Notes
-
[1]
Texte intégralement rédigé par Charles Bally et Albert Sechehaye, avec la collaboration de Albert Riedlinger, sur la base de notes prises par les auditeurs. Lausanne, Paris, Payot, 1916.
-
[2]
Manuscrits qui proviennent de l’Orangerie de l’hôtel genevoix de la famille Saussure, découverts en 1996. Fonds de la Bibliothèque publique et universitaire de Genève. Paris, Gallimard, 2002. Nous citerons cette édition sous le sigle ELG par opposition au Cours de linguistique générale cité sous le sigle CLG.
-
[3]
Voir développements ultérieurs.
-
[4]
Nous nous référons aux suppléments de l’ouvrage de Gilbert Simondon : L’Individu et sa genèse physico-biologique. Deuxième édition. Grenoble, J érôme Millon, 1995 et aux développements que nous leur avons accordés dans nos propres recherches, que nous ferons intervenir dans cette étude.
-
[5]
Onsait que Saussure détruisait fréquemment les brouillons hâtifs qu’il rédigeait pour ses cours. Cf. Préface, p. 7-8
-
[6]
Préface de la première édition. CLG, p. 9. Il convient de noter toutefois que de nombreux fragments rédigés par Saussure et disponibles lors de l’édition de 1916, ne furent pas pris en considération par les éditeurs. Cf. à ce sujet la préface des éditeurs des ELG, p. 11.
-
[7]
Voir à ce sujet : ELG, Préface des éditeurs, p. 8.
-
[8]
ELG, p. 265. Cité dans la préface des éditeurs, p. 9.
-
[9]
Fonds de BPU, 1996, ELG. Texte que nous citerons sous le sigle EDL.
-
[10]
EDL, Préface. p. 17.
-
[11]
EDL, p. 19.
-
[12]
EDL, p. 19-20.
-
[13]
EDL, p. 23.
-
[14]
EDL, p. 23. Cette affirmation est confirmée en des termes voisins : paragraphe 3d : « Dans le langage, de quelque côté qu’on l’aborde, il n’y a point d’individus délimités et déterminés en soi, et qui se présentent nécessairement à l’attention. (...) », EDL, p. 26-27.
-
[15]
EDL, p. 20.
-
[16]
EDL, p. 20.
-
[17]
EDL, p. 20.
-
[18]
Paris, Klincksieck, 1983.
-
[19]
Paris, Beauchesne, 2000.
-
[20]
EDL, p. 20.
-
[21]
EDL, p. 18.
-
[22]
EDL, p. 18.
-
[23]
EDL, p. 18.
-
[24]
EDL, p. 18.
-
[25]
EDL, p. 17.
-
[26]
EDL, p. 19.
-
[27]
EDL, p. 19.
-
[28]
CLG, p. 98. La note 1 des rédacteurs, bien que peu explicite sur le sens exact à accorder au terme « image acoustique », dénie cependant toute interprétation strictement matérielle.
-
[29]
CLG, Première partie. Principes généraux. Chap. ler. Nature du signe linguistique. § 1 Signe, signifié, signifiant, p. 98.
-
[30]
EDL, p. 19.
-
[31]
EDL, p. 20-21.
-
[32]
EDL, p. 82-83.
-
[33]
EDL, p. 82-83.
-
[34]
Cf. discussion précédente.
-
[35]
EDL, p. 83.
-
[36]
EDL, p. 83.
-
[37]
EDL, p. 83.
-
[38]
EDL, p. 83.
-
[39]
EDL p. 83.
-
[40]
« On peut après cela discuter pour savoir si la conscience que nous avons du mot diffère de la conscience que nous avons de son sens ; nous sommes tentés de croire que la question est presque insoluble. »
-
[41]
EDL, p. 83.
-
[42]
EDL, p. 83.
-
[43]
EDL, p. 83.
-
[44]
EDL, p. 28.
-
[45]
« Opération et structure », colloque organisé par l’Université de Lyon III, en collaboration avec le Collège international de philosophie sur les développements post-merleau-pontyens de la phénoménologie (mars 2002). « L’être à distance de soi, dans le champ des ‘‘ Réalités nocturnes et diurnes ’’de Tristan Tzara », colloque international de philosophie : Art et pathologie au regard de la psychanalyse et de la Daseinsanalyse. Paris, Collège international de philosophie, Université de Paris XII, mai-juin 2002. Phénoménologie et Allagmatique, colloque international de philosophie, Collège international de philosophie et Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, juin 2002.
-
[46]
L’Individu est sa genèse physico-biologique. Suppléments, p. 261.
-
[47]
Ibid., p. 261.
-
[48]
Ibid., p. 261.
-
[49]
Ibid., p. 261.
-
[50]
Ibid., p. 261.
-
[51]
Ibid., p. 262. Voir l’explicitation de cette situation, telle que nous l’avons développée dans les trois études consacrées à la problématique allagmatique, citées plus haut.
-
[52]
Ibid., Conclusion, p. 240.
-
[53]
Ibid., p. 240.
-
[54]
Ibid., p. 240.
-
[55]
Voir à ce sujet nos analyses dans Rythmes et Mondes. Grenoble, J érôme Millon, 1991, et dans Introduction au logos du monde esthétique. Paris, Beauchesne, 2000.
-
[56]
Attitude que nous avons développée dans chacun des nos ouvrages, de La Gravitation poétique (Paris, Mercure de France, 1966) à l’Introduction au logos du monde esthétique, et aux trois études récentes mentionnées plus haut.
-
[57]
Voir discussions précédentes.
-
[58]
ELG, p. 28.
-
[59]
ELG, p. 28.
-
[60]
Situation que nous nous nous sommes employés à analyser de manière concrète dans chacun de nos ouvrages, sur de nombreux textes créateurs s’étageant du XVIe siècle à nos jours.
-
[61]
EDL, p. 28.
-
[62]
EDL, p. 28.
-
[63]
Nous rappelons, ici, le rapport précis et complexe qui se noue dans la problématique heideggérienne entre différence, temporalisation ek-statique et néantisation. Nous avons montré, dans Rythmes et Mondes, les difficultés de cette conception. Il convient d’autre part de tenir compte des processus temporalisateurs et de ceux d’individuations, déclenchés à partir des mouvements transducteurs, qui se déploient à partir d’un système métastable à caractère pré-individuel. Voir à ce sujet, notes 68 et 84.
-
[64]
EDL, p. 28.
-
[65]
EDL, p. 28-29.
-
[66]
N’oublions pas que l’important paragraphe 8 intitulé : « Sémiologie » met en garde contre une distinction jugée comme dépourvue de sens entre signe et signification. On peut lire en effet : « Qui dit signe dit signification; qui dit signification dit signe, prendre pour base le signe (seul) n’est pas seulement inexact mais ne veut absolument rien dire puisque, à l’instant où le signe perd la totalité de ses significations, il n’est rien qu’une figure vocale. », EDL, p. 44.
-
[67]
Cf. les longs développements dans Rythmes et Mondes, Introduction au Logos du monde esthétique et dans Une phénoménologie plurielle (Collège international de philosophie, Paris, 2002).
-
[68]
Situationaffrontée par Heidegger en toute lucidité, quand il s’est interrogé, à l’époque de l’Ontologie fondamentale , sur les relations qui s’établissent entre Différence, temporalisation et néantisation. Puis, dans la période ultime de la « topologie de l’être », quand il a confié au jeu de l’Ereignis, le don de l’éclaircie. Nous nous sommes longuement expliqué sur les raisons de nos réticences à l’égard des démarches heideggériennes et sur les raisons pour lesquelles le recours à la conception de la métastabilité à caractère pré-individuel en voie d’individuations transductives permet de poser le problème de l’émergence du sens sur des fondements neufs. Voir Rythmes et mondes, et Introduction au logos du monde esthétique. D’autre part, ce n’est pas en refusant de s’interroger sur la nature de la visée intentionnelle, qui anime le jeu différentiel établi dans les réseaux du langage – ce que Saussure recommande, de facto, en soulignant le caractère incontournable du « point de vue » dans toute analyse linguistique – que l’on fera progresser la compréhension concernant la dynamique du jeu différentiel entre les signes. Or, c’est précisément à ce moment que la liaison entre les processus de transduction à caractère individualisant se révèle éminemment temporalisatrice dans le passage qui fait basculer la dimension pré-individuelle du système linguistique envisagé dans ses processus d’individuations porteurs de significations et de sens en formation.
-
[69]
EDL, p. 29.
-
[70]
EDL, p. 29.
-
[71]
EDL, p. 29.
-
[72]
EDL, p. 29.
-
[73]
EDL, p. 29.
-
[74]
Cf. citations de la page 83, produites plus haut.
-
[75]
EDL, p. 29.
-
[76]
EDL, p. 83.
-
[77]
EDL, p. 36.
-
[78]
EDL, p. 36.
-
[79]
EDL, p. 36. Il n’est pas aisé de savoir à quelles « remarques sur exister » Saussure fait allusion. Nous verrons dans le paragraphe 1° de « Indifférence et différence », trois fois intervenir le verbe exister. Situation que nous commenterons.
-
[80]
EDL, p. 36.
-
[81]
Lesmanuscrits et les déclarations de Saussure l’attestent. Au cours d’une conversation privée, tenue le 6 Mai 1911, avec un de ses étudiants, M. L. Gautier, dans laquelle Ferdinand de Saussure faisait part de ses scrupules à « exposer – en son Cours – le sujet dans toute sa complexité et avouer tous (ses) doutes, ce qui ne peut convenir pour un cours », à la question de M. Gautier lui demandant s’il avait rédigé ses idées sur sa conception de la science du langage, Saussure répondit : « Oui, j’ai des notes mais perdues dans des monceaux, aussi ne saurais-je les retrouver. » Or, quand l’étudiant lui suggère de faire paraître quelque chose sur le sujet, Saussure répond de manière qui semble désabusée : « Ce serait absurde de recommencer de longues recherches pour la publication, quand j’ai là (il fait un geste) tant et tant de travaux impubliés. » Cité d’après les Sources manuscrites du Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure, Genève, Droz, 1957, p. 30. Cf. Préface des éditeurs aux Ecrits de linguistique générale, p. 11-12.
-
[82]
Voir Rythmes et mondes et Introduction au Logos du monde esthétique : ces rapprochements à caractère allagmatique ont été opérés.
-
[83]
Discussions que nous avons conduites dans nos ouvrages antérieurs.
