Victimologie – De l’effraction du lien intersubjectif à la restauration sociale, Robert CARIO, septembre 2000, 234 pages, éditions L’Harmattan, collection Sciences Criminelles, dirigée par Robert CARIO
1A un moment où l’insécurité apparaît dans les sondages comme la première préoccupation du citoyen et alimente les débats électoraux dans une ambiance souvent passionnée, il est bon de réfléchir au phénomène criminel sous le prisme de la victime. « La victimologie favorise une telle réflexion. La « montée en puissance » des victimes comme titulaires du droit ne doit pas conduire à occulter l’essentiel : l’obligation pour le peuple, par le bras des organes le représentant, de prévenir toutes formes de victimisation. Les enjeux de la prise en charge des victimes d’infractions, comme ceux qui participent aux autres formes d’insécurité, convergent ainsi clairement vers la restauration du lien social. En toute équité » (p. 13).
2Dans cet ouvrage qui constitue le premier « vrai » manuel ou traité de victimologie, Robert CARIO nous propose non seulement un exposé très complet, très riche des différentes théories victimologiques puis des droits des victimes mais un mouvement de politique criminelle « vers une justice restauratrice », « plaçant les intéressés au centre même du contentieux qui les oppose », une justice qui « ne leur vole ni leur conflit ni leur histoire » (p. 188).
3L’ouvrage de Robert CARIO est à la fois un ouvrage pédagogique et le fruit d’une recherche pluridisciplinaire importante. Après une longue introduction qui présente l’émergence de la victimologie et des droits des victimes, l’auteur décrit en s’appuyant sur des statistiques officielles mais aussi sur les enquêtes de victimisation, les différentes formes de violences et « en miroir » les différentes formes de victimisation.
4Les théories victimologiques sont ensuite présentées en distinguant les théories classiques qui cherchent dans le couple pénal auteur-victime et particulièrement dans le comportement ou la psychologie de la victime des explications du passage à l’acte du criminel (victimologie de l’acte), des théories contemporaines (souvent critiques de la première victimologie (cf. pp. 116 et s.) qui proposent de porter l’attention sur le vécu, les souffrances, les traumatismes des victimes (victimologie de la réaction sociale). Cette deuxième forme de victimologie a conduit le législateur à reconnaître aux victimes des droits dans un procès pénal qui doit être aussi « équitable » et respectueux de la dignité humaine pour la victime que pour l’auteur (pp. 168 et s.).
5Depuis 1983 jusqu’à la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes, les réformes législatives successives en effet ont permis d’affirmer en faveur des victimes les droits à la reconnaissance (pp. 173 et s.), à l’accompagnement (pp. 176 et s.) et à réparation (pp. 180 et s.). L’aide aux victimes est présentée comme une priorité de la politique criminelle actuelle qui s’appuie sur un réseau associatif de services travaillant en étroite collaboration avec la police (et la gendarmerie) et la justice (coordonné par l’Institut National d’Aide aux Victimes et de Médiation, l’INAVEM (cf. pp. 148 et s.).
6L’ouvrage contient de très nombreuses références en bas de pages et une importante bibliographie internationale qui donnent envie au lecteur d’ouvrir son horizon et sa réflexion aux autres disciplines et aux autres systèmes de régulation des conflits afin de mieux restaurer les personnes meurtries par « l’effraction du lien intersubjectif », victimes et auteurs, dans une société plus humaine, plus à l’écoute de ses citoyens.
7ANNE D’HAUTEVILLE
8Professeur à l’Université de Montpellier I
Prisons : un état des lieux, Observatoire International des prisons (section française), L’Esprit Frappeur, n° 72, Paris 2000, 315 pages
9W. CHURCHILL affirmait avec fougue, il y a un demi-siècle, que l’état des prisons d’un pays permet d’en juger le degré de civilisation. Penser ces sages propos à la suite de la lecture du rapport de l’O.I.P. ne peut que nous pousser à un certain scepticisme. Un dogme s’effrite, le rayonnement faiblit : la France est-elle vraiment « le » pays des droits de l’homme ? Ne faudrait-il pas ranger cette « fierté nationale » parfois imméritée, pour adopter une attitude modeste, qui elle, ne serait pas fausse ?
