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Article de revue

La diffusion des travaux de Hans Kelsen en France

Pages 373 à 392

Notes

  • [1]
    Préface de P. M. Dupuy et C. Leben, à l’ouvrage de Michel Virally, La pensée juridique, LGDJ, Paris, 1998, p. II.
  • [2]
    Paul Amselek, Méthode phénoménologique et théorie du droit, LGDJ, Paris, 1964, p. 45-46.
  • [3]
    Expression utilisée par Patrice Chrétien, « Kelsen, le droit administratif, la psychanalyse », in Actualité de Kelsen en France, Bruylant-LGDJ, Paris, 2001, p. 102. Également, Guy Héraud, « L’influence de Kelsen dans les doctrines (françaises et espagnoles) contemporaines », Annales de la Faculté de Droit de Toulouse, tome IV, fasc. 1, fasc. 1, 1958, p. 169-191.
  • [4]
    Sur la réception des idées kelséniennes : voir Michel Van de Kerchove, « Der Einfluss der Reinen Rechtslehre auf die Rechtstheorie in Frankreich und Belgien », in « Der Einfluss der Reinen Rechtslehre auf die Rechtstheorie in verschiedenen Ländern », Schriftenreihe des Hans Kelsen-Institut, vol. 2, Vienne, Verlag Manz, 1978, p. 113-136 (publié en français en annexe à la 2e édition de la Théorie pure du droit traduite par Henri Thévenaz, éd. de la Baconnière, Neuchâtel, 1988, p. 225-288). Également, Guy Héraud, « L’influence de Kelsen dans la doctrine française contemporaine », op. cit. ; Jacques Prévault, « La doctrine juridique de Kelsen. Examen critique, Rayonnement et déclin », Annales de l’Université de Lyon, 3e série, fasc. 27, Librairie du Recueil Sirey, Paris, 1965, p. 6-67 ; Otto Pfersmann, « Das Problem eines normativen Empirismus », in Friedrich Koja et Otto Fersmann, Frankreich-Österreich. Wechselseitige Wahrnehmung und wechselseitiger Einfluß seit 1918, Böhlau Verlag, Wien, Köln, Graz, 1994, p. 159-181 ; Sandrine Pina, Des origines de la pensée de Hans Kelsen à sa réception en France (Contribution à une épistémologie juridique), thèse dact., Faculté de Droit de Clermont-Ferrand, 20-12-2004, 697 p. et « The Reception of Hans Kelsen’s Legal Theory in France », Schriftenreihe des Hans Kelsen-Instituts, vol. 33, 2010, p. 243-257.
  • [5]
    Sur ce point, voir Sandrine Pina, « Kelsen et l'école viennoise de théorie du droit », Revue historique de droit français et étranger, n° 92-1, 2014, p. 131-138.
  • [6]
    Ce texte est le premier à être paru en français. Hans Kelsen, « Aperçu d’une théorie générale de l’État », RDP, 1926, p. 561-646.
  • [7]
    Redslob a réalisé un compte-rendu de l’Allgemeine Rechtslehre dans la RDP de 1926, p. 147-150. L’ouvrage de Kelsen Vom Wesen und Wert der Demokratie, traduit par la suite par Charles Eisenmann, fait également l’objet d’un compte-rendu dans la RDP de 1929, p. 548-551.
  • [8]
    Hans Kelsen, « Aperçu d’une théorie générale de l’État », op. cit., p. 568.
  • [9]
    Hans Kelsen, « La méthode et la notion fondamentale de la Théorie pure du droit », RMM, 1934, p. 183-204.
  • [10]
    Les textes de Kelsen ont été principalement traduits par Charles Eisenmann et Henri Thévenaz.
  • [11]
    Seule la préface de l'édition de 1923 a été traduite à ce jour. Traduction de Sandrine Pina, in Jurisprudence Revue critique, n° 1-2010, p. 71-86.
  • [12]
    À ce propos, Eisenmann a connu personnellement Kelsen lorsqu’il prépara sa thèse au cours de séjours en 1926 et 1927 à Vienne. Une véritable « filiation intellectuelle » est instaurée entre les deux juristes. Carlos Miguel Herrera, « Duguit et Kelsen : la théorie juridique, de l’épistémologie au politique », Annales de la Faculté de Droit de Strasbourg, n° 1-1997, Presses universitaires de Strasbourg, p. 326.
  • [13]
    En 1921, Kelsen est nommé membre à vie et rapporteur de la Cour constitutionnelle autrichienne où il exerce une influence certaine. Cependant, il doit démissionner le 7 décembre 1929 pour des raisons politiques. Allocution de Klemens Pleyer, in Ulrich KLUG, Principien der reinen Rechtslehre, Scherpe Verlag, Krefeld, 1974, p. 8.
  • [14]
    Guy Héraud, « L’influence de Kelsen dans la doctrine française contemporaine », Annales de la Faculté de Droit de Toulouse, op. cit., p. 184.
  • [15]
    Ibid, p. 183.
  • [16]
    Cette garantie juridictionnelle de la constitution vise à assurer l’exercice régulier des fonctions étatiques qu’il définit comme « des actes de création de droit, c’est-à-dire de normes juridiques, ou d’actes d’exécution de droit créé, c’est-à-dire de normes juridiques posées ». Hans Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution », RDP, 1928, p. 198.
  • [17]
    Les idées de Kelsen étaient « aptes » à remporter un véritable succès en France, car « adaptées à la tradition républicaine française ». Olivier Beaud, préface à la Théorie de la Constitution, « Léviathan » PUF, Paris, 1993, p. 9.
  • [18]
    Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, tome I, 3e éd., éd. de Boccard, Paris, 1927, p. 42.
  • [19]
    Carlos Miguel Herrera, « Sur les cahiers de notes de Léon Duguit sur Hans Kelsen », annexe à l’article « Théorie et politique dans la réception de Kelsen en France ». In Actualité de Kelsen en France, op. cit., p. 13-23, annexe p. 25-28. Nous pouvons trouver également des traductions de Duguit dans son Traité de droit constitutionnel (op. cit.).
  • [20]
    Léon Duguit, « Les doctrines juridiques objectivistes », RDP, 1927, p. 537-573.
  • [21]
    Carlos Miguel Herrera, « Sur les cahiers de notes de Léon Duguit sur Hans Kelsen », op. cit., p. 26.
  • [22]
    Revue internationale de théorie du droit, n° 1, 1926-1927, préface, p. 3.
  • [23]
    Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, 2e éd., Recueil Sirey, Paris, 1919, 637 p.
  • [24]
    Roger Bonnard, « La théorie de la formation du droit par degrés dans l’œuvre d’Adolf Merkl », RDP, 1928, p. 668-696.
  • [25]
    Frantz Weyr, « La doctrine de M. Adolphe Merkl », Revue internationale de théorie du droit, 1927- 1928, p. 215 et s.
  • [26]
    Albert Brimo, Les grands courants de la philosophie du droit et de l’Etat, 3e éd., éd. Pédone, Paris, 1978, p. 306.
  • [27]
    Raymond Carré de Malberg, La loi, expression de la volonté générale, Economica, Paris, 1984, préface, p. VII.
  • [28]
    Raymond Carré de Malberg, Confrontation de la théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation, Sirey, Paris, 1933, p. 4.
  • [29]
    Ibid, p. 16.
  • [30]
    Frantz Weyr, « La Stufentheorie de la théorie pure du droit vue par un Français », Revue internationale de théorie du droit, VIII, 1934, p. 236.
  • [31]
    Marcel Waline, « Observations sur la gradation des normes juridiques établie par M. Carré de Malberg », RDP, 1934, p. 521-570. Marcel Waline explique que Carré de Malberg confronte sa théorie à celle de Kelsen et Merkl, sans toutefois rappeler les principes essentiels de la gradation des normes juridiques des deux auteurs viennois.
  • [32]
    Pierre-Henri Prélot, « Actualité de Kelsen », in Actualité de Kelsen en France, op. cit, p. 8. C’est dans cette optique qu’il convient de comprendre la théorie de Carré de Malberg. Son ouvrage fondamental porte ainsi le titre de Contribution à la théorie générale de l’État.
  • [33]
    Raymond Carré de Malberg, La loi, expression de la volonté générale, op. cit., p. 34, 35, 57, 59, 103, 152.
  • [34]
    Ibid, p. 46.
  • [35]
    Hans Kelsen, préface à la thèse de Charles Eisenmann, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche (1928), rééd. Economica, PUAM, 1986, p. XI.
  • [36]
    René Capitant, Introduction à l’étude de l’illicite. L’impératif juridique, Dalloz, Paris, 1928, 230 p. Capitant a soutenu sa thèse le 14 mars 1928 à la Faculté de Droit de Paris, devant MM. les Professeurs Basdevant, Mestre et Le Fur.
  • [37]
    Capitant a lu notamment les œuvres de Duguit, Hauriou, Carré de Malberg, Gény, Jèze, Ripert mais aussi Kant, Binding et Roguin.
  • [38]
    Olivier Beaud, « Découvrir un grand juriste : le ‘premier René Capitant’ », Droits, n° 35-2002, p. 177.
  • [39]
    Ibid, p. 166.
  • [40]
    Georges Burdeau, Essai d’une théorie de la révision des lois constitutionnelles en droit positif français, Thèse, Faculté de droit de Paris, 1930, Macon, J. Buquet, Comptour imprimeur, 349 p.
  • [41]
    Ibid, p. 3, 54, 59.
  • [42]
    Ibid, p. 52.
  • [43]
    Id.
  • [44]
    André Jean Arnaud, Les juristes face à la société du XIXe siècle à nos jours, Paris, 1975, p. 175.
  • [45]
    Georges Burdeau, Traité de science politique, tome I, 3e éd., LGDJ, Paris, 1980, p. 299.
  • [46]
    Jacques Prevault, « La doctrine juridique de Kelsen », op. cit., p. 31.
  • [47]
    René Capitant, Th., op. cit., p. 162.
  • [48]
    Henri Dupeyroux, « Les grands problèmes du droit. Quelques réflexions personnelles, en marge. », Arch. phil. droit, n° 1-2, 1938, p.13-77.
  • [49]
    Guy Héraud, L’ordre juridique et le pouvoir originaire, Thèse en droit, Toulouse, 1945, Librairie du Recueil Sirey, Paris, 1946, 490 p.
  • [50]
    Denys de Béchillon, Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l’État, Economica, Paris, 1996, p. 5.
  • [51]
    Paul Amselek, « Réflexions critiques autour de la conception kelsénienne de l’ordre juridique », RDP, n° 1, 1978, p. 5-19, ici, p. 17. En réponse : Michel Troper, « La pyramide est toujours debout ! Réponse à Paul Amselek », RDP, n° 6, 1978, p. 1523-1536.
  • [52]
    Dans l’œuvre kelsenienne, le problème de l’interprétation semble accessoire. Kelsen ne fait aucune mention de l’interprétation dans ses Hauptprobleme et ne l’aborde que d’un point de vue théorique dans la Théorie pure du droit de 1934. Il a consacré un article à ce sujet la même année intitulé « Zur Theorie der Interpretation ». Hans Kelsen, « Zur Theorie der Interpretation », Internationale Zeitschrift für Theorie des Rechts, n° VIII, 1934, p. 9-17. Également WRS, II, p. 1363-1373. La théorie kelsenienne de l’interprétation fait enfin l’objet de quelques développements dans l’article « Qu’est-ce que la théorie pure du droit ? », Droit et société, n° 22, 1992, p. 558 et s.
  • [53]
    Michel Troper, « Une théorie réaliste de l’interprétation », Annales de la Faculté de Droit de Strasbourg, n° 4-2000, p. 52.
  • [54]
    Il considère que l’interprétation doit porter également sur le fait, qu'elle doit avoir pour objet non une norme à appliquer mais un texte, qu'elle doit émaner de tout organe d’application, que seule l’interprétation donnée par une cour statuant en dernier ressort doit être considérée comme authentique car elle crée une norme générale, signification du texte à appliquer et qu'enfin cette norme générale soit obligatoire pour les tribunaux inférieurs et pour les individus ou autorités soumis à la juridiction de cette cour. Il entend l’interprétation comme une décision productrice de norme appartenant au niveau de l’énoncé interprété. Michel Troper, Pour une théorie juridique de l’Etat, « Léviathan » PUF, Paris, 1994, p. 90.
  • [55]
    Otto Pfersmann, « Contre le néo-réalisme juridique », RFDC, n° 50, avril-juin 2002, p. 279-334, publié à nouveau dans la même revue n° 52, octobre-décembre 2002, p. 789-836. Michel Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFDC, n° 50, avril-juin 2002, p. 335-353. Otto Pfersmann, « Une théorie sans objet, une dogmatique sans théorie. En réponse à Michel Troper », RFDC, n° 52, octobre-décembre 2002, p. 759-788.
  • [56]
    Denys de Béchillon, « Réflexions critiques. – L’ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l’interprétation », Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, 1994-1, p. 245-266. La « Réplique à Denys de Béchillon » de Michel Troper est parue dans le même numéro, p. 267-274.
  • [57]
    Hans Kelsen, « Le contrôle de la constitutionnalité des lois. Une étude comparative des constitutions autrichienne et américaine », traduit par Louis Favoreu, Revue française de droit constitutionnel, n° 1, 1990, p. 17-30.
  • [58]
    D'ailleurs, par deux fois, la Faculté de droit de Paris refuse son nom pour le doctorat honoris causa. In Actualité de Kelsen en France, sous la direction de Carlos Miguel Herrera, op. cit., p. 20.
  • [59]
    Kelsen fut en effet membre du jury de thèse de Thévenaz.
  • [60]
    Cet ouvrage fut à son tour traduit en espagnol en 1960.
  • [61]
    Henri Thévenaz, « Le théorème de Gödel et la norme fondamentale de Kelsen », Revue Droit et société, 4-1986, p. 533.
  • [62]
    Hans Kelsen, Théorie pure du droit. Traduit par Henri Thévenaz, « Être et penser. Cahiers de philosophie » n° 37, 2e éd., éd. de la Baconnière, Neuchâtel, 1988, préface de 1953, p. 20.
  • [63]
    « Entre temps Kelsen avait préparé une seconde édition de sa Reine Rechtslehre de 1934, mais il en avait complètement remanié le texte et son ampleur avait plus que doublé », ibid., avant-propos du traducteur, p. 9.
  • [64]
    Ibid., avant-propos du traducteur, p. 10.
  • [65]
    Cet ouvrage est davantage une compilation de notes de cours et n'a donc pas le même degré d'achèvement que les œuvres précédentes.
  • [66]
    Charles Leben, Hans Kelsen. Ecrits français de droit international. « Doctrine juridique », PUF, Paris, 2001, 316 p.
  • [67]
    Michel Van de Kerchove, « L’influence de Kelsen sur les théories du droit dans l’Europe francophone », in Théorie pure du droit, traduction de Henri Thévenaz, op.cit.
  • [68]
    Sur ce point, Jacques Prevault, « La doctrine juridique de Kelsen », op. cit., p. 54. Il cite par ex. le cas de l’Argentine, avec une école kelsénienne à l’Université de la Plata, avec Carlos Cossio.
  • [69]
    Georges Vedel, « Éloge de Hans Kelsen », op. cit., p. 3.

