Couverture de APHI_721

Article de revue

Religion naturelle, droit naturel et tolérance dans la « Profession de foi du Vicaire savoyard »

Pages 31 à 54

Notes

  • [1]
    J.-J. ROUSSEAU, Œuvres complètes (dans la suite OC), éd. sous la dir. de B. Gagnebin et M. Raymond, 5 vol., Paris, Gallimard, 1959-1995, IV, p. 950-951.
  • [2]
    Dialogues, III, OC I, p. 933.
  • [3]
    V. GOLDSCHMIDT, Anthropologie et politique. Les principes du système de Rousseau, Paris, Vrin, 1974; R. D. MASTERS, The Political Philosophy of Jean-Jacques Rousseau, Princeton, University Press, 1968, trad. fr. par G. Colonna d’Istria et J.-P. Guillot, La philosophie politique de Rousseau, Lyon, E NS -Éditions, 2002. Sur les problèmes posés par la lecture que le Français a fait des œuvres de Rousseau, voir aussi M. RANG, Rousseaus Lehre vom Menschen, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1959, p. 60 sq.
  • [4]
    Lettre à Christophe de Beaumont, OC IV, p. 935.
  • [5]
    Dialogues, OC I, p. 935; cette phrase est ici relative au seul Émile, mais, dans la Lettre à Christophe de Beaumont, citée dans la note précédente, cette même démarche est attribuée à tous ses écrits.
  • [6]
    OC IV, p. 937.
  • [7]
    R. D. MASTERS, op. cit., p. 478 sq. : « L’échec du système de Rousseau ».
  • [8]
    OC IV, p. 576. À notre connaissance, il n’y a qu’une seule autre occurrence de cette expression, dont la signification est pourtant complètement différente. Il s’agit en effet du « premier principe de la curiosité », ibid., p. 429.
  • [9]
    Selon l’expression de F. MARKOVITS, « La science du bon vicaire », dans Rousseau et les sciences, sous la dir. de B. Bensaude-Vincent et B. Bernardi, Paris, l’Harmattan, 2003, p. 233.
  • [10]
    OC IV, p. 606.
  • [11]
    Ibid., p. 1033. Selon H. GOUHIER, ibid., p. 1763, note 1 de la p. 1033, ce fragment remonte aux années 1730. Sur la première formation religieuse de Rousseau, voir P.-M. MASSON, La Religion de J.-J. Rousseau, Paris, Hachette, 1916.
  • [12]
    Institutions chimiques, B. Bernardi et B. Bensaude-Vincent éds., Paris, Fayard, 1999, p. 59.
  • [13]
    OC IV, p. 1070.
  • [14]
    Lettre à Voltaire, OC, IV, p. 1070.
  • [15]
    Ibid. Sur l’impossibilité de la raison à décider, ainsi que sur la distinction entre raison et foi dans la Lettre à Voltaire, voir V. GOUREVITCH, « The Religious Thought », dans The Cambridge Companion to Rousseau, éd. par P. Riley, Cambridge, University Press, 2001, p. 210-212.
  • [16]
    C’est « le système total réuni en une seule idée », comme Rousseau l’avait écrit dans le Manuscrit Favre, OC IV, p. 216; dans la version définitive, on lit que les hommes « n’ont pû reconnoître qu’un seul Dieu que quand, généralisant de plus en plus leurs idées, ils ont été en état de remonter à une première cause, de réunir le sistême total des êtres sous une seule idée, et de donner un sens au mot substance, lequel est au fond la plus grande des abstractions », ibid., p. 553.
  • [17]
    OC, IV, p. 551.
  • [18]
    Rousseau à Dom Léger-Marie Deschamps, le 8 May 1761, dans Correspondance complète de J.-J. Rousseau, éd. par R.-A. Leigh, Genève-Oxford, The Voltaire Foundation, 1965-1998 (désormais CC), VIII, n. 1407, p. 320.
  • [19]
    OC IV, p. 1070 : « L’état de doute est un état trop violent pour mon âme. ». Voir également p. 568 : « Le doute sur les choses qu’il nous importe de connoitre est un état trop violent pour l’esprit humain. »
  • [20]
    Sur la proximité ainsi que sur la distance entre le Vicaire et Descartes, voir H. GOUHIER, Les Méditations métaphysiques de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Vrin, 1970, p. 49-83; sur Rousseau et Pascal, voir M. RANG, op. cit., p. 445-447 et 530.
  • [21]
    « Je conçus que l’insuffisance de l’esprit humain est la première cause de cette prodigieuse diversité de sentimens, et que l’orgueil est seconde », OC IV, p. 568. Y. Vargas voit dans la pensée de Rousseau un « antiscientisme » qui l’éloigne de la critique de type kantien, Introduction à l’Émile de Rousseau, Paris, PUF, 1995, p. 168. Au contraire, A. Pintor Ramos rapproche l’attitude de Rousseau de la démarche kantienne, voir l’article « Dieu », dans Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau, sous la dir. de R. Trousson et F. S. Eigeldinger, Paris, Champion, 1996, p. 223 : « Presque pour les mêmes raisons que Kant dans la Critique de la raison pure, R [ousseau] dénie à l’intelligence humaine l’aptitude à accéder à pareille connaissance. » Se référer aussi à V. GOUREVITCH, The Religious Thought, op. cit., p. 212 : cet argument de Rousseau a contribué à la critique de la preuve psychocosmologique de l’existence de Dieu et au passage de la religion à la religiosité.
  • [22]
    « Je compris encore que loin de me délivrer de mes doutes inutiles, les philosophes ne feroient que multiplier ceux qui me tourmentoient et n’en resoudroient aucun. Je pris donc un autre guide, et je me dis : consultons la lumière intérieure », OC IV, p. 569; voir aussi la lettre de Rousseau à Vernes du 18 février 1758, CC V, n. 616, p. 32-33 : « J’ai donc laissé là la raison, et j’ai consulté la nature, c’est-à-dire le sentiment intérieur qui dirige ma croyance indépendamment de ma raison. »
  • [23]
    Lettre à Voltaire, OC IV, p. 1072. Voir aussi la lettre à Carondelet du 4 mars 1764, CC XIX, n. 3166, p. 198 : « car je ne dispute jamais, persuadé que chaque homme a sa manière de raisonner qui lui est propre en quelque chose, et qui n’est bonne en tout à nul autre que lui »; et la Lettre à M. de Franquières, OC IV, p. 1142 : « Il s’agit de mon sentiment, et non de mes preuves. »
  • [24]
    J. LOCKE, Essai philosophique concernant l’entendement humain, trad. par P. Coste, Paris, Vrin, 1972, l. IV, chap. X, p. 514-516. Sur le rapport entre raison et révélation chez Locke, voir C. HIGGINS-BIDDLE, Introduction, dans J. LOCKE, The Reasonableness of Christianity, Oxford, Clarendon Press, 1999, p. xv-cxv, et V. NUOVO, « Locke’s theology », dans M. A. Stewart (ed.), English Philosophy in the Age of Locke, Oxford, Clarendon Press, 2000, p. 183-215.
  • [25]
    S. CLARKE, Traité de l’existence et des attributs de Dieu, dans Œuvres philosophiques de Samuel Clarke, Paris, Charpentier, 1843, p. 11.
  • [26]
    OC V, p. 11. A. Charrak mentionne ce passage de la Lettre à d’Alembert comme prescription de méthode « que Rousseau revendique pour son propre compte dans l’examen des dogmes spéculatifs », « …J’ai dû me borner à raisonner ». La présentation des traités de 1762, Lettres écrites de la montagne, I », dans B. BERNARDI, F. GUÉNARD, G. SILVESTRINI, La Religion, la liberté, la justice. Un commentaire des Lettres écrites de la montagne de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Vrin, 2005, p. 37.
  • [27]
    Rousseau à Vernes, le 25 mars 1758 : « Nous sommes d’accord sur tant de choses, que ce n’est pas la peine de disputer sur le reste », CC V, n. 634, p. 65.
  • [28]
    J.-A. TURRETTINI, Traité de la vérité de la Religion chrétienne, Genève, Bousquet, 1736, sect. IV, art. I, chap. VII, Du Mystère de la Trinité, p. 47 sq.; sur Chouet, voir M. HEYD, Between Orthodoxy and the Enlightenment. J.-R. Chouet and the Introduction of Cartesian Science in the Academy of Geneva, Boston-La Haye-Jérusalem, Kluwer Academic Publishers, 1982, p. 140.
  • [29]
    OC IV, p. 570.
  • [30]
    La plupart des interprètes considèrent le Vicaire comme un simple « masque » sous lequel Rousseau se cache, attribuant donc à Rousseau tous ses arguments; on peut mentionner à titre d’exemple P. BURGELIN, OC IV, p. 1505, note 2, et p. 1524, note 3 : « Rousseau reprend donc le dualisme cartésien »; A. PINTOR-RAMOS, article « Dieu », op. cit., p. 222-223; A. BONETTI, Antropologia e teologia in Rousseau. La Professione di fede del Vicario savoiardo, Milano, Vita e Pensiero, 1976, p. 89-131; J. LAGRÉE, La Religion naturelle, Paris, PUF, 1991, p. 77; inversement, ceux qui soulignent les différences entre le Vicaire et Rousseau ne voient dans la « profession de foi » qu’un dispositif discursif cachant l’adhésion à une doctrine opposée, à savoir un naturalisme ou bien un matérialisme déguisé qui impliquent une critique radicale de la doctrine de la religion naturelle et du droit naturel, comme on peut le constater dans les textes cités plus haut de F. Markovits (p. 234-35) et de Y. Vargas (p. 194). La position de Victor Gourevitch paraît plus nuancée. Après avoir précisé que la Lettre à Voltaire est le seul texte où Rousseau a exprimé à la première personne sa véritable pensée religieuse dans un dialogue entre « philosophes », il reconnaît que la religion naturelle fait partie de la philosophie de Rousseau, tout en ajoutant que la doctrine dualiste soutenue par le Vicaire n’est pas nécessaire à la religion naturelle, voir The Religious Thought, op. cit., p. 194 et 213.
  • [31]
    OC IV, p. 553. D’ailleurs, comme l’a très bien montré P. Hoffmann, le discours du Vicaire n’embrasse pas de manière univoque le dualisme cartésien, voir « L’âme et la liberté : quelques réflexions sur le dualisme dans la “Profession de foi du Vicaire savoyard” », Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, LX (1992), p. 29-62.
  • [32]
    « La philosophie n’ayant sur ces matières ni fond, ni rive, manquant d’idées primitives et de principes elementaires n’est qu’une mer d’incertitude et de doute, dont le metaphysicien ne se tire jamais », CC V, n. 616, p. 32-33.
  • [33]
    OC IV, p. 219-220. On pourrait objecter que Rousseau a abandonné cette position dans la rédaction définitive de l’Émile et dans d’autres textes, notamment dans la Lettre à Franquières, où il convoque Platon et Clarke contre Locke : « quoi qu’en dise Locke, la supposition de la matiere pensante est une véritable absurdité », OC IV, p. 1136. Toutefois, ce passage de Locke à Clarke sur la question de la matière pensante se fait toujours à l’intérieur du domaine de la foi et du sentiment intérieur, car quelques pages plus loin (p. 1142) il affirme de nouveau : « Il s’agit ici de mon sentiment, non de mes preuves. »
  • [34]
    P.-M. MASSON, La « Profession de foi du Vicaire Savoyard » de Jean-Jacques Rousseau, Fribourg-Paris, Libraire de l’Université-Hachette, 1914, note 1 p. 59-61.
  • [35]
    Sermon sur le Jubilé de la Réformation de Zurich, Genève, Fabri et Barillot, 1719, p. 6,15.
  • [36]
    « Il faut croire en Dieu pour être sauvé. Ce dogme mal entendu est le principe de la sanguinaire intolérance, et la cause de toutes ces vaines instructions qui portent le coup mortel à la raison humaine en l’accoutumant à se payer de mots », OC IV, p. 555. Voir aussi le soulagement de Julie, en « apprenant que l’erreur n’est point un crime », OC II, p. 698, et la Lettre à Christophe de Beaumont, OC III, p. 948-952. Karl Barth a insisté sur le pélagianisme de Rousseau, La Théologie protestante au XIXe siècle (1946), Genève, Labor et fides, 1969; voir également J.-F. THOMAS, Le Pélagianisme de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Nizet, 1956.
  • [37]