10L’O.I.P. est une organisation non gouvernementale disposant d’un statut consultatif à l’O.N.U. Sa revendication principale est la défense du droit à la dignité pour tous les détenus dans les prisons et sa mission comporte trois principaux aspects. Tout d’abord, elle procède à l’observation, par des groupes locaux, des lieux de détention. Ensuite, elle utilise de larges stratégies de communication pour alerter l’opinion quant à d’éventuelles atteintes aux droits de l’homme. Le troisième aspect, enfin, laisse transparaître plus nettement des enjeux de politique criminelle, puisque l’O.I.P s’attache également à favoriser et à développer des alternatives à l’emprisonnement.
11Le rapport « Prisons : un état des lieux » a été avant tout rédigé par cette organisation pour préparer son audition par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la situation des prisons françaises. Les parlementaires se sont saisis de la question de l’état de ces dernières à la suite de l’émotion générale provoquée par la publication du livre de Véronique VASSEUR (Médecin-chef à la prison de la santé, Le cherche midi éditeur, Paris, 2000), dont le témoignage a fortement sensibilisé l’opinion publique. Dans cet ouvrage, l’auteur, médecin-chef à la prison de la santé, décrit in situ ses dures conditions de travail pour dénoncer la réalité du quotidien derrière les murs.
12Il est possible de déceler deux axes d’ordre méthodologique en considérant globalement la substance du rapport. La présentation de l’argumentation a d’une part, un aspect binaire, les constats et propositions sont constamment illustrés d’exemples concrets, restituant principalement des témoignages recueillis par l’O.I.P. dans le cadre de sa mission d’observation. Le discours se fonde par conséquent sur le recours au cas particulier. Le lecteur doit néanmoins se garder de succomber au risque de possibles généralisations, celles-ci n’étant, semble-t-il, ni désirées, ni voulues par les auteurs. La trame du rapport laisse, d’autre part, indirectement apparaître une logique duale. Les chapitres I à VIII s’attachent à décrire le « mal carcéral » en tirant des constats. Le chapitre IX définit des possibles remèdes à ce mal ; des propositions y sont formulées et développées par l’O.I.P. On comprend aisément que l’importance quantitative des huit premiers chapitres justifie le titre donné au rapport.
13– Les constats peuvent se résumer de la manière suivante : la prison entraînerait bien plus qu’une simple privation de la liberté d’aller et de venir. Nous illustrerons cela en déclinant quatre ordres d’idées. En premier lieu, l’O.I.P. décrit l’étiologie des atteintes à la dignité des personnes détenues. La prison serait un véritable obstacle à une bonne prise en charge et au suivi des détenus ayant des problèmes de santé. L’insalubrité de certains locaux, une hygiène parfois insuffisante ainsi qu’une alimentation souvent inadéquate détériorent dans plusieurs établissements les conditions de détention. Par ailleurs, la perturbation des liens familiaux tout comme l’interruption de l’activité sexuelle laissent penser que les détenus ne sont assimilés qu’à de simples numéros d’écrou. En deuxième lieu, l’O.I.P. relève certains dysfonctionnements du système carcéral. A son avis, le régime disciplinaire est inadapté, parce qu’il ne respecte pas les règles élémentaires du procès équitable, et reste encore peu diversifié, la procédure ne débouchant presque inévitablement que sur le « mitard ». De plus, il regrette que, de facto, la fonction du personnel de garde ne soit réduite qu’à une simple mission de surveillance. Sa mission de réinsertion, mal organisée, évoque l’arlésienne. Le statut dérogatoire du personnel pénitentiaire serait donc largement inadapté et l’O.I.P. estime que l’obligation de réserve fait perdurer une culture du silence. En troisième lieu, il dénonce la pratique du système judiciaire, qui recourt, d’après lui, trop abusivement à la détention provisoire. En quatrième lieu, l’O.I.P. affirme que la prison est un lieu de « non droit ». Les détenus qui exercent une activité professionnelle ne peuvent bénéficier des dispositions protectrices du Code du travail. Par ailleurs, il constate que la prison est un lieu de violence. Celle-ci, difficile à canaliser, s’exerce entre les détenus, entre les détenus et le personnel. Les premiers la retournent également parfois contre eux-mêmes, ce qui peut aboutir, dans les cas extrêmes, au suicide. En conclusion, ces constats exposent et creusent le fossé qui existe entre les prescriptions légales et réglementaires, d’un côté, et la réalité carcérale de l’autre. En effet, l’Observatoire met l’accent sur le fait que plusieurs dispositions relatives au régime et aux modalités de l’exécution des peines privatives de liberté restent malheureusement lettre morte.