1S’il est un nom que les étudiants en droit ont tous un jour entendu, c’est bien celui de Hans Kelsen (1881-1973). Perçu comme l’un des principaux protagonistes de la pensée positiviste, sa pensée a suscité débats et controverses doctrinales. Nombreux sont les théoriciens qui ont inscrit leurs travaux en réaction, soit en continuité soit en rupture. En ce sens, « c’est bien la pensée de Kelsen qui est l’horizon théorique des analyses de Virally […], c’est bien le normativisme kelsenien qui est la cible principale de ses critiques, ou plutôt l’objet principal de sa réflexion » [1]. Paul Amselek condamne le système kelsenien mais lui attribue la paternité de sa méthode phénoménologique : « L’œuvre de Kelsen, qui compte dans la littérature juridique de ce siècle, a fait couler beaucoup d’encre et en fera certainement couler encore pendant longtemps. Et pourtant, on n’a pas jusqu’ici invoqué, à notre connaissance, l’étiquette qui nous paraît en caractériser la démarche fondamentale : celle de “phénoménologique”. On a même plutôt tendance à opposer radicalement le kelsenisme à la phénoménologie ; mais il faut voir que cette opposition […] ne concerne pas leur méthode, leur point de départ » [2]. Georges Burdeau commence également sa thèse en reconnaissant tout ce qu’elle doit à la théorie générale de l’État de Kelsen. Les exemples sont multiples. Si l’œuvre du juriste autrichien est influente, son exposé demeure cependant incomplet du fait notamment de la barrière de la langue.

2La réception de Kelsen prend plusieurs formes que ce soit par ses disciples ou par ses critiques. La connaissance des théories kelseniennes a été longue à susciter l’intérêt et fut souvent utilisée à titre de « repoussoir » [3]. Le processus de réception est donc complexe, lentement progressif et d’intérêt variable. L’entrée des idées kelseniennes [4] s’est certes réalisée très tôt mais son influence véritable reste relativement récente.

I. — Les premiers canaux de diffusion des travaux kelseniens

3La diffusion des travaux kelseniens revient principalement à Charles Eisenmann (A). Eisenmann a participé aux séminaires de Kelsen au sein de l’école de Vienne et, comme les autres disciples de Kelsen, il a contribué au rayonnement de l’œuvre du juriste autrichien. D’autres auteurs ont également participé à cette diffusion. C’est le cas notamment de Léon Duguit (B) qui connaissait parfaitement l’œuvre du juriste autrichien et la doctrine juridique allemande de l’époque.

A. — Une démarche volontaire soutenue par Charles Eisenmann

4Dès la seconde moitié des années vingt, la théorie kelsenienne fait son entrée en France. Cette entrée est favorisée par deux éléments majeurs. D’une part, Kelsen avait réellement la volonté de diffuser son œuvre et a publié plusieurs articles présentant clairement et synthétiquement ses concepts théoriques. D’autre part, Charles Eisenmann a contribué à cette diffusion à travers sa thèse relative à la Haute Cour constitutionnelle autrichienne et ses nombreux travaux de traduction.

5En qualité de chef de file de l’école de Vienne [5], Kelsen s’est attaché à la diffusion de sa pensée pour imposer sa conception du droit et de l’État. En 1926, il présente un « Aperçu d’une théorie générale de l’État » [6] dans la Revue du droit public. Cet article de 85 pages constitue en réalité un exposé synthétique de l’Allgemeine Staatslehre (Théorie générale de l’État) de 1925 [7], article traduit par Charles Eisenmann. Cet aperçu présente l’État comme un ordre normatif valable, un ordre de la conduite humaine, un ordre de contrainte efficace. Kelsen aborde des thèmes récurrents de sa doctrine avec – par exemple – le principe de l’imputation normative, la qualification des actes étatiques de par leur « conformité à un ordre valable, le fait que les règles de cet ordre les ont prévus et ont réglé dans quelles conditions et par quelles personnes ils devraient être faits » [8]. Une seconde étude fondamentale va être publiée dans la même revue en 1928 : « La garantie juridictionnelle de la Constitution ». Également traduit par Charles Eisenmann, ce texte désormais célèbre constitue une véritable « publicité » des préceptes kelseniens en présentant les lignes maîtresses de sa théorie de la Constitution et sa vision de la justice constitutionnelle.

6La diffusion de la pensée kelsenienne s’est réalisée à travers la traduction d’articles synthétiques reflétant toute l’élasticité de ses conceptions. Ces deux articles présentent une vue théorique d’ensemble. Ils permettent d’introduire la pensée du juriste autrichien. Kelsen a rédigé des contributions pour les annales de l’Institut de droit comparé de l’Université de Paris en 1936 et pour la Revue internationale de théorie du droit en 1937… Il faut citer aussi son article paru dans la Revue de Métaphysique et de morale en 1934 sur « La méthode et la notion fondamentale de la Théorie pure du droit » [9] ainsi qu’un recueil de cours de l’Académie de droit international de La Haye (en 1926, 1932 et 1953).

7Pour autant, les ouvrages de Kelsen ne seront pas immédiatement diffusés en France (et certains ne le sont toujours pas à ce jour). En ce sens, la Reine Rechtslehre (Théorie pure du droit) a seulement été traduite par Henri Thévenaz [10] en 1953 et 1988 et la seconde édition par Charles Eisenmann en 1962 à la demande de Kelsen. Les Hauptprobleme der Staatsrechtslehre (éditions de 1911 et 1923 [11]) et Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts (1920) n’ont malheureusement jamais été traduits.

8Le rayonnement de la pensée kelsenienne doit beaucoup à Charles Eisenmann [12]. En 1928, il a consacré sa thèse à La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche réalisée sous le patronage du maître autrichien. Il présente les postulats de la pensée de Kelsen (d’ailleurs créateur de cette Cour et juge à vie jusqu’en 1929 [13]), une théorie de la Constitution, la présentation des théories de Maurice Hauriou, François Gény et Léon Duguit ainsi que la présentation de la cour autrichienne. Pour Guy Héraud, Eisenmann est le seul juriste français à pouvoir être considéré comme un véritable disciple de Kelsen [14] : « seul M.Ch. Eisenmann s’est affirmé d’emblée résolument kelsenien et l’est fidèlement demeuré » [15].

9La traduction de l’article relatif à la garantie juridictionnelle de la constitution est très importante car elle a permis d’importer la conception d’un ordre juridique hiérarchisé présenté dans toute son autonomie (le droit réglant sa propre création) et dans sa globalité (allant des normes générales aux normes individuelles, les normes les plus concrètes) [16]. Il pose dès lors la place de la constitution comme « principe suprême déterminant l’ordre étatique », comme « assise fondamentale de l’ordre étatique »… dont la juridiction constitutionnelle assure la protection. Dans ce texte, Kelsen est très précis sur l’organisation de la juridiction constitutionnelle, l’objet et la force du contrôle, la procédure et la théorie du législateur négatif (selon laquelle le juge en annulant une loi non conforme à la Constitution crée du droit négativement), assurant la cohérence du système normatif. Eisenmann a traduit en outre l’ouvrage La démocratie, sa nature, sa valeur en 1932. Et, parmi ses enseignements, il a consacré un cours à la Théorie pure du droit. Pour autant, si Eisenmann reste étroitement associé à Kelsen, il a développé une théorie qui lui reste propre. Il n’est donc pas un simple épigone mais il a permis d’inaugurer le kelsénisme en France [17].

