Notes
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[1]
Sur la tradition précaire des camps français, voir Marc Bernardot, “Déplacer et loger les indésirables, sociologie du logement contraint”, Asylons, n° 1, consultable à l’adresse http://terra.rezo.net/article337.html.
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[2]
Même si l’on peut sans risque la faire naître en même temps que le contrôle administratif des étrangers, la détention carcérale des étrangers en instance d’expulsion est ainsi interdite en 1910, deux propositions de loi demandant son rétablissement en 1934 et 1937. Plus généralement, entre 1933 et 1977, l’article 120 du Code Pénal continue à prévoir implicitement la possibilité d’un emprisonnement pour les expulsés. Au-delà de son cadre juridique flou, ce type d’enfermement est du reste avant tout une pratique de fait, abandonnée ou réactivée au gré des circonstances, où la question du droit importe peu jusqu’aux années 70.
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[3]
Voir Alex Panzani, Une prison clandestine de la police française : Arenc, Paris, Maspéro, 1975.
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[4]
La CIMADE (Comité Inter-Mouvements pour l’Aide aux Déplacés et Evacués) est une association d’obédience protestante, axée sur l’aide aux migrants étrangers.
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[5]
Les locaux de rétention (LRA) peuvent être créés ponctuellement par décret préfectoral et installés dans tout espace provisoirement réquisitionné - cellule de garde à vue, chambre d’hôtel ou d’hôpital. A la différence des centres, ils n’ont aucun règlement-type et supposent des garanties moindres pour les retenus.
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[6]
Le nombre d’étrangers placés en rétention a ainsi augmenté de 16 % entre 2002 et 2005 (chiffre donné par le rapport de la Cour des Comptes 2006).
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[7]
Si 68 % des personnes placées en rétention en 2005 étaient effectivement éloignées, les éloignements effectivement réalisés ne concernaient que 27 % des étrangers officiellement visés par une mesure - et 17 % de l’ensemble des étrangers interpellés en situation irrégulière (Ibid.). Cette inefficacité marque du reste une bonne partie des techniques de contrôle des frontières, dans la plupart des démocraties occidentales. Voir Christian Joppke, “Why Liberal States Accept Unwanted Immigration”, World Politics, n° 50, January 1998, pp. 266-293.
1 Des centres de rétention administrative (CRA) le public français ne retiendra probablement dans l’actualité récente que le mouvement de protestation aux centres de Vincennes et du Mesnil-Amelot (Roissy). Ces lieux dévolus à l’enfermement extrajudiciaire des étrangers en instance d’expulsion ou de reconduite à la frontière sont, de fait, mal connus en dehors des spécialistes -militants, fonctionnaires ou praticiens du droit- mais existent pourtant depuis plus de 25 ans. On peut même les inscrire dans une histoire plus longue : celle de l’internement administratif dont les étrangers ont fréquemment été victimes en France au cours du XXème siècle.
Où la répression prélude à l’“insertion”
2 Dans les deux cas, il s’agit d’enfermer des individus en dehors de toute condamnation pénale et hors de toute procédure judiciaire, afin de les mettre à l’écart et de les maintenir sous surveillance. Si tel est bien le but des centres de rétention pour les étrangers en instance d’ “éloignement”, leur forme actuelle intègre l’influence de techniques contemporaines de répression, mais aussi les exigences de l’”Etat de droit” contemporain. C’est à cette condition que la rétention administrative s’est progressivement insérée dans l’ordinaire du droit et des routines administratives. C’est donc par l’histoire de cette “insertion” qu’il faut commencer, avant d’en présenter le fonctionnement actuel. Elle se confond avec l’histoire de la répression croissante qui s’exerce sur les migrants étrangers depuis l’arrêt de l’immigration en 1975.
Appeler un camp un camp ?
3 A l’origine, il n’existe qu’une pratique policière informelle, dépourvue de nom ou de cadre officiel : celle qui consiste pour les policiers français à enfermer un étranger expulsé ou refoulé du territoire, en attendant de disposer des documents et du moyen de transport nécessaires à son renvoi. Cette pratique d’enfermement emprunte alors quelques-uns des traits typiques du “camp”, notamment l’urgence et la précarité -à la fois parce que l’enfermement n’est réglementé par aucun texte, qu’il se veut provisoire, et qu’il s’effectue dans des locaux souvent insalubres et détournés de leur usage initial- hangars, usines ou baraquements à l’abandon [1]. La pratique, informelle, est d’autant plus difficile à repérer historiquement [2] mais c’est surtout son officialisation qui importe ici : elle débute en 1975, lorsqu’un des lieux d’enfermement, un hangar désaffecté situé à Arenc, sur le port de Marseille, est “découvert” conjointement par la presse et des militants associatifs locaux [3]. La mobilisation qui suit marque l’irruption de deux groupes d’acteurs relativement nouveaux dans une politique jusqu’ici essentiellement définie par les administrations à vocation sociale ou policière : ces acteurs associatifs d’une part, et d’autre part, les instances juridictionnelles qu’ils saisissent le plus souvent eux-mêmes.
L’envers et l’endroit du droit
4 C’est de fait au nom du droit et de la protection des libertés que la “prison clandestine” d’Arenc est dénoncée entre 1975 et 1979, mais c’est de même en référence à l’”Etat de droit” qu’elle est finalement officialisée : la “loi Bonnet” du 10 janvier 1980 est la première à prévoir l’enfermement des étrangers dans des “locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire”, mais c’est finalement la majorité socialiste issue des élections de 1981 qui l’institue définitivement.
5 Politiquement gênés par cette “légalisation d’Arenc”, ses concepteurs insistent alors d’autant plus sur la conformité de cette nouvelle forme d’enfermement à l’Etat de droit : la loi du 29 octobre 1981 prévoit ainsi une rétention de six jours maximum, durant lesquels l’étranger peut théoriquement être assisté d’un conseil et d’un médecin, et communiquer librement avec l’extérieur. Si les centres sont gérés par la police et la gendarmerie, le juge judiciaire est de même chargé de contrôler l’opportunité et les conditions d’enfermement, tandis que le ministère des Affaires sociales passe en 1984 une convention avec la CIMADE, association dont les militants interviennent dans un premier temps pour assurer l’accompagnement social des “retenus” [4].
Sophistiquer, rationaliser
6 Au cours des deux décennies qui suivent, les centres de rétention tendent à se pérenniser et à se spécialiser. Ils suivent en cela l’évolution de la politique de “contrôle des flux migratoires”, dont le durcissement fait l’objet d’un consensus entre droite et gauche dès les années 1980. Dès lors, ces “instruments” ne cessent de gagner en sophistication, selon un schéma inchangé : le durcissement du régime de l’éloignement et de la rétention suppose la mise en œuvre de centres plus vastes, mieux sécurisés, auxquels sont simultanément ajoutés des garanties pour les étrangers retenus, et des formes supplémentaires d’assistance.
7 Au début des années 2000, les centres sont dotés d’un règlement intérieur-type. Ils doivent comporter un service médical, tandis que les intervenants de la CIMADE y assurent désormais une assistance juridique auprès des “retenus”, l’accompagnement social étant assuré par les fonctionnaires de l’Agence Nationale pour l’Accueil des Etrangers et des Migrations (ANAEM). Au même moment, le système est rationalisé, gagnant en souplesse pour l’administration : les espaces de rétention se divisent désormais en locaux - précaires et pouvant “recevoir” les étrangers en instance d’éloignement pendant les 48 premières heures de rétention -et en centres de rétention- mieux contrôlés, et pouvant servir de lieux de confinement jusqu’à la fin de la durée légale [5]. Cette dernière n’a fait qu’augmenter, passant de 6 à 12 jours entre 1981 et 1998.
Les CRA : un “parc immobilier” en extension
8 Il ne s’agit pour autant que d’un prélude au développement spectaculaire de la rétention à partir de 2002. La “loi Sarkozy” du 23 novembre 2003, qui étend la durée de rétention à 32 jours, est ainsi suivie de la mise en chantier de nouveaux CRA. Le décret du 31 mai 2005 confirme la tendance : il précise les normes d’hébergement dans les centres, mais autorise simultanément la rétention de mineurs et de familles. Pour 13 CRA initialement construits au cours des années 1990, on passe aujourd’hui à 24 centres qui, en 2007, totalisaient 1443 places (1920 prévues à la fin de l’année), le “parc immobilier” en la matière étant en extension constante. Outre les intervenants spécialisés déjà présentés, l’hébergement traditionnellement supervisé par l’administration pénitentiaire peut désormais être confié à des prestataires privés, tandis que la Police de l’Air et des Frontières remplace progressivement la police et la gendarmerie comme administration de tutelle des centres de rétention.
La chaîne de l’éloignement
9 Dans la seconde moitié des années 2000, les 25 centres de rétention en activité sont donc des institutions à part entière, juridiquement définies, et dans lesquelles intervient un ensemble de professionnels spécialisés. Ils s’inscrivent, en tant que tels, dans un dispositif plus vaste qui n’a fait lui-même que se développer depuis les années 1980 : la “chaîne de l’éloignement” assemblant les contrôles d’identité, la garde à vue et parfois l’emprisonnement des étrangers “expulsables”, et dont les locaux et centres de rétention constituent l’ultime étape avant l’embarquement forcé. Le durcissement de la répression à chacune de ces phases du contrôle (notamment à travers les “objectifs chiffrés” désormais fixés annuellement par le nouveau ministère de l’Immigration) se fait alors d’autant plus lourdement sentir dans les CRA. La surpopulation est aujourd’hui chronique, supposant d’improviser des lits de fortune pour les retenus “surnuméraires”, et de prendre en charge des populations précaires auparavant rarement rencontrées en rétention (malades mentaux, SDF, enfants en bas âge) [6].