    H. GROTIUS, Le Droit de la guerre et de la paix, trad. par J. Barbeyrac, Amsterdam, Pierre du Coup, 1724, II, XX, §XLVI : « De ces idées spéculatives il nait des idées pratiques »; S. P UFENDORF, Devoirs de l’homme et du citoyen, I, IV, § 1 : « Ainsi le Système de la Religion naturelle renferme des Propositions Spéculatives, et des Propositions Pratiques. »
  • [38]
    Lettres écrites de la Montagne, OC III, p. 694. La même distinction entre « deux manieres d’examiner et comparer les Religions » se trouvait dans la Lettre à Christophe de Beaumont, OC IV, p. 969.
  • [39]
    J. LOCKE, Lettre sur la tolérance et autres textes, trad. de P. Coste, éd. par J.-F. Spitz, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, p. 198-199.
  • [40]
    OC IV, p. 570. Voir aussi Nouvelle Héloïse, OC II, p. 698 : « Je laisse la subtile interprétation des dogmes que je n’entends pas. Je m’en tiens aux vérités lumineuses qui frappent mes yeux et convainquent ma raison, aux vérités de pratique qui m’instruisent de mes devoirs [...]. La conscience ne nous dit point la vérité des choses, mais la regle de nos devoirs; elle ne nous dicte point ce qu’il faut penser, mais ce qu’il faut faire; elle ne nous apprend point à bien raisonner, mais à bien agir »; la lettre à Voltaire mentionne la « profession de foi que les loix peuvent imposer », qui comprend « les principes de la morale et du droit naturel », OC IV, p. 1073; et dans la Lettre à d’Alembert: « Or dans les matières de pur dogme et qui ne tiennent point à la morale [...] », OC V, p. 10; également la Lettre à Christophe de Beaumont, OC IV, p. 960 : les « vérités essencielles au Christianisme, lesquelles servent de fondement à toute bonne morale ».
  • [41]
    Émile, OC IV, p. 580-581 : « Je crois donc que le monde est gouverné par une volonté puissante et sage; je le vois, ou plustôt je le sens, et cela m’importe à savoir : mais ce même monde est-il éternel ou crée ? Y a-t-il un principe unique des choses ? Y en a-t-il deux ou plusieurs, et qu’elle est leur nature ? Je n’en sais rien, et que m’importe ? »; et p. 590 : « Mais quelle est cette vie, et l’âme est-elle immortelle par sa nature ? »
  • [42]
    OC II, p. 699. Dans ce contexte, Julie, en se référant à la prière, semble renvoyer avant tout au débat sur le libre et le serf arbitre au moment où elle parle de « questions oiseuses »; mais, dans la lettre précédente de Saint-Preux, la cible est plus large, concernant tout « raisonneur » qui « a beau me prouver que je ne suis pas libre » (p. 683), insertion ajoutée après la lecture d’Helvétius, comme le signale, dans sa note, B. Guyon (note 3, p. 1779).
  • [43]
    OC IV, p. 975-976. En effet, Rousseau a affirmé à plusieurs reprises que la profession de foi du Vicaire était la sienne, surtout en ce qui concerne les points fondamentaux de la religion naturelle, comme nous pouvons le lire dans la lettre à Moultou du 23 décembre 1761, CC IX, n. 16702, p. 342 : « Vous concevrez aisément que la profession de foi du Vicaire Savoyard est la mienne. Je desire trop qu’il y ait un Dieu pour ne pas le croire, et je meurs avec la ferme confiance que je trouverai dans son sein le bonheur et la paix dont je n’ai pu jouir ici bas. » Et, dans les Rêveries, OC I, p. 1018, Rousseau souligne l’affinité, et non l’identité complète entre sa position et les arguments du Vicaire : « Le résultat de mes pénibles recherches fut tel à peu près que je l’ai consigné depuis dans la profession de foi du Vicaire Savoyard. »
  • [44]
    Comme le rappelle justement P. BURGELIN, OC IV, p. 1518, l’« ordre des choses » est l’ordre des idées : « L’idée première est donc, selon la méthode : j’existe, et selon les principes : Dieu. » Sur la synthèse comme méthode d’enseignement, voir Émile, OC IV, p. 434 et note 3.
  • [45]
    Rousseau à Moultou, le 14 février 1769, CC XXXVII, n. 6544, p. 57.
  • [46]
    OC IV, p. 594.
  • [47]
    OC IV, p. 603 et 629 : « Nous savons très certainement que c’est un mal de desobéir aux loix. » Dans la « profession de foi » que le précepteur enseigne à Sophie, nous lisons : « Il importe à la société humaine et à chacun de ses membres que tout homme connoisse et remplisse les devois que lui impose la loi de Dieu envers son prochain et envers soi-même. » Ici, le contenu de la loi naturelle est exposé de manière plus explicite : « d’être justes, de nous aimer les uns les autres, d’être bienfaisans et miséricordieux, de tenir nos engagemens envers tout le monde, même envers nos ennemis et les siens », OC IV, p. 728-729.
  • [48]
    Comme l’ont affirmé R. SÈVE, Leibniz et l’École moderne du droit naturel (Paris, PUF, 1989), S. ZURBUCHEN, Naturrecht und natürliche Religion. Zur Geschichte des Toleranzproblems von Samuel Pufendorf bis Jean-Jacques Rousseau (Würzburg, Konigshausen & Neumann, 1991), T. J. HOCHSTRASSER, Natural Law Theories in the Early Enlightenment (Cambridge, University Press, 2000).
  • [49]
    Voir, sur cet aspect, F. PALLADINI, Samuel Pufendorf discepolo di Hobbes. Per una reinterpretazione del giusnaturalismo moderno, Bologna, il Mulino, 1990.
  • [50]
    J. DUNN, The Political Thought of John Locke, Cambridge, University Press, 1979, p. 97.
  • [51]
    Il ne faut pourtant pas oublier une différence essentielle : pour Grotius, les règles que la raison déduit de la nature humaine sont obligatoires en elles-mêmes, tandis que, pour Hobbes, il ne s’agit que de préceptes hypothétiques qui ne deviennent obligatoires que dans la mesure où on les considère comme commandés par Dieu. Selon Grotius, la raison est « législatrice » et capable de fonder l’obligation, tandis que, pour Hobbes, toute obligation se fonde sur la volonté d’un supérieur; sur Grotius, voir P. HAGGENMACHER, Grotius et la doctrine de la guerre juste, Paris, PUF, 1983; pour une reconstitution du débat sur le fondement de l’obligation dans les différentes « écoles » du droit naturel, voir E. J OUANNET, Emer de Vattel et l’émergence doctrinale du droit international classique, Paris, Pedone, 1998.
  • [52]
    Voir, par exemple, J. TULLY, A Discourse on Property. John Locke and his adversaries, Cambridge, University Press, 1980, et J. WALDRON, John Locke and Equality, Cambridge, University Press, 2002, en particulier sur la relation entre la théorie des idées abstraites et la démonstration de l’existence de Dieu, p. 75 sq.
  • [53]
    Pour une analyse de ce texte, nous renvoyons à G. M. LABRIOLA, Barbeyrac inteprete di Pufendorf e di Grozio, Napoli, ESI, 2003, en particulier p. 45-160.
  • [54]
    On peut observer une démarche semblable chez un théologien genevois : « En effet la Morale Chrêtienne, sans être ni un Cours de Jurisprudence, ni un Traité de Politique, ramène & pose si bien les vrais principes du Droit Naturel, qu’il n’y plus qu’à les appliquer, soit au Droit Civil, soit au Droit des Gens, pour avoir la meilleure Jurisprudence & la plus saine Politique », Jacob VERNET, Traité de la Vérité de la religion chrétienne, Genève, Gosse, 1745-1755, livre VI, chap. XXVI, p. 409-410.
  • [55]
    Voir K. HAAKONSSEN, The Moral Conservatism of Natural Right, dans Natural Law and Civil Sovereignty. Moral Right and State Authority in Early Modern Political Thought, éd. par I. Hunter, D. Saunders, New York, Palgrave Macmillan, 2002, p. 27-42; S. Zurbuchen a, en revanche, attribué à Burlamaqui une théorie épicurienne-hobbésienne de l’obligation, voir « Zum Prinzip des Naturrechts in der ‘école romande du droit naturel’», Jahrbuch für Recht und Ethik, XII (2004), p. 189-211.
  • [56]
    Principes du droit naturel, Genève, Barillot, 1748, première partie, chap. IX, § VI, p. 131, et seconde partie, chap. VII, §XIII, p. 144.
  • [57]
    OC III, p. 125.
  • [58]
    OC IV, p. 601.
  • [59]
    C’est seulement après la « profession de foi » que l’instituteur va instruire Émile sur les relations morales et la foi des engagements et, dans cet enseignement, la référence à « l’Être éternel » comme témoin et juge est essentielle, voir OC IV, p. 648 : « j’attesterai l’Être éternel […] de la vérité de mes discours, je le prendrai pour juge entre Émile et moi »; et à la p. 814, l’instituteur convoque « l’Être suprême » comme témoin de son engagement.
  • [60]
    Cette thèse a été affirmée notamment par L. STRAUSS, Droit naturel et histoire (1953), Paris, Plon, 1954, et a été reprise, bien que de façon nuancée, par R. D. MASTERS, op. cit., pour qui la « loi naturelle est non naturelle », p. 311.
  • [61]
    L. STRAUSS, op. cit., p. 274. Sur cette discussion, voir aussi V. GOLDSCHMIDT, op. cit., p. 273-292, et R. D. MASTERS, op. cit., p. 99-105.
  • [62]
    OC III, p. 383-384; OC IV, p. 648.
  • [63]
    Nous laissons ici volontairement de côté, par manque de place, la question du statut de la loi naturelle dans la pensée de Rousseau; pour un état de la question, voir M. PANOFF, « La Loi naturelle dans la Préface du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau », Annales Doctorales, II, 1999, p. 65-83; et B. BACHOFEN, La Condition de la liberté. Rousseau critique des raisons politiques, Paris, Payot, 2002, p. 112-125.
  • [64]
    OC II, p. 700.
  • [65]
    OC II, p. 592; il est intéressant de voir l’application que Rousseau fait de cette distinction dans la cinquième Lettre de la Montagne, où, tout en distinguant entre les livres qui ont une circulation limitée et les discours de ceux qui prêchent au peuple, et qui sont beaucoup plus dangereux, il se prononce en faveur de la liberté de la presse, OC III, p. 782.
  • [66]
    Nous nous permettons de renvoyer à notre article « Rousseau, Pufendorf e la tradizione settecentesca del diritto naturale », dans M. FERRONATO (éd.), Dal « De Jure naturae et gentium » di Samuel Pufendorf alla codificazione prussiana del 1794, Padova, Cedam, 2005, p. 115-185.
  • [67]
    OC IV, p. 997.
  • [68]
    Sur l’existence d’une variante « républicaine » de la doctrine de la tolérance qui trouve sa première formulation dans les ouvrages de Spinoza, voir J. ISRAEL, « Spinoza, Locke and the Enlightenment Battle for Toleration », dans O. P. GRELL, R. PORTER, Toleration in Enlightenment Europe, Cambridge, University Press, 2000, p. 102-113; S. Zurbuchen a appliqué cette interprétation aux républicains anglais, suggérant l’insertion de Rousseau dans ce courant : « Republicanism and Toleration », dans Q. SKINNER, M. VANGELEDERN (éd.), Republicanism. A Shared European Heritage, Cambridge, University Press, 2002, vol. II, p. 47-71. Plus récemment, J. Israel a repris sa typologie de la tolérance dans Enlightenment contested. Philosophy, Modernity, and the Emancipation of Man 1760-1752, Oxford, University Press, 2006, p. 135-163.
  • [69]
    Lettre à Christophe de Beaumont, OC IV, p. 977.
  • [70]
    Pour une argumentation plus détaillée, nous nous permettons de renvoyer le lecteur à notre article : « Religione civile e repubblicanesimo : una rilettura del modello roussoiano », dans G. PAGANINI, E. TORTAROLO (éd.), Pluralismo e religione civile, Milano, Bruno Mondadori, 2004, p. 139-184.
  • [71]
    OC III, p. 468-469.
  • [72]
    OC III, p. 706.
  • [73]
    Comme Rousseau l’affirme dans la Lettre à Christophe de Beaumont, là où s’est établi le pluralisme religieux, c’est l’intolérance théologique qui devient source de trouble dans l’État, OC IV, p. 978.