B. — Les travaux de Léon Duguit

10Avant même la démarche de Kelsen et celle de Charles Eisenmann, l’intégration des idées kelseniennes a été favorisée par Léon Duguit qui jouit alors d’une grande renommée grâce à son rigoureux positivisme. Il connaît très tôt le travail du juriste autrichien et a contribué à une connaissance plus générale de Kelsen. Il s’est toujours intéressé à la doctrine allemande et française de son temps comme le montre notamment son ouvrage L’État, le droit objectif et la loi positive en 1901. Il fait de très nombreuses références à la théorie allemande. L’ouvrage de Jhering (Der Zweck im Recht) l’a attiré vers la doctrine allemande ainsi que le System der subjektiven öffentlichen Recht de Jellinek. Duguit précise avoir rédigé L’État, le droit objectif et la loi positive contre la théorie de Georg Jellinek. Le Traité de droit constitutionnel de Léon Duguit contient de très nombreux renvois à Kelsen dans sa table analytique. Il offre un exposé de la doctrine kelsenienne qui « occupe une trop grande place dans le monde du droit » [18] pour ne pas être analysée. La troisième édition de son traité en 1927 consacre une partie à la théorie de Kelsen en faisant référence aux Hauptprobleme der Staatsrechtslehre de 1911. Duguit a lu également Das Problem der Souveränität (1920), Der soziologische und juristische Staatbegriff (1922), l’Allgemeine Staatslehre (1925) et bien évidemment l’article paru dans la Revue du droit public de 1926. Dans son étude « Sur les cahiers de notes de Léon Duguit sur Hans Kelsen » [19], Carlos Miguel Herrera dévoile l’intérêt de Duguit de connaître l’œuvre du juriste autrichien dès la fin des années 1910. Il a, en effet, résumé en français et même traduit des passages d’ouvrages (par exemple, les Hauptprobleme de 1911, Der soziologische und der juristische Staatsbegriff de 1922, Allgemeine Staatslehre de 1925), accompagnés de commentaires personnels. Dans un article paru dans la Revue du droit public en 1927 « Les doctrines juridiques objectivistes », Duguit expose précisément la doctrine normativiste de Hans Kelsen comme une doctrine objectiviste extrême [20]. Il présente la distinction fondamentale de Kelsen entre le Sein et le Sollen, la conception de l’État en tant qu’ordonnancement juridique…

11Il semble que Duguit ait pris connaissance de la théorie kelsenienne suite à un commentaire de Frantz Weyr paru en 1914 (« Über zwei Hauptpunkte der Kelsenschen Staatrechtslehre » [21]). Weyr – partisan de la théorie pure – a collaboré avec Duguit et Kelsen à la Revue internationale de théorie du droit. Cette revue, fondée à Brno en 1926, est publiée en français et en allemand (Internationale Zeitschrift für Theorie des Rechts). Elle sera un support de diffusion des idées kelseniennes. Les trois auteurs ont un objectif commun : établir une véritable théorie du droit positif c’est-à-dire « s’occuper exclusivement d’une théorie de droit qui ne veut être qu’une théorie de droit positif » [22].

12Parmi les juristes qui se sont intéressés très tôt à la doctrine kelsenienne, on peut évoquer aussi Maurice Hauriou qui a consacré sa préface et plusieurs développements à la théorie pure dans son Précis de droit constitutionnel[23] mais il n’en livre pas une étude d’ensemble. Enfin, la pensée autrichienne a été exposée en France par des auteurs qui ont analysé la Stufenbau de Merkl, autre élève de Kelsen. L’article de Roger Bonnard sur « La théorie de la formation du droit par degrés dans l’œuvre d’Adolf Merkl », publié dans la Revue du droit public de 1928 [24] présente de manière précise les analyses de Merkl ainsi que l’étude de F. Weyr « La doctrine de M. Adolphe Merkl » parue dans la Revue internationale de théorie du droit[25]. Ces travaux portent spécifiquement sur la théorie de l’ordonnancement juridique de Merkl et permettent de donner une vision complémentaire de la théorie viennoise. Ils introduisent la théorie de la hiérarchie des normes en France.

II. — La pensée kelsenienne vue par les juristes français de son temps

13Une première étude critique de la pensée de Kelsen en France est réalisée par Jacques Maury avec son article « Observations sur les idées du professeur H. Kelsen », dans la Revue critique de législation et de jurisprudence de 1929. Celle-ci sera suivie par la critique de Henri Dupeyroux dans son cours de doctorat [26]. L’objectivisme de la pensée kelsenienne, le normativisme et le positivisme sont surtout visés. L’impact théorique de Kelsen se manifeste également par la présentation qu’ont pu en faire des juristes tels que Carré de Malberg (A) et les jeunes docteurs René Capitant et George Burdeau (B).

A. — Une réception critique : Raymond Carré de Malberg

14Carré de Malberg a reçu l’influence de la doctrine allemande en raison de sa parfaite connaissance de la langue germanique. Il a lu Jhering, Gierke, Gerber, Laband et Jellinek, ce qui lui a valu en quelque sorte d’être l’interprète de la doctrine allemande. Il existe une relation critique entre Carré de Malberg et l’École de Vienne ; il a étudié la Stufentheorie et a utilisé régulièrement l’idée de hiérarchie dans son œuvre. « Ce sont les études parues dans le Bulletin de la société de législation comparée sur la Constitution de Weimar, les Considérations théoriques sur la question de la conciliation du référendum avec le parlementarisme, les deux ouvrages relatifs à la règle de droit : celui que l’on va lire et la Confrontation de la théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation (1933) enfin un article sur La constitutionnalité des lois et la constitution de 1875. Tous ces travaux se situent sur le terrain de la pure théorie du droit – la Reine Rechtslehre – où il ne faut attendre aucune bruyante célébrité » [27].

15Carré de Malberg est le seul auteur à avoir consacré un ouvrage entier à la réfutation de la hiérarchie normative kelsenienne, élément constitutif fondamental de la Théorie pure du droit. Il publie, en 1933, la Confrontation de la théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation. Cet ouvrage expose tout d’abord la « gradation par échelons descendants » [28] de Kelsen et Merkl, pour conclure : « nous n’essayons pas ici de construire une “Reine Rechtslehre” qui, basée sur des considérations de pure logique, s’édifierait en dehors des données fournies par notre droit positif national » [29]. Carré de Malberg n’est pas un partisan de la Théorie pure du droit[30] et pour ce faire, il compare en réalité une théorie scientifique avec un système de normes : le droit positif français. Il considère qu’en droit français la théorie pure serait fausse. Pour cela, il se base notamment sur les lois constitutionnelles de 1875. Dans ce cadre, il propose une nouvelle classification des normes juridiques [31].

16Carré de Malberg se demande dans quelle mesure les concepts du juriste autrichien ont une confirmation dans le droit public français. Il entend ainsi vérifier le bien-fondé de la théorie de Kelsen et conclut à l’impossibilité d’élaborer une théorie générale universelle de l’État [32]. Toutefois, au-delà de ses critiques, Carré de Malberg a permis aux juristes français de mieux connaître la Stufentheorie ou « théories des marches » [33] qu’il qualifie parfois de « primauté hiérarchique » [34].

B. — Les premières thèses fondées sur les postulats de Kelsen

17Par sa thèse soutenue en mai 1928 à la Faculté de Droit de Paris devant les professeurs Rolland, Mestre et Le Fur, Charles Eisenmann marque sa filiation directe avec Kelsen qu’il a rencontré à Vienne. Mais d’autres jeunes juristes ont également reçu l’empreinte du maître autrichien et se sont lancés – suivant l’expression de Kelsen – dans la recherche d’une « voie nouvelle à travers la broussaille des problèmes, et précisément au point où elle est le plus touffue » [35]. La pensée de Kelsen a directement influencé les travaux de René Capitant et de George Burdeau.

18René Capitant présente sa thèse en mars 1928, deux mois avant celle d’Eisenmann. Ce travail de pure philosophie porte sur l’Introduction à l’étude de l’illicite. L’impératif juridique[36] et est écrite peu après la parution de l’article « Aperçu d’une théorie générale de l’État » dans la Revue du droit public de 1926. René Capitant s’est inspiré de cet article mais aussi de l’Allgemeine Staatslehre de 1925 [37]. Dans sa thèse, il suit la pensée de Kelsen et se propose même d’en compléter les conclusions. Son étude constitue une prise de position car « il pense le droit certes contre Kelsen mais aussi avec Kelsen » [38]. Capitant reprend la terminologie et de nombreux concepts kelseniens. Il présente le droit positif comme le droit effectivement en vigueur et obéi dans une société déterminée. Il conçoit l’édifice juridique comme une mécanique mais il ne suivra pas Kelsen à la lettre. Capitant prône une pyramide de compétences et non une pyramide de validités et il reproche à la théorie kelsenienne d’être déshumanisée. Il place toujours l’individu à l’origine de la règle de droit. La constitution originaire résulte ainsi de l’adhésion de la masse sociale et permet au constituant de légiférer. Chaque organe va donner compétence à l’organe inférieur (le constituant va permettre au législateur de légiférer, le législateur donnera compétence aux autorités administratives…). Le tout constitue un édifice juridique mais renversé eu égard à la théorie kelsenienne. Cet édifice juridique entraîne une hiérarchie des compétences ou des pouvoirs. Au sommet de cette pyramide, se trouve un législateur suprême : la masse sociale, le peuple et c’est en cela qu’il entend compléter et achever la théorie de Kelsen. Il précise à ce propos que « plus nous réfléchissons et plus nous sentons que la théorie de Kelsen appelle ce couronnement » [39].

19L’influence de Kelsen se retrouve également chez Georges Burdeau dont la thèse, intitulée Essai d’une théorie de la révision des lois constitutionnelles en droit positif français[40] soutenue en mars 1930, reprend la terminologie et les concepts kelseniens : la constitution « règle fondamentale », « au sommet du système de normes étatiques », l’État en tant que système de règles valables [41], « il est de l’essence de l’État […] de co-naître à cet ordre (juridique) » [42], « l’État-ordre »…

20Georges Burdeau affirme clairement son héritage kelsenien dans une note : « Nous nous ferions un scrupule de commencer cette étude sans dire tout ce qu’elle doit à la Théorie générale de l’État de M. Kelsen, telle qu’il en a donné un aperçu dans la Revue du droit public (1926, p. 561). Sans peut-être aboutir à des conclusions absolument identiques à celles de l’éminent professeur viennois, il nous a du moins indiqué le point de départ stable en considération duquel on peut étudier l’organisation étatique » [43]. Dans son Traité de science politique, il renvoie à la formation du droit par degrés de Merkl et de Kelsen. « Burdeau, élève de Carré de Malberg, construit sa propre théorie à partir de la pensée kelsenienne » [44]. Il conçoit la hiérarchie juridique comme une hiérarchie purement normative, le droit étant composé d’étages successifs. Les normes s’enchaînent, une norme n’acquérant valeur juridique que si une règle supérieure et préexistante légitime sa création. Mais le normativisme de Burdeau s’étend au contenu du droit et non pas seulement à la forme comme le prévoyait Kelsen. Pour Burdeau, la règle est aussi conditionnée dans son contenu par la règle supérieure. Il a donc adopté et adapté l’idée d’une hiérarchie même s’il reconnaîtra, plus tard, que l’acceptation pleine et entière des thèses kelseniennes était un « péché de jeunesse » [45].

