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Article de revue

Exister vivant

Le sens de la naissance et de la mort chez Martin Heidegger et Paul Ricœur

Pages 317 à 336

Notes

  • [*]
    Cet article est issu d’une communication faite lors du colloque La Mort et l’origine. En hommage à Heidegger et à Freud, Evora (Portugal), 16 et 17 novembre 2006. Ce colloque était dirigé par Irene Borges-Duarte et organisé conjointement par le Centre de philosophie de l’université de Lisbonne et l’Institut de philosophie de l’université d’Evora. Les actes ont été publiés par le Centre de Philosophie de l’Université de Lisbonne.
  • [1]
    Philosophie de la volonté I : Le Volontaire et l’involontaire, Paris, Aubier, 1988, p. 407.
  • [2]
    Ibid., p. 435.
  • [3]
    La critique et la conviction, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p. 237.
  • [4]
    Cette précision permet de démarquer la philosophie ricoeurienne de l’être-en-vie de la philosophie henryenne de la vie. La vie, telle que l’entend Michel Henry, se reçoit elle-même. Elle n’est justement pas reçue d’un autre.
  • [5]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 408.
  • [6]
    La critique et la conviction, op. cit., p. 237.
  • [7]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 432.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    La critique et la conviction, op. cit., p. 237.
  • [10]
    Paris, Éditions du Seuil, 2007.
  • [11]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 389.
  • [12]
    Ibid., p. 420 et suivantes.
  • [13]
    « Négativité et affirmation originaire », Histoire et vérité, Paris, Seuil, 1967, p. 378.
  • [14]
    Cf. d’abord Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 384 et suivantes.
  • [15]
    Ibid., p. 415.
  • [16]
    Ibid., p. 407.
  • [17]
    Ibid., p. 411.
  • [18]
    Ibid., p. 412.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Ibid., p. 415.
  • [21]
    Ibid., p. 413.
  • [22]
    Ibid.
  • [23]
    Ibid. Il en est ainsi de la naissance comme de l’instant selon Aristote.
  • [24]
    Ibid., p. 415.
  • [25]
    Ibid.
  • [26]
    Ibid., p. 416.
  • [27]
    C’est alors, paradoxalement, en nous perdant dans l’abîme de la mémoire que nous nous trouvons.
  • [28]
    Un lecteur de Heidegger remarquera peut-être que notre fin nous est elle-même donnée de cette manière; et il en tirera une preuve de sa primauté ontologique – la naissance lui apparaissant alors comme un phénomène dérivé. Mais un lecteur de Husserl rapprochera plutôt le phénomène de la naissance du phénomène d’autrui. Tous deux nous sont en effet présents sur le mode de l’absence. Tous deux, autrement dit, sont visés dans une intention qui manque essentiellement de l’intuition qui viendrait la remplir. Superposera-t-on ici, à la cinquième des Méditations cartésiennes, la deuxième des Recherches logiques: affirmera-t-on que, de l’intention et de l’intuition, c’est la première qui doit être tenue pour « l’acte qui confère la signification »? Alors on pourra parler sans contradiction, dans les deux cas, d’une absence significative.
  • [29]
    Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, §31.
  • [30]
    Nous employons librement ces termes, en sachant que le premier s’applique plutôt, chez Husserl, à l’imagination (distinguée alors du ressouvenir) et que le second n’appartient pas à son vocabulaire.
  • [31]
    Les deux premiers, on va le voir, impliquent une certaine symétrie entre naissance et mort. Mais cette symétrie est rompue par le troisième au profit de la naissance.
  • [32]
    Elle ne commence rien absolument.
  • [33]
    Op. cit., p. 34.
  • [34]
    Comme l’exprime bien le futur antérieur : « il aura été ». L’homme, ainsi, a toujours encore à naître. Et s’il est vrai que sa naissance n’a eu lieu qu’une fois, il n’est pas moins vrai qu’elle dure toute sa vie. C’est ce qui fait de l’éducation une tâche et empêche de séparer le don de la vie du don de la liberté.
  • [35]
    Être et temps, §72; voir aussi §79.
  • [36]
    Il en est de l’extension du Dasein selon Heidegger comme de la distension de l’âme selon saint Augustin : comme la seconde prend sa source dans l’âme elle-même, le premier a pour origine le Dasein lui-même.
  • [37]
    Être et temps, §75.
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    « Travail, œuvre et action », Études phénoménologiques, Bruxelles, Ousia, n° 2,1985, p. 26.
  • [40]
    Et avec lui les théologiens influencés par la philosophie de Hegel et partageant l’idée d’une auto-limitation du divin.
  • [41]
    Cf. G. SCHOLEM, Les grands courants de la mystique juive, trad. fr., Paris, Payot, 1973.
  • [42]
    Le terme de « kénose », employé par les Pères grecs, exprime cette idée.
  • [43]
    La condition de l’homme moderne, trad. fr. G. Fradier, Paris, Calmann-Lévy, 1983, p. XXVIII.
  • [44]
    Ibid., p. 278.
  • [45]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 414.
  • [46]
    La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975.
  • [47]
    Et non représentationnelle.
  • [48]
    Sans doute ne pourrions-nous pas, sans celle-ci, projeter devant nous notre naissance et rejeter derrière nous notre mort. C’est la thèse défendue déjà dans l’ouvrage sur Freud, où l’accent est mis plus particulièrement, toutefois, sur la force poétique du symbolisme religieux (De l’interprétation, Paris, Seuil, 1965, p. 521 et suivantes. Voir aussi dans ce sens Penser la Bible, Paris, Seuil, 1998, où se trouvent développées, textes à l’appui, les intuitions présentées dans ce premier ouvrage). La seconde herméneutique de Ricoeur, qui tient le texte pour la projection d’un monde possible et une invitation faite au lecteur de transformer, sous sa conduite, sa propre existence, est une extension de la même thèse à d’autres productions du langage.
  • [49]
    Op. cit., p. 386.
  • [50]
    Ibid., p. 388.
  • [51]
    Karl Jaspers et la philosophie de l’existence, Paris, Seuil, 1947. Ce livre fut écrit en collaboration avec Mikel Dufrenne, le compagnon de captivité de Paul Ricoeur durant les années de guerre.
  • [52]
    De cette ouverture témoignent, sur le plan de la pensée, les « idées » kantiennes et leurs différentes façons de tendre vers l’« inconditionné ».
  • [53]
    K. JASPERS, Philosophie, trad. fr. J. Hersch, Paris-Berlin-Heidelberg, Springer Verlag, 1989, p. 48.
  • [54]
    Le mot est chez Jaspers.
  • [55]
    Ce mot aussi est commun aux deux auteurs.
  • [56]
    Op. cit., p. 366-367.
  • [57]
    Être et temps, §51.
  • [58]
    Philosophie, op. cit., p. 437.
  • [59]
    La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 467 et 469.
  • [60]
    Dans L’angoisse du temps présent et les devoirs de l’esprit, Genève, La Baconnière, 1953; repris dans Histoire et vérité, Paris, Seuil, 1954/1967.
  • [61]
    Op. cit., p. 359.
  • [62]
    Ibid.
  • [63]
    Ibid. : « Les vivants meurent les uns après les autres ».
  • [64]
    Ibid. : « Tous les hommes meurent donc moi aussi ».
  • [65]
    Ibid., p. 360. La reprise, dans ce contexte, de l’expression employée par Heidegger dans Être et temps n’est pas innocente.
  • [66]
    Ibid.
  • [67]
    Ibid.
  • [68]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 433.
  • [69]
    Philosophie de la volonté II, op. cit., p. 120.
  • [70]
    Ibid.
  • [71]
    Philosophie, op. cit., p. 432.
  • [72]
    Philosophie de la volonté II, op. cit., p. 155-156.
  • [73]
    Histoire et vérité, op. cit., p. 394.
  • [74]
    Ibid., p. 358.
  • [75]
    Philosophie de la volonté II, op. cit., p. 156. Cette tristesse même, d’ailleurs, n’est pas liée seulement à notre mortalité : c’est d’abord la déception adolescente de ne pouvoir « tout prendre et tout embrasser » (Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 420); c’est ensuite le sentiment que suscitent la singularité de notre caractère et le fait injustifiable de notre venue au monde – à propos de laquelle on peut parler de « tristesse de la contingence » (ibid., p. 422).
  • [76]
    J. NABERT, Éléments pour une éthique, Paris, Montaigne, 1971, p. 68.
  • [77]
    Ibid., p. 72.
  • [78]
    Philosophie de la volonté II, op. cit., p. 153.
  • [79]
    Ibid., p. 156.
  • [80]
    Ibid. : « Je ne pense pas directement l’homme mais je le pense par composition, comme le mixte de l’affirmation originaire et de la négation existentielle ».
  • [81]
    Lectures 3, Paris, Seuil, 1994, p. 133.
  • [82]
    Histoire et vérité, op. cit., p. 362.
  • [83]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 416.
  • [84]
    Du moins du consentement véritable. Dans les dernières pages du Volontaire et l’involontaire, Ricœur distingue entre trois conceptions – stoïcienne, orphique, eschatologique – du consentement : la première trahit l’orgueil d’une volonté sans limite; la deuxième voit la volonté prête, à l’inverse, à renoncer à soi; la troisième seule traduit « la grandeur et la misère » d’une volonté pleinement – mais « seulement » – humaine.
  • [85]
    Histoire et vérité, op. cit., p. 376.
  • [86]
    Ibid., p. 377.
  • [87]
    Vivant jusqu’à la mort, op. cit.
  • [88]
    Ibid., p. 42-43.
  • [89]
    Ibid., p. 43-45.
  • [90]
    Ibid., p. 43.
  • [91]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 439.
  • [92]
    Ibid.
  • [93]
    La critique et la conviction, op. cit., p. 235.
  • [94]
    C’est ce que veut dire proprement cette expression : « exister vivant ». L’angoisse de la fin n’annule pas la joie des commencements. Elle reçoit bien plutôt de celle-ci son sens. Qu’importe la fin à qui n’a pas goûté cette joie ! L’amour, en nous l’apprenant, ne nous rend pas la vie plus facile. Car en même temps qu’il grandit, grandit la peur de perdre. Ce n’est pas le moindre paradoxede cette philosophie de l’espérance de faire paraître sous un nouveau jour le tragique de l’existence.

