Notes
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[1]
S. Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, Paris, puf, 2006, p. 186.
-
[2]
S. Freud (1898), “ La sexualité dans l’étiologie des névroses ”, OCF, III, Paris, puf, p. 237.
-
[3]
S. Freud (1932), “ Éclaircissements, applications, orientations ”, Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse, OCF, XIX, Paris, puf, p. 236.
-
[4]
Ibid., p. 238.
-
[5]
S. Freud, “ La sexualité dans l’étiologie des névroses ”, op. cit., p. 239-240.
-
[6]
S. Freud (1937), “ L’analyse avec fin et l’analyse sans fin ”, Résultats, idées, problèmes, II, Paris, puf, 1985, p. 231.
-
[7]
M. Totah, Freud et la guérison, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 87.
-
[8]
S. Freud (1926), La Question de l’analyse profane, Paris, Gallimard, 1985, p. 145-146.
-
[9]
Ibid., p. 150-151.
-
[10]
S. Freud (1901), “ Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora) ”, OCF, VI, Paris, puf, p. 198.
-
[11]
S. Freud, “ L’analyse avec fin et l’analyse sans fin ”, op. cit., p. 233.
-
[12]
S. Freud (1907), Le Délire et les Rêves dans la Gradiva de Jensen, Paris, Gallimard, 1986, p. 241.
-
[13]
G. Canguilhem, “ Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? ”, Nouvelle Revue de Psychanalyse, no 17, printemps 1978, L’idée de guérison, Paris, Gallimard, p. 13-26.
-
[14]
Ibid., p. 14.
-
[15]
S. Freud (1915-1917), Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1999, p. 357.
-
[16]
Ibid., p. 359.
-
[17]
Ibid., p. 572-573.
-
[18]
S. Freud (1905), “ De la psychothérapie ”, OCF, VI, Paris, puf, p. 49 et 51.
-
[19]
Ibid., p. 54.
-
[20]
S. Freud (1904), “ La méthode psychanalytique de Freud ”, OCF, VI, Paris, puf, p. 15.
-
[21]
Ibid.
-
[22]
V. Smirnoff, “ ... Et guérir de plaisir ”, Nouvelle Revue de Psychanalyse, op. cit., p. 143.
-
[23]
S. Freud (1910), “ De la psychanalyse ”, OCF, X, Paris, puf, p. 48.
-
[24]
S. Freud (1909), “ Remarques sur un cas de névrose de contrainte ”, OCF, IX, Paris, puf, p. 179 (note).
-
[25]
S. Freud, La Question de l’analyse profane, op. cit., p. 151.
-
[26]
S. Freud (1937), “ Constructions dans l’analyse ”, Résultats, idées, problèmes, II, Paris, puf, 1985, p. 270, 271 et 272.
-
[27]
S. Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit., p. 264.
-
[28]
A. Green, La Diachronie en psychanalyse, Paris, Éd. de Minuit, 2000, p. 176.
-
[29]
J.-C. Lavie, “ Guérir de quoi ? ”, Nouvelle Revue de Psychanalyse, op. cit., p. 198.
-
[30]
S. Freud (1923), “ Le moi et le ça ”, OCF, XVI, Paris, puf, p. 291.
-
[31]
Propos cités par J. Sandler, L’Analyse de la défense, Paris, puf, 1989, p. 386.
-
[32]
A. Green, Idées directrices pour une psychanalyse contemporaine, Paris, puf, 2002, p. 145.
-
[33]
J.-C. Lavie, “ Guérir de quoi ? ”, op. cit., p. 198.
-
[34]
M. Foucault, Naissance de la clinique, Paris, puf, coll. “ Quadrige ”, 1997, p. 202.
-
[35]
Ibid., p. 200-201.
-
[36]
J.-L. Donnet, “ Sur l’écart théorico-pratique ”, RFP, t. XLIX, no 5, 1985, p. 363.
-
[37]
N. Zaltzman, De la guérison psychanalytique, Paris, puf, “ Épîtres ”, 1998, p. 23.
1 Le 16 octobre 1895, Freud écrit à Fliess, et lui fait part avec un certain enthousiasme de sa découverte : “ Je suis presque sûr d’avoir trouvé, avec les formules de l’effroi sexuel, et du plaisir sexuel infantile, la solution de l’énigme de l’hystérie et de la névrose de contrainte, et je suis tout aussi sûr que les deux névroses sont à présent guérissables, d’une façon tout à fait générale, non seulement chacun des symptômes, mais la disposition névrotique elle-même. ” [1] En 1898, dans “ La sexualité dans l’étiologie des névroses ”, il affirme de nouveau son espoir d’une guérison effective de l’hystérie et des représentations de contrainte : “ Depuis lors, bien des choses, comme j’ose l’affirmer, s’y sont modifiées en mieux. Tandis qu’alors nous déclarions avec modestie que nous ne pouvions nous attaquer qu’à l’élimination de symptômes hystériques et non pas à la guérison de l’hystérie elle-même, cette différence s’est révélée pour moi depuis lors vide de contenu, donc la perspective d’une guérison effective de l’hystérie et des représentations de contrainte s’est offerte. ” Il ironise sur ceux qui s’empressent de le déclarer mort, mais précise que “ le procédé est à vrai dire si difficile qu’il doit nécessairement être appris de bout en bout ” [2]. Le mot est à retenir parce que Freud y revient souvent et rassemble, dans cette même nécessité d’apprendre, le psychanalyste et le patient, l’un pour se former, l’autre pour développer sa capacité d’auto-analyse.
