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Article de revue

Le matérialisme neuronal et la question de la transcendance

Pages 77 à 94

Notes

  • [1]
    J-P CHANGEUX, L’Homme neuronal, Fayard, Paris, 1983. La thèse matérialiste d’une possible genèse psychophysiologique de l’idée de transcendance se légitimerait sur une base neuroscientifique impliquant le substratum anatomo-fonctionnel du lobe pariétal des hémisphères cérébraux [A. NEWBERG, E. D’AQUILI et V. RAUSE. Why God Won’t Go Away. Brain Science and the Biology of Belief, Ballantine, New York, 2001].
  • [2]
    P. CHURCHLAND, Neurophilosophy. Toward a unified science of the mind-brain, MIT Press, Cambridge, 1986.
  • [3]
    F. CRICK, The Astonishing Hypothesis, Scribners, New York, 1994. Francis Crick, découvreur de la structure de l’ADN avec James Watson et Maurice Wilkins, pousse l’empirisme logique à ses limites extrêmes en limitant l’horizon de la vérité aux seules analyses factuelles.
  • [4]
    R.W. P ICARD, Affective Computing, MIT Press, Cambridge, 1997.
  • [5]
    R. KURZWEIL, The Age of Spiritual Machines. When computers exceed human intelligence, Viking, New York, 1999.
  • [6]
    G. DELEUZE et F. GUATTARI, Qu’est-ce que la Philosophie ? Éditions de Minuit, Paris, 1991.
  • [7]
    M.I. P OSNER et M.E. RAICHLE, Images of Mind, Scientific American Library, New York, 1994.
  • [8]
    E. LARSON et L. W ITHAM, « Leading scientists still reject God », Nature, 1998,394, p. 313.
  • [9]
    Propos recueillis par Nicolas Chevassus-au-Louis, La Recherche, 2000,374,109-111. Référence justificative : G.M. E DELMAN et G. TONONI, Consciousness : How Matter Becomes Imagination, Basic Books, New York, 1999. Rappelons que les notions évolutives de darwinisme neuronal et de darwinisme mental relèvent des travaux neurophysiologiques de Gerald Edelman.
  • [10]
    Peu avant sa disparition en 1997, Sir John Eccles, Prix Nobel de physiologie et de médecine, par ailleurs conseiller au Vatican, était fortement critiqué au sein de l’IBRO (International Brain Research Organization) pour son dualisme attardé. Témoin autorisé de cet événement, je ne peux que déplorer un dogmatisme peu compatible avec le principe de réfutabilité soutenu par Karl Popper, bien que ce principe ne concerne certes que les constructions théoriques émanant des seuls objets scientifiques. Même si l’on doit se prémunir en métaphysique des illusions possibles d’une subjectivité constituante, aucun obstacle logique n’interdit l’hypothèse de la transcendance.
  • [11]
    Référence à l’émergence de l’homme dans le parcours évolutif suivi par les formes vivantes.
  • [12]
    A. KAHN, Et l’Homme dans tout ça ? Plaidoyer pour un humanisme moderne, Nil, Paris, 2000, p. 366.
  • [13]
    Propos relevés par Jean-François SIX [Lumière de la Nuit, Seuil, Paris, 1995].
  • [14]
    Ces esquisses étaient développées dans notre ouvrage concernant le problème corpsesprit [C. P OIREL, Le Cerveau et la Pensée. Critique des fondements de la neurophilosophie, L’Harmattan, Paris, 1997].
  • [15]
    E. NAGEL, The Structure of Science. Problems in the Logic of Scientific Explanation, Harcourt, New York, 1961. Dans la conception neurale de l’abstraction, les neurosciences contemporaines invoquent la capacité neurocognitive de synthétisation des informations chaotiques et redondantes émanant du monde (réduction de la complexité à un niveau de représentation acceptable pour la pensée, processus d’intégration impliquant des opérations de catégorisation).
  • [16]
    C. P OIREL, Psychophysiologie générale et psychopathologie. Dimensions normatives et perspectives sémantiques dans les sciences du comportement, Masson, Paris, 1983.
  • [17]
    Réalités mentales ne contredisant pas le fait que l’activation de certaines populations neuronales puisse être visualisée au cours de ces phénomènes d’élaboration purement psycho-logiques.
  • [18]
    Les recherches entreprises en psychophysiologie comparée répondaient à ce type de questionnement concernant classiquement l’importance psychologique dévolue au cortex préfrontal, l’absence de corrélations qui soient objectivement déterminantes entre la complexité des structures cérébrales et la manifestation des fonctions mentales supérieures.
  • [19]
    L’Homme ne serait rien de plus qu’un objet de nature ou un visage de sable qui doit s’effacer dans l’histoire [M. FOUCAULT, Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Gallimard, Paris, 1966]. Ainsi, dans le prolongement de conceptions structuralistes, peut-on retrouver certains aspects du substantialisme de la pensée ou de la logistique évanescente de l’esprit; thèses d’un consentement lucide à la finitude retrouvées dans les courants dominants de la philosophie contemporaine, mais thèses contrastant avec le primat donné aux herméneutiques instauratives : « Le cogito est à l’intérieur de l’être et non l’inverse » selon la formule éclairante de Paul Ricœur [G. DURAND, L’Imagination symbolique, PUF, Paris, 1968].
  • [20]
    Le primat donné aux épures syntaxiques issues de l’héritage gréco-latin conduira dans l’époque contemporaine à la virtualisation du réel comme à la dévitalisation de l’imaginaire – logique binaire mondialisant les mentalités dans l’uniformisation d’une pensée numérique.
  • [21]
    J.-P. CHANGEUX et S. DEHAENE, « Neuronal models of cognitive functions », Cognition, 1989,33,63-109.
  • [22]
    Cf. opus cité, note 19 [Considérant l’analytique de la finitude que retrouve aussi le structuralisme neurophilosophique (CHURCHLAND, 1986)].
  • [23]
    Un système logique apparemment clos par le nombre limité de ses axiomes de départ peut cependant s’ouvrir à l’infini [sur les attendus psychologiques du théorème de Kurt Gödel : P OIREL, 2000].
  • [24]
    Nos études cliniques sur la pathologie du temps tendaient à avaliser ce paradoxe [C. P OIREL, Les Rythmes circadiens en psychopathologie. Perspectives neurobiologiques sur les structures de la temporalité, Masson, Paris, 1975].
  • [25]
    Cf. note 23.
  • [26]
    Approches cliniques explorant les cohérences affectives comme des sources de connaissance.
  • [27]
    Nous savons que la dignité de l’être humain se qualifie par sa réalité ontologique et non par l’émergence de la raison ou sa dégradation. Louis Beirnaert en son temps s’était élevé contre certaines propositions théologiques déclarant que les handicapés mentaux ou les êtres en défaut de raison ne pouvaient atteindre l’Absolu [cf. aussi L. BEIRNAERT, « Psychanalyse et symbolisme religieux », in Psychanalyse et conscience morale, Lethielleux, Paris, 1950,59-70].
  • [28]
    C. POIREL, « Pensée ». in Y. PÉLICIER et Ph. Brenot (éds.) Dictionnaire des Concepts : Les Objets de la Psychiatrie, Le Bouscat, L’Esprit du Temps, Diffusion PUF, Paris, 1997,396-398.
  • [29]
    D.C. DENNETT, The Intentional Stance, MIT Press, Cambridge, MA, 1987.
  • [30]
    Sur ce sens sémitique de l’Absolu, de la visitation de l’Étranger [L. MASSIGNON in J. DURANDEAUX (éd.), Du Corps à l’Esprit, Desclée de Brouwer, Paris, 1989,121-136], la transcendance se révélant dans l’interruption du logos [E. LÉVINAS, Noms propres, Fata Morgana, Paris, 1976].
  • [31]
    Doctrine de l’éliminativisme neurophilosophique récusant toute réalité mentale dépassant le cadre objectif des analyses factuelles et des formalisations algorithmiques. En relation avec les lois naturelles régissant l’organisation des pouvoirs au sein d’un groupe social, la transcendance se réduirait à un processus de sublimation des relations de dominance et de hiérarchie observé en éthologie comparée.
  • [32]
    C. P OIREL, « De la fracture des lois en psychophysiologie. Le cerveau et la pensée dans l’espace de l’organodynamisme et l’analytique des neurosciences », L’Évolution psychiatrique, 1994,59,53-75.
  • [33]
    J. SEARLE, « Minds, brains, and programs », Behavioral and Brain Science, 1980,3,417-457.
  • [34]
    C. P OIREL, « Approche critique des concepts neurophilosophiques concernant la pensée et ses dissolutions pathologiques », Annales Médico-Psychologiques, 2000,158,525-538. Problèmes de précision terminologique évoqués aussi par Jean Delacour pour les études relatives aux sciences de la vie mentale (Le Cerveau et l’Esprit, PUF, Paris, 1985).
  • [35]
    S’il est du destin biologique de la matière vivante de manifester des comportements adaptatifs progressivement plus complexes, il n’est aucunement dans l’avenir téléonomique de la texture cérébrale de produire de la pensée, constat trop souvent sous-estimé en neurophysiologie fondamentale.
  • [36]
    C. P OIREL, « Neurosciences théoriques et réalités cliniques. De la physiologie cérébrale à la psychologie du sens », L’Information psychiatrique, 2001,77,936-944.
  • [37]
    « Trente ans après la découverte de Broca..., Ribot n’a pas caché son hostilité aux philosophes qui élaborent une psychologie métaphysique. » [J-N. MISSA, L’Esprit-Cerveau. La philosophie de l’esprit à la lumière des neurosciences, Vrin, Paris, 1993]. Rappelons que Paul Broca établissait en 1861 la première corrélation anatomo-clinique de la pensée en découvrant le centre cérébral du langage articulé. En impliquant l’émergence de la pensée sur une base neurocognitive, le langage apparaîtrait comme le reflet de la grammaire cosmique, mais ce souci d’objectivation formelle parcourant l’histoire des localisations cérébrales ne peut embrasser le problème de la manifestation première d’une pensée sans langage dont les recherches psycho-physiologiques attestent la réalité.
  • [38]
    Relevant de la tradition classique, la notion paradoxale de substance immatérielle permettait de dépasser l’apparente antinomie entre la divisibilité corporelle et l’indivisibilité de l’esprit. Ces thèmes fondamentalement polémiques (G. RY L E, The Concept of Mind, Hutchinson, London, 1949) seront repris dans le substantialisme des états mentaux et dans un fonctionnalisme invoquant la notion d’implémentation cérébrale. Ces débats théoriques seront poursuivis en psychiatrie avec l’approche unificatrice d’un « corps psychique » traversé par l’ordre de l’esprit (H. E Y, Naissance de la médecine, Masson, Paris, 1980).
  • [39]
    J. E CCLES, Evolution of the Brain : Creation of the Self, Routledge, London, 1989.
  • [40]
    R. P ENROSE, Shadows of the Mind. A Search in the Missing Science of Consciousness, Oxford University Press, New York, 1994.
Dans la tradition occidentale, toute philosophie, même une philosophie de la transcendance, se réduit, en tant que logos philosophique, à l’immanence.
(Emmanuel LÉVINAS, Noms Propres, 1976)

