels ces recherches conduisent.
91 Niklas HEBING (Archiv-Hegel Bochum) (trad. D.W.)
ESTHÉTIQUE
28. Alain-Patrick OLIVIER, Hegel, la genèse de l’esthétique, Rennes, Presses uni versitaires de Rennes, 2009, 240 p.
92 Le contenu de cet ouvrage s’articule autour de trois gestes forts : le souci de ne pas oublier l’homme Hegel, l’intérêt fin et documenté pour les différentes sources et versions du cours d’esthétique, la lecture de l’esthétique hégélienne sous l’angle de sa constitution. On trouve aussi un déplacement inédit, de l’étude des esthétiques particulières au projet général.
93 L’esthétique de Hegel nous donnerait alors la pensée d’un singulier, et poserait au cœur du système hégélien la question de l’auteur, et celle des rapports entre l’individu et la collectivité.
94 Le lecteur trouvera dès lors dans cet ouvrage une réinsertion minutieuse de l’esthétique de Hegel dans son contexte d’émergence historique et spirituelle. La première partie insiste sur l’abandon de la religion de la beauté au profit de la « religion de l’utilité ». La seconde partie insiste de manière très détaillée sur les rapports entre Hegel et les « romantiques », invitant à relire la modernité hégélienne et les droits du sujet en matière d’esthétique, justifiant le maintien de ce terme même. La troisième partie souligne – à partir d’une analyse détaillée du rapport de Hegel à l’art durant sa période berlinoise – le sens de « la fin de l’art », entre « après » et « décomposition ». L’histoire de l’art est alors histoire de la relativisation de l’art (165). Ce dernier temps de l’ouvrage s’efforce de rendre compte précisément de l’intérêt de Hegel pour l’art oriental.
95 Il s’agit en effet de distinguer le « processus génétique » (p. 18), passage du classique au symbolique via le romantisme, du « processus historico-logique » (ibid.), passage du symbolique au classique puis au romantique. La genèse de l’esthétique est alors solidaire d’une déclinaison des rapports de Hegel à l’œuvre d’art aux différentes étapes de son parcours intellectuel.
96 Le risque de réduire le « processus de surgissement » (p. 12) de l’esthétique à une « simple théorie des pratiques » (ibid.) est évité. L’auteur s’applique alors soigneusement à montrer de quelle manière la constitution de l’idéalisme même demande un retour problématique sur un irréductible au logique, qui a pour nom l’esthétique. L’aspect « pré-logique » de l’esthétique se révèle alors, celle-ci se constituant tel un avant du système. Aussi peut-elle être dite échapper au « cercle du logos » (p. 11)
97 L’une des thèses fortes de ce livre est en effet que la genèse de l’esthétique de Hegel doit être comprise comme « la genèse esthétique du système » (p. 12). L’histoire de la philosophie elle-même, selon l’auteur, relève de la modalité du récit. Le rôle constitutif de l’esthétique dans « cette dramaturgie de l’être » (p. 75) ressort par sa mise en regard avec la vie de Hegel lui-même. L’ambition conceptuelle ne semble plus exclure comme son autre l’existence d’un récit individuel.
98 Julien LABIA (Université Paris-Sorbonne)
Lectures contemporaines
29. Axel HONNETH, Les pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philo sophie du droit de Hegel, trad. et présenté par F. Fischbach, Paris, La Découverte, 2008, 130 p.
