Notes
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[1]
Dorénavant abrégé R éfutation.
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[2]
Sur le goût de Fénelon pour Poussin, v. notamment l’article de F. Trémolières, « Fénelon et les beaux-arts », XVIIe Siècle, Paris, PUF, 2000, no 206.
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[3]
Sur l’analogie entre l’œuvre d’art et la création divine, v. la présentation que donne J. Le Brun dans son édition des Œuvres de Fénelon, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. II, 1997.
-
[4]
Œuvres, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, p. 110.
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[5]
Éclaircissements sur la Recherche de la vérité, Xe, Œuvres, I, éd. G. Rodis-Lewis avec la collaboration de G. Malbreil, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1979, p. 905.
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[6]
« Si vous croyez qu’il était plus parfait de créer le monde, Dieu était donc invinciblement déterminé par l’ordre à le créer, et il n’avait aucune liberté pour ne le créer pas », R éfutation du système du Père Malebranche sur la nature et la grâce, VI, Œuvres, II, éd. J. Le Brun, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1997, p. 352 [cité dorénavant RSPM].
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[7]
RSPM, V, p. 348.
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[8]
«...au lieu de chanter à Dieu un cantique sur le rivage, ils [les Israélites] auraient eu raison de dire : Dieu n’a fait que ce qu’il n’a pu s’empêcher de faire. Il ne l’a point fait pour l’amour de nous. » Ibid., XVIII, p. 414.
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[9]
« Que l’auteur n’espère donc plus de nous éblouir, en disant que Dieu a choisi le plus parfait dessein parmi tous ceux qui étaient possibles. Qu’il dise au contraire de bonne foi que Dieu n’avait qu’une seule chose à faire, qu’il l’a faite, et qu’il s’est épuisé », Ibid., III, p. 342.
-
[10]
« Dieu est libre de n’agir pas, et de ne vouloir point cette gloire », Ibid., X, p. 371 ; «... il [Dieu] n’a aucun besoin de cette complaisance pour être heureux », Ibid., p. 373.
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[11]
RSPM, VIII, p. 367.
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[12]
Lettre à l’Académie, IV, « [Projet de rhétorique] », Œuvres, II, op. cit., p. 1154.
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[13]
Ibidem, V, « Projet de poétique », p. 1158.
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[14]
Dialogues sur l’éloquence en général et sur celle de la chaire en particulier, II, Œuvres, II, op. cit., p. 37. Publiés par Ramsay en 1718, on s’accorde à considérer que ces Dialogues... furent composés entre 1677 et 1681. Sur cette question, v. la notice de J. Le Brun, op. cit.
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[15]
Lettre à l’Académie, V, p. 1159.
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[16]
« Je demande, écrit Fénelon, un poète aimable, proportionné au commun des hommes, qui fasse tout pour eux, et rien pour lui. » Lettre à l’Académie, V, p. 1160-1161. On pourrait comparer cette conception de la mission du poète avec celle que défend Fénelon d’un Dieu paternel et sensible : « Je vois qu’un père faible et pécheur, outre les règles générales qu’il établit pour le gouvernement de toute sa famille, a encore les yeux particulièrement ouverts sur chacun de ses enfants, qu’il entre dans tout le détail de ses besoins, de ses dangers et de ses peines. M’arrachera-t-on la consolation de croire notre Père qui est dans le ciel aussi bon, et aussi compatissant que ce père terrestre ? » RSPM, XVIII, p . 410
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[17]
S’il n’y avait aucune loi naturelle, l’événement par lequel la mer Rouge s’est ouverte n’eut pas été un miracle : « On ne dit point que c’est la providence qui tient la terre suspendue, qui règle le cours du soleil, et qui fait la variété des saisons ; on regarde ces choses comme les effets constants et nécessaires des lois générales que Dieu a mises d’abord dans la nature : mais ce qu’on appelle providence, selon le langage des Écritures, c’est un gouvernement continuel qui dirige à une fin les choses qui semblent fortuites », Ibidem, XIII, p. 408.
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[18]
Ibid..
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[19]
Ibid., IX, p. 369.
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[20]
«... [la] supériorité infinie de Dieu [...] lui rend toutes les choses possibles également indifférentes », Ibid., VIII, p. 364.
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[21]
Nous reviendrons encore sur cette question dans l’examen de la notion de simplicité.
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[22]
Traité de la nature et de la grâce, I, op. cit., 1ère partie, XIII, p. 185 [cité dorénavant TNG].
-
[23]
RSPM, XVI, p. 399.
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[24]
Onpourrait, à cette occasion, comparer les motifs qui conduisent Malebranche à établir une méthode critique de lecture de l’Écriture qui oblitère, en les interprétant systématiquement, les « anthropomorphismes » de celle-ci, et la description d’un Dieu au travail qui hérite de toutes les faiblesses humaines.
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[25]
Ibidem, VIII, p. 367.
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[26]
TNG, I, 1ère partie, XIX, p. 187-188.
-
[27]
RSPM, VIII, p. 365.
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[28]
Dialogues sur l’éloquence..., II, p. 36.
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[29]
Dialogues sur l’éloquence..., II, p. 36.
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[30]
« Autant qu’on doit mépriser les mauvais poètes, autant doit-on admirer et chérir un grand poète, qui ne fait point de la poésie un jeu d’esprit, pour s’attirer une vaine gloire, mais qui s’emploie à transporter les hommes en faveur de la sagesse, de la vertu, et de la religion. » Lettre à l’Académie, V, p. 1155.
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[31]
Contrairement au choix de Dieu qui est toujours bon.
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[32]
Nousempruntons cette expression au titre du recueil d’études de H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, trad. franç. 1978.
-
[33]
Fénelon emprunte cette progression au De doctrina christiana de saint Augustin en un passage qui évoque un discours particulièrement abouti que celui-ci avait fait à Césarée de Mauritanie afin de persuader ce peuple de renoncer à une pratique barbare.
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[34]
« La grandeur et l’humilité. La Bible dans l’esthétique littéraire en France » in Le Grand Siècle et la Bible, sous la direction de J.-R. ARMOGATHE, Paris, Beauchesne, 1989, p. 452.
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[35]
Traité du sublime, trad. Boileau, introd. et notes de F. Goyet, Paris, LGE, 1995, I, 4, p. 74.
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[36]
De Doctrina christiana, IV, 4e section, § 53, in Œuvres de saint Augustin, XI. Le Magistère chrétien, trad., introduction et notes G. Combès et J. Farges, Paris, Desclée de Brouwer, 1949, p. 523.
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[37]
Voir les analyses consacrées à Poussin dans les Dialogues des morts..., LII et LIII, Œuvres, I, op. cit., p. 426 sq.
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[38]
Lettre à l’Académie, IV, p. 1152.
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[39]
« Le genre fleuri n’atteint jamais au sublime. Qu’est-ce que les Anciens auraient dit d’une tragédie, où Hécube aurait déploré ses malheurs par des pointes ? La vraie douleur ne parle point ainsi. Que pourrait-on croire d’un prédicateur, qui viendrait montrer aux pécheurs le jugement de Dieu pendant sur leur tête, et l’Enfer ouvert sous leurs pieds, avec les jeux de mots les plus affectés ? » Ibidem, p. 1148.
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[40]
« Cicéron rapporte que les ennemis mêmes de Gracchus ne purent s’empêcher de pleurer lorsqu’il prononça ces paroles : Misérable, où irai-je ? Quel asile me reste-t-il ? Le Capitole ? Il est inondé du sang de mon frère. Ma maison ? J ’y verrais une malheureuse mère fondre en larmes et mourir de douleur. Voilà des mouvements. Si on disait cela avec tranquillité, il perdrait sa force. » Dialogues sur l’éloquence..., II, p. 38.
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[41]
Le Sublime en France (1660-1714), Paris, Nizet, 1971 (v. le chap. XI « Fénelon : l’apogée du sublime »).
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[42]
DIDEROT, De la poésie dramatique, in Œuvres esthétiques, Paris, Classiques Garnier, 1994, p. 261.
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[43]
«...si quelque chose vous [Virgile] empêche d’égaler Homère, c’est d’être plus poli, plus châtié, plus fini, mais moins simple, moins fort, moins sublime, car d’un seul trait il met la nature toute nue devant les yeux. » Dialogues des morts..., LI, « Horace et Virgile », p. 425. Cf. Dialogues sur l’éloquence... qui, certes, défendent un sublime fougueux mais qui n’en font pas moins l’éloge de la simplicité majestueuse de l’Écriture. La véhémence, aussi paradoxal que cela paraisse, n’exclut pas la douceur.