III. — L’état récent de la diffusion

21Si les principaux juristes français se sont intéressés très tôt à la théorie du professeur viennois, cet intérêt a perduré sur les générations suivantes. La diffusion peut donc être observée au travers de deux prismes : la réception dans la science juridique (A) et le développement des traductions (B).

A. — Aperçu de la réception théorique

22La diffusion d’une œuvre peut être appréciée du point de vue de sa réception théorique. En France, la théorie kelsenienne a profondément marqué la science du droit. Cependant la conception du droit de Kelsen ne convainc pas toujours et certains auteurs se sont employés à corriger sa théorie.

23Parmi les concepts les plus critiqués se trouvent la question du fondement du droit et l’idée de hiérarchie purement normative. La norme fondamentale de Kelsen – norme hypothétique voire fictive venant couronner la hiérarchie normative – est vivement rejetée afin de réintégrer l’élément humain. On l’a vu Capitant et Burdeau déjà ont proposé une conception rénovée de la hiérarchie normative. La norme fondamentale est souvent présentée comme un « défaut de solidité » [46] de la pyramide kelsenienne et « d’instinct, les auteurs qui étudient M. Kelsen se cabrent devant une telle construction » [47]. Sur le plan de la graduation des normes, plusieurs auteurs se sont donc employés à réorganiser la hiérarchie pour intégrer les organes, les pouvoirs, les compétences ou encore les fonctions normatives de l’État. C’est le cas des travaux de Henri Dupeyroux [48], Guy Héraud [49], plus récemment Denys de Béchillon [50]

24En 1978, une vive controverse a opposé Paul Amselek et Michel Troper – tous deux élèves de C. Eisenmann. Amselek – après avoir exposé les idées de Kelsen sur la structure de l’ordre juridique, sa validité et son fondement – a adressé plusieurs séries d’observations auxquelles répondra minutieusement Michel Troper. Le débat portait sur le principe de validité de la norme fondamentale, la relation hiérarchique normative dynamique, la présupposition de la norme fondamentale, la confusion entre les termes « valeur » et « vigueur » et entre les termes « valable » et « obligatoire ». En réponse, Michel Troper a démontré que la pyramide de Kelsen est toujours debout et fait échec au constat selon lequel la pyramide serait « boiteuse » [51].

25Au-delà, Michel Troper a donné un tournant réaliste à la théorie kelsenienne. Il a entrepris une importante relecture de la Théorie pure du droit sur plusieurs axes et notamment sur la conception de l’interprétation. La théorie de l’interprétation est peu développée dans la pensée kelsenienne [52], ce qui amène forcément les auteurs à la revoir et à en pousser plus loin les conclusions. Ce travail de refondation de l’interprétation a débuté très tôt avec un article publié dans les mélanges en l’honneur de Charles Eisenmann en 1975, repris ensuite dans son ouvrage Pour une théorie juridique de l’État. Plus qu’une relecture, Michel Troper vise un réel dépassement critique de la théorie du maître de Vienne. Il met en place une théorie réaliste définie « comme une variante du positivisme juridique, […] une doctrine qui veut s’efforcer de construire une science du droit sur un modèle dérivé des sciences empiriques » [53]. Il présente la théorie de l’interprétation de Kelsen et la corrige selon cinq axes [54]. Cette conception a été à son tour critiquée par Otto Pfersmann [55] et Denys de Béchillon [56] notamment.

26Enfin, bien évidemment, il faut souligner le développement des travaux sur la justice constitutionnelle où le nom de Kelsen paraît incontournable. En atteste ainsi la création de la Revue française de droit constitutionnel en 1990 dont le premier numéro contient une traduction réalisée par Louis Favoreu d’un texte de Kelsen sur le contrôle de constitutionnalité [57].

B. — L’essor des traductions : un accès facilité

27En tant que chef de file de l’école de Vienne, Kelsen a souhaité diffuser sa théorie en dehors de l’Autriche et de l’Allemagne. On l’a vu, la pensée kelsenienne est entrée très tôt en France grâce à des publications présentant les aspects théoriques fondamentaux. Si les traductions d’articles sont nombreuses dans les années 1920-1930, le rythme ralentit ensuite. Kelsen fait l’objet d’un relatif désintérêt [58].

28Les références à Kelsen vont se multiplier dans la littérature juridique avec le développement du contrôle de constitutionnalité et un meilleur accès aux textes. Concernant les ouvrages, la traduction de la Théorie pure du droit permet aux lecteurs français de découvrir toute l’ampleur de la pensée. Les premiers travaux de Kelsen, marqués par un fort néokantisme, n’ont pas été traduits. Ce n’est qu’avec la Théorie pure du droit que le public accède enfin à une œuvre complète, œuvre qui mêle un néokantisme moins soutenu et quelques éléments empiriques.

29La traduction de la Théorie pure du droit constitue donc un événement important pour la théorie générale du droit francophone. Le professeur Henri Thévenaz – qui avait des liens privilégiés avec Kelsen [59] – a traduit une première version en 1953. Cette traduction n’était toutefois pas la reproduction fidèle de la première édition de la Reine Rechtslehre. Thévenaz avait décidé de traduire cette œuvre majeure mais il a travaillé à partir d’un texte remanié, si bien que la première version française de la Théorie pure du droit occupe une place particulière [60]. Thévenaz reconnaît qu’il s’agit d’une œuvre originale à mi-chemin entre la première et la seconde édition de la Reine Rechtslehre [61]. En effet, Hans Kelsen avait souhaité remanier pour cette première édition française plusieurs chapitres de sa Reine Rechtslehre de 1934. Près de vingt années séparaient l’édition allemande de la Reine Rechtslehre et cette première traduction française, ce grand décalage étant lié au second conflit mondial. Plusieurs remaniements ont nécessairement été opérés dans l’intervalle. Kelsen écrira : « On comprendra sans peine que ma théorie ne pouvait guère rester intacte pendant une si longue période » [62].

30En 1962, le juriste viennois confie à Charles Eisenmann le soin de traduire une nouvelle version, différente et plus longue que la première Reine Rechtslehre. Cette seconde Reine Rechtslehre est un ouvrage profondément corrigé [63].

31En 1988, Henri Thévenaz reprendra, quant à lui, la version publiée en 1953 en actualisant son travail. Cette édition occupe, elle aussi, une place à part. Si elle est plus concise et définitive compte tenu de l’évolution de la pensée kelsenienne, le traducteur a apporté plusieurs modifications tant sur le fond que sur la forme, lesquelles sont spécifiées dans le texte [64].

32Enfin, une nouvelle édition de la Théorie pure traduite par Charles Eisenmann est parue en 1999 témoignant véritablement de son implantation en France et de son apport quant à la vision d’une science pure du droit et d’un ordre juridique pyramidal.

33Deux autres œuvres majeures du juriste autrichien ont également été traduites : La Théorie générale du droit et de l’État (1945) publiée en 1997 et la Théorie générale des normes [65] (1979) parue en France en 1996. Ces ouvrages marquent l’abandon du néokantisme et prennent un tournant volontariste. En matière de droit international, le recueil Hans Kelsen. Écrits français de droit international réunit les différents écrits de Kelsen en la matière [66]. Aujourd’hui, la réception de Kelsen est beaucoup plus apparente du fait de la propagation de ses idées à travers ces différentes traductions autorisées par l’Institut Hans Kelsen (Vienne).

34La traduction d’ouvrage est un travail délicat. Le travail de traduction peut emporter plusieurs difficultés. La richesse du vocabulaire allemand n’est pas toujours aisée à retranscrire en langue française. Le panel lexical allemand est très varié en raison des nombreux infinitifs substantivés. Pour donner quelques exemples, le verbe « setzen » (poser) engendre le substantif « Setzung » que l’on peut traduire par « édiction » mais qui signifie plus largement « le fait de poser » ; le terme « Reihung » (le fait d’ordonner) – substantif du terme « Reihe » (chaîne, ordre) – peut se traduire de différentes façons : « ordonnancement », « enchaînement »… La langue allemande se caractérise aussi par la possibilité quasiment illimitée de créer des termes composés. En sens inverse, certains termes allemands peuvent recevoir plusieurs acceptions en français. Ainsi en va-t-il du terme « Stufenbau » qui renvoie à l’idée de hiérarchie, de construction hiérarchique ou par degrés, de gradation. Également, le terme « Rechtsätze » régulièrement utilisé par Kelsen est traduit – selon les auteurs – par « règle de droit », « proposition juridique » ou encore par « énoncé normatif ». Le travail de traduction implique donc forcément des choix. Il doit concilier le respect, la fidélité envers les écrits originaux et les exigences linguistiques. La traduction est inéluctablement variable d’un auteur à un autre et aussi d’une époque à une autre.

35En 1988, Michel Van De Kerchove a recensé pour la première fois les différents textes de Kelsen publiés en français [67]. L’annexe au présent article fait état des traductions françaises parues à ce jour. Désormais, 46 références (articles et compilations) sont accessibles et cinq ouvrages ont été traduits et édités à plusieurs reprises. Il serait toutefois bien difficile de recenser tous les écrits mentionnant les travaux kelseniens. L’ensemble de ces traductions témoignent de l’impact de la pensée du juriste autrichien.

36Aujourd’hui, cette conception de la science juridique est bien ancrée et a été développée, approfondie, complétée voire critiquée par de nombreux juristes. Les travaux de Kelsen ont eu de profondes répercussions même s’il n’existe pas proprement dit d’école kelsenienne en France [68].

37Le doyen Georges Vedel, dans son éloge de Hans Kelsen précisait ainsi tout le bénéfice de la conception de Kelsen : « Vous nous avez donné notre axiomatique, notre méthodologie et vous nous avez obligés à penser la science du droit par rapport à l’unité de son objet » [69].


Annexe 1 : Traductions françaises des œuvres de Hans Kelsen

Ouvrages :

38

  1. La Démocratie. Sa nature, sa valeur. Traduit par Charles Eisenmann, Sirey, Paris, 1932, 121 p. Réimpression : Economica, Paris, 1988 et Dalloz, Paris, 2004.
  2. Théorie pure du droit. Traduit par Henri Thévenaz, éd. De la Baconnière, Neuchâtel 1953, 205 p. Réimpression : 1988, 296 p.
  3. Théorie pure du droit. Traduit par Charles Eisenmann, « Philosophie du droit » Dalloz, Paris, 2e éd., 1962, 496 p. Réimpression : LGDJ : Bruylant, 1999, 367 p.
  4. Théorie générale du droit et de l’État et La doctrine du droit naturel et le positivisme juridique. Traduit par Béatrice Laroche et Valérie Faure, introduction de Stanley L. Paulson, « La pensée juridique », éd. Bruylant-LGDJ, Paris, 1997, 518 p.
  5. Théorie générale des normes. Traduit par Olivier Beaud et Fabrice Malkani, « Léviathan » PUF, Paris, 1996, 616 p.