14– Les propositions formulées par l’organisation dévoilent un double objectif de diminution du recours à la prison passant par la définition et la mise en œuvre d’une « politique réductionniste » et la limitation de ce type de peine à la seule privation de liberté. Le détenu devrait par conséquent être considéré comme un citoyen privé de la seule liberté d’aller et de venir. Cela passe par l’instauration d’un Etat de droit en prison.
15L’ambition d’une politique réductionniste, d’une part, comporte cinq volets dominants. Premièrement, l’O.I.P. s’oppose à tout projet d’augmentation de la capacité pénitentiaire pour deux raisons : le rapport précise que créer des places nouvelles apporte toujours des nouveaux détenus, cet effet d’attraction conduisant inévitablement à la paralysie. Il souligne aussi qu’il faut se contenter de réhabiliter les bâtiments vétustés. Deuxièmement, l’O.I.P. soutient l’instauration d’un numerus clausus. La mise en place d’un tel mécanisme, refusant l’incarcération d’une personne en cas d’indisponibilité ou d’insuffisance de place, passe inévitablement par le développement de relations plus poussées entre l’administration pénitentiaire et les magistrats et repose sur le postulat d’une intolérance absolue au surpeuplement carcéral. Troisièmement, l’O.I.P. souhaite la dépénalisation de certaines infractions concernant la législation sur les stupéfiants ou les étrangers sans papiers. Quatrièmement, il se prononce pour la suppression de plusieurs possibilités de recourir à la prison. C’est ainsi qu’il plaide l’abolition de la contrainte par corps et de la suppression de la détention provisoire des mineurs. Cinquièmement, l’organisation fait valoir les avantages d’une politique de réduction globale de la durée des peines. Il faudrait, d’un côté abolir les périodes de sûreté et réduire le quantum des peines maximales. De l’autre, la prise en compte de l’objectif de réinsertion pousserait à favoriser corrélativement les mesures de libération anticipées.
16D’autre part, l’ambition d’instaurer un Etat de droit en prison dénote clairement la volonté de limiter la détention à une simple privation de liberté. Le détenu, citoyen simplement privé de sa liberté d’aller et de venir, ne devrait en aucun cas se voir priver, du seul fait de sa condamnation, de ses droits humains élémentaires. A ce sujet, le rapport développe six propositions, qui méritent l’attention. La première projette la mise en place d’un contrôle extérieur des prisons, par une instance indépendante de l’administration pénitentiaire et du ministère de la justice. La deuxième met en avant la judiciarisation du régime disciplinaire et la suppression du « mitard ». La procédure disciplinaire devrait enfin répondre aux exigences du procès équitable. La troisième concerne la possibilité d’accorder aux détenus le bénéfice des dispositions protectrices du Code du travail et des minima sociaux (Assédic, R.M.I., etc.). La quatrième prend en considération le respect des droits du détenu malade. C’est ainsi que devraient être assurée la continuité des soins, le libre choix du médecin et l’accès au paramédical. L’usage des entraves ou menottes devrait, par ailleurs, être prohibé pendant les hospitalisations et le nombre des escortes policières mises à la disposition de chaque établissement pénitentiaire revu à la hausse. La cinquième proposition demande d’accorder un droit à la parole aux détenus et au personnel de l’administration pénitentiaire. Concernant les premiers, il faudrait leur reconnaître un droit d’expression, de réunion, de représentation, d’organisation et d’association. Concernant le second, l’O.I.P. envisage l’abolition du devoir de réserve et la remise en question du statut dérogatoire des fonctionnaires pénitentiaires. La sixième proposition soutient la reconnaissance d’un droit à l’intimité et celle d’un droit au maintien des liens familiaux. Les détenus devraient ainsi pouvoir obtenir régulièrement des permissions de sortir, recevoir des proches dans l’intimité, être incarcérés en fonction du lieu d’habitation de la famille, bénéficier du régime de l’encellulement individuel, téléphoner et correspondre librement (sauf exception) et avoir la possibilité de se dénuder, de se laver ou de faire leurs besoins à l’abri du regard d’autrui. Enfin, l’O.I.P. souhaite la suppression de la fouille à nu en précisant qu’une mesure aussi attentatoire aux libertés individuelles ne peut être ordonnée que par un magistrat.