-
[84]
Pour le rapport entre différence, temporalité ek-statique et néantisation de l’être, cf. note 68. Précisons que si Heidegger avait pris en charge la dimension temporalisatrice et mondificatrice, non pas au niveau des thèmes des œuvres créatrices étudiées, mais à celui de la dimension opératoire de l’enchaînement à caractère symbolique, syntagmatique et paradigmatique des signes composant les textes – ce qui conduit à mettre en œuvre une « microphénoménologie », que Heidegger n’a jamais prise en considération par suite de son refus systématique de dialoguer avec la linguistique, rejetée globalement au titre de science « ontique » du langage –, il eût pu être conduit à une autre interprétation que celle, à caractère transcendantal de « das Ereignis » qui, dans le mouvement de retrait de « l’Enteignis » accorde temps et être, mais aussi renoue, malgré les dénégations de Heidegger, avec la conception platonicienne du Bien, qui éclaire les Idées. Heidegger est conduit, dans la phase ultime de sa pensée, à conférer à « das Ereignis » l’efficacité opératoire des mouvements de différenciations qui ordonnent le Monde. Au niveau du langage, une étude opératoire des signes linguistiques, tels que Saussure en a mis en évidence les relations différentielles, symboliques, syntagmatiques et paradigmatiques entrecroisées, eût pu permettre de faire l’économie du recours transcendantal au pouvoir mystérieux et indémontrable de « l’Ereignis ». Tel est l’un des multiples exemples où une mise en rapport allagmatique des thèses linguistiques et phénoménologiques peut permettre de concevoir la genèse de la pensée sous un jour neuf.
-
[85]
Problèmes étudiés concrètement dans nos ouvrages antérieurs.
-
[86]
Attitudedéveloppée dans Introduction au Logos du monde esthétique et dans Rythmes et Mondes.
-
[87]
EDL, p. 83.
Introduction
1L’intention de cette étude n’est pas d’interpréter la pensée de Ferdinand de Saussure, telle qu’elle fut connue initialement par le Cours de linguistique générale [1], à la lumière des manuscrits récemment publiés par Simon Bouquet et Rudolf Engler, sous le titre Ecrits de linguistique générale [2]; ce travail n’a aucune intention comparative. D’autre part, il n’appartient pas à un philosophe du XXIe siècle de chercher à clarifier l’énigme chargée de doutes et de nuances que le génie inventif du linguiste genevoix avait préservée de toute conclusion prématurée. Au contraire, c’est la perplexité dont Saussure a fait preuve au cours de sa vie méditative à l’égard de ses propres découvertes, au point de renoncer à les publier, que ces réflexions tentent de prolonger ici, sans chercher à attribuer à Saussure des intentions qui ne pouvaient être les siennes.
2Il s’agit d’établir un dialogue où l’esprit contemporain peut développer une qualité d’écoute et de respect à l’égard des fragments des textes saussuriens, originaux et remaniés, qui demeurent chargés de tensions non résolues ; ensemble traversé d’éclairs et d’incertitudes, que la pensée philosophique contemporaine peut prospecter et méditer sans pour autant chercher à lui conférer des orientations que le linguiste genevoix, pourtant soucieux d’accorder une dimension philosophique à sa recherche, ne connaissait pas [3]. C’est sur la rencontre entre l’intention philosophique profonde, qui anime la recherche linguistique de Saussure, qu’il revendique comme telle, et le développement de certaines attitudes contemporaines directement liées à la problématique phénoménologique du langage, que Saussure ne pouvait pas connaître, que se situe le style de notre questionnement. Selon cette perspective, il apparaîtra nécessaire de nuancer certaines thèses attribuées à Saussure par les rédacteurs du Cours de linguistique générale de 1916, qui parfois relèvent plus de leur interprétation personnelle que de la pensée toujours nuancée du fondateur de la linguistique moderne. Nous verrons en particulier que l’appel constant fait par Saussure à une interprétation philosophique de ses propres découvertes linguistiques, comme la complémentarité étroite qu’il n’a cessé de mettre en évidence entre opération mentale et structure du langage, laissent la place ouverte à une interprétation phénoménologique et « allagmatique » du langage, au sens employé par Gilbert Simondon [4], que Saussure, certes, ignorait, mais qui n’est peut-être pas totalement étrangère à son inspiration profonde.
1) Situation des Écrits de linguistique générale publiés en 2002 à l’égard du Cours de linguistique générale de 1916
3Nous fondant sur les préfaces de ces deux ouvrages établis et édités par les rédacteurs nommés plus haut, il importe dans le cadre de notre prospection de retenir les points suivants.
4En premier lieu, le souci avec lequel Charles Bally et Albert Sechehaye soulignent les difficultés qu’ils ont eues à rédiger intégralement l’ouvrage sur la base des notes personnelles de Saussure prises par les auditeurs, lors des trois cours donnés à l’Université de Genève en 1906-1907,1908-1909, 1910-1911. Tout en notant l’extrême souplesse et la mobilité constante du linguiste genevoix, les rédacteurs du Cours reconnaissent le caractère souvent systématique et en quelque sorte « durci » qu’ils ont attribué aux notes fragmentaires du Cours pour leur conférer une forme définitive et objective [5]. Ce qui les a conduits à entreprendre une « reconstitution » et une « synthèse » principalement fondées sur les notes du troisième Cours. Sorte de « recréation » de leur part, dont ils soulignent le caractère insatisfaisant [6]. Or, trois champs du savoir recouvrent l’ensemble des réflexions saussuriennes sur le langage :
- Un premier champ à caractère épistémologique portant sur les conditions de possibilité d’une pratique scientifique de ce que nous considérons comme linguistique générale.
- Un deuxième champ de spéculations analytiques, au sens des Analytiques aristotéliciens, qui touche à une philosophie du langage, revendiquée comme telle par Saussure.
- Un troisième champ relevant d’une réflexion prospective sur la linguistique, qui correspondrait à une « épistémologie programmatique ».
5De cet ensemble, c’est le troisième champ que Bally et Séchehaye ont tenu à privilégier et qui, par la suite, fut associé exclusivement au nom de Saussure [7]. Aussi, le programme scientifique de Saussure, si l’on tient compte de l’ensemble des documents découverts dans l’Orangerie, apparaît-il moins systématique et plus nuancé que ce que la rédaction ultérieure du Cours publié en 1916 ne laissait entendre. Ainsi peut-on lire dans les « Anciens documents » de l’édition Engels de 1968-1974 :
« La difficulté qu’on éprouve à noter ce qui est général dans la langue, dans les signes de parole qui constituent le langage, c’est le sentiment que ces signes relèvent d’une science beaucoup plus vaste que n’est la « science du langage ». On a parlé un peu prématurément d’une science du langage » [8].
7C’est le caractère qualifié par Saussure de « général... dans les signes de parole » constituant le langage et qu’il indique comme relevant « d’une science beaucoup plus vaste que n’est la science du langage », qui légitime à nos yeux le questionnement philosophique des approches saussuriennes, telles que le suggèrent les écrits de l’Orangerie, publiés en 2002. Or, une convergence impressionnante de remarques, dont la dimension philosophique est expressément soulignée par Saussure, justifie notre mode de questionnement, qui va tenter de mettre en évidence « l’appel » à une philosophie renouvelée du langage inscrite comme en creux dans les Ecrits de linguistique générale, sans que ces développements soient pour autant conçus par Saussure lui-même. Il ne s’agit donc aucunement d’attribuer à Saussure le développement d’une pensée, qu’il ne pouvait concevoir, mais de montrer en quoi notre contemporanéité, dans le développement allagmatique qu’elle noue avec la pensée de Saussure, permet d’établir de nouvelles relations et ainsi de progresser dans la compréhension philosophique des problèmes du langage, tels que les a posés initialement le linguiste genevoix.
2) Les implications de la critique radicale de la notion d’objet et de fait linguistiques
8Dès la préface du texte majeur intitulé De l’essence double du langage [9], Saussure souligne qu’il est impossible, en linguistique, de partir d’un point originaire et central servant de principe et de vérité fondamentale, d’où découleraient des implications successives. Car la complexité des faits linguistiques est telle qu’il y a d’emblée un écheveau de vérités entremêlées, dont aucune ne peut servir de point de départ [10]. En revanche, un certain nombre de lignes directrices essentielles peuvent être énoncées pour éviter toute confusion entre la linguistique et les sciences objectives de la nature. L’un des thèmes récurrents, qui se trouve impliqué dans toutes les prises de positions méthodologiques de Saussure, est que contrairement aux sciences dites objectives, qui se partagent l’ordre de la connaissance de la nature, il n’y a pas en linguistique d’objets ni de faits déterminés, unitaires et singuliers, initialement donnés, sur lesquels les recherches porteraient ultérieurement. Or, il ne suffit pas d’affirmer qu’un fait de langage peut être envisagé selon différents points de vue. Car, précisément il n’y a pas de fait de langage initial donné sans le point de vue qui se porte sur lui et qui permet de le considérer comme objet ou comme fait. Les paragraphes 2b : Position des identités, 2c : Nature de l’objet en linguistique, 3a : Aborder l’objet, pour ne citer que les paragraphes initiaux de l’étude, sont clairs et péremptoires à ce sujet. Le ton adopté par Saussure, dans ses notes personnelles atteste la force de sa conviction. Compte tenu que ces attitudes sont décisives pour la suite de la discussion, nous sommes conduits à leur accorder une large extension. Ainsi, peut-on lire au paragraphe 2b :
« On n’est pas dans le vrai, en disant : un fait de langage veut être considéré à plusieurs points de vue ; ni même en disant : ce fait de langage sera réellement deux choses différentes selon le point de vue. Car on commence par supposer que le fait de langage est donné hors du point de vue. Il faut dire : primordialement il existe des points de vue ; sinon il est simplement impossible de saisir un fait de langage. » [11]
10Le paragraphe suivant 2c, qui lie la constitution du fait linguistique au point de vue porté sur lui, prolonge l’affirmation en des termes tout aussi radicaux :
« La linguistique rencontre-t-elle devant elle, comme objet premier et immédiat, un objet donné, un ensemble de choses qui tombent sous le sens, comme c’est le cas pour la physique, la chimie, la botanique, l’astronomie, etc. ? En aucune façon, et à aucun moment : elle est placée à l’extrême opposite des sciences qui peuvent partir de la donnée des sens. » [12]
12Thème central, que reprend le paragraphe 3a en soulignant la primauté de ce que Saussure appelle la « généralisation », dont nous aurons à questionner le statut à l’égard des individualités déterminées. Ainsi peut-on lire :
« Or il y a ceci de primordial et d’inhérent à la nature du langage que, par quelque côté qu’on essaye de l’attaquer – justifiable ou non –, on ne pourra jamais y découvrir d’individus, c’est-à-dire d’êtres (ou de quantités) déterminés en eux-mêmes sur lesquels s’opère ensuite une généralisation. Mais il y a D’ABORD la généralisation et il n’y a rien en dehors d’elle » [13].