1L’homme serait arrivé à un niveau de lucidité et de critique intellectuelle où toute référence métaphysique serait devenue illusoire.

2C’est en déchiffrant les processus de la représentation mentale directement reliés au fonctionnement des réseaux neuronaux que s’évanouirait la possible légitimité de la question de la dualité entre la matière et l’esprit. Ainsi dans le prolongement des neurosciences théoriques, le discours neurophilosophique déterminerait la vérité sur l’homme par la seule positivité du savoir physiologique.

3Sur la base des découvertes neuroscientifiques, « l’homme n’a dès lors plus rien à faire de l’Esprit, il lui suffit d’être un homme neuronal »  [1], les neurosciences du comportement tendent à montrer que les états mentaux sont identiques aux états cérébraux et que les états cérébraux sont déductibles de modèles [2]. Nous sommes dès lors en mesure d’accéder à « la recherche scientifique de l’âme »  [3] et de conceptualiser en informatique des ordinateurs affectifs [« affective computing » (P ICARD, 1997)]  [4] et des machines spirituelles [« spiritual machines » (KURZWEIL, 1999)]  [5] : ultimes propositions dépassant le cadre opératoire de l’intelligence artificielle et marquant dans le prolongement des neurosciences cognitives l’apogée du pouvoir de résolution des ordinateurs.

4Considérées à l’aune de l’essentialisme physiologique ou numérique, ces propositions peuvent aussi relever dans leurs formulations de véritables décrets interprétatifs : « L’esprit est le cerveau » [the mind is the brain (CHURCHLAND, 1986)], affirmation relevant de l’empirisme logique reprise dans une perspective spinoziste par Gilles Deleuze et Félix Guattari : « Le cerveau est l’esprit même »  [6]. Références philosophiques devenant en neuropsychologie : voir les objets mentaux, voir l’esprit à travers les techniques informatisées de l’imagerie cérébrale [7]. Plus généralement, dans leur schématisme radical, ces réductions neurophilosophiques se réfèrent à la théorie immanentiste du double aspect de l’activité cérébrale, conception renouvelant le thème du reflet évoqué dans le matérialisme dialectique.

5Ainsi, dans la perspective d’une révolution intellectuelle trop souvent méconnue liée à l’avènement récent des neurosciences cognitives, le problème corps-esprit passait du registre traditionnel de la réflexion philosophique au domaine factuel de l’investigation scientifique.

6Ainsi un domaine classiquement réservé à la métaphysique devenait un champ de recherche largement partagé entre la philosophie et les neurosciences théoriques. Dans ce nouveau contexte, c’est en psychophysiologiste que nous aborderons certains enjeux critiques relatifs au mouvement neurophilosophique contemporain.

7C’est dans le prolongement de ces considérations qui ne sont pas étrangères au développement d’un athéisme affiché que nous évoquerons initialement le problème de l’incroyance dans les milieux scientifiques. Devant la montée progressive d’un athéisme fondé sur les découvertes des neurosciences contemporaines, ces esquisses de réflexion porteront respectivement sur les fondements conceptuels du matérialisme neuronal, les écueils épistémologiques rencontrés par la problématique des relations tissées entre le cerveau et la pensée, les limites opératoires de la raison binaire et les impasses métaphysiques de la neurophilosophie.

I. SUR LA MONTÉE PROGRESSIVE D’UN ATHÉISME

8En 1998, la revue britannique Nature publiait les résultats d’une enquête concernant le niveau de croyance chez les chercheurs impliqués dans la recherche fondamentale [8]. Si 94,5 % des biologistes tendent vers un athéisme déclaré ou clandestin, ce pourcentage atteint près de 100 % dans le domaine des neurosciences. En revanche, le niveau d’incroyance s’avère relativement plus faible chez les mathématiciens (85,7 %), les astronomes (92,5 %) et les physiciens (92,5 %). Plus généralement, l’athéisme augmente linéairement avec le degré de compétence scientifique des chercheurs – phénomène qui relèverait d’une plus grande liberté conceptuelle et d’une plus grande ampleur du sens critique.