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[44]
« Virgile anime et passionne tout. Dans ses vers tout pense, tout a du sentiment, tout vous en donne. Les arbres mêmes vous touchent », Lettre à l’Académie, V, p. 1166.
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[45]
« Je cherche une lumière douce [...]. Je veux un sublime [...] familier, [...] doux, et [...] simple », Ibidem, p. 1161.
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[46]
L’Innocence et la Méchanceté. Traité des vertus, III, « La simplicité », Flammarion, Champs, 1986, p. 410.
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[47]
« Qui est-ce qui a su mélanger et tempérer ces couleurs, pour faire une si belle carnation, que les peintres admirent, et n’imitent jamais qu’imparfaitement ? », Démonstration de l’existence de Dieu, 1ère partie, II, § 32, p. 539.
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[48]
Voir Œuvres, II, Pléiade, introduction, p. IX sq., ainsi que la notice de la Lettre à l’Académie, p. 1725 sq.
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[49]
Éclaircissements sur la Recherche de la vérité, VIII, in Œuvres, I, op. cit., p. 863.
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[50]
TNG, 1ère partie, XXII, p. 189.
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[51]
Voir sur ce point l’analyse que donne (à la suite de celle de G. Dreyfus dans son édition du Traité de la nature et de la grâce, Paris, Vrin, 1958) P. Riley, The General Will before Rousseau. The Tranformation of theDivine into the Civic, Princeton, University Press, 1986 (et particulièrement le chapitre II : « The General Will under Attack : The Criticisms of Bossuet, Fénelon, and Bayle »).
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[52]
Méditations chrétiennes et métaphysiques, VII, art. V, in Œuvres, II, éd. G. Rodis-Lewis, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1992, p. 254 (désormais cité MCM).
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[53]
RSPM..., XVI, p. 401-402.
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[54]
« C’est [...] uniquement en conséquence des lois naturelles [simples et générales] qu’arrive le mal. Il [Dieu] fait [...] le mal [...] parce qu’il veut que sa manière d’agir soit simple », MCM, VII, art. XIX, p. 260.
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[55]
« Malebranche, le désordre et le mal physique : et noluit consolari », in La Légèreté de l’être. Études sur Malebranche, sous la direction de B. Pinchard, Paris, Vrin, 1998.
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[56]
«... la description [du monde] par Malebranche, bien loin de l’admiration qu’on trouve souvent chez les auteurs chrétiens, ressemble parfois à celle d’une vallée de larmes et d’un monde hostile et injuste. Et si d’aventure le lecteur malebranchiste n’avait pas bien saisi qui est ici visé, il le comprendra vite en rencontrant un certain nombre de textes qui dénoncent avec virulence la facilité esthétisante tout d’abord, et la fausseté ensuite, des comparaisons du monde avec un poème ou un tableau. », D. MOREAU, op. cit., p. 154-155.
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[57]
« Qu’on ne s’imagine pas que je veuille me prévaloir de ce que l’auteur a reconnu des volontés particulières en Dieu, il ne l’a fait qu’à cause qu’il a bien vu qu’il y avait trop d’inconvénients à le désavouer. C’est pourquoi il dit qu’on lui impose, qu’on le calomnie, et qu’on se forme des fantômes pour les combattre quand on l’accuse de n’en admettre point. Il soutient qu’il a dit seulement qu’elles sont rares. », RSPM, XII, p. 376.
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[58]
Lettre à l’Académie, IV, p. 1151.
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[59]
« Ces règles qu’il peut multiplier à son gré dans l’ouvrage ne multiplient rien au-dedans de lui. Son action et sa volonté sont toujours également simples. » RSPM, IV, p. 345. «... la simplicité de la volonté de l’action de Dieu est indépendante de la simplicité et de la composition de son ouvrage », Ibidem, XVI, p. 397.
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[60]
Lettre à l’Académie, IV, p. 1149.
-
[61]
Chap. XVI, p. 400.
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[62]
« Dieu pouvait, sans doute, faire un monde plus parfait que celui que nous habitons. Il pouvait, par exemple, faire en sorte que la pluie, qui sert à rendre la terre féconde, tombât plus régulièrement sur les terres labourées que dans la mer où elle n’est pas nécessaire. » TNG, I, 1ère partie, art. XIV, p. 186 (orthographe modernisée).
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[63]
Chez Fénelon, la perfection de l’ouvrage divin s’observe jusque dans la distribution équilibrée de l’eau : « Quelle main a pu suspendre sur nos têtes ces grands réservoirs d’eaux ! Quelle main prend soin de ne les laisser jamais tomber que par des pluies modérées ? », Démonstration de l’existence de Dieu, 1ère partie « L’art de la nature », II, p. 519.
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[64]
« La belle chose, s’exclame Ariste, qu’un pays désolé par la tempête ! »
-
[65]
« Fort belle, répond Théotime. Un pays habité par des pécheurs doit être dans la désolation. » Entretiens sur la métaphysique et la religion, in Œuvres, II, op. cit., p. 838. Citons également les dernières lignes de l’article de D. Moreau qui a inspiré notre réflexion : «... Malebranche a refusé la métaphysique de la justification et de la consolation, celle qui dit que tout, même l’insoutenable, fait sens ; il a préféré adopter cette attitude, plus difficile sans doute mais peut-être plus noble aussi, dont la Bible nous apprend qu’elle fut celle de Rachel à la mort de ses fils : penser sans rechercher de consolations. » op. cit., p. 172.
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[66]
RSPM, XIX, p. 415.
1Chacun sait que la rédaction de la R éfutation du système du Père Malebranche sur la nature et la grâce [1], entreprise par Fénelon à l’instigation de Bossuet, eut pour fin principale d’opposer un démenti à toutes les thèses d’une philosophie nouvelle considérée comme hérétique parce que contraire, dans ses grandes lignes, à la tradition catholique en général et à saint Augustin en particulier, dont l’autorité servait alors de point de repère.
2Cependant, sans vouloir renier la pertinence des enjeux théologique (corriger le système de Malebranche à l’aune du canon de l’Église) et psychologique (rejeter l’hypothèse d’un mal qui entacherait la bonté de Dieu et laisserait l’homme inconsolable) qui animent la R éfutation, nous croyons voir poindre dans ce texte les éléments d’une critique esthétique du système de Malebranche. Celui qui emploiera son talent à la composition d’œuvres littéraires (romans et fables), d’essais sur l’éloquence, la poésie, le style, de dialogues imaginaires où sont confrontés Parrhasius et Poussin [2], Horace et Virgile – pour ne citer que ceux-ci – et qui donnera, dans la première partie de la Démonstration de l’existence de Dieu (publiée à titre posthume mais dont les thèses étaient déjà en germe au moment de la rédaction de la R éfutation, c’est-à-dire autour des années 1687), une description des merveilles de la nature qui témoigne davantage d’une sensibilité esthétique que d’une admiration scientifique, ne pouvait sans doute pas, comme nous tâcherons de le montrer, se départir complètement d’une réflexion sur l’art et la création artistique quand il fut question de redresser l’interprétation de Malebranche [3].
3Nous nous proposerons donc d’étudier deux aspects qui nous semblent pouvoir former la matrice d’une critique esthétique du système de Malebranche. Nous examinerons, premièrement, la manière dont Fénelon rejette, en s’appuyant sur des motifs esthétiques sous-jacents à une critique plus proprement métaphysique ou théologique, la notion d’ordre conçue par Malebranche. Deuxièmement, nous verrons que la notion de simplicité, qui chez Malebranche est entendue en terme d’économie des volontés divines, se rapporte chez Fénelon, explicitement ou implicitement, à celle de sublime. Nous confronterons alors les arguments de la R éfutation aux différentes réflexions que Fénelon consacre, dans ses écrits esthétiques, à l’articulation entre le sublime et la simplicité.