99 Le Bulletin n° 14 avait rendu compte en 2004 de la parution de l’original allemand de ce livre d’A. Honneth (Leiden an Unbestimmtheit) de la manière suivante :
100 « Peu volumineux, ce livre est important : il propose une “réactualisation de la philosophie hégélienne du droit” destinée à montrer qu’en ce domaine également un “retour à Hegel”, comparable à celui qui s’opère depuis quelques années sur le front de la théorie de la connaissance, peut être fructueux. Il ne s’agit pas de prétendre que les Grundlinien offriraient des réponses aux questions que soulève la philosophie politique contemporaine, mais de montrer qu’une certaine lecture “non métaphysique” des textes juridico-politiques hégéliens permet d’affronter, voire de résoudre certaines difficultés rencontrées par celle-ci, par exemple lors du débat (en partie artificiel) entre “libéraux” et “communautariens”. Une fois écartée les objections politiques (Hegel est un adversaire de la démocratie) et méthodologiques (les présupposés logico-spéculatifs de sa pensée sont inacceptables aujourd’hui) qui peuvent être adressées à cette perspective, Honneth s’emploie à “reconstruire” la philosophie du droit de Hegel en vue de montrer qu’elle peut alimenter la discussion contemporaine. Trois questions sont successivement abordées. Tout d’abord, il s’agit de comprendre la théorie hégélienne du droit, centrée qu’elle est sur l’idée de “volonté universellement libre”, comme une théorie de la justice au sens contemporain du terme, une théorie qui dégage les conditions intersubjectives de l’autonomie individuelle et distingue les “sphères” de la réalisation de soi. En deuxième lieu, dans le droit fil de ses précédents travaux sur la reconnaissance et la “souffrance sociale”, Honneth montre qu’on peut trouver dans la doctrine de la Sittlichkeit les ingrédients d’une « thérapeutique des pathologies sociales ». Enfin, il propose de comprendre cette doctrine, débarrassée de ses aspects obsolètes, comme une théorie normative de la modernité, théorie dont les limites tiendraient à son caractère “surinstitutionnel”. C’est d’ailleurs un point sur lequel la démonstration peut être discutée : n’est-t-elle pas victime d’un affect “anti-institutionnel” commun à de larges secteurs de la philosophie politique “libérale” contemporaine ? Ces analyses suggestives et fécondes sont largement convaincantes et témoignent, à l’instar des travaux de Pinkard, de McDowell, de Pippin et de Brandom, de l’inventivité et de la fécondité des lectures “non métaphysiques” de Hegel. Comme les auteurs précédents, Honneth doit bien entendu offrir une réponse à la question préjudicielle : dans quelle mesure les énoncés hégéliens (ici : ceux qui concernent “l’esprit objectif”) font-ils sens lorsqu’on les abstrait du contexte logico-spéculatif de leur justification ? Il y a matière ici à des débats fructueux ».
101 Depuis lors, ces débats se sont enrichis et sont devenus presque familiers aux lecteurs français, grâce aux efforts faits par un certain nombre de philosophes et de spécialistes de Hegel, comme le traducteur du livre, pour faire connaître dans notre espace linguistique et y acclimater ce que l’on nomme désormais la « théorie de la reconnaissance ». On lira avec intérêt, en même temps que le texte dense de Honneth, la présentation de Franck Fischbach, qui expose avec beaucoup de bonheur les enjeux de la « réactualisation » de Hegel que propose ce texte.
102 J.- F. KERVÉGAN (Université Paris 1/IUF)
30. « Hegel pragmatiste ? », Philosophie, n° 99, automne 2008, Éditions de Minuit, 127 p.
103 L’actualité de l’intérêt pour Hegel dans le champ de la philosophie anglo-saxonne contemporaine n’est pas sans susciter l’étonnement de prime abord, tant paraissait irréversible la fin de non-recevoir qu’adressa Russell au philosophe de l’idéalisme absolu au début du XXe siècle. À ce titre, la prise de distance à l’égard de Hegel paraissait par bien des aspects constitutive de la césure entre les traditions analytique et continentale. Le présent volume, le premier en France consacré à la publication des textes fondamentaux de l’approche pragmatiste de Hegel, représente un événement éditorial de tout premier plan pour ce qui est de la mise en valeur de l’actualité théorique de la conceptualité hégélienne, « à la hauteur, soulignent dans leur présentation ceux qui ont conçu ce numéro (J.M. Buée, E. Renault, O. Tinland, D. Wittmann), des défis de l’épistémologie, de la philosophie de l’esprit, de la théorie de l’action, de la théorie esthétique et de la philosophie politique contemporaine », autant de domaines où la philosophie de Hegel paraissait, non sans injustice, ne plus avoir sa place. Aussi l’ouvrage permet-il de déployer trois volets de l’aventure, éventuellement (car l’enjeu du volume reste en effet d’ouvrir une question) pragmatiste de Hegel : redécouvrir le hégélianisme des pragmatistes (Dewey, Mead), en quoi la lecture du texte de Rorty s’avèrera décisive, questionner avec Pinkard et Pippin l’éventualité d’une interprétation exhaustivement pragmatiste de Hegel, et enfin examiner le hégélianisme dont se réclament les tenants actuels du néo-pragmatisme (Brandom, McDowell). Soulignons que la grande clarté des traductions proposées fait du présent volume un outil de travail indispensable.