17En conclusion, il apparaît que le travail de l’O.I.P. se focalise sur les aspects essentiellement négatifs et les insuffisances du système carcéral français. La perspective adoptée a le défaut de paraître parfois un peu trop « unilatérale » en négligeant d’évoquer les initiatives, qui, même si elles ne sont que ponctuelles ou locales, tentent « d’adoucir » ce « mal carcéral ». Il y aurait, par exemple, vraisemblablement beaucoup à dire sur le développement de l’enseignement en prison, mais cela ne relève sans doute pas du rôle premier de l’O.I.P. En revanche, le rapport nous invite à une prise de conscience et une réflexion d’ensemble sur l’état des prisons en France, au regard des exigences émanant du Conseil de l’Europe. Beaucoup de propositions formulées par l’organisation non gouvernementale se rapprochent de celles contenues dans la recommandation n° R(87)3 sur les règles pénitentiaires européennes. C’est le cas de la création d’une autorité indépendante de contrôle des lieux de détention (§ 5). L’instauration d’un tel mécanisme en France passerait par la remise en question d’une tradition française tenace, mise en évidence par D. SALAS (voir Le tiers pouvoir. Vers une autre justice, Hachette, coll. Littératures, Paris 1998, pp. 67 et s.), dévoilant une absence totale d’étanchéité entre le corps des contrôleurs et celui des contrôlés, au profit d’une gestion managériale de l’administration. La recommandation, dont le point de départ réside dans la protection de la dignité humaine, met aussi l’accent sur l’importance de l’hygiène (§ 17 et § 20), la qualité de l’alimentation (§ 25) et celle des soins médicaux (§ 15 et § 26 et s.). Par ailleurs, la reconnaissance des garanties du procès équitable dans le cadre de la procédure disciplinaire est également mentionnée : le paragraphe 36-3 dispose à ce sujet que « aucun détenu ne peut être puni sans être informé de l’infraction qu’on lui reproche et sans qu’il ait eu la possibilité de présenter sa défense ». Enfin la recommandation suggère implicitement la nécessité d’une progressive assimilation des détenus qui travaillent aux salariés de droit commun, en posant que « des dispositions doivent être prises pour indemniser les détenus victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles dans des conditions égales à celles prévues par la loi dans le cas de travailleurs libres » (§ 74-2). Les propositions contenues dans la recommandation n° R(99)22 sur la surpopulation carcérale sont également souvent très proches de celles développées dans le rapport ; c’est le cas de l’instauration d’un numerus clausus (§ 6), de la décriminalisation de certaines infractions (§ 4), de l’usage d’alternatives à la détention provisoire (§ 12 et § 14), de la réduction du recours aux peines de longue durée (§ 14). Cette recommandation déconseille aussi l’extension du parc pénitentiaire, qui devrait rester une mesure exceptionnelle (§ 2). Ces quelques exemples montrent que beaucoup de problèmes soulevés par l’O.I.P. ont une dimension internationale et que ceux-ci sont malheureusement récurrents.
18Pour finir, on peut affirmer, en paraphrasant G. BALLANDIER, que l’auteur du rapport a mis le système carcéral « sur scène », pour rendre les lieux de détention et la vie carcérale plus transparents. Ce travail tend donc à projeter dans les tréfonds du passé cette « aveuglante absence de lumière » (T. BEN JELLOUN), cette culture du silence et de l’opacité qui perdure derrière les murs des prisons françaises.
19Hervé HENRION
20Doctorant E.R.P.C., à l’université de Montpellier I
21Assistant scientifique à l’Université de la Sarre
Absprachen in ausländischen Strafverfahren. Eine rechtsvergleichende Untersuchung zu konsensualen Elementen im Strafprozess, Thomas WEIGEND, Eigenverlag Max-Planck Institut für ausländisches und internationales Strafrecht, Fribourg, 1990
22« Il est difficile mais sans doute pas impossible, au sein d’une économie sociale de marché, de concevoir un système conciliatoire, qui permet d’éviter les pires abus et corrélativement de trouver un équilibre entre, d’un côté, les intérêts de l’auteur et, de l’autre, ceux des autorités de poursuite et de jugement » (p. 107).
23Le lecteur averti qui désire accéder à une connaissance globale et approfondie des mécanismes de conciliation, ne peut manquer de lire le travail de Thomas WEIGEND. Même si son ouvrage n’a pas fait objet d’une réédition récente, il n’en demeure pas moins actuel en raison de la richesse et du caractère visionnaire de la majorité de ses développements.
24L’objet de la recherche concerne la conciliation et l’auteur intègre dans ce concept tous les modes consensuels de règlement des conflits, qui s’éloignent du formalisme procédural classique. En retenant une terminologie française, on peut aisément affirmer que l’auteur adopte une conception large de la conciliation en l’assimilant aux troisièmes voies.
25La méthode retenue acquiert une dimension largement critique, grâce au développement d’une perspective comparatiste. De plus, la prise en considération d’éléments tant empiriques que dogmatiques dénote la complétude de la recherche.
26La construction formelle de la recherche laisse apparaître la dichotomie suivante : le plan choisi envisage successivement la conciliation avant, puis pendant la phase de jugement.
27– Dans la première partie, l’auteur démontre que les mécanismes de conciliation se développent de manière optimale au sein des systèmes juridiques laissant au ministère public une marge de manœuvre au stade du déclenchement des poursuites pénales. C’est bien entendu le cas des pays qui ont consacré le principe de l’opportunité des poursuites. Des exigences pratiques ont parallèlement favorisé l’émergence des troisièmes voies dans les systèmes à tendance légaliste, mais cela s’est très souvent réalisé au prix d’acrobaties juridiques. Il en résulte que les mécanismes envisagés peuvent être considérés comme la règle (et non comme l’exception) au niveau international. Ils se caractérisent par la remise en question du dogme du formalisme procédural, en ce qu’ils impliquent une renonciation de l’individu à certains de ses droits en échange d’une réelle diminution de la contrainte étatique. A ce sujet, l’auteur dénonce un effet pervers consécutif à cet échange : il peut arriver qu’un individu innocent se voit poussé à accepter le résultat d’une procédure conciliatoire et cela en dépit de sa non culpabilité, simplement parce que le déroulement d’une procédure classique risquerait d’être pour lui plus lourd de conséquences. Une dérive inégalitaire transparaît et l’auteur soutient à juste titre que le seul moyen de la contourner suppose la positivation des mécanismes de conciliation. En paraphrasant Jean CARBONNIER, les troisièmes voies devraient passer de l’infra-droit au droit.
28– Dans la seconde partie de l’ouvrage, Thomas WEIGEND étudie les mécanismes de conciliation pouvant intervenir lors de la phase de jugement. Il expose une distinction entre le « charge bargaining » (il s’agit d’un compromis sur la nature et l’étendue du délit poursuivi) et le « sentence bargaining » (il s’agit d’un compromis sur l’étendue de la peine). Le point de départ de la réflexion se focalise certes sur le système états-unien, mais l’auteur ne manque pas de faire d’autres incursions comparatistes en envisageant successivement les pratiques canadiennes, britanniques, écossaises et australiennes imprégnées d’une théorie instrumentale du procès, vecteur de la régulation des conflits. Par ailleurs, les droits italien et espagnol connaissent également la possibilité d’une conciliation au stade de l’audience pénale. Dans ces deux pays, le législateur a été animé par la volonté de façonner des contreparties à la rigueur du principe de la légalité des poursuites. Remarquons que l’Italie est le seul pays dans lequel la conciliation se déroule sans reconnaissance préalable de culpabilité.