1Dans sa thèse sur le volontaire et l’involontaire, écrite vingt ans après Être et temps, Paul Ricœur remarque avec un brin d’ironie : « L’évocation de la naissance n’est pas familière aux philosophes; la mort est plus pathétique »  [1]. Cela tient peut-être à la racine grecque de la philosophie. Pour Socrate, philosopher, c’est apprendre à mourir. Les stoïciens sont, à cet égard, ses meilleurs disciples : ils font de la mort la mesure de leur courage et de leur orgueil. Le christianisme, curieusement, n’inverse pas cette priorité. L’homme y est encore confondu avec sa condition mortelle. Ses rêves d’immortalité n’y changent rien. Ils montrent seulement que la mort a pour lui une signification qu’elle n’a pas pour les autres animaux. « L’homme seul est mortel », renchérit Heidegger à l’autre extrémité de cette longue tradition. Il énonce ainsi, non une connaissance objective d’ordre général, mais une vérité dont chacun est originairement instruit dans l’angoisse. Cette vérité angoissante est au cœur du projet qui constitue l’existence. Vérité première, elle est donc aussi vérité dernière. D’abord nous la fuyons dans le bavardage, dans la curiosité ou dans l’équivoque; ensuite nous pouvons – stoïquement – la regarder en face. Heidegger nomme « résolution » ce face à face avec la mort. La résolution est l’angoisse comprise et assumée. Elle est la sagesse d’admettre que nous sommes au monde pour y mourir.

2Mais Ricœur, ici, insiste : « je ne reconnais pas en moi l’angoisse primitive de la mort. Ce n’est en moi qu’une pensée froide et […] sans racine dans l’existence. Par contre, j’éprouve […] un frémissement devant mon absence de fondement propre »  [2]. Cette absence de fondement, certes, a sa place dans l’analyse heideggérienne de l’existence. Car celle-ci n’a pas seulement la structure du projet; elle a encore celle de l’être-jeté. Elle n’est donc pas elle-même la source des possibilités qui lui ouvrent le monde. Ces possibilités lui échoient comme un héritage qui inclut le fait de la naissance. On est alors tenté de penser que l’existence, comme « projet-jeté », est structurée par la polarité du naître et du mourir. Mais cette polarité, nous y reviendrons, est trompeuse. Elle n’empêche pas que l’homme reste défini ontologiquement comme un être-pour-la-mort. Elle n’empêche pas, autrement dit, que la naissance soit elle-même en vue de la mort et reste proprement dépourvue de signification. Être au monde n’est pas naître au monde. C’est moins encore mettre au monde. Il en va autrement pour Ricœur. Le « frémissement » qu’il éprouve devant son « absence de fondement propre » est frémissement devant « la vie et ses multiples commencements et recommencements »  [3]. Or tel est, justement, le sens double de la naissance : par elle la vie commence; et par elle la vie est reçue.

3Précisera-t-on : reçue d’autrui [4] ? Et ajoutera-t-on ainsi, à l’idée du commencement de la vie, celle de sa dépendance à l’égard d’autres vies [5] ? Alors c’est non une thèse mais deux qu’il faudra opposer à l’ontologie heideggérienne de l’être-pour-la-mort. La première est que « la naissance signifie plus que la mort »  [6]; la deuxième est que « la rencontre décisive avec la mort » est la mort de l’autre [7]. Qu’il y ait une relation nécessaire entre ces deux thèses, la paternité le montre après la filiation. C’est dans la mesure même où la naissance signifie plus que la mort que la rencontre décisive avec la mort est la mort de l’autre. Encore cet autre n’est-il pas le « il » impersonnel : il a le visage de « l’être aimé »  [8]. La mort cesse, replacée dans la perspective de la natalité, de signifier proprement ma mort. Elle est le deuil anticipé ou perpétué de ta mort.

4Ces deux thèses en introduisent cependant une troisième. Selon celle-ci, « la mortalité elle-même doit être pensée sub specie vitae et non sub specie mortis » [9]. Elle dessine avec les deux précédentes les contours d’une phénoménologie de l’être-en-vie esquissée dans Le volontaire et l’involontaire et reprise à nouveaux frais dans l’opus posthume Vivant jusqu’à la mort[10]. Cette phénoménologie montre comment la vie reçue appelle la vie transmise; et elle discerne, dans cette transmission, une inversion décisive du sens du souci – le souci de soi s’effaçant alors derrière le souci des autres.

5On objectera peut-être que la phénoménologie de l’être-en-vie suppose l’ontologie de l’être-pour-la-mort. On l’accusera encore d’oublier la frontière qui sépare l’ontologie de la biologie. On la soupçonnera enfin de masquer, sous la joie de la naissance, la finitude de l’existence. Mais ne faut-il pas supposer plutôt que l’existence est originairement affectée par les phénomènes de la vie reçue et de la vie transmise ? C’est ce que suggère cette expression : « exister vivant »  [11]. Elle fait signe vers une autre ontologie et une autre conception de la finitude. On dira l’importance, à cet égard, de la lecture de Jaspers. Elle a, plus qu’une autre, aidé Ricœur à se défendre de l’idée – somme toute banale – que la mort est l’unique vérité du temps humain. Il y a, certes, une « tristesse du fini »  [12]; mais elle n’empêche pas que « l’être [ait] la priorité sur le néant au cœur de l’homme »  [13]. Elle n’annule pas, autrement dit, une affirmation plus originaire que toutes les négations que résume en nous l’angoisse de la mort. C’est cette affirmation que signifie – littéralement ou métaphoriquement – la naissance.

1. Une phénoménologie de l’être-en-vie

6La naissance n’est pas le tout, elle est seulement une partie de la « phénoménologie de l’être-en-vie » esquissée en plusieurs endroits de l’œuvre de Ricœur [14]. Mais c’est sa partie la plus importante. C’est aussi la plus difficile – tellement que l’on peut douter d’abord de la possibilité d’une phénoménologie de la naissance. Les phénoménologues parlent plus volontiers de l’originaire que de l’originel. L’origine, pour eux, est toujours actuelle. Elle ne signifie aucune antériorité d’ordre chronologique. Or la naissance est une origine au sens de l’originel. Et cette origine, pour chacun d’entre nous, recule toujours : elle se refuse à l’intuition. Aussi Ricœur en parle-t-il comme d’une origine toujours fuyante [15]. On peut se demander alors si la naissance est un phénomène au sens de la phénoménologie. Ne suis-je pas toujours, en effet, après ma naissance [16] ? Et n’en sais-je pas seulement ce qu’on m’en dit ? Le seul savoir possible n’est-il pas ici le savoir objectif de la science – en l’occurrence de la science du vivant ? De ce point de vue, cependant, l’idée principale n’est pas celle de commencement : c’est celle d’hérédité. Encore cette hérédité fait-elle de ma vie l’effet d’une causalité anonyme et purement naturelle. Elle reste donc pour moi une idée abstraite. Il n’est pas possible de tirer, de sa seule considération, le sens de la proposition : « je suis né un jour ».

