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Article de revue

Une prescription sous influence(s)

Pages 25 à 27

Notes

  • [1]
    Article R.4127-8 du Code de la santé publique : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance ».
  • [2]
    Enquête IPSOS Santé pour la CNAMTS, 2005.
  • [3]
    Article L.162-4 du Code de la sécurité sociale : « Les médecins sont tenus, dans toutes leurs prescriptions, d’observer, dans le cadre de la législation et de la réglementation en vigueur, la plus stricte économie compatible avec l’efficacité du traitement ».
  • [4]
    Contrat d’amélioration des pratiques individuelles
  • [5]
  • [6]
    ALD : Affection de longue durée. Personnes prises en charge à 100% par la sécurité sociale en raison de la présence d’une maladie chronique.

1La prescription est le plus banal et le plus important des actes médicaux. Par l’ordonnance, le médecin concrétise ses décisions thérapeutiques dans le cadre d’un principe fondamental, reconnu par la loi [1], celui de la liberté de prescription, principe sur lequel repose l’indépendance indispensable à l’exercice médical.

Consultation = ordonnance ?

2En France, 90% des consultations de généraliste se concluent par la prescription d’une ordonnance de médicament [2]. Ce résultat massif contraste avec ce qui est observé chez nos voisins européens : en Allemagne, par exemple, la proportion de consultations avec ordonnance est de 72,3% et de 43,2% seulement aux Pays-Bas. Cette fréquente délivrance d’ordonnance s’accompagne de la prise d’un nombre plus élevé de médicaments : 1,9 en moyenne en 6 jours contre 1,3 aux Pays-Bas sur la même période. La forte consommation pharmaceutique française concerne la majorité des classes thérapeutiques. Par ailleurs, la prescription française de médicaments laisse souvent plus de place aux produits plus récents et donc plus chers, au détriment de molécules anciennes et souvent génériques (Sabban & Courtois, 2007).

Au carrefour de toutes les pressions

3L’analyse des facteurs influençant la prescription permet de mieux comprendre les raisons de cette spécificité française. Ces facteurs sont multiples, liés aux caractéristiques individuelles des médecins et de leurs patients, mais aussi à des facteurs externes tels que l’offre de soin, l’environnement social et géographique, le système de santé et la régulation du médicament, les spécificités de notre culture. Bien sûr, les médecins sont loin d’être les seuls responsables de cette « sur-prescription » : la demande des patients, l’influence de l’industrie pharmaceutique sont également à prendre en compte.

4Initialement mis en place pour assurer la sécurité des patients, l’encadrement de la prescription s’élargit désormais à des préoccupations d’ordre économique ou de bon usage. La prescription est d’abord encadrée par la loi qui fixe les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de prescription : médicaments à prescription restreinte, prescriptions sur ordonnance sécurisée pour certains, durée de la prescription, renouvellement, prescription en dénomination commune internationale, et plus récemment, incitation à une prescription plus efficiente [3]. La prescription est également encadrée par la sécurité sociale dans le cadre des conventions médicales ou des CAPI[4], depuis 2008, qui prévoient, par exemple, des incitations à la prescription de médicaments génériques. Elle est également limitée par l’instauration du droit de substitution, qui donne au pharmacien la possibilité de modifier l’ordonnance. Enfin, des outils d’aide à la prescription se sont développés, en particulier sous la forme de recommandations de bonnes pratiques, dont l’objectif est d’informer professionnels de santé et usagers du système de santé, sur l’état de l’art et les données acquises de la science [5].

Face à la demande

5La première raison de prescrire un médicament est, bien sûr, le traitement des maladies. Ainsi, le nombre de médicaments consommés augmente avec le nombre de maladies, et cela quel que soit l’âge des patients (Auvray & Sermet, 2002). Autre indicateur, la part de la population en ALD[6] dans la patientèle du médecin est également synonyme d’une forte demande de prescriptions et de coûts importants (Bejean, Peyron & Urbinelli, 2007). La quantité de produits prescrits varie, cependant, avec la nature du diagnostic établi lors de la consultation. Pour une moyenne de 3,7 médicaments par ordonnance de généraliste, le nombre de médicaments prescrits s’élève à 4,2 lorsque des problèmes cardiovasculaires sont diagnostiqués et s’abaisse à 2,4 en cas de problème dermatologique. Plus généralement, le recours pour une maladie chronique augmente la probabilité de se faire prescrire une ordonnance, ainsi que le nombre de médicaments prescrits (Amar & Pereira, 2005).

Foi et culte du médicament

6Les études socio-anthropologiques semblent, par ailleurs, indiquer que les médecins français ont tendance à médicaliser des maux bénins (donner des antibiotiques ou des médicaments pour un rhume banal, par exemple) ou à traiter préférentiellement par des médicaments certains troubles psychiques, alors qu’une psychothérapie pourrait suffire (Véga, 2011). À l’opposé des Néerlandais qui sont rassurés lorsqu’ils n’ont pas d’ordonnance en quittant le médecin, l’appétence des patients français pour le médicament peut conforter le comportement prescripteur des médecins français (van der Wijst & Kooiker, 2003). L’équation « une consultation = une ordonnance » reflète ainsi le surinvestissement de la société dans le médicament, la croyance profondément ancrée dans notre société aux progrès de la médecine et de ses techniques (Clerc, 2009 ; Véga, 2011).