Articles :

39

  1. « Aperçu d’une théorie générale de l’État », traduit par Charles Eisenmann, Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger (RDP), 1926, p. 561-646.
  2. « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », Recueil des cours de l’académie de droit international, n° IV, tome 14, Librairie Hachette, Paris, 1926, p. 225-331. Ressource électronique : Brill, Martinus Nijhoff Online (cop. 2008).
  3. Préface, Revue internationale de théorie du droit, avec Léon Duguit et Frantisek Weyr, n° 1, 1926- 1927, p. 1-4.
  4. « La garantie juridictionnelle de la Constitution. (La justice constitutionnelle) », traduit par Charles Eisenmann, RDP, 1928, p. 197-257.
  5. Préface in Charles Eisenmann, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche, LGDJ, Paris, 1928, Nouvelle édition : Economica, PUAM, 1986, p. V-XI.
  6. « La naissance de l’État et la formation de sa nationalité. Les principes, leur application au cas de la Tchécoslovaquie », Revue de droit international, 1929, p. 613-641.
  7. « Théorie générale du droit international public », Recueil des cours de l’Académie de droit international, 1932-42, p. 116-351. Ressource électronique : Brill, Martinus Nijhoff Online (cop. 2008).
  8. « La justice platonicienne », traduit par Robert Gérin, Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. 114, 1932, p. 364-396
  9. « La méthode et la notion fondamentale de la théorie pure du droit », Revue de métaphysique et de morale, vol. 41, 1934, p. 183-204.
  10. « La politique gréco-macédonnienne et la Politique d’Aristote », Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, 1934, p. 25-79.
  11. « La technique du droit international et l’organisation de la paix », Revue de droit international et de législation comparée, 1934, p. 5-24.
  12. « Traités internationaux à la charge d’États tiers », in Mélanges offerts à Ernest Mahaim. Recueil Sirey, Paris, vol. II, 1935, p. 164-172.
  13. « La Dictature de Parti », Rapport présenté à la session de 1934, Annuaire de l’Institut international de droit public, Recueil Sirey, Paris, 1935, p. 23-40.
  14. « L’âme et le droit », Annuaire de l’Institut international de philosophie du droit et de sociologie juridique, 1935-1936, Recueil Sirey, Paris, 1936, p. 60-80.
  15. « La transformation du droit international en droit interne », Revue générale de droit international public, 1936, p. 5-49.
  16. « Contribution à la théorie du traité international », Revue internationale de la théorie du droit, 1936, p. 253-292.
  17. « Droit et État du point de vue d’une théorie pure », Annales de l’Institut de droit comparé de l’Université Paris II, 1936, p. 17-59.
  18. « Contribution à l’étude de la révision juridico-technique du statut de la Société des Nations », traduit par Georges Dunand, Revue générale du droit international public, n° 44, 1937, p. 625-680 ; n° 45, 1938, p. 5-43.
  19. « De la séparation du Pacte de la Société des Nations et des traités de paix. La crise mondiale », Collection d’études publiée à l’occasion du Dixième Anniversaire de l’Institut universitaire de Hautes Études Internationales, Éditions Polygraphiques, Zürich, 1938, VIII, p. 143-173.
  20. « À propos de la théorie de la primauté du droit international », traduit par Henri Thévenaz, Revue générale de droit international public, n° 45, 1938, p. 504-506.
  21. « Les résolutions de la SDN concernant la séparation du Pacte et des Traités de Paix », Revue de droit international et de législation comparée, n° 1, 1939, p. 101-113.
  22. « Théorie du droit international coutumier », Revue internationale de la théorie du droit, 1939, p. 253-274.
  23. « Théorie juridique de la convention », Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, n° I-IV, 1940, p. 33-76.
  24. « Du droit de se retirer de l’Organisation des Nations Unies », traduit par Georges Ferrière, Revue générale de droit international public, n° 52, 1948, p. 5-19.
  25. « Tendances récentes du droit des Nations Unies », Revue internationale d’histoire politique et constitutionnelle, n° 1-2, 1951, p. 34-44.
  26. « Théorie du droit international public », traduit par Henri Thévenaz, Recueil des cours de l’académie de droit international, n° III, tome 84, 1953, p. 1-203. Ressource électronique : Brill, Martinus Nijhoff Online (cop. 2008).
  27. « Causalité et Imputation », Les Cahiers de Bruges Quarterly, 3-1953, p. 287-311.
  28. « Quel est le fondement de la validité du droit ? », Revue internationale de criminologie et police technique, 1956, p. 161-169.
  29. « Observations (au sujet du rapport provisoire de M. Georges S. Maridakis du 1er février 1956 concernant "Le renvoi en droit international privé") », Annuaire de l’Institut de droit international, vol. 47, Session d’Amsterdam, septembre 1957, p. 115-125.
  30. « Justice et droit naturel », Le droit naturel, Annales de philosophie politique, III, Institut international de philosophie politique, Paris, PUF, 1959, p. 1-123.
  31. « Positivisme juridique et doctrine du droit naturel », in Mélanges Jean Dabin, Tome I, Bruylant et Sirey, Paris, 1963, p. 141-148.
  32. « Un inédit de Kelsen concernant ses sources kantiennes », Droit et société, Revue internationale de théorie du droit et de sociologie juridique, n° 7, 1987, p. 333-335.
  33. « Le contrôle de la constitutionnalité des lois. Une étude comparative des constitutions autrichienne et américaine », traduit par Louis Favoreu, Revue française de droit constitutionnel, n° 1, 1990, p. 17-30.
  34. « L’essence de l’État », traduit par Pierre-Henri Tavoillot, Cahiers de philosophie politique et juridique, n° 17 « La pensée politique de Hans Kelsen », Centre de publications de l’Université de Caen, 1990, p. 17-34.
  35. « État fédéral et confédération d’États », traduit par Madjouba Mounaïm, Cahiers de philosophie politique et juridique, n° 17 « La pensée politique de Hans Kelsen », Centre de publications de l’Université de Caen, 1990, p. 37-46.
  36. « Norme et proposition en théorie du droit », traduit par Olivier Beaud, Droits Revue française de théorie juridique, n° 13, 1991, p. 139-152.
  37. « Qu’est-ce que la Théorie pure du droit ? », traduit par Philippe Coppens, Droit et société, Revue internationale de théorie du droit et de sociologie juridique, n° 22, 1992, p. 551-568.
  38. « Une théorie “réaliste” et la Théorie pure du droit. Remarques sur On Law and Justice d’Alf Ross », traduit par Georg Sommeregger et Eric Millard, Annales de la Faculté de droit de Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, n° 4-2000, p. 15-42.
  39. Écrits français de droit international, (textes présentés par) Charles Leben, PUF, Paris, 2001, 316 p.
  40. « Les buts de la théorie pure du droit », traduit par Nicoletta Bersier Ladavac, Thémis centre d’études de philosophie, de sociologie et de théorie du droit, Genève, 2002, 11 p.
  41. « La fonction de la Constitution », traduit par Sandrine Pina, Des origines de la pensée de Hans Kelsen à sa réception en France (Contribution à une épistémologie juridique), thèse de doctorat dact., Faculté de droit de Clermont-Ferrand, 20-12-2004, annexe 3, p. 607-616. Également traduit par Christophe Bouriau in Kelsen, lecteur de Vaihinger, ENS Lyon « La croisée des chemins », 2013, p. 87-96.
  42. Préface à la seconde édition des Hauptprobleme der Staatsrechtslehre entwickelt aus der Lehre vom rechssatze (1923), traduit par Sandrine Pina, Des origines de la pensée de Hans Kelsen à sa réception en France (Contribution à une épistémologie juridique), thèse de doctorat dact., Faculté de droit de Clermont-Ferrand, 20-12-2004, annexe 1, p. 535-555. Également in Jurisprudence, Revue critique, n° 1-2010, p. 71-86.
  43. Controverses sur la théorie pure du droit : remarques critiques sur Georges Scelle et Michel Virally, (préface de Charles Leben, traduit par Robert Kolb), « Les Introuvables », Ed. Panthéon Assas, LGDJ, Paris, 2005, 186 p.
  44. Qui doit être le gardien de la constitution ?, traduit par Sandrine Baume, Michel Houdiard, Paris, 2006, 138 p.
  45. Qu’est-ce que la justice ? traduit par Pauline Le More et Jimmy Plourde, suivi de “Droit et morale” traduit par Charles Eisenmann, préface de Valérie Lasserre, ed. Markus Haller, Genève, 2012, 141p.
  46. « Contribution à une théorie des fictions juridiques, centrée sur la philosophie du comme si de Hans Vaihinger » traduit par Christophe Bouriau in Kelsen, lecteur de Vaihinger, ENS Lyon « La croisée des chemins », 2013, p. 59-85.

Annexe 2 : « La Fonction de la Constitution », Hans Kelsen

40(Forum, XI. Jahrgang, 1964, Heft 132, S. 583-586 ; WRS p. 1971 à 1979)

41Traduction publiée avec l’aimable autorisation de l’Institut Hans Kelsen, Vienne, Autriche.

42Le droit est un système de normes et les normes sont la signification d’actes de volonté dirigés vers le comportement d’autrui. Ces actes de volonté sont des actes de volonté humains ou supra-humains, tels que les actes de volonté de Dieu ou de la Nature – appelés, dans ce cas, droit naturel. Mais, seules les normes sont prises en considération en tant que normes juridiques ou – plus exactement – en tant que normes d’un droit positif, lesquelles sont la signification d’actes de volonté humains. Elles ont la caractéristique de régler leur propre création et application.

43En premier lieu, les actes de volonté sont des commandements dirigés vers le comportement d’autrui. Mais, tout commandement n’est pas une norme et toute norme n’est pas un commandement. Une norme peut également être une habilitation pour donner un commandement. Lorsqu’un brigand m’ordonne de lui donner mon argent, alors la signification de son acte de volonté, de son commandement n’est pas une norme. Si je me refuse à obéir à son commandement, je n’enfreins aucune norme. La signification subjective de son acte de volonté – selon lequel je dois lui donner mon argent – n’apparaît pas comme sa signification objective, c’est-à-dire comme une norme obligatoire tel, par exemple, un commandement qui m’est adressé par un fonctionnaire des impôts selon lequel je dois verser une somme d’argent déterminée. Pourquoi la signification d’un acte de volonté, le Sollen (le devoir-être), sera dans un cas la signification objective de cet acte (c’est-à-dire une norme obligatoire, valide) et ne le sera pas dans l’autre cas ? Cela signifie : quel est le fondement de validité de la norme présentée seulement dans un cas et non dans l’autre ? La réponse est : parce que dans le cas du commandement du fonctionnaire des impôts, l’acte (dont la signification est un devoir-être) est habilité par une norme valide et non dans l’autre cas. Par cette norme habilitant cet acte, la signification subjective de l’acte est également sa signification objective : une norme obligatoire, valide. La norme supérieure habilitant est le fondement de validité de la norme inférieure habilitée.

