Notes
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[1]
Merci à mes lecteurs pour leurs remarques qui ont permis d’améliorer ce texte.
-
[2]
Voir l’article de M. Béra dans ce numéro, p. 21-41.
-
[3]
Lettre d’Henri Lévy-Bruhl à Ignace Meyerson, 15 avril 1950 (Archives nationales [AN], fonds Meyerson, 521AP54).
-
[4]
Les analyses relevant des sections « Sociologie économique » et « Divers » ont été perdues.
-
[5]
Paul Fauconnet était dès le départ très réticent à s’engager dans l’entreprise. Après la parution du volume 1, il propose de résilier ses fonctions de secrétaire, après l’accumulation des retards (du fait de Mauss) et des difficultés relatives à la publication du premier numéro (Mergy, 2004 : 18).
-
[6]
Voir infra, où nous revenons un peu plus sur le contenu des publications.
-
[7]
Robert Marjolin (1911-1986) est un autodidacte, non bachelier, issu d'un milieu très modeste, qui avait repris, sur le tard, des études à l’École pratique des hautes études (EPHE) sur les conseils de Georges Bourgin. Il est remarqué par Bouglé qui lui obtient une bourse d’études Rockefeller pour partir aux États-Unis. En 1934, il bifurque vers les sciences économiques et devient collaborateur de Charles Rist, toujours grâce à Célestin Bouglé (Sirinelli, 1988 : 587 sqq).
-
[8]
Le Centre de documentation sociale, fondé en 1920 par le banquier Albert Kahn pour réunir une vaste documentation portant sur l’actualité économique et sociale, est financé lui aussi par les Américains après la faillite de son mécène, en 1932. À la fois bibliothèque et premier centre de recherche universitaire en sociologie, il va, sous l’influence de Bouglé (qui s’est exécuté avec la meilleure volonté du monde pour satisfaire aux exigences de la fondation Rockefeller), se tourner résolument vers la « recherche inductive » selon l’expression consacrée. Cette orientation explique aussi le contenu de la rubrique « Méthodologie » (voir infra) où sont discutés des manuels américains (Marcel, 2001).
-
[9]
Henri Lévy-Bruhl est né le 18 décembre 1884 à Paris, où il meurt le 2 mai 1964. Il est professeur à la faculté de Droit de Lille, puis de Paris (1930), ainsi qu’à l’École des hautes études en sciences sociales. Il restera fidèle à la revue durkheimienne en continuant à y prendre une part active après 1945 (sur ce dernier point, voir : Marcel, 2017).
-
[10]
La correspondance professionnelle et amicale d’Émile Durkheim à Lucien Lévy-Bruhl, éditée par Dominique Merllié (2017), semble montrer notamment que leurs enfants se connaissaient et se recevaient, et qu’il en allait sans doute de même avec Mauss (dont Durkheim donne des nouvelles à Lévy-Bruhl). Le dernier numéro de L’Année sociologique Première série comporte déjà un compte rendu d’un texte d’Henri Lévy-Bruhl, l’histoire du droit (dont il est « agrégé ») faisant partie des objets constants de la revue. Leurs affinités politiques ont réuni assez tôt Marcel et Henri, qui était membre du Groupe d’études socialistes (GES) animé par Robert Hertz. Toutes raisons qui peuvent expliquer son implication dans les publications durkheimiennes et sa fonction de secrétaire de l’Institut français de sociologie de 1924 à 1933 (Hirsch, 2016 : 338).
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[11]
Sont aussi membres de l’IFS Édouard Mestre et André Piganiol, qu’on retrouve parmi les contributeurs.
-
[12]
C’est un ancien membre du GES regroupé autour de Lucien Herr