14Ici, apparaît la liaison de la « généralisation » à l’activité latente de l’esprit organisateur des entités linguistiques, dont on ne peut les dissocier, qui se prolonge en ces termes :
« or, comme la généralisation suppose un point de vue qui sert de critère, les premières et les plus irréductibles entités dont peut s’occuper le linguiste sont déjà le produit d’une opération latente de l’esprit. Il en résulte immédiatement que toute la linguistique revient non pas [... Une séquence manque dans le manuscrit] mais matériellement à la discussion des points de vue légitimes ; sans quoi il n’y a pas d’objet. » [14]
16Ici une question s’impose : la référence primordiale et récurrente au « point de vue » qui sous-tend tout « fait de langage » n’implique-t-elle pas qu’aucun objet ni aucun fait de langage ne puissent être repérés sans qu’ils soient liés d’emblée à la visée intentionnelle, qui les délimite comme tels ? Attitude qui unit inéluctablement la détermination d’un objet ou d’un fait linguistiques à l’intentionnalité qui lui donne sens. Car, qu’est-ce qu’un point de vue, si ce n’est une visée intentionnelle particulière ?Situation qui implique, dès lors, de prendre toujours en considération l’intentionnalité en acte ou l’intentionnalité opérante sous-jacentes à l’émergence d’un objet ou d’un fait linguistiques, qui, de ce fait, ne sont ni des objets, ni des faits relevant d’une science strictement objective. Bien au contraire, dans le fragment 3a, cité plus haut, le fait que Saussure considère les « premières et les plus irréductibles entités dont peut s’occuper le linguiste », comme étant déjà « le produit d’une opération latente de l’esprit », suggère un mouvement « opératoire » à caractère « intentionnel », comme sous-jacent à toute détermination ultérieure de la science linguistique. C’est en fait l’intentionnalité opérante qui est ici en cause. Problème que nous aurons à approfondir, quand nous aurons progressé dans la compréhension des réseaux différentiels à caractère « diacritique », que le linguiste genevoix cherche à établir dans un cadre de réflexion qu’il qualifie lui-même de philosophique.
3) Examen critique des données acoustiques et physiologiques, susceptibles de constituer une entité linguistique initiale.
17L’impossibilité de constater à l’origine de la démarche linguistique une donnée de fait objective ayant une réalité indépendante du point de vue qui se porte sur elle, telle qu’elle pourrait servir de point de départ aux recherches scientifiques sur le langage, apparaît dans le refus de conférer aux données acoustiques ou physiologiques la constitution primordiale d’entités linguistiques. Car, seule la liaison d’une idée à l’entité objective scientifiquement sélectionnée sur le plan de la sensation auditive peut constituer l’amorce d’une démarche linguistique. La prise de position de Saussure est ferme à ce sujet. Elle interdit radicalement à la science linguistique de se fonder sur des analyses strictement acoustiques ou physiologiques relevant du seul domaine des sens. Ainsi, peut-on lire à la suite de la citation du paragraphe 2c, intitulé « Nature de l’objet en linguistique », la prise de position suivante :
« Une succession de sons vocaux, par exemple mer (m + e + r), est peut-être une entité rentrant dans le domaine de l’acoustique, ou de la physiologie ; elle n’est à aucun titre, dans cet état, une entité linguistique. Une langue existe si à m + e + r s’attache une idée. » [15]
19C’est donc, d’emblée, à une problématique à « visée éidétique » que Saussure lie ses approches sur le langage. Ce qui situe les premières démarches linguistiques, en leurs principes fondamentaux, dans une perspective à caractère « intentionnel », qui rend légitime le dialogue à caractère allagmatique entre phénoménologie et linguistique, annoncé plus haut.
4) Hétérogénéité et dualité des entités linguistiques, caractérisées comme « faits de conscience pure »
20Les quatre conséquences que Saussure tire de cette première considération sur la liaison linguistique nécessaire entre une suite, ou si l’on veut une séquence acoustique, et l’idée qui l’anime ne font que renforcer la dimension de visée intentionnelle sous-jacente à toute configuration structurale linguistique possible et à toute élaboration de réflexion concernant cette configuration. La première conséquence met en évidence le caractère « idéel » et intentionnel de toute entité linguistique, irréductible à une réalité objective matériellement sensible :
«... il n’y a point d’entité linguistique qui puisse être donnée, qui soit donnée immédiatement par le sens; aucune n’existant hors de l’idée qui peut s’y attacher » [16].
22La deuxième concerne le caractère immédiatement hétérogène de l’entité linguistique, dont la dualité est originairement constitutive de sa manifestation. Ce qui élimine l’idée d’une donnée linguistique primordiale « simple » :
«... il n’y a point d’entité linguistique parmi celles qui nous sont données qui soit simple, puisque étant réduite même à sa plus simple expression elle oblige de tenir compte à la fois d’un signe et d’une signification, et que lui contester cette dualité ou l’oublier revient directement à lui ôter son existence linguistique, en la rejetant par exemple dans le domaine des faits physiques » [17].
24La troisième énonce de manière succincte le principe de l’arbitraire du signe selon lequel il n’y a rien de commun, dans son essence, entre le signe et ce qu’il signifie. Ce principe découle de la complexité et de l’hétérogénéité du signe linguistique, dont les composantes, jamais données à l’état simple, ne peuvent engendrer une référence linéaire entre leur structure complexe et l’idée qu’ils véhiculent et qu’ils portent à l’expression. C’est précisément parce que le signe linguistique, dans son essence, n’est pas un objet ou un fait de nature qu’aucun « lien naturel » ne le lie à ce qu’il vise et désigne. Situation qui éclaire d’un jour nouveau la conception de l’arbitraire du signe linguistique, telle qu’elle apparaissait dans les interprétations des rédacteurs du Cours de linguistique générale de 1916. En ce sens, la critique radicale que Benveniste a adressée à la thèse saussurienne de l’arbitraire du signe, dont nous avons fait état dans Le temps des signes [18] et dans l’Introduction au logos du monde esthétique [19], doit être nuancée.
25La quatrième conséquence concerne les problèmes de classification. Problèmes complexes, puisque les entités linguistiques (signes-idées) ne sont jamais simples, mais toujours et déjà constituées de liaisons entre des objets hétérogènes, irréductibles au classement linéaire que des signes ou des idées pourraient motiver. En ce sens, les grammaires fondées sur le signe ou les idées sont erronées et incomplètes les unes et les autres. Ainsi peut-on lire :
«... L’entreprise de classer les faits d’une langue se trouve donc devant ce problème : de classer des accouplements d’objets hétérogènes (signes-idées), nullement, comme on est porté à le supposer, de classer des objets simples et homogènes, ce qui serait le cas si on avait à classer des signes ou des idées. Il y a deux grammaires, dont l’une est partie de l’idée, et l’autre du signe ; elles sont fausses ou incomplètes toutes deux. » [20]
27Dès lors, il n’y a pas d’un côté des « formes » linguistiques et de l’autre des « idées ». N’existent que les « points de jonction des deux domaines » [21]. Aussi, toute comparaison avec les corps chimiques composés de corps simples est-elle illusoire. Ce serait plutôt du côté des « mélanges chimiques », tels que l’air composé d’oxygène et d’azote que la comparaison pourrait être établie [22] :
« Les éléments premiers sur lesquels portent l’activité et l’attention du linguiste sont donc non seulement d’une part des éléments complexes, qu’il est faux de vouloir simplifier, mais d’autre part des éléments destitués dans leur complexité d’une unité naturelle, non comparables à un corps simple chimique ni davantage à une combinaison chimique, très comparables si l’on veut en revanche à un mélange chimique, tel que le mélange de l’azote et de l’oxygène dans l’air respirable » [23].
29La question qui se pose, à laquelle ne répond pas vraiment Saussure, est de savoir ce qu’est cette « unité naturelle », dont les éléments repérés par le linguiste sont « destitués dans leur complexité ». Que faut-il entendre par cette expression énigmatique, que la comparaison rapide avec le « mélange » de l’air composé d’azote et d’oxygène [24] ne permet pas vraiment de clarifier ? Faut-il entendre que les éléments repérés par le linguiste sont englobés dans une unité « générale » plus complexe et plus vaste, qui relève des phénomènes de « conscience pure » ? Ce qui impliquerait que, conformément à sa vocation de « philosophe du langage », Saussure conçoive dans un cadre philosophique, qui déborderait les limites d’une recherche linguistique à caractère strictement objectif, l’unité de conscience sous-jacente à toutes les manifestations d’expression linguistique. Ce que semble attester la fin du même paragraphe 2a, intitulé « De l’essence double : principe ‘‘ premier et dernier ’’de la dualité » [25].
30En effet, revenant sur la comparaison avec l’air composé d’oxygène et d’azote, Saussure réfute l’objection selon laquelle son raisonnement serait fallacieux (comparaison grossière) [26] du fait que les deux éléments de l’air sont matériels, alors que la dualité du mot relève de l’alliance du domaine physique et psychologique [27]. C’est en fait ce type de dualité, qu’une lecture tendancieuse du Cours a contribué à propager dans de nombreux esprits, selon laquelle le signe linguistique serait composé d’une « image acoustique », strictement matérielle et sensible et d’un concept abstrait. Ce qui correspond au couple signifiant/signifié. Situation qui réintroduit le dualisme de l’esprit et de la matière au sein du signe linguistique. Lecture effectivement tendancieuse, car la célèbre définition du Cours de linguistique générale n’a jamais présenté l’image acoustique en termes strictement matériels. On peut lire en effet :
« Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique [28]. Cette dernière n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; et s’il nous arrive de l’appeler « matérielle », c’est seulement dans ce sens et par opposition à l’autre terme de l’association, le concept, généralement plus abstrait. » [29]
32Si l’on confronte la définition du Cours portant sur la dualité du mot, telle que l’ont transmise les rédacteurs au texte manuscrit de l’Orangerie, on peut noter que Saussure confère une dimension globalement « spirituelle » à l’unité du signe linguistique, et non une dimension mixte, à la fois matérielle et spirituelle. Ainsi, écrit-il, dans un texte décisif :
« Finalement on dira que la comparaison est grossière en ce que les deux éléments de l’air sont matériels, pendant que la dualité du mot représente la dualité du domaine physique et psychologique. Cette objection se présente ici incidemment et comme sans importance pour le fait linguistique ; nous la saisissons au passage pour la déclarer non avenue et directement contraire à tout ce que nous affirmons. Les deux éléments de l’air sont dans l’ordre matériel, et les deux éléments du mot sont réciproquement dans l’ordre spirituel ; notre point de vue constant sera de dire que non seulement la signification mais aussi le signe est un fait de conscience pur. (Ensuite que l’identité linguistique dans le temps est simple) » [30]
34Dès lors le sens à accorder au dualisme linguistique est-il totalement « intérieur » au domaine psychique. Mais alors, comment concevoir le dualisme revendiqué comme tel par Saussure, car la notion d’« image acoustique », telle qu’elle apparaît dans la définition célèbre du Cours, dans son union au concept, n’est pas récusée par les notes de l’Orangerie. Elle requiert cependant d’être nuancée pour la dégager d’une conception strictement « physicaliste », qui la réduirait à une succession d’ondes sonores matérielles, que Saussure conteste radicalement en qualifiant cette entité de « figure vocale », étrangère à la problématique linguistique.