29– Les conclusions que Thomas WEIGEND déduit de son travail dévoilent très largement une perspective de politique criminelle. En premier lieu, il constate le lien entre les procédures de conciliation et l’objectif de performance de la justice. Les législateurs ainsi que les procureurs des différents pays abordés sont largement inspirés par l’idée d’une gestion managériale des conflits. En deuxième lieu, il rappelle la corrélation entre la coopération de l’individu et la diminution de sa peine. L’auteur défend cependant une conception contraire à la plupart des auteurs qui affirment que l’individu tire forcément un profit de sa participation à une conciliation. Il souligne en effet que la personne qui se soumet à une structure de procédure classique en exerçant ses droits, risque de se trouver dans une situation moins avantageuse. En troisième lieu, la sanction intervenant à la suite de la conciliation ne se fonde plus sur l’un des buts classiques de la peine ; elle est bien plus légitimée par un objectif d’efficacité ou d’efficience. En quatrième lieu, les troisièmes voies marquent souvent un réel recul du principe de publicité. Dans la plupart des cas, leur déroulement n’a lieu qu’en présence de professionnels, la victime et l’auteur n’intervenant pas. Si les échanges entre professionnels favorisent un règlement rapide de la procédure par le truchement d’un « effet de groupe », l’absence et le manque d’implication des profanes peuvent entraîner des décisions, qui leur sont défavorables. En cinquième lieu, l’auteur démontre que ces nouvelles procédures traduisent une véritable mutation des fonctions des acteurs du procès pénal. La conciliation valorise le rôle du ministère public, qui tend à empiéter sur les prérogatives traditionnelles des magistrats du siège. Par ailleurs, l’avocat de la défense, en défendant, d’un côté, les intérêts de son client et, de l’autre, en lui soumettant et « vendant » le résultat de la conciliation, devient une sorte « d’agent double ». Enfin, le juge du siège doit être exclu des pourparlers, pour éviter la prépondérance de l’Etat pendant ces derniers et prévenir tout risque de partialité. Cela laisse transparaître l’irruption d’un principe dispositif sur la scène pénale. En sixième et dernier lieu, Thomas WEIGEND propose quelques règles minimales permettant d’éviter tout abus dans le déroulement d’une conciliation. Celle-ci devrait, d’une part, intervenir le plus tôt possible. La prise en considération de l’impératif d’efficacité exclut, en effet, la possibilité d’un tel mécanisme lors de la phase de jugement. L’auteur estime, d’autre part, que l’action du ministère public doit faire l’objet d’un contrôle plus poussé et cela pour empêcher un trop grand déséquilibre entre la défense et l’accusation.
30Nicole SALDITT
31Avocate au barreau de Sarrebruck.
Droit de la jeunesse (Aide, Assistance, Protection), par Françoise TULKENS et Thierry MOREAU, Bruxelles, Larder, 2000, 1 143 pages
32Le droit de la jeunesse est une matière qui transcende les territoires juridiques traditionnels. C’est une matière limitrophe que, faute de mieux, on appellera « sui generis », parce qu’elle ne relève en propre ni du civil, ni du pénal, ni de l’administratif, ni du social, ni uniquement du droit constitutionnel, même dans des Etats fédéraux où se posent de délicats problèmes de répartition des compétences.
33Ainsi, pour la Belgique, Pierre Mahillon, Conseiller à la Cour de cassation, avait pris l’initiative de publier en 1978 un volume marquant spécifiquement consacré à la protection de la jeunesse dans la prestigieuse collection des Novelles, où le reste du droit est réparti selon les clivages classiques.
34Depuis, la Belgique avait connu un long processus de réforme de l’Etat, qui l’a amenée à être un Etat fédéral composé de Communautés (culturelles) et de Régions (économiques). Ce sont les Communautés et les Régions qui sont compétentes pour l’ensemble de la protection de la jeunesse, en ce compris la protection sociale et la protection judiciaire, sous réserve d’exceptions bien précises, et la protection des mineurs peut donc être organisée de manière très différente en Communauté flamande, en Communauté française, en Communauté germanophone, ou dans la Région bilingue de Bruxelles-capitale.
35La complexité née de ce processus de réforme a certainement découragé beaucoup d’initiatives de synthèse, et il est d’autant plus méritoire que Françoise Tulkens, à présent juge à la Cour européenne des droits de l’homme et professeur extraordinaire à l’Université catholique de Louvain, ait réalisé avec Thierry Moreau, avocat à Nivelles et assistant se partageant entre les Facultés de Namur et l’Université de Louvain, un important ouvrage de plus de mille pages consacré à trois facettes du « droit de la jeunesse » : l’aide, l’assistance et la protection.