1Les préceptes herméneutiques que Rousseau lui-même donne à ses lecteurs apparaissent pour le moins déroutants. D’abord, dans la Lettre à Christophe de Beaumont, il affirme que son œuvre constitue un tout complet, et qu’il faut lire ses écrits comme un ensemble, en suivant le fil de leur rédaction, car ce qui a été publié par la suite doit être compris sur le fondement de ce qu’il avait écrit précédemment :

2

Quand un auteur ne veut pas se répéter sans cesse, et qu’il a une fois établi clairement son sentiment sur une matière, il n’est pas tenu de rapporter toujours les mêmes preuves en raisonnant sur le même sentiment. Ses écrits s’expliquent alors les uns par les autres, et les derniers, quand il a de la méthode, supposent toujours les premiers [1].

3Si l’on prend cette indication au sérieux, il faut donc lire l’Émile après ses autres écrits, notamment après les Discours. Dans les Dialogues, au contraire, Rousseau affirme que le texte à partir duquel il faut commencer à lire ses ouvrages est l’Émile:

4

J’avais senti dès ma première lecture que ces écrits marchaient dans un certain ordre qu’il fallait trouver pour suivre la chaîne de leur contenu. J’avais cru voir que cet ordre était rétrograde à celui de leur publication, et que l’Auteur remontant de principes en principes n’avait atteint les premiers que dans ses derniers écrits. Il fallait donc pour marcher par synthèse commencer par ceux-ci, et c’est ce que je fis en m’attachant d’abord à l’Émile par lequel il a fini, les deux autres écrits qu’il a publiés depuis ne faisant plus partie de son système, et n’étant destinés qu’à la défense personnelle de sa patrie et de son honneur [2].

5Par lequel de ses ouvrages faudrait-il donc commencer ? Quelle méthode adopter pour lire l’Émile? L’ordre de la genèse ou bien celui de la reprise à partir de la fin ?

6Tandis que Victor Goldschmidt a suivi l’ordre de la genèse, en examinant la pensée de Rousseau à partir des « principes » du système exposés dans le Discours sur l’inégalité, Roger D. Masters a préféré le procédé par rétrogradation. Par conséquent, il a choisi l’Émile comme point de départ pour s’attacher à la compréhension de la pensée de Rousseau, en commençant par le développement naturel de l’individu et par la « métaphysique détachable » que le Vicaire savoyard expose dans sa profession de foi [3].

7Toutefois, un doute apparaît aussitôt. En effet, le Français des Dialogues affirme que Rousseau n’a atteint les premiers principes que dans les derniers ouvrages, et donc il décide – en choisissant une méthode synthétique d’exposition – de commencer par l’Émile. Si l’on se pose la question de savoir quels sont les premiers principes, on est d’abord tenté de répondre, en suivant la suggestion apparente du Français dans les lignes suivantes, qu’il s’agit de la théorie de la bonté naturelle de l’homme. Cependant, ce principe n’est jamais qualifié par Rousseau de « premier », mais de « grand », de « fondamental ». De surcroît, c’est dans la doctrine de la bonté naturelle de l’homme que Rousseau lui-même voit ce qui constitue l’unité de son œuvre, car « le principe fondamental de toute morale, sur lequel [il a] raisonné dans tous [ses] écrits et [qu’il a] développé dans ce dernier avec toute la clarté dont [il était] capable, est que l’homme est un être naturellement bon, aimant la justice et l’ordre [4] ». Cette doctrine étant présente « dans tous [ses] écrits », elle n’est donc pas envisageable comme le « premier principe » que Rousseau n’aurait atteint que dans ses derniers ouvrages.

8Si donc l’on s’interroge sur la « différence spécifique » entre l’Émile et les autres textes de Rousseau, tout en comparant la Lettre à Christophe de Beaumont et les Dialogues, on peut remarquer qu’elle doit se comprendre à partir de ce qui est commun au Second Discours et à l’Émile, à savoir l’effort d’établir une généalogie simultanée des vertus et des vices de l’homme, afin de montrer « comment le vice et l’erreur, étrangers à sa constitution, s’y introduisent du dehors et l’altèrent insensiblement [5] ». Cela dit, si l’on suit la Lettre à Christophe de Beaumont, l’Émile aurait été consacré « à chercher comment il faudroit s’y prendre » pour empêcher les hommes de devenir méchants [6]. De cette manière, l’Émile permettrait de voir en quoi consiste le remède aux maux dénoncés dans les Discours, c’est-à-dire la pratique de la vertu comme soumission volontaire à la loi morale, identifiée à la loi naturelle. Dans le développement qu’il donne à cette interprétation, Roger D. Masters parvient à souligner les limites indépassables de la philosophie politique de Rousseau. En effet, dans les pages de l’auteur genevois, on pourrait noter qu’au bout du compte la loi naturelle est inefficace sans la croyance en Dieu, sans le soutien de la religion naturelle, et cette solution est elle-même intenable : elle est destinée à laisser la place à un nouveau garant de la moralité humaine, à savoir au droit politique et à la volonté générale en tant que source de justice parmi les hommes. Ce qui pourtant reviendrait à un cercle insoluble, car, à son tour, la volonté générale est destinée à être éludée, vaincue par les volontés particulières; par conséquent, seule la loi naturelle se révélerait à même de fonder la vertu individuelle là où la vertu civique est devenue impossible. Et c’est dans ce cercle « vicieux » que se cristalliserait, en dernière analyse, l’inévitable échec de la philosophie politique de Rousseau [7].

9Toutefois, la conclusion du lecteur – l’échec de la philosophie de Rousseau – ne découlerait-elle pas de la méthode de lecture choisie ? A-t-on correctement interprété les conseils du Français ? Il nous semble opportun de revenir sur la question des « premiers principes » et sur la signification de la phrase intimant de commencer par « ceux-ci » si l’on veut « marcher par synthèse ».

10À notre connaissance, l’expression « premier principe » apparaît une seule fois dans l’Émile, et elle est utilisée pour qualifier le premier dogme du Vicaire savoyard : « Voilà mon premier principe. Je crois donc qu’une volonté meut l’univers et anime la nature. Voilà mon premier dogme, ou mon premier article de foi [8]. » Peut-on s’estimer autorisé à voir ici, dans le premier dogme de la profession de foi du Vicaire, le « premier principe » de la philosophie de Rousseau lorsque l’on veut l’appréhender en « marchant par synthèse »? N’y a-t-il pas là un trop grand risque d’erreur, en prenant pour universelle la perspective particulière du Vicaire, qui dit « mon premier principe », et non « le premier principe », tout en attribuant à tort à Rousseau lui-même une métaphysique qu’on a taxée d’« archaïque ou anachronique [9] »?

11Cependant, si à la démarche argumentative du Vicaire son jeune auditeur aurait pu opposer « des foules d’objections [10] », les articles de foi qui en résultent ne sont pas tout à fait patrimoine exclusif du « bon prêtre »: on les avait rencontrés – comme objet de la croyance de Rousseau lui-même – dans la Lettre à Voltaire, on les retrouve dans la bouche de Julie mourante, dans la religion civile du Contrat social, dans la Lettre à Christophe de Beaumont, ainsi que dans plusieurs passages de la Correspondance: l’existence de Dieu, sa bonté et sa sagesse, sa providence, une vie de l’âme après la mort, un système de « compensation » des actions dans la vie à venir comme sanction de la loi naturelle – ou de l’obligation morale.

12Si, à chaque fois, l’argumentation pour prouver ces dogmes change – et même sensiblement –, ce n’est pas dans le but d’ébranler, par une sorte de procédure ironique déguisée, toute croyance religieuse. La possibilité du doute est le préalable de l’argumentation, mais d’une manière égale et contraire, dirions-nous, à l’« etiamsi daremus… non esse Deum » de Grotius.

13Dans le fragment Sur Dieu, Rousseau avait accepté une variante de la preuve « a posteriori » de l’existence de Dieu, preuve fondée sur la nécessité d’une première cause : « Puisque nous ne [nous] sommes pas donné l’être nous mêmes nous devons être l’ouvrage d’autrui, c’est un raisonnement clair par lui; au lieu qu’il nous serait impossible de concevoir comment quelque chose pourroit être produit par le néant [11]. » Dans les Institutions chimiques, probablement rédigées vers 1747, l’existence d’un être intelligent qui est le « principe actif de touttes choses » est considérée comme une vérité si évidente qu’elle ne nécessite aucune preuve [12]. Toutefois, en 1756, dans la Lettre à Voltaire, la connaissance de l’existence de Dieu devient hypothétique : « si Dieu existe [13] ». Théisme et athéisme sont présentés comme deux systèmes philosophiques qui s’opposent sans pouvoir se détruire mutuellement. La croyance en Dieu se dérobe au flambeau de la certitude rationnelle : « Ni le pour ni le contre ne me paroissent demontrés sur ce point par les lumières de la raison, et que si le Théiste ne fonde son sentiment que sur des probabilités, l’Athée, moins précis encore, ne me paroît fonder le sien que sur des possibilités contraires [14]. » L’impossibilité d’atteindre une connaissance démonstrative de l’existence de Dieu ne correspond pourtant pas à une faiblesse de la démarche philosophique de Rousseau, ni à une forme déguisée de « monisme » ou d’athéisme. Elle est, en revanche, une conséquence très cohérente – comme on l’a déjà souligné à de nombreuses reprises – de son anthropologie, de sa théorie de la connaissance et de son épistémologie : si « les objections, de part et d’autre, sont toujours insolubles », c’est « parce qu’elles roulent sur des choses dont les hommes n’ont point de véritable idée [15] ».

14L’idée de Dieu en tant que « premier principe », ou « principe de toutes choses », n’est rien d’autre que l’idée de la totalité de l’univers, l’idée du « sistême total des êtres [16] », mais cette idée ne ne saurait être saisie par l’homme, dont les facultés se trouvent dans l’incapacité de s’affranchir complètement de la médiation des sens : « L’Être incompréhensible qui embrasse tout, qui donne le mouvement au monde et forme tout le sistême des êtres n’est ni visible à nos yeux ni palpable à nos mains; il échappe à tous nos sens. L’ouvrage se montre, mais l’ouvrier se cache [17]. » En effet, la raison humaine n’accède pas à la connaissance de la totalité, ce qui implique le refus de tout système philosophique qui prétend partir de la totalité et procéder de manière analytique à la déduction des parties, comme ceux de Dom Deschamps et de Spinoza : « Nos sens ne nous montrent que des individus, l’attention achève de les séparer, le jugement peut les comparer un à un, mais voila tout. Vouloir tout reunir passe la force de nôtre entendement, c’est vouloir pousser le bateau dans lequel on est sans rien toucher au dehors [18]. » En apparence, cette position ne sort pas de la tradition : étant donné les limites de ses facultés, l’homme se trouve dans l’impossibilité d’avoir une idée véritable de Dieu, tout en pouvant connaître avec certitude qu’il existe. Toutefois, pour Rousseau, cette connaissance est loin d’être l’objet d’une démonstration rationnelle, et c’est précisément l’insuffisance de la raison spéculative qui permet de poser la condition du doute comme point de départ de toute recherche sur Dieu.

15L’impossibilité de trancher entre des systèmes philosophiques opposés, qui se réfutent l’un l’autre, constitue le point de départ que le Vicaire partage avec l’auteur de la Lettre à Voltaire. Comme Rousseau l’avait affirmé dans cette lettre, pour le Vicaire, cette condition du doute n’est pas durable : sur les choses les plus importantes pour l’homme, sa connaissance est limitée, et pourtant le doute n’est pas possible. Il faut donc trouver une autre méthode pour sortir de cet état « trop violent » pour l’homme [19]. On y a vu l’écho du doute de Descartes, on y a aperçu également des résonances du « pari » pascalien [20]. Mais c’est surtout un refus de toute démonstration rationnelle de l’existence de Dieu, fondé non pas sur un « antiscientisme », mais sur la reconnaissance des limites de la science qui se limite à la connaissance des parties et ne peut pas saisir la totalité de l’univers [21].