7Mais l’échec du savoir, comme l’avait montré Jaspers, a lui-même une vérité pour l’existence. Il fait partie de ce qu’on pourrait appeler une phénoménologie négative. Il y a une phénoménologie négative comme il y a une théologie négative. Aussi l’impuissance de l’idée d’hérédité à fournir un équivalent objectif de l’assurance qui attache chacun à son propre commencement peut-elle être intériorisée comme telle [17]. Elle met la réflexion sur le chemin d’un événement dont, certes, « il n’y a pas d’expérience », mais qui n’est pas non plus le cas particulier d’une loi biologique. En demandant ce que signifie pour moi l’hérédité, je reconnais à celle-ci une nécessité qui n’est pas celle que lui attribue la génétique [18]. La signification d’une telle nécessité est contenue tout entière dans le sentiment de ma dépendance à l’égard de ceux dont j’ai reçu la vie et que je désigne de manière indéterminée comme mes ancêtres. « Naître, c’est être engendré »  [19] : s’il est vrai que je suis, il est vrai aussi que je ne me suis pas fait. L’idée de l’ancêtre correspond bien alors à une intériorisation de l’idée d’hérédité. Elle me rend présent un commencement qui n’est pas le commencement de mes actes – un commencement qui n’est pas celui, « toujours imminent », de ma liberté, mais celui, « toujours antérieur », de ma vie [20]. Sous la conscience claire de notre autonomie se découvre alors « la conscience brumeuse d’être suspendu à d’autres êtres et de leur devoir [notre] être » [21].

8C’est notre « âme d’enfant »  [22], selon Ricœur, qui est la gardienne de cette signification. C’est donc elle qui permet à la réflexion de tirer, de l’échec du savoir, une vérité pour l’existence. Cet échec n’est pas moins, certes, celui de la mémoire – du moins de la mémoire entendue comme la représentation du passé. La conscience qui vise la naissance et qui la réfléchit comme sienne reste bien, à cet égard, une « conscience brumeuse ». Mais, si la brume empêche de voir, elle n’empêche pas de toucher. Elle ne nous empêche pas, en l’occurrence, de sentir la « cicatrice » que porte notre âme d’enfant. Naître ne signifie pas seulement, en effet, être engendré : c’est encore être séparé. Aussi cette cicatrice est-elle sentie à la fois comme « lésion » et comme « suture »  [23]. Et dans les deux cas « elle [nous] tient attaché à [nos] parents par un lien non arbitraire ». L’homme fait ne pourrait rien dire de sa naissance, si ne vivait encore en lui l’enfant qu’il n’est plus et s’il ne recevait de ce dernier le témoignage muet de son origine. Cette origine, bien qu’absente, lui est rendue ainsi continuellement présente. Sa « fuite » même éclaire par contraste la nature du vivant qu’il est [24]. Elle contribue à la compréhension de son être-en-vie. Est-il besoin de préciser que la « vie », ainsi comprise, est tout sauf un concept biologique ?

9La référence, dans ce contexte, à la notion d’inconscient a une fonction heuristique. Elle permet d’opposer « impressions » profondes et « représentations » de surface. Aussi confirme-t-elle, à sa manière, l’échec du savoir. Cet échec, cependant, n’est plus alors celui du discours scientifique : il est celui du récit familial. Nous pouvons donc le tenir plus facilement pour le chiffre de notre naissance. Car bien que le commencement de notre vie apparaisse autre, ici aussi, que le commencement de nos actes, cette vie n’est pas la vie de la plante ou de l’animal : c’est la vie de l’être que nous sommes. Et quoique nous nous découvrions, dans ce récit, « plus anciens que nous-mêmes » [25], c’est en nous alors qu’est creusé l’abîme où se perd la mémoire et sur le bord duquel se tient l’enfant que nous fûmes. Nul doute donc que l’idée de l’ancêtre, enracinée dans l’enfance et avivée par le récit familial, ne contribue mieux que l’idée d’hérédité à donner un sens à l’événement de notre naissance. S’il faut pourtant parler encore ici d’échec, c’est parce que la mémoire profonde de l’enfance est une mémoire sans souvenirs : le récit la creuse sans la remplir; la médiation qu’il introduit entre nous et nous-mêmes n’empêche pas que notre naissance reste la limite inférieure de notre conscience et de notre personne [26].

10Cette médiation suppose d’ailleurs le mouvement qui nous porte vers cette limite; elle relaie la visée – ou la plongée – qui nous unit intentionnellement à notre naissance. Cette visée a beau être vide d’abord de tout contenu, elle préexiste aux opérations vouées à son remplissement. Quel sens aurait pour nous ce que d’autres disent du commencement de notre vie, si nous n’étions pas déjà tendus vers ce commencement et si nous n’y avions originairement quelque rapport ? Ce rapport originaire à l’originel est à la fois la raison d’être de tels discours et leur indicible présupposition.

11La tâche d’une phénoménologie négative est de mettre au jour une telle présupposition. Elle est de reconnaître, dans l’échec de la mémoire et des savoirs propres à lui donner un contenu déterminé, le sens même du rapport qui nous unit à l’originel de notre naissance. Encore faut-il, certes, que cet originel soit lui-même donné. La difficulté vient, on l’a dit, de ce qu’il ne peut l’être suivant la règle d’or de la phénoménologie husserlienne : celle de l’intuition – c’est-à-dire de la présence. Comment alors ? Comme une absence. L’absence ne s’oppose pas simplement ici à la présence : elle en manifeste la profondeur. Dans cette absence, il faut voir la manière même dont notre naissance nous est continuellement présente. Nul hiatus alors entre l’originaire et l’originel. Ce que nous visons en arrière de nous comme ce qui n’était pas encore nous, fait partie de nous [27]. Le commencement de notre vie a beau précéder le commencement de nos actes, il constitue intérieurement leur signification. « Je suis » signifie bien « je suis né un jour »  [28].

12Comment cependant cette absence même peut-elle nous être continuellement présente ? Et comment surtout peut-elle recevoir la signification d’un commencement qui précède celui de nos actes ? Ces questions nous éloignent, certes, de la lettre des analyses de Ricoeur. Mais elles ont l’intérêt de reconduire la constitution du sens de la naissance à la constitution interne du temps lui-même.

13Peut-être la conception husserlienne de l’« impression originaire » serait-elle un meilleur guide, ici encore, que la conception heideggérienne de l’« extase » et du « projet ». Sans cesse, en effet, « luit l’éclat d’une impression nouvelle »  [29]. Sans cesse donc nous sommes, ainsi impressionnés, ouverts à l’événement et à la rencontre. Le temps est lui-même ce commencement toujours recommencé. Et si l’impression, dans le même instant, « naît » et « meurt », c’est sa naissance et non sa mort qui éveille la conscience et donne vie à son présent. « Présent vivant », écrit justement Husserl à propos de la venue à soi de la conscience dans l’« éclat » ressenti de sa nouveauté. Ajoutera-t-on que l’impression est pour nous mais non par nous ? Insistera-t-on sur la passivité dans laquelle nous maintient sa présence ? Tiendra-t-on enfin cette passivité pour la manifestation d’une altérité constitutive ? Alors on aura bien des raisons de chercher, dans la phénoménologie husserlienne de la conscience intime du temps, l’inspiration d’une phénoménologie de la naissance.