4À l’encontre de la notion d’ordre Fénelon reprend tout d’abord le thème qui apparaît dans l’oraison funèbre de Marie-Thérèse d’Autriche que Bossuet prononça le 1er septembre 1683 : « Que je méprise, disait-il, ces philosophes, qui, mesurant les conseils de Dieu à leurs pensées, ne le font auteur que d’un certain ordre général d’où tout le reste se développe comme il peut ! » [4] Sans doute Malebranche pouvait-il justifier le rejet de l’hypothèse de la création par Dieu des vérités éternelles au profit de l’affirmation d’un ordre – auquel Dieu même ne pouvait déroger – conçu comme seul garant de l’immutabilité de la vérité, car, écrit-il, « si les vérités et les lois éternelles dépendaient de Dieu, si elles avaient été établies par une volonté libre du créateur ; en un mot si la Raison que nous consultons n’était pas nécessaire et indépendante : il me paraît évident qu’il n’y aurait plus de science véritable » [5]. Mais l’assurance conquise par la science ne se fait-elle pas au détriment de la liberté de Dieu qui ne peut plus véritablement agir pour sa gloire ?Même si Malebranche énonce, dès les premières lignes du Traité de la nature et de la grâce, que « Dieu ne [peut] agir que pour sa gloire », il reste difficile de concilier celle-ci avec cette sorte de nécessité qui s’impose à lui non seulement de créer le monde mais de le créer le plus parfait possible [6]. Cette dernière exigence, émanée de l’ordre, permet-elle encore à Dieu de se représenter d’autres mondes et plus encore de les créer ?Dans la mesure où Dieu en se représentant « ces degrés inférieurs de perfection comme séparés des supérieurs, [...] se représent[ait] une chimère, car en tant que séparés ils sont absolument impossibles comme un carré sans angle ou une montagne sans vallée » [7], il faut admettre, par conséquent, que la possibilité logique ne dépendant que de la possibilité morale, le plus parfait n’est plus simplement possible mais, au contraire, d’emblée réel, tandis que le moins parfait n’atteint jamais cette région du possible finalement elle-même définitivement engloutie. Dieu se trouverait donc dans l’impossibilité de choisir. Dès lors, on est fondé à se demander, d’une part, quelle signification accorder à une gloire dont la manifestation est tributaire d’un monde que Dieu ne pouvait pas ne pas créer ; d’autre part, et corrélativement, quelle valeur accorder à un ouvrage réductible aux exigences à la fois précises et détaillées d’un ordre supérieur à Dieu. Or ce défaut de liberté entache l’ouvrage divin, affaiblit l’amour que l’on doit à Dieu [8] et suscite même une sorte de répulsion [9]. En outre, si c’est toujours librement que Dieu doit agir pour sa gloire [10], comment articuler une action que Fénelon juge – d’après sa lecture de Malebranche – déterminée par un ordre invincible avec une « complaisance » qui, par définition, ne peut être que gratuite ?
5En définitive, ce sont les dispositifs auxquels recourt Malebranche pour éclairer l’action divine que Fénelon ne peut admettre. À commencer par celui qui établit une comparaison entre Dieu et un ouvrier qui devrait nécessairement travailler tout en évitant de se perdre en efforts inutiles ; mais aussi celui qui ferait de Dieu un architecte soumis aux ordres d’un supérieur et qui n’aurait plus rien à inventer.
6C’est donc grâce à l’affirmation de cette radicale liberté de Dieu que l’on peut interpréter les rapprochements déjà fréquents (et qui seront plus notables encore dans la première partie de la Démonstration de l’existence de Dieu) que Fénelon opère entre l’œuvre de Dieu et l’œuvre d’art. Cette comparaison n’a évidemment rien d’original puisqu’on la trouve déjà systématiquement exposée dans le livre II du De natura deorum de Cicéron – dont Fénelon s’inspire. Mais Fénelon, tout en reprenant à son compte la distinction traditionnelle entre le travail nécessaire et la production artistique – l’artiste ne devant pas être confondu avec un « vil artisan assujetti à son ouvrage par les nécessités de la vie » [11] –, trace l’esquisse d’un parti pris qui trouvera son point d’aboutissement dans la Lettre à l’Académie où il défendra avec vigueur, à travers la critique de la nécessité des contraintes formelles auxquelles on suppose d’ordinaire que l’artiste ne peut non plus déroger, l’exigence pour celui-ci d’une liberté encore plus grande. En effet, ni la rime, ni l’ordre convenu des mots, ni l’ambition d’atteindre au style le plus élevé ne sont nécessaires. Car la multiplication de ces impératifs, loin de permettre à l’art de se déployer, finit par le vouer à n’être que la caricature de lui-même. Et Fénelon d’invoquer saint Augustin qui n’hésita pas, dans ses homélies, « à descendre jusqu’aux dernières grossièretés de la populace pour la redresser » [12], ou Ronsard qui « n’avait pas tort [...] de tenter quelque nouvelle route, pour enrichir notre langue, pour enhardir notre poésie » [13].
7Autrement dit, s’il est exclu de se passer de tout ordre (car l’ouvrage, sans dessein, apparaîtrait comme le fruit du hasard), celui-ci ne doit pas être trop visible – « l’art est grossier et méprisable dès qu’il paraît » [14], écrivait déjà Fénelon dans les Dialogues sur l’éloquence... De même notera-t-il plus tard, en confirmant les intuitions présentes en germe dès la composition des premiers écrits, qu’« on a appauvri, desséché, et gêné notre langue. Elle n’ose jamais procéder, que suivant la méthode la plus scrupuleuse, et la plus uniforme de la grammaire. [...] C’est ce qui exclut toute suspension de l’esprit, toute attente, toute surprise, toute variété » [15]. Or, la « suspension », « l’attente », la « surprise » et la « variété » ne sont-elles pas précisément les caractéristiques par lesquelles la notion de miracle se définit ? Aussi la rigidité de la règle ne doit-elle jamais conduire au sacrifice du bon sens, pas plus que la bonté de Dieu ne doit sacrifier à un ordre inflexible. Car à quoi serviraient nos prières si Dieu ne les écoutait jamais ? De même, à quoi servirait l’homélie si elle ne pouvait être entendue que des seuls lettrés ? Et quel plaisir retirerions-nous de la poésie si elle n’était capable de « se proportionne[r] au commun des hommes » [16] ? La providence n’exclut donc pas l’ordre – car si tout était providence, il n’y aurait précisément plus de providence [17] – mais elle ne doit pas, pour autant, s’absorber en lui.
8De même, si l’on admet quetoute œuvre poétique ou rhétorique ne cesse de transcender le genre auquel elle se rapporte – car en voulant la soumettre au déploiement réglé des mêmes artifices, on la ravalerait au rang d’un simple produit tiré de la nécessité –; puis, que l’œuvre d’art n’est digne de ce nom que parce qu’elle porte en elle la possibilité de sa propre inexistence ; et, enfin, que toute œuvre d’art témoigne d’une finalité sans fin véritablement assignable, il devient alors aisé d’identifier, à l’aune de cette grille, les caractères de l’œuvre divine. A fortiori si, comme le note Fénelon, l’art de Dieu est « infini » [18], c’est-à-dire rapporté à des « raisons secrètes » [19]. Aussi, loin de s’empresser de conclure à une perfection de l’ouvrage de Dieu qui se déduirait d’une fin posée a priori, Fénelon se garde-t-il d’accorder une signification immédiate à ce qui relève d’une intention cachée. C’est pourquoi l’argument de Malebranche, qui vise à souligner les défaillances du monde (et aussi bien à les justifier) en recourant à l’exemple de la pluie qui vainement tombe dans la mer, fait long feu dès qu’on admet ces « raisons secrètes » qui nous dépassent.
9De nouveau, c’est bien l’opposition de l’objet technique et de l’œuvre d’art qui sous-tend la critique de Fénelon. Mais c’est aussi parce que le monde est comme une œuvre d’art qu’il ne peut être supérieur à un autre monde possible. Car pas plus qu’il n’est possible de déterminer a priori à quoi une œuvre d’art doit ressembler, il n’est possible de formuler le concept de ce à quoi doit se conformer un monde. Aucun monde ne peut être davantage monde qu’un quelconque autre monde, et aucun ne peut être dit meilleur qu’un autre là où tout ce que Dieu fait est bon [20]. La question de savoir pourquoi précisément celui-ci et non un autre est, quant à elle, vaine, car vouloir y répondre reviendrait à abolir l’écart de l’intention à la création qui figure la liberté divine.