36Se limiter à mille pages a en effet imposé des choix douloureux aux auteurs, qui se sont limités aux mineurs en situation problématique et aux mineurs délinquants, ceux qui sont traditionnellement envisagés dans le champ de l’aide, de l’assistance et de la protection de la jeunesse, à l’exclusion des conditions de socialisation qui sont cependant inséparables de leur situation. Ils ont opté pour une démarche juridique et critique, tenant compte cependant dans toute la mesure du possible des apports de la pratique. Quant à leur objectif enfin, ils ont cherché la clarification dans un domaine de profusion et parfois de confusion des textes, et la détermination des enjeux.
37L’ouvrage se répartit en quatre titres.
38Le premier est consacré à l’évolution historique du droit des mineurs et à ses étapes « significatives » : modèle civil et pénal à travers l’histoire, et plus spécialement dans le Code civil de 1804, le Code pénal de 1810, le Code pénal belge de 1867, et les institutions pour mineurs ; modèle protectionnel consacré d’abord par la loi du 15 mai 1912 sur la protection de l’enfance, puis par la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse ; puis crise des modèles, bilans critiques, temps des réformes.
39Le deuxième titre est consacré au droit de l’aide et de l’assistance spéciale à la jeunesse, en Communauté française (le décret du 4 mars 1991 relatif à l’aide à la jeunesse, les services et les institutions, le décret du 16 mars 1998 relatif aux enfants victimes de maltraitance, le délégué général aux droits de l’enfant et à l’aide à la jeunesse), en Communauté flamande (l’arrêté de l’Exécutif du 4 avril 1990 portant coordination des décrets relatifs à l’assistance spéciale à la jeunesse, les services et les institutions, le commissariat aux droits de l’enfant), dans la Région bilingue de Bruxelles-capitale, et en Communauté germanophone, le tout se terminant par « la détermination de la législation applicable », qui n’est pas exempte de pièges.
40Le titre trois est consacré au droit de la protection de la jeunesse : les réformes de l’Etat en 1980 et 1988 et leurs conséquences, l’abaissement de la majorité civile à 18 ans, et les mutations de la loi de 1965 relative à la protection de la jeunesse, dont disparaît la protection sociale, mais où apparaissent les règles de procédure applicables lorsque les juridictions de la jeunesse sont appelées à intervenir sur base des décrets des Communautés. Les secousses se maintiennent : de nouvelles logiques d’intervention se disputent le terrain, retour du modèle punitif pour les uns, justice réparatrice pour les autres, sans qu’on puisse échapper non plus à l’emprise des « contrats de sécurité » conclus entre autorités fédérales, Régions et communes, et impliquant tant l’aide que la protection de la jeunesse. Des projets de réforme se dessinent, une commission nationale présidée par M. Cornelis se prononçant en faveur d’un « droit sanctionnel restaurateur ».
41Ce sont les textes internationaux qui fournissent la matière du titre quatre : textes des Nations Unies (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Convention internationale relative aux droits de l’enfant, Ensemble des règles minima concernant l’administration de la justice des mineurs, Principes directeurs pour la prévention de la délinquance juvénile, Règles minima pour la protection des mineurs privés de liberté) et du Conseil de l’Europe (Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Recommandation de 1987 sur les réactions sociales à la délinquance juvénile, Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants).
42Une ample bibliographie et un index fouillé complètent un ouvrage magistral qui était attendu depuis plusieurs années (au point que dans l’entourage des auteurs, on en venait à parler, non sans humour, de « la chose »), et dont la conclusion tient en deux pages : les auteurs ont voulu faire le point. « A l’heure où de nouveaux discours, de nouvelles doctrines, de nouvelles législations se profilent à l’horizon, nous pensons qu’il est indispensable, pour éviter la fuite en avant, de prendre le temps de s’arrêter pour faire le point ». Ce n’est pas qu’en Belgique que l’ouvrage méritera le détour et la halte. C’est un matériau d’une richesse exceptionnelle que les auteurs offrent à la réflexion de droit comparé, dans un domaine où dans un même temps, différents pays peuvent chercher la pierre philosophale dans des voies étrangement croisées.
43Georges KELLENS
44Professeur à l’Université de Bruxelles