9Relevons quelques attitudes significatives concernant la défense neurophilosophique de l’athéisme contemporain. Propos tenus par Gerald Edelman [9] relatifs à la notion de transcendance : « C’est un non-sens logique que d’introduire des hypothèses exotiques ou extrêmes… Cela me rappelle Bergson et son élan vital. Pire encore, il y a les théories dualistes comme celle de feu mon ami John Eccles [10], un esprit profondément religieux qui ne pouvait se résoudre à ce que l’âme meure avec le corps ». Moins simpliste, Axel Kahn, biologiste éminent et grand humaniste livre les clés de son univers intérieur après être devenu incroyant : « matérialisme, rationalisme, empirisme, discontinuité [11] et solidarité. – Je suis en effet matérialiste par défaut… J’ai été obligé de reconnaître, vers l’âge de quinze ans, que je ne croyais plus un traître mot de l’essentiel de l’enseignement constituant les fondements de la foi. Cette prise de conscience a d’ailleurs été fort facilitée par le passage de la messe en latin, que je n’écoutais guère, à la messe en français, dont j’ai commis l’erreur d’éplucher les mots, les phrases et les symboles » [12].

10Nous pouvons constater que le contenu de ces propos se retrouve dans les justificatifs motivant l’incroyance chez de nombreux chercheurs issus de la tradition catholique. Devant certaines incohérences métaphysiques masquées par des formulations dogmatiques dont la rigidité notionnelle bloque toute réflexion critique, on observe les progrès d’un athéisme par défaut chez de nombreux penseurs habilités à pratiquer la fonction intellectuelle de discernement. Cet athéisme déclaré ou latent repérable chez des hommes de science engagés dans la biologie générale ou l’astrophysique devient généralement un athéisme militant chez les chercheurs qui s’investissent dans le domaine des neurosciences cérébrales. Plus généralement, les matérialismes axiologiques et postulés semblent servir de paradigmes justificatifs dans le développement de l’incroyance chez les penseurs et les chercheurs contemporains.

11À cet égard, dans un contexte social où prédomine un athéisme intellectuellement maîtrisé ne relevant plus d’une prétendue faiblesse morale, on ne peut que se questionner sur le contenu de certaines déclarations institutionnelles : « Alors que le scientisme et le rationalisme de la fin du XIX e siècle incitaient à l’incroyance, aujourd’hui les savants, devenus des chercheurs, sont dans l’ensemble plus modestes. Nombre d’incroyants découvrent la vacuité des systèmes philosophiques athées » (P OUPARD, 1990) [13].

II. LE MATÉRIALISME NEURONAL ET LA NEUROPHILOSOPHIE

12Le discours implicite des sciences contemporaines semble cependant contredire l’opinion antérieurement professée en promouvant généralement l’inutilité des références métaphysiques. À cet égard, les nouvelles constructions philosophiques relatives au matérialisme contemporain présentent l’originalité de s’inscrire directement dans les recherches portant sur la genèse cérébrale de la pensée et les avancées théoriques des neurosciences cognitives. Dans la suite de ces considérations, faisons état de la double rhétorique parcourant le domaine de la neurophilosophie : le substantialisme de la pensée et la dimension logistique de l’esprit.

Le traitement substantialiste de la pensée

13Les représentations mentales impliquées dans la pensée émaneraient de l’histoire évolutive de l’architecture cérébrale en interaction continue avec le milieu environnant. Ainsi les structures opératoires de la pensée ne sauraient exprimer que le reflet épuré de la configuration du monde. Résultant d’une double sélection naturelle et culturelle, les objets mentaux comme les concepts les plus abstraits de la vie psychologique seraient inclusivement tributaires des schémas de la perception – les concepts les plus élaborés se réduisant à une sélection d’images mentales épurées dont le contenu perceptif s’est progressivement évanoui. En construisant des objets mentaux sur une base tissulaire neuronale, le cerveau réinvestirait l’homme dans sa texture naturelle. Dans ce contexte interprétatif promouvant l’immanence et la finitude, le problème psychophysiologique d’une possible matérialité de la pensée se trouverait ainsi résolu.

14Au cours de l’évolution biologique, la marque de l’empreinte du monde laissée sur le tissu nerveux permettrait d’expliquer sinon de comprendre l’existence d’un possible discours d’intelligibilité entre la pensée et la réalité, entre le tissu mental et le tissu cérébral, le tissu mental nous livrant le miroir simplement plus complexe de l’organisation du monde. Ainsi, l’énigme de l’universalité de la raison humaine se trouverait résolue sur une base purement matérialiste.

15Émanation de la matière, la raison retrouve nécessairement l’organisation du monde, d’où son pouvoir de pénétration dans la sphère du réel, son caractère de finitude dans la rencontre des phénomènes et sa présence d’universalité dans la pensée humaine. Un matérialisme neuronal explicite ou clandestin aura succédé au matérialisme dialectique.

Le traitement logistique de l’esprit

16Si la thèse substantialiste de la pensée repose sur une réduction de la vie mentale à ses infrastructures cérébrales, la thèse fonctionnaliste réduit la réalité pensante à un jeu complexe d’opérations binaires, – concept opératoire qui reposerait sur la combinaison de représentations mentales qui émanent directement de la seule architecture fonctionnelle des réseaux neuronaux [14].

17La résolutation de la vie mentale dans une pensée numérique aboutirait au phénomène de l’abstraction manifestant l’essence évanescente de l’esprit.

18Ce langage opératoire de l’activité mentale définit le « mentalais » ou langage de la pensée formelle répondant à des règles syntaxiques détachées des lois de fonctionnement du tissu cérébral. En référence aux processus de numérisation de l’intelligence artificielle, les fonctions supérieures de l’esprit se réduiraient, selon l’expression d’Ernest Nagel, à une logique mentale sans ontologie [15]. Ces réductions substantialistes et logistiques de la vie mentale constituent cependant de sérieux écueils épistémologiques parce qu’ils relèvent davantage de postulats philosophiques que de véritables démonstrations scientifiques.

19Dans ce contexte réducteur fondé sur le primat des études factuelles et des formalisations numériques, nous pouvons cependant, à partir de la psychophysiologie, tracer ou creuser la piste de nouvelles réflexions critiques.

III. ESQUISSES ÉPISTÉMOLOGIQUES RECONSIDÉRANT LES RELATIONS TISSÉES ENTRE LE CERVEAU ET LA PENSÉE

De l’endoconsistance des contenus mentaux

20Au concept neurophilosophique de représentation s’insérant dans un contexte interprétatif algorithmique ou biologique peut s’opposer la conception clinique de contenus mentaux de la pensée qui répondent à des lois autoréférentes et dont les manifestations s’avèrent endoconsistantes.

21L’endoconsistance du psychisme et ses lois se vérifient en psychothérapie dans l’exploration de la syntaxe intérieure de la vie mentale, vérifications attestées dans les contenus symboliques puisés dans les archives archétypales de l’imaginaire ou les contenus latents des rêves : expressions de logiques affectives émanant d’une cohérence subjective interne, mais vérifications attestables aussi dans l’ordre expérimental du savoir objectif : le dynamisme de la pensée répondant dans l’ordre du conscient aux lois psychologiques de la motivation explicite [16].