104 Raoul MOATI (Université Paris I)
31. Dario PERINETTI et Marie-Andrée RICARD (éds.), La Phénoménologie de l’es prit de Hegel : lectures contemporaines, Paris, PUF, 2009, 229 p.
105 Parallèlement à la publication d’un numéro de la revue Philosophie consacré à « Hegel pragmatiste ? » (septembre 2009), le présent recueil constitue une bonne introduction aux lectures contemporaines de Hegel, en particulier de son premier ouvrage d’importance, la Phénoménologie de l’esprit. Le « casting » germano-américain de l’ouvrage s’avère de prime abord assez impressionnant : Robert Brandom, Rolf-Peter Horstmann, Walter Jaeschke, Terry Pinkard, Robert Pippin, Ludwig Siep. Derrière l’unité thématique de ce recueil, force est de reconnaître une certaine disparité entre des études relativement orthodoxes de la Phénoménologie (Jaeschke sur l’idée d’une histoire de la conscience de soi, Pippin sur le statut des références littéraires, Siep sur les différents degrés de la reconnaissance) et des interprétations beaucoup plus originales voire déconcertantes de la pensée hégélienne, animées par un souci explicite d’opérer une réactualisation du message hégélien à la lumière des acquis de la philosophie contemporaine (Brandom sur le lien entre désir, reconnaissance et conscience de soi, Horstmann sur les implications épistémologiques de l’ontologie moniste, Pinkard sur l’édification d’un monisme non pas ontologique mais normatif). Une telle disparité d’approche et de style rend particulièrement difficile une évaluation d’ensemble des contributions de cet ouvrage : force est de reconnaître un certain manque de cohésion éditoriale dans la sélection des textes proposés. Cela étant dit, évoquons rapidement le bon et le moins bon : le meilleur est à chercher du côté des contributions « classiques » (Siep surtout, qui propose dans son article une synthèse utile de ses travaux antérieurs sur la reconnaissance, et dans une moindre mesure Jaeschke) mais aussi de certains articles plus audacieux, tel celui de Brandom dans lequel l’auteur entreprend une intéressante transposition de la logique de la reconnaissance dans l’idiome de la logique contemporaine. L’article de Horstmann propose également une tentative fort respectable (bien qu’à nos yeux inaboutie) pour dégager certains enjeux épistémologiques actuels de l’entreprise hégélienne : a contrario, l’article de Pinkard (qui s’oppose explicitement au précédent) s’avère pour le moins décevant, l’idée de normativité s’avérant ici bien trop vague et élastique pour procurer un quelconque surcroît d’intelligibilité au projet hégélien. Au final, ce livre vaudra surtout aux yeux du lecteur francophone comme une porte d’entrée commode dans l’univers complexe des interprétations contemporaines de Hegel : si l’ensemble s’avère quelque peu inégal et décousu, il convient néanmoins de saluer l’initiative, qui contribue à resserrer les liens entre les études hégéliennes francophones et leurs homologues germaniques et anglo-saxonnes.
106 Olivier TINLAND (Université de Montpellier III)
32. Asger SØRENSEN, Morten RAFFNSØE and Arne GRØEN (eds), Dialectics, Self- Consciousness, and Recognition, Malmö, Suède, NSU Press, 2009, 261 p.
107 Cet ouvrage collectif rassemble neuf articles dont l’objectif est d’évaluer l’héritage hégélien s’agissant de la reconnaissance et de la conscience de soi. Dès lors, la plupart de ces essais sont inspirés par Hegel plus qu’ils ne se rapportent directement à lui.
108 C’est particulièrement vrai de la contribution de Robert Brandom, « The Structure of Desire and Recognition : Self-Consciousness and Self-Constitution ». Il se propose de rendre compte de la reconnaissance forte de l’appétit biologique, reliant le niveau pré-subjectif de la Phénoménologie de l’esprit à la naissance du sujet proprement dit. Selon Brandom, le sujet animal partage avec le sujet humain une certaine intentionnalité, un désir, qui est irréductible à un simple mécanisme, au sens où il est lui-même un type d’orientation normative. Le sujet animal peut être ou non satisfait, et il se sait être tel, ce qui est l’indice d’une certaine distance réflexive par rapport à sa tâche qu’interdirait une conception mécanique du désir. Cette orientation normative est alors comprise comme consistant dans une capacité subjective de risquer sa vie pour ses valeurs. Le sujet (animal ou humain) risque quelque chose quand il décide de manger une baie et cet acte le constitue.