44L’hypothèse selon laquelle le fondement de validité d’une norme inférieure est la validité d’une norme supérieure semble conduire à un regressus in infinitum. En effet, la norme supérieure habilitant est, elle-même, la signification subjective d’un acte de volonté dirigé vers le comportement d’autrui. Et, seulement si cet acte est également habilité par une norme encore supérieure, alors sa signification subjective est aussi sa signification objective, c’est-à-dire une norme obligatoire, valide. Je veux expliquer ceci par un exemple simple : un père adresse à son fils une norme individuelle : « Va à l’école ». Le fils demande au père : « Pourquoi dois-je aller à l’école ? » c’est-à-dire qu’il demande pourquoi la signification subjective de l’acte de volonté de son père, qui est aussi sa signification objective, est pour lui ce qu’on appelle une norme obligatoire, ou ce qui signifie la même chose : quel est le fondement de validité de cette norme ? Là-dessus, le père répond : « Parce que Dieu a ordonné d’obéir aux parents, c’est-à-dire que les parents sont habilités à donner des commandements aux enfants ». Ensuite, le fils demande « Pourquoi doit-on obéir aux commandements de Dieu ? », autrement dit : pourquoi la signification subjective de cet acte de volonté de Dieu est aussi sa signification objective (c’est-à-dire une norme valide) ou encore ce qui signifie la même chose : quel est le fondement de validité de cette norme générale ? Sur quoi, la seule réponse possible est : parce qu’on présuppose, en tant qu’homme croyant, que l’on doit obéir aux commandements de Dieu. C’est l’énoncé sur la validité d’une norme qui doit être présupposé dans la pensée de l’homme croyant pour fonder ainsi la validité de la norme de la morale religieuse. C’est la norme fondamentale d’une morale religieuse qui fonde la validité de toutes les normes de cette morale ; une norme fondamentale (Grund-Norm), parce qu’on ne peut pas s’interroger davantage sur le fondement de sa validité. Ce n’est pas une norme positive, c’est-à-dire qu’elle n’est pas posée par un acte de volonté réel, mais elle est une norme présupposée dans la pensée de l’homme croyant.

Droit et morale

45Nous prendrons seulement un exemple relevant du domaine du droit. La séparation entre le droit et la morale existe en ce que le droit est un ordre de contrainte, c’est-à-dire que le droit cherche à amener, par ce moyen, un comportement déterminé des hommes, en attachant à un comportement contraire un acte de contrainte, une sanction comme la privation forcée de la vie, de la liberté, de biens économiques ou de tout autre bien. Lorsque quelqu’un vole, il doit être emprisonné par nécessaire contrainte. Le droit interdit le vol par cette norme. Également, la morale cherche à amener un comportement déterminé des hommes et elle prévoit, en outre, des sanctions. Ces sanctions sont une approbation des comportements conformes à la morale et une désapprobation des comportements contraires. Ce ne sont pas des actes de contrainte. Ces sanctions ne font pas fonction de moyen par lequel le comportement conforme à la morale doit être amené.

46La norme juridique générale « Quand quelqu’un vole, il doit être emprisonné » est seulement la signification subjective d’un acte de volonté du législateur. Elle sera appliquée par décision judiciaire qui devra poser que si Dupont a volé un cheval à Martin, il doit être emprisonné pendant un an. Cette décision judiciaire sera présentée comme une norme individuelle, obligatoire et valide. Mais elle est aussi seulement la signification subjective d’un acte de volonté du juge dirigé vers le comportement d’un organe d’exécution. Si nous interprétons cette signification subjective comme une signification objective, c’est-à-dire comme une norme obligatoire – et si l’on considère l’homme posant cet acte comme juge – c’est parce que cet acte est habilité par une norme générale contenue dans une loi : Lorsqu’un homme vole, le juge compétent doit le punir d’une peine de prison. La validité des normes inférieures individuelles sera fondée par la validité des normes supérieures générales. Et ainsi, le juge fonde réellement sa décision parce qu’elle est conforme à une norme juridique générale valide qui l’habilite.

47Mais également, la norme générale contenue dans une loi, de même que l’ensemble de la loi, est – comme on l’a remarqué – seulement la signification subjective de l’acte de volonté d’un homme ou de la majorité des hommes formant un corps législatif. La fonction essentielle d’un législateur est l’édiction de normes générales déterminant la procédure des organes d’application du droit – en particulier les tribunaux – et le contenu des normes individuelles à poser par ces organes. Certes, une loi peut également contenir d’autres normes générales. Ainsi, on distingue la loi au sens formel et la loi au sens matériel, plus exactement, les formes de loi et les lois, c’est-à-dire une procédure déterminée et la fonction essentielle de cette procédure : la création de normes générales.

48On demande pourquoi la signification subjective de l’acte du législateur est également sa signification objective, c’est-à-dire une norme générale, laquelle pose l’homme en législateur de cet acte. En d’autres termes, on demande : quel est le fondement de validité de la norme posée par l’acte du législateur. La réponse dit : parce que l’acte, dont la signification subjective est une norme générale, est habilité par la constitution. La fonction essentielle de la constitution se trouve dans cette habilitation d’hommes déterminés pour créer des normes générales. Lorsqu’on distingue différentes formes d’État – comme la monarchie, l’aristocratie, la démocratie – le critérium décisif se trouve en ce que la constitution détermine un seul individu qualifié dans le premier cas, elle détermine des individus qualifiés par rapport à un groupe limité dans le second cas, et dans le troisième cas – qu’on a l’habitude de dire imprécis – elle détermine l’ensemble du peuple, plus exactement, l’assemblée du peuple ou un Parlement tenant son pouvoir du peuple pour créer des normes générales.

49Certes, le document que l’on qualifie de constitution contient aussi la plupart du temps d’autres dispositions qu’une telle habilitation. Par conséquent, on doit distinguer entre la constitution au sens formel et la constitution au sens matériel, plus exactement entre la forme de la constitution et la Constitution. La forme de la constitution est une procédure déterminée par laquelle une constitution, réalisée d’une manière ou d’une autre dans un sens matériel, peut être créée ou révisée. Cette procédure se différencie pour l’essentiel de la procédure de législation ordinaire par le fait que la réalisation d’une décision valide est soumise à des conditions strictes car c’est un acte de volonté créant ou révisant la constitution. Le but de ces conditions strictes est de conférer la plus grande stabilité possible à l’habilitation pour créer des normes juridiques générales, ce qu’on appelle la forme de l’État. Une constitution, c’est-à-dire le document ainsi nommé, dispose parfois que les normes réglant la procédure législative ne doivent pas (et même ne doivent pas du tout) être révisées parce qu’ainsi, la forme de l’État serait révisée.

50Si l’on se pose la question du fondement de validité d’une constitution donnée, la réponse peut être qu’elle est réalisée selon la voie de la révision d’une constitution précédente et que la révision ainsi réalisée est une révision constitutionnelle devant s’effectuer sur le fondement d’une constitution précédente. Ainsi, on peut revenir à une constitution historiquement première. Si cette constitution historiquement première est la signification subjective d’un acte de volonté ou d’une pluralité d’actes de volonté et si on demande pourquoi la signification subjective de l’acte constitutionnel donné est aussi sa signification objective (c’est-à-dire une norme valide) ou – en d’autres termes – si on se demande quel est le fondement de validité de cette norme, la réponse dit : parce qu’on présuppose en tant que juriste que l’on doit se comporter comme la constitution historiquement première le prescrit. C’est la norme fondamentale. Cette norme fondamentale habilite l’individu ou la somme des individus qui ont posé la constitution historiquement première à édicter des normes représentatives de la première constitution historique. Si la première constitution historique est posée par décision d’une assemblée, ce sont les individus formant cette assemblée qui sont habilités par la norme fondamentale. Si la première constitution historique est née par voie de coutume, c’est la coutume ou plus exactement les individus dont le comportement forme la coutume créant la première constitution historique qui sont habilités par la norme fondamentale.

Norme et justice

51Finalement, c’est la norme fondamentale de l’ordre juridique qui repose sur la constitution historiquement première. La norme fondamentale – dont on ne peut pas s’interroger davantage sur la question du fondement de sa validité – n’est pas une norme posée mais au contraire une norme présupposée. Elle n’est pas positive car elle n’est pas posée par un acte de volonté réel mais, au contraire, elle est une norme présupposée dans la pensée juridique. Elle représente l’ultime fondement de validité de toutes les normes juridiques formant l’ordre juridique. Seule une norme peut être le fondement de validité d’une autre

52Si on veut connaître la nature de la norme fondamentale, il faut avant tout rester conscient du fait qu’elle se réfère directement à une constitution déterminée, effectivement posée, créée par la coutume ou le droit écrit – c’est-à-dire qu’elle se réfère au fait générateur par lequel les normes constitutionnelles sont posées (les normes constitutionnelles étant la signification subjective de ce fait générateur) –, et elle se réfère indirectement aux normes générales et individuelles de l’ordre juridique posées conformément à la constitution effective – c’est-à-dire que la norme fondamentale se réfère indirectement au fait générateur dont ces normes sont la signification subjective. Cela signifie encore que la norme fondamentale se réfère seulement à une constitution efficace, c’est-à-dire en fait une constitution conformément à laquelle seront posées les lois, les décisions judiciaires et administratives légales.

53La norme fondamentale n’est donc pas le produit d’une libre découverte. Elle se réfère à des faits déterminés existant dans la réalité naturelle, à une constitution réellement posée et efficace dont les faits générateurs créant ou appliquant les normes sont posés conformément à cette constitution. Le contenu de cette constitution ou de l’ordre juridique étatique fondée sur elle n’entre pas ici en considération – que cet ordre soit juste ou injuste. Il en va de même si cet ordre juridique effectif garantit un état de paix relatif au sein de la communauté qu’elle constitue. Avec le présupposé de la norme fondamentale, on n’affirme aucun droit positif de valeur transcendantale.

54Dans la mesure où c’est seulement par la présupposition de la norme fondamentale qu’il est possible d’interpréter la signification subjective des faits générateurs constitutionnels donnés et des faits générateurs posés conformément à la constitution comme sa signification objective, les normes – qui sont la signification de ces faits – sont interprétées comme normes juridiques objectives valides. Dans sa description par la science du droit (si un concept de la théorie kantienne de la connaissance doit être appliqué per analogiam), la norme fondamentale peut se caractériser comme la condition logico-transcendantale du jugement avec laquelle la science du droit décrit le droit comme ordre objectif valide.

55Ainsi, de la même manière que Kant pose la question : comment une interprétation libre de toute métaphysique des faits donnés à notre sens est possible dans les lois naturelles formulées par la science de la nature, une théorie pure du droit se demande : comment est possible une interprétation de la signification subjective du fait générateur comme un système descriptif de propositions juridiques, de normes juridiques objectives valides et ne se reportant pas à une autorité métajuridique comme Dieu ou la Nature ? La réponse épistémologique d’une théorie pure du droit dit : sous la condition que l’on suppose une norme fondamentale, on doit se comporter comme la constitution le prescrit, c’est-à-dire que la signification subjective de l’acte de volonté constitutionnellement donné est conforme au commandement du constituant. La fonction de cette norme fondamentale est de fonder la validité objective d’un ordre juridique positif (les normes posées par des actes de volonté humains), d’un ordre de contrainte efficace en gros et de façon générale, c’est-à-dire d’interpréter la signification subjective de cet acte comme sa signification objective.

