1C’est le 8 mars 1999 que nous, un groupe de Françaises et d’Américaines, avons décidé de nous engager.
2Les partis politiques français célébraient la journée de la femme.
3A cette époque, les Algériennes se battaient contre le Code de la famille.
4Il nous semblait que notre devoir était d’aider les femmes opprimées dans le monde. Tout a commencé ce jour où nous avons recueilli des témoignages sur la façon dont les femmes afghanes vivaient sous le joug des talibans.
5Dans la société afghane, sous les talibans, elles n’avaient pas le droit à l’éducation. Elles n’avaient aucune idée de leurs droits fondamentaux et ne disposaient pas des moyens nécessaires à leur liberté et à leur protection.
Le choix d’une démarche militante
6Il fallait que les femmes occidentales leur viennent en aide. C’est ce que nous avons essayé de faire en soutenant l’association NEGAR, présidée par une Afghane réfugiée en France, Shoukria Haidar.
7Nous avons opté pour une approche militante en organisant des réunions afin d’attirer l’attention des politiques et de la communauté internationale sur le sort de ces femmes et sur ce qui risquait d’arriver à tant d’autres si nous n’y prenions garde.
8Cela n’a pas été facile. Pour nous faire entendre, nous avons organisé une conférence à Douchanbé, au Tadjikistan, près de la frontière afghane.
9Cette réunion imaginée par notre petit groupe de femmes occidentales a rassemblé des réfugiées afghanes venues d’Europe, des Etats-Unis, d’Asie Centrale, ainsi que la forte communauté des réfugiées au Tadjikistan.
10Les Afghanes ont écrit la charte des droits fondamentaux qu’elles réclamaient (droit à l’éducation, droit à la santé, droit de sortir seules sans être accompagnées d’un homme de leur famille…).
11La presse d’Asie Centrale a couvert l’événement.
12Ce fut notre façon de célébrer la journée de la femme.
À la poursuite du temps perdu
13Cette charte a été envoyée aux Nations Unies et a été signée par un grand nombre de dirigeants politiques dans le monde, y compris par les Afghans. La première pierre fut ainsi jetée dans le jardin des islamistes extrémistes.
14Nous avons multiplié les réunions au Parlement européen, au Sénat, à l’Assemblée Nationale française, ainsi qu’à Washington autour du droit des femmes en Afghanistan et dans tout le monde musulman ; nous avons fait circuler la charte des Afghanes.
15En 2001, quand les talibans ont été chassés d’Afghanistan, nous avons pu organiser à Kaboul, avec NEGAR, plusieurs conférences pour les femmes. Un grand nombre d’entre elles venaient nous dire leur soulagement d’avoir été enfin libérées du joug des talibans. Maintenant, elles devaient se battre pour récupérer tout le temps perdu. Tout restait à faire. Beaucoup d’hommes assistaient à ces réunions et venaient apporter leur soutien à notre combat.
16Le 5 décembre 2001, nous sommes allées à Bonn où la communauté internationale devait mettre en place le gouvernement intérimaire d’Hamid Karzai, pour nous assurer que la charte des droits fondamentaux soit bien prise en compte dans les accords et dans la future constitution afghane, ce qui fut le cas.
17L’égalité entre hommes et femmes y est maintenant inscrite…
18Nous voulions dès lors apporter notre pierre à la reconstruction du pays.
Une école dans la montagne
19Grâce à l’Association Solidarité Panjshir que nous avions créée avec un ami de l’Afghanistan, Jean-Paul Fischer, nous avons récolté les fonds nécessaires pour la construction d’une école de filles et garçons dans la vallée du Panjshir. Une école dans la montagne, pour permettre aux enfants des villages alentour d’être scolarisés.
20Plus tard, nous avons financé la construction du second étage du lycée de Mazar-e-Sharif (dans le Nord de l’Afghanistan) ; douze classes ont été aménagées, ainsi qu’une librairie et des toilettes. Grâce à l’aide du Sénat français, nous y avons transporté un minibus de France, par avion militaire. Ce lycée scolarise maintenant 4.000 étudiants.