35L’important paragraphe 2, intitulé « Principe de dualisme », requiert en ce point attention, car Saussure oppose au dualisme du fait physique du son lié au fait mental de l’idée – qu’il qualifie de « façon facile et pernicieuse de concevoir le dualisme » – le domaine psychique qu’il qualifie d’intérieur, où le signe est indissolublement lié à la signification. Dualisme qualifié de « profond », qui réside dans l’union d’emblée complexe du « phénomène vocal comme tel » et du « phénomène vocal comme signe ». La succession des ondes sonores, qui relèvent d’un phénomène strictement physique, étant rejetée hors du domaine de la linguistique, au titre de « figure vocale ». Selon cette perspective, Saussure énonce ces propositions capitales :
« Le dualisme profond qui partage le langage ne réside pas dans le dualisme du son et de l’idée, du phénomène vocal et du phénomène mental ; c’est là la façon facile et pernicieuse de le concevoir. Ce dualisme réside dans la dualité du phénomène vocal COMME TEL, et du phénomène vocal COMME SIGNE – du fait physique (objectif) et du fait physico-mental (subjectif), nullement du fait « physique » du son par opposition au fait « mental » de la signification. Il y a un premier domaine, intérieur, psychique, où existe le signe autant que la signification, l’un indissolublement lié à l’autre ; il y en a un second, extérieur, où n’existe plus que le « signe », mais à cet instant le signe réduit à une succession d’ondes sonores ne mérite pour nous que le nom de figure vocale. » [31]
37Ce texte permet-il de lever toute ambiguïté sur le « principe de dualisme » ? A notre sens, pas totalement, car, si le dualisme frontal entre son physique matériel et idée est écarté, quel sens exact accorder au phénomène vocal COMME TEL, uni au phénomène vocal COMME SIGNE ?Comment, d’autre part concevoir le « domaine intérieur, psychique où existe le signe autant que la signification », les deux étant présentés comme indissolublement unis ? Puisque nous sommes en régime d’intentionnalité, la question du « point de vue » étant d’emblée et indissolublement liée à la mise en évidence des faits linguistiques, l’analyse de Saussure requiert d’être approfondie sur le plan intentionnel, pour que la distinction entre les deux « phénomènes vocaux », COMME TEL et COMME SIGNE, puisse être clarifiée. Or, le complément séparé par un tiret qui s’énonce ainsi « – du fait physique (objectif) et du fait physico-mental (subjectif) », loin d’apporter une clarification ne fait qu’accroître l’embarras, car on ne comprend pas en quoi « l’objectif », lié au « subjectif » peut rendre compte de la difficulté de l’union d’un son et d’une idée, récusée initialement dans le même paragraphe. Il y a, à ce niveau précis de la discussion, des éléments du débat qui n’ont pas été introduits par Saussure, qui pourraient permettre de clarifier ces incertitudes.
5) Du mot comme entité illusoire. Son intégration à la conscience
38Examinons, en premier lieu, si les difficultés rencontrées dans la détermination du signe linguistique – dont la complexité interdit de parler d’entité unitaire simple – pourraient être levées, si la quête de l’unité élémentaire du langage se portait sur la problématique du mot. L’important paragraphe 29b, intitulé « Différence et entités » permet de répondre par la négative. En effet, des trois façons dont la linguistique peut se représenter le mot, les deux premières, dans leur volonté d’objectivation absolue ou relative, manquent la valeur différentielle du mot, dont le champ opératoire réside dans l’esprit [32], mais qui ne peut être traité comme une réalité en soi. La description que Saussure donne de ces attitudes mérite attention. La première attitude consiste à conférer au mot une réalité objective extérieure à nous : celle matérielle consignée par le dictionnaire, et à conférer au sens la réalité d’un attribut qui aurait aussi une existence objective, indépendante de la conception que chaque homme peut s’en faire. Selon cette attitude, mot et sens constituent artificiellement deux entités objectives indépendantes [33].
39La deuxième attitude, tout en conférant au mot une existence autonome extérieure à l’homme, considère le sens comme interne à notre esprit. Attitude qui développe un dualisme matérialiste et spiritualiste du mot et du sens, qui aggrave la conception dualiste du signe composé d’une image acoustique matérielle, que Saussure récuse sous le nom de « figure vocale » et d’un concept abstrait [34].
40La troisième conception adoptée par Saussure est que le mot est un phénomène de conscience, qui n’a d’existence que par l’usage opératoire que le titulaire du langage en fait. Ce qui met en évidence sa valeur strictement différentielle au sein de la phrase et son étrangeté à l’égard de toute idée d’entité positive, unitaire, qu’on serait tenté de lui conférer, laquelle se révèle, dès lors, imaginaire. Saussure s’exprime en ces termes :
« La troisième est de comprendre que le mot pas plus que son sens n’existe hors de la conscience que nous en avons, ou que nous voulons bien en prendre à chaque moment. » [35]
42Or, aux yeux de Saussure, la revendication de la dimension de phénomène de conscience, c’est-à-dire de visée intentionnelle, qu’il confère au mot, ne relève aucunement de la métaphysique. Il énonce explicitement
« Nous sommes très éloignés de vouloir faire ici de la métaphysique. Un mot n’existe véritablement, et à quelque point de vue qu’on se place, que par la sanction qu’il reçoit de moment en moment de ceux qui l’emploient. » [36]
44C’est alors que l’affirmation d’un système de différences généralisées, comme constituant la trame opératoire du langage s’énonce avec force : le mot n’ayant d’autre unité que celle d’un point de cristallisation provisoire, que lui confère l’observateur théoricien, au sein d’un jeu différentiel. Attitude qui lui donne l’apparence d’une unité qui se révèle imaginaire, bien qu’utile pour tenter de comprendre la complexité des faits de langage.
« Comme il n’y a aucune unité (de quelque ordre et de quelque nature qu’on l’imagine) qui repose sur autre chose que des différences, en réalité l’unité est toujours imaginaire, la différence seule existe. » [37]
46Dès lors, le caractère unitaire et positif que l’on accorde au mot n’apparaît que comme un expédient pratique pour détecter des points de repères provisoires dans le langage.
« Nous sommes forcés de procéder néanmoins à l’aide d’unités positives, sous peine d’être dès le début incapables de maîtriser la masse des faits. Mais il est essentiel de se rappeler que ces unités sont un expédient inévitable de notre (un mot manque), et rien de plus » [38]
6) De l’esprit comme lieu où le mot prend sens
48C’est ici que la dimension de visée intentionnelle, que nous avions repérée comme sous-jacente à la dimension opératoire du signe linguistique, s’identifie à celle strictement « spirituelle » conférée au champ opératoire où s’exerce l’action des mots porteurs de sens.
« Ainsi le lieu du mot, la sphère où il acquiert une réalité, est purement l’ESPRIT, qui est aussi le seul lieu où il ait son sens » [39].
50Dès lors, la question de la conscience que l’on a du mot ne peut être dissociée de la conscience de son sens [40]. Problème aussi difficile à résoudre que celui qui consisterait à distinguer la conscience que l’on a de telle ou telle couleur dans un tableau, de la valeur qu’elle prend selon sa distribution et sa position relative sur la toile [41]. Selon cette position relative, le spectateur peut être conduit à préciser la notion de couleur par celle de ton, comme la conscience que l’on a du mot peut être précisée par celle d’expression de l’idée ou de terme significatif, bien que ces nuances soient comprises dans la notion de mot.
« On appellera peut-être dans ce cas la couleur un ton, et le mot une expression de l’idée, un terme significatif, ou simplement encore un mot, car tout paraît être réuni dans le mot mot; mais il n’y a pas de dissociation positive entre l’idée du mot et l’idée de l’idée qui est dans le mot » [42].
52Attitude compréhensible, si l’on admet que le mot n’est que le point de fixation provisoire pratique à déterminer dans une chaîne opératoire à caractère différentiel, cependant inconcevable hors de la visée intentionnelle globale, qui le met en œuvre. Raison qui conduit Saussure à affirmer :
« Le lieu du mot, la sphère où il acquiert une réalité, est purement l’esprit, qui est aussi le seul lieu où il ait son sens. » [43]
7) De la dimension opératoire des systèmes linguistiques à caractère différentiel constituant la trame intentionnelle du langage
54Nous voici, dès lors, projetés sur la question entrelacée de la valeur, du sens, de la signification, de la fonction et de l’emploi d’une forme linguistique, qu’on la qualifie de signe ou qu’on la qualifie de mot. Les deux paragraphes 3f et 3g intitulés « Valeur, sens, signification » et « valeur et formes » vont conduire à une dimension en fait opératoire des systèmes à caractère différentiel constituant la trame intentionnelle du langage, essentielle à la compréhension de la dynamique génétique du sens, irréductible à un problème objectif de structure. A ce titre, la première proposition du paragraphe 3f est capitale dans son énoncé, dont toutes les implications cependant ne sont pas expressément formulées par Saussure, quoique le rapprochement opéré entre les sept termes présentés comme synonymes mette en évidence une ligne de force à caractère opératoire, qui se dégage de cette mise en rapport. Lisons-la attentivement : « Nous n’établissons aucune différence sérieuse entre les termes valeur, sens, signification, fonction ou emploi d’une forme, ni même avec l’idée comme contenu d’une forme ; ces termes sont synonymes. » [44]
55Si l’on regarde de près la série des sept termes réunis dans une équivalence de synonymes, quatre ont une dimension en quelque sorte statique, à savoir sens, signification, idée et contenu, quand trois ont une dimension opératoire, à savoir valeur qui, précise Saussure, a le sens de « qui vaut » pour fonction et emploi. En effet, il n’y a pas de fonction, d’emploi ou de situation qui « vaut pour » sans une opération intentionnelle qui oriente la fonction, la valeur et l’emploi. Ici, une remarque s’impose, car seuls ces trois termes ont une dimension dynamique dans la chaîne des termes posés comme synonymes. Or, à partir du moment où le « surplus » opératoire est intégré dans une même chaîne de synonymes, c’est ce surplus de sens, dans son caractère dynamique, qui oriente l’interprétation globale à donner à la série des termes choisis. Sinon ils ne seraient pas synonymes, mais complémentaires. Ce qui n’est pas la même chose. En d’autres termes, sens et signification comportent une dynamique opératoire, que seuls les termes de valeur, de fonction et d’emploi permettent de mettre en évidence. La question qui se pose, dès lors, à l’horizon de cette constatation, est la suivante : qu’est-ce qui, dans le réseau à caractère différentiel du langage – que Saussure va mettre en évidence – permet de comprendre ce qui anime la valeur, la fonction et l’emploi ? Nous montrerons que c’est la dimension de temporalité, dans son opération d’écart « ek-statique » à distance de soi, qui engendre les différences constituant le système diacritique du langage. Démonstration éminemment philosophique, conforme à la vocation que Saussure ne cesse de conférer à ses réflexions sur le langage, mais qu’il n’invoque pas, car il ignorait cette problématique phénoménologique. Ce que seul un rapprochement à caractère « allagmatique » permet d’opérer, sans attribuer à Saussure des considérations qui ne pouvaient être les siennes, car nous projetons, dès lors, la discussion à un autre niveau que celui strictement lié aux connaissances philosophiques partielles de Saussure.