56On peut qualifier la norme fondamentale de constitution dans un sens logico-transcendantal pour la distinguer de la constitution dans un sens juridico-positif. Celle-ci est la xonstitution posée par des actes de volonté humains dont la validité est fondée par la norme fondamentale présupposée.

57La norme fondamentale peut mais ne doit pas être nécessairement supposée. L’éthique et la science du droit déclarent : c’est seulement si elle est présupposée que la signification subjective d’un acte de volonté dirigé vers le comportement d’autrui peut aussi être sa signification objective, c’est-à-dire que ces contenus de signification peuvent être interprétés comme normes morales ou juridiques obligatoires. Ici, cette interprétation est conditionnée par la présupposition de la norme fondamentale et il faut admettre que les propositions de devoir peuvent être interprétées seulement dans ce sens conditionné comme normes morales ou juridiques objectives valides.

58Contre l’hypothèse d’une norme non pas posée par un acte de volonté réel mais au contraire d’une norme simplement présupposée dans la pensée juridique, on peut faire valoir qu’une norme peut seulement être la signification d’un acte de volonté et non d’un acte de pensée, qu’entre le « devoir-être » et le « vouloir » demeure une corrélation fondamentale. On peut empêcher par là cette objection en concédant qu’avec la norme fondamentale pensée, une autorité imaginaire doit également être pensée, dont la norme fondamentale est la signification d’un acte de volonté fictif.

59Avec cette fiction, l’hypothèse de la norme fondamentale tient en ce que la constitution – dont la norme fondamentale fonde la validité – est la signification d’un acte de volonté d’une autorité supérieure, au-dessus de laquelle aucune autre autorité supérieure ne peut être donnée. Ainsi, la norme fondamentale est une véritable fiction au sens de la philosophie du « comme si » de Hans Vaihinger. Une fiction est caractérisée en ce qu’elle contredit non seulement la réalité mais aussi en ce qu’elle est contradictoire en soi. Ainsi, l’hypothèse de la norme fondamentale – par exemple la norme fondamentale d’un ordre moral religieux : « On doit obéir aux commandements de Dieu » ou la norme fondamentale de l’ordre juridique : « On doit se conduire comme la première constitution historique l’a prescrit » – n’est pas seulement en contradiction avec la réalité car aucune norme de ce genre n’existe en tant que signification d’un acte de volonté réel, mais elle est aussi contradictoire en soi car elle représente l’habilitation d’une autorité morale supérieure ou d’une autorité juridique supérieure, et par là, elle procède d’une autorité encore supérieure (bien sûr seulement fictive) à cette autorité.

60D’après Vaihinger, une fiction est un expédient conceptuel dont on se sert quand on ne peut parvenir au but de la pensée avec le matériel donné. Le but de la pensée de la norme fondamentale est le fondement de la validité des normes d’un ordre moral ou juridique positif. C’est l’interprétation de la signification subjective des actes posant ces normes, tout comme leur signification objective, c’est-à-dire comme normes valides et les actes en question comme actes posant la norme. La fiction est la seule voie pour parvenir à ce but. C’est pourquoi, il faut considérer que la norme fondamentale au sens de la philosophie du « comme si » de Vaihinger n’est pas une hypothèse – comme je l’avais moi-même accidentellement caractérisée – mais au contraire une fiction qui se différencie de l’hypothèse car elle est accompagnée ou doit être accompagnée de la conscience qu’elle n’est pas conforme à la réalité.

Hiérarchie des normes

61Par le fait que la validité d’une norme fonde la validité d’une autre norme, d’une manière ou d’une autre, le rapport se situe entre une norme supérieure et une norme inférieure. Une norme inférieure est en rapport avec une autre norme supérieure lorsque la validité de celle-ci est fondée par celle-là. La validité d’une norme inférieure est ainsi fondée sur la validité d’une norme supérieure : si la norme inférieure est créée de la manière prescrite par la norme supérieure alors la norme supérieure a, par rapport à celle qui lui est inférieure, le caractère de norme de la constitution. Ainsi, l’essence de la constitution existe dans la réglementation de la création des normes. La loi réglant la procédure par laquelle l’organe d’application du droit – en particulier les tribunaux – crée des normes individuelles est une constitution quant à la procédure de cet organe, tout comme la constitution au sens spécifique et strict du terme quant à la procédure législative et comme la constitution au sens logico-transcendantal quant à la première constitution historique, la constitution au sens du droit positif.

62Le concept de constitution est relativisé. À partir de la norme fondamentale, un ordre moral positif tout comme un ordre juridique positif apparaît comme un complexe de création dans la mesure où la norme fondamentale détermine seulement qui doit poser les normes de l’ordre moral ou juridique, c’est-à-dire qu’elle détermine seulement quelle est la seule autorité supérieure posant les normes sans déterminer le contenu des normes à poser par cette autorité habilitée.

63Les normes posées par une autorité morale supérieure – Dieu – ou par une autorité juridique supérieure – le constituant – qui est habilitée par la norme fondamentale peuvent elles-mêmes habiliter d’autres autorités pour poser les normes et déterminer ou non le contenu des normes à poser. Du point de vue de l’autorité morale ou juridique supérieure habilitée par la norme fondamentale, il en découle que l’ensemble des normes morales ou juridiques positives ne sont pas nécessairement un simple complexe de création de normes.

64Ceci est patent dans le domaine de la morale. Ici, l’autorité morale supérieure n’habilite jamais une autre autorité inférieure à poser des normes de n’importe quel contenu. La norme proclamée par Saint Paul « On doit obéir aussi aux commandements de l’autorité » ne signifie pas que l’on doive obéir à des commandements contrevenant à certaines normes posées directement par Dieu, comme « Tu ne dois avoir aucun Dieu autre que moi ». En règle générale, il en est de même dans le domaine du droit parce que, la plupart du temps, la constitution ne se limite pas à déterminer la procédure de création des normes juridiques générales – la législation – mais elle détermine aussi très fréquemment le contenu des lois futures, au moins négativement en excluant certains contenus tels que la limitation de la liberté d’opinion et de manifestation, la liberté religieuse ou la prise en considération des discriminations telles les discriminations raciales.

65Mais, les normes générales posées par le législateur déterminent non seulement la procédure des organes qui ont à appliquer ces normes mais aussi le contenu de ces normes. Ainsi, un ordre juridique positif n’est pas, semble-t-il, qu’un simple complexe de création de normes, pour le moins en ce qui concerne les lois. Néanmoins, un ordre juridique ayant ce caractère est concevable : l’ordre juridique de l’État idéal de Platon habilitant le juge à décider discrétionnairement des cas individuels sans être lié par des normes générales prédéterminées.

66Dans tous les cas, un ordre juridique positif ne présente pas un tel système de normes coordonnées, mais au contraire présente un système de normes superposées ou subordonnées, c’est-à-dire une hiérarchie de normes allant du degré supérieur – la constitution fondée dans sa validité par la norme fondamentale présupposée – aux degrés inférieurs, les normes individuelles posant comme obligatoire un comportement concret déterminé. À cette occasion, la validité des normes les plus hautes réglant la création des normes les plus basses fonde toujours la validité de ces normes inférieures.

67La fonction de la constitution est le fondement de validité.