16Par conséquent, un changement de perspective et de niveau s’impose : on abandonne la « raison commune » – à savoir le niveau de la philosophie et du discours démonstratif – qui est très limitée, et l’on choisit comme guide la « lumière intérieure [22] ». Ce passage s’avère décisif. Bien que semblable à la démarche cartésienne – on abandonne la confusion des doctrines philosophiques et l’on se fait guider par sa propre raison –, le changement de « guide » qu’on trouve chez Rousseau est complètement différent. Tandis que, pour Descartes, la raison individuelle est par définition universelle, car le bon sens, ou la raison, est identique chez tous les hommes, et donc permet de sortir du doute tout en restant au niveau d’un discours universel et nécessaire – et partant scientifique –, chez Rousseau, la « lumière intérieure » n’est pas universelle mais particulière. La démarche effectuée par le Vicaire implique donc de quitter le niveau d’un discours valable universellement – où l’on obtient une vérité évidente pour tous – et de se mettre à la recherche d’une « vérité pour moi », pour l’individu. On entre dans le règne de la « preuve du sentiment » qui, Rousseau le répète plusieurs fois dans ses ouvrages, n’est pas une preuve démonstrative : « À l’égard des Philosophes qui ne conviennent du principe [« Dieu existe »], il ne faut point disputer avec eux sur ces matieres, parce que ce qui n’est qu’une preuve de sentiment pour nous, ne peut devenir pour eux une démonstration [23]. »

17Il convient ici de mettre en relief une distance non seulement par rapport à Descartes, mais aussi par rapport à Locke et à tous ceux qui, dans son sillage, avaient cru être en mesure de démontrer l’existence de Dieu avec une certitude égale à celle des démonstrations mathématiques et supérieure à la certitude que nous pouvons atteindre quant à l’existence du monde extérieur [24]. Tandis que Locke avait placé la connaissance de l’existence de Dieu, et donc la religion naturelle elle-même, dans le domaine des vérités évidentes, tout en ouvrant à la religion révélée le champ de la connaissance probable, Rousseau place d’emblée Dieu et la religion naturelle dans le champ de la probabilité. De même, le choix de Clarke comme guide de la démarche du Vicaire ne saurait faire oublier que ce dernier, au début de sa profession, met justement en question la thèse centrale du philosophe anglais, à savoir « que l’existence et les attributs de Dieu sont des choses non-seulement possibles ou simplement probables, mais des vérités qui peuvent être démontrées par les principes les plus incontestables de la droite raison, d’une manière à convaincre tout esprit libre de préjugés [25]. »

18À cela, on pourrait objecter qu’au contraire, dans la Lettre à d’Alembert, Rousseau avait explicitement mis sur le même plan vérités religieuses et vérités géométriques, tout en laissant deviner une égale possibilité d’atteindre une connaissance démonstrative dans ces deux domaines : « Le monde intellectuel, sans en excepter la Geometrie, est plein de vérités incompréhensibles, et pourtant incontestables; parce que la raison qui les démontre existentes ne peut les toucher, pour ainsi dire, à travers les bornes qui l’arrêtent, mais seulement les appercevoir. Tel est le dogme de l’existence de Dieu; tels sont les misteres admis dans les communions protestantes [26]. » Et il rappelait aussi à d’Alembert la distinction entre ce qui est incompréhensible mais incontestable, et ce qui heurte la raison en tant qu’absurde.

19Toutefois, ce texte est trois fois « suspect ». En premier lieu, parce que Rousseau se pose là en auteur « protestant » face à d’Alembert qui est catholique. En tant qu’auteur protestant prenant la défense de « ses » pasteurs contre l’accusation de socinianisme, il doit redoubler son effort de prudence, d’autant plus que – comme il le dit explicitement –, en s’enfonçant dans les discussions théologiques, il court davantage le risque d’être lui-même accusé d’irréligion. D’ailleurs, il n’ignore pas que sa position religieuse n’est pas conforme à la position des pasteurs [27]. En outre, son argument ici n’a rien d’original : il ne fait que reprendre, presque mot pour mot, la position officielle que les théologiens genevois les plus célèbres du siècle, tels Jean-Robert Chouet et Jean-Alphonse Turrettini, avaient adoptée sur le dogme de la Trinité, qui était la véritable question en jeu derrière l’accusation de socinianisme. Tout en reconnaissant l’inutilité de développer des raisonnements autour d’un mot – « Trinité » – qui n’était pas dans l’Évangile, ils soutenaient qu’il fallait s’en tenir à l’Écriture, qui affirme que Dieu est un, et qui fait pourtant référence au Père, au Fils qui s’est incarné, et au Saint Esprit. Ils en concluaient que cette vérité, certes incompréhensible comme certaines vérités de la géométrie, n’avait rien d’absurde susceptible de heurter la raison. Le caractère raisonnable de l’Évangile était par conséquent sauvé [28]. C’est donc cette doctrine que Rousseau rappelle, en tant qu’auteur protestant, au catholique d’Alembert. Ainsi, et c’est la troisième raison pour laquelle il convient de se méfier de ce texte, si nous voulons croire qu’il exprime la véritable pensée religieuse de Rousseau, nous sommes dans l’obligation d’admettre que c’est aussi le dogme de la Trinité – en tant que mystère admis dans les communions protestantes – et non seulement le dogme de l’existence de Dieu que Rousseau aurait inséré parmi les vérités « incompréhensibles, et pourtant incontestables ». À notre avis, il faudrait alors mettre « sous condition » l’adjectif « incontestable » que l’on trouve dans la Lettre à d’Alembert, et le resserrer dans les limites à la fois floues et épineuses de l’orthodoxie genevoise officielle du XVIII e siècle, à l’intérieur de laquelle Rousseau veut, dans ce cas, se cantonner.

20Pour revenir au Vicaire, sa recherche s’ouvre à l’intérieur d’un espace que la raison commune déclare comme « douteux », ayant pour objet des opinions incapables de « produire immédiatement la conviction ». Dans cette recherche, il s’agit d’établir les différents degrés de probabilité et de vraisemblance, afin d’arriver à une autre évidence, l’évidence du cœur : « Résolu d’admettre pour évidentes toutes celles auxquelles dans la sincérité de mon cœur je ne pourrai refuser mon consentement, pour vrayes, toutes celles qui me paroitroient avoir une liaison nécessaire avec ces principes [29]. » C’est dans cette optique qu’il faut voir la raison de la distance qui sépare inévitablement les deux perspectives du Vicaire et de Rousseau : la route particulière que chacun suit pour atteindre « sa vérité », se fondant sur la « preuve du sentiment », ne produit qu’une évidence individuelle. Tandis que le moi de Descartes est remplaçable par le moi de chacun, et, donc de tous, le voyage intellectuel du Vicaire est unique. Ce qui explique aussi pourquoi les arguments du Vicaire ne sauraient être « enseignés »: ils ne peuvent qu’être « exposés ». La « profession de foi » n’est pas une science en ce qu’elle n’est pas transmissible comme un savoir valant de manière universelle. Elle est une « profession de foi » possible, et c’est ainsi que les professions de foi se multiplient dans les pages de Rousseau, selon les différents personnages, le sexe, l’âge, la condition, la confession religieuse : outre la « profession de foi » du Vicaire et les professions prononcées par Rousseau lui-même dans sa Correspondance et ses écrits autobiographiques, on en trouve d’autres dans les Lettres morales, dans la Nouvelle Héloïse, au moment de l’éducation religieuse de Sophie dans l’Émile.

21De ce point de vue, s’interroger sur le statut du « dualisme cartésien » adopté par le Vicaire, ou bien sur les points particuliers de son argumentation, se demander s’il est légitime de les attribuer à Rousseau ou s’il faut, à l’inverse, les utiliser pour y voir une argumentation déguisée en faveur de la doctrine contraire, n’a en définitive aucun sens [30]. Le dualisme du Vicaire, en tant qu’argument personnel, ne contient rien qui puisse être universalisé. Il est sujet à une « foule d’objections », comme toute doctrine moniste. De son côté, Rousseau en parlant de la substance comme d’une « idée abstraite » est loin de passer du plan gnoséologique des idées au plan ontologique des êtres et taxe d’« incompréhensible » l’idée « de l’action de nôtre âme sur nôtre corps [31] ». Dans la lettre à Jacob Vernes du 18 février 1758, c’est explicitement la distinction entre les deux substances qui est mentionnée parmi les « grandes vérités » qui sont cachées à l’homme, et qui ne peuvent pas être décidées par la raison [32]. De même, dans une première version de l’Émile, au moment où il examine l’alternative entre la matière pensante et le dualisme de la pensée et de la matière, il affirme que « chacune de ces hypothèses sert d’objection à l’autre », qu’il est très difficile pour l’esprit humain de l’entendre, et que l’on prend dans ce cas une route « purement spéculative et bien loin de celle où nous mene la necessité de pourvoir à nos besoins qui est la route naturelle de l’instruction [33] ». Ce dernier point apparaît comme décisif : la distinction entre la pure spéculation et les nécessités pratiques. C’est le critère du « ce qui m’importe » qui permet de retrouver le plan de l’universalité que la simple « preuve du sentiment » n’est pas à même d’assurer.

22Cette idée du critère de l’utilité morale, comme Pierre-Maurice Masson l’a remarqué, était assez répandue [34]. On pouvait en observer une version modérée dans l’apologétique de Jean-Alphonse Turrettini qui, tout en distinguant le dogme et la morale, soulignait l’importance de la pratique, jusqu’à soutenir que l’Évangile n’était pas une science abstraite et stérile, de pure spéculation, mais « une science de pratique [35] ». Plus radicalement, dans la tradition de la religion naturelle et des points fondamentaux, la morale et la pratique de la vertu avaient été mises au premier plan pour le salut, au détriment des aspects secondaires de doctrine. Dans cette optique, Rousseau se place du côté extrême de l’universalisme : tout homme, s’il est vertueux, si ses mœurs sont bonnes, peut être sauvé, les enfants, ainsi que les peuples sauvages et païens, et même les athées vertueux [36]. La morale prend donc la relève de la foi par rapport au salut qui, de cette manière, n’occupe plus qu’un rang subalterne, dérivé, en tant que « conséquence », même non intentionnelle, de la vertu.

23Toutefois, la morale puise ses principes dans les dogmes de la foi, car nos comportements dépendent en partie de nos croyances, de nos sentiments. Par là, Rousseau pose une distinction qui ne coïncide pas avec la distinction traditionnelle entre les dogmes spéculatifs et les dogmes concernant la pratique cultuelle, tels qu’on les lit aussi chez Grotius ou Pufendorf [37]. La distinction de Rousseau vise à séparer la partie des dogmes qui « posant les principes de nos devoirs sert de base à la morale, et celle qui, purement de foi, ne contient que des dogmes spéculatifs [38] ». Une distinction similaire se trouvait chez Locke qui, dans la Lettre sur la tolérance, avait écrit : « Les dogmes de chaque Église regardent la pratique ou la spéculation; et quoique les uns et les autres aient la vérité pour objet, ceux-ci ne s’adressent qu’à l’entendement, au lieu que les premiers influent en quelque manière sur la volonté et sur les mœurs [39]. » On voit que, pour Rousseau comme pour Locke, les dogmes ne sont pas divisés en deux catégories complètement séparées : tous ont un contenu spéculatif, tous pouvant être soumis au jugement du « vrai, faux ou douteux », mais certains ont aussi des conséquences pratiques, car ils concernent les fondements de nos devoirs. Il s’agit des dogmes qui ne sont pas « indifférents » car il est possible de les juger « bons » ou « mauvais » par rapport à la pratique. Ce sont ces derniers sur lesquels le doute n’est pas admissible; ce sont eux qui constituent le noyau essentiel de la religion naturelle.

24Comparable au rasoir d’Occam, le critère de l’utilité morale permet ainsi de reléguer comme purement spéculatif tout dogme dépourvu de conséquences sur les comportements : la règle de la méthode qui prend pour guide la « lumière intérieure » ne s’attarde que sur « l’examen des connaissances qui m’intéressent », laissant « toutes les autres dans l’incertitude, sans les rejeter ni les admettre, et sans [se] tourmenter à les éclaircir quand elles ne mênent à rien d’utile pour la pratique [40] ». Quels sont donc les dogmes purement spéculatifs ? Le Vicaire en indique explicitement quelques-uns après avoir atteint ses certitudes du sentiment : l’éternité ou la création du monde, l’unité ou la pluralité des substances, la nature de Dieu et de la substance qui compose le monde, la nature de l’âme, ainsi que l’idée même d’immortalité [41]. De ce point de vue, le dualisme du Vicaire n’est qu’une des manières possibles d’arriver aux dogmes de la liberté, de la vie de l’âme après la mort et de la sanction des actions, mais il n’est pas essentiel, car, ailleurs, nous venons de le voir, il est taxé de « question spéculative », non seulement dans le texte sur la substance cité plus haut, mais aussi par Julie, qui ne se soucie pas de « toutes ces questions oiseuses sur la liberté [42] ».