21L’éducation des enfants, la formation des professeurs étaient une priorité.
22Tant de temps à rattraper !
23La démocratie naissait en Afghanistan.
L’apprentissage d’un métier nouveau : parlementaire
24Lors des élections législatives en 2005, 25 % de femmes ont été élues au parlement afghan.
25Là allait commencer notre deuxième mission.
26Il fallait aider ces femmes dans leurs nouvelles fonctions de parlementaires
27Nombre d’entre elles n’avaient jamais voyagé hors d’Afghanistan.
28Nous avons changé le nom de notre association, de Solidarité Panjshir en MEWA (“fruit” en farsi) et nous avons décidé d’aider ces femmes à construire des réseaux à l’étranger, à voir comment fonctionnent les démocraties en Europe, aux Etats-Unis, mais aussi dans les pays musulmans comme la Turquie.
29Pour cela, nous avons établi un partenariat avec une ONG américaine, Vital Voices, dont l’expérience dans la formation des femmes élues dans les pays du tiers monde ainsi que dans les pays en guerre allait renforcer nos programmes.
30Un premier voyage a été organisé pour 30 d’entre elles à Paris. Elles ont été reçues à l’Assemblée nationale, au Sénat, à la Présidence de la République, au Conseil régional d’Ile-de-France, à la mairie de Paris. Ces réunions furent ponctuées par des visites au Louvre, à la Tour Eiffel, à la Mosquée de Paris… Un programme peut-être trop chargé pour les Afghanes.
31La commission du droit des femmes de l’Assemblée Nationale a même initié un partenariat entre les députées françaises et afghanes. Chaque députée afghane s’est vu remettre une médaille avec le nom de son homologue française lors d’une cérémonie à Kaboul, en présence des ambassadeurs de France à Kaboul et d’Afghanistan en France.
32Le suivi est difficile à gérer ; de nouvelles élections ont eu lieu entre temps en France, mais nous allons raviver ce partenariat…
Istanbul : un choc émotionnel utile
33Notre deuxième voyage fut organisé à Istanbul pour un groupe de 20 députées afghanes.
34Ce programme en Turquie fut essentiellement consacré à des séances de formation menées par Vital Voices et MEWA. Les députées ont pu ainsi apprendre à travailler ensemble pour proposer les lois nécessaires à la cause des femmes, en mettant de côté leurs divergences politiques ou leur appartenance ethnique.
35Des femmes membres du Congrès américain ainsi que des députées turques ont animé les séances.
36Ces journées ont été très riches.
37A la fin, elles ont eu le loisir de visiter la ville, de faire une croisière sur le Bosphore…
38Beaucoup d’entre elles étaient très émues de voir comment fonctionnait un pays musulman démocratique dans lequel les femmes, voilées ou non, déambulaient dans les rues.
39Plus tard, lors d’un vote du budget concernant la présence des femmes dans les administrations, et alors qu’un grand nombre d’hommes députés se refusaient à voter la loi, les femmes se sont rassemblées, ont argumenté et finalement, voyant qu’elles allaient être mises en minorité, sont sorties du Parlement en menaçant de ne plus revenir si la loi n’était pas votée.
40La loi fut finalement votée.
41Elles ont gagné.
42Nous avons alors pensé que notre travail portait ses fruits.
43Le président du Parlement afghan m’a d’ailleurs confié récemment qu’à l’Assemblée, les femmes faisaient la différence.
La crainte permanente du retour en arrière
44Cependant, plus que jamais la vigilance demeure…
45Les récentes péripéties autour de la loi sur le code de la famille pour les minorités chiites en sont un terrible exemple.
46Fauzia Koofi, la vice-présidente du Parlement me confiait lors de mon dernier séjour à Kaboul : “Nous avons été trompées, cette loi comporte des articles qui rappellent les règles sous le régime des talibans” !
47La femme chiite devra répondre aux désirs sexuels de son mari. Elle est obligée de se maquiller si son mari le lui demande.