8) Dimension allagmatique du problème.
56Sans entrer dans le détail d’une méthode que nous avons développée à plusieurs reprises ailleurs [45], rappelons brièvement que allagma signifie en grec « changement, échange ». C’est cette double dimension que Simondon problématise au-delà d’une confrontation strictement épistémologique. Car elle met en œuvre une approche renouvelée des échanges et des changements transformationnels susceptibles de constituer une ontogenèse de l’individu et de développer une énergétique des échanges modificateurs de structures, au sein d’opérations situées dans l’intervalle qui sépare des sciences et des attitudes philosophiques ayant une convergence de problématique, laquelle devient manifeste sitôt que sont examinés leurs rapports mutuels. Les rapports apparaissent, dans leur dimension opératoire, selon le style de l’étude des intervalles qui séparent telle science objective de telle autre science, mais aussi de telle attitude philosophique.
57Si les premiers exemples donnés par Simondon, dans le Supplément cité en introduction, se réfèrent aux sciences objectives, ce qui semble conférer à la méthode un caractère strictement épistémologique, rapidement Simondon révèle une dimension allagmatique dans les approches platoniciennes du Sophiste, comme dans la conception cartésienne du Cogito. D’autre part, la confrontation entre la méthode allagmatique et l’Éthique, au fondement substantialiste, éternel et immuable de Spinoza, atteste que cette méthode dépasse un caractère strictement scientifique ou métaphysique, dans le sens où, dans son fondement, se trouve impliquée une problématique de l’être sous-jacente à l’idée de structure et aux significations objectivées. Ainsi, la mise en œuvre de la méthode allagmatique dépasse-t-elle l’étude d’une théorie ou d’une pratique scientifiques singulières, dans le sens où les opérations étudiées sont mises en rapport avec des disciplines différentes, qui, à première vue seulement, peuvent paraître étrangères les unes aux autres, comme c’est le cas avec la linguistique et la phénoménologie, que Simondon n’examine pas dans ses recherches. Ce qui n’interdit aucunement de pratiquer une méthode de style allagmatique dans le champ philosophique et linguistique du langage. La méthode allagmatique permet justement de révéler les convergences. Selon cette perspective, Simondon écrit :
« L’allagmatique est la théorie des opérations. Elle est, dans l’ordre des sciences, symétrique à la théorie des structures, constituée par un ensemble systématisé de connaissances particulières : astronomie, physique, chimie, biologie. » [46]
59Nous verrons que cette symétrie peut être remise en question. Quoi qu’il en soit, dans le paragraphe suivant, Simondon mentionne qu’aucun domaine objectif ne permet de préciser par lui-même la démarche de cette méthode, car elle se situe dans les intervalles que le chercheur peut découvrir entre les sciences constituées.
« Un intervalle signifie en effet possibilité d’un rapport et un rapport implique opération. » [47]
61C’est cette situation que nous chercherons à mettre en évidence dans les mouvements opératoires sous-jacents aux relations différentielles que Saussure révèle entre les signes, bien qu’il ne questionne pas ces mouvements opératoires en tant que tels. Or l’étude des opérations qui se dégagent de l’examen des rapports situés dans l’intervalle qui sépare deux sciences aux objectifs constitués, permet de dégager un « dynamisme transformateur » [48] conduisant à un système de classification des grandes catégories d’opérations d’après leurs caractéristiques intrinsèques [49]. Simondon présente l’opération comme le dynamisme conduisant à la formation d’une structure ou à sa modification, la structure résultant toujours d’une construction. Il se trouve que l’interprétation strictement structuraliste de la pensée de Saussure laisse échapper le dynamisme opératoire capable de rendre compte du jeu différentiel qui anime la vie des signes. En fait, structure et opération se trouvent dans un rapport de complémentarité ontologique [50], comme le sont, au sein du Cogito, la certitude d’être à caractère ontologique et opératoire, et les contenus de pensée à caractère structural, qui constituent la thématique du Cogito [51]. Ce sont donc les deux versants, l’un dynamique, l’autre statique d’un même acte. Au système structural se joint un système opératoire, dont l’allagmatique développe le mode de questionnement. Il y a donc une dimension énergétique et génétique de l’allagmatique, qui permet de saisir la formation et la modification des états structuraux, qui touche à l’ontogenèse et « s’inscrit dans le devenir des systèmes » [52]. La notion de théorie des échanges et des modifications des états structuraux réapparaît au cœur de la définition de l’allagmatique donnée dans la conclusion de l’ouvrage :
« Au fondement de l’ontogenèse, il y a une théorie générale des échanges et des modifications des états, que l’on pourrait nommer allagmatique. » [53]
63Cette attitude conduit à accorder à l’allagmatique la fonction d’étudier la genèse des individus, qui relèvent de l’état provisoirement stabilisé du processus d’individuations, « à partir d’un certain nombre de conclusions énergétiques et structurales » [54]. Or, à partir du moment où, au cœur des processus métastables, qui sont, selon l’expression de Simondon, plus qu’unité, plus qu’identité et plus qu’altérité, les processus « transducteurs » individualisent du même mouvement où ils temporalisent [55], il n’est pas possible d’étudier le processus opératoire qui engendre les individualités, hors d’une problématique de la temporalité. Celle-ci n’étant autre que le mouvement individualisant selon lequel un système métastable préindividuel s’actualise. Raison pour laquelle il importe de mettre en évidence le mouvement temporalisateur qui dynamise le système différentiel repéré par Saussure, comme constituant le jeu primordial des échanges entre les signes.
9) De la dynamique temporalisatrice, à caractère opératoire du langage
64Certes, il ne s’agit pas d’attribuer à Saussure une démonstration qu’il n’a pas développée lui-même, mais de manière radicalement différente de mettre en rapport allagmatique sa réflexion avec sa charge de pensée philosophique revendiquée comme telle – qui dessine une orientation à caractère opératoire que l’on peut découvrir comme sous-jacente à ses prises de position – et la méditation phénoménologique contemporaine sur la notion de temps, qui permet de conférer une dynamique aux notions de valeur, de fonction et d’emploi, que Saussure pose comme synonymes des notions de sens et de signification.
65Selon cette perspective c’est moins la dimension structurale de la pensée de Saussure qui est à prospecter, que sa dimension opératoire latente ; là se situe la clef de l’énigme de la genèse du sens, tel qu’il se profère dans le réseau différentiel du langage, que Saussure pose expressément comme interne à l’esprit. Bien plus, si l’on veut aller au fond du problème, c’est un schématisme transcendantal interne à l’esprit, bien que déployé dans le réseau à caractère différentiel, temporalisateur des signes, qu’il s’agit de mettre en évidence [56], par le rapprochement allagmatique que nous opérons avec Kant, en nous souvenant que Saussure pose le réseau à caractère différentiel des signes linguistiques, tels qu’ils se disposent sur la page ou dans l’élocution verbale, comme interne au « lieu de l’esprit » [57]. Or, en soulignant la dimension opératoire majeure de la notion de valeur, dans son caractère de synonyme de sens et de signification, nous ne forçons pas la pensée de Saussure, puisque dès la proposition suivante, le fondateur de la linguistique moderne écrit :
« Il faut reconnaître toutefois que valeur exprime mieux que tout autre mot l’essence du fait, qui est aussi l’essence de la langue, à savoir qu’une forme ne signifie pas, mais vaut : là est le point cardinal. Elle vaut, par conséquent elle implique l’existence d’autres valeurs. » [58]
67Comment mieux souligner, dans le jeu noué entre termes formant synonymes, la dépendance du sens et de la signification à l’égard de la valeur, ou plutôt la dépendance de l’acte de signifier à l’égard de l’acte de valoir pour ? Or, les notions de fonction et d’emploi, posées comme synonymes de celles de valeur, soulignent la dimension opératoire et non celle simplement structurale et statique de sens et de signification. C’est dans l’intervalle imperceptible, qui distingue un mouvement opératoire de la figure structurale qu’il anime, que se situe la dynamique permettant de comprendre comment les signes communiquent entre eux. Imperceptible, car la dimension temporalisatrice est irréductible aux termes sur lesquels elle porte, qu’une lecture structurale met aisément en évidence.
68Or la deuxième partie du paragraphe 3f soulignel’homogénéité du règne des signes avec celui des significations, c’est-à-dire, en fait, des mouvements opératoires qui animent la fonction, l’emploi et la valeur des mots, que les réseaux différentiels, les mettant en rapport, déploient temporellement dans le jeu diacritique qui anime globalement le langage.
« Or, du moment qu’on parle des valeurs en général, au lieu de parler par hasard de la valeur d’une forme (laquelle dépend absolument de ces valeurs générales), on voit que c’est la même chose de se placer dans le monde des signes ou dans celui des significations, qu’il n’y a pas la moindre limite définissable entre ce que les formes valent en vertu de leur différence réciproque et matérielle, ou ce qu’elles valent en vertu du sens que nous attachons à ces différences. C’est une dispute de mots. » [59]
70Ici, deux remarques s’imposent : d’une part, il est clair que la valeur, au sens expressément souligné par Saussure de « ce qui vaut pour », est liée au champ opératoire à caractère différentiel, qui caractérise le langage, car le sens invoqué est sous-tendu par le jeu des différences, qui rythment la fonction et l’emploi des significations. D’autre part, la difficulté à détecter la moindre limite définissable entre mouvement opératoire, qui « vaut pour » et signification structurale repérée comme telle, est conforme à ce que la méthode allagmatique met en évidence, en ce qui concerne la différence imperceptible qui sépare une opération d’une structure sur laquelle elle porte.