25Si les professions de foi sont individualisées, si les croyances sont différentes – Julie protestante semble réciter le Symbole des apôtres, le Vicaire ne croit pas à la Création –, si les arguments ne sont persuasifs que pour chacun, qui suit sa lumière particulière, il est néanmoins vrai que toutes les professions de foi exposées par Rousseau contiennent un noyau commun. Et ce noyau commun peut être repéré si on applique aux professions de foi individuelles la méthode du « consensus commun » qui avait été utilisée pour repérer les dogmes de la religion naturelle et que Rousseau lui-même emploie dans la Lettre à Christophe de Beaumont. Il s’agit bien d’une sorte de procédure qui permet de faire émerger les points d’intersection entre les religions, le petit nombre d’articles qui sont communs à tous et qui forment la « Religion universelle », la « religion humaine et sociale ». Et ces points sont clairs, nous les avons déjà mentionnés : l’existence de Dieu, la providence, la vie de l’âme après la mort, les peines et les récompenses dans la vie à venir, et la tolérance [43].

26À présent, revenons à la question posée au début de ce texte. Nous observons d’abord que les « premiers principes » du système de Rousseau dont parle le Français sont effectivement les dogmes de la religion naturelle. La méthode synthétique est une méthode d’enseignement, d’exposition d’un savoir qu’on a déjà acquis : « marcher par synthèse » signifie donc marcher de ce qui vient en premier « en soi », dans l’ordre des « choses », et non dans l’ordre de la méthode [44]. Dieu, la liberté, la vie de l’âme après la mort, sont par conséquent les premiers principes de la philosophie de Rousseau, qui est un système à la fois moral et politique. Il s’agit d’un système qui se développe à partir d’un choix qui ne peut pas avoir un fondement « scientifique », le choix entre les deux hypothèses fondamentales concernant l’existence de Dieu. À partir du seul choix pour l’existence de Dieu, la liberté humaine et une vie de l’âme après la mort, il est possible de fonder un système de devoirs moraux. Comme le Vicaire l’affirme et comme Rousseau le répète à Moultou, « si la Divinité n’est pas, il n’y a que le méchant qui raisonne, le bon n’est qu’un insensé »: « en rejettant la cause première et faisant tout avec la matière et le mouvement on ote toute moralité de la vie humaine [45] ». Ainsi, le Vicaire, après avoir exposé sa profession de foi, ses trois « premiers principes », « les principales vérités qu’il m’importoit de connoitre », se consacre à la recherche des maximes qui en découlent pour la conduite, les règles qu’il « doit [se] prescrire pour remplir [sa] destination sur terre selon l’intention de celui qui [l’] y a placé [46] ». Sans changer de méthode, et donc en restant sur le plan de la preuve du sentiment, d’un discours qui se veut « subjectif », le Vicaire découvre ces règles inscrites au fond de sa conscience, l’amour de soi, la pitié, pour retrouver enfin, au-delà de la conscience, l’objectivité d’une loi qui a en Dieu sa source et son fondement d’obligation : « Tous les devoirs de la loi naturelle presque effacés de mon cœur par l’injustice des hommes s’y retracent au nom de l’eternelle justice qui me les impose et qui me les voir remplir. » Et l’un de ces devoirsest l’obéissance aux lois, qui découle de l’obligation de tenir ses engagements [47].

27On notera que, de cette manière, reformulé dans le langage du Vicaire, Rousseau reprend un schéma d’exposition qui était assez répandu dans le droit naturel protestant francophone de la première moitié du XVIII e siècle et qui se caractérise par la réinsertion de la théologie morale dans le droit naturel grâce à la doctrine de la religion naturelle. Chez Grotius, Hobbes et le premier Pufendorf, la théorie du droit naturel visait avant tout à séparer le droit naturel de la théologie morale, selon une volonté de déconfessionnalisation plus que de sécularisation [48]. Toutefois, au début du XVIII e siècle, cette autonomie semble abandonnée, et, dans les traductions de Barbeyrac comme dans les Principes du droit naturel de Burlamaqui, la religion est devenue l’un de trois principes du droit naturel, à côté de l’amour de soi et de la sociabilité. Les raisons qui expliqueraient ce changement sont très différentes et indépendantes les unes des autres. On voit chez Pufendorf la nécessité de se défendre des accusations d’irréligion et de « hobbisme », qui le pousse à faire des concessions importantes dans Les Devoirs de l’homme et du citoyen[49]. On observe chez Locke, ainsi que chez les théoriciens protestants du droit de résistance, un changement sensible de l’état de nature, qui, comme John Dunn l’a souligné, est un objet de la réflexion théologique [50]. On constate, surtout chez Barbeyrac, dans sa défense de Pufendorf contre Leibniz et dans sa polémique avec Bayle, que la grande synthèse qu’il bâtit du droit naturel comme science morale fait glisser au premier plan le lien implicite que le droit naturel moderne n’avait jamais coupé avec Dieu.

28Ce lien avait été très discret chez Grotius et Hobbes, pour lesquels, audelà de toute différence, la possibilité de connaître le droit naturel n’était fondée que sur la nature de l’homme et sur les règles de conduite qu’on en pouvait déduire par voie rationnelle. C’est uniquement de manière indirecte que ces règles auraient aussi pu être considérées comme commandements de Dieu en tant qu’auteur de la nature humaine elle-même [51]. Chez Locke, en revanche, c’est l’idée même de Dieu comme « maker » qui réside au centre, non seulement de sa théorie de l’état de nature et des lois naturelles, mais aussi de sa théorie de la certitude des sciences morales, égalées par leur méthode aux sciences mathématiques [52]. Et c’est cette théorie que Barbeyrac reprend dans sa Préface au Droit de la nature et des gens de Pufendorf [53]. Ainsi, si les sciences morales fondent leur certitude sur le fait qu’elles opèrent avec des idées de relation, la relation fondamentale qu’elles visent à établir concerne le rapport entre les actions humaines et la loi divine. Par conséquent, la « connaissance démonstrative » de Dieu devient le point de départ du droit naturel. Cette théorie permet également à Barbeyrac d’affirmer que la connaissance du droit naturel s’acquiert par voie purement rationnelle, et de conjurer en même temps le danger que Bayle avait fait surgir grâce au rationalisme grotien : le spectre d’une moralité sans Dieu, se substituant à la raison comme fondement de l’obligation. En effet, selon Barbeyrac qui, comme Locke, adopte une position de compromis, la raison nous permet de connaître avec certitude les règles morales, mais le fondement de l’obligation ne peut être que la volonté divine. Il en déduit un système complet de devoirs pour l’homme et pour le citoyen : devoirs envers Dieu, envers soi-même et envers les autres. Et l’obligation religieuse et morale devient à son tour le fondement de l’obligation politique, car le droit politique ne s’avère au fond qu’un droit déduit du droit naturel [54]. Chez Burlamaqui, le cheminement se révèle plus complexe. En effet, il ne renonce pas à faire de la raison elle-même un fondement de l’obligation, en revenant sur de nombreux points aux positions grotiennes, bien qu’il les intègre par la théorie du sentiment moral empruntée à Hutchinson [55]. Il aboutit cependant à un compromis, et, pour finir, il pose le fondement de l’obligation dans la volonté de Dieu approuvée par la raison [56]. Comme Barbeyrac, il fait de la religion le premier principe du droit naturel, ce qui implique d’y inclure la démonstration de l’existence de Dieu. On observera une démarche similaire chez l’apologète rationnel genevois, qui avait placé la religion naturelle – découverte par la raison seule – à la base de la loi naturelle et de l’obligation politique.

29Si on lit la Profession de foi à la lumière de ce contexte assez large au XVIII e siècle, on notera d’abord une certaine continuité avec la structure des traités qu’on a mentionnés : les dogmes de la religion naturelle sont préalables à l’exposition des devoirs de la loi naturelle, qui trouvent leur fondement d’obligation dans la divinité qui les impose; en même temps, de ces devoirs de l’homme – envers Dieu, soi-même et les autres – découlent les devoirs du citoyen, à savoir l’obéissance aux lois. On conclura, en première analyse, que Rousseau a repris le contenu des traités du droit naturel, mais qu’il l’a transposé du plan de la raison philosophique au plan de la raison particulière qui se fonde sur la preuve du sentiment. De cette manière, il pouvait léguer au public un traité de morale accessible à l’homme commun, surmontant la limite fondamentale des doctrines modernes du droit naturel, à savoir leur « rationalisme » qui rend « impossible d’entendre la Loy de Nature et par conséquent d’y obéir, sans être un très grand raisonneur et un profond Métaphisicien [57] ». Ainsi le Vicaire s’exclame-t-il : « Nous pouvons être hommes sans être savans [58]. »

30Si nous quittons la perspective du Vicaire et si nous nous replaçons dans celle d’Émile, c’est-à-dire celle d’un homme qui fait son éducation au sein de la société, nous constaterons qu’il suit le même ordre d’exposition dans le développement de la profession du Vicaire : bien que l’éducation morale d’Émile passe par le stade de la raison sensitive et des conventions utilitaires, c’est l’apprentissage religieux qui lui permet de devenir un véritable sujet moral, autrement dit un sujet qui n’est plus tout simplement titulaire de droits, mais qui s’avère aussi capable de remplir des devoirs. Ce n’est qu’après avoir écouté son instituteur raisonner à la manière du Vicaire sur la religion naturelle et sur les devoirs qui en découlent, qu’après avoir appris la notion d’Être suprême comme source et garant de la loi naturelle, qu’Émile contracte son premier engagement véritable avec l’instituteur; et c’est seulement après s’être montré capable de tenir ses engagements qu’il peut signer le contrat matrimonial. Ce contrat le fait accéder à la vie politique, car le mariage suppose l’entrée consensuelle dans une société politique [59]. À nouveau, la séquence est : religion, morale, politique.

31Toutefois, la continuité avec la structure des traités du droit naturel ne doit pas faire oublier la distance entre le discours du Vicaire et les ouvrages d’auteurs tels que Barberyrac, Clarke ou Burlamaqui, qui avaient posé comme préalable au droit naturel la démonstration rationnelle de l’existence de Dieu. Tout en ayant repris le schéma de ces traités, Rousseau l’affaiblit d’une manière décisive en ôtant au discours du Vicaire le statut de science universelle. De cette manière, non seulement la religion naturelle cesse d’être une connaissance démonstrative, mais le statut même de la loi naturelle en tant que loi morale est affecté par cette opération de déclassement. Ce serait donc à juste titre que l’on pourrait voir dans la pensée de Rousseau la première crise du droit naturel [60]. De surcroît, si l’on se penche sur le sommaire du Contrat social inséré dans le livre V de l’Émile, on remarquera que le texte ne présente aucune continuité avec la doctrine de la religion naturelle et de la loi naturelle; aucune référence au discours du Vicaire n’est faite par l’instituteur quand il se penche sur l’enseignement des principes du droit politique; aucune déduction n’est tirée des devoirs de l’homme pour établir les devoirs du citoyen. Ici, l’obligation morale et religieuse n’apparaît pas comme condition de l’obligation politique, et la religion n’est pas mentionnée comme supplément de la politique.

32En effet, le discours qui porte sur les principes du droit politique prend son point de départ en remontant à un état comparable à l’enfance d’Émile, à l’état de nature. Cette fois, le développement ne concerne pas un individu né au sein d’une société déjà formée, mais le genre humain dans son ensemble. Il s’agit d’un discours qui se veut rigoureusement scientifique : il se fonde en effet sur l’observation et la comparaison, et il se penche sur des objets qui sont accessibles à la raison humaine. La liberté naturelle des hommes est une vérité certaine et universelle car, en tant que liberté externe, elle peut être observée et démontrée par l’hypothèse de l’état de nature. Sur ce point, Rousseau n’admet pas la possibilité de décider entre deux solutions qui s’opposent. La déduction des principes du droit politique se passe de toute référence aux dogmes de la religion naturelle : la science du droit politique ne s’appuie pas sur un fondement métaphysique. De même, dans le Discours sur l’origine de l’inégalité, qui veut demeurer neutre par rapport à l’opposition entre matérialisme et antimatérialisme, la liberté morale comme qualité spécifique de l’homme laisse sa place à la « faculté de se perfectionner » qui est incontestable et empiriquement observable, comme l’a souligné Leo Strauss [61]. De surcroît, dans cet ouvrage comme dans le Contrat social, à savoir dans l’ordre de l’histoire hypothétique des gouvernements aussi bien que dans l’ordre systématique d’exposition des principes du droit politique, la politique vient en premier, et la religion n’est présentée que comme un produit de la raison sublime du législateur. La religion constitue l’instrument permettant de faire accepter le système de législation le plus convenable à un peuple qui vient de sortir de l’état sauvage et qui se trouve donc à un stade comparable à celui où se trouve Émile lorsque le précepteur commence son instruction morale. Il s’agit d’un stade où la raison ne s’est pas complètement développée et nécessite le support de l’imagination [62]. Toutefois, si Émile traverse en premier lieu le stade religieux afin d’accéder à la vie morale et politique, les peuples, au contraire, passent d’abord par la politique avant d’entrer dans la vie morale et religieuse. Par conséquent, si la religion, dans l’ordre d’évolution de l’espèce humaine, vient après la politique, la religion naturelle et la croyance en Dieu ne sont pas nécessaires pour entrer dans l’ordre politique : en principe, l’obligation politique est donc indépendante de l’obligation morale et religieuse.