10Enfin, il n’est pas inutile de relever les quelques passages de la R éfutation qui insistent sur la dimension ludique de la création divine. Rappelons, tout d’abord, que Fénelon refuse de lier l’idée de création à celle d’effort [21]. Le Traité de la nature et de la grâce souligne, quant à lui, au nom du principe d’économie, « qu’un excellent ouvrier [...] ne fait point par des voies fort composées ce qu’il peut exécuter par de plus simples, il n’agit point sans fin, et ne fait jamais d’efforts inutiles » [22]. Tout se passe comme si l’ajout de volontés particulières – qui auraient compliqué les voies de Dieu – apparaissait désavantageux à la fois pour Dieu lui-même et pour la machine du monde susceptible d’être ralentie ou perturbée. Or Dieu, comme le précise à juste titre Fénelon, « non seulement [...] ne fait jamais d’efforts inutiles, mais il ne fait jamais d’efforts, car en toutes choses et dans le ciel et sur la terre il n’a qu’à vouloir. » [23] L’effort n’est-il pas, en effet, le signe de la finitude de l’homme censé lui découvrir sa fragilité et lui rappeler sa faute ? L’effort, que matérialise la sueur du front, est avant tout imposé à Adam comme une malédiction divine dont on ne comprendrait pas à quel titre elle s’imposerait à Dieu lui-même [24]. Au contraire, la pleine liberté d’un Dieu qui se fixe lui-même ses propres règles et qui peut encore, sans que rien l’en empêche, déroger à celles-ci – ce qu’indique l’idée du miracle – impose que le paradigme du Dieu ouvrier cède la place à celui d’un Dieu qui joue. « Écoutons l’Écriture – écrit Fénelon dans un passage consacré aux preuves de la liberté de Dieu –, elle nous le [Dieu] représente comme se jouant dans la création de l’univers [...] Consultez les prophètes [...]. Le potier, disent-ils, tourne et retourne comme il lui plaît sa matière [...]. Il lui donne une forme puis il la brise ; n’en cherchez point d’autres raisons que sa volonté. » [25]
11C’est probablement parce que l’idée de jeu est souvent associée à celle de caprice que Malebranche ne s’est pas tenu à la lettre de ces textes, et qu’il en a même pris l’exact contre-pied lorsqu’il a estimé que « celui qui ayant bâti une maison, en jette un pavillon par terre pour le rebâtir, découvre son ignorance ; celui qui plante une vigne, et l’arrache aussitôt qu’elle a pris racine, montre sa légèreté; parce que celui qui veut et ne veut plus, manque de lumière ou de fermeté d’esprit. » [26] Mais cette assertion pose plusieurs problèmes :
- Qu’est-ce qui pourrait obliger l’action de Dieu pour qu’une décision contraire à cette obligation dût être nommée caprice ?
- Pourrait-on parler d’inconstance à l’égard de ce qui ne doit jamais revêtir les espèces de la constance ?Ne serait-il pas, au contraire, inconstant que de vouloir maintenir dans l’éternité ce qui, eu égard à l’infinité de Dieu, n’est rien ?
- Si le caprice n’est jamais imputable à la volonté elle-même mais seulement aux aléas de la concupiscence, comment Dieu pourrait-il y être sujet ?
- Faut-il juger de l’inconstance de Dieu par rapport à la durée des choses ou, au contraire, faut-il rapporter cette durée à un dessein (même si nous l’ignorons comme tel) ?
12À cette dernière question Fénelon répond : « Si je fais un ouvrage dans le dessein de ne le faire subsister que deux ans, et qu’après les deux ans je le détruise, mon dessein s’accomplit, et bien loin que la destruction de mon ouvrage soit en moi une inconstance, elle est au contraire l’accomplissement d’une volonté très constante » [27]. Jeu et caprice s’excluent donc réciproquement. On ne doit ni les confondre ni surtout les confondre en Dieu au risque d’attribuer l’un des signes de la misère de l’homme à Dieu lui-même.
13Le jeu caractérise moins, on le voit, l’attitude de l’être volage que l’activité de l’artiste qui a sa fin en elle-même et dont on pourrait dire qu’elle est comme le schème d’une liberté comprise cette fois-ci comme autonomie. Si le monde n’a d’autre fin que de témoigner de la gloire de Dieu, s’il n’est pas, à l’instar des produits du travail, censé satisfaire des besoins, cela montre que le monde pourrait ne pas être. La gratuité du monde rejoindrait, à ce titre, celle de toute œuvre d’art.
14Que les règles d’une œuvre d’art ne préexistent pas à celle-ci, qu’il n’y ait donc aucun modèle préalable qui mériterait d’être consulté au fur et à mesure de l’élaboration de l’œuvre, interdit de conclure, pour autant, à l’absence de tout critère permettant de l’identifier. Si le critère de gratuité que nous avons invoqué semble nécessaire, il n’est cependant pas suffisant. Car ce critère, découvert par la raison seule, interdit de dégager ce qui distingue une œuvre scientifique d’une œuvre d’art. Celle-ci ne doit-elle pas aussi susciter des sentiments, c’est-à-dire modifier, peu ou prou, la disposition affective ? Si la destination de l’œuvre d’art reste, en ce siècle auquel Fénelon appartient, toujours morale, et si, à cause du péché, « l’homme est tout enfoncé dans les choses sensibles » [28], alors « il faut, conclut Fénelon, donner du corps à toutes les instructions qu’on veut insinuer dans son esprit » [29].
15S’il est vrai que l’œuvre d’art émeut toujours par l’appât sensible qu’elle revêt, l’émotion produite n’a toutefois rien d’anarchique dans la mesure où elle sert de levier à l’élévation morale [30]. Certaines des œuvres païennes, parce qu’elles rendent, a contrario, tout leur droit à ces penchants que l’on voudrait bannir, ne doivent plus mériter de porter ce nom qu’elles usurpent. Soucieuse du vrai bien, l’œuvre d’art doit donc tâcher de déterminer au meilleur choix [31], mais celui-ci ne se révèle pleinement qu’a posteriori, par la modification qu’elle induit dans l’âme du spectateur. Aussi Fénelon s’engage-t-il dans une « esthétique de la réception » [32] sous le double parrainage du Pseudo-Longin et de saint Augustin – qu’il adapte, en réalité, plus qu’il ne suit –, afin d’énoncer son idéal de la simplicité conçu à la fois comme qualité intrinsèque de l’œuvre et comme effet moral.
16Or cette notion de simplicité constitue, précisément, l’un des éléments fondamentaux de la doctrine métaphysique de Malebranche puisqu’elle sert à qualifier les voies empruntées par Dieu et rend également raison de tout ce qui fait la grandeur et la misère de son ouvrage. En droit, il est en effet impossible de juger ce dernier sans le rapporter aux moyens qui ont servi à le constituer. Occulter le rôle joué par la simplicité (qui concerne ici les seules voies de Dieu) reviendrait donc à rendre illisible et incompréhensible l’ouvrage de Dieu. Chez Fénelon, c’est également la simplicité qui sert de critère à l’identification d’une œuvre digne de ce nom. Mais il nous reste à montrer que la même notion recouvre chez les deux penseurs des significations distinctes voire opposées ; ce qui explique que ce soit au nom d’une certaine idée de la simplicité– toujoursentendueparFénelon en unsensesthétique, moral etspirituel – que la notion malebranchiste de simplicité se trouve attaquée.
17En nous référant principalement aux Dialogues sur l’éloquence... que Fénelon avait déjà composés au moment de la rédaction de la R éfutation, nous examinerons, tout d’abord, le contenu esthétique de l’analyse fénelonienne de la simplicité, qui devient synonyme de sublime, avant de voir dans quelle mesure elle doit être appliquée à l’œuvre de Dieu puisque ce n’est, croyons-nous, que par ce détour qu’offre le modèle de l’art qu’il sera pleinement possible d’accorder la métaphysique à la théologie.