22En référence aux conceptions philosophiques du libre-arbitre, nous avions montré que la conceptualisation d’un acte volontaire participe d’une psychogenèse, prise de décision autoréférente à la pensée, prise de décision qui ne relève pas dans sa phase initiale d’une autoréférence à la complexité du fonctionnement cérébral [17]. À cet égard, l’instance psychologique de la volonté n’est pas l’instance cérébrale de la volition dont la mise en œuvre anatomo-fonctionnelle peut être visualisée par les techniques informatisées de l’imagerie physiologique.

23Mais dès que l’activité réflexe ou qu’une activité comportementale doit céder son déterminisme circulaire au bénéfice d’une activité intentionnelle ouverte, la physiologie ne devient plus que le support mécanique d’une activité d’un autre ordre régie par les lois autoréférentes de la pensée.

24D’où le danger heuristique d’une réduction des contenus mentaux de la pensée à des déterminants purement physiologiques ou à des combinatoires purement formelles – illusion heuristique attestée en référence exemplaire au phénomène du transfert ou à la psychogenèse du lapsus, son exégèse symbolique et son herméneutique instaurative.

Vie mentale et intelligence artificielle

25En référence au tissu nerveux constituant par ses capacités d’intégration un générateur inépuisable de diversités adaptatives se posait le problème des parentés fonctionnelles entre le cerveau et l’ordinateur, entre la pensée et l’intelligence artificielle. D’où les synonymies souvent exprimées entre l’organisation intégrative du cerveau et le pouvoir de résolution des ordinateurs. D’où les fausses parentés attribuées à un cerveau générateur de la pensée comme à un ordinateur susceptible de véritable intelligence.

26Étranger à lui-même, étranger à sa propre réalité ontologique, l’ordinateur ne peut accéder à une « prise de conscience » existentielle. Privé d’histoire et dépourvu de vie affective, l’ordinateur malgré ses capacités potentiellement indéfinies de mémorisation ne peut accéder à la réalité psychologique du souvenir.

27Contrairement à la pensée se manifestant comme dévoilement de l’être, l’intelligence artificielle des machines dites pensantes résulte d’interactions prédéterminées et de combinatoires purement formelles. Or une interaction n’est pas une relation. Au sein de la réalité matérielle ou formelle du tissu neuronal ou des systèmes informatiques jouent seulement des interactions. On objective des interactions mais nous leur donnons un contenu relationnel, une signification qui n’existe pas en soi : on objective seulement un rapport s’établissant entre deux facteurs, entre deux termes mentalement inertes.

28Au sein du tissu cérébral, au sein des « réseaux neuronaux » de l’ordinateur, on ne peut cerner que la complexité opératoire des interactions.

29Ces complexités interactives ouvraient la voie à l’interrogation neuroscientifique sur le seuil quantitatif de neurones ou de microprocesseurs qui serait nécessaire et suffisant pour rendre possible l’émergence de la conscience ou de la pensée. Comme si le quantitatif pouvait donner sans rupture accès au qualitatif, l’explication physiologique à la compréhension psychologique. Tout se passant donc comme si une certaine masse critique d’organisation neuronale [18] ou si le degré de complexité d’un mécanisme d’intégration pouvait conférer un sens à un comportement ou donner une signification symbolique à un contenu mental.

De la connectabilité des concepts et de la dérivabilité des lois

30Dans le prolongement des philosophies de l’extériorité, la neurophilosophie tend à soutenir que les causalités matérielles régissant les mécanismes cérébraux seraient transposables dans le champ conceptuel des lois régissant la vie mentale et ses dissolutions pathologiques. Mais pour que le réductionnisme soit possible entre plan de causalité physiologique et niveau de causalité psychologique, deux critères épistémologiques devraient être remplis : la condition de connectabilité des concepts et la condition de dérivabilité des lois (NAGEL, 1961; P OIREL, 1994). Face à ce phénomène de la pensée ou de l’esprit, ces deux critères supposeraient l’hypothèse d’une continuité linéaire directe entre mécanismes d’intégration physiologique et processus d’élaboration psychologique. Continuité qui supposerait que les concepts et les lois élaborés ou déchiffrés à partir de la matière cérébrale puissent être à la base des concepts et des lois invoqués dans une possible explication de la pensée ou de l’esprit.

31Par ailleurs, les justifications de réduction identitaire invoquées par la neurophilosophie se basent sur les modèles de réversibilité empruntés aux états physiques ou aux transformations chimiques (CHURCHLAND, 1986). En soutenant un principe d’identité entre le cerveau et la pensée, la neurophilosophie ne peut par définition conceptuelle dépasser l’horizon de la matérialité, – cercle sans issue et sans entrée aurait pu dire Emmanuel Lévinas; matière cérébrale et structures pensantes ne témoignent pas d’un double aspect d’une seule réalité : états cérébraux ou mentaux qui seraient mutuellement assimilables en pouvant s’inverser au sein d’une même réalité physique, le tissu mental recouvrant sans rupture le tissu cérébral. Un acte de pensée instaure un commencement absolu au sein d’un océan de lois déterministes et de facteurs aléatoires, que ces déterminants soient d’ordre physique, chimique, physiologique ou psychologique.

32Sans la transcendance la pensée ne serait que psychisme. Sans une possible transcendance la vie mentale tend à s’aliéner dans l’illusion de la représentation et de la liberté par le jeu incessant de déterminismes inconscients biologiques et culturels. Réduite au psychisme, la trame sémantique de la pensée soumise à l’anonymat de langages fonctionnels ne conduirait plus à l’évidence de l’être ni à la pertinence philosophique de son affirmation [19]. Langages fonctionnels participant du legs socratique de la raison binaire, langages fonctionnels évoqués dans la dynamique de la connaissance en posant la problématique de la raison.

IV. SUR LES LIMITES OPÉRATOIRES DE LA RAISON BINAIRE

33Oubliant que le matin grec n’était pas le premier matin du monde, la pensée occidentale favoriserait dans le prolongement du conceptualisme aristotélicien le développement du raisonnement binaire comme seule voie d’accès à la vérité.

34Dans l’homme occidental de la période gothique commence à se profiler l’homme neuronal de la période moderne. À la verticalité de la pensée succède l’horizontalité de la raison opératoire, aliénante aurore de tous les positivismes qui vont s’emboîter tout au long du second millénaire [20].

35Les certitudes de la logique fondées en droit sur la dialectique et le syllogisme sont cependant ébranlées par les nouvelles découvertes de la recherche fondamentale tendant à montrer que « l’action réciproque entre l’agent et le patient » n’est pas immuable et que la raison classique s’avère tributaire d’une certaine axiomatique. Les principes kantiens de nécessité et d’universalité devenaient contestables mais, plus grave encore, les fondements conceptuels de la raison classique devenaient récusables. Cependant, en prenant appui sur l’espace homogène euclidien et le temps linéaire newtonien (devenus référents fondamentaux de nos structures mentales), la philosophie kantienne ne pouvait prévoir le bouleversement conceptuel imposé à l’Entendement puis à la Raison par les nouvelles mathématiques et les avancées déconcertantes de la physique théorique – bouleversement concernant l’appareil discursif de la connaissance par la mise en faillite du principe aristotélicien du tiers exclu. Confrontée à de nouvelles axiomatiques, la raison spéculative perdait l’assurance de son fondement binaire issu du raisonnement socratique.

36Mais apparent paradoxe, si la raison n’apparaît plus comme le fondement de la pensée, la raison se trouve revalorisée par le neurocognitivisme dans la mesure où le discernement neuronal s’effectue sur un mode binaire, processus d’intégration tissulaire qui légitimerait directement l’ordre de la pensée numérique régissant nos univers mentaux.

37La conception anatomo-physiologique des « architectures neurales de la raison » définie en neurophilosophie trouve une légitimation matérialiste dans l’adéquation de la pensée à la configuration du monde – raison inhérente à la nature, raison inhérente à l’organisation de la matière cérébrale invoquée dans le « projet neurocognitif » recouvrant l’activité mentale (CHANGEUX et DEHAENE, 1989)  [21]. D’où le caractère d’universalité de la raison au sein des structures de la pensée et son efficacité opératoire dans le champ intramondain de la connaissance – adéquations qui résolvent le mystère d’un possible dialogue entre l’empirique et le formel, correspondances résolues entre l’expérience et les mathématiques dont l’auteur de la relativité s’étonnait.

38Éliminant la question de la transcendance (CHURCHLAND, 1986), ce nouveau rationalisme neuronal se fonde aussi sur des enjeux philosophiques d’ordre métaphysique (la manifestation de phénomènes de causalité dans le monde ne se réfère pas nécessairement à une possible causalité du monde) ou d’ordre plus directement psychophysiologique (je sais que je suis conscient, ce qui ne tend pas à prouver que je sois un être conscient; référence à l’énonciation ontologique illusoire du cogito cartésien)  [22].

39Mais, paradoxalement, la raison neurophilosophique s’avère démentie par les avancées théoriques de la physique et des mathématiques dans la mesure où les architectures neurales de la raison réduisent le savoir à un ordre seulement macroscopique du monde.

40Alors que se généralise la pensée opératoire fondée sur la raison binaire, les recherches d’ordre épistémologique portant sur les théories de la connaissance montrent paradoxalement que l’endoconsistance d’un système logique ne peut jamais être atteinte [23], que tout système logique s’avère faillible et incomplet, que les constructions logiques les mieux établies sont ontologiquement insuffisantes. Mais aussi les recherches portant sur le temps physique et la temporalité impliquent la mise en évidence de paradoxes temporels insoutenables pour la planification logique dans la mesure où, dans l’ordre de l’infini, le passé d’un événement peut dépendre de son avenir [24].

41Le matérialisme neuronal semble ainsi oublier l’enseignement de la physique contemporaine tendant à confirmer que l’essence du réel demeure impénétrable, la notion d’objectivité forte postulée dans le monisme neuroscientifique contrastant paradoxalement avec la notion d’objectivité faible invoquée en physique comme dans le formalisme logique (que l’on pense aux notions d’incomplétude, d’indécidabilité et de vérités non démontrables) [25].

42Concernant la recherche de la vérité, la cohérence d’un raisonnement ne peut être confondue avec l’harmonie formelle exprimée par la raison binaire – raison qui se perd et se dilue dans la profondeur abyssale de la pensée. Nous savons en psychophysiologie comme en psychiatrie que la raison n’est pas le raisonnement : mouvement de la pensée qualifié par sa cohérence. A cet égard, la cohérence d’un raisonnement doit participer non seulement du principe de la bivalence des propositions mais encore du principe de leur polyvalence – logiques polyvalentes refusées en neurophilosophie mais attestées en psychologie clinique (psychanalyse, analyse existentielle, phénoménologie de la vie mentale)  [26], mais plus encore logiques incertaines qui tendent à montrer que la vérité ne se mesure pas à la seule consistance d’un système logique.

43Comment comprendre, face à ces révolutions de la pensée, des arguments qui ne dépassent pas l’horizon macroscopique de la connaissance. Ainsi André Cresson commentant saint Thomas : la volonté divine étant toute raison ne saurait « faire que le possible soit impossible et que l’impossible soit possible, par exemple que la sphère ait des rayons inégaux » (PUF, Paris, 1957, p. 29). Combien limitatif et dangereux pour l’idée de transcendance peut s’avérer le justificatif euclidien invoqué, assertion fondée sur le principe d’une causalité mécaniste. Combien relatif et illusoire au fil du temps deviendrait pour la métaphysique le cadre newtonien invoqué par la philosophie kantienne pour défendre les principes intangibles de nécessité et d’universalité.

44Eclairant ces considérations théoriques, la psychophysiologie nous confirmait que la mise en place de l’outillage rationnel de la pensée entraîne chez l’enfant une mise en sommeil de l’imaginaire conceptuel mais plus encore une certaine inaptitude à la réflexion métaphysique. Comme le soulignait Robert Blanché à propos de l’histoire des sciences (L’Epistémologie, PUF, Paris, 1983, p. 45) : « La géométrie métrique a précédé la géométrie projective et la topologie, alors que l’ordre psychogénétique est inverse ». Dans l’histoire des mathématiques, on passe de la raison à la pensée, de la maîtrise d’une syntaxe au travail créatif de l’imaginaire (saisie intuitive des géométries non euclidiennes ou découverte d’une réalité mathématique archaïque); dans la psychogenèse, on passe de la pensée à la raison, du stade de la pensée première au stade d’une pensée instrumentalisée par l’outil rationnel.

45Mais au sein du travail créatif de l’imaginaire, est-ce encore le seul pouvoir de la raison qui intervient ou plutôt le travail de la pensée ? Ce flou sémantique et conceptuel ne saurait être dissipé en faveur du primat métaphysique de la raison.

46En marge des normes kantiennes de la connaissance, en marge des réductions neurophilosophiques, la recherche psychophysiologique nous conduit à considérer la raison, principe d’intelligibilité, comme un outil opératoire au service de la pensée. Or cet outil qui sert l’intelligence ou la pensée peut souffrir d’une insuffisance de développement ou présenter des détériorations fonctionnelles.

47Les limites ontologiques assignées à la raison opératoire sont ainsi confirmées si l’on prend en compte la psychopathologie (P OIREL, 1994). Dans des états déficitaires, la notion clinique d’incohérence verbale et intellectuelle ne semble pas refléter le phénomène trop souvent admis d’un trouble du cours de la pensée mais traduit la dissolution de la raison: des processus d’essais intentionnels et inadéquats de la conscience et de la raison pour vaincre les inerties liées aux pesanteurs cérébrales, pour combler le vide opérationnel des carences instrumentales sont enrayés. D’où ces phénomènes mentaux lacunaires et dysharmoniques évoquant des instrumentalités brisées : oublis, fausses réponses, substitutions de désignation, conduites fragmentaires et désadaptées.

48Avec la perte ou la détérioration de l’outil rationnel, les délabrements cérébraux ne permettent plus l’actualisation de la pensée au sein de la vie mentale. La conscience est perturbée et la pensée est devenue trop rapide pour la vitesse des intégrations cérébrales dont l’ordonnancement physiologique se désagrège. Cette problématique d’ordre psychophysiologique concerne aussi la pensée informulée constatée dans les insuffisances de développement neuropsychique  [27].

49Si la psychiatrie clinique permet l’exploration des instances fondatrices de la pensée  [28], la psychologie religieuse pose aussi la question de la transcendance en termes de logos hérité de la cité grecque – discours privilégiant le goût du concept et de l’abstraction formelle mais aussi l’idée de limite : ratio et distinctio deviendront des critères de perfection morale dans l’ordre de la conduite et de pensée numérique dans l’ordre de l’intelligence. Ainsi, dans la tradition occidentale de la pensée religieuse, le recours inconscient à une conception binaire de la vérité normait généralement la perfection en ses épures descriptives comme en ses herméneutiques réductives. Cette perfection normalisatrice s’inscrit dans les psychologies de l’extériorité dont la neurophilosophie assure les nouveaux fondements conceptuels (il faudrait ici rappeler les bases neurocognitives de la fonction morale participant des assises neurales de la raison et posant le problème d’un possible recours algorithmique aux ordinateurs pour décider de jugements éthiques) [29]. Ce contexte réducteur présente l’intérêt paradoxal de montrer que l’idéal de perfection s’avère relatif à un certain achèvement formel qui ne porte pas ontologiquement sur la plénitude de l’être. Plus généralement, la notion psychologique de perfection relève d’une conception indo-européenne de l’ontologie. La perfection se résout dans un idéal de réalisation individuelle plus enracinée dans l’immanence que dans l’abandon à la transcendance qui fonde la vocation abrahamique des trois monothéismes [30]. Perfection formelle retrouvant dans la perspective des neurosciences cognitives la notion totalisante de raison binaire – mais raison ne concernant que des collections finies, raison instrumentale donnant prise sur un ordre purement syntaxique du monde contrastant avec le pouvoir intériorisé de la pensée procédant par involution sémantique.

V. LES IMPASSES MÉTAPHYSIQUES DE LA NEUROPHILOSOPHIE

50En célébrant un nouveau rationalisme opératoire fondé sur les architectures tissulaires de la raison, la neurophilosophie ne considère dans la vie mentale que des instrumentalités cérébrales adaptatives. En éliminant la réalité des contenus de conscience et le sémantisme de la pensée [31], les neurosciences permettraient de mieux cerner les bases matérialistes de la dynamique humaine dans ses aspects les plus créatifs : pouvoir découvrir l’architecture physiologique de la raison, déchiffrer les bases neurocognitives de la morale ou retrouver dans l’harmonisation des synchronies neuronales l’émergence mentale des valeurs esthétiques.

51Ainsi l’amour de la Vérité, les valeurs du Bien et du Beau se réduiraient à des objets mentaux émanant d’états physiologiques particuliers. Les tendances, les besoins, les motivations les plus hautes se réduiraient à des systèmes de régulation dont le niveau d’activité peut être biologiquement matérialisé ou peut être logiquement formalisé sur la base informatique de matrices digitales. Face au paradigme neuronal de la vie mentale, nous retrouvons la double rhétorique concernée par le substantialisme de la pensée et la dimension logistique de l’esprit.

52Mais comment passer de la matérialité du tissu nerveux à la réalité sub-jective des états mentaux ? Comment déterminer à partir de la physiologie cérébrale l’émergence de la pensée et la manifestation de l’esprit ? Comment passer du caractère strictement matériel de l’activité neuronale au caractère fondamentalement immatériel de l’expérience mentale [32] ? Questions sans réponse qu’évitent de poser les neurosciences théoriques. Questions d’autant plus difficiles à résoudre en psychophysiologie humaine que s’interpose entre le cerveau et la dynamique des comportements le registre de valeurs qui constitue la personnalité.

53Considérant l’inépuisable problématique d’un possible champ atopique concernant les relations tissées entre le cerveau et la pensée, John Searle évoquait, malgré son engagement résolument matérialiste au sein d’un monisme substantialiste [33], les parentés fonctionnelles improbables entre vie mentale et intelligence artificielle : 1) les programmes effectuent des opérations syntaxiques, 2) la vie mentale met en jeu des contenus sémantiques, 3) les opérations syntaxiques sont différentes des contenus sémantiques. Donc l’intelligence artificielle ne saurait correspondre à la vie mentale.

54Les problèmes dialectiques de formes et de contenus concernés par le structuralisme philosophique se retrouvent dans les analyses logistiques des neurosciences cognitives qui réduisent les contenus sémantiques à la logique de leur formulation; ces problèmes d’organisation de la vie mentale invitent aussi à différencier les niveaux d’intégration hiérarchisés du psychisme.

55À cet égard, nos recherches psychophysiologiques relatives au sémantisme de la pensée permettaient de proposer un essai de classification des instances fonctionnelles de la vie mentale (P OIREL, 1997,2000)  [34] en considération du flou terminologique ou conceptuel habitant certains dictionnaires de philosophie [si « L’esprit est la réalité pensante » (LA LA N D E, 1951/1993), comment définir alors la pensée ? Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? – pour reprendre une expression kantienne. Un mouvement qui envelopperait « tous les phénomènes de l’esprit » (selon André Lalande); en marge de concepts se définissant l’un par l’autre, la pensée concernerait « l’ensemble des fonctions psychiques plus ou moins élaborées ayant pour objet la connaissance » (ROBERT, 1968) ou plus lapidairement les activités de l’esprit (LAROUSSE, 1990)]. Les interprétations intellectualistes et les incertitudes philosophiques relatives aux définitions concernant les instances de la vie mentale nous conduisaient à privilégier la notion d’intériorité dans l’approche de la pensée et de ses dissolutions pathologiques, – notion d’intériorité mise en perspective au sein des formes évolutives du psychisme [35].

56Si, dans le prolongement de la vigilance organique (le Soi et le non Soi en immunologie), la conscience apparaît au terme de l’élan biologique de l’adaptation, les instances de l’esprit physiologiquement plus indiscernables répondraient au principe supérieur de la pensée. Si la pensée est animée par l’esprit (classiquement considéré comme principe immatériel), en revanche l’esprit ne saurait être animé par la pensée. Si l’esprit se réfère à un principe atopique et immatériel, la pensée exprime une structure et s’inscrit dans une histoire. Cette réalité mentale se prête à l’esquisse d’une appréciation clinique et d’une possible interprétation critique dans l’ordre du savoir psycho-logique ou pathologique. À ce titre, la pensée participe d’un enracinement vital de l’esprit dont la mise en œuvre cérébrale et psychologique pose le problème d’une possible sélection naturelle des infrastructures biologiques et culturelles de la réalité pensante. Mais au sein de la double architecture sémantique et syntaxique de la réalité pensante se pose aussi le problème de l’improbable émergence tissulaire de l’esprit.

57En écho aux arguments philosophiques développés par John Searle sur l’impossible réduction des contenus sémantiques à des opérations syntaxiques, nous proposions contre le monisme substantialiste ou logistique des neurosciences théoriques un raisonnement justificatif en trois étapes relatif aux disparités fonctionnelles concernant le cerveau et l’esprit : 1) le cerveau fonctionne en termes physiologiques de processus d’interactions et de représentations, 2) l’esprit met en œuvre la réalité transcendante du sens, 3) la réalité fonctionnelle des processus d’interactions et de représentations s’avère différente de la réalité transcendante du sens. Donc l’esprit ne serait pas réductible à la totalité de l’activité cérébrale [36].

58Cette progression justificative confirmerait que sans la transcendance la pensée ne serait que psychisme mais aussi que sans l’émergence du sens l’activité mentale ne serait que processus physiologique ou pensée numérique.

59Au terme de ces considérations critiques se profilent encore dans l’approche de la dynamique corps-esprit les limites attribuables au dualisme.

60Souvent décentrée de son véritable objet la thèse du dualisme se prête à de nombreuses confusions conceptuelles retrouvées dans la philosophie classique comme dans la neurophilosophie [37]. À ce titre, la question du dualisme ne concerne pas — dans les sciences de la vie mentale — le problème de la transcendance mais le problème de l’immanence psychophysiologique impliquant deux ordres naturels : 1) l’ordre physiologique soumis à ses déterminismes mais aussi à ses degrés de liberté et 2) l’ordre psychologique émergeant dont les contenus mentaux sont endoconsistants et soumis à des lois autoréférentes. La question du dualisme doit se poser dans ce cadre naturel et non sur un plan métaphysique dépassant par définition l’horizon du monde et la seule référence à l’empirisme factuel.

61En reconnaissant l’aspect fondamentalement réducteur de la neurophilosophie, une attitude métaphysique véritable ne peut cependant faire l’économie de la thèse matérialiste du double aspect. La prise en considération de ce nouveau matérialisme neuronal invite aussi à ne pas s’enliser dans le piège substantialiste de philosophies spiritualistes recherchant dans la matérialité cérébrale un illusoire point d’ancrage de l’esprit.

62En estimant pouvoir discerner une possible jonction anatomo~physiologique de l’esprit en un point localisable du tissu cérébral, en estimant pouvoir réduire au sein de la problématique corps-esprit l’écart organo-clinique, on réduit la métaphysique à la physique : piège épistémologique n’épargnant ni René Descartes sur le plan macroscopique de la localisation (référence mythologique à la glande pinéale)  [38], ni John Eccles sur le plan microscopique du fonctionnement (référence aux processus de résolution synaptique) [39] ou Roger Penrose recherchant dans l’architecture microtubulaire des neurones une possible émergence quantique de l’esprit [40].

63À cet égard, en référence à la classification psychophysiologique des instances constitutives de la vie mentale, la question du dualisme ne devrait être abordée qu’au sein de la problématique définissant la réalité pensante – question du dualisme concernant la frange corporelle ontologiquement indécise impliquant le passage de la pensée à l’esprit.

64Ainsi contrairement à ce que pensent la majorité des neurophilosophes, la défense d’une psychologie matérialiste forte n’est pas incompatible avec la défense d’une philosophie de la transcendance.

CONCLUSIONS

65Tout en considérant l’importance heuristique des investigations conduites sur les instances neurocognitives et sur la matérialité tissulaire des intégrations psychophysiologiques, nos recherches tendent à montrer que les relations fonctionnelles tissées entre le cerveau et la pensée ne sauraient se déchiffrer sur la base théorique des seules herméneutiques réductives. Si le tissu nerveux implique dans ses vecteurs de causalité la manifestation potentielle de comportements adaptatifs progressivement plus complexes, le tissu cérébral n’implique pas directement dans ses virtualités fonctionnelles la manifestation de l’esprit. À cet égard, les études présentées soulignent au niveau de la réflexion épistémologique comme sur le plan de l’analyse factuelle que l’émergence de la pensée n’enracine pas sa nécessité dans la complexité des connexions neuronales. Arguments et propos qui tendent à réviser les nouveaux paradigmes neurophilosophiques de la vie mentale intéressant le substantialisme de la conscience et la dimension logistique de l’esprit.

66S’inscrivant dans un dialogue d’ouverture avec les sciences humaines contre l’abandon des fondements pluriels de la pensée, les réflexions présentées témoignent d’un nécessaire recentrage épistémologique des critères interprétatifs concernant les sciences de la vie mentale. Dominées par la recherche du sens et l’inévitable question de l’être, les actions humaines ne tendent jamais dans l’histoire proche ou lointaine vers cet ordre formel de référence proclamé par les nouveaux logiciens de l’âme. À cet égard, les données neurobiologiques contemporaines passées au crible de l’outillage conceptuel de la psychophysiologie critique tendent à montrer que les instances supérieures de la pensée ne sont pas traversées par un ordre fondateur purement neuronal et qu’il n’est pas de la compétence des neurosciences théoriques de poser le postulat de la mort de l’esprit.


Mots-clés éditeurs : Neurosciences théoriques, Problème corps-esprit, Psychopathologie générale, Philosophie des sciences