33Tout cela nous permet d’abord de conclure que ce qui paraît un cercle – la faillite de la loi naturelle qui a besoin du secours de la religion naturelle et de la loi politique, et la loi politique comme substitut de la loi naturelle qui pourtant est insuffisante et destinée à l’échec – peut être mieux compris comme l’effet d’un choix précis de la part de Rousseau. Il choisit de présenter de manière différente l’articulation des rapports entre religion, morale et politique selon les diverses perspectives des acteurs impliqués dans le processus du devenir : la perspective de l’individu qui fait son apprentissage à l’intérieur d’une société déjà formée ou la perspective du genre humain qui passe de la nature à la culture, de la condition de pure animalité à la condition proprement humaine et sociale. Le « système de Rousseau » est composé de deux parties qui ont un statut et un degré d’universalité différents : d’un côté, il y a le discours proprement scientifique concernant les principes du droit naturel et les principes du droit politique, ce qui correspond à la perspective du genre humain et donc à une perspective universelle; de l’autre, il y a la partie qui a trait à la moralité individuelle et qui s’étend à des objets – la totalité de l’univers –, dont l’homme ne peut avoir une véritable connaissance. Cette partie du système dépend d’une alternative dont les termes sont indémontrables, et son universalité n’a qu’un statut pratique. Il est impossible ici d’entrer dans le détail de l’articulation de ces deux parties du système; nous nous limitons à mettre en relief un point qui nous semble important. Ce dernier donne en effet une clé pour lire d’une manière un peu différente la doctrine rousseauiste de la tolérance [63].

34Ayant établi que l’athéisme est un dogme « douteux » du point de vue spéculatif et très mauvais du point de vue moral, Rousseau lui a reconnu un droit d’existence au niveau du débat philosophique, tout en lui refusant – à cause de ses effets sociaux – un droit d’existence au niveau public. On peut voir le modèle de cette liberté philosophique « privée » et « secrète » dans les discussions passionnées exposées dans la Nouvelle Héloïse entre l’athée Wolmar et Milord Édouard [64]. Cependant « raisonner » n’est pas « dogmatiser »: Wolmar « raisonne », discute avec ardeur avec Milord Édouard, mais il ne « dogmatise jamais », il n’enseigne pas sa doctrine et ne s’adonne pas au prosélytisme, encore moins avec ses enfants, confiés dans ce domaine aux soins de la dévote Julie [65]. Pour ce qui concerne l’éducation individuelle au sein de la société s’impose donc l’enseignement religieux : comme nous l’avons souligné plus haut, la religion naturelle qui est un savoir individuel et particulier retrouve un statut universel quant à la pratique, aux conséquences sociales des croyances. L’apprentissage religieux d’Émile comme condition d’accès à la vie morale prend alors le statut d’un modèle universel au niveau de l’éducation privée. En même temps, ce modèle qui universalise la croyance religieuse au détriment du point de vue athée, est centré sur le dogme de la tolérance universelle du point de vue théologique, une tolérance qui admet, en principe, l’éventualité d’un athée vertueux, d’une vie bonne sans la croyance en Dieu.

35On voit donc surgir dans les pages de Rousseau un double espace du doute qui est décisif car, dans ce double espace, s’ouvre la possibilité d’une tolérance universelle au niveau philosophique et, partant, théologique. Le doute qui porte sur l’existence de Dieu est constitutif non seulement du point de vue de la raison spéculative, mais aussi du point de vue du sentiment intérieur du croyant. Toute révélation particulière est douteuse car elle passe nécessairement par la multiplicité des médiations humaines. On pourrait dire que le doute est constitutif de la foi. Chaque croyant ne saurait considérer aucun des dogmes auxquels il croit comme nécessaire au salut, il n’a aucune certitude de suivre la bonne route qui mène au ciel. Cependant, il est très certain que de croire que son voisin est damné est un mauvais dogme du point de vue moral. C’étaient les tenants catholiques et protestants de l’intolérance, c’étaient Bossuet et Jurieu qui l’avaient affirmé : on ne saurait vivre en paix avec celui qu’on croit damné. Le dogme de l’intolérance, fondé sur le principe « hors de l’église point de salut », est donc le dogme antisocial et mauvais par excellence [66]. De surcroît, il est faux du point de vue spéculatif, car il prétend supprimer le double doute qui habite la foi.

36Rousseau soutient ainsi la thèse de la tolérance universelle du point de vue dogmatique dans les écrits qu’il destine à des particuliers, comme la Nouvelle Héloïse et l’Émile. Il le révèle explicitement dans la Lettre à Christophe de Beaumont : la procédure du doute appliquée aux révélations particulières, y compris les confessions chrétiennes, n’avait pas pour dessein de renverser toute croyance; bien au contraire, son but était d’injecter un scepticisme salutaire dans le domaine des croyances religieuses afin de secouer les préjugés nuisibles relevant d’une foi mal comprise, c’est-à-dire d’une foi qui se veut certitude inébranlable [67]. Cette procédure sceptique comme instrument de tolérance universelle est elle-même universelle dans la mesure où elle s’adresse à tous les destinataires possibles, montrant aux croyants l’éventualité d’un athée vertueux qui pourrait être sauvé, aux catholiques l’image d’une protestante dévote, aux protestants un prêtre catholique non idolâtre, aux philosophes matérialistes une multiplicité de figures possibles d’une croyance rationnelle, ainsi que, et aussi important, un athée « tolérant » ne prêchant pas sa philosophie, laquelle d’ailleurs est « douteuse » comme toutes les autres croyances. Cette tolérance s’adressant aux individus, et étant même la tolérance des individus, est donc véritablement universelle et pleinement réciproque, incluant toute croyance, notamment celle des non-croyants. Cette tolérance, Rousseau ne l’appelle plus « ecclésiastique », car elle ne concerne pas les Églises : la tolérance « théologique » est la tolérance des individus.

37Cependant, il s’agit d’une tolérance qui implique également un appel aux consciences et aux tenants du véritable culte, le culte intérieur, leur demandant d’être, à leur tour, tolérants par rapport aux institutions extérieures qui sont la base de l’ordre politique. Si le véritable culte est le culte intérieur, toute question extérieure étant indifférente au salut, le catholicisme « papiste » ne peut pas être exclu de la tolérance théologique : en dernière analyse, tout changement politique au nom de la religion est illégitime. Cette indifférence du culte extérieur quant au salut serait donc ce qui permettrait d’expliquer la solution particulière que Rousseau donne au problème de la tolérance, une solution qui semble allier à la tolérance universelle au niveau théologique la proposition d’un culte uniforme au niveau politique. C’est pour cette raison que Rousseau a été inclus dans ce qui fut appelé la « théorie républicaine de la tolérance », qui cherche à combiner la liberté de conscience avec l’adhésion à une religion nationale en tant que religion civile [68].

38Toutefois, il est légitime de se demander si cette formule – tolérance universelle au niveau des consciences, uniformité du culte extérieur au niveau politique – correspond effectivement à l’enseignement de Rousseau. Autrement dit, on pourrait s’interroger pour savoir si la solution que propose le Vicaire pour résoudre le rapport entre politique et croyance religieuse individuelle est la même que celle que doit adopter le législateur.

39Du point de vue de l’individu, le culte extérieur est indifférent car il n’est pas nécessaire au salut; mais la conformité au culte public apparaît comme un devoir en tant qu’obéissance aux lois. La perspective du législateur est bien différente : il s’agit d’abord de créer les lois, et non pas de leur être soumis. Du point de vue de la science du droit politique, la naissance des lois précède l’accès à la vie religieuse. L’obligation politique est, en principe, indépendante de l’obligation religieuse, et la religion est subordonnée à la politique. Par conséquent, la forme du culte est de la compétence du souverain, qui a le droit de la régler [69]. Cependant, la modalité d’exercice de ce droit n’est pas fixée une fois pour toute : c’est au souverain – et au législateur – d’en déterminer le contenu et l’étendue de la manière la plus convenable à l’État. À l’origine des sociétés, le législateur a utilisé la religion comme instrument de la politique et il a, de fait, donné aux lois une origine divine, établissant un culte national. Mais les premières religions, les religions politiques, étaient, comme la religion « idolâtre » des enfants, de fausses religions. De plus, la religion n’est pas seulement un instrument de la politique, elle est aussi un fait historique, sujet au changement, un fait que le législateur – et le souverain – doit prendre en compte. La situation de l’Europe au XVIII e siècle présente une variété de combinaisons entre religion et politique et, dans son oeuvre, Rousseau avance des solutions différentes selon les circonstances. S’il n’est pas possible ici d’entrer dans les détails [70], il suffit de rappeler que, dans le Contrat social, les points fondamentaux de la religion civile se limitent aux dogmes : il n’y a aucune mention d’un culte public uniforme. D’ailleurs, cette solution s’adresse uniquement à un pays protestant – en particulier à Genève – car la tolérance ne s’étend pas aux catholiques [71]. Les Lettres écrites de la Montagne risquent l’hypothèse d’une autre solution : la séparation complète entre religion et politique selon l’enseignement de Jésus [72]. Chez Rousseau, la tolérance universelle au niveau théologique ne se combine donc pas toujours avec la prescription d’un culte national uniforme : à la ductilité demandée à tout individu face aux cultes publics existants s’ajoute une souplesse analogue de la part du législateur selon les circonstances historiques. Du point de vue de l’ordre politique, un culte uniforme est sans doute un ciment du lien social. Mais là où s’est imposé historiquement le « fait » du pluralisme religieux, ce pluralisme doit être accepté, et c’est l’acceptation de ce pluralisme qui devient la garantie de l’ordre politique [73].

40Les présupposés philosophiques de la tolérance théologique universelle – l’impossibilité de démontrer l’existence de Dieu, le caractère douteux et particulier de chaque religion révélée –, qui ouvrent la voie à l’exigence d’une fondation non métaphysique de la science du droit politique, ne manquent pas d’avoir aussi des effets sur le plan de la tolérance politique. Cette dernière est également ouverte à une pluralité de solutions pratiques allant de l’uniformité d’un culte public à la pluralité religieuse, jusqu’à la complète séparation entre religion et politique. Si Rousseau n’est sans doute pas, comme Voltaire, un apologète du pluralisme religieux, il est aussi loin de proposer la religion d’État et un culte national comme modèle idéal de solution des rapports entre religion et politique. Uniformité et pluralisme religieux sont des faits que le législateur doit prendre en compte, tout en essayant de limiter les effets antisociaux des cultes particuliers. Il s’agit d’une tolérance tant universelle que modulée selon les circonstances, et que l’on qualifiera de « républicaine », à la condition toutefois de suivre l’un des sens que Rousseau confère à l’adjectif « républicain », le sens le plus général de ce qui est fait « pour les peuples ». C’est uniquement dans cette acception que sa doctrine de la tolérance peut être définie comme « républicaine » : elle vise le bien de tous les peuples, non seulement de ceux qui ont la chance de vivre dans un État libre et sous un gouvernement légitime. C’est donc une doctrine qui ne prétend pas dicter l’application universelle d’un seul modèle de tolérance et qui se greffe sur une théorie républicaine tolérante envers les États non républicains, excluant donc toute possibilité d’universaliser et d’exporter le modèle de la « société bien ordonnée ». Autrement dit, la théorie rousseauiste de la tolérance est « républicaine » dans la mesure où son universalité procède du refus de tout universalisme.