18Chez Fénelon, l’éloge de la simplicité se découvre tout d’abord négativement à travers la critique de l’« ornement » dont les mauvais orateurs surchargent leurs discours. L’inadéquation du mot à la chose conduit à ces circonlocutions malheureuses qui tentent de pallier le défaut de justesse par la profusion de paroles et d’artifices. Cette éloquence souvent mièvre (qui correspond, dans la classification cicéronienne, au « style fleuri »), loin de conduire à la régulière élévation de l’âme dont la progression peut être indiquée par les étapes suivantes : applaudir, pleurer, réformer son action [33], ne cesse, au contraire, de disperser l’attention vers des détails contingents. Il s’ensuit, chez l’auditeur, une sorte de vertige vide dont l’effet se dissipe aussitôt. Sans doute sera-t-il permis de retrouver, mutatis mutandis, à travers la critique de Fénelon, celle du Pseudo–Longin contre l’asianisme, c’est-à-dire contre l’outrance qui s’oppose au véritable sublime lequel, même s’il ne s’attache pas systématiquement à la concision, doit toujours conserver la force et l’énergie nécessaires au ravissement de l’âme. Aussi, pour l’un comme pour l’autre, l’esthétique labyrinthique (qui ne se confond pas avec l’amplification cicéronienne), parce qu’elle se déploie sur un plan toujours horizontal, représente-t-elle le comble du mauvais goût. Qu’on ne se trompe pas, cependant, sur la signification à donner aux attributs du bon orateur car l’austérité n’est synonyme ni de sécheresse et d’atticisme, ni encore de froideur. La simplicité ne doit donc pas être confondue avec la platitude mais, au contraire, avec le sublime.
19On pourrait certes voir, dans ce basculement sémantique – qui procède peut-être davantage de l’influence du Pseudo-Longin que de celle de saint Augustin puisque celui-ci ne confond pas le sublime et le simple mais plaide pour leur alternance dans un discours équilibré – un trait plus propre à un courant de pensée qu’à un penseur, et qui vanterait, pour des raisons morales et religieuses, les mérites de la sobriété. Cependant, nous nous rallierons plutôt à l’appréciation d’A. Michel qui considère que la pensée esthétique de Fénelon, et particulièrement la Lettre à l’Académie, constitue « le plus complet et le plus profond exposé que la pensée française ait donné de la théorie du sublime » [34].
20Du Pseudo-Longin Fénelon retiendra que le sublime est « une force invincible qui enlève l’âme de quiconque [...] écoute » [35], et d’Augustin que « le style sublime a pour lui [...] de serrer les gorges par sa puissance, et de faire couler les larmes » [36]. Le procédé artistique (rhétorique, poétique ou pictural [37] ) se traduit donc immédiatement en un sentiment qui témoigne du changement profond opéré dans la personnalité de l’auditeur, du lecteur ou du spectateur. C’est pourquoi la « force » et la « véhémence » [38], qui sont les attributs naturels du sublime, décrivent à la fois les principales qualités de l’œuvre, la disposition du spectateur et la gravité des sujets qui forment le contenu de cet art [39]. Que ce soit la péripétie, ce retournement qui frappe le héros de la tragédie, ou bien la conversion imputable à la grâce qui s’opéra en Paul sur le chemin de Damas, c’est toujours une catastrophe, une brisure qui interrompt la continuité d’une durée prévisible sans pour autant – nous y reviendrons – que l’unité de l’œuvre ou de l’événement dans sa globalité soit menacée. Cela justifie les réserves formulées par Fénelon contre les liaisons trop marquées, lourdes et inutiles, et contre le découpage scolaire d’un discours qui annoncerait préalablement l’objet de ses développements. Pour ménager à la fois l’effet de surprise et ôter à l’auditeur les moyens de se ressaisir, il faut, au contraire, se départir, comme nous l’avons vu précédemment, d’un certain dogmatisme stylistique [40].
21S’il est permis de considérer que la défiance de Fénelon à l’égard des liaisons rhétoriques découle de celle, plus générale, qui s’adresse à l’intelligence, c’est-à-dire aux retours opérés par la raison qui inhibent les mouvements spontanés du cœur, il nous semble toutefois difficile de soutenir, à l’instar de Th. Litman [41], que Fénelon aura finalement (contre la douceur de Télémaque) accordé sa préférence à un sublime fougueux – ce qui autoriserait une comparaison avec le principe de Diderot selon lequel « la poésie veut quelque chose d’énorme, de barbare et de sauvage » [42]. Il est certes possible d’affirmer que le style de Télémaque fait figure d’exception dans un programme esthétique qui dénote d’autres tendances plus profondes et plus régulières – Fénelon optant, selon Th. Litman, pour Homère contre Virgile [43] –, il n’empêche que Fénelon n’est pas moins ferme lorsqu’il défend la tendresse et la simplicité et lorsqu’il fait, à cette occasion, l’éloge appuyé de Virgile [44]. Faudra-t-il, dès lors, conclure à une contradiction à l’intérieur de ces textes théoriques ou, au contraire, en étant guidé par un autre principe de lecture, tâcher d’accorder ce qui, en apparence, est inconciliable ?
22S’il y a bien une originalité de la pensée esthétique fénelonienne, elle se fonde précisément sur la réunion de deux styles traditionnellement considérés comme antithétiques. Ici, non seulement le sublime devient synonyme de simplicité, mais il s’associe encore à la tendresse [45]. Car si la grandeur du sublime effraie et surprend, c’est toutefois à la réprimande paternelle et non au déchaînement aveugle de la fatalité qu’il faut la comparer. La dimension simplement affective du sublime se double donc d’une dimension affectueuse. Aussi la douleur éprouvée vis-à-vis du sublime ne fait-elle que préparer à une transformation positive, et n’apparaît-elle finalement que comme un passage ascétique obligé vers l’acceptation de sa propre place et de ses propres devoirs. La véhémence n’exclut donc pas in fine la tendresse puisque le véritable terme de cette ascèse, c’est l’amour de Dieu ou, pour le dire autrement, l’acceptation de cet amour jaloux que Dieu veut qu’on lui donne, et par lequel on accède à la joie véritable. Véhémence et tendresse sont donc les deux faces d’un même sentiment qui ne se décompose que temporellement. La douceur qui ne serait que douceur se tournerait aussitôt en flatterie : elle encouragerait à la délectation égoïste et à la concupiscence si elle n’était aussi porteuse de cette majesté que le devoir impose et qui saisit, bouleverse, élève. De même, la violence nue de l’expression artistique porterait implicitement en elle la noirceur d’un monde qui, parce qu’il serait livré à un Dieu indifférent, ou pire encore au hasard, non seulement ne pourrait plus être beau mais étoufferait en soi-même toute tendance à l’effort moral. La beauté implique toujours, en effet, un dessein et celui-ci parce qu’il est soit celui de Dieu, soit celui d’un apôtre inspiré par Dieu, soit encore celui d’un véritable artiste, c’est-à-dire d’un artiste guidé par la vertu, veut être bon et rendre bon. Si l’œuvre d’art se donne pour fin de mettre un terme au bouillonnement de l’âme en proie à ses passions, autrement dit d’aider à atteindre cette simplicité – que Jankélévitch paraphrasant saint François de Sales définit comme « une robe qui n’est ni doublée ni brodée [...] ni bigarrée de mignardises hétéroclites » [46] –, à plus forte raison l’œuvre divine, dont l’œuvre d’art n’est que l’imitation [47], doit pouvoir susciter, soit par la contemplation immédiate soit par le truchement de l’Écriture qui la réfléchit, ce double sentiment d’effroi (face à ce qui excède la mesure humaine, la relativise et la redresse) et d’apaisement.
23Si la simplicité est donc synonyme de dépouillement parce qu’elle vise l’essentiel et lui seul et parce qu’elle laisse l’artiste s’effacer devant son œuvre en interdisant qu’il outrepasse, par le vain souci d’exhiber son talent, cette règle de l’adéquation parfaite de la représentation à la chose représentée, alors elle doit être exempte de tout défaut. Au rebours de l’opinion qui associe la simplicité à une forme de minimalisme timoré dont tout grand artiste devrait se détourner, elle est l’indice, pour Fénelon, de la perfection du juste équilibre entre le défaut et l’excès.
24Dans son édition des Œuvres de Fénelon, J. Le Brun [48] avait déjà souligné cette connivence de l’esthétique et de la spiritualité. Nous voudrions montrer, à présent, dans le prolongement de cette réflexion, que les mêmes intentions animent la controverse avec Malebranche au sujet de la simplicité des moyens que Dieu emploie pour créer le monde et de la simplicité du monde lui-même en tant qu’il est l’objet d’un jugement à la fois esthétique et moral.
25À première vue, la notion de simplicité, rapportée aux voies empruntées par Dieu, témoigne, selon Malebranche, comme nous l’avons vu, de la perfection de l’ouvrage divin. Dans une typologie hiérarchisée des voies que Dieu aurait pu choisir, la simplicité occupe donc la place la plus élevée. Mais à ce noyau doctrinal s’ajoute, comme en une surimpression, l’interprétation que Malebranche avait prélablement écartée lors de la rédaction du Huitième Éclaircissement. Il montrait, à ce moment-là, que la simplicité des voies, pourtant responsable de la formation des monstres, contribuait à racheter complètement les désordres réels du monde. « Dieu ne veut pas positivement ou directement qu’il y ait des monstres ; mais il veut, positivement, certaines lois de la communication des mouvements, desquelles les monstres sont des suites nécessaires ; et il veut ces lois, à cause qu’étant très simples, elles ne laissent pas d’être capables de produire cette variété de formes que l’on ne peut trop admirer. » [49] Perdus dans le tout du monde et naturellement compensés par la magnificence de celui-ci, les « désordres particuliers, notait encore Malebranche dans le Traité de la nature et de la grâce, [...] font même dans l’Univers une espèce de beauté » [50], comme si finalement l’éclat de la simplicité des voies n’était que davantage relevé par un constraste comparable à l’effet pictural du clair-obscur.
26Mais cette simplicité donne pourtant, et malgré tout, l’impression de n’être qu’un pis-aller [51], car :
- il apparaît, subrepticement, l’idée que Dieu ne disposait – selon ce que l’ordre lui indiquait – que du minimum de moyens pour faire le monde. On admirerait ainsi l’ouvrage de Dieu comme le radeau d’un naufragé qui aurait su tirer profit d’une situation qui n’offrait que peu de ressources. Dieu serait donc non seulement comparable à un ouvrier soumis aux ordres d’un supérieur mais il apparaîtrait aussi, finalement, comme un ouvrier dépourvu d’outils. Il est vrai que Malebranche interprète tout autrement cette économie de moyens : « Pour juger de la beauté d’un ouvrage, écrit-il, et par-delà de la sagesse de l’ouvrier, il ne faut pas seulement considérer l’ouvrage en lui-même, il faut le comparer avec les voies par lesquelles on l’a formé. Un peintre a cru autrefois donner des marques suffisantes de son habileté, en traçant seulement un cercle, sans se servir du compas. C’est qu’en effet un tel cercle, quoiqu’imparfait en lui-même, fait plus d’honneur à celui qui le marque légèrement sur le papier, qu’une figure fort composée et fort régulière décrite par le secours des instruments de mathématiques » [52]. Il resterait à justifier que les volontés de Dieu puissent effectivement être comparées à des instruments. Car si la fabrication de l’outil fait honneur à l’ingéniosité de l’homme, elle indique également en creux le dénuement d’une nature corrompue par le péché et devenue nécessiteuse. La multiplication des volontés en Dieu peut-elle, par conséquent, être comparable à ces expédients techniques ? Fénelon souligne, en effet, la difficulté : «... ce qui a trompé l’auteur est une comparaison qui n’a rien de juste entre Dieu qui a créé le monde, et les hommes qui font quelque ouvrage. Par exemple, si deux ouvriers font chacun une machine pour élever des eaux, on trouve que la plus composée est la moins parfaite [...]. Il n’en est pas de même de l’ouvrage de Dieu ; s’il est composé ce n’est pas que le Créateur n’ait point vu d’abord d’une seule vue à quelles règles il pouvait réduire tout son ouvrage, d’ailleurs la composition de beaucoup de ressorts qui est une imperfection par rapport à la faiblesse des hommes n’en est pas une pour celui à qui rien ne coûte, ni dépense, ni travail, et qui fait tout par une seule volonté. » [53]
- les défauts de toute œuvre sublime, que Fénelon jugeait à peine utile de relever et qui, rapportés au monde lui-même, étaient imputables, conformément à la position augustinienne du De ordine, au point de vue déformant d’un esprit fini, semblent, au contraire, s’accroître chez Malebranche en un pullulement impossible à maîtriser. La simplicité qui, chez Fénelon, n’était que l’autre face du sublime prend ici une connotation plus péjorative parce qu’elle renvoie à une forme d’indigence et d’impuissance : loin de refléter le parfait équilibre entre l’excès et le défaut, elle tend à déprécier et l’ouvrage divin et les voies elles-mêmes qui, étant trop générales, manquent la réalisation de ce qu’elles devaient permettre [54].
27L’article de D. Moreau, consacré à la métaphysique de Malebranche qu’il invite à lire comme une partition à deux voix où la théodicée côtoierait l’insoluble et incompréhensible constat du mal, laisse apparaître que l’idée d’une fécondité de la simplicité des voies demeure finalement ambiguë [55]. En effet, s’il y a bien, d’une part, une fécondité positive des voies dans la mesure où celles-ci permettent de produire un monde dont la richesse se mesure à la grande variété des êtres présents, on voit, d’autre part, que cette fécondité demeure toute relative puisqu’elle engendre d’innombrables désordres. Cette fécondité étant aussi celle du mal, l’harmonie du monde est donc toujours en même temps chaos du monde.
28Ce choix de la simplicité, aux tristes effets (aussi bien moraux qu’esthétiques [56] ), qui partout fait voir la laideur, n’a finalement d’autre avantage que celui de satisfaire au principe d’économie. Mais ce principe, à son tour, qui d’ordinaire n’est valorisé que par les effets qu’il engendre, trouve ici sa fin en lui-même. Le couple moyens-fin s’achève donc en une tautologie. En outre, ce principe d’économie n’est pas non plus vraiment satisfait puisque Dieu peut parfois, par des volontés particulières, le transgresser. La simplicité – qui n’aurait de sens qu’à être irrémédiable parce qu’elle justifierait Dieu tout en lui ôtant, néanmoins, sa liberté – ne remplit plus, dès lors qu’elle est étayée par d’autres dispositifs (les miracles), sa fonction. Par conséquent, comme le note en substance Fénelon, pourquoi conserver l’explication des désordres du monde par la simplicité des voies alors même qu’à celles-ci s’ajoutent d’autres volontés divines [57] ?
29En revanche, la manière dont Fénelon conçoit la simplicité du monde, qu’il associe à l’unité, annonce le tour que prendra sa réflexion sur l’unité de l’œuvre d’art. En effet, si la volonté divine reste toujours simple, c’est-à-dire une, quand bien même elle engloberait tout le détail de la réalisation à venir, alors le monde donnerait à voir, de la façon la plus aboutie, en tant que miroir de la volonté divine, la réalisation de l’exigence d’unité à laquelle toute grande œuvre aspire : « Un ouvrage, écrira plus tard Fénelon, n’a de véritable unité que quand on ne peut en rien ôter, sans couper dans le vif. » [58] Aussi aucune des voies n’est-elle conçue ou retenue par Dieu indépendamment du seul et unique projet [59] auquel elle se rapporte. Il est exclu, par conséquent, d’interpréter les variations que Dieu imprime à son ouvrage comme l’expression d’un tâtonnement. Si le dessein demeure un, quelle que soit ensuite l’ampleur des moyens nécessaires à le réaliser, les miracles ne doivent plus être comparés à des « frisures » ou à des « broderies » – pour reprendre les termes dont se servira Fénelon lorsqu’il condamnera les ornements inutiles [60] – mais ils s’intègrent, naturellement, quoique de façon différentielle, dans la prescience divine. Citons encore ce passage de la R éfutation inspiré d’Augustin, qui souligne, de la façon la plus claire, à partir de la considération de la proportion et de l’équilibre du monde, l’analogie entre la création divine et l’œuvre d’art sublime : « Dès qu’il [Dieu] fait un tout, il faut que toutes les parties de ce tout aient entre elles quelque proportion et quelque convenance pour former le tout ; c’est ce concours de toutes les parties qui rend le tout un. S’il n’y avait dans les parties aucun rapport, aucune proportion, aucune unité, cet ouvrage n’aurait point la marque de la sagesse divine, il n’aurait même aucun degré de bonté et d’être, car, comme dit saint Augustin, une chose n’a l’être et la bonté qu’autant qu’elle ressemble à Dieu, qui est la souveraine unité. » [61]
30A contrario, cette contrainte d’économie qui pèse sur Dieu dans le système de l’oratorien et qui l’astreint aux moyens les plus simples malgré les défauts qu’ils occasionnent, engendrerait, de plus, dans la répartition des grâces – qui se distribuent en une pluie abondante qui touche le cœur des quelques élus, mais aussi celui des autres qui n’en feront rien – une excessive dépense. C’est parce que les outils dont se sert Dieu lui sont comme imposés du dehors qu’ils restent, en définitive, inadaptés à la fin qu’ils visent. Si la pluie qui tombe inutilement dans la mer [62] permettait déjà de déplorer la qualité de l’ouvrage divin – qu’on ne peut, finalement, admirer ni comme un chef-d’œuvre artistique ni comme un chef-d’œuvre technique [63] –, il ne reste plus qu’à se désoler d’un ouvrage aussi plein du déchet de la grâce. Ne voit-on pas incontestablement, à travers le spectacle de ce gâchis, l’image d’un Dieu malhabile et malheureusement prodigue ? L’excès de simplicité finirait donc par conduire à la plus grande dépense. C’est donc à la fois le défaut et l’excès dans l’ordre de la nature et dans celui de la grâce qui interdit de contempler la beauté de l’ouvrage divin. Car, d’une part, l’excès et le défaut s’opposent directement à un ordre esthétique synonyme de mesure et, d’autre part, loin de produire ce double sentiment de saisissement et d’élévation propre à l’œuvre d’art, engendrent plutôt chagrin et incompréhension [64].