14Il faut voir plus, dans ce rapprochement, qu’une simple analogie. Le sens de la naissance nous est effectivement présenté à la faveur de l’impression originaire. Certes, l’impression seule n’y suffit pas : il faut lui associer la « rétention ». Le présent se trouve élargi alors au-delà de l’instant ponctuel; il trouve à la fois étendue et profondeur; bref il inclut en lui l’absence. Mais la rétention n’est jamais que l’impression modifiée. Elle est donc la manière dont l’impression elle-même, à la fois, se présente et s’absente. Et en se modifiant à son tour, elle s’éloigne d’un degré encore de son « point-source » et rend plus sensible cette absence. Cet éloignement est consacré par le passage de la rétention – ou « souvenir primaire » – au ressouvenir – ou « souvenir secondaire ». Aussi ce dernier peut-il être décrit indifféremment comme une présentification (il rend le passé présent) ou comme une absentification (il pose le passé comme passé)  [30]. Le ressouvenir, cependant, n’annule pas le jeu vivant des rétentions et l’horizon qu’il ouvre en arrière de la conscience. Il est lui-même entraîné dans le flux où la conscience, à la fois, s’apparaît et perd sa propre trace. La constitution du temps est tout entière, en ce sens, celle de l’absence dans la présence. Elle est la différenciation progressive de l’originaire et d’un originel qu’elle nous permet finalement de viser comme tel. Cet originel, certes, n’a encore ainsi qu’une signification abstraite. Mais sa possibilité se trouve phénoménologiquement fondée. La fuite de l’origine, telle que l’implique la phénoménologie de la naissance, suppose l’éloignement de l’impression, tel que le décrit la phénoménologie du temps.

2. Le triple paradoxede la naissance

15Une phénoménologie de la naissance n’en est pas moins confrontée à trois paradoxes [31].

16Nous avons déjà presque entièrement formulé le premier paradoxe. Il est que, pas plus que nous n’assisterons à notre mort, nous n’avons assisté à notre naissance. Nous n’avons pas été témoins du premier événement de notre vie. Cet événement n’existe pour nous qu’au passé. Ce passé nous apparaît en outre marqué du sceau de la nécessité : il n’est pas le produit d’un choix. Comme nous ne pouvons pas ne pas mourir un jour, nous ne pouvons pas ne pas être nés un jour. Il faut le répéter : la naissance n’est pas la liberté; le commencement de notre vie n’est pas le commencement de nos actes. Ce premier commencement n’est cependant pas sans rapport avec le second. Notre liberté même tient de la naissance une partie de son sens. C’est que, pas plus que nous ne nous sommes fait naître, nous ne nous sommes fait libres. Replacée dans la perspective de la naissance, la liberté apparaît elle-même comme un destin. On pourra préférer toutefois, au langage de la nécessité, celui du don. Comme la vie, en effet, la liberté est reçue; et comme elle, elle est reçue d’un autre [32]. Aussi Ricoeur rejette-t-il l’idée d’une liberté créatrice. Et de cet « autre », il dit, poussant jusqu’au bout le paradoxe : « il m’enfante par le foyer même de mes décisions »  [33]. Ce paradoxe est celui d’une liberté finie. Il ne fait qu’un finalement avec le paradoxe de la naissance.

17Le deuxième paradoxe est que notre naissance est moins derrière nous que devant nous. « Pourquoi suis-je né ? », demande l’enfant étonné, simplement, d’être là. Une voix peut-être l’entendra et lui dira : « Ta vie sera la réponse ». Car le fait, certes, est entièrement déterminé, mais son sens reste en partie indéterminé. Aussi notre naissance est-elle à la fois toujours déjà consommée et toujours encore à venir. Peut-être même faut-il penser que c’est notre naissance, bien qu’elle soit objectivement située dans le passé, qui nous donne un avenir, quand notre mort, bien qu’à venir, donne par avance à notre existence le sens du passé [34].

18Renversera-t-on la perspective ? Prétendra-t-on, avec Heidegger, que tout commencement contient sa fin et tiendra-t-on la compréhension authentique de l’existence pour l’anticipation résolue de cette fin ? Alors on devra dire à l’enfant que sa question était mal posée ou, ce qui revient au même, que la mort est la réponse. Rétorquera-t-il qu’il est, pour l’heure, encore vivant et regardera-t-il le temps de sa vie comme un temps étendu entre naissance et mort ? On lui apprendra que tel n’est pas le temps de l’existence. On lui montrera que celle-ci n’est rien d’étendu. On l’invitera enfin à ressaisir de l’intérieur le projet qui la constitue et à se comprendre lui-même non comme encore vivant mais comme déjà mort. Mais comment pourra-t-on lui faire croire que, dans cette perspective, la naissance garde un sens ?

19A première vue, certes, l’existence, comme « projet-jeté », semble structurée par la polarité du naître et du mourir. Qu’elle ne soit rien d’étendu n’empêche pas qu’elle s’étende originairement entre un commencement et une fin [35]. Cette extension se confond avec l’extase du temps. Elle n’est pas celle qu’envisagent les biographes lorsqu’ils parlent, en se référant au calendrier, du « chemin » et des « limites » de la vie. C’est elle, au contraire, qui trace le chemin et pose les limites. Nous nous étendons nous-mêmes, en existant, entre naissance et mort [36]. La naissance n’est pas plus que la mort, s’il en est ainsi, un fait situé dans le temps biologique : elle a elle-même une signification ontologique; nous avons « à être » notre naissance comme nous avons « à être » notre mort. Il s’agit d’ailleurs à la fois, pour Heidegger, d’une structure de l’existence quotidienne et d’une tâche de l’existence authentique. De là l’affirmation que la naissance doit être non seulement comprise mais encore, à l’instar de la mort, « reprise dans l’existence »  [37].

20Mais, si la naissance doit être ainsi reprise dans l’existence, c’est, lit-on juste après, « depuis la possibilité indépassable de la mort »  [38]. La mort demeure, dans cette perspective, l’unique fondement de la compréhension de l’existence. Elle reste, autrement dit, la seule vérité du temps – du moins du temps originaire, que Heidegger distingue du temps vulgaire, celui justement qui « s’étend » entre naissance et mort et qu’il lui arrive d’appeler, de manière significative, le « temps de la vie ». L’apparente symétrie du naître et du mourir ne doit donc pas tromper. Il n’y a pas un être-pour-la-naissance comme il y a un être-pour-la-mort. La naissance, bien comprise, est ontologiquement insignifiante. C’est aussi, par conséquent, le cas du temps déployé « entre » naissance et mort – de ce temps vécu jour après jour auprès des choses et au milieu des autres. Et pourtant…

21Nous avons suggéré plus haut que la naissance, bien que située dans le passé, nous donnait un avenir, quand la mort, bien qu’à venir, donnait à l’existence le sens du passé. Or comment la naissance nous donnerait-elle un avenir, si elle ne projetait sur l’existence tout entière le pouvoir même qui la définit : celui de commencer quelque chose ? Ici s’impose cependant un troisième paradoxe. Il a été bien formulé par H. Arendt. On peut l’appeler provisoirement le paradoxe de l’action – qu’Arendt compare justement à la naissance. Ce paradoxe est que « les hommes, bien qu’ils doivent mourir, ne sont pas nés pour mourir mais pour commencer quelque chose »  [39]. Saint Augustin, à qui Arendt avait consacré ses premiers travaux, l’écrit presque dans les mêmes termes : « c’est pour qu’il y ait un commencement que l’homme fut créé ». C’est donc pour que la Création ne s’achève jamais – pour que l’homme, par ses actions, poursuive indéfiniment l’œuvre du Créateur. Les Pères de l’Eglise ont rendu familière, avant sa reprise par Luther et Thomasius [40] et parallèlement à son élaboration dans la mystique juive [41], l’idée que Dieu, après avoir créé le monde, s’était dépouillé de sa puissance et l’avait transmise à ses créatures [42]. Cette puissance est précisément celle de l’action, comprise comme une seconde naissance. Il s’agit de bien plus, cependant, que d’une simple comparaison. Ricœur a dit, dans sa préface à l’édition française de La condition de l’homme moderne, que l’un des principaux mérites de son auteur était d’avoir conçu la natalité comme la racine ontologique de l’action [43]. On doit seulement, pour s’en convaincre, penser la naissance au futur et la projeter sur la suite des générations. « Le miracle qui sauve le monde […] de la ruine », écrit ainsi Arendt, « c’est la naissance d’hommes nouveaux » car seuls des hommes nouveaux sont capables, par leurs actions, de « commencer à nouveau »  [44]. Au paradoxe de l’action, se superpose alors celui de la procréation. Ce paradoxe est celui d’un être qui se comprend lui-même comme un être-pour-un-autre et qui l’exprime en donnant la vie. La folie où sont parfois jetées les mères d’enfants morts in utero suffirait à montrer, par contraste, la réalité d’une telle compréhension. Il n’appartient donc pas seulement à Dieu, il appartient encore aux hommes eux-mêmes de se dépouiller de ce qu’ils ont reçu en héritage et de faire que toujours, après eux, puisse commencer dans le monde quelque chose de neuf.

22Si la naissance trouve une place dans la conception heideggérienne de l’existence, c’est comme la vie dont nous avons hérité, non comme la vie que nous sommes appelés à transmettre. Heidegger montre bien, certes, qu’il revient à chacun, en existant, de donner un sens à la vie qu’il a reçue, mais non qu’exister consiste à donner la vie. Comme la mort est d’abord ma mort, la naissance est d’abord ma naissance. Encore l’idée de naissance se dilue-t-elle alors dans celle de facticité. Elle ne peut donc pas avoir la signification d’un don.

23Pour Ricœur non plus, il est vrai, la mort n’est pas le symétrique de la naissance; mais c’est pour des raisons exactement inverses. Si la naissance signifie plus que la mort, c’est parce qu’elle en appelle de la vie reçue à la vie transmise. Ainsi « la sexualité tournée vers l’aval de la vie est une évocation rétrospective » de son amont; et « en exerçant à l’égard de l’enfant le rôle tutélaire du père, je renouvelle en moi l’assurance d’avoir reçu l’être de mes parents »  [45]. Cette extension féconde du thème de la naissance permet de traiter celle-ci comme la figure de tous les commencements. La parole en témoigne aussi bien que l’action – et plus spécifiquement sans doute la parole poétique. La « métaphore vive » ne dit-elle pas l’« existence vive »  [46] ? Il n’y a pas seulement, toutefois, la parole poétique : il y a encore toutes les puissances de renouvellement à l’œuvre dans le langage et par où s’accomplit ce qu’on peut appeler de façon plus générale – pour y marquer la fonction sémantique [47] de l’imagination productive – la « poétique de la parole » [48].

24Agir, parler : dans tous les cas quelque chose commence. Dans tous les cas aussi se manifeste, au cœur même du souci quotidien, un sentiment qui affecte sa structure et modifie sa direction. Car la vie d’abord est sentie [49]; et elle l’est selon des modalités dont la naissance même résume la contradiction : « tantôt soufferte comme une blessure originaire », tantôt « éprouvée comme une joyeuse complicité avec un élan venu d’ailleurs »  [50]. Est-il besoin de préciser que ces modalités du sentir se distinguent l’une et l’autre de ce que Heidegger tient pour la « tonalité affective fondamentale » de l’existence ? S’il s’agit, cependant, de la transition de la vie reçue à la vie donnée et de la libre affirmation de celle-ci dans l’expérience de père ou de mère, comment cette seconde modalité ne l’emporterait-elle pas sur la première ? Il y a, certes, l’angoisse d’être au monde, mais il y a aussi – irréductible à la précédente – la joie de mettre au monde.

25Sort-on alors de l’ontologie ? Oublie-t-on la finitude ? C’est à ces deux questions qu’il faut tenter de répondre à présent.

3. Finitude et transcendance

26On ne peut répondre à la seconde sans dire l’influence sur la pensée du jeune Ricœur d’un autre philosophe de l’existence : Jaspers, à qui il avait consacré son premier livre [51] et qu’il regrettait, à la fin de sa vie, d’avoir délaissé pour Heidegger devenu son interlocuteur privilégié. L’opposition des deux philosophes est signalée par le choix, pour désigner l’existence, de termes distincts : Dasein chez Heidegger, Existenz chez Jaspers. Cette distinction n’est pas seulement terminologique : elle passe entre deux conceptions du rapport entre finitude et transcendance. Pour Heidegger, la transcendance n’est qu’une autre manière de nommer la finitude; elle appartient à la constitution fondamentale de l’être-au-monde. Son unique secret est le temps – dont nos rêves d’éternité ne dérivent pas moins que notre hantise du néant. C’est assez, semble-t-il, pour justifier la destruction de la métaphysique, dont l’ambition fut toujours de transcender le monde lui-même. Car on peut soupçonner, dans cette ambition, le désir d’abolir le temps et de fuir la vérité de l’existence. L’ontologie de l’être-au-monde ne laisse rien subsister d’un tel désir. C’est pourquoi elle s’achève dans une ontologie de l’être-pour-la-mort. Pour Jaspers, en revanche, l’existence, bien qu’irréductiblement finie, vise la transcendance comme son autre. La finitude a une réalité qu’elle assume en s’ouvrant à ce qui n’est pas elle [52]. Il y a donc, dans l’existence, plus que l’existence : il y a dans l’existence ouverte à ce qui la dépasse (Existenz) plus que l’existence réduite à son être-dans-le-monde (Dasein). C’est ce « plus » que désigne la transcendance.

27L’affirmer n’est pas méconnaître la limitation de l’existence; c’est, au contraire, prendre cette limitation au sérieux. Les fameuses « situationslimites » remplissent précisément cet office. Notre appartenance à une situation donnée, certes, ne prête pas d’ordinaire à conséquence; aussi nous confions-nous à celle-ci sans autre préoccupation que d’en épouser les variations et d’y calculer notre intérêt. Nous sommes pleinement et seulement alors être-là, être-dans-le-monde. Mais il arrive que nous ne puissions nous maintenir simplement au sein de la situation. Le sol alors semble se dérober sous nos pas : notre appartenance au monde cesse d’aller de soi et elle nous apparaît tout d’un coup « incertaine » et « problématique ». Nos plans et nos calculs à ce moment ne suffisent plus. Nous sommes mis en question de façon si radicale que nous ne pouvons plus ignorer la vérité de notre être. « La situation devient situation-limite lorsqu’elle éveille le sujet à l’existence en ébranlant sa vie empirique » et en le privant du repos qu’il y cherchait [53]. C’est le cas de la mort mais aussi de la souffrance, de la faute et du combat toujours recommencé pour la vie et pour la dignité. Aussi sont-elles, aux yeux de Jaspers, les principales situations-limites. Leur rôle s’apparente à celui que Heidegger attribue à l’angoisse : chacune « brise »  [54] le cours de l’expérience quotidienne et place l’existence devant elle-même; et chacune révèle à celle-ci la finitude de son être-dans-le-monde. Mais alors que l’angoisse, selon la notion qu’en forme l’auteur de Être et temps, oblige à tenir la mort pour le sens unique de la finitude, les situations-limites confèrent à celle-ci de multiples sens. Et alors que la finitude, appréhendée sous l’angle exclusif de la mortalité, oblige à tenir le monde pour l’horizon ultime de l’existence, les situations-limites l’invitent à se projeter au-delà de cet horizon. C’est pourquoi l’existence « authentique »  [55], c’est-à-dire l’existence appelée par cette confrontation inédite avec elle-même à la décision libre et responsable, ne peut pas être réduite à celle qui se résout courageusement à sa propre mort. Multiples sont les situations-limites, multiples donc les sens de la finitude, multiples enfin les liens unissant finitude et transcendance.

28Dans son ouvrage sur Jaspers, Ricœur s’y arrête longuement : pour Heidegger, « l’homme est jeté dans le monde pour y mourir, et il n’est de résolution authentique que pour le mourir […]; la liberté est liberté pour la mort »; « chez Jaspers, au contraire, la mort n’a pas [ce] privilège […]; elle n’est qu’une des situations-limites et n’est pas systématiquement rattachée aux trois autres »  [56]. L’angoisse la plus grande, d’ailleurs, n’est pas celle de n’être plus : elle est de céder à cette angoisse même et de se laisser prendre au piège d’un monde où la vie, mal vécue, serait comme une seconde mort. Jaspers distingue en ce sens l’« angoisse existentielle » de l’« angoisse vitale » – expression que l’on est tenté pour lors d’appliquer, en dépit de sa volonté de dissocier son ontologie de toute biologie, à Heidegger !

29Supposons cependant que la mort soit la plus décisive des situationslimites. Il faudrait encore demander dans ce cas si la seule mort authentique est la mort en première personne. L’analyse de Jaspers convainc du contraire. On peut remarquer d’abord qu’il n’y a pas, dans la situation-limite, « la » mort en tant que généralité – ce que Heidegger appelle de son côté le « on meurt »  [57] – : la mort est soit ma mort soit celle du prochain. Or « la mort du prochain […] est dans la vie phénoménale la plus profonde brisure »; elle entraîne un « ébranlement existentiel » qui fait paraître, par contraste, la vérité de la communication et la place de l’autre en nous [58]. Ricœur, commentant ce texte, en convient : « la plus haute solitude » est celle où nous laisse la mort du parent ou de l’ami. Et nous savons que sur ce point, comme sur le précédent, il ne variera pas. Ce qu’il écrit dans Le volontaire et l’involontaire : « la rencontre décisiveavec la mort, c’est la mort de l’être aimé », il le répète cinquante ans plus tard dans La mémoire, l’histoire, l’oubli en plaidant pour une « attribution multiple du sens du mourir » où c’est la « mort d’autrui », élargie dans un deuxième temps à « tous les autres », qui détermine par réflexion le rapport de moi-même à ma propre mort [59].

30Le développement le plus conséquent se trouve cependant dans un article contemporain du premier ouvrage et intitulé « Vraie et fausse angoisse » [60]. Dans cet article, Ricoeur situe d’emblée l’angoisse de la mort « au plus bas degré, au niveau vital »  [61] – ce terme étant référé alors, comme chez Jaspers, à l’ordre biologique. L’angoisse de la mort est ainsi caractérisée car « elle détecte la proximité de la mort par rapport à la vie »  [62] prise en ce sens élémentaire. Cette proximité peut être décrite comme « une relation qui flotte entre l’extérieur et l’intérieur » : l’extérieur tant que notre mort est inférée de la disparition de tout ce qui vit [63] et reste l’objet d’un « savoir abstrait »  [64]; l’intérieur quand elle est anticipée comme notre « possibilité la plus propre »  [65]. La question de savoir comment la mort peut être ainsi intériorisée ne fait qu’un alors avec celle de l’intériorisation de l’angoisse elle-même. Aussi reçoivent-elles une réponse commune. On ne s’étonnera pas que celle-ci recoupe les propos des deux ouvrages évoqués à l’instant : « c’est […] la mort d’autrui qui fait virer en quelque sorte la menace du dehors au dedans; par l’horreur du silence des absents qui ne répondent plus, la mort de l’autre pénètre en moi comme une lésion de notre être en commun; sa mort me touche; et en tant que je suis aussi un autre pour les autres, et finalement pour moi-même, j’anticipe ma future mort comme la possible non-réponse de moi-même à toutes les paroles de tous les hommes »  [66]; de cette façon, « l’angoisse de ma mort acquiert une intensité plus spirituelle que biologique qui est la vérité de cette émotion »  [67].

31La mort, résumera-t-on, signifie l’absence: elle est « l’absence toute pure qui est seulement pour le cœur » [68]. Aussi reçoit-elle elle-même son sens de la naissance. En s’éloignant de Heidegger, Ricœur se rapproche de Freud : l’angoisse de la perte est plus fondamentale à ses yeux que celle du néant. Encore faut-il parler peut-être, plus que de l’angoisse, de la souffrance de la perte. C’est ce que suggère l’expression appliquée à l’instant au défunt : « sa mort me touche ». Mais c’est ce qu’implique surtout la référence finale au thème du « cœur », croisé déjà plus haut à propos des sentiments suscités en nous par la vie commençante. Non que l’ontologie soit confondue alors avec la psychologie. Dans L’homme faillible, ce thème reçoit une signification radicale. Distingué d’abord du concept heideggérien de Stimmung, il est ensuite associé lui-même à l’idée d’un « sentiment ontologique ». En lui s’enracinent nombre d’affections qui échappent à la force d’attraction de l’angoisse et à ses expressions masquées dans le « souci » quotidien. Ricœur en conclut à la « polarité du Cœur et du Souci ». Le Cœur y apparaît comme « l’autre du Souci »; et sa « disponibilité foncière » l’oppose à l’« avarice » de toutes les affections qui ont ce dernier pour principe [69]. Disponibilité à l’autre ? C’est ce que suggèrent ces pages où le souci est pensé prioritairement, ainsi qu’il l’est chez Heidegger, comme souci de soi. Parler, au contraire, en donnant de nouveau à ces termes leur sens le plus élémentaire, de l’avarice « du corps et de la vie », c’est soupçonner une fois encore l’ontologie de l’êtrepourlamort d’un biologisme mal refoulé. La conception jaspersienne de l’existence échappe à ce soupçon. C’est pourquoi elle permet de penser, aux limites de la vie ainsi conçue, des actes dont la générosité se montre, elle, sans limite. Le sacrifice en donne l’exemple. Donner sa vie pour ses amis ou pour des idées contenant elles-mêmes la promesse d’une authentique communauté humaine [70], voilà ce qui montre que l’angoisse existentielle, bien comprise, n’est pas l’angoisse vitale et n’ignore pas, au contraire de celle-ci, les enseignements du cœur.

32Mais la philosophe jaspersienne de l’existence se clôt sur l’« échec ». Cet échec est celui – inévitable – de notre « être-dans-le-monde ». Aussi est-il compris comme le « chiffre » d’une transcendance qui conduit elle-même « audelà du monde ». Il n’y a de place, dans l’existence ainsi conçue, que pour un héroïsme très éloigné de la « joyeuse complicité » dont parle Ricœur dans sa phénoménologie de l’être-en-vie, où la vie est dissociée de la nécessité biologique et intériorisée comme l’assurance de pouvoir commencer à nouveau. Cette différence s’explique sans doute par le privilège que Ricœur accorde à la naissance. Non que Jaspers ne fasse aucune place à celle-ci. Mais il ne la compte pas au nombre des situations-limites. Il l’englobe dans le concept général d’« historicité », dont elle constitue seulement un aspect particulier [71]. La naissance, alors, s’énonce seulement au passé, comme l’une des « déterminations » qu’il appartient à l’existence, en sa réalité de fait, de reprendre et d’endurer. Il en est autrement chezRicœur, qui projette le passé de la vie reçue sur le futur de la vie transmise et traite ainsi la naissance comme la situation où l’existence, à la fois, éprouve sa propre contingence, et l’assume dans l’action et la procréation. La futurité de la naissance répond ainsi à la fatalité de l’échec et peut être accomplie dans ce monde.

4. « Tristesse du fini » et affirmation originaire

33Elle n’annule pas, certes, un « fond de tristesse » qu’on peut appeler « tristesse du fini ». Cette tristesse « se nourrit de toutes les expériences qui, pour se dire, enrôlent la négation : manque, perte, crainte, regret, déception, dispersion et irrévocabilité de la durée ». La souffrance exalte justement « ce moment négatif appliqué à de multiples affects »  [72]. Elle donne à la finitude, non le sens indéterminé d’une limitation, mais le sens déterminé d’une altération éprouvée comme telle. Mais la négation, sous ses multiples formes, « n’est jamais que l’envers d’une affirmation plus originaire »  [73] qu’expriment en nous la transitivité du désir et la continuité de l’effort pour exister. D’une telle affirmation, il n’existe, sans doute, nulle preuve objective. Mais elle est attestée par notre capacité à affronter les situations les plus désespérées; et elle est ressentie dans toutes les autres comme la simple « joie d’exister » – une joie qu’il faut dire « plus originaire que toute angoisse qui se croirait originaire »  [74] et plus riche de promesses que celle-ci ne l’est de certitudes relatives à notre mortalité. A la question : qu’est-ce que l’homme ?, il faut donc répondre : « la joie du oui dans la tristesse du fini »  [75].

34Il y aurait beaucoup à dire de cette ontologie de l’affirmation originaire et beaucoup à faire pour la regarder comme une réplique autorisée à l’ontologie de l’être-pour-la-mort. Le primat de l’affirmation – d’une affirmation tenue pour l’être même de l’homme – est reçu de Nabert, qui prend soin d’ailleurs, dans ses Éléments pour une éthique, de différencier l’« affirmation subjective » de soi de l’« affirmation absolue » qui la fonde et se montre irréductible ainsi à toute psychologie et même à toute anthropologie [76]. Cette différence, selon Nabert, mesure la tâche de la réflexion, définie précisément comme l’appropriation, par le moi, de cette affirmation absolue. Encore faut-il, certes, que celle-ci soit d’abord « rendue sensible » à elle-même [77] : c’est la fonction d’expériences négatives telles que la faute, l’échec ou la solitude, qui ne sont pas sans parenté, en ce sens, avec les situations-limites de Jaspers. Mais la négation, si elle est épistémologiquement première, est ontologiquement seconde : elle a seulement pour fonction de révéler à la conscience le mouvement premier de l’affirmation. Pour Ricœur, de même, « l’affirmation originaire ne devient homme qu’en traversant la négation » mais il ne s’ensuit pas que « l’homme [soit] cette négation même » [78] : il est bien plutôt le « mixte » formé de cette affirmation et de cette négation [79]. Affirmation de la vie ? Négation existentielle ? On peut le penser [80]. La référence principale alors n’est plus Nabert : c’est Spinoza – et l’on se dit parfois que ce pourrait être Nietzsche. Mais comment s’assurer que l’affirmation est bien le fond de l’être ? Nous manquons, par hypothèse, de l’intuition qui dévoilerait immédiatement ce fond à notre conscience. Nous pouvons seulement interpréter les signes dans lesquels il s’extériorise. En parlant de la « structure herméneutique de l’affirmation originaire »  [81], Ricœur dépasse cependant cette position du problème. Il inclut l’interprétation dans le mouvement même de l’affirmation. Ainsi l’affirmation originaire n’est pas le vouloir-vivre. Camus, ici, a raison contre Nietzsche : « pas de vouloir-vivre sans raison de vivre »  [82]. L’homme révolté en témoigne : en disant non à sa réalité misérable, il dit oui à cette part de lui-même que lui désignent ensemble son désir et son devoir; et il se distingue, en cela, de l’homme du ressentiment.

35L’expérience de la révolte soulève cependant la question du maintien de l’affirmation au cœur de la négation : comment être en dépit de ce qui nous porte à ne plus être ? Irréductible à toute biologie, l’ontologie de l’affirmation originaire se montre solidaire alors d’une eschatologie de l’espérance.

36Ce dernier terme trace une ligne de partage entre deux notions qui se ressemblent mais, en réalité, s’opposent : la notion heideggérienne de « résolution » et la notion ricœurienne de « consentement ». Comment s’étonner que se trouve reconduite ainsi l’opposition de la mort et de la naissance ? On se résout à la mort mais on consent « à la vie même avec ses chances et ses obstacles »  [83]. La mort, certes, est l’un de ces obstacles, mais elle n’interdit pas d’espérer. L’espérance est « l’âme du consentement »  [84]. Il faut la concevoir peut-être comme la mémoire de la naissance et de ses promesses. C’est une manière de fidélité à ce qui, en nous, ne vient pas de nous. Car, comme la vie est reçue d’un autre, l’espérance est adressée à un autre.

37Nous ne saurions toutefois nous en prévaloir pour partir rassurés « comme après le happy end d’un film triste »  [85]. Ce que nous espérons, nous l’espérons « dans la nuit », dans l’idée que, peut-être, tout n’est pas fini, que, malgré tout, quelque chose peut encore commencer – quelque chose dont nous ne savons rien et dont la réalisation ne dépend pas de nous. C’est pourquoi, bien que l’espérance soit « le vrai contraire de l’angoisse », celle-ci « l’accompagnera jusqu’au dernier jour »  [86].

38Cette tension est constitutive. Elle est la matrice de tous les conflits qui traversent l’existence. Jaspers opposait en ce sens la « loi du jour » et la « passion de la nuit ». Tenant cette opposition pour indépassable, il en avait fait le principe d’une philosophie à deux foyers. Dans sa méditation inachevée sur le « deuil » et la « gaieté »  [87], Ricœur applique la même opposition au regard que nous portons sur l’agonisant : pour les uns, déjà mort; pour les autres, encore vivant [88]. Il suggère cependant que ce dernier garde lui-même la capacité de se comprendre sous ces deux rapports. Mettant alors l’accent sur le second, il parle d’une « grâce intérieure » qui « distingue l’agonisant du moribond » et consiste dans « l’émergence d’un essentiel » qu’il propose d’appeler aussi le « religieux ». Il s’agit, précise-t-il, d’« un religieux commun » qui n’est pas « le religieux confessant et confessé » et ne sait rien d’ailleurs des barrières élevées ordinairement entre la religion et ce qui n’est pas elle [89]. Cette ignorance est telle que « ce qui occupe la capacité de pensée encore préservée [de l’agonisant], ce n’est pas le souci de ce qu’il y a après la mort, mais la mobilisation des ressources les plus profondes de la vie à s’affirmer encore »  [90].

39Ici, certes, le soupçon renaîtra : l’ontologie de l’affirmation originaire n’est-elle pas, pire qu’une biologie, une théologie déguisée ? A la fin de sa thèse sur le volontaire et l’involontaire, Ricœur lui-même s’interrogeait : « jusqu’à quel point est-il possible d’introduire l’espérance dans le champ d’une psychologie même largement philosophique ? » [91] La question vaut à plus forte raison pour l’ontologie. Mais elle peut être retournée : « jusqu’à quel point est-il possible d’en faire abstraction ? »  [92] Cette réponse exigerait de penser plus radicalement le lien qui unit l’existence et l’espérance – dissociée alors de toute foi positive. Elle trouverait un renfort dans la distinction, faite à l’instant, d’un « religieux commun » et du religieux confessionnel. Ce religieux commun, qu’est-il, en effet, sinon l’espérance entendue – autant mais autrement que le projet, qui reçoit d’elle son sens – comme une forme originaire de la temporalité ?

40Il faudrait ajouter d’ailleurs, à la promotion ontologique de l’espérance, cet aveu surprenant : Ricœur, bien que chrétien, ne croyait pas à la résurrection individuelle. La résurrection n’était justement pas pour lui une renaissance ! Elle était seulement le sens d’un don perpétué de génération en génération par les récits des fidèles et interprété comme un appel à donner encore. Il attribuait l’interprétation inverse à l’« imaginaire de la survie »  [93] et à la composante infantile du désir d’immortalité.

41Et cela ne veut rien démontrer mais suggérer seulement qu’il faut, pour être délivré d’un tel désir, s’être délivré d’abord de la fascination de la mort [94].