Mise en ligne 01/07/2008

https://doi.org/10.3917/aphi.681.0077

Notes

  • [1]
    J-P CHANGEUX, L’Homme neuronal, Fayard, Paris, 1983. La thèse matérialiste d’une possible genèse psychophysiologique de l’idée de transcendance se légitimerait sur une base neuroscientifique impliquant le substratum anatomo-fonctionnel du lobe pariétal des hémisphères cérébraux [A. NEWBERG, E. D’AQUILI et V. RAUSE. Why God Won’t Go Away. Brain Science and the Biology of Belief, Ballantine, New York, 2001].
  • [2]
    P. CHURCHLAND, Neurophilosophy. Toward a unified science of the mind-brain, MIT Press, Cambridge, 1986.
  • [3]
    F. CRICK, The Astonishing Hypothesis, Scribners, New York, 1994. Francis Crick, découvreur de la structure de l’ADN avec James Watson et Maurice Wilkins, pousse l’empirisme logique à ses limites extrêmes en limitant l’horizon de la vérité aux seules analyses factuelles.
  • [4]
    R.W. P ICARD, Affective Computing, MIT Press, Cambridge, 1997.
  • [5]
    R. KURZWEIL, The Age of Spiritual Machines. When computers exceed human intelligence, Viking, New York, 1999.
  • [6]
    G. DELEUZE et F. GUATTARI, Qu’est-ce que la Philosophie ? Éditions de Minuit, Paris, 1991.
  • [7]
    M.I. P OSNER et M.E. RAICHLE, Images of Mind, Scientific American Library, New York, 1994.
  • [8]
    E. LARSON et L. W ITHAM, « Leading scientists still reject God », Nature, 1998,394, p. 313.
  • [9]
    Propos recueillis par Nicolas Chevassus-au-Louis, La Recherche, 2000,374,109-111. Référence justificative : G.M. E DELMAN et G. TONONI, Consciousness : How Matter Becomes Imagination, Basic Books, New York, 1999. Rappelons que les notions évolutives de darwinisme neuronal et de darwinisme mental relèvent des travaux neurophysiologiques de Gerald Edelman.
  • [10]
    Peu avant sa disparition en 1997, Sir John Eccles, Prix Nobel de physiologie et de médecine, par ailleurs conseiller au Vatican, était fortement critiqué au sein de l’IBRO (International Brain Research Organization) pour son dualisme attardé. Témoin autorisé de cet événement, je ne peux que déplorer un dogmatisme peu compatible avec le principe de réfutabilité soutenu par Karl Popper, bien que ce principe ne concerne certes que les constructions théoriques émanant des seuls objets scientifiques. Même si l’on doit se prémunir en métaphysique des illusions possibles d’une subjectivité constituante, aucun obstacle logique n’interdit l’hypothèse de la transcendance.
  • [11]
    Référence à l’émergence de l’homme dans le parcours évolutif suivi par les formes vivantes.
  • [12]
    A. KAHN, Et l’Homme dans tout ça ? Plaidoyer pour un humanisme moderne, Nil, Paris, 2000, p. 366.
  • [13]
    Propos relevés par Jean-François SIX [Lumière de la Nuit, Seuil, Paris, 1995].
  • [14]
    Ces esquisses étaient développées dans notre ouvrage concernant le problème corpsesprit [C. P OIREL, Le Cerveau et la Pensée. Critique des fondements de la neurophilosophie, L’Harmattan, Paris, 1997].
  • [15]
    E. NAGEL, The Structure of Science. Problems in the Logic of Scientific Explanation, Harcourt, New York, 1961. Dans la conception neurale de l’abstraction, les neurosciences contemporaines invoquent la capacité neurocognitive de synthétisation des informations chaotiques et redondantes émanant du monde (réduction de la complexité à un niveau de représentation acceptable pour la pensée, processus d’intégration impliquant des opérations de catégorisation).
  • [16]
    C. P OIREL, Psychophysiologie générale et psychopathologie. Dimensions normatives et perspectives sémantiques dans les sciences du comportement, Masson, Paris, 1983.
  • [17]
    Réalités mentales ne contredisant pas le fait que l’activation de certaines populations neuronales puisse être visualisée au cours de ces phénomènes d’élaboration purement psycho-logiques.
  • [18]
    Les recherches entreprises en psychophysiologie comparée répondaient à ce type de questionnement concernant classiquement l’importance psychologique dévolue au cortex préfrontal, l’absence de corrélations qui soient objectivement déterminantes entre la complexité des structures cérébrales et la manifestation des fonctions mentales supérieures.
  • [19]
    L’Homme ne serait rien de plus qu’un objet de nature ou un visage de sable qui doit s’effacer dans l’histoire [M. FOUCAULT, Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Gallimard, Paris, 1966]. Ainsi, dans le prolongement de conceptions structuralistes, peut-on retrouver certains aspects du substantialisme de la pensée ou de la logistique évanescente de l’esprit; thèses d’un consentement lucide à la finitude retrouvées dans les courants dominants de la philosophie contemporaine, mais thèses contrastant avec le primat donné aux herméneutiques instauratives : « Le cogito est à l’intérieur de l’être et non l’inverse » selon la formule éclairante de Paul Ricœur [G. DURAND, L’Imagination symbolique, PUF, Paris, 1968].
  • [20]
    Le primat donné aux épures syntaxiques issues de l’héritage gréco-latin conduira dans l’époque contemporaine à la virtualisation du réel comme à la dévitalisation de l’imaginaire – logique binaire mondialisant les mentalités dans l’uniformisation d’une pensée numérique.
  • [21]
    J.-P. CHANGEUX et S. DEHAENE, « Neuronal models of cognitive functions », Cognition, 1989,33,63-109.
  • [22]
    Cf. opus cité, note 19 [Considérant l’analytique de la finitude que retrouve aussi le structuralisme neurophilosophique (CHURCHLAND, 1986)].
  • [23]
    Un système logique apparemment clos par le nombre limité de ses axiomes de départ peut cependant s’ouvrir à l’infini [sur les attendus psychologiques du théorème de Kurt Gödel : P OIREL, 2000].
  • [24]
    Nos études cliniques sur la pathologie du temps tendaient à avaliser ce paradoxe [C. P OIREL, Les Rythmes circadiens en psychopathologie. Perspectives neurobiologiques sur les structures de la temporalité, Masson, Paris, 1975].
  • [25]
    Cf. note 23.
  • [26]
    Approches cliniques explorant les cohérences affectives comme des sources de connaissance.
  • [27]
    Nous savons que la dignité de l’être humain se qualifie par sa réalité ontologique et non par l’émergence de la raison ou sa dégradation. Louis Beirnaert en son temps s’était élevé contre certaines propositions théologiques déclarant que les handicapés mentaux ou les êtres en défaut de raison ne pouvaient atteindre l’Absolu [cf. aussi L. BEIRNAERT, « Psychanalyse et symbolisme religieux », in Psychanalyse et conscience morale, Lethielleux, Paris, 1950,59-70].
  • [28]
    C. POIREL, « Pensée ». in Y. PÉLICIER et Ph. Brenot (éds.) Dictionnaire des Concepts : Les Objets de la Psychiatrie, Le Bouscat, L’Esprit du Temps, Diffusion PUF, Paris, 1997,396-398.
  • [29]
    D.C. DENNETT, The Intentional Stance, MIT Press, Cambridge, MA, 1987.
  • [30]
    Sur ce sens sémitique de l’Absolu, de la visitation de l’Étranger [L. MASSIGNON in J. DURANDEAUX (éd.), Du Corps à l’Esprit, Desclée de Brouwer, Paris, 1989,121-136], la transcendance se révélant dans l’interruption du logos [E. LÉVINAS, Noms propres, Fata Morgana, Paris, 1976].
  • [31]
    Doctrine de l’éliminativisme neurophilosophique récusant toute réalité mentale dépassant le cadre objectif des analyses factuelles et des formalisations algorithmiques. En relation avec les lois naturelles régissant l’organisation des pouvoirs au sein d’un groupe social, la transcendance se réduirait à un processus de sublimation des relations de dominance et de hiérarchie observé en éthologie comparée.
  • [32]
    C. P OIREL, « De la fracture des lois en psychophysiologie. Le cerveau et la pensée dans l’espace de l’organodynamisme et l’analytique des neurosciences », L’Évolution psychiatrique, 1994,59,53-75.
  • [33]
    J. SEARLE, « Minds, brains, and programs », Behavioral and Brain Science, 1980,3,417-457.
  • [34]
    C. P OIREL, « Approche critique des concepts neurophilosophiques concernant la pensée et ses dissolutions pathologiques », Annales Médico-Psychologiques, 2000,158,525-538. Problèmes de précision terminologique évoqués aussi par Jean Delacour pour les études relatives aux sciences de la vie mentale (Le Cerveau et l’Esprit, PUF, Paris, 1985).
  • [35]
    S’il est du destin biologique de la matière vivante de manifester des comportements adaptatifs progressivement plus complexes, il n’est aucunement dans l’avenir téléonomique de la texture cérébrale de produire de la pensée, constat trop souvent sous-estimé en neurophysiologie fondamentale.
  • [36]
    C. P OIREL, « Neurosciences théoriques et réalités cliniques. De la physiologie cérébrale à la psychologie du sens », L’Information psychiatrique, 2001,77,936-944.
  • [37]
    « Trente ans après la découverte de Broca..., Ribot n’a pas caché son hostilité aux philosophes qui élaborent une psychologie métaphysique. » [J-N. MISSA, L’Esprit-Cerveau. La philosophie de l’esprit à la lumière des neurosciences, Vrin, Paris, 1993]. Rappelons que Paul Broca établissait en 1861 la première corrélation anatomo-clinique de la pensée en découvrant le centre cérébral du langage articulé. En impliquant l’émergence de la pensée sur une base neurocognitive, le langage apparaîtrait comme le reflet de la grammaire cosmique, mais ce souci d’objectivation formelle parcourant l’histoire des localisations cérébrales ne peut embrasser le problème de la manifestation première d’une pensée sans langage dont les recherches psycho-physiologiques attestent la réalité.
  • [38]
    Relevant de la tradition classique, la notion paradoxale de substance immatérielle permettait de dépasser l’apparente antinomie entre la divisibilité corporelle et l’indivisibilité de l’esprit. Ces thèmes fondamentalement polémiques (G. RY L E, The Concept of Mind, Hutchinson, London, 1949) seront repris dans le substantialisme des états mentaux et dans un fonctionnalisme invoquant la notion d’implémentation cérébrale. Ces débats théoriques seront poursuivis en psychiatrie avec l’approche unificatrice d’un « corps psychique » traversé par l’ordre de l’esprit (H. E Y, Naissance de la médecine, Masson, Paris, 1980).
  • [39]
    J. E CCLES, Evolution of the Brain : Creation of the Self, Routledge, London, 1989.
  • [40]
    R. P ENROSE, Shadows of the Mind. A Search in the Missing Science of Consciousness, Oxford University Press, New York, 1994.
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