48Elle n’est pas autorisée à sortir seule sans une excuse valable. Pour nous les Afghanes, c’est un retour en arrière. Nous ne pouvons l’accepter.
49Cette loi a été présentée en catimini, avec différents artifices. Certaines d’entre nous n’ont pas eu la possibilité de la lire. C’est pour cela que nous avons organisé une manifestation à Kaboul. Il y avait des hommes et des femmes dans ce rassemblement.”
50Devant le tollé des démocrates afghans, des femmes et de la communauté internationale, Hamid Karzai a avoué qu’il n’avait pas lu la loi avant de la signer. Il a promis de la faire modifier, mais Soraya Sobharang, membre de la commission des droits de l’homme, craint qu’une loi pour les femmes sunnites ne soit préparée dans les mêmes conditions que celle pour des femmes chiites. C’est une menace terrible pour les Afghanes. Cela rappellerait les pires moments de l’époque des talibans.
Le micro-crédit, outil d’émancipation
51Notre prochain programme est prévu au Bangladesh fin 2009. Nous souhaiterions y faire participer une trentaine de députées. Le gouvernement du Bangladesh accepte de recevoir les députées afghanes. Elles auront l’occasion de rencontrer les femmes parlementaires (elles sont 45 femmes élues actuellement) et d’établir des partenariats.
52Le Bangladesh est un état musulman doté d’un régime parlementaire. Il nous semble que les députées afghanes auront beaucoup de choses à apprendre et à partager. Nous espérons également avoir l’opportunité de rencontrer des femmes qui ont bénéficié du programme de micro-crédit lancé par Mohammad Yunus, le prix Nobel de la Paix. Grâce à la Grameen Bank, beaucoup de femmes ont développé de petites entreprises et accédé ainsi à plus d’indépendance. Ces programmes de micro-crédit sont une grande réussite. Les députées pourront ainsi prendre exemple sur ce qui se passe au Bangladesh pour favoriser dans leur province une politique de microcrédit pour les femmes.
53L’association MEWA s’est d’ailleurs inspirée de cette expérience. Une vingtaine de personnes d’un petit village de la Vallée du Panjshir ont bénéficié du micro-crédit. Elles ont ainsi pu ouvrir une boutique, ouvrir un atelier d’artisanat, acheter une vache… MEWA va continuer ses actions sur le terrain en élargissant les programmes de micro-crédit dans la Vallée, tout particulièrement en direction des femmes.
L’avenir des afghanes… et des autres
54Notre soutien aux femmes afghanes doit continuer plus que jamais. Leurs conditions restent très fragiles ; les talibans regagnent du terrain et des négociations ont lieu avec les soi-disant “talibans modérés” sans qu’aucune femme ne puisse y participer.
55La situation sécuritaire s’est beaucoup dégradée, rendant difficiles les rassemblements ainsi que les déplacements dans le pays.
56Une conférence sur la sécurité a été organisée par la Fondation Massoud, l’Université américaine à Kaboul ainsi que par le centre de recherches de l’université de Kaboul, en avril dernier. MEWA a été invitée à participer à l’atelier sur les femmes et la sécurité, aux côtés de parlementaires et de militantes des droits de l’homme.
57Insistant pour être partie prenante de la politique et de la stratégie sécuritaire du pays, les Afghanes ont réclamé devant l’assemblée des participants :
- une enquête dans la plus grande partie du pays afin de savoir quels étaient les problèmes des femmes en matière de sécurité
- la tenue de réunions de réconciliation dans les villages, où le rôle de la femme est primordial pour résoudre les différends
- leur participation systématique aux instances chargées de la sécurité, afin d’apaiser l’atmosphère de violence.
58Nous espérons pouvoir mettre sur pied d’autres programmes pour les élues avant les élections prévues au printemps 2010 et nous souhaitons que les femmes soient aussi nombreuses qu’aujourd’hui dans le prochain parlement.
59De l’avenir des Afghanes dépendra aussi l’évolution d’autres pays dans lesquels les femmes sont tenues à l’écart de la vie publique. Un signe encourageant : cinq femmes ont fait leur entrée au parlement du Koweit.