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Article de revue

Allemagne : entre Code pénal, droit civil, aide à l’enfance et psychiatrie des clivages contre-productifs

Pages 46 à 49

1Un aperçu schématique de la situation juridique des enfants et des adolescents en République fédérale d’Allemagne ne peut pas se limiter au régime des lois. Il faut examiner d’une part les mesures prévues dans la législation, et d’autre part les possibilités de leur application.

2En effet, les dispositions légales ne sont utiles au bien-être des enfants et des jeunes que dans la mesure où elles sont réellement mises en pratique. Or, le problème des lois s’appliquant aux enfants et adolescents en Allemagne pose surtout la question de savoir si les possibilités prévues et légalement offertes sont réellement utilisées.

Pour le « retour à la société »

3Le Code pénal pour mineurs ne peut pas être isolé des dispositions pénales en général. La réforme du droit pénal, en 1976, est apparue au départ comme un processus orienté vers la réhabilitation dans deux domaines. Dans l’esprit des réformateurs, la sanction elle-même n’était pas une vengeance, mais une réponse de la société à la mesure de la culpabilité de l’auteur, elle avait pour but le retour du sujet dans la société. L’ampleur de la sanction ne devait pas correspondre à la gravité de l’acte mais à la culpabilité subjective du délinquant.

4En conséquence, les « mesures de protection ou de sécurité et d’amélioration ou de thérapie » introduites dans le Code pénal en 1934, qui étaient centrées sur la répression et la sécurité, furent transformées en « mesures d’amélioration et de protection », dans lesquelles le traitement est primordial.

5L’idée de réhabilitation occupe ainsi une place centrale, comme le reflète le paragraphe 2 du Code d’application des peines, qui a comme objectif la réinsertion sociale du délinquant.

6En conséquence, le traitement des malades mentaux ayant commis, en raison de leur maladie, un crime et devant être hospitalisés dans un dispositif thérapeutique approprié en raison du risque qu’ils présentent, a pour but principal le retour du patient à une vie socialement intégrée et exempte de crime.

Pouvoir distinguer le bien du mal

7Ces principes s’appliquent également au Code pénal des mineurs, afin d’éviter la récidive, tout en respectant les droits parentaux et les principes d’éducation. Les mesures d’éducation et les mesures disciplinaires doivent être mises en place avant l’application de peines pour mineurs. En effet, les peines ne doivent être appliquées que si des « tendances nuisibles » ont été détectées. Pour les jeunes gravement malades ou perturbés, des « mesures d’amélioration et de protection » pourront être prises. Une décision de la Cour fédérale de Karlsruhe limite toutefois l’application de ces mesures aux maladies d’une gravité particulière, car l’hospitalisation en unité psychiatrique sous ce régime est de durée illimitée, alors que la durée maximale d’incarcération d’un mineur est de dix ans.

8En Allemagne, la responsabilité pénale est atteinte à l’âge de 14 ans. Le Code pénal pour mineurs est applicable, dans tous les cas, entre 14 et 18 ans. Entre 18 et 21 ans, un examen au cas par cas détermine le code à appliquer (mineurs ou majeurs) en fonction du degré de maturité. De même, entre 14 et 16 ans, il est possible de déclarer un jeune irresponsable pénalement, en mesurant s’il est capable de distinguer le bien du mal, sur la base d’un examen de sa maturité morale.

9Tout cela démontre que les mesures éducatives sont au premier plan des exigences légales. Les mesures disciplinaires, tels que l’avertissement, les mesures de travaux sociaux ou d’intérêt communautaire ou la détention, ne devront être appliquées que dans un second temps ou en cas de criminalité grave.

Mesures éducatives : une compétence des länder

10Dans le domaine des mesures éducatives, l’aide aux mineurs délinquants doit se rabattre sur les offres des services à la jeunesse et à l’enfance d’une part - organisées et payées par le service public - et d’autre part sur les offres de la pédopsychiatrie relevant de l’assurance sociale, les unes et les autres étant fonction du Land dans lequel l’acte a été commis. En effet, les services à la jeunesse ainsi que les offres des services de pédopsychiatrie ne sont pas une compétence fédérale, ils relèvent bien de la responsabilité et de la compétence de chaque entité fédérée et seront donc conçus de façon différente dans les différents Länder. En pratique, cela signifie que les jeunes en conflit avec la loi doivent s’adresser à des services d’aide pour mineurs délinquants qui ne dépendent pas du ministère de la Justice ou de l’administration judiciaire, mais des services sociaux locaux ou intercommunaux.