109 Pour Brandom, le problème de la reconnaissance est que la normativité qui existe à l’intime du sujet doit aussi exister à l’extérieur de lui. La reconnaissance est donc reconnaissance du fait que d’autres créatures sont assujetties aux mêmes normes que moi. Cela implique une série complexe d’étapes dont le résultat montre que la reconnaissance doit être conçue comme transitive : reconnaître quelqu’un, cela signifie pour moi que je reconnais ceux qu’il reconnaît. La structure normative aperçue dans le désir, qui consiste à prendre quelque chose comme étant telle chose (une baie comme étant de la nourriture), est ainsi étendue aux relations entre les sujets en général. En reconnaissant quelqu’un, je reconnais les normes qui font autorité pour lui comme faisant également autorité pour moi et aussi pour d’autres.
110 À côté de la contribution d’Axel Honneth, on trouve plusieurs articles qui portent sur l’œuvre de Honneth. Le cœur de la conception de la reconnaissance exposée dans son article, « Justice as Institutionalized Freedom », réside dans l’idée que la liberté hégélienne, qui s’oppose à la liberté négative ou réflexive (kantienne), est objective plutôt que simplement intersubjective. La liberté objective se réalise en dissolvant les désirs individuels divergents dans les normes effectivement partagées par les membres de la société. C’est le rôle des institutions de créer ce lien profond entre les structures individuelles du désir.
111 Comme le souligne Ejvind Hansen dans son article intitulé « The Hegelian Notion of Progress and its Applicability in Critical Philosophy », la façon dont Honneth comprend le progrès repose sur une conception robuste de celui-ci : les normes nouvelles sont aussi de meilleures normes. Une telle idée est décisive pour Honneth car sa théorie de la reconnaissance requiert que les normes ne soient pas arbitraires. Hansen estime néanmoins qu’étant donnée notre inscription dans des pratiques sociales et la perspective biaisée qui en découle, il n’est en fait pas possible de savoir si nos normes sont réellement universelles. Il suggère que nous revenions à un concept de progrès moins étendu, qui s’en tiendrait à la simple possibilité de l’Aufhebung. Une telle conception déboucherait sur une théorie de la reconnaissance qui serait à la fois attributive et réactive : la reconnaissance attributive donnerait à l’autre un statut et la reconnaissance réactive serait la perception d’une entité déjà reconnaissable. Une dialectique de la reconnaissance ainsi conçue rendrait possible une appréciation critique de la différence culturelle sans sombrer dans le relativisme.
112 Stefan BIRD-POLLAN (Université du Kentucky, États-Unis) (trad. O.T.)
33. Umberto SONCINI, Il senso del fondamento in Hegel e Severino, Genova-Milano, Marietti, 2008, 383 p.
113 Ce livre est une analyse précise des systèmes philosophiques de Hegel et d’Emanuele Severino (né en 1929), qui souligne le progrès spéculatif auquel parvient ce dernier. Le traitement comporte deux parties. La première est consacrée à une reconstruction de l’ensemble du développement de la pensée hégélienne : il s’agit de montrer qu’elle est la forme la plus rigoureuse de la pensée occidentale, même si elle reste prise dans des difficultés qui sont insolubles au sein de ce paradigme philosophique. La deuxième partie essaie de montrer, en analysant les textes les plus importants de Severino, que dans le cadre néo-parménidien qui définit son propos philosophique, ces difficultés peuvent être résolues. Néanmoins, cette conclusion est d’une certaine manière viciée par le point de vue, lui-même totalement sevérinien, à partir duquel l’analyse et la confrontation des textes sont développées.
114 Michela BORDIGNON (Università degli Studi di Padova) (trad. J.-M.B.)
34. Luigi RUGGIU, Italo TESTA (a cura di), Lo spazio sociale della ragione. Da Hegel in avanti, Milan, Mimesis Edizioni, 2009, 491 p.