Régularité, irrégularités : une frontière floue
10 Contrôlés et officialisés, les centres n’ont donc pas totalement rompu avec la précarité. L’existence de “droits des retenus” et de plusieurs formes d’assistance n’est pas pour autant sans impact : elle amène les centres de rétention à constituer, plus que des lieux d’abandon pur et simple, des lieux de “tri” de la population des étrangers irréguliers. Sous l’effet de l’action conjuguée de l’ensemble des acteurs de l’éloignement (militants CIMADE, médecins, agents de l’ANAEM, policiers, fonctionnaires de préfecture, agents consulaires étrangers, magistrats et avocats, sans oublier les retenus eux-mêmes) le centre de rétention apparaît ainsi comme l’un des lieux où la frontière -floue- entre régularité et irrégularité est quotidiennement reproduite et renégociée, mais aussi un lieu où se déterminent, parmi les irrégularités, celles qui seront plus ou moins sanctionnées ou tolérées. Il en résulte un jeu constant sur la délivrance de documents, les remises en liberté, les recours juridictionnels, les présentations à l’embarquement, qui doit être mis en relation avec l’autre trait majeur du dispositif d’éloignement : sa très faible efficacité, tout au moins au regard de ses objectifs affichés.
Sans efficacité… mais non sans intérêt
11 Malgré l’intensification du quadrillage policier, le nombre de mesures d’éloignement effectivement réalisées reste en effet singulièrement faible [7]. Ce dispositif inefficace n’en présente pas moins quelques effets imprévus qui font son intérêt stratégique pour les responsables politiques et administratifs en charge des politiques d’immigration. Effets symboliques et médiatiques - montrer que l’Etat “existe” et agit effectivement contre les migrants irréguliers - ou économiques - l’enfermement des migrants est désormais un marché attrayant pour les entreprises privées.
12 L’intérêt réside plus encore dans la logique de “tri” qui vient d’être évoquée : celle qui permet d’isoler, de quadriller et de “redistribuer” une population d’étrangers irréguliers dont une faible partie sera effectivement renvoyée. Face à cette “gestion” de la population irrégulière, les étrangers sans papiers sont d’autant plus précarisés - et incités à déployer des stratégies de séjour d’autant plus complexes pour rester sur le territoire. L’irrégularité se transforme, mais ne disparaît pas. Au cœur même des centres de rétention, le mouvement de révolte entamé au Mesnil-Amelot en décembre 2007 et toujours en cours à Vincennes témoigne également des formes de protestation que les migrants demeurent à même de mettre en œuvre. Il conduit à s’interroger sur l’avenir d’un dispositif dont le durcissement continu paraît à la fois humainement dévastateur et politiquement gratuit.
Notes
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[1]
Sur la tradition précaire des camps français, voir Marc Bernardot, “Déplacer et loger les indésirables, sociologie du logement contraint”, Asylons, n° 1, consultable à l’adresse http://terra.rezo.net/article337.html.
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[2]
Même si l’on peut sans risque la faire naître en même temps que le contrôle administratif des étrangers, la détention carcérale des étrangers en instance d’expulsion est ainsi interdite en 1910, deux propositions de loi demandant son rétablissement en 1934 et 1937. Plus généralement, entre 1933 et 1977, l’article 120 du Code Pénal continue à prévoir implicitement la possibilité d’un emprisonnement pour les expulsés. Au-delà de son cadre juridique flou, ce type d’enfermement est du reste avant tout une pratique de fait, abandonnée ou réactivée au gré des circonstances, où la question du droit importe peu jusqu’aux années 70.
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[3]
Voir Alex Panzani, Une prison clandestine de la police française : Arenc, Paris, Maspéro, 1975.
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[4]
La CIMADE (Comité Inter-Mouvements pour l’Aide aux Déplacés et Evacués) est une association d’obédience protestante, axée sur l’aide aux migrants étrangers.
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[5]
Les locaux de rétention (LRA) peuvent être créés ponctuellement par décret préfectoral et installés dans tout espace provisoirement réquisitionné - cellule de garde à vue, chambre d’hôtel ou d’hôpital. A la différence des centres, ils n’ont aucun règlement-type et supposent des garanties moindres pour les retenus.
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[6]
Le nombre d’étrangers placés en rétention a ainsi augmenté de 16 % entre 2002 et 2005 (chiffre donné par le rapport de la Cour des Comptes 2006).
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[7]
Si 68 % des personnes placées en rétention en 2005 étaient effectivement éloignées, les éloignements effectivement réalisés ne concernaient que 27 % des étrangers officiellement visés par une mesure - et 17 % de l’ensemble des étrangers interpellés en situation irrégulière (Ibid.). Cette inefficacité marque du reste une bonne partie des techniques de contrôle des frontières, dans la plupart des démocraties occidentales. Voir Christian Joppke, “Why Liberal States Accept Unwanted Immigration”, World Politics, n° 50, January 1998, pp. 266-293.