Mots-clés éditeurs : Tolérance, Religion naturelle, Obligation morale et politique, Religion civile, Profession de foi

Date de mise en ligne : 21/04/2009

https://doi.org/10.3917/aphi.721.0031

Notes

  • [1]
    J.-J. ROUSSEAU, Œuvres complètes (dans la suite OC), éd. sous la dir. de B. Gagnebin et M. Raymond, 5 vol., Paris, Gallimard, 1959-1995, IV, p. 950-951.
  • [2]
    Dialogues, III, OC I, p. 933.
  • [3]
    V. GOLDSCHMIDT, Anthropologie et politique. Les principes du système de Rousseau, Paris, Vrin, 1974; R. D. MASTERS, The Political Philosophy of Jean-Jacques Rousseau, Princeton, University Press, 1968, trad. fr. par G. Colonna d’Istria et J.-P. Guillot, La philosophie politique de Rousseau, Lyon, E NS -Éditions, 2002. Sur les problèmes posés par la lecture que le Français a fait des œuvres de Rousseau, voir aussi M. RANG, Rousseaus Lehre vom Menschen, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1959, p. 60 sq.
  • [4]
    Lettre à Christophe de Beaumont, OC IV, p. 935.
  • [5]
    Dialogues, OC I, p. 935; cette phrase est ici relative au seul Émile, mais, dans la Lettre à Christophe de Beaumont, citée dans la note précédente, cette même démarche est attribuée à tous ses écrits.
  • [6]
    OC IV, p. 937.
  • [7]
    R. D. MASTERS, op. cit., p. 478 sq. : « L’échec du système de Rousseau ».
  • [8]
    OC IV, p. 576. À notre connaissance, il n’y a qu’une seule autre occurrence de cette expression, dont la signification est pourtant complètement différente. Il s’agit en effet du « premier principe de la curiosité », ibid., p. 429.
  • [9]
    Selon l’expression de F. MARKOVITS, « La science du bon vicaire », dans Rousseau et les sciences, sous la dir. de B. Bensaude-Vincent et B. Bernardi, Paris, l’Harmattan, 2003, p. 233.
  • [10]
    OC IV, p. 606.
  • [11]
    Ibid., p. 1033. Selon H. GOUHIER, ibid., p. 1763, note 1 de la p. 1033, ce fragment remonte aux années 1730. Sur la première formation religieuse de Rousseau, voir P.-M. MASSON, La Religion de J.-J. Rousseau, Paris, Hachette, 1916.
  • [12]
    Institutions chimiques, B. Bernardi et B. Bensaude-Vincent éds., Paris, Fayard, 1999, p. 59.
  • [13]
    OC IV, p. 1070.
  • [14]
    Lettre à Voltaire, OC, IV, p. 1070.
  • [15]
    Ibid. Sur l’impossibilité de la raison à décider, ainsi que sur la distinction entre raison et foi dans la Lettre à Voltaire, voir V. GOUREVITCH, « The Religious Thought », dans The Cambridge Companion to Rousseau, éd. par P. Riley, Cambridge, University Press, 2001, p. 210-212.
  • [16]
    C’est « le système total réuni en une seule idée », comme Rousseau l’avait écrit dans le Manuscrit Favre, OC IV, p. 216; dans la version définitive, on lit que les hommes « n’ont pû reconnoître qu’un seul Dieu que quand, généralisant de plus en plus leurs idées, ils ont été en état de remonter à une première cause, de réunir le sistême total des êtres sous une seule idée, et de donner un sens au mot substance, lequel est au fond la plus grande des abstractions », ibid., p. 553.
  • [17]
    OC, IV, p. 551.
  • [18]
    Rousseau à Dom Léger-Marie Deschamps, le 8 May 1761, dans Correspondance complète de J.-J. Rousseau, éd. par R.-A. Leigh, Genève-Oxford, The Voltaire Foundation, 1965-1998 (désormais CC), VIII, n. 1407, p. 320.
  • [19]
    OC IV, p. 1070 : « L’état de doute est un état trop violent pour mon âme. ». Voir également p. 568 : « Le doute sur les choses qu’il nous importe de connoitre est un état trop violent pour l’esprit humain. »
  • [20]
    Sur la proximité ainsi que sur la distance entre le Vicaire et Descartes, voir H. GOUHIER, Les Méditations métaphysiques de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Vrin, 1970, p. 49-83; sur Rousseau et Pascal, voir M. RANG, op. cit., p. 445-447 et 530.
  • [21]
    « Je conçus que l’insuffisance de l’esprit humain est la première cause de cette prodigieuse diversité de sentimens, et que l’orgueil est seconde », OC IV, p. 568. Y. Vargas voit dans la pensée de Rousseau un « antiscientisme » qui l’éloigne de la critique de type kantien, Introduction à l’Émile de Rousseau, Paris, PUF, 1995, p. 168. Au contraire, A. Pintor Ramos rapproche l’attitude de Rousseau de la démarche kantienne, voir l’article « Dieu », dans Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau, sous la dir. de R. Trousson et F. S. Eigeldinger, Paris, Champion, 1996, p. 223 : « Presque pour les mêmes raisons que Kant dans la Critique de la raison pure, R [ousseau] dénie à l’intelligence humaine l’aptitude à accéder à pareille connaissance. » Se référer aussi à V. GOUREVITCH, The Religious Thought, op. cit., p. 212 : cet argument de Rousseau a contribué à la critique de la preuve psychocosmologique de l’existence de Dieu et au passage de la religion à la religiosité.
  • [22]
    « Je compris encore que loin de me délivrer de mes doutes inutiles, les philosophes ne feroient que multiplier ceux qui me tourmentoient et n’en resoudroient aucun. Je pris donc un autre guide, et je me dis : consultons la lumière intérieure », OC IV, p. 569; voir aussi la lettre de Rousseau à Vernes du 18 février 1758, CC V, n. 616, p. 32-33 : « J’ai donc laissé là la raison, et j’ai consulté la nature, c’est-à-dire le sentiment intérieur qui dirige ma croyance indépendamment de ma raison. »
  • [23]
    Lettre à Voltaire, OC IV, p. 1072. Voir aussi la lettre à Carondelet du 4 mars 1764, CC XIX, n. 3166, p. 198 : « car je ne dispute jamais, persuadé que chaque homme a sa manière de raisonner qui lui est propre en quelque chose, et qui n’est bonne en tout à nul autre que lui »; et la Lettre à M. de Franquières, OC IV, p. 1142 : « Il s’agit de mon sentiment, et non de mes preuves. »
  • [24]
    J. LOCKE, Essai philosophique concernant l’entendement humain, trad. par P. Coste, Paris, Vrin, 1972, l. IV, chap. X, p. 514-516. Sur le rapport entre raison et révélation chez Locke, voir C. HIGGINS-BIDDLE, Introduction, dans J. LOCKE, The Reasonableness of Christianity, Oxford, Clarendon Press, 1999, p. xv-cxv, et V. NUOVO, « Locke’s theology », dans M. A. Stewart (ed.), English Philosophy in the Age of Locke, Oxford, Clarendon Press, 2000, p. 183-215.
  • [25]
    S. CLARKE, Traité de l’existence et des attributs de Dieu, dans Œuvres philosophiques de Samuel Clarke, Paris, Charpentier, 1843, p. 11.
  • [26]
    OC V, p. 11. A. Charrak mentionne ce passage de la Lettre à d’Alembert comme prescription de méthode « que Rousseau revendique pour son propre compte dans l’examen des dogmes spéculatifs », « …J’ai dû me borner à raisonner ». La présentation des traités de 1762, Lettres écrites de la montagne, I », dans B. BERNARDI, F. GUÉNARD, G. SILVESTRINI, La Religion, la liberté, la justice. Un commentaire des Lettres écrites de la montagne de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Vrin, 2005, p. 37.
  • [27]
    Rousseau à Vernes, le 25 mars 1758 : « Nous sommes d’accord sur tant de choses, que ce n’est pas la peine de disputer sur le reste », CC V, n. 634, p. 65.
  • [28]
    J.-A. TURRETTINI, Traité de la vérité de la Religion chrétienne, Genève, Bousquet, 1736, sect. IV, art. I, chap. VII, Du Mystère de la Trinité, p. 47 sq.; sur Chouet, voir M. HEYD, Between Orthodoxy and the Enlightenment. J.-R. Chouet and the Introduction of Cartesian Science in the Academy of Geneva, Boston-La Haye-Jérusalem, Kluwer Academic Publishers, 1982, p. 140.
  • [29]
    OC IV, p. 570.
  • [30]
    La plupart des interprètes considèrent le Vicaire comme un simple « masque » sous lequel Rousseau se cache, attribuant donc à Rousseau tous ses arguments; on peut mentionner à titre d’exemple P. BURGELIN, OC IV, p. 1505, note 2, et p. 1524, note 3 : « Rousseau reprend donc le dualisme cartésien »; A. PINTOR-RAMOS, article « Dieu », op. cit., p. 222-223; A. BONETTI, Antropologia e teologia in Rousseau. La Professione di fede del Vicario savoiardo, Milano, Vita e Pensiero, 1976, p. 89-131; J. LAGRÉE, La Religion naturelle, Paris, PUF, 1991, p. 77; inversement, ceux qui soulignent les différences entre le Vicaire et Rousseau ne voient dans la « profession de foi » qu’un dispositif discursif cachant l’adhésion à une doctrine opposée, à savoir un naturalisme ou bien un matérialisme déguisé qui impliquent une critique radicale de la doctrine de la religion naturelle et du droit naturel, comme on peut le constater dans les textes cités plus haut de F. Markovits (p. 234-35) et de Y. Vargas (p. 194). La position de Victor Gourevitch paraît plus nuancée. Après avoir précisé que la Lettre à Voltaire est le seul texte où Rousseau a exprimé à la première personne sa véritable pensée religieuse dans un dialogue entre « philosophes », il reconnaît que la religion naturelle fait partie de la philosophie de Rousseau, tout en ajoutant que la doctrine dualiste soutenue par le Vicaire n’est pas nécessaire à la religion naturelle, voir The Religious Thought, op. cit., p. 194 et 213.
  • [31]
    OC IV, p. 553. D’ailleurs, comme l’a très bien montré P. Hoffmann, le discours du Vicaire n’embrasse pas de manière univoque le dualisme cartésien, voir « L’âme et la liberté : quelques réflexions sur le dualisme dans la “Profession de foi du Vicaire savoyard” », Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, LX (1992), p. 29-62.
  • [32]
    « La philosophie n’ayant sur ces matières ni fond, ni rive, manquant d’idées primitives et de principes elementaires n’est qu’une mer d’incertitude et de doute, dont le metaphysicien ne se tire jamais », CC V, n. 616, p. 32-33.
  • [33]
    OC IV, p. 219-220. On pourrait objecter que Rousseau a abandonné cette position dans la rédaction définitive de l’Émile et dans d’autres textes, notamment dans la Lettre à Franquières, où il convoque Platon et Clarke contre Locke : « quoi qu’en dise Locke, la supposition de la matiere pensante est une véritable absurdité », OC IV, p. 1136. Toutefois, ce passage de Locke à Clarke sur la question de la matière pensante se fait toujours à l’intérieur du domaine de la foi et du sentiment intérieur, car quelques pages plus loin (p. 1142) il affirme de nouveau : « Il s’agit ici de mon sentiment, non de mes preuves. »
  • [34]
    P.-M. MASSON, La « Profession de foi du Vicaire Savoyard » de Jean-Jacques Rousseau, Fribourg-Paris, Libraire de l’Université-Hachette, 1914, note 1 p. 59-61.
  • [35]
    Sermon sur le Jubilé de la Réformation de Zurich, Genève, Fabri et Barillot, 1719, p. 6,15.
  • [36]
    « Il faut croire en Dieu pour être sauvé. Ce dogme mal entendu est le principe de la sanguinaire intolérance, et la cause de toutes ces vaines instructions qui portent le coup mortel à la raison humaine en l’accoutumant à se payer de mots », OC IV, p. 555. Voir aussi le soulagement de Julie, en « apprenant que l’erreur n’est point un crime », OC II, p. 698, et la Lettre à Christophe de Beaumont, OC III, p. 948-952. Karl Barth a insisté sur le pélagianisme de Rousseau, La Théologie protestante au XIXe siècle (1946), Genève, Labor et fides, 1969; voir également J.-F. THOMAS, Le Pélagianisme de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Nizet, 1956.
  • [37]