31C’est parce que l’œuvre divine vue par Malebranche n’opérerait pas cette mutation pratique (que l’œuvre d’art imite), au terme de laquelle l’ordre de la création apparaîtrait, et à la lumière duquel on découvrirait sa propre place, que les principes de l’oratorien doivent être rejetés. Il nous faut, en revanche, prendre toute la mesure de la déclaration de Fénelon : «...ma philosophie parle d’abord naturellement comme l’Écriture » [65]. Sans doute est-il recommandé d’y voir, avant tout, l’énoncé de la règle qui permet de redresser une métaphysique négligente et méfiante à l’égard de la source où elle devrait pourtant puiser son inspiration. Mais la philosophie qui « parle [...] comme l’Écriture » serait aussi une philosophie simple et sublime, c’est-à-dire – puisque tous ces termes se correspondent – consolante. Elle viserait donc, au fond, le même but que celui de l’œuvre d’art.
32L’enjeu esthétique de la querelle n’est donc ni secondaire par rapport aux enjeux métaphysique et théologique ni indépendant de ceux-ci. En prenant pour modèle l’Écriture, en qui forme et fond ne se dissocient jamais, Fénelon reconduirait donc, dans sa propre pensée qui examine l’ordre voulu par Dieu, l’exemple du Ps.-Longin dont Boileau disait qu’en « parlant du sublime, il [était] lui-même très sublime » [66].
Notes
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[1]
Dorénavant abrégé R éfutation.
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[2]
Sur le goût de Fénelon pour Poussin, v. notamment l’article de F. Trémolières, « Fénelon et les beaux-arts », XVIIe Siècle, Paris, PUF, 2000, no 206.
-
[3]
Sur l’analogie entre l’œuvre d’art et la création divine, v. la présentation que donne J. Le Brun dans son édition des Œuvres de Fénelon, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. II, 1997.
-
[4]
Œuvres, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, p. 110.
-
[5]
Éclaircissements sur la Recherche de la vérité, Xe, Œuvres, I, éd. G. Rodis-Lewis avec la collaboration de G. Malbreil, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1979, p. 905.
-
[6]
« Si vous croyez qu’il était plus parfait de créer le monde, Dieu était donc invinciblement déterminé par l’ordre à le créer, et il n’avait aucune liberté pour ne le créer pas », R éfutation du système du Père Malebranche sur la nature et la grâce, VI, Œuvres, II, éd. J. Le Brun, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1997, p. 352 [cité dorénavant RSPM].
-
[7]
RSPM, V, p. 348.
-
[8]
«...au lieu de chanter à Dieu un cantique sur le rivage, ils [les Israélites] auraient eu raison de dire : Dieu n’a fait que ce qu’il n’a pu s’empêcher de faire. Il ne l’a point fait pour l’amour de nous. » Ibid., XVIII, p. 414.
-
[9]
« Que l’auteur n’espère donc plus de nous éblouir, en disant que Dieu a choisi le plus parfait dessein parmi tous ceux qui étaient possibles. Qu’il dise au contraire de bonne foi que Dieu n’avait qu’une seule chose à faire, qu’il l’a faite, et qu’il s’est épuisé », Ibid., III, p. 342.
-
[10]
« Dieu est libre de n’agir pas, et de ne vouloir point cette gloire », Ibid., X, p. 371 ; «... il [Dieu] n’a aucun besoin de cette complaisance pour être heureux », Ibid., p. 373.
-
[11]
RSPM, VIII, p. 367.
-
[12]
Lettre à l’Académie, IV, « [Projet de rhétorique] », Œuvres, II, op. cit., p. 1154.
-
[13]
Ibidem, V, « Projet de poétique », p. 1158.
-
[14]
Dialogues sur l’éloquence en général et sur celle de la chaire en particulier, II, Œuvres, II, op. cit., p. 37. Publiés par Ramsay en 1718, on s’accorde à considérer que ces Dialogues... furent composés entre 1677 et 1681. Sur cette question, v. la notice de J. Le Brun, op. cit.
-
[15]
Lettre à l’Académie, V, p. 1159.
-
[16]
« Je demande, écrit Fénelon, un poète aimable, proportionné au commun des hommes, qui fasse tout pour eux, et rien pour lui. » Lettre à l’Académie, V, p. 1160-1161. On pourrait comparer cette conception de la mission du poète avec celle que défend Fénelon d’un Dieu paternel et sensible : « Je vois qu’un père faible et pécheur, outre les règles générales qu’il établit pour le gouvernement de toute sa famille, a encore les yeux particulièrement ouverts sur chacun de ses enfants, qu’il entre dans tout le détail de ses besoins, de ses dangers et de ses peines. M’arrachera-t-on la consolation de croire notre Père qui est dans le ciel aussi bon, et aussi compatissant que ce père terrestre ? » RSPM, XVIII, p . 410
-
[17]
S’il n’y avait aucune loi naturelle, l’événement par lequel la mer Rouge s’est ouverte n’eut pas été un miracle : « On ne dit point que c’est la providence qui tient la terre suspendue, qui règle le cours du soleil, et qui fait la variété des saisons ; on regarde ces choses comme les effets constants et nécessaires des lois générales que Dieu a mises d’abord dans la nature : mais ce qu’on appelle providence, selon le langage des Écritures, c’est un gouvernement continuel qui dirige à une fin les choses qui semblent fortuites », Ibidem, XIII, p. 408.
-
[18]
Ibid..
-
[19]
Ibid., IX, p. 369.
-
[20]
«... [la] supériorité infinie de Dieu [...] lui rend toutes les choses possibles également indifférentes », Ibid., VIII, p. 364.
-
[21]
Nous reviendrons encore sur cette question dans l’examen de la notion de simplicité.
-
[22]
Traité de la nature et de la grâce, I, op. cit., 1ère partie, XIII, p. 185 [cité dorénavant TNG].
-
[23]
RSPM, XVI, p. 399.
-
[24]
Onpourrait, à cette occasion, comparer les motifs qui conduisent Malebranche à établir une méthode critique de lecture de l’Écriture qui oblitère, en les interprétant systématiquement, les « anthropomorphismes » de celle-ci, et la description d’un Dieu au travail qui hérite de toutes les faiblesses humaines.
-
[25]
Ibidem, VIII, p. 367.
-
[26]
TNG, I, 1ère partie, XIX, p. 187-188.
-
[27]
RSPM, VIII, p. 365.
-
[28]
Dialogues sur l’éloquence..., II, p. 36.
-
[29]
Dialogues sur l’éloquence..., II, p. 36.
-
[30]
« Autant qu’on doit mépriser les mauvais poètes, autant doit-on admirer et chérir un grand poète, qui ne fait point de la poésie un jeu d’esprit, pour s’attirer une vaine gloire, mais qui s’emploie à transporter les hommes en faveur de la sagesse, de la vertu, et de la religion. » Lettre à l’Académie, V, p. 1155.
-
[31]
Contrairement au choix de Dieu qui est toujours bon.
-
[32]
Nousempruntons cette expression au titre du recueil d’études de H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, trad. franç. 1978.