115 Les textes qui composent ce volume sont tous issus des communications prononcées à Venise en 2006, lors d’un colloque sur « l’espace social de la raison », qui faisait suite au colloque consacré en 2001 à la « réception américaine de Hegel ». Rien de surprenant dès lors à ce qu’une large place soit faite à la discussion des thèses de R. Brandom – dont on trouvera ici un texte sur la structure du désir et de la reconnaissance dans la Phénoménologie – et de J. McDowell. Une fois retracée la genèse de ce type de lecture (L. Ruggiu), certaines contributions discutent les points de vue de Brandom et de Mc Dowell, à partir de Hegel (I. Testa, qui conteste toute lecture « dualiste » en insistant sur la présence, dans les textes hégéliens de la maturité, de la notion de « seconde nature » ; S. Poggi, qui souligne l’intérêt de l’approche hégélienne de l’intentionnalité de la conscience) ou de façon indépendante (D. Macbeth). D’autres cherchent plutôt à reformuler en termes contemporains la thèse du primat de l’esprit objectif en refusant tout « individualisme méthodologique » (V. Descombes, dont les travaux font ici l’objet d’une présentation détaillée de D. Zucca), ou ils cherchent à confronter Hegel à d’autres auteurs, importants pour la « tradition analytique » – tels Searle, à propos de la construction de la réalité sociale (F. Di Lorenzo) ou Meinong, à propos de l’existence des objets non-existants (F. D’Agostini). Il est évident que dans le cadre d’une interrogation sur l’espace social des raisons, le lien entre personnalité et reconnaissance constituait une question centrale. Mais celle-ci est souvent abordée dans ce texte sans référence explicite à Hegel : C. Larmore discute les analyses de R. Spaemann dans Personen, R. Tuomela propose une formalisation de la notion d’intentionnalité collective, U. Fabietti s’interroge sur le rôle ambigu du schème de la reconnaissance dans les revendications d’identité de telle ou telle culture minoritaire, alors que H. Ikäheimo réfléchit sur les thèses d’A. Honneth plus que sur celles de Hegel. Il en va de même pour le thème de la mondialisation et ses répercussions sur la question de la justice (N. Fraser, qui propose une théorie originale de la justice dans le contexte « anormal » de l’ère de la globalisation, où la raison sociale ne peut plus se fonder sur l’existence de sociétés aux contours bien délimités) ou sur le problème de l’articulation entre universalité et reconnaissance des différences culturelles (G. Marramao). On trouvera néanmoins un certain nombre d’études plus « historiques » ou plus « classiques » sur Hegel lui-même : rapport privé-public chez le jeune Hegel (G. Cantillo), dimension communautaire de la vie dans le Systemfragment de 1800 (F. Mora), place et rôle de l’Orient musulman dans la Philosophie de l’histoire et la Philosophie de la religion (G. Bonacina), rôle fondateur de la logique de l’essence dans la pensée de la réalisation moderne de la liberté (B. De Giovanni), capacité de l’institutionnalisme hégélien à faire de l’individu un sujet capable de mener une vie éthique (J.-F. Kervégan), limites de la problématique de la raison communautaire, que sa prétention à rendre absolument raison d’elle-même condamnerait paradoxalement à une « solitude » oublieuse de l’altérité de la nature au sein de laquelle elle reste inscrite (V. Vitiello), « anachronisme » du modèle de la raison systématique, qui devrait laisser place à un dialogue de « raisons plurielles » (S. Natoli), interprétation originale de la Phénoménologie qui voit en elle une tentative, inspirée d’Aristote, pour défendre sur un mode moderne l’irréductibilité de la théorie au formalisme logique auquel voudraient la réduire les Stoïciens (K.R. Dove).
116 J.-M. BUÉE (Université de Grenoble 1)
Notes
-
[1]
La coordination du Bulletin est assurée, sous la responsabilité de J.-F. Kervégan, par F. Menegoni, O. Tinland, D. Wittmann, J.-M. Buée, A. Sell, G. Marmasse (coordonnateur). Ont participé à la rédaction de la présente livraison : C. Binkelmann, S. Bird-Pollan, M. Bordignon, C. Bouton, A. Breitling, J.-M. Buée, O. Depré, A. Gambarotto, W. Grießer, N. Hebing, J. Herla, J.-F. Kervegan, J. Labia, G. Lejeune, G. Marmasse, Cl. Melica, R. Moati, G. Nottebom, F. Palacio, E. Renault, F. Sanguinetti, A. Sell, A. Simhon, O. Tinland, P. Tschirner, D. Wittmann.