    H. GROTIUS, Le Droit de la guerre et de la paix, trad. par J. Barbeyrac, Amsterdam, Pierre du Coup, 1724, II, XX, §XLVI : « De ces idées spéculatives il nait des idées pratiques »; S. P UFENDORF, Devoirs de l’homme et du citoyen, I, IV, § 1 : « Ainsi le Système de la Religion naturelle renferme des Propositions Spéculatives, et des Propositions Pratiques. »
  • [38]
    Lettres écrites de la Montagne, OC III, p. 694. La même distinction entre « deux manieres d’examiner et comparer les Religions » se trouvait dans la Lettre à Christophe de Beaumont, OC IV, p. 969.
  • [39]
    J. LOCKE, Lettre sur la tolérance et autres textes, trad. de P. Coste, éd. par J.-F. Spitz, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, p. 198-199.
  • [40]
    OC IV, p. 570. Voir aussi Nouvelle Héloïse, OC II, p. 698 : « Je laisse la subtile interprétation des dogmes que je n’entends pas. Je m’en tiens aux vérités lumineuses qui frappent mes yeux et convainquent ma raison, aux vérités de pratique qui m’instruisent de mes devoirs [...]. La conscience ne nous dit point la vérité des choses, mais la regle de nos devoirs; elle ne nous dicte point ce qu’il faut penser, mais ce qu’il faut faire; elle ne nous apprend point à bien raisonner, mais à bien agir »; la lettre à Voltaire mentionne la « profession de foi que les loix peuvent imposer », qui comprend « les principes de la morale et du droit naturel », OC IV, p. 1073; et dans la Lettre à d’Alembert: « Or dans les matières de pur dogme et qui ne tiennent point à la morale [...] », OC V, p. 10; également la Lettre à Christophe de Beaumont, OC IV, p. 960 : les « vérités essencielles au Christianisme, lesquelles servent de fondement à toute bonne morale ».
  • [41]
    Émile, OC IV, p. 580-581 : « Je crois donc que le monde est gouverné par une volonté puissante et sage; je le vois, ou plustôt je le sens, et cela m’importe à savoir : mais ce même monde est-il éternel ou crée ? Y a-t-il un principe unique des choses ? Y en a-t-il deux ou plusieurs, et qu’elle est leur nature ? Je n’en sais rien, et que m’importe ? »; et p. 590 : « Mais quelle est cette vie, et l’âme est-elle immortelle par sa nature ? »
  • [42]
    OC II, p. 699. Dans ce contexte, Julie, en se référant à la prière, semble renvoyer avant tout au débat sur le libre et le serf arbitre au moment où elle parle de « questions oiseuses »; mais, dans la lettre précédente de Saint-Preux, la cible est plus large, concernant tout « raisonneur » qui « a beau me prouver que je ne suis pas libre » (p. 683), insertion ajoutée après la lecture d’Helvétius, comme le signale, dans sa note, B. Guyon (note 3, p. 1779).
  • [43]
    OC IV, p. 975-976. En effet, Rousseau a affirmé à plusieurs reprises que la profession de foi du Vicaire était la sienne, surtout en ce qui concerne les points fondamentaux de la religion naturelle, comme nous pouvons le lire dans la lettre à Moultou du 23 décembre 1761, CC IX, n. 16702, p. 342 : « Vous concevrez aisément que la profession de foi du Vicaire Savoyard est la mienne. Je desire trop qu’il y ait un Dieu pour ne pas le croire, et je meurs avec la ferme confiance que je trouverai dans son sein le bonheur et la paix dont je n’ai pu jouir ici bas. » Et, dans les Rêveries, OC I, p. 1018, Rousseau souligne l’affinité, et non l’identité complète entre sa position et les arguments du Vicaire : « Le résultat de mes pénibles recherches fut tel à peu près que je l’ai consigné depuis dans la profession de foi du Vicaire Savoyard. »
  • [44]
    Comme le rappelle justement P. BURGELIN, OC IV, p. 1518, l’« ordre des choses » est l’ordre des idées : « L’idée première est donc, selon la méthode : j’existe, et selon les principes : Dieu. » Sur la synthèse comme méthode d’enseignement, voir Émile, OC IV, p. 434 et note 3.
  • [45]
    Rousseau à Moultou, le 14 février 1769, CC XXXVII, n. 6544, p. 57.
  • [46]
    OC IV, p. 594.
  • [47]
    OC IV, p. 603 et 629 : « Nous savons très certainement que c’est un mal de desobéir aux loix. » Dans la « profession de foi » que le précepteur enseigne à Sophie, nous lisons : « Il importe à la société humaine et à chacun de ses membres que tout homme connoisse et remplisse les devois que lui impose la loi de Dieu envers son prochain et envers soi-même. » Ici, le contenu de la loi naturelle est exposé de manière plus explicite : « d’être justes, de nous aimer les uns les autres, d’être bienfaisans et miséricordieux, de tenir nos engagemens envers tout le monde, même envers nos ennemis et les siens », OC IV, p. 728-729.
  • [48]
    Comme l’ont affirmé R. SÈVE, Leibniz et l’École moderne du droit naturel (Paris, PUF, 1989), S. ZURBUCHEN, Naturrecht und natürliche Religion. Zur Geschichte des Toleranzproblems von Samuel Pufendorf bis Jean-Jacques Rousseau (Würzburg, Konigshausen & Neumann, 1991), T. J. HOCHSTRASSER, Natural Law Theories in the Early Enlightenment (Cambridge, University Press, 2000).
  • [49]
    Voir, sur cet aspect, F. PALLADINI, Samuel Pufendorf discepolo di Hobbes. Per una reinterpretazione del giusnaturalismo moderno, Bologna, il Mulino, 1990.
  • [50]
    J. DUNN, The Political Thought of John Locke, Cambridge, University Press, 1979, p. 97.
  • [51]
    Il ne faut pourtant pas oublier une différence essentielle : pour Grotius, les règles que la raison déduit de la nature humaine sont obligatoires en elles-mêmes, tandis que, pour Hobbes, il ne s’agit que de préceptes hypothétiques qui ne deviennent obligatoires que dans la mesure où on les considère comme commandés par Dieu. Selon Grotius, la raison est « législatrice » et capable de fonder l’obligation, tandis que, pour Hobbes, toute obligation se fonde sur la volonté d’un supérieur; sur Grotius, voir P. HAGGENMACHER, Grotius et la doctrine de la guerre juste, Paris, PUF, 1983; pour une reconstitution du débat sur le fondement de l’obligation dans les différentes « écoles » du droit naturel, voir E. J OUANNET, Emer de Vattel et l’émergence doctrinale du droit international classique, Paris, Pedone, 1998.
  • [52]
    Voir, par exemple, J. TULLY, A Discourse on Property. John Locke and his adversaries, Cambridge, University Press, 1980, et J. WALDRON, John Locke and Equality, Cambridge, University Press, 2002, en particulier sur la relation entre la théorie des idées abstraites et la démonstration de l’existence de Dieu, p. 75 sq.
  • [53]
    Pour une analyse de ce texte, nous renvoyons à G. M. LABRIOLA, Barbeyrac inteprete di Pufendorf e di Grozio, Napoli, ESI, 2003, en particulier p. 45-160.
  • [54]
    On peut observer une démarche semblable chez un théologien genevois : « En effet la Morale Chrêtienne, sans être ni un Cours de Jurisprudence, ni un Traité de Politique, ramène & pose si bien les vrais principes du Droit Naturel, qu’il n’y plus qu’à les appliquer, soit au Droit Civil, soit au Droit des Gens, pour avoir la meilleure Jurisprudence & la plus saine Politique », Jacob VERNET, Traité de la Vérité de la religion chrétienne, Genève, Gosse, 1745-1755, livre VI, chap. XXVI, p. 409-410.
  • [55]
    Voir K. HAAKONSSEN, The Moral Conservatism of Natural Right, dans Natural Law and Civil Sovereignty. Moral Right and State Authority in Early Modern Political Thought, éd. par I. Hunter, D. Saunders, New York, Palgrave Macmillan, 2002, p. 27-42; S. Zurbuchen a, en revanche, attribué à Burlamaqui une théorie épicurienne-hobbésienne de l’obligation, voir « Zum Prinzip des Naturrechts in der ‘école romande du droit naturel’», Jahrbuch für Recht und Ethik, XII (2004), p. 189-211.
  • [56]
    Principes du droit naturel, Genève, Barillot, 1748, première partie, chap. IX, § VI, p. 131, et seconde partie, chap. VII, §XIII, p. 144.
  • [57]
    OC III, p. 125.
  • [58]
    OC IV, p. 601.
  • [59]
    C’est seulement après la « profession de foi » que l’instituteur va instruire Émile sur les relations morales et la foi des engagements et, dans cet enseignement, la référence à « l’Être éternel » comme témoin et juge est essentielle, voir OC IV, p. 648 : « j’attesterai l’Être éternel […] de la vérité de mes discours, je le prendrai pour juge entre Émile et moi »; et à la p. 814, l’instituteur convoque « l’Être suprême » comme témoin de son engagement.
  • [60]
    Cette thèse a été affirmée notamment par L. STRAUSS, Droit naturel et histoire (1953), Paris, Plon, 1954, et a été reprise, bien que de façon nuancée, par R. D. MASTERS, op. cit., pour qui la « loi naturelle est non naturelle », p. 311.
  • [61]
    L. STRAUSS, op. cit., p. 274. Sur cette discussion, voir aussi V. GOLDSCHMIDT, op. cit., p. 273-292, et R. D. MASTERS, op. cit., p. 99-105.
  • [62]
    OC III, p. 383-384; OC IV, p. 648.
  • [63]
    Nous laissons ici volontairement de côté, par manque de place, la question du statut de la loi naturelle dans la pensée de Rousseau; pour un état de la question, voir M. PANOFF, « La Loi naturelle dans la Préface du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau », Annales Doctorales, II, 1999, p. 65-83; et B. BACHOFEN, La Condition de la liberté. Rousseau critique des raisons politiques, Paris, Payot, 2002, p. 112-125.
  • [64]
    OC II, p. 700.
  • [65]
    OC II, p. 592; il est intéressant de voir l’application que Rousseau fait de cette distinction dans la cinquième Lettre de la Montagne, où, tout en distinguant entre les livres qui ont une circulation limitée et les discours de ceux qui prêchent au peuple, et qui sont beaucoup plus dangereux, il se prononce en faveur de la liberté de la presse, OC III, p. 782.
  • [66]
    Nous nous permettons de renvoyer à notre article « Rousseau, Pufendorf e la tradizione settecentesca del diritto naturale », dans M. FERRONATO (éd.), Dal « De Jure naturae et gentium » di Samuel Pufendorf alla codificazione prussiana del 1794, Padova, Cedam, 2005, p. 115-185.
  • [67]
    OC IV, p. 997.
  • [68]
    Sur l’existence d’une variante « républicaine » de la doctrine de la tolérance qui trouve sa première formulation dans les ouvrages de Spinoza, voir J. ISRAEL, « Spinoza, Locke and the Enlightenment Battle for Toleration », dans O. P. GRELL, R. PORTER, Toleration in Enlightenment Europe, Cambridge, University Press, 2000, p. 102-113; S. Zurbuchen a appliqué cette interprétation aux républicains anglais, suggérant l’insertion de Rousseau dans ce courant : « Republicanism and Toleration », dans Q. SKINNER, M. VANGELEDERN (éd.), Republicanism. A Shared European Heritage, Cambridge, University Press, 2002, vol. II, p. 47-71. Plus récemment, J. Israel a repris sa typologie de la tolérance dans Enlightenment contested. Philosophy, Modernity, and the Emancipation of Man 1760-1752, Oxford, University Press, 2006, p. 135-163.
  • [69]
    Lettre à Christophe de Beaumont, OC IV, p. 977.
  • [70]
    Pour une argumentation plus détaillée, nous nous permettons de renvoyer le lecteur à notre article : « Religione civile e repubblicanesimo : una rilettura del modello roussoiano », dans G. PAGANINI, E. TORTAROLO (éd.), Pluralismo e religione civile, Milano, Bruno Mondadori, 2004, p. 139-184.
  • [71]
    OC III, p. 468-469.
  • [72]
    OC III, p. 706.
  • [73]
    Comme Rousseau l’affirme dans la Lettre à Christophe de Beaumont, là où s’est établi le pluralisme religieux, c’est l’intolérance théologique qui devient source de trouble dans l’État, OC IV, p. 978.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.91

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions