Aller à la rencontre des jeunes en danger
1Nous débarquons du RER à cette station de Seine-et-Marne, et ce matin il fait très beau. Nous éloignant de la zone commerciale du centre ville, nous longeons une voie rapide sur un petit kilomètre. C’est au niveau d’un croisement de route qu’on aperçoit des cabanes agglomérées sur un terrain accidenté. Des hommes ramassent des débris qu’ils chargent dans une benne. À l’entrée du platz, sur un petit chemin de terre, une femme mince en jupe longue et veste de cuir nous interpelle en roumain ; nous échangeons quelques mots. Un peu plus loin, nous rencontrons la femme de la première cabane du platz, que nous sommes venues voir. Nous nous serrons la main ; nous entamons la conversation. Nous sommes venus pour parler de son fils adolescent et proposer notre présence lors d’un épisode judiciaire qui inquiète la maman. La femme de l’entrée nous a rejoints. Pendant notre conversation, des enfants et des jeunes circulent autour de nous et viennent nous serrer la main.
2Ensuite, nous cherchons à discuter avec un jeune, qui s’est récemment blessé la main, pour nous assurer de son suivi médical. Nous sortons donc du terrain et nous nous engageons vers une aire de jeux, de l’autre côté de la route. Sur le petit terrain de foot, nous trouvons le groupe que nous cherchions. Quelques ados tapent dans un ballon pendant que des petits font du saute-mouton ou escaladent le grillage avec une facilité impressionnante, rivalisant d’agilité pour frimer devant nous ! Nous extrayons avec difficulté le blessé de ses tirs au but pour lui dire quelques mots, avant de repartir vers notre RER…
3L’après-midi, nous voici aux abords de l’Opéra de Paris. Bingo ! Trois petites silhouettes sillonnent le trottoir à cent mètres de nous. Nous les rattrapons pour leur parler ; nous connaissons l’un d’eux. Mais lorsque nous les abordons, ils nous esquivent et se mettent à courir… avant d’être sûrs que nous ne leur voulons pas de mal. Et en effet, nous cherchons simplement à discuter. Nous nous enquérons de leurs noms ; nous comprenons qu’ils ont faim. Une petite virée dans le magasin d’alimentation le plus proche nous permet de leur offrir des sandwiches et de boire ensemble des sodas, debout sur le trottoir, le temps d’une conversation. Nous les invitons chaleureusement à venir nous voir à Montreuil le lendemain, au centre d’accueil de jour d’Hors La Rue, et à participer à l’activité escalade. Seront-ils là ?
Construire avec eux un avenir Hors La Rue
4Pendant ce temps, à Montreuil, au centre de jour d’Hors La Rue, le cours de français s’est déroulé pour la petite dizaine de jeunes mineurs isolés présents aujourd’hui. Les bénévoles, qui donnent le cours de français, notent leurs progrès dans un classeur. Après quoi, l’éducateur, assigné « maître de maison » pour la journée, les emmène faire des courses, en vue d’une préparation collective du déjeuner. Il est arrivé qu’un jeune mange très peu, ayant du mal à s’habituer à une nouvelle alimentation, mais le jour où il s’illumine et se ressert trois fois - parce que « c’est comme au Bangladesh ! » - c’est alors gratifiant. Le jour de l’atelier cuisine, l’association embaume ; les spécialités culinaires de deux ou trois pays sont mises à l’honneur le temps du déjeuner : ce jour-là, les jeunes ont préparé de la tchoutchouka [1], un tchèpe [2] et un gâteau à l’ananas.
5L’après-midi, après le repas, les activités varient. Depuis deux mois a commencé l’activité escalade, encadrée par deux éducatrices et un professeur d’escalade, à Pantin. C’est l’occasion de voir se dévoiler des traits de personnalité, à travers la pratique : intrépidité ou prudence, volonté de protéger, persévérance, bonne volonté… Certains autres jours, au centre, il y a une activité de formation sur les problèmes de santé ; nous faisons aussi des dessins ; nous mettons de la musique ; nous regardons un film ; nous allons jouer dans un parc… mais toujours dans un climat sécurisant, dans un encouragement à la communication avec les autres jeunes, sous le regard bienveillant et attentif des éducateurs.
Repérer, accompagner, militer
6Le centre de jour, c’est un sas entre la rue et la possibilité d’une meilleure situation ; c’est la possibilité de prendre une douche et de laver ses affaires, de se reposer, de se poser dans l’enfance quelques heures ; c’est s’entretenir avec une psychologue, être accompagné par les éducateurs dans ses démarches auprès des administrations.
7Voilà à quoi ressemble, au jour le jour, l’action d’Hors La Rue, dont le travail éducatif se divise entre deux espaces : le centre d’accueil de jour, où des jeunes, qui seraient autrement à la rue, trouvent un lieu d’accueil et de repos, et des ressources de diverses natures ; et le travail de terrain. Celui-ci s’effectue sur les lieux d’habitation ou sur les lieux parisiens d’activité des jeunes. Il permet de repérer les mineurs en danger et de tenter de les accrocher. Le but est d’établir la confiance et de se faire reconnaître comme adulte bienveillant, capable de les aider, pour déboucher sur une relation plus durable qui, elle, permettra de construire un projet éducatif pérenne. Avec pour mission fondamentale d’accompagner vers le droit commun les mineurs isolés ou mal accompagnés, qui se trouvent en situation migratoire, Hors La Rue a suivi 206 jeunes en 2012. Cette mission se traduit par la relation quotidienne avec ces jeunes ou leur environnement familial, et par un temps important consacré au contact des institutions de protection de l’enfance, pour tenter d’aboutir à des mises à l’abri et d’obtenir l’accès à l’école, à des formations professionnelles et aux soins médicaux.
8Hors La Rue ne travaille pas que sur le terrain ; une partie importante de son activité et de sa raison d’être réside dans un travail de plaidoyer. Son adhésion à des collectifs d’associations, comme le collectif RomEurope et le collectif Ensemble contre la traite des êtres humains, lui permet de mieux porter ses engagements. Bénéficiaire de nombreux soutiens, dont celui de l’Union européenne, toute une partie de son activité consiste également à la participation à des projets européens. Tout ce travail à caractère plus institutionnel qu’éducatif répond, de même, à la mission originelle de l’association : favoriser et rendre effectif l’accès au droit des mineurs étrangers en danger dans un contexte migratoire, en accord avec la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Dans le cadre de la protection de l’enfance, elle s’attache donc à protéger, prévenir, intégrer et lutter contre les exclusions sous toutes leurs formes.