Mots-clés éditeurs : traduction, Kelsen, théorie du droit, doctrine, réception

Date de mise en ligne : 18/08/2021

https://doi.org/10.3917/apd.581.0398

Notes

  • [1]
    Préface de P. M. Dupuy et C. Leben, à l’ouvrage de Michel Virally, La pensée juridique, LGDJ, Paris, 1998, p. II.
  • [2]
    Paul Amselek, Méthode phénoménologique et théorie du droit, LGDJ, Paris, 1964, p. 45-46.
  • [3]
    Expression utilisée par Patrice Chrétien, « Kelsen, le droit administratif, la psychanalyse », in Actualité de Kelsen en France, Bruylant-LGDJ, Paris, 2001, p. 102. Également, Guy Héraud, « L’influence de Kelsen dans les doctrines (françaises et espagnoles) contemporaines », Annales de la Faculté de Droit de Toulouse, tome IV, fasc. 1, fasc. 1, 1958, p. 169-191.
  • [4]
    Sur la réception des idées kelséniennes : voir Michel Van de Kerchove, « Der Einfluss der Reinen Rechtslehre auf die Rechtstheorie in Frankreich und Belgien », in « Der Einfluss der Reinen Rechtslehre auf die Rechtstheorie in verschiedenen Ländern », Schriftenreihe des Hans Kelsen-Institut, vol. 2, Vienne, Verlag Manz, 1978, p. 113-136 (publié en français en annexe à la 2e édition de la Théorie pure du droit traduite par Henri Thévenaz, éd. de la Baconnière, Neuchâtel, 1988, p. 225-288). Également, Guy Héraud, « L’influence de Kelsen dans la doctrine française contemporaine », op. cit. ; Jacques Prévault, « La doctrine juridique de Kelsen. Examen critique, Rayonnement et déclin », Annales de l’Université de Lyon, 3e série, fasc. 27, Librairie du Recueil Sirey, Paris, 1965, p. 6-67 ; Otto Pfersmann, « Das Problem eines normativen Empirismus », in Friedrich Koja et Otto Fersmann, Frankreich-Österreich. Wechselseitige Wahrnehmung und wechselseitiger Einfluß seit 1918, Böhlau Verlag, Wien, Köln, Graz, 1994, p. 159-181 ; Sandrine Pina, Des origines de la pensée de Hans Kelsen à sa réception en France (Contribution à une épistémologie juridique), thèse dact., Faculté de Droit de Clermont-Ferrand, 20-12-2004, 697 p. et « The Reception of Hans Kelsen’s Legal Theory in France », Schriftenreihe des Hans Kelsen-Instituts, vol. 33, 2010, p. 243-257.
  • [5]
    Sur ce point, voir Sandrine Pina, « Kelsen et l'école viennoise de théorie du droit », Revue historique de droit français et étranger, n° 92-1, 2014, p. 131-138.
  • [6]
    Ce texte est le premier à être paru en français. Hans Kelsen, « Aperçu d’une théorie générale de l’État », RDP, 1926, p. 561-646.
  • [7]
    Redslob a réalisé un compte-rendu de l’Allgemeine Rechtslehre dans la RDP de 1926, p. 147-150. L’ouvrage de Kelsen Vom Wesen und Wert der Demokratie, traduit par la suite par Charles Eisenmann, fait également l’objet d’un compte-rendu dans la RDP de 1929, p. 548-551.
  • [8]
    Hans Kelsen, « Aperçu d’une théorie générale de l’État », op. cit., p. 568.
  • [9]
    Hans Kelsen, « La méthode et la notion fondamentale de la Théorie pure du droit », RMM, 1934, p. 183-204.
  • [10]
    Les textes de Kelsen ont été principalement traduits par Charles Eisenmann et Henri Thévenaz.
  • [11]
    Seule la préface de l'édition de 1923 a été traduite à ce jour. Traduction de Sandrine Pina, in Jurisprudence Revue critique, n° 1-2010, p. 71-86.
  • [12]
    À ce propos, Eisenmann a connu personnellement Kelsen lorsqu’il prépara sa thèse au cours de séjours en 1926 et 1927 à Vienne. Une véritable « filiation intellectuelle » est instaurée entre les deux juristes. Carlos Miguel Herrera, « Duguit et Kelsen : la théorie juridique, de l’épistémologie au politique », Annales de la Faculté de Droit de Strasbourg, n° 1-1997, Presses universitaires de Strasbourg, p. 326.
  • [13]
    En 1921, Kelsen est nommé membre à vie et rapporteur de la Cour constitutionnelle autrichienne où il exerce une influence certaine. Cependant, il doit démissionner le 7 décembre 1929 pour des raisons politiques. Allocution de Klemens Pleyer, in Ulrich KLUG, Principien der reinen Rechtslehre, Scherpe Verlag, Krefeld, 1974, p. 8.
  • [14]
    Guy Héraud, « L’influence de Kelsen dans la doctrine française contemporaine », Annales de la Faculté de Droit de Toulouse, op. cit., p. 184.
  • [15]
    Ibid, p. 183.
  • [16]
    Cette garantie juridictionnelle de la constitution vise à assurer l’exercice régulier des fonctions étatiques qu’il définit comme « des actes de création de droit, c’est-à-dire de normes juridiques, ou d’actes d’exécution de droit créé, c’est-à-dire de normes juridiques posées ». Hans Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution », RDP, 1928, p. 198.
  • [17]
    Les idées de Kelsen étaient « aptes » à remporter un véritable succès en France, car « adaptées à la tradition républicaine française ». Olivier Beaud, préface à la Théorie de la Constitution, « Léviathan » PUF, Paris, 1993, p. 9.
  • [18]
    Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, tome I, 3e éd., éd. de Boccard, Paris, 1927, p. 42.
  • [19]
    Carlos Miguel Herrera, « Sur les cahiers de notes de Léon Duguit sur Hans Kelsen », annexe à l’article « Théorie et politique dans la réception de Kelsen en France ». In Actualité de Kelsen en France, op. cit., p. 13-23, annexe p. 25-28. Nous pouvons trouver également des traductions de Duguit dans son Traité de droit constitutionnel (op. cit.).
  • [20]
    Léon Duguit, « Les doctrines juridiques objectivistes », RDP, 1927, p. 537-573.
  • [21]
    Carlos Miguel Herrera, « Sur les cahiers de notes de Léon Duguit sur Hans Kelsen », op. cit., p. 26.
  • [22]
    Revue internationale de théorie du droit, n° 1, 1926-1927, préface, p. 3.
  • [23]
    Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, 2e éd., Recueil Sirey, Paris, 1919, 637 p.
  • [24]
    Roger Bonnard, « La théorie de la formation du droit par degrés dans l’œuvre d’Adolf Merkl », RDP, 1928, p. 668-696.
  • [25]
    Frantz Weyr, « La doctrine de M. Adolphe Merkl », Revue internationale de théorie du droit, 1927- 1928, p. 215 et s.
  • [26]
    Albert Brimo, Les grands courants de la philosophie du droit et de l’Etat, 3e éd., éd. Pédone, Paris, 1978, p. 306.
  • [27]
    Raymond Carré de Malberg, La loi, expression de la volonté générale, Economica, Paris, 1984, préface, p. VII.
  • [28]
    Raymond Carré de Malberg, Confrontation de la théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation, Sirey, Paris, 1933, p. 4.
  • [29]
    Ibid, p. 16.
  • [30]
    Frantz Weyr, « La Stufentheorie de la théorie pure du droit vue par un Français », Revue internationale de théorie du droit, VIII, 1934, p. 236.
  • [31]
    Marcel Waline, « Observations sur la gradation des normes juridiques établie par M. Carré de Malberg », RDP, 1934, p. 521-570. Marcel Waline explique que Carré de Malberg confronte sa théorie à celle de Kelsen et Merkl, sans toutefois rappeler les principes essentiels de la gradation des normes juridiques des deux auteurs viennois.
  • [32]
    Pierre-Henri Prélot, « Actualité de Kelsen », in Actualité de Kelsen en France, op. cit, p. 8. C’est dans cette optique qu’il convient de comprendre la théorie de Carré de Malberg. Son ouvrage fondamental porte ainsi le titre de Contribution à la théorie générale de l’État.
  • [33]
    Raymond Carré de Malberg, La loi, expression de la volonté générale, op. cit., p. 34, 35, 57, 59, 103, 152.
  • [34]
    Ibid, p. 46.
  • [35]
    Hans Kelsen, préface à la thèse de Charles Eisenmann, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche (1928), rééd. Economica, PUAM, 1986, p. XI.
  • [36]
    René Capitant, Introduction à l’étude de l’illicite. L’impératif juridique, Dalloz, Paris, 1928, 230 p. Capitant a soutenu sa thèse le 14 mars 1928 à la Faculté de Droit de Paris, devant MM. les Professeurs Basdevant, Mestre et Le Fur.
  • [37]
    Capitant a lu notamment les œuvres de Duguit, Hauriou, Carré de Malberg, Gény, Jèze, Ripert mais aussi Kant, Binding et Roguin.
  • [38]
    Olivier Beaud, « Découvrir un grand juriste : le ‘premier René Capitant’ », Droits, n° 35-2002, p. 177.
  • [39]
    Ibid, p. 166.
  • [40]
    Georges Burdeau, Essai d’une théorie de la révision des lois constitutionnelles en droit positif français, Thèse, Faculté de droit de Paris, 1930, Macon, J. Buquet, Comptour imprimeur, 349 p.
  • [41]
    Ibid, p. 3, 54, 59.
  • [42]
    Ibid, p. 52.
  • [43]
    Id.
  • [44]
    André Jean Arnaud, Les juristes face à la société du XIXe siècle à nos jours, Paris, 1975, p. 175.
  • [45]
    Georges Burdeau, Traité de science politique, tome I, 3e éd., LGDJ, Paris, 1980, p. 299.
  • [46]
    Jacques Prevault, « La doctrine juridique de Kelsen », op. cit., p. 31.
  • [47]
    René Capitant, Th., op. cit., p. 162.
  • [48]
    Henri Dupeyroux, « Les grands problèmes du droit. Quelques réflexions personnelles, en marge. », Arch. phil. droit, n° 1-2, 1938, p.13-77.
  • [49]
    Guy Héraud, L’ordre juridique et le pouvoir originaire, Thèse en droit, Toulouse, 1945, Librairie du Recueil Sirey, Paris, 1946, 490 p.
  • [50]
    Denys de Béchillon, Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l’État, Economica, Paris, 1996, p. 5.
  • [51]
    Paul Amselek, « Réflexions critiques autour de la conception kelsénienne de l’ordre juridique », RDP, n° 1, 1978, p. 5-19, ici, p. 17. En réponse : Michel Troper, « La pyramide est toujours debout ! Réponse à Paul Amselek », RDP, n° 6, 1978, p. 1523-1536.
  • [52]
    Dans l’œuvre kelsenienne, le problème de l’interprétation semble accessoire. Kelsen ne fait aucune mention de l’interprétation dans ses Hauptprobleme et ne l’aborde que d’un point de vue théorique dans la Théorie pure du droit de 1934. Il a consacré un article à ce sujet la même année intitulé « Zur Theorie der Interpretation ». Hans Kelsen, « Zur Theorie der Interpretation », Internationale Zeitschrift für Theorie des Rechts, n° VIII, 1934, p. 9-17. Également WRS, II, p. 1363-1373. La théorie kelsenienne de l’interprétation fait enfin l’objet de quelques développements dans l’article « Qu’est-ce que la théorie pure du droit ? », Droit et société, n° 22, 1992, p. 558 et s.
  • [53]
    Michel Troper, « Une théorie réaliste de l’interprétation », Annales de la Faculté de Droit de Strasbourg, n° 4-2000, p. 52.
  • [54]
    Il considère que l’interprétation doit porter également sur le fait, qu'elle doit avoir pour objet non une norme à appliquer mais un texte, qu'elle doit émaner de tout organe d’application, que seule l’interprétation donnée par une cour statuant en dernier ressort doit être considérée comme authentique car elle crée une norme générale, signification du texte à appliquer et qu'enfin cette norme générale soit obligatoire pour les tribunaux inférieurs et pour les individus ou autorités soumis à la juridiction de cette cour. Il entend l’interprétation comme une décision productrice de norme appartenant au niveau de l’énoncé interprété. Michel Troper, Pour une théorie juridique de l’Etat, « Léviathan » PUF, Paris, 1994, p. 90.
  • [55]
    Otto Pfersmann, « Contre le néo-réalisme juridique », RFDC, n° 50, avril-juin 2002, p. 279-334, publié à nouveau dans la même revue n° 52, octobre-décembre 2002, p. 789-836. Michel Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFDC, n° 50, avril-juin 2002, p. 335-353. Otto Pfersmann, « Une théorie sans objet, une dogmatique sans théorie. En réponse à Michel Troper », RFDC, n° 52, octobre-décembre 2002, p. 759-788.
  • [56]
    Denys de Béchillon, « Réflexions critiques. – L’ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l’interprétation », Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, 1994-1, p. 245-266. La « Réplique à Denys de Béchillon » de Michel Troper est parue dans le même numéro, p. 267-274.
  • [57]
    Hans Kelsen, « Le contrôle de la constitutionnalité des lois. Une étude comparative des constitutions autrichienne et américaine », traduit par Louis Favoreu, Revue française de droit constitutionnel, n° 1, 1990, p. 17-30.
  • [58]
    D'ailleurs, par deux fois, la Faculté de droit de Paris refuse son nom pour le doctorat honoris causa. In Actualité de Kelsen en France, sous la direction de Carlos Miguel Herrera, op. cit., p. 20.
  • [59]
    Kelsen fut en effet membre du jury de thèse de Thévenaz.
  • [60]
    Cet ouvrage fut à son tour traduit en espagnol en 1960.
  • [61]
    Henri Thévenaz, « Le théorème de Gödel et la norme fondamentale de Kelsen », Revue Droit et société, 4-1986, p. 533.
  • [62]
    Hans Kelsen, Théorie pure du droit. Traduit par Henri Thévenaz, « Être et penser. Cahiers de philosophie » n° 37, 2e éd., éd. de la Baconnière, Neuchâtel, 1988, préface de 1953, p. 20.
  • [63]
    « Entre temps Kelsen avait préparé une seconde édition de sa Reine Rechtslehre de 1934, mais il en avait complètement remanié le texte et son ampleur avait plus que doublé », ibid., avant-propos du traducteur, p. 9.
  • [64]
    Ibid., avant-propos du traducteur, p. 10.
  • [65]
    Cet ouvrage est davantage une compilation de notes de cours et n'a donc pas le même degré d'achèvement que les œuvres précédentes.
  • [66]
    Charles Leben, Hans Kelsen. Ecrits français de droit international. « Doctrine juridique », PUF, Paris, 2001, 316 p.
  • [67]
    Michel Van de Kerchove, « L’influence de Kelsen sur les théories du droit dans l’Europe francophone », in Théorie pure du droit, traduction de Henri Thévenaz, op.cit.
  • [68]
    Sur ce point, Jacques Prevault, « La doctrine juridique de Kelsen », op. cit., p. 54. Il cite par ex. le cas de l’Argentine, avec une école kelsénienne à l’Université de la Plata, avec Carlos Cossio.
  • [69]
    Georges Vedel, « Éloge de Hans Kelsen », op. cit., p. 3.

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