71Or, s’il y a une identité qui se noue entre le sens qui apparaît et les différences qui se déploient dans la trame du langage, encore faut-il mettre en évidence le mouvement opératoire qui active ces différences, ce que seule la mise en évidence du caractère temporalisateur intrinsèque à la structure des signes, dans le jeu d’échanges in praesentia et in absentia, qu’ils nouent entre eux, permet de détecter [60].
72Dès lors, si :
« Le sens de chaque forme, en particulier, est la même chose que la
différence des formes entre elles. Sens = valeur différente » [61]. Encore faut-il
que la « valeur différente » rende compte de l’émergence du sens par la
dimension dynamique opératoire de sa fonction et de son emploi, qui sont
des mouvements temporalisateurs. Ce n’est donc pas un sens statique déjà
donné, comme une réalité objective, indépendante de son usage, donc de sa
dynamique temporalisatrice, individualisante, qui permet de rendre compte
de sa fonction et de son emploi. Et cependant, déclare Saussure, il n’est pas
possible d’établir des différences de formes entre elles :
« La différence des formes entre elles ne peut être établie toutefois » [62].
74Proposition lapidaire, qui demeure énigmatique tant qu’on n’inclut pas les différences relatives à l’émergence de chaque forme singulière dans le jeu différentiel global qui anime l’esprit. Or, à partir de ce moment, il devient nécessaire de reconnaître, comme sous-jacent au jeu différentiel de l’esprit, le mouvement ek-statique temporalisateur, opératoire, à partir duquel l’acte du différer, qui n’est autre qu’un processus d’individuation en cours, se déploie [63]. En fait, la primauté de la dynamique opératoire globale qui rythme les réseaux à caractère différentiel, à l’égard de la dimension statique des formes, des sens, des signes et des significations, s’affirme avec netteté dans le paragraphe suivant. Situation qui implique, si on veut aller au bout de l’analyse, de mettre en évidence le mouvement temporalisateur, individualisant, qui anime l’acte opératoire du différer. Suivons de près le texte de Saussure :
« On ne saurait assez insister sur ce fait que les valeurs dont se compose primordialement un système de langue (un système morphologique), un système de signaux, ne consistent ni dans les formes ni dans les sens, ni dans les signes, ni dans les significations. » [64]
76Ici, l’acte de ce qui « vaut pour » est retranché catégoriquement de la dimension statique des entités du langage que sont les formes, les sens, les signes et les significations, lesquels ne correspondent qu’à des points de fixation seconds, prélevés sur le système des réseaux différentiels, qui sont globalement animés par la dynamique d’un mouvement opératoire, dont il convient de questionner le statut.
« Elles (les valeurs) consistent dans la solution particulière d’un certain rapport général entre les signes et les significations, fondé sur la différence générale des signes plus la différence générale des significations plus l’attribution préalable de certaines significations à certains signes ou réciproquement. » [65]
10) Réseaux différentiels et activité temporalisatrice
78Dès lors, sous-jacente au jeu différentiel généralisé, qui concerne les signes et les significations, lequel implique nécessairement l’attribution antérieure de certaines significations accordées aux signes et de certains signes conférés aux significations [66], se déploie une dynamique opératoire, qui est pré-conceptuelle, puisqu’elle est sous-jacente à l’ordre des significations, qu’il n’est pas inopportun de mettre en rapport allagmatique avec le schématisme transcendantal kantien [67]; non, certes, pour réduire l’un des deux mouvements à l’autre, ce qui n’aurait aucun sens, mais pour dégager de ces rapprochements une problématique neuve, permettant de progresser dans l’entente à accorder au jeu différentiel qui anime dynamiquement les réseaux du langage. Car on ne peut invoquer exclusivement le jeu des différences sans s’interroger sur la nature du mouvement qui les conduit à « jouer » entre elles [68]. La primauté de la dynamique opératoire sur le caractère statique accordé aux idées et aux formes, conçues comme des entités ayant par elles-mêmes un sens déjà donné, apparaît dans la proposition suivante, qui se donne comme la conclusion du paragraphe précédent :
« Il y a donc d’abord des valeurs morphologiques : qui ne sont pas des idées et pas davantage des formes. » [69]
80Entendons par là, des actes intentionnels qui « valent pour » « en vertu » c’est-à-dire selon leur force dynamique, « virtus ». Ce que le paragraphe 3f qualifiait de « leur différence réciproque et matérielle... ou en vertu du sens que nous attachons à ces différences. » [70]
81Or, pour distinguer une forme d’une simple « figure vocale », c’est-à-dire d’une donnée physique acoustique, Saussure requiert deux conditions qui n’en forment, en fait, qu’une :
« l° que cette forme ne soit pas séparée de son opposition avec d’autres formes simultanées ; 2° que cette forme ne soit pas séparée de son sens. » [71]
83La deuxième condition revient, en fait, à l’énoncé de la première, car le sens n’apparaît que par le jeu d’oppositions à caractère différentiel que les formes établissent entre elles dans le système diacritique de la phrase. Ce qu’énonce la proposition suivante :
« Les deux conditions sont tellement la même qu’en réalité on ne peut pas parler de formes opposées sans supposer que l’opposition résulte du sens aussi bien que de la forme. » [72]
85Le dernier paragraphe de cette importante séquence 3g souligne en conclusion générale l’impossibilité de définir une forme au niveau statique, d’une unité phonétique ou d’une unité de sens considérées comme réalité en soi.
« On ne peut pas définir ce qu’est une forme à l’aide de la figure vocale qu’elle représente, pas davantage à l’aide du sens que contient cette figure vocale. » [73]
87Seul le mouvement opératoire complexe, mettant en œuvre le jeu différentiel général qui dynamise le système diacritique de la phrase, impliquant lui-même jeu différentiel entre figures vocales et sens, permet de situer le lieu de gestation du sens : à savoir le lieu où l’esprit pense [74]. Or, en déclarant :
« On est obligé de poser comme fait primordial le fait GENERAL COMPLEXE et composé de DEUX FAITS NEGATIFS de la différence générale des figures vocales jointe à la différence générale des sens qui s’y peuvent attacher. » [75]
89Saussure attire l’attention sur un champ travaillé par la négativité liée au jeu différentiel, qui ne peut « différer », c’est-à-dire engendrer un écart entre deux mouvements eux-mêmes animés d’écarts, d’où émergera le sens, que par un travail du négatif, qui implique inéluctablement de prendre en compte la dimension temporalisatrice ek-statique de l’intentionnalité du « point de vue », qui anime le jeu différentiel global à caractère diacritique de la phrase. Mouvement opératoire qui ne peut, en fait, s’accomplir que par l’acte intentionnel de lecture, qui l’anime comme tel, qui est toujours impliqué par Saussure par la notion de « point de vue ». Eliminer cette dimension centrale de la problématique de Saussure, dont nous avons pu mesurer l’importance, c’est réduire le champ opératoire diacritique du langage à un jeu mécanique structural de permutations codées entre les signes. Attitude qui fut effectivement celle du structuralisme des années 1960, qui n’a vu dans le Cours de linguistique générale, qu’une invitation expéditive à pratiquer un jeu sémiotique, noué entre des significations déjà instituées, servant de relais aux codes mécaniques à caractère strictement structural, dont l’ambition était d’expliquer la genèse de la pensée, alors que c’est la pensée opératoire sous-jacente au jeu différentiel de la phrase toujours animée d’un « point de vue », à caractère « intentionnel », qui cristallise les recherches laissées en suspens par Saussure. Raison pour laquelle Saussure affirme que la sphère où le mot « acquiert une réalité », qui « est aussi le seul lieu où il ait son sens » « est purement l’esprit » [76].
90On peut multiplier les citations où Saussure souligne le caractère différentiel des jeux de langage qui dessinent le contexte même de la discussion concernant la genèse du sens. Ainsi, dans le paragraphe 6c, intitulé « Forme », on peut lire, écrit en lettres capitales :
« Forme implique : DIFFERENCE : PLURALITÉ. (SYSTEME ?). SIMULTA-NEITE. VALEUR SIGNIFICATIVE. » [77]
92Rappelons qu’au sein de ce système d’équivalences, la « VALEUR SIGNIFICATIVE » doit être prise au sens opératoire de ce qui « vaut pour », ce qui introduit une dimension intentionnelle au sein de la différence, qui n’est autre que celle du « point de vue », dont il s’agit précisément de questionner le statut. Le paragraphe s’achève en ces termes :
« En résumé : FORME = Non pas une certaine entité positive d’un ordre quelconque, et d’un ordre simple ; mais l’entité à la fois négative et complexe : résultant (sans aucune espèce de base matérielle) de la différence avec d’autres formes COMBINÉE avec la différence de signification d’autres formes. » [78]
94Ce qu’il importe de noter dans cet important paragraphe, c’est, d’une part, le souci de remettre aux valeurs différentielles la dynamique de la constitution des formes, et de ne pas conférer à celles-ci une positivité de sens intrinsèque, qui en ferait des entités en soi données d’avance ; mais d’autre part, si l’on est attentif à l’organisation du paragraphe, on note que l’essentiel réside dans ce qui motive le « résultat » du jeu différentiel, qui implique la visée intentionnelle des « points de vue », qui font jouer les différences « COMBINÉES » entre elles ; « COMBINAISON » dont le mouvement opératoire est sous-jacent au jeu différentiel, dont la complexité reconnue implique une série de « points de vue » divergents et convergents, mais aussi un mouvement temporalisateur intrinsèque au processus de « COMBINAISON ». Car, pour qu’il y ait « COMBINAISON », encore faut-il qu’il y ait un processus de temporalisation, qui active et anime ce qui est « COMBINÉ ». En d’autres termes, c’est le mouvement intentionnel, à caractère opératoire, temporalisateur, sous-jacent au déploiement du jeu différentiel, présenté comme un « résultat », qui doit mobiliser l’attention du linguiste ; ce que Saussure introduit implicitement dans ses remarques, mais n’interroge pas en tant que tel. Il y a, dans ce silence, posé aux limites sous-jacentes de ce que Saussure détecte comme un jeu différentiel, une énigme, non explicitement formulée sous forme de question, qui demeure sans réponse et qui a pu motiver ce que nous nommons la « perplexité » du linguiste, face à la nouveauté de ses découvertes ; attitude qui l’a peut-être conduit à différer continuellement le moment d’une publication définitive.