11Au cours de la procédure pénale, les services d’aide pour mineurs délinquants donnent un avis pédagogique, traitent de la question de la maturité et du potentiel de dangerosité ainsi que des conclusions qui s’imposent sur le terrain de l’éducation, mais aussi de la sanction. Quant aux mesures proposées, elles sont limitées à ce que les instances régionales mettent à la disposition de ces services. Dans des cas particuliers, une expertise psychiatrique peut être demandée sur la responsabilité pénale, comportant un diagnostic psychiatrique, décrivant les liens possibles entre le trouble mental et le délit ainsi que le risque d’actes graves liés à la maladie et évaluant la possibilité de réduire ces risques par des soins adaptés.

Loin de la théorie

12Dans la pratique, les offres existant réellement dans les domaines de l’éducation, de l’éducation spécialisée, de la pédopsychiatrie et de la psychothérapie de chaque district sont différentes d’un Land à l’autre, et, dans chaque Land, d’une ville à une autre. Si ces systèmes d’aide n’existent pas sur le plan local, l’offre théoriquement possible se réduit d’autant.

13Il y a un besoin de services thérapeutiques, éducatifs et sociaux, à même de proposer un « containment » nécessaire au traitement des mineurs gravement perturbés. Comme la responsabilité de la mise à disposition de ces institutions n’est pas du ressort du pouvoir judiciaire mais relève du ministère des Affaires sociales du Land concerné, voire de l’administration sociale communale, la possibilité d’octroi, et même le contrôle de l’application des mesures ordonnées par la Cour échappent à l’influence de la justice. Cet état de choses détermine bien plus les possibilités thérapeutiques, pédagogiques et de réhabilitation du Code pénal pour mineurs, que ledit code en soi.

Les séquelles de la « pédagogie noire »

14Le bien-être de l’enfant et de l’adolescent est mis en avant par la loi, dans le respect des droits naturels des parents. Ainsi, bien sûr, les efforts d’aide de l’Office de la jeunesse sont d’abord axés sur la fonction de conseiller des tenants de l’autorité parentale. Les parents peuvent être déchus de cette autorité s’ils ne sont pas en état de pourvoir au bien-être de leur enfant mais la pratique est fortement conditionnée par le fait que les frais d’une telle décision incombent à la commune et que le travailleur social impliqué est lui-même un employé municipal.

15Pour comprendre ces lois, il faut se rappeler les spécificités de l’histoire de la pédagogie allemande, liée au fondateur de la « pédagogie noire », l’orthopédiste de Leipzig, Moritz Schreber. Ses principes d’éducation, basés sur une formation intensive par un dressage des enfants dès le plus jeune âge, prévoyaient notamment des châtiments corporels et des privations affectives, l’accent étant mis sur la ténacité, la forme physique et la fonctionnalisation de la sexualité (réduite à la seule fonction de reproduction). Ses principes et ses idées, à la base des excès d’institutions totalitaires telles que celles ayant sévi sous le nazisme, ont continué d’influencer l’éducation en République fédérale, jusqu’après la Seconde Guerre mondiale.

Un rejet de tout interventionnisme

16Lors du renouveau pédagogique contre ces excès, se manifesta un rejet de toute institution étatique, a fortiori autoritaire. Cela conduisit à suspecter derrière toute mesure thérapeutique une tendance interventionniste qu’il fallait refuser sauf dans les cas extrêmes - et encore, davantage pour des raisons de sécurité que par souci pédagogique. Il n’y a pas eu, en Allemagne, de processus d’émancipation d’une institution thérapeutique éducative et le développement de stratégies de gestion institutionnelle, comme cela s’est produit en France. Lors de placements en institutions fermées, en foyers ou dans des familles d’accueil, la contrainte est considérée comme étant néfaste d’un point de vue thérapeutique. Dans ce système de pensée, l’émancipation et le progrès du jeune se font par libre arbitre, le jeune étant censé trouver seul son « cadre ».

17Cette attitude, en réaction au système de répression extrême en vigueur durant la dictature nazie, est compréhensible et constitue une des raisons particulières fondant les limites de ce qui peut se produire dans le cadre des activités thérapeutiques et éducatives des services à la jeunesse. Il est important de se souvenir de tout cela pour comprendre la retenue voire la modération qui imprègnent les domaines de la pédopsychiatrie et des services à la jeunesse et à l’enfance en Allemagne.

Qui aide ? Qui soigne ? Qui paie ?

18La dualité des systèmes d’aide pour les enfants et les adolescents pose un problème tout aussi important.

19D’un côté, on trouve les services de la jeunesse offrant un soutien éducatif, des conseils, des mesures d’éducation spécialisée, un soutien pour les parents ou des soins spécialisés en foyers ad hoc. Ces jeunes en difficulté ne sont pas considérés comme réellement malades, ils ont des problèmes d’éducation, d’enseignement, que doivent améliorer des mesures pédagogiques qui ne sont pas soumises au contrôle médical ou thérapeutique.