La menace du nomadisme

7La notion de « pression de prescription » commence d’ailleurs à être bien documentée, à la fois dans les études quantitatives et qualitatives. Une étude réalisée sur des consultations de médecine générale révèle que 23,7% des patients ont exercé une pression sur leur médecin ; la plupart du temps, cette pression concerne les médicaments (17,3%) et en particulier les antalgiques (27,6%), les anti-inflammatoires - non stéroïdiens et stéroïdiens - (17,1%), les médicaments de la sphère gastro-entérologique (16,2%), les anti-infectieux (14,3%), et les vitamines et « antiasthéniques » (11,4%) (Delga, Megnin, Oustric, Laurent, Pauly, Vergez et al. 2003). Cette pression est interprétée par les médecins comme étant le résultat d’une recherche de confort ou de bien-être de la part de certains patients, au travers d’un refus de passer à l’insuline, de prendre des diurétiques le soir, ou une demande d’antalgiques ou de traitement des bouffées de chaleur (Clerc, 2009). Une telle pression de prescription du patient est d’autant plus efficace sur le médecin que la « menace » de fuite du patient vers un autre médecin est crédible. Dans ce contexte, l’inscription du patient auprès d’un médecin traitant, encouragée par la réforme de 2004, aurait théoriquement dû freiner un peu cette pression de prescription du patient, en rendant moins probable le nomadisme du patient, mais il n’y a pas eu d’étude réalisée sur ce sujet (HCAAM, 2005).

8En dehors de l’état de santé, d’autres caractéristiques des patients influencent la prescription : ainsi, les médecins généralistes prescrivent-ils davantage aux femmes et aux patients les plus âgés, à la fois en termes de fréquence de prescription et en nombre de médicaments prescrits au cours de la consultation (Amar & Pereira, 2005).

« L’important, c’est d’acter ? »

9Parmi les caractéristiques individuelles des médecins, les médecins plus âgés prescrivent moins souvent que les jeunes et les femmes prescrivent moins souvent et pour un montant moins élevé que les hommes. Au-delà de ces caractéristiques démographiques, la pratique et les modes d’organisation des médecins ont un impact notable. L’exercice en groupe s’accompagne d’une prescription plus efficiente et moins coûteuse que l’exercice individuel (Tollen L., 2008). Le secteur de conventionnement à honoraires libres (secteur 2) est associé à une moindre prescription, tant en fréquence qu’en coûts (Amar & Pereira, 2005 ; Bejean et al., 2007). À l’inverse, les médecins dont la patientèle ou l’activité sont importantes, ont des coûts moyens par prescription plus élevés, ce qui illustre très certainement une limite du mode de paiement à l’acte des médecins. Celui-ci encourage une réduction de la durée de la consultation pour multiplier le nombre d’actes et incite le médecin à compenser en augmentant la longueur et donc le coût de l’ordonnance. Quant à l’impact de l’offre locale de soins, il est également remarquable : la densité de médecins généralistes et leur activité agissent négativement sur les montants prescrits ; l’éloignement de l’hôpital le plus proche augmente le coût de la prescription. Enfin, un contexte économique local défavorable, avec des taux de chômage élevés et des revenus moyens faibles, s’accompagne de prescriptions globalement moins onéreuses (Bejean et al., 2007 ; Lancry PJ., 1997).

Écouter le patient, satisfaire le client

10Enfin, il ne faut pas sous-estimer le poids des facteurs culturels. Ils résultent de croyances, de comportements façonnés par le pays, la société dans laquelle nous vivons, l’éducation reçue, notre appartenance religieuse ou sociale. Ils expliquent en grande partie les différences observées entre pays, entre régions, entre médecins.

11Anne Véga met ainsi en exergue des caractéristiques qui opposent petits, moyens et gros prescripteurs de médicaments. Les premiers sont porteurs de motivations et d’idéaux marqués (vocation médicale, médecine humanitaire, etc.), ils sont très investis auprès de leurs patients, ils échangent avec leurs pairs, ils sont guidés par un désir de qualité des soins qui les a conduits à infléchir leur prescription, ils ne médicamentent pas les maux courants, ils se méfient des effets iatrogènes et discutent les ordonnances de leurs confrères. À l’opposé, les très gros prescripteurs ont des motivations soignantes et des capacités d’écoute moindres. Ils ont, de ce fait, choisi l’action médicale et des réponses techniques et normalisées. Ils ont confiance dans les médicaments et dans les laboratoires pharmaceutiques. Ils ont également une perception majorée des risques qu’encourent leurs patients, ce qui les conduit à les anticiper en sur-prescrivant. Ils sont moins portés à parler de leurs pratiques avec d’autres professionnels (Véga, 2011).