95De même, dans le paragraphe 6d, intitulé « Indifférence et Différence » on peut lire :
« Forme = élément d’une alternance. Alternance = coexistence (cf. remarque sur exister) de signes différents, soit équivalents soit au contraire opposés dans leur signification. » [79]
97Dans la même perspective, la suite du paragraphe souligne la primauté de la valeur différentielle à l’égard des termes entre lesquels elle joue, qui n’ont aucune valeur absolue par eux-mêmes. Reste, précisément, à comprendre comment interpréter « la valeur de la différence », qui, à moins d’une tautologie ne saurait se réduire à l’énoncé structural du problème, mais requiert une interprétation spécifique de la dimension opératoire qui travaille intérieurement l’acte du différer. Ce que seule la dynamique individualisante à caractère temporalisateur du « système métastable » de la phrase, en son caractère différentiel, mais aussi pré-individuel, qui est plus qu’unité, plus qu’identité et plus qu’altérité, permet de mettre en évidence. Aussi, lorsque Saussure écrit :
« Nous tirons de là, d’une manière générale, que la langue repose sur un certain nombre de différences ou d’oppositions qu’elle reconnaît et ne se préoccupe pas essentiellement de la valeur absolue de chacun des termes opposés, qui pourra considérablement varier sans que l’état de langue soit brisé. La latitude qui existe au sein d’une valeur reconnue peut être dénommée « fluctuation ». Dans tout état de langue on rencontre des fluctuations. » [80]
99le mot de « latitude » est important, car il indique qu’au sein des valeurs différentielles, qui impliquent l’introduction de la visée intentionnelle des « points de vue », se déploie un mouvement ayant sa spécificité propre, qu’il s’agit d’analyser selon une perspective de « fluctuation ». Or, qui dit fluctuation dit variations temporalisatrices à caractère intentionnel. Car il n’y a pas de fluctuation sans un mouvement, donc une modification temporelle, maiscelan’estpasd’autrepartsansunouunesériede« pointsdevue », donc de visées intentionnelles qui les repèrent comme telles. Il apparaît donc que c’est la dimension temporalisatrice à caractère opératoire, qui met en œuvre la « latitude » invoquée au sein d’une « valeur reconnue » (valeur entendue au sens de « qui vaut pour »), donc selon sa dynamique opératoire porteuse de sens – ce qui implique un mouvement temporalisateur, à caractère intentionnel : celui du « point de vue » – qui est au cœur de la problématique de la différence. Aussi, dans le résumé synthétique, qui clôture ce paragraphe 6d, lorsque Saussure énonce d’une manière ramassée :
« 1° Un signe n’existe qu’en vertu de sa signification ; 2° une signification n’existe qu’en vertu de son signe ; 3° signes et significations n’existent qu’en vertu de la différence des signes. »
101tout en souscrivant à cet enchaînement qui place trois fois de suite au cœur de ce système d’interdépendance la dimension « existentielle », donc de visée intentionnelle, qui anime les termes mis en rapports, rien n’interdit de s’interroger sur la dimension existentielle du « en vertu de », c’est-à-dire de la virtus, la force, qui anime la « différence des signes ». Ce qui introduit une nouvelle fois un questionnement de style intentionnel, opératoire, au sein du système différentiel repéré à juste titre par Saussure, comme constituant la structure générale du langage. Situation qui ne fut pas prospectée par Saussure et que nous n’avons donc pas à présenter, comme préconçue par le linguiste genevoix.
11) De quelques lignes directrices, à caractère allagmatique permettant un dialogue avec les Écrits de Linguistique Générale
102En fait, c’est en mettant en rapports allagmatiques le point extrême où Saussure a conduit sa méditation, qu’il a laissée délibérément en suspens [81], avec les développements contemporains de la phénoménologie, mais aussi de la conception kantienne des jugements réfléchissants, sans concepts donnés d’avance et de la question du schématisme transcendantal, tel que la Critique de la Faculté de juger [82] permet de l’approfondir, joints à un questionnement des créations effectives du langage, dont les textes poétiques sont l’expression vive, que l’on peut légitimement, et hors de toute interprétation abusive de la pensée secrète de Saussure, entamer un dialogue à caractère allagmatique avec cette œuvre, qui peut se révéler fécond. Situation qui déploie désormais la discussion sur la problématique non plus structurale, mais opératoire de la temporalité ek-statique des actes de langage, telle qu’elle s’inscrit dans le réseau des relations symboliques, syntagmatiques et paradigmatiques, qui, in praesentia et in absentia, c’est-à-dire virtuellement et à distance, dynamisent les signes linguistiques, dans la chaîne à caractère effectivement différentiel, parce que métastable, du langage, dont un philosophe tel que Merleau-Ponty, se référant explicitement à Saussure, avait souligné dans son œuvre, le caractère diacritique essentiel à reconnaître par toute approche phénoménologique du langage [83]. En fait, la chaîne opératoire d’une séquence linguistique ne peut « différer » que parce « qu’intentionnellement », l’acte global d’écriture initiale et les actes de lecture successifs, qui lient les signes entre eux, sont temporalisateurs et ek-statiquement de caractère néantisant [84]. C’est dans la confrontation entre les recherches linguistiques de Saussure et celles phénoménologiques contemporaines, sur la temporalité et sur les processus de « mondification » (Verweltlichung) du langage, qu’un dialogue à caractère allagmatique peut permettre de faire progresser la compréhension de la genèse du sens. Si l’on prend mesure de la situation, on peut noter que les dangers majeurs d’une pensée de la différence, qui refuserait d’outrepasser sa propre position, sont doubles :
103D’une part, faire de la Différence une entité, que l’on invoque sans questionner le mouvement opératoire qui lui permet de « dif-férer ». Sorte de recours ultime, dont on fait un refuge. Car, à moins d’une tautologie explicite ou masquée, on ne peut en rester à déclarer que la différence diffère : le trait d’union qui unit ce que le recours étymologique atteste, dans la composition du terme dif-férer (porter dans l’écart et à distance), implique que le mouvement opératoire qui crée l’écart ne se réduise pas à l’énoncé morcelé du même terme, mais que cet écart corresponde à un mouvement spécifique, que la problématique de la temporalisation ek-statique, repérable au niveau des relations symboliques, paradigmatiques et syntagmatiques des signes permet de mettre en évidence de manière précise et complexe. Tel est l’apport majeur de la linguistique dans sa mise en rapport allagmatique avec la conception phénoménologique de la temporalisation par protentions et rétentions du langage [85]. Le deuxième danger consiste, soit à remettre l’acte du différer à la puissance occulte, dont le recours heideggérien à l’Ereignis dessine le parcours métaphysique, soit, par crainte de ce recours métaphysique, à réduire la problématique de la différence à un simple jeu de renvois à caractère sémiotique, privé de toute assise temporalisatrice entre des signes déjà institués, c’est-à-dire posés comme des entités positives, ayant leur plein sens. Ce qui enferme la conception de la différence dans un jeu strictement structural, et sémiotique, de renvois abstraits et codés de définitions de dictionnaire, désormais privés de tout recours à la dynamique opératoire, que seule la conception de la temporalité, saisie dans le jeu d’échanges entre les « valeurs » – au sens saussurien du terme – symboliques, syntagmatiques et paradigmatiques, permet de mettre en évidence. Or, si l’on pratique le questionnement temporalisateur et mondificateur, au sens de Verweltlichung, directement au niveau du mouvement opératoire, qui anime les relations syntagmatiques, symboliques et paradigmatiques des signes du langage, c’est vers un schématisme transcendantal, saisi dans la « chair des mots », que l’investigation à caractère allagmatique peut conduire [86]. Or, c’est vers ces considérations que les Ecrits de linguistique générale orientent.
104Certes, Saussure n’a pas conçu les prolongements possibles de ses découvertes dans le sens que nous leur accordons ici. Face à la mise en évidence du jeu diacritique du langage à valeur différentielle, sur laquelle il revient sans cesse, qu’il pose comme thèse fondamentale de la linguistique, il semble demeuré perplexe quant aux développements philosophiques à accorder à ses découvertes. Cependant, c’est dans le champ de la méditation philosophique que Saussure situe ses propres analyses, puisque, comme nous l’avons vu, il lie la sphère où le mot acquiert une réalité au domaine général de l’activité de l’esprit [87].
105Quelle attitude adopter, désormais, à l’égard des manuscrits récemment retrouvés ? Celle d’un dialogue ouvert radicalement étranger à quelque volonté d’interprétation historique à l’égard de ce qu’aurait pu être la pensée du fondateur de la linguistique moderne. Est-ce à dire que face au silence dans lequel Saussure a, somme toute, laissé sa recherche ouverte, sans prendre la peine de la publier, un lecteur contemporain ayant accès à ses notes ne puisse la mettre en rapport avec les développements que la philosophie de son temps a mis en œuvre sur des sujets connexes ?
106Si une pensée est féconde, c’est qu’elle irradie bien au-delà de ce qu’elle énonce formellement, dans la restriction lexicale et fragmentaire de la lettre. Bien plus, si elle porte la trace du génie, c’est qu’elle se dépasse elle-même et que comme le dit Rimbaud, elle est « en avant ». C’est l’une des ouvertures possibles de ces textes, dans le cadre allagmatique d’un échange à caractère opératoire, qui se laisse deviner, bien qu’elle ne soit pas expressément formulée, sous les énoncés morcelés mais convergents de ce penseur, que nous avons tenté d’esquisser, ici, en sachant désormais, grâce aux manuscrits de l’Orangerie, que la perplexité dans laquelle s’est enfermé Saussure est infiniment plus riche de promesses philosophiques, plus énigmatique, plus émouvante aussi que ce que ses disciples les plus zélés ont tenté d’écrire en son nom.
107Aja, Bocca Seddia, Juin 2002
Notes
-
[1]
Texte intégralement rédigé par Charles Bally et Albert Sechehaye, avec la collaboration de Albert Riedlinger, sur la base de notes prises par les auditeurs. Lausanne, Paris, Payot, 1916.
-
[2]
Manuscrits qui proviennent de l’Orangerie de l’hôtel genevoix de la famille Saussure, découverts en 1996. Fonds de la Bibliothèque publique et universitaire de Genève. Paris, Gallimard, 2002. Nous citerons cette édition sous le sigle ELG par opposition au Cours de linguistique générale cité sous le sigle CLG.
-
[3]
Voir développements ultérieurs.
-
[4]
Nous nous référons aux suppléments de l’ouvrage de Gilbert Simondon : L’Individu et sa genèse physico-biologique. Deuxième édition. Grenoble, J érôme Millon, 1995 et aux développements que nous leur avons accordés dans nos propres recherches, que nous ferons intervenir dans cette étude.
-
[5]
Onsait que Saussure détruisait fréquemment les brouillons hâtifs qu’il rédigeait pour ses cours. Cf. Préface, p. 7-8
-
[6]
Préface de la première édition. CLG, p. 9. Il convient de noter toutefois que de nombreux fragments rédigés par Saussure et disponibles lors de l’édition de 1916, ne furent pas pris en considération par les éditeurs. Cf. à ce sujet la préface des éditeurs des ELG, p. 11.
-
[7]
Voir à ce sujet : ELG, Préface des éditeurs, p. 8.