20Ces offres d’aides sont prévues, organisées et financées par les communes ou les intercommunalités, leurs coûts relèvent donc du budget social communal et sont sensibles à ses variations (en cas de restrictions, les mesures nécessaires ne pourront donc pas être appliquées). Les aides attribuées en cas de maladie relèvent, en revanche, du droit budgétaire et non du financement de l’assurance sociale.

21Par ailleurs, le manque de participation, de coopération d’un jeune et/ou de ses parents mène au refus de financer les mesures nécessaires, car offrir cette aide sous la contrainte équivaudrait à gaspiller les fonds publics.

Pédagogie ou thérapie : dans le cercle vicieux

22De l’autre côté, une autre partie des jeunes ont des symptômes si marqués, qu’ils relèvent du domaine de la pédopsychiatrie. Ils sont alors soumis à une évaluation diagnostique, souvent liée au fait que de nombreux pédopsychiatres partent aussi du principe qu’un traitement n’est possible que si le jeune l’accepte et y participe. Cela ne s’applique bien sûr pas aux jeunes qui souffrent de troubles organiques du cerveau et il en est de même pour les enfants et les jeunes qui ont des troubles dépressifs ou des troubles schizoïdes, voire schizo-typiques. Par contre, cela concerne les jeunes ayant de graves perturbations du comportement social et émotionnel, dans le cas d’un diagnostic très à la mode, le TDA/H (Trouble Déficit de l’Attention/ Hyperactivité) et les jeunes en souffrance suite à un problème d’abus ou de dépendance.

23Dans ces cas, il arrive souvent que, notamment en raison du manque d’implication des jeunes, mais aussi à cause du comportement des parents, les traitements ne soient pas entamés ou qu’ils soient interrompus prématurément. On observe que, dans ces décisions, la question d’un danger potentiel est rarement évoquée.

24Il est clair qu’une offre de soins si disparate et diverse se complète, en cercle vicieux, avec les tendances pathologiques de clivage des patients ou clients. Le patient a certes un désir de changement mais il sait aussi de façon intuitive que si un soignant le trouve difficile ou s’il lui crée des difficultés, celui-ci aura tendance à le refouler vers un autre acteur de ce système d’aide.

« Faute morale » ?

25Les jeunes les plus perturbés (et les plus perturbateurs) présentent les évolutions les plus complexes et risquent de développer à l’âge adulte un trouble dyssocial, en ayant appris à mettre en échec les différents intervenants du système d’aide. Cette problématique se rapporte aux thèses du psychiatre Kurt Schneider - conseiller principal de la bureaucratie militaire allemande pendant la Seconde Guerre mondiale jusqu’en 1945 - selon qui un patient souffrant de troubles de la personnalité n’est considéré comme « malade » qu’à partir du moment où il souffre de ses symptômes et désire changer.

26Cela se rapporte à une tendance générale de la psychiatrie allemande, liée à la conception et à la terminologie de Schneider. Cet état pathologique est décrit par lui comme une variation de la norme, entre maladie et faute morale. A son avis, tous les patients ayant ce type de troubles, classés aujourd’hui dans la catégorie des troubles de la personnalité, devront être considérés comme malades s’ils souffrent de leurs symptômes et expriment une demande de changement, étant ainsi prêts et disposés au traitement. Par contre, Schneider ne parle pas de maladie mais de « faute morale » s’ils ne souffrent pas de leurs symptômes et s’ils ne désirent ni changement ni traitement.

27Ainsi, aujourd’hui, les personnes ne se reconnaissant pas malades et refusant donc les soins, sont laissées à l’abandon jusqu’à l’issue fatale de leur trouble (le décès chez certains alcooliques, l’incarcération pour d’autres).

Au patient de s’adapter !

28Ici se montre la difficile exigence en vertu de laquelle il incomberait à ces personnes de s’adapter au système d’aide et de soins, et non au système d’aide et de soins de s’adapter à la souffrance. Fondamentalement, cette attitude claire se retrouve aussi dans la pratique clivée « médico-psycho-pédagogique ». On touche ici à une exigence centrale : les patients - les jeunes -considérés comme des personnes en difficultés, doivent s’adapter aux traitements offerts, aux soins, aux services de soutien mis à leur disposition… Et non l’inverse.

29Cette démarche dévoile bien plus la réalité de l’aide aux mineurs que les possibilités théoriquement offertes par les textes de loi. Le manque d’efficacité dans l’aide aux mineurs délinquants ne provient pas de textes inappropriés mais de ce clivage entre le Code pénal, l’aide à l’enfance, le droit civil et les obligations propres aux institutions pédopsychiatriques. De plus, la structure fédérale du pays crée des disparités et des inégalités : ainsi, certains Länder n’ont aucun foyer pédagogique fermé, d’autres ne disposant pas du moindre service pédopsychiatrique fermé.

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