Difficile liberté

12Ce sont ces facteurs culturels qui expliquent également la plus ou moins grande réceptivité des médecins aux pressions de l’industrie pharmaceutique, exercées au travers des visites de promotion. Il semble ainsi que les généralistes soient plus facilement influencés que les spécialistes par les visites de l’industrie (Tobin, de Almedia Neto, Wutzke, Patter-son, Mackson, Weekes et al. 2008). Autre forme de pression, celle des leaders d’opinion, pouvant conduire à la mise en place de normes locales de prise en charge ou encore les instaurations de traitement par les spécialistes ou par un séjour à l’hôpital, qui sont souvent respectées par les généralistes (Prosser, Almond & Walley, 2003).

13Ainsi, la libre prescription à laquelle chaque médecin est à juste titre extrêmement attaché, est en fait une prescription largement sous influence. Deux leviers semblent pouvoir être mobilisés pour améliorer dans un futur proche l’efficience de cette prescription. Le premier est celui de l’organisation de soins, qui tend à se reconfigurer aujourd’hui autour de l’exercice de groupe, favorisant une prescription plus économe et mieux maîtrisée. Le second renvoie à la rémunération des médecins, aujourd’hui dominée par le paiement à l’acte, dont on déplore l’aspect inflationniste (Samson, 2009), et qui commence à incorporer des éléments de paiement à la performance, tels que le CAPI. Une augmentation de la part des paiements à la performance, sans aller jusqu’à une remise en cause du paiement à l’acte, serait de nature à favoriser une meilleure efficience (HCAAM, 2007).

14Ces deux leviers n’agissent d’ailleurs pas forcément indépendamment l’un de l’autre, la nouvelle organisation des soins pouvant stimuler la mise en place de paiements innovants, au service d’une meilleure efficience du système.

Bibliographie

Références

  • Amar E & Pereira C, « Les prescriptions des médecins généralistes et leurs déterminants », Études et résultats, Drees, 2005, (440), 1-12.
  • Auvray L & Sermet C, « Consommations et prescriptions pharmaceutiques chez les personnes âgées : un état des lieux », Gérontologie et Société, 2002, (103), 13-27.
  • Bejean S, Peyron C & Urbinelli R, « Variations in activity and practice patterns : a French study for GPs », Eur. J Health Econ, 2007, 8(3), 225-236.
  • Clerc P, Étude Polychrome : rapport final INSERM, 2009, p.1-130. Delga C, Megnin Y, Oustric S, Laurent C, Pauly L, Vergez J.P, Charlet J.P, Montastruc J.L & Arlet P, « A pilot study in general practice : pressure to prescribe », Therapie, 2003, 58(6), 513-517.
  • HCAAM, Rapport 2005 du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance Maladie, 2005, p.1-118.
  • HCAAM, Note sur les conditions d’exercice et de revenus des médecins libéraux, 2007, p.1-118.
  • Lancry P.J, Âge, temps et normes : une analyse de la prescription pharmaceutique, 1997, p.173-187.
  • Prosser H, Almond S & Walley T, « Influences on GPs’ decision to prescribe new drugs - the importance of who says what », Fam. Pract., 2003, 20(1), 61-68.
  • Sabban C & Courtois J, « Comparaisons européennes sur huit classes de médicaments », Point de Repères, Cnamts, 2007, (12), 1-8.
  • Samson A, « Faut-il remettre en cause le paiement à l’acte des médecins ? », Regards Croisés sur l’Économie, Au chevet de la santé, n°5, 2009.
  • Tobin L, de Almedia Neto A.C, Wutzke S, Patterson C, Mackson J, Weekes L & Williamson M, « Influences on the prescribing of new drugs », Aust.Fam.Physician, 2008, 37(1-2), 78-80, 83.
  • Tollen L, Physician organization in relation to quality and efficiency of care, « A synthesis of recent literature : Kaiser Permanente Institute for Health Policy », the Commonwealth Fund, 2008.
  • van der Wijst L & Kooiker S, European and their medicines : a cultural approach to the utilisation of pharmaceuticals, 2003.
  • Véga A, Cuisine et Dépendance : les usages socioculturels du médicament chez les médecins généralistes français, 2011, p.1-200.

Notes

  • [1]
    Article R.4127-8 du Code de la santé publique : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance ».
  • [2]
    Enquête IPSOS Santé pour la CNAMTS, 2005.
  • [3]
    Article L.162-4 du Code de la sécurité sociale : « Les médecins sont tenus, dans toutes leurs prescriptions, d’observer, dans le cadre de la législation et de la réglementation en vigueur, la plus stricte économie compatible avec l’efficacité du traitement ».
  • [4]
    Contrat d’amélioration des pratiques individuelles
  • [5]
  • [6]
    ALD : Affection de longue durée. Personnes prises en charge à 100% par la sécurité sociale en raison de la présence d’une maladie chronique.
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