1Sous ce titre provoquant, on sous-entend généralement « objet sexuel », mais on peut le comprendre aussi comme « objet de manipulation », « objet de commerce ». La société toute entière semble s’emparer du corps féminin, et il semble que nous nous éloignons de plus en plus de « mon ventre m’appartient », qui signifiait la volonté de prise en charge des femmes par elles-mêmes.
2En quoi le corps des femmes est-il à risque d’« objectivation » en médecine, en gynécologie ?
3Le rôle du gynécologue médical n’est-il pas de l’aider à retrouver son statut de Sujet ?
Une gynécologie médicale à préserver
4Les femmes ont acquis durement le droit de décider de leur procréation et de disposer de leur corps. Cette acquisition a été contemporaine au développement d’une spécialité, la Gynécologie Médicale (années 1963-1984), typiquement française. On a assisté à l’arrêt de la formation des gynécologues médicaux à la fin des années 80. Puis, on a « oublié » de former à la gynécologie médicale de jeunes médecins - très occupés, par ailleurs, à la pratique de la chirurgie et de l’obstétrique - faisant fonctionner les services hospitaliers, mais bien mal préparés à la pratique de ville d’une gynécologie médicale « sociale ». Une nouvelle formation spécifique est instaurée depuis 5-6 ans : 20 gynécologues médicaux sont formés annuellement en France, avec un espoir de 45 postes à l’internat dans quelques années.
5Les acquis des femmes sont très menacés :
61/ Les gynécologues vieillissants ne seront pas remplacés ! Or, le/la gynécologue est généralement engagé(e) dans une relation thérapeutique avec sa patiente, permettant ainsi de mieux appréhender les mutations sociologiques.
72/ Internet, créant le leurre que l’information vaut la connaissance ; il faut faire face à présent à une entité plus coriace que l’ancienne rumeur ou les « histoires de bonnes femmes », car l’écran authentifie des injonctions fantaisistes dont la patiente (ou sa mère, son père, son compagnon) n’est pas apte à vérifier la source.
83/ Les affaires médico-judiciaires des dernières décennies, le discrédit de l’industrie pharmaceutique et plus encore l’illusion de la maîtrise et du risque zéro menacent ces acquis. La contraception œstro-progestative est mise en cause récemment, sans que rien de nouveau, rien que nous ne sachions depuis plus de 20 ans, ne soit mis à jour ! Nous le savons bien, la pilule n’est pas vendue dans les supermarchés, elle doit être prescrite, suivie et réajustée par des spécialistes gynécologues. Le « principe de précaution » mis en place, c’est la liberté de la contraception qui est menacée, car bien des jeunes filles ne voient plus les bénéfices en regard des risques, soi-disant et dans certaines circonstances, encourus.
9Mais sont aussi sans cesse discutés les acquis concernant le bien être des femmes : la péridurale, « qui paralyse » avec la culpabilité de ne pas supporter la souffrance « naturelle », et le traitement hormonal substitutif de la ménopause, « qui donne le cancer » dans un fond de culpabilité de « peur de vieillir »… des refrains que l’on entend de manière récurrente.
10Par ailleurs, la pression sociale est grande concernant la procréation, tiraillant les jeunes femmes entre l’autonomie par la réussite professionnelle et la diminution de la fertilité avec les années. Elles vont devenir [ou sont déjà en train d’être] l’objet de manipulation marchande : les tests d’ovulation - des applications de Smartphones indiquent (sans support biologique) quand avoir des rapports sexuels pour plus de « rentabilité », et si cela ne fonctionne pas assez vite, les femmes vont alors grossir les rangs des prétendantes à l’AMP [1] dans des affres d’angoisse et de culpabilité, la contraception ayant séparé quelques années la procréation de la sexualité. Or, il faut compter environ 100 € pour un petit « ordinateur » et des bandelettes de prédiction d’ovulation.
11Ce « pseudo savoir », ces outils « pseudo scientifiques » sont en train de manipuler les femmes, qui vont finir par infliger à leur corps des souffrances et se sentir très dévalorisées, « pas capables ». Un grand cynisme règne, et il y a fort à gagner - commercialement - à communiquer avec les femmes (et les hommes) dans le sens de leur angoisse de procréation… Les examens sont pénibles, les traitements sont très onéreux et souvent prématurés, voire inutiles, dans un climat « d’altruisme pervers » [2] qui repousse parfois les limites du raisonnable. Un cycle de stimulation de l’ovulation coûte environ 1 500 €… deviendrait-il terriblement démodé de conseiller une sexualité régulière pour accéder à la procréation ?
Des angoisses esthétiques à proscrire !
12Le culte de la maigreur qui compromet la production hormonale car un peu de graisse est nécessaire à la production d’hormone ; l’activité sportive excessive perturbe également les équilibres internes ; la mode enfin !