-
[8]
ELG, p. 265. Cité dans la préface des éditeurs, p. 9.
-
[9]
Fonds de BPU, 1996, ELG. Texte que nous citerons sous le sigle EDL.
-
[10]
EDL, Préface. p. 17.
-
[11]
EDL, p. 19.
-
[12]
EDL, p. 19-20.
-
[13]
EDL, p. 23.
-
[14]
EDL, p. 23. Cette affirmation est confirmée en des termes voisins : paragraphe 3d : « Dans le langage, de quelque côté qu’on l’aborde, il n’y a point d’individus délimités et déterminés en soi, et qui se présentent nécessairement à l’attention. (...) », EDL, p. 26-27.
-
[15]
EDL, p. 20.
-
[16]
EDL, p. 20.
-
[17]
EDL, p. 20.
-
[18]
Paris, Klincksieck, 1983.
-
[19]
Paris, Beauchesne, 2000.
-
[20]
EDL, p. 20.
-
[21]
EDL, p. 18.
-
[22]
EDL, p. 18.
-
[23]
EDL, p. 18.
-
[24]
EDL, p. 18.
-
[25]
EDL, p. 17.
-
[26]
EDL, p. 19.
-
[27]
EDL, p. 19.
-
[28]
CLG, p. 98. La note 1 des rédacteurs, bien que peu explicite sur le sens exact à accorder au terme « image acoustique », dénie cependant toute interprétation strictement matérielle.
-
[29]
CLG, Première partie. Principes généraux. Chap. ler. Nature du signe linguistique. § 1 Signe, signifié, signifiant, p. 98.
-
[30]
EDL, p. 19.
-
[31]
EDL, p. 20-21.
-
[32]
EDL, p. 82-83.
-
[33]
EDL, p. 82-83.
-
[34]
Cf. discussion précédente.
-
[35]
EDL, p. 83.
-
[36]
EDL, p. 83.
-
[37]
EDL, p. 83.
-
[38]
EDL, p. 83.
-
[39]
EDL p. 83.
-
[40]
« On peut après cela discuter pour savoir si la conscience que nous avons du mot diffère de la conscience que nous avons de son sens ; nous sommes tentés de croire que la question est presque insoluble. »
-
[41]
EDL, p. 83.
-
[42]
EDL, p. 83.
-
[43]
EDL, p. 83.
-
[44]
EDL, p. 28.
-
[45]
« Opération et structure », colloque organisé par l’Université de Lyon III, en collaboration avec le Collège international de philosophie sur les développements post-merleau-pontyens de la phénoménologie (mars 2002). « L’être à distance de soi, dans le champ des ‘‘ Réalités nocturnes et diurnes ’’de Tristan Tzara », colloque international de philosophie : Art et pathologie au regard de la psychanalyse et de la Daseinsanalyse. Paris, Collège international de philosophie, Université de Paris XII, mai-juin 2002. Phénoménologie et Allagmatique, colloque international de philosophie, Collège international de philosophie et Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, juin 2002.
-
[46]
L’Individu est sa genèse physico-biologique. Suppléments, p. 261.
-
[47]
Ibid., p. 261.
-
[48]
Ibid., p. 261.
-
[49]
Ibid., p. 261.
-
[50]
Ibid., p. 261.
-
[51]
Ibid., p. 262. Voir l’explicitation de cette situation, telle que nous l’avons développée dans les trois études consacrées à la problématique allagmatique, citées plus haut.
-
[52]
Ibid., Conclusion, p. 240.
-
[53]
Ibid., p. 240.
-
[54]
Ibid., p. 240.
-
[55]
Voir à ce sujet nos analyses dans Rythmes et Mondes. Grenoble, J érôme Millon, 1991, et dans Introduction au logos du monde esthétique. Paris, Beauchesne, 2000.
-
[56]
Attitude que nous avons développée dans chacun des nos ouvrages, de La Gravitation poétique (Paris, Mercure de France, 1966) à l’Introduction au logos du monde esthétique, et aux trois études récentes mentionnées plus haut.
-
[57]
Voir discussions précédentes.
-
[58]
ELG, p. 28.
-
[59]
ELG, p. 28.
-
[60]
Situation que nous nous nous sommes employés à analyser de manière concrète dans chacun de nos ouvrages, sur de nombreux textes créateurs s’étageant du XVIe siècle à nos jours.
-
[61]
EDL, p. 28.
-
[62]
EDL, p. 28.
-
[63]
Nous rappelons, ici, le rapport précis et complexe qui se noue dans la problématique heideggérienne entre différence, temporalisation ek-statique et néantisation. Nous avons montré, dans Rythmes et Mondes, les difficultés de cette conception. Il convient d’autre part de tenir compte des processus temporalisateurs et de ceux d’individuations, déclenchés à partir des mouvements transducteurs, qui se déploient à partir d’un système métastable à caractère pré-individuel. Voir à ce sujet, notes 68 et 84.
-
[64]
EDL, p. 28.
-
[65]
EDL, p. 28-29.
-
[66]
N’oublions pas que l’important paragraphe 8 intitulé : « Sémiologie » met en garde contre une distinction jugée comme dépourvue de sens entre signe et signification. On peut lire en effet : « Qui dit signe dit signification; qui dit signification dit signe, prendre pour base le signe (seul) n’est pas seulement inexact mais ne veut absolument rien dire puisque, à l’instant où le signe perd la totalité de ses significations, il n’est rien qu’une figure vocale. », EDL, p. 44.
-
[67]
Cf. les longs développements dans Rythmes et Mondes, Introduction au Logos du monde esthétique et dans Une phénoménologie plurielle (Collège international de philosophie, Paris, 2002).
-
[68]
Situationaffrontée par Heidegger en toute lucidité, quand il s’est interrogé, à l’époque de l’Ontologie fondamentale , sur les relations qui s’établissent entre Différence, temporalisation et néantisation. Puis, dans la période ultime de la « topologie de l’être », quand il a confié au jeu de l’Ereignis, le don de l’éclaircie. Nous nous sommes longuement expliqué sur les raisons de nos réticences à l’égard des démarches heideggériennes et sur les raisons pour lesquelles le recours à la conception de la métastabilité à caractère pré-individuel en voie d’individuations transductives permet de poser le problème de l’émergence du sens sur des fondements neufs. Voir Rythmes et mondes, et Introduction au logos du monde esthétique. D’autre part, ce n’est pas en refusant de s’interroger sur la nature de la visée intentionnelle, qui anime le jeu différentiel établi dans les réseaux du langage – ce que Saussure recommande, de facto, en soulignant le caractère incontournable du « point de vue » dans toute analyse linguistique – que l’on fera progresser la compréhension concernant la dynamique du jeu différentiel entre les signes. Or, c’est précisément à ce moment que la liaison entre les processus de transduction à caractère individualisant se révèle éminemment temporalisatrice dans le passage qui fait basculer la dimension pré-individuelle du système linguistique envisagé dans ses processus d’individuations porteurs de significations et de sens en formation.
-
[69]
EDL, p. 29.
-
[70]
EDL, p. 29.
-
[71]
EDL, p. 29.
-
[72]
EDL, p. 29.
-
[73]
EDL, p. 29.
-
[74]
Cf. citations de la page 83, produites plus haut.
-
[75]
EDL, p. 29.
-
[76]
EDL, p. 83.
-
[77]
EDL, p. 36.
-
[78]
EDL, p. 36.
-
[79]
EDL, p. 36. Il n’est pas aisé de savoir à quelles « remarques sur exister » Saussure fait allusion. Nous verrons dans le paragraphe 1° de « Indifférence et différence », trois fois intervenir le verbe exister. Situation que nous commenterons.
-
[80]
EDL, p. 36.
-
[81]
Lesmanuscrits et les déclarations de Saussure l’attestent. Au cours d’une conversation privée, tenue le 6 Mai 1911, avec un de ses étudiants, M. L. Gautier, dans laquelle Ferdinand de Saussure faisait part de ses scrupules à « exposer – en son Cours – le sujet dans toute sa complexité et avouer tous (ses) doutes, ce qui ne peut convenir pour un cours », à la question de M. Gautier lui demandant s’il avait rédigé ses idées sur sa conception de la science du langage, Saussure répondit : « Oui, j’ai des notes mais perdues dans des monceaux, aussi ne saurais-je les retrouver. » Or, quand l’étudiant lui suggère de faire paraître quelque chose sur le sujet, Saussure répond de manière qui semble désabusée : « Ce serait absurde de recommencer de longues recherches pour la publication, quand j’ai là (il fait un geste) tant et tant de travaux impubliés. » Cité d’après les Sources manuscrites du Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure, Genève, Droz, 1957, p. 30. Cf. Préface des éditeurs aux Ecrits de linguistique générale, p. 11-12.
-
[82]
Voir Rythmes et mondes et Introduction au Logos du monde esthétique : ces rapprochements à caractère allagmatique ont été opérés.
-
[83]
Discussions que nous avons conduites dans nos ouvrages antérieurs.
-
[84]
Pour le rapport entre différence, temporalité ek-statique et néantisation de l’être, cf. note 68. Précisons que si Heidegger avait pris en charge la dimension temporalisatrice et mondificatrice, non pas au niveau des thèmes des œuvres créatrices étudiées, mais à celui de la dimension opératoire de l’enchaînement à caractère symbolique, syntagmatique et paradigmatique des signes composant les textes – ce qui conduit à mettre en œuvre une « microphénoménologie », que Heidegger n’a jamais prise en considération par suite de son refus systématique de dialoguer avec la linguistique, rejetée globalement au titre de science « ontique » du langage –, il eût pu être conduit à une autre interprétation que celle, à caractère transcendantal de « das Ereignis » qui, dans le mouvement de retrait de « l’Enteignis » accorde temps et être, mais aussi renoue, malgré les dénégations de Heidegger, avec la conception platonicienne du Bien, qui éclaire les Idées. Heidegger est conduit, dans la phase ultime de sa pensée, à conférer à « das Ereignis » l’efficacité opératoire des mouvements de différenciations qui ordonnent le Monde. Au niveau du langage, une étude opératoire des signes linguistiques, tels que Saussure en a mis en évidence les relations différentielles, symboliques, syntagmatiques et paradigmatiques entrecroisées, eût pu permettre de faire l’économie du recours transcendantal au pouvoir mystérieux et indémontrable de « l’Ereignis ». Tel est l’un des multiples exemples où une mise en rapport allagmatique des thèses linguistiques et phénoménologiques peut permettre de concevoir la genèse de la pensée sous un jour neuf.
-
[85]
Problèmes étudiés concrètement dans nos ouvrages antérieurs.
-
[86]
Attitudedéveloppée dans Introduction au Logos du monde esthétique et dans Rythmes et Mondes.
-
[87]
EDL, p. 83.