Notes

  • [*]
    Cet article est issu d’une communication faite lors du colloque La Mort et l’origine. En hommage à Heidegger et à Freud, Evora (Portugal), 16 et 17 novembre 2006. Ce colloque était dirigé par Irene Borges-Duarte et organisé conjointement par le Centre de philosophie de l’université de Lisbonne et l’Institut de philosophie de l’université d’Evora. Les actes ont été publiés par le Centre de Philosophie de l’Université de Lisbonne.
  • [1]
    Philosophie de la volonté I : Le Volontaire et l’involontaire, Paris, Aubier, 1988, p. 407.
  • [2]
    Ibid., p. 435.
  • [3]
    La critique et la conviction, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p. 237.
  • [4]
    Cette précision permet de démarquer la philosophie ricoeurienne de l’être-en-vie de la philosophie henryenne de la vie. La vie, telle que l’entend Michel Henry, se reçoit elle-même. Elle n’est justement pas reçue d’un autre.
  • [5]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 408.
  • [6]
    La critique et la conviction, op. cit., p. 237.
  • [7]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 432.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    La critique et la conviction, op. cit., p. 237.
  • [10]
    Paris, Éditions du Seuil, 2007.
  • [11]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 389.
  • [12]
    Ibid., p. 420 et suivantes.
  • [13]
    « Négativité et affirmation originaire », Histoire et vérité, Paris, Seuil, 1967, p. 378.
  • [14]
    Cf. d’abord Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 384 et suivantes.
  • [15]
    Ibid., p. 415.
  • [16]
    Ibid., p. 407.
  • [17]
    Ibid., p. 411.
  • [18]
    Ibid., p. 412.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Ibid., p. 415.
  • [21]
    Ibid., p. 413.
  • [22]
    Ibid.
  • [23]
    Ibid. Il en est ainsi de la naissance comme de l’instant selon Aristote.
  • [24]
    Ibid., p. 415.
  • [25]
    Ibid.
  • [26]
    Ibid., p. 416.
  • [27]
    C’est alors, paradoxalement, en nous perdant dans l’abîme de la mémoire que nous nous trouvons.
  • [28]
    Un lecteur de Heidegger remarquera peut-être que notre fin nous est elle-même donnée de cette manière; et il en tirera une preuve de sa primauté ontologique – la naissance lui apparaissant alors comme un phénomène dérivé. Mais un lecteur de Husserl rapprochera plutôt le phénomène de la naissance du phénomène d’autrui. Tous deux nous sont en effet présents sur le mode de l’absence. Tous deux, autrement dit, sont visés dans une intention qui manque essentiellement de l’intuition qui viendrait la remplir. Superposera-t-on ici, à la cinquième des Méditations cartésiennes, la deuxième des Recherches logiques: affirmera-t-on que, de l’intention et de l’intuition, c’est la première qui doit être tenue pour « l’acte qui confère la signification »? Alors on pourra parler sans contradiction, dans les deux cas, d’une absence significative.
  • [29]
    Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, §31.
  • [30]
    Nous employons librement ces termes, en sachant que le premier s’applique plutôt, chez Husserl, à l’imagination (distinguée alors du ressouvenir) et que le second n’appartient pas à son vocabulaire.
  • [31]
    Les deux premiers, on va le voir, impliquent une certaine symétrie entre naissance et mort. Mais cette symétrie est rompue par le troisième au profit de la naissance.
  • [32]
    Elle ne commence rien absolument.
  • [33]
    Op. cit., p. 34.
  • [34]
    Comme l’exprime bien le futur antérieur : « il aura été ». L’homme, ainsi, a toujours encore à naître. Et s’il est vrai que sa naissance n’a eu lieu qu’une fois, il n’est pas moins vrai qu’elle dure toute sa vie. C’est ce qui fait de l’éducation une tâche et empêche de séparer le don de la vie du don de la liberté.
  • [35]
    Être et temps, §72; voir aussi §79.
  • [36]
    Il en est de l’extension du Dasein selon Heidegger comme de la distension de l’âme selon saint Augustin : comme la seconde prend sa source dans l’âme elle-même, le premier a pour origine le Dasein lui-même.
  • [37]
    Être et temps, §75.
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    « Travail, œuvre et action », Études phénoménologiques, Bruxelles, Ousia, n° 2,1985, p. 26.
  • [40]
    Et avec lui les théologiens influencés par la philosophie de Hegel et partageant l’idée d’une auto-limitation du divin.
  • [41]
    Cf. G. SCHOLEM, Les grands courants de la mystique juive, trad. fr., Paris, Payot, 1973.
  • [42]
    Le terme de « kénose », employé par les Pères grecs, exprime cette idée.
  • [43]
    La condition de l’homme moderne, trad. fr. G. Fradier, Paris, Calmann-Lévy, 1983, p. XXVIII.
  • [44]
    Ibid., p. 278.
  • [45]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 414.
  • [46]
    La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975.
  • [47]
    Et non représentationnelle.
  • [48]
    Sans doute ne pourrions-nous pas, sans celle-ci, projeter devant nous notre naissance et rejeter derrière nous notre mort. C’est la thèse défendue déjà dans l’ouvrage sur Freud, où l’accent est mis plus particulièrement, toutefois, sur la force poétique du symbolisme religieux (De l’interprétation, Paris, Seuil, 1965, p. 521 et suivantes. Voir aussi dans ce sens Penser la Bible, Paris, Seuil, 1998, où se trouvent développées, textes à l’appui, les intuitions présentées dans ce premier ouvrage). La seconde herméneutique de Ricoeur, qui tient le texte pour la projection d’un monde possible et une invitation faite au lecteur de transformer, sous sa conduite, sa propre existence, est une extension de la même thèse à d’autres productions du langage.
  • [49]
    Op. cit., p. 386.
  • [50]
    Ibid., p. 388.
  • [51]
    Karl Jaspers et la philosophie de l’existence, Paris, Seuil, 1947. Ce livre fut écrit en collaboration avec Mikel Dufrenne, le compagnon de captivité de Paul Ricoeur durant les années de guerre.
  • [52]
    De cette ouverture témoignent, sur le plan de la pensée, les « idées » kantiennes et leurs différentes façons de tendre vers l’« inconditionné ».
  • [53]
    K. JASPERS, Philosophie, trad. fr. J. Hersch, Paris-Berlin-Heidelberg, Springer Verlag, 1989, p. 48.
  • [54]
    Le mot est chez Jaspers.
  • [55]
    Ce mot aussi est commun aux deux auteurs.
  • [56]
    Op. cit., p. 366-367.
  • [57]
    Être et temps, §51.
  • [58]
    Philosophie, op. cit., p. 437.
  • [59]
    La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 467 et 469.
  • [60]
    Dans L’angoisse du temps présent et les devoirs de l’esprit, Genève, La Baconnière, 1953; repris dans Histoire et vérité, Paris, Seuil, 1954/1967.
  • [61]
    Op. cit., p. 359.
  • [62]
    Ibid.
  • [63]
    Ibid. : « Les vivants meurent les uns après les autres ».
  • [64]
    Ibid. : « Tous les hommes meurent donc moi aussi ».
  • [65]
    Ibid., p. 360. La reprise, dans ce contexte, de l’expression employée par Heidegger dans Être et temps n’est pas innocente.
  • [66]
    Ibid.
  • [67]
    Ibid.
  • [68]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 433.
  • [69]
    Philosophie de la volonté II, op. cit., p. 120.
  • [70]
    Ibid.
  • [71]
    Philosophie, op. cit., p. 432.
  • [72]
    Philosophie de la volonté II, op. cit., p. 155-156.
  • [73]
    Histoire et vérité, op. cit., p. 394.
  • [74]
    Ibid., p. 358.
  • [75]
    Philosophie de la volonté II, op. cit., p. 156. Cette tristesse même, d’ailleurs, n’est pas liée seulement à notre mortalité : c’est d’abord la déception adolescente de ne pouvoir « tout prendre et tout embrasser » (Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 420); c’est ensuite le sentiment que suscitent la singularité de notre caractère et le fait injustifiable de notre venue au monde – à propos de laquelle on peut parler de « tristesse de la contingence » (ibid., p. 422).
  • [76]
    J. NABERT, Éléments pour une éthique, Paris, Montaigne, 1971, p. 68.
  • [77]
    Ibid., p. 72.
  • [78]
    Philosophie de la volonté II, op. cit., p. 153.
  • [79]
    Ibid., p. 156.
  • [80]
    Ibid. : « Je ne pense pas directement l’homme mais je le pense par composition, comme le mixte de l’affirmation originaire et de la négation existentielle ».
  • [81]
    Lectures 3, Paris, Seuil, 1994, p. 133.
  • [82]
    Histoire et vérité, op. cit., p. 362.
  • [83]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 416.
  • [84]
    Du moins du consentement véritable. Dans les dernières pages du Volontaire et l’involontaire, Ricœur distingue entre trois conceptions – stoïcienne, orphique, eschatologique – du consentement : la première trahit l’orgueil d’une volonté sans limite; la deuxième voit la volonté prête, à l’inverse, à renoncer à soi; la troisième seule traduit « la grandeur et la misère » d’une volonté pleinement – mais « seulement » – humaine.
  • [85]
    Histoire et vérité, op. cit., p. 376.
  • [86]
    Ibid., p. 377.
  • [87]
    Vivant jusqu’à la mort, op. cit.
  • [88]
    Ibid., p. 42-43.
  • [89]
    Ibid., p. 43-45.
  • [90]
    Ibid., p. 43.
  • [91]
    Philosophie de la volonté I, op. cit., p. 439.
  • [92]
    Ibid.
  • [93]
    La critique et la conviction, op. cit., p. 235.
  • [94]
    C’est ce que veut dire proprement cette expression : « exister vivant ». L’angoisse de la fin n’annule pas la joie des commencements. Elle reçoit bien plutôt de celle-ci son sens. Qu’importe la fin à qui n’a pas goûté cette joie ! L’amour, en nous l’apprenant, ne nous rend pas la vie plus facile. Car en même temps qu’il grandit, grandit la peur de perdre. Ce n’est pas le moindre paradoxede cette philosophie de l’espérance de faire paraître sous un nouveau jour le tragique de l’existence.
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