1La sclérose en plaques, maladie neurologique chronique évolutive du système nerveux central, constitue un prototype d’affection chronique complexe nécessitant une prise en charge multidisciplinaire et un accompagnement médical et médico-social spécifique tout au long de la vie du patient. Elle touche majoritairement des adultes jeunes, ce qui explique le retentissement considérable qu’elle peut avoir sur leur vie personnelle, familiale et professionnelle. Permettre au patient, tout au long de son parcours de soins et de santé, de comprendre sa maladie, gérer ses traitements, connaitre les professionnels ressource et se projeter afin de mieux vivre avec la maladie est donc un enjeu majeur. Associer les patients à la structuration des parcours de soins est d’ailleurs une orientation fondamentale figurant dans le Plan maladies neurodégénératives 2014-2019.
Les patients, des partenaires qualifiés à associer
2La demande d’autonomisation des patients atteints d’une maladie chronique est aujourd’hui d’autant plus forte que la société attend une forme nouvelle de gouvernance de la santé plus proche d’une participation des citoyens et des patients, intégrant la notion « d’empowerment », concept clé très en vogue dans le discours contemporain sur le développement.
3Les progrès scientifiques et techniques, l’accès accru à l’information et aux connaissances grâce aux nouvelles technologies et les dernières obligations légales en faveur de la participation des patients ont contribué à l’instauration d’une nouvelle dynamique. Cette évolution représente un élément positif mais pour autant elle ne suffit pas en elle-même tant la notion est complexe et la pratique exigeante.
4Elle s’assortit par ailleurs d’un préalable impératif : cette autonomisation n’est évidemment possible qu’à partir du moment où le patient a accepté le diagnostic qui s’accompagne d’un vrai traumatisme et le place dans une sorte d’insularité par l’annonce de l’entrée dans une maladie chronique « indélogeable ». Engager un processus d’autonomisation apparaît dès lors comme un défi lorsque le corps et surtout l’esprit, expriment une vulnérabilité et une perception aliénante de la maladie qui suppose l’acceptation d’une perte de contrôle plutôt que l’autonomie.
5Il est cependant essentiel d’engager, au plus près du diagnostic, le processus d’autonomisation du patient dans la gestion de sa maladie par une conscientisation progressive de son pouvoir d’adaptation et d’innovation pour éviter de laisser s’instaurer une forme de déni. Il peut alors s’emparer des mécanismes de création de nouvelles références, jusqu’alors le plus souvent inconscients, pour se faire l’artisan conscient de sa reconstruction identitaire.
6En effet, ce processus ne porte pas seulement sur la manière dont le médecin établit une relation avec le malade. L’autonomisation est le fruit d’une confrontation entre la connaissance expérientielle du malade et celle objective du médecin qui doit permettre de prolonger le processus de réflexion sur soi qu’il a engagé lui-même et le rendre conscient des choix dont il dispose.
7L’expérience douloureuse et critique de la maladie chronique s’enracine dans le vécu du patient et le contraint à se mobiliser pour mettre en place des stratégies d’adaptation et d’innovation. Elle légitime donc sa participation en tant que partenaire qualifié par l’expérience à la coproduction des soins de santé.
8Cependant, cette notion de « patient expert » n’est pas encore véritablement consacrée dans les pratiques des professionnels de santé. La question est donc de savoir comment les patients peuvent être considérés en tant qu’experts de leur propre maladie, et devenir des partenaires égaux et actifs dans la gestion de leurs soins de santé et surtout dans leur implication dans leur projet de vie.
Construire une relation égalitaire entre médecin et patient
9Le plus souvent, en France, la relation entre le médecin et le malade relève d’un contrat de partenariat, ou d’un pacte, qui repose, certes, sur l’égalité et l’autonomie des partenaires dans la différence des compétences, mais qui peine à prendre conscience de la dissymétrie fondamentale de cette relation : l’opposition de niveau de savoir et de niveaux de souffrance différents. La compétence professionnelle du médecin est reconnue et n’est pas remise en cause, y compris lorsqu’elle dit son incertitude. La compétence du malade concernant l’évaluation de sa situation personnelle en regard des décisions que le médecin juge les plus appropriées et qu’il expose le plus souvent clairement est très inégalement intégrée.
10Cette dissymétrie peut sans doute en partie s’expliquer par la perception par les soignants de la persistance, plus ou moins forte, d’une vulnérabilité chez un sujet malade, quelles que soient son autonomie et sa conscience. Pour autant, l’autonomie doit toujours être recherchée au sein même de cette vulnérabilité car l’établissement d’un lien pédagogique entre le malade et le médecin est essentiel pour renforcer l’autonomie du malade. C’est au médecin d’adapter sa pratique à la conscience du malade.