-
[33]
Fénelon emprunte cette progression au De doctrina christiana de saint Augustin en un passage qui évoque un discours particulièrement abouti que celui-ci avait fait à Césarée de Mauritanie afin de persuader ce peuple de renoncer à une pratique barbare.
-
[34]
« La grandeur et l’humilité. La Bible dans l’esthétique littéraire en France » in Le Grand Siècle et la Bible, sous la direction de J.-R. ARMOGATHE, Paris, Beauchesne, 1989, p. 452.
-
[35]
Traité du sublime, trad. Boileau, introd. et notes de F. Goyet, Paris, LGE, 1995, I, 4, p. 74.
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[36]
De Doctrina christiana, IV, 4e section, § 53, in Œuvres de saint Augustin, XI. Le Magistère chrétien, trad., introduction et notes G. Combès et J. Farges, Paris, Desclée de Brouwer, 1949, p. 523.
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[37]
Voir les analyses consacrées à Poussin dans les Dialogues des morts..., LII et LIII, Œuvres, I, op. cit., p. 426 sq.
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[38]
Lettre à l’Académie, IV, p. 1152.
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[39]
« Le genre fleuri n’atteint jamais au sublime. Qu’est-ce que les Anciens auraient dit d’une tragédie, où Hécube aurait déploré ses malheurs par des pointes ? La vraie douleur ne parle point ainsi. Que pourrait-on croire d’un prédicateur, qui viendrait montrer aux pécheurs le jugement de Dieu pendant sur leur tête, et l’Enfer ouvert sous leurs pieds, avec les jeux de mots les plus affectés ? » Ibidem, p. 1148.
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[40]
« Cicéron rapporte que les ennemis mêmes de Gracchus ne purent s’empêcher de pleurer lorsqu’il prononça ces paroles : Misérable, où irai-je ? Quel asile me reste-t-il ? Le Capitole ? Il est inondé du sang de mon frère. Ma maison ? J ’y verrais une malheureuse mère fondre en larmes et mourir de douleur. Voilà des mouvements. Si on disait cela avec tranquillité, il perdrait sa force. » Dialogues sur l’éloquence..., II, p. 38.
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[41]
Le Sublime en France (1660-1714), Paris, Nizet, 1971 (v. le chap. XI « Fénelon : l’apogée du sublime »).
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[42]
DIDEROT, De la poésie dramatique, in Œuvres esthétiques, Paris, Classiques Garnier, 1994, p. 261.
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[43]
«...si quelque chose vous [Virgile] empêche d’égaler Homère, c’est d’être plus poli, plus châtié, plus fini, mais moins simple, moins fort, moins sublime, car d’un seul trait il met la nature toute nue devant les yeux. » Dialogues des morts..., LI, « Horace et Virgile », p. 425. Cf. Dialogues sur l’éloquence... qui, certes, défendent un sublime fougueux mais qui n’en font pas moins l’éloge de la simplicité majestueuse de l’Écriture. La véhémence, aussi paradoxal que cela paraisse, n’exclut pas la douceur.
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[44]
« Virgile anime et passionne tout. Dans ses vers tout pense, tout a du sentiment, tout vous en donne. Les arbres mêmes vous touchent », Lettre à l’Académie, V, p. 1166.
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[45]
« Je cherche une lumière douce [...]. Je veux un sublime [...] familier, [...] doux, et [...] simple », Ibidem, p. 1161.
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[46]
L’Innocence et la Méchanceté. Traité des vertus, III, « La simplicité », Flammarion, Champs, 1986, p. 410.
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[47]
« Qui est-ce qui a su mélanger et tempérer ces couleurs, pour faire une si belle carnation, que les peintres admirent, et n’imitent jamais qu’imparfaitement ? », Démonstration de l’existence de Dieu, 1ère partie, II, § 32, p. 539.
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[48]
Voir Œuvres, II, Pléiade, introduction, p. IX sq., ainsi que la notice de la Lettre à l’Académie, p. 1725 sq.
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[49]
Éclaircissements sur la Recherche de la vérité, VIII, in Œuvres, I, op. cit., p. 863.
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[50]
TNG, 1ère partie, XXII, p. 189.
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[51]
Voir sur ce point l’analyse que donne (à la suite de celle de G. Dreyfus dans son édition du Traité de la nature et de la grâce, Paris, Vrin, 1958) P. Riley, The General Will before Rousseau. The Tranformation of theDivine into the Civic, Princeton, University Press, 1986 (et particulièrement le chapitre II : « The General Will under Attack : The Criticisms of Bossuet, Fénelon, and Bayle »).
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[52]
Méditations chrétiennes et métaphysiques, VII, art. V, in Œuvres, II, éd. G. Rodis-Lewis, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1992, p. 254 (désormais cité MCM).
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[53]
RSPM..., XVI, p. 401-402.
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[54]
« C’est [...] uniquement en conséquence des lois naturelles [simples et générales] qu’arrive le mal. Il [Dieu] fait [...] le mal [...] parce qu’il veut que sa manière d’agir soit simple », MCM, VII, art. XIX, p. 260.
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[55]
« Malebranche, le désordre et le mal physique : et noluit consolari », in La Légèreté de l’être. Études sur Malebranche, sous la direction de B. Pinchard, Paris, Vrin, 1998.
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[56]
«... la description [du monde] par Malebranche, bien loin de l’admiration qu’on trouve souvent chez les auteurs chrétiens, ressemble parfois à celle d’une vallée de larmes et d’un monde hostile et injuste. Et si d’aventure le lecteur malebranchiste n’avait pas bien saisi qui est ici visé, il le comprendra vite en rencontrant un certain nombre de textes qui dénoncent avec virulence la facilité esthétisante tout d’abord, et la fausseté ensuite, des comparaisons du monde avec un poème ou un tableau. », D. MOREAU, op. cit., p. 154-155.
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[57]
« Qu’on ne s’imagine pas que je veuille me prévaloir de ce que l’auteur a reconnu des volontés particulières en Dieu, il ne l’a fait qu’à cause qu’il a bien vu qu’il y avait trop d’inconvénients à le désavouer. C’est pourquoi il dit qu’on lui impose, qu’on le calomnie, et qu’on se forme des fantômes pour les combattre quand on l’accuse de n’en admettre point. Il soutient qu’il a dit seulement qu’elles sont rares. », RSPM, XII, p. 376.
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[58]
Lettre à l’Académie, IV, p. 1151.
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[59]
« Ces règles qu’il peut multiplier à son gré dans l’ouvrage ne multiplient rien au-dedans de lui. Son action et sa volonté sont toujours également simples. » RSPM, IV, p. 345. «... la simplicité de la volonté de l’action de Dieu est indépendante de la simplicité et de la composition de son ouvrage », Ibidem, XVI, p. 397.
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[60]
Lettre à l’Académie, IV, p. 1149.
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[61]
Chap. XVI, p. 400.
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[62]
« Dieu pouvait, sans doute, faire un monde plus parfait que celui que nous habitons. Il pouvait, par exemple, faire en sorte que la pluie, qui sert à rendre la terre féconde, tombât plus régulièrement sur les terres labourées que dans la mer où elle n’est pas nécessaire. » TNG, I, 1ère partie, art. XIV, p. 186 (orthographe modernisée).
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[63]
Chez Fénelon, la perfection de l’ouvrage divin s’observe jusque dans la distribution équilibrée de l’eau : « Quelle main a pu suspendre sur nos têtes ces grands réservoirs d’eaux ! Quelle main prend soin de ne les laisser jamais tomber que par des pluies modérées ? », Démonstration de l’existence de Dieu, 1ère partie « L’art de la nature », II, p. 519.
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[64]
« La belle chose, s’exclame Ariste, qu’un pays désolé par la tempête ! »
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[65]
« Fort belle, répond Théotime. Un pays habité par des pécheurs doit être dans la désolation. » Entretiens sur la métaphysique et la religion, in Œuvres, II, op. cit., p. 838. Citons également les dernières lignes de l’article de D. Moreau qui a inspiré notre réflexion : «... Malebranche a refusé la métaphysique de la justification et de la consolation, celle qui dit que tout, même l’insoutenable, fait sens ; il a préféré adopter cette attitude, plus difficile sans doute mais peut-être plus noble aussi, dont la Bible nous apprend qu’elle fut celle de Rachel à la mort de ses fils : penser sans rechercher de consolations. » op. cit., p. 172.
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[66]
RSPM, XIX, p. 415.