13L’image d’un corps pornographique répandue par la télévision et Internet, l’industrie de la lingerie-en réduisant considérablement les surfaces jadis si érotiquement voilées - ont induit la disparition de la toison pubienne, et les femmes découvrent leur sexe « à nu » ! Apparaissent alors des « dysmorphophobies » qui - assez fréquentes chez les adolescentes - s’ajoutent à l’horreur - socialement orchestrée - du vieillissement chez leurs aînées… Sont proposés « lifting vulvaires », « injections » et « nymphoplasties » qui transforment ces obsédées de leur image en « mutilées génitales ». Consentantes ou manipulées ? Victimes en tout cas !
14Certes, en d’autres temps et d’autres lieux, des outils de torture - corsets en Europe et chaussures en Chine-ont idéalisé taille fine et petits pieds. Néanmoins, les femmes s’en sont affranchies dans un mouvement les conduisant vers une certaine liberté.
15Là encore, les profits doivent être conséquents, et la femme manipulée voulant offrir d’elle une image qui, elle l’espère, lui apportera l’amour, le bonheur, se sent forcément dévaluée dans cette course car, bien entendu, la réponse n’est pas là ! Cette recherche de la « normalité » se retrouve même pendant la grossesse, où l’on glorifie le ventre rond et la consommation qui va avec - Enfants, Parents Magazine - où l’on scrute son intérieur avec obligation d’y voir clair - échographies fœtales, médecine anténatale - et où beaucoup oublient qu’une femme est là, portant tout cet espoir avec souvent des angoisses et des inquiétudes qu’on ne veut/peut pas entendre. Elle doit être heureuse puisqu’elle est enceinte !
16Le/La gynécologue référent(e) est parfois interrogé(e) sur la « normalité ». Or, les études de médecine nous apprennent à faire et non pas à être…
Savoir-faire / savoir-être
17Nous nous trouvons confrontés aux incohérences des autorités de santé et des instances sociales. Par exemple, c’est à peu près simultanément que les gynécologues ont reçu deux directives : la première annonçant que « tout gynécologue qui informe des patientes homosexuelles des lieux de procréation médicalement assistée [à l’étranger] est passible de 5 années de prison et 75 000 € d’amende » ; la seconde information indique que le congé parental du « parent » qui élève l’enfant avec la mère, père ou autre, voit sa durée allongée et sa rémunération plus élevée, ce qui donne des droits, si ce n’est une place (officielle), à la compagne d’une mère vivant dans un couple homosexuel.
18Nous sommes face à nos patientes - la femme ou l’homme que nous sommes - avec sa vie, ses problèmes, ses difficultés à être… La tentation est grande de ne pas entendre ce qui est dit, de rester « technique » pour ne pas risquer de souffrir ; la tentation est grande de ne pas prendre de recul sur les faits de société et de rentrer directement dans les écueils de la manipulation des corps et des êtres. Il y a quelques années, j’ai participé comme représentante de la Fédération Nationale des Collèges de Gynécologie Médicale (FNCGM) à des séances de travail organisées par la Sécurité Sociale afin d’harmoniser les cotations des actes médicaux entre les différentes spécialités. Il a été décidé par les autorités de santé de ne pas prendre en compte l’acte intellectuel de la consultation, seuls les actes techniques étaient considérés… L’acte intellectuel de la consultation requiert du temps, entre autre. Or, le temps, c’est de l’argent ! En médecine aussi… car accorder du temps signifie être suffisamment nombreux, être suffisamment formés et être suffisamment rémunérés.
19Comment entrer alors en communication, comment connaître la personnalité, la problématique, les attentes de nos patientes si nous ne pouvons leur accorder du temps ?
20Et nous avons la prétention d’affirmer que des économies de santé peuvent être faites dans ce contexte (réduction des examens para-cliniques par exemple). Le pouvoir médical a été exorbitant à certaines périodes, c’est vrai, mais mettre à mal la médecine et les médecins en les sous payant, en les méjugeant et en les discréditant en permanence ne pourra générer qu’une spirale d’indifférence, d’incompréhension, voire de cynisme.
21Je ne supporte pas l’idée qu’une médecine féminisée risque de payer les frais des excès passés, sans rien dire. Pour que nous puissions remettre la femme en position de Sujet, il faut nous tenir à distance de tout ce brouhaha médiatico-médico-légal qui, en nous préoccupant, nous empêche de penser dans la relation thérapeutique.
22Il semblerait que des chiffres alarmants annoncent la fin d’une médecine de la femme de qualité, « à la française » : diminution de la qualité et de la durée de vie, augmentation des pathologies. La gynécologie médicale a été maintes fois par le passé sollicitée dans des campagnes de prévention, comme celle du cancer du colon, parce que ses performances en médecine préventive étaient bien connues. Il est évident que la société doit faire des économies en matière de santé, mais liquider une médecine préventive performante consacrée à la femme ne paraissait pas la priorité, car il s’agit pour la gynécologie médicale de rendre à la femme sa place de Sujet. Les quelques jeunes gynécologues nouvellement formés sont époustouflants de compétences ; je suis pleine d’espoir. Il est toujours temps de prendre de bonnes décisions et d’infléchir la pente des statistiques alarmantes.