11L’objectif est donc de « co-construire » une sorte d’alliance thérapeutique fondée sur un dialogue en confiance entre deux consciences compétentes et sur une conception de l’être humain considéré comme un être de raison en capacité d’exprimer sa liberté, son projet, sa rationalité et ses désirs et de les imposer au sein d’un contrat de soins égalitaire.
12Cette autonomie de volonté, se référant à la capacité du patient à se soumettre aux seules lois qu’il s’est fixé lui-même et à maîtriser rationnellement sa sensibilité, est intrinsèque à la personne humaine. Le patient doit pouvoir exprimer cette dignité ontologique. Elle est absolue et ne comporte pas de degrés. Le respect de cette dignité ontologique constitue un principe essentiel de l’éthique médicale.
13Le respect de la volonté du patient conscient et capable d’exprimer sa volonté est d’ailleurs un principe inscrit dans la loi, même s’il exprime un choix que le médecin juge déraisonnable.
14Autrement dit, soin, pédagogie, droit et citoyenneté se rejoignent, se mêlent et se répondent dans une philosophie et une éthique de l’autonomie centrées sur des relations contractuelles et égalitaires entre médecins et malades.
15Ce respect strict de l’autonomie va également de pair avec le rejet de tout paternalisme même « éclairé ». La relation de soins et l’information du patient, de même que la recherche du consentement dans la décision, ont longtemps été vécues sur le mode de sa dérive paternaliste niant la conscience du patient. Ce paternalisme limité à un don de confiance semble être cependant aujourd’hui révolu et avoir fait place à un modèle plus participatif et plus interactif.
16L’éducation thérapeutique du patient (ETP), en assurant par un processus éducatif continu la formation de chaque acteur au sein de la relation de soin, apparaît comme une étape majeure et un outil essentiel dans la réussite et la compréhension partagée de l’autonomisation.
17Elle comprend des activités organisées d’information sur la maladie, ses conséquences et son retentissement sur la vie personnelle, familiale et socioprofessionnelle. Elle s’assortit d’apprentissage d’auto-rééducation et d’autres gestes techniques d’accompagnement de la maladie.
18Les nombreux retours d’expérience font apparaître que ces programmes d’éducation centrés sur le patient, intégrés dans la démarche de soins au plus tôt après l’annonce du diagnostic, ont déjà fait leur preuve pour conserver l’autonomie du patient ou, du moins, tendre vers celle-ci. Ils visent à aider le patient et son entourage à comprendre la maladie et le traitement, à mieux coopérer avec les soignants et à maintenir ou à améliorer sa qualité de vie.
Des obstacles persistants à l’autonomisation des patients
19Si le pari de l’autonomisation du malade chronique semble bien engagé, des difficultés et des freins à son développement persistent et toutes les conditions sont loin d’être réunies pour en assurer le succès.
20L’appel à la prise de conscience et à l’acceptation par le corps médical des capacités propres aux malades est aujourd’hui toujours nécessaire. Il n’est pas rare que le corps médical favorise encore sa propre autonomie professionnelle au détriment de celle des autres acteurs du soin.
21Notre système de santé n’est pas réellement organisé pour faciliter le dialogue, la coproduction et les soins en collaboration. L’hôpital est en effet aujourd’hui une structure complexe où travaillent de nombreux professionnels médicaux, infirmiers, paramédicaux, administratifs et des services de soutien. Il y existe de grandes diversités de structures, de motivations, de compétences et de pratiques.
22La contrainte de temps et de disponibilité importante demandée aux médecins et au personnel soignant constitue par ailleurs une des principales difficultés d’une communication efficace. Le problème se complexifie encore si la prise en charge du patient doit comporter également la liaison entre l’hôpital et d’autres structures extérieures.
23Il existe par ailleurs une véritable inégalité d’accès à l’offre de soins qui reste très hétérogène sur le territoire national. L’accès aux évaluations pluridisciplinaires, aux prises en charges globales, aux thérapeutiques innovantes et à un suivi régulier et attentif reste inégal, et nombreuses sont les personnes atteintes de maladie chronique dont la prise en charge est insuffisante et la situation ne peut que s’aggraver aussi avec la pénurie médicale.
24Alors que l’augmentation de l’espérance de vie fait apparaître par la même occasion plus de pathologies lourdes et graves, plus de maladies chroniques, l’autonomisation des patients constitue un enjeu et un défi de santé publique de plus en plus prégnant.
25L’Organisation mondiale de la santé considère d’ailleurs que rendre les patients citoyens autonomes constitue un des éléments importants pour améliorer les résultats et la performance des systèmes de santé.