2 En 1933, dans les Nouvelles Conférences, il écrit : “ Vous le savez peut-être, je n’ai jamais été un enthousiaste de la thérapie ; il n’y a pas de danger que j’abuse de cette conférence à des fins apologétiques. Je préfère en dire trop peu que trop. ” [3] Deux pages plus loin il semble se souvenir du découvreur passionné qu’il fut, et revient sur son avis de 1895 : “ L’espoir de pouvoir guérir tout ce qui est névrotique, je le soupçonne de provenir de cette croyance profane que les névroses sont quelque chose de tout à fait superflu, qui n’a absolument aucun droit à exister. ” [4] Cette remarque avait déjà été formulée par lui en 1898 : “ Le profane est pour ainsi dire profondément convaincu dans son for intérieur de la superfluité de toutes ces psychonévroses, c’est pourquoi face au déroulement de la maladie, il ne présente aucune patience et face à la thérapie aucun esprit de sacrifice. ” [5] Elle le sera de nouveau en 1937, dans “ L’analyse avec fin et l’analyse sans fin ”, sous une forme à peine différente, lorsqu’il évoque “ un reste de ce mépris impatient avec lequel une période antérieure de la médecine avait considéré les névroses comme des suites superfétatoires de dommages invisibles ” [6]. Elle semble condenser le vestige d’une opinion qui a pu être la sienne et une opposition résolue à cette même opinion, à travers l’affirmation, par antiphrase, du droit à exister de la névrose, maladie psychique certes, mais témoignage aussi de la créativité humaine.
3 Freud ne pouvait manquer de s’intéresser à la guérison, pour une raison évidente, d’ordre pragmatique. L’environnement de ses débuts le conduisait à garder à l’esprit que celle-ci reste l’indice le plus sûr de l’adéquation du traitement au trouble, démonstration qu’il lui fallait opposer à l’hostilité du milieu médical viennois, très tôt rencontrée. Nécessité d’autant plus vive qu’il signale, à plusieurs reprises, que les cas qui lui étaient adressés étaient généralement considérés comme incurables par ses correspondants.
4 Ce n’est pas une quelconque compassion qui l’anime, loin s’en faut. Monique Totah mentionne ce propos tenu par Freud lors d’une interview accordée en juillet 1932 à l’hebdomadaire français Vu : “ Nous devons exercer la psychanalyse pour sa contribution à la connaissance générale des fonctions psychiques, même s’il ne devait en résulter aucune guérison. ” [7] Dans la postface de La Question de l’analyse profane, publiée en 1927, Freud est sans ambiguïté quant à son manque d’intérêt pour la thérapie : il n’est devenu médecin que par impossibilité de poursuivre dans la recherche fondamentale ; il ne retrouve en lui rien de ce qui pourrait fonder un intérêt pour le soin ; il ne s’est jamais senti médecin ; enfant, il n’a jamais perçu le moindre besoin d’aider des hommes qui souffrent, il n’a pas non plus joué au docteur. Seul, “ le besoin de comprendre un peu les énigmes de ce monde et peut-être même de contribuer un peu à leur solution ” l’intéressait. Il complète, au cas où nous aurions encore des doutes : “ Car le malade n’a pas grand avantage à ce que, chez le médecin, l’intérêt thérapeutique soit à prédominance affective. ” [8]
5 Quelques pages après une vigoureuse déclaration de défiance à l’égard de la médecine et de ses éventuelles visées hégémoniques sur la psychanalyse, qui font l’objet de ce texte militant, il convient pourtant que, malgré tout ce qui les oppose, intérêt scientifique et visées thérapeutiques ne sauraient entretenir un rapport d’exclusion réciproque, bien au contraire. Aux questions qu’il se pose à lui-même : “ La majorité de nos patients mérite-t.elle seulement la peine que nous dépensons pour ce travail ? N’est-il pas plus économique d’étayer de l’extérieur ce qui est défectueux, que de le réformer de l’intérieur ? ”, il répond : “ Je ne puis le dire, mais il y a autre chose que je sais. Il y a eu en psychanalyse dès le début une étroite union de la cure et de la recherche, la connaissance amenait le succès, on ne pouvait pas traiter sans apprendre quelque chose de nouveau, on n’acquérait aucun éclaircissement sans en éprouver l’action bienfaisante. ” [9]
6 À propos de Dora, en 1905, il émettait déjà une telle opinion, de façon plus énigmatique : “ Si le but pratique du traitement consiste à supprimer tous les symptômes possibles et à les remplacer par des pensées conscientes, on peut se fixer comme autre but, celui-là théorique, la tâche de guérir toutes les lésions de mémoire du malade. Les deux buts coïncident ; si l’un est atteint, l’autre aussi est acquis ; c’est le même chemin qui conduit aux deux. ” [10] Comment comprendre cette distinction entre ces deux buts, tout en considérant qu’ils coïncident et que la voie pour les atteindre est la même ? Quelle nécessité de maintenir à cet endroit-là cette division du travail ? Provisoirement, nous nous contenterons de noter la présence de cette distinction dès cette époque et considérerons plus loin la réponse que nous pourrions apporter à cette interrogation.
7 La véritable raison de son intérêt pour la guérison est interne à la cure, elle tient au travail clinique lui-même, qui est le lieu de sa recherche fondamentale sur le fonctionnement du psychisme. À ce titre, les étapes de la guérison sont autant d’occasions d’affiner la psychopathologie du trouble morbide. C’est ce qu’il note, dans “ L’analyse avec fin et l’analyse sans fin ”, en revenant sur l’Homme aux loups : “ Je trouvais l’histoire de la guérison de ce patient non moins intéressante que l’histoire de sa maladie. ” [11] L’affaiblissement des résistances, la disparition des symptômes, la levée de l’amnésie, l’intéressent moins par leurs effets thérapeutiques que par la validation du travail interprétatif qu’ils ponctuent. Les manifestations du transfert, qu’il lui faut rapidement reconnaître comme une formation névrotique à part entière qui engage le pronostic de la cure, sont accueillies comme gênantes jusqu’à ce qu’il identifie, dans cette “ récidive de l’amour ” [12], l’actualisation de contenus refoulés. Autant d’indices de la pertinence du travail accompli, à cette phase de la recherche freudienne, autant d’occasions d’affiner la pratique, d’approfondir la théorie.
8 Georges Canguilhem, dans sa contribution au numéro de la Nouvelle Revue de Psychanalyse de 1978 sur L’idée de guérison, éclaire le caractère de nécessité qui s’attache à la guérison. Après avoir précisé la différence entre le médecin, qui ne cesse pas d’être médecin indépendamment des résultats obtenus, et le guérisseur qui ne saurait être guérisseur qu’en raison même de ceux-ci, Georges Canguilhem conclut : “ On n’a donc pas à s’étonner de constater que les médecins qui ont, les premiers, pris la guérison comme problème et sujet d’intérêt sont, pour la plupart, des psychanalystes, ou des hommes pour qui la psychanalyse existe comme instance d’interrogation sur leur pratique et ses présupposés ” [13], et de citer en exemple Groddeck avec le Livre du ça, puis René Allendy avec son Essai sur la guérison de 1934. Il ne cite pas Freud, mais ajoute, dans le droit fil de la pensée freudienne : “ [...] dans l’optique de la psychanalyse, la guérison devenait le signe d’une capacité retrouvée par le patient d’en finir lui-même avec ses difficultés ” [14], soulignant ainsi l’apparition progressive d’une capacité d’autoguérison chez le patient.
9 Loin de s’en détourner, Freud s’est confronté à l’ambiguïté propre à la notion de guérison, soucieux de désigner les obstacles à la guérison et de préciser la spécificité psychanalytique de celle-ci, en opposition à d’autres modèles. Ainsi dans les Conférences d’introduction à la psychanalyse : “ Aussitôt que les processus inconscients concernés sont devenus conscients, le symptôme doit disparaître. Vous reconnaissez ici du même coup un accès à la thérapie, une voie permettant de faire disparaître des symptômes. ” [15] À peine plus loin, il nuance cette affirmation et, citant de Molière une pièce au titre de laquelle il ne pouvait qu’être sensible, Le Médecin malgré lui, et son célèbre : “ Il y a fagot et fagot ”, il distingue le savoir de l’analyste et celui du patient, ce dernier devant “ reposer sur un changement interne dans le malade ” [16]. Il revient là sur une question qu’il avait évoquée antérieurement dans son œuvre, lorsqu’il avait parlé d’une interprétation de contenu, qui, proposée au patient, paraissait sans effet, mais accomplissait malgré tout un travail, en rendant conscient le contenu inconscient, sans pour autant faire disparaître le symptôme. Dans la 28e Conférence, il précise : “ Le processus qui permet de surmonter ces résistances transforme durablement la vie psychique du malade ; celle-ci est portée à un stade d’évolution supérieur et reste à l’abri de nouvelles possibilités d’entrée en maladie. Ce travail qui consiste à surmonter est l’opération essentielle de la cure analytique, c’est au malade de l’effectuer, et le médecin lui en donne la possibilité par l’appoint de la suggestion qui agit dans le sens d’une éducation. C’est pourquoi, du reste, on a dit à bon droit que le traitement psychanalytique serait une sorte d’éducation après coup. ” [17]
10 Ce terme d’ “ éducation ” semble avoir une réelle importance pour Freud. Le 12 décembre 1904, devant le Collège des médecins, à Vienne, Freud prononce une conférence, intitulée “ De la psychothérapie ”, la dernière qu’il ait tenue devant une assemblée médicale. Il y affirme : “ Il y a plusieurs sortes et plusieurs voies dans la psychothérapie. Sont bonnes toutes celles qui conduisent à ce but qu’est la guérison. ” Il indique les raisons qui l’ont conduit à renoncer à “ la technique par suggestion, et avec elle [à] l’hypnose ”, à laquelle il reproche d’une part de ne pas amener une guérison durable, d’autre part de “ ne pas nous permettre de reconnaître la résistance par laquelle les malades restent attachés à leur maladie, par laquelle ils se rebellent donc aussi contre la guérison, résistance qui seule rend pourtant possible la compréhension de leur conduite dans la vie ” [18]. La résistance et la rébellion contre la guérison deviennent ainsi des obstacles au traitement, tout en fournissant des appuis indispensables à la poursuite de ce même traitement.
11 Dans ce même texte de 1904, Freud fait une recension des éléments au regard desquels une psychothérapie peut être indiquée. Il met alors l’accent sur un mot étrange, “ l’éducabilité, la particularité qui fait que le traitement psychanalytique est utilisable ”. Il y revient dans la conclusion de cet article : “ Si vous réussissez à amener le malade, du fait d’une meilleure compréhension, à accepter quelque chose qu’il avait, par suite de la régulation automatique de déplaisir, jusque-là repoussé, vous avez réalisé sur lui un certain travail d’éducation [...]. Vous pouvez maintenant concevoir d’une façon très générale le traitement analytique comme une telle post-éducation au surmontement des résistances internes. ” [19]
12 Au cours de cette même année 1904, dans “ La méthode psychanalytique de Freud ”, il écrit : “ Lorsque toutes les lacunes du souvenir sont comblées, tous les effets énigmatiques de la vie psychique élucidés, la persistance de la souffrance, voire une nouvelle formation de celle-ci, est rendue impossible. ” [20] Une telle formulation, reproduite presque à l’identique dans d’autres textes, soutient la pertinence de l’expression “ par surcroît ”. Cette expression est souvent considérée avec ironie lorsqu’elle prétend illustrer le caractère contingent de la guérison en psychanalyse. Pourtant elle décrit en fait le constat que Freud ne cesse de réaliser en poursuivant le but qui est le sien, à savoir rendre conscient ce qui ne l’était plus. Il est étrange de voir que, par le truchement de cette locution mise en avant par Lacan, le terme de “ superfétatoire ”, utilisé par Freud dans le passage d’ “ Analyse sans fin ” qui concerne la névrose et que j’ai cité plus haut, se trouve appliqué à la guérison en psychanalyse. Freud poursuit, en atténuant la radicalité de la formule précédente : “ Mais il faut se rappeler que cet état idéal ne s’observe même pas chez les normaux et, ensuite, qu’on se trouve rarement en mesure de pousser le traitement jusqu’à un point approchant cet état [...]. Le but à atteindre dans le traitement sera toujours la guérison pratique du malade, la récupération de ses facultés d’agir et de jouir de l’existence. ” [21] Victor Smirnoff, dans le même numéro de la Nouvelle Revue de Psychanalyse, rappelle que Freud parlait de “ bénéfices secondaires dans la cure, ce par quoi il faut entendre la disparition des symptômes et le mieux-être du patient – formule à laquelle Lacan n’a pas manqué de donner une publicité quelque peu racoleuse dans sa déclaration que la guérison était de “surcroît”. Freud semble bien attacher plus d’importance à d’autres effets de la cure, et, tout particulièrement, à la familiarisation du patient avec son inconscient. ” [22] Il y revient en 1909, dans la quatrième des Conférences prononcées à la Clark University, en disant de manière encore plus simple : “ Si vous voulez, vous pouvez décrire le traitement psychanalytique comme étant seulement la poursuite d’une éducation visant au surmontement des restes d’enfance. ” [23]
13 Il est difficile, face à l’abondance des marques de la préoccupation concernant la guérison, de ne pas en reconnaître l’insistance et la constance, ou d’imaginer que Freud ait considéré celle-ci comme superfétatoire – même lorsqu’il affirme que ses intérêts scientifiques ont pris le dessus sur ses attentes thérapeutiques. Dans Un cas de névrose de contrainte, il écrit : “ L’exploration scientifique par la psychanalyse n’est aujourd’hui en effet qu’un succès marginal de l’effort thérapeutique et c’est pourquoi le plus riche butin vient justement des cas traités sans bonheur. ” [24] Et dans La Question de l’analyse profane, il désigne “ la perspective de gain scientifique comme l’aspect le plus noble, le plus réjouissant du travail analytique ”, interrogeant : “ Avons-nous le droit de la sacrifier à telle ou telle considération pratique ? ” [25]
14 Pour Freud, la trouvaille de Breuer, à savoir que “ la formation de symptômes est le substitut de quelque chose d’autre qui n’a pas eu lieu ”, reste le fondement de la thérapie analytique. Sur ce point, il n’a pas varié. Il rappelle encore ce principe dans Constructions dans l’analyse en 1937. C’est alors qu’il introduit une variation dont nous connaissons l’importance, celle de la construction, contribution de l’analyste au processus de remémoration qui doit “ deviner, ou plus exactement construire ” ce qui a été oublié. Freud retrouve ici, sans utiliser le mot, la “ suggestion ” du début de la pratique, tout en insistant sur “ la façon et le moment de communiquer ces constructions à l’analysé ” : “ Les explications dont l’analyste les accompagne, c’est là ce qui constitue la liaison entre les deux parties du travail analytique, celle de l’analyste et de l’analysé. ” Poursuivant la comparaison avec les fouilles archéologiques, il reconnaît à l’analyste une plus grande chance qu’à l’archéologue, “ en ce que l’essentiel est entièrement conservé ” : “ Même ce qui paraît complètement oublié subsiste encore de quelque façon et en quelque lieu, mais enseveli, inaccessible à l’individu. ” [26] Ainsi Freud continue à désigner la remémoration comme l’opérateur principal de la cure. Le principe est simple, la réalité plus complexe.
15 Il me faut ici évoquer le travail d’André Green sur la remémoration dans La Diachronie en psychanalyse. Il y affirme que “ la psychanalyse n’est que relativement peu concernée par la remémoration ”, car “ son objet véritable est la temporalité ”. Prenant appui sur l’épisode de la madeleine chez Proust et sur les moments de bonheur qu’elle fait ressurgir, il montre combien la mémoire volontaire est impuissante à les évoquer, “ tandis que l’association les fait sortir de leur sépulture et émerger du royaume des ombres ”. Il développe ensuite son propos autour de cette remarque : “ Le souvenir, par sa forme associative, n’est pas que retrouvailles, il est création. ” Puis il relève les limites de la confiance freudienne dans la remémoration, en évoquant la lettre à Fliess du 6 décembre 1896, dans laquelle sont précisées les modalités de l’inscription des traces mnésiques qui connaissent “ de temps en temps un ré-ordonnancement selon de nouvelles relations, une retranscription ” [27]. Il poursuit en formulant les conditions que devrait remplir la remémoration pour prétendre constituer le mécanisme de la guérison : “ Que ce soit dans tous les cas, et pas seulement dans la névrose, un compromis entre désir et défense, que ce qui est du refoulement puisse être étendu au cas du clivage, du déni, etc. ; que l’interprétation s’accompagne régulièrement de la levée du refoulement, et enfin que la maturité psychique s’installe une fois celui-ci levé. ” [28] Je n’irai pas plus loin dans l’évocation de ce travail d’André Green : l’idée que j’en retire est que le souvenir est issu d’une ou plusieurs retranscriptions, ce qui implique que les remaniements, subis par les traces mnésiques, du fait des déplacements ou de la condensation, peuvent produire, sous l’alibi du souvenir, et dans certaines conditions favorisant une exigence d’actualisation, un néo-souvenir qui emprunte au rêve quelques-uns de ses procédés.
16 Un exemple rendra compte de ces mécanismes de remémoration, et de la façon dont ils peuvent venir infiltrer des séquences très ordinaires de l’existence. Cet exemple relève d’une psychopathologie de la vie quotidienne, et chacun de nous a sans doute vécu des moments analogues. Un homme me raconte un détail de sa vie qui l’amuse et le surprend. Juriste de formation, journaliste de métier, son travail actuel est d’élaborer des sites informatiques importants et complexes. Cette activité, qu’il maîtrise bien, ne suscite en lui qu’un intérêt limité. En revanche, il est tenaillé par le désir de reprendre l’activité créatrice de son adolescence, qui l’avait amené à écrire des nouvelles, produire des œuvres graphiques, ou composer de la musique. Activités qui lui procurent beaucoup de plaisir, mais auxquelles il n’accède qu’après avoir vaincu des inhibitions tenaces. Il y a quelque temps, pour donner à sa production une forme de publication, il décide d’ouvrir un site web et, par conséquent, d’acheter un nom de domaine. Pour caractériser sa propriété, il est invité à choisir un identifiant. Les mots qui lui viennent instantanément sont “ soleil orange ”. L’identifiant est aussitôt refusé, étant déjà attribué. Il choisit alors de le contracter et propose “ solorange ”. Une dizaine de jours plus tard, invité à dîner chez ses parents, il fait un bref passage, par hasard ou sous l’effet d’une exigence intérieure méconnue, dans la chambre de son enfance et de son adolescence, le lieu dans lequel il a mis en œuvre son goût pour la création, et se trouve saisi par “ l’affreuse couleur orange du revêtement de sol ” de sa chambre. Le rapprochement avec le nom de domaine qu’il a choisi quelques jours auparavant s’accomplit immédiatement. Ce signifiant se trouve aussi être porteur d’une autre dimension de sa vie, celle qui fut sans doute déterminante dans son désir de création tout autant que dans la détermination des symptômes qui l’ont amené à l’analyse, une solitude d’enfant unique, redoublée d’une étonnante forme d’abandon de la part de ses parents. En racontant cette histoire, il est amusé par la circonstance, mais aussi troublé par le génie de la langue et du hasard qui viennent ici condenser en un mot une histoire déjà longue.
17 Nous l’avons déjà évoqué, l’abandon de l’hypnose et de la suggestion était principalement motivé par la mise à l’écart de la résistance, reconnue dans sa double valence d’obstacle et d’index de contenus refoulés. Elle place le patient dans une situation de duplicité inévitable. Jean-Claude Lavie, dans le même numéro de la Nouvelle Revue de Psychanalyse, rend compte de la guérison en des termes qui ne laissent planer aucune ombre sur les enjeux engagés. Il reconnaît en elle un effet de l’instinct de mort, qui lierait le plaisir à l’abandon de l’investissement, sous l’effet de la déliaison : “ La guérison, c’est la fin du génie qu’il y a dans le symptôme. Ce n’est pas être séparé d’un corps étranger, ou voir cesser une distorsion, c’est perdre une part de soi, une des plus riches, souvent la plus relationnelle, en ce que c’est à travers elle que nous interpellons le monde et... qu’il nous répond. Le sacrifice qu’est la guérison peut se comparer à l’amputation d’un membre gangrené... ” [29]
18 L’hypothèse de la pulsion de mort s’est imposée à Freud, lorsqu’il a cherché à rendre compte de situations cliniques telles que la réaction thérapeutique négative, le masochisme et la mélancolie. En raison de ce remaniement métapsychologique, la position centrale de la remémoration, comme levier de la guérison, s’est trouvé relativisée par l’élaboration de cette deuxième topique, en même temps que déplacée vers le concept d’identification. Ce dernier voit son importance théorique grandir ; notamment à travers la fonction de support d’une forme de remémoration, transcrite dans le fantasme, le choix d’objet, l’évolution du complexe d’Œdipe (investissements sur les parents remplacés par des identifications). La définition même des instances de la deuxième topique procède du concept d’identification : “ Le surmoi est la première identification qui se produisit quand le moi était encore faible, il est l’héritier du complexe d’Œdipe, introduisant dans le moi les objets les plus grandioses [...], il garde néanmoins la vie durant le caractère qui lui est conféré de par son origine dans le complexe paternel [...], il est le mémorial de la faiblesse et de la dépendance qui était jadis celle du moi. Il est ainsi le lieu d’inscription des acquis phylogénétiques du ça. ” [30] Ce qu’Anna Freud illustre dans une interview accordée à Josef Sandler : “ Notre culture demande une restriction de la pulsion sexuelle. Mais ce n’est pas une seule génération qui réalise cela. Cela se produit encore et encore. ” [31] L’exemple qu’elle discute ensuite est celui de la pulsion cannibale, dont elle dit qu’elle ne fait pas l’objet d’une éducation particulière, mais semble acquise d’emblée.
19 Si la première topique s’organisait en référence à la conscience, la seconde, qui différencie les pulsions de vie et les pulsions de mort, a pour caractéristique d’inclure les pulsions dans l’appareil psychique. La conséquence majeure qui en procède est que le moi, antérieurement considéré comme un allié de l’analyste, est devenu en grande partie inconscient, avec pour effet de limiter le pouvoir de l’analyste, dès lors que, selon André Green, “ l’inconscience prend ici la forme de l’inconscience du moi ; inconscient de ses propres résistances ”.
20 C’est aussi l’occasion pour André Green de rappeler la conception de la guérison qui était celle de Winnicott : “ Mieux vaut un patient qui aurait conservé certains symptômes, en même temps qu’il aurait préservé ou accru sa vitalité et sa spontanéité créatrice, qu’un patient complètement débarrassé de ses symptômes et psychiquement neutralisé, c’est-à-dire psychiquement mort. ” [32] Cette conception qui met l’accent sur la vitalité et la créativité n’est pas tellement éloignée de celle de Freud, “ agir et jouir de l’existence ”, notamment dans le cas de l’Homme aux loups. Elle nuance les buts de l’analyse, même si Freud a souvent rappelé la nécessité de pousser l’analyse aussi loin que nécessaire.
21 La duplicité du patient, évoquée précédemment, éclaire celle de l’analyste, non moins assujetti à une position paradoxale vis-à-vis de la guérison. Il ne peut que reconnaître à la psychanalyse un pouvoir thérapeutique, en principe éprouvé par lui-même au cours de sa cure personnelle, pouvoir au nom duquel il accepte d’engager la cure, en même temps qu’il lui faut renoncer résolument à se situer comme thérapeute, pour ne jamais s’éloigner de ce qui vient s’actualiser dans le discours, comme dans le transfert. Freud questionne, en différentes occurrences, ce qui motive chez l’analyste les efforts qu’il doit consentir pour mener à bien les traitements. Si ses réponses privilégient constamment les retombées scientifiques, la question concerne tout analyste qui doit y répondre pour lui-même, pour supporter les frustrations de différentes natures que procure cette “ activité ” qui s’accomplit dans son évitement même. Jean-Claude Lavie, dans l’article déjà cité, répond pour sa part : “ L’analyste ne peut supporter sa propre insatisfaction qu’en trouvant un bénéfice à être lui-même ce qu’il est, c’est-à-dire en narcissisant la contrainte de sa propre attente ou, pour le moins, de son retrait, en tout cas de son renoncement. ” [33]
22 “ Narcissiser la contrainte de sa propre attente. ” À la lecture des écrits de Freud, il est assez clair que sa méthode pour y parvenir passe par l’acquisition d’un gain scientifique auquel il accorde, de façon répétée, la primauté dans l’ordre des buts de l’analyse. La raison pour laquelle Freud ne peut renoncer à cette priorité de la science apparaît dans La Question de l’analyse profane. Nous avons déjà cité des extraits de ce texte qui fut rédigé à l’occasion d’un procès intenté à Theodor Reik pour exercice illégal de la médecine. En arrière-plan, l’intention de la Société psychanalytique américaine de réserver l’exercice de la psychanalyse aux médecins, intention qui menace de faire contagion vers des sociétés européennes. Freud n’accorde aucune confiance aux médecins pour ce qui est de maintenir et approfondir la voie ouverte par la psychanalyse. Il connaît trop bien le tribut payé par la médecine à la pensée positive et le rejet plus ou moins vif qu’elle manifeste à l’égard de tout ce qui peut contrevenir à l’exigence de cohérence que suppose ladite pensée.
23 Sous la pression des situations cliniques déjà évoquées, et dans la nécessité de prendre en compte l’action de ces forces négatives puissamment actives dans le psychisme de chacun, il fut contraint de reformuler la théorie des pulsions et d’introduire une deuxième topique. C’était introduire dans la pensée psychanalytique une représentation scandaleuse pour beaucoup. Il semble d’ailleurs qu’aujourd’hui encore, en dépit des travaux importants qui lui ont été consacrés, certaines sociétés dans le monde affichent ouvertement leur opposition résolue à l’utilisation de ce nouveau paradigme et de ses conséquences.
24 Cette question de la négativité fut pour moi illustrée exemplairement lors d’Entretiens de l’apf, à une époque où ils se déroulaient encore à Vaucresson. L’apf avait invité ce jour-là un philosophe, spécialiste de logique. Il avait choisi de présenter une conférence centrée autour d’une conduite que chacun peut considérer comme très banale : commettre une action contraire à ses intérêts. Il espérait à l’orée de son propos trouver une relation logique, permettant peut-être (pure imagination de ma part) d’utiliser cette formulation logique dans quelque application informatique. Le propos était austère, l’attention de l’auditoire dispersée et, au bout du compte, la relation logique introuvable. Je garde cependant une certaine reconnaissance à cet orateur, parce que, ce jour-là, il m’a rendu sensible le caractère toujours scandaleux du savoir psychanalytique qui prend pour objets non seulement des situations comme la mélancolie, le masochisme ou la réaction thérapeutique négative, mais encore des actes psychiques insoutenables logiquement, comme l’hallucination négative, l’annulation rétroactive, le clivage et, bien sûr, les innombrables actions commises par chacun contre l’intérêt de chacun. Freud ne pouvait abandonner aux seuls médecins le soin de veiller au destin de sa découverte, pulsion de mort incluse ; il n’ignorait rien des réticences qu’avait suscitées “ Au-delà du principe de plaisir ”.
25 Il est vraisemblable que Michel Foucault, dans Naissance de la clinique, avait à l’esprit Freud et la pulsion de mort lorsqu’il situait le véritable changement, c’est-à-dire l’entrée de la médecine dans une ère scientifique, dans un premier temps au milieu du xviiie siècle avec Morgagni, et au début du xixe siècle dans un deuxième temps, avec Xavier Bichat et son Traité des membranes qui marque la fondation et le développement de la méthode anatomo-clinique. La médecine signait la rupture avec les pesanteurs religieuses qui l’avaient entravée jusqu’alors et en passait par l’examen des cadavres et des pièces anatomiques. “ Les gestes, les paroles, les regards médicaux ont pris, de ce moment, une densité philosophique comparable peut-être à celle qu’avait eue auparavant la pensée mathématique. ” [34] Foucault associe à cet instant Bichat, Jackson et Freud dans cette rupture avec le passé : “ Il restera sans doute décisif pour notre culture que le premier discours scientifique tenu par elle sur l’individu ait dû passer par ce moment de la mort. C’est que l’homme occidental n’a pu se constituer à ses propres yeux comme objet de science, il ne s’est pris à l’intérieur de son langage et ne s’est donné en lui et par lui une existence discursive qu’en référence à sa propre destruction : de l’expérience de la Déraison sont nées toutes les psychologies et la possibilité même de la psychologie ; de la mise en place de la mort dans la mentalité médicale est née une médecine qui se donne comme science de l’individu. ” Un peu plus loin : “ D’une façon générale, l’expérience de l’individualité dans la culture moderne est peut-être liée à celle de la mort : des cadavres ouverts de Bichat à l’homme freudien, un rapport obstiné à la mort prescrit à l’universel son visage singulier et prête à la parole de chacun le pouvoir d’être indéfiniment entendue ; l’individu lui doit un sens qui ne s’arrête pas avec lui. ” [35]
26 Une autre raison vient soutenir la première. Elle tient là encore à la cure elle-même. Nous avons mentionné plus haut certains passages où Freud introduit un écart et une tension entre deux pôles, la thérapie et la science, le but pratique et le but théorique, alors même que l’introduction d’un second terme ne semble pas s’imposer obligatoirement. Il semble exister une volonté de Freud de ne pas laisser croire que la solution serait trouvée, que le problème serait résolu. Il y aurait toujours un reste, quelque chose de la situation qui ne serait pas pris en compte et ne trouverait pas à se figurer ailleurs que dans la théorie. C’est bien pourquoi la pulsion de mort, dont la reconnaissance prend son origine dans la clinique, a pris une telle importance, de rendre compte de situations antérieurement inexplicables sans doute, mais aussi de menacer jusqu’au bout la cure et son achèvement, soit encore de placer toute entreprise analytique sous sa tutelle. Écart théorico-pratique qui a fait l’objet d’un article de Jean-Luc Donnet, dans lequel celui-ci examine les différentes facettes d’une telle notion. Je ne rends pas justice à ce travail en n’en citant qu’une phrase qui résume la fonction de cet écart : “ [...] dans le champ de l’analyse, l’écart théorico-pratique est une aire virtuelle nécessaire, que menacent tout à tour le clivage ou l’intégration forcée. Le renvoi indéfini entre théorie de l’interprétation et interprétation de la théorie constitue l’espace de la respiration théorique, fondant le jeu de la méthode. ” [36]
27 L’insistance que Freud met à rappeler la nécessité de faire œuvre scientifique semble indiquer un au-delà de la thérapie ou de la guérison, quelle que soit la forme que celle-ci pourrait prendre : levée de symptômes, remémoration, ou autre. Elle est exigence de déplacement du thérapeute, rappel de la nécessité, pour lui impérieuse, de théoriser, c’est-à-dire de créer un écart, une nouvelle perception de la situation clinique, cette fois-ci dans le champ métapsychologique, quel que soit le niveau de cette élaboration, pour échapper à ce qui, de la pulsion de mort, viendrait menacer, à travers quelque résultat bénéfique, et son écoute et la cure.
28 Vous l’aurez sans doute remarqué en passant, j’ai évoqué différents fragments des écrits freudiens qui laissent apparaître une série sémantique : éducabilité, éducation, post-éducation. Ces mots semblent importants pour Freud, si l’on considère la fréquence avec laquelle ils reviennent dans ses écrits, et ils lui sont si naturels qu’il ne s’est pas soucié de préciser leur contenu. Ils sont fréquemment accompagnés de considérations sur la nécessité de comprendre et d’apprendre, pour l’analyste comme pour le patient. C’est à travers un tel processus que Freud assigne à l’analyse le but de familiariser l’individu avec son propre inconscient. Sans me risquer à leur donner un sens précis, j’imagine qu’ils peuvent désigner, tout à la fois, la faculté de se laisser modifier par l’expérience de la cure, la capacité de se saisir des points de vue offerts par l’interprétation, c’est-à-dire encore d’être disponible pour la méthode et sensible à ses effets ; et le fait que chacun de ceux qui se sont engagés dans l’analyse s’en trouve non seulement changé, mais aussi enrichi d’une expérience suffisamment étayée pour se garder d’un éventuel retour de formations névrotiques empêchantes.
29 Comme le rappelle l’argument de cette journée, Freud évoque bien – sur un mode interrogatif toutefois, qui suggère l’espoir plus que la conviction d’une réelle instauration d’un état nouveau – une création originale qui n’est jamais présente spontanément dans le Moi, état qui ferait de l’homme analysé un individu différent de celui qui ne l’est pas. Ne retrouvons-nous pas, encore dans ces phrases l’espoir freudien d’une transformation de l’homme par la psychanalyse, trop rarement accomplie, ainsi que la nécessité d’un déplacement vers cette “ création originale ” dont Freud ne précise ni la nature, ni ce qui en fait l’originalité ? Nous pouvons seulement imaginer ici qu’il y voyait l’aboutissement de ce qu’il appelle post-éducation en différents moments de ses écrits, post-éducation que seule la psychanalyse serait à même de réaliser, fondée sur les actions psychiques qui ont guidé son propre travail : comprendre et apprendre. Sur cet espoir s’interromprait le long cheminement de Freud depuis la conversion hystérique de ses débuts jusqu’à l’homme analysé de la fin de son œuvre, celui auquel Freud confierait le soin de transformer le socius et d’influer sur la civilisation.
30 En indiquant cette direction, je fais évidemment allusion, et ne pourrai, à cet instant précis, faire qu’une allusion, à la longue méditation que Nathalie Zaltzman mène dans De la guérison psychanalytique. Elle suit pas à pas le cheminement de Freud dans ses écrits anthropologiques, au nom du constat que “ l’inconscient individuel n’existe pas dans l’autoréférence, mais d’abord par sa référence à l’ensemble ; l’ensemble n’existe pas davantage sans l’investissement et la cohésion qui lui viennent des cellules qui le constituent ” [37]. Soit une même et autre histoire.
Notes
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[1]
S. Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, Paris, puf, 2006, p. 186.
-
[2]
S. Freud (1898), “ La sexualité dans l’étiologie des névroses ”, OCF, III, Paris, puf, p. 237.
-
[3]
S. Freud (1932), “ Éclaircissements, applications, orientations ”, Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse, OCF, XIX, Paris, puf, p. 236.
-
[4]
Ibid., p. 238.
-
[5]
S. Freud, “ La sexualité dans l’étiologie des névroses ”, op. cit., p. 239-240.
-
[6]
S. Freud (1937), “ L’analyse avec fin et l’analyse sans fin ”, Résultats, idées, problèmes, II, Paris, puf, 1985, p. 231.
-
[7]
M. Totah, Freud et la guérison, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 87.
-
[8]
S. Freud (1926), La Question de l’analyse profane, Paris, Gallimard, 1985, p. 145-146.
-
[9]
Ibid., p. 150-151.
-
[10]
S. Freud (1901), “ Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora) ”, OCF, VI, Paris, puf, p. 198.
-
[11]
S. Freud, “ L’analyse avec fin et l’analyse sans fin ”, op. cit., p. 233.
-
[12]
S. Freud (1907), Le Délire et les Rêves dans la Gradiva de Jensen, Paris, Gallimard, 1986, p. 241.
-
[13]
G. Canguilhem, “ Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? ”, Nouvelle Revue de Psychanalyse, no 17, printemps 1978, L’idée de guérison, Paris, Gallimard, p. 13-26.
-
[14]
Ibid., p. 14.
-
[15]
S. Freud (1915-1917), Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1999, p. 357.
-
[16]
Ibid., p. 359.
-
[17]
Ibid., p. 572-573.
-
[18]
S. Freud (1905), “ De la psychothérapie ”, OCF, VI, Paris, puf, p. 49 et 51.
-
[19]
Ibid., p. 54.
-
[20]
S. Freud (1904), “ La méthode psychanalytique de Freud ”, OCF, VI, Paris, puf, p. 15.
-
[21]
Ibid.
-
[22]
V. Smirnoff, “ ... Et guérir de plaisir ”, Nouvelle Revue de Psychanalyse, op. cit., p. 143.
-
[23]
S. Freud (1910), “ De la psychanalyse ”, OCF, X, Paris, puf, p. 48.
-
[24]
S. Freud (1909), “ Remarques sur un cas de névrose de contrainte ”, OCF, IX, Paris, puf, p. 179 (note).
-
[25]
S. Freud, La Question de l’analyse profane, op. cit., p. 151.
-
[26]
S. Freud (1937), “ Constructions dans l’analyse ”, Résultats, idées, problèmes, II, Paris, puf, 1985, p. 270, 271 et 272.
-
[27]
S. Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit., p. 264.
-
[28]
A. Green, La Diachronie en psychanalyse, Paris, Éd. de Minuit, 2000, p. 176.
-
[29]
J.-C. Lavie, “ Guérir de quoi ? ”, Nouvelle Revue de Psychanalyse, op. cit., p. 198.
-
[30]
S. Freud (1923), “ Le moi et le ça ”, OCF, XVI, Paris, puf, p. 291.
-
[31]
Propos cités par J. Sandler, L’Analyse de la défense, Paris, puf, 1989, p. 386.
-
[32]
A. Green, Idées directrices pour une psychanalyse contemporaine, Paris, puf, 2002, p. 145.
-
[33]
J.-C. Lavie, “ Guérir de quoi ? ”, op. cit., p. 198.
-
[34]
M. Foucault, Naissance de la clinique, Paris, puf, coll. “ Quadrige ”, 1997, p. 202.
-
[35]
Ibid., p. 200-201.
-
[36]
J.-L. Donnet, “ Sur l’écart théorico-pratique ”, RFP, t. XLIX, no 5, 1985, p. 363.
-
[37]
N. Zaltzman, De la guérison psychanalytique, Paris, puf, “ Épîtres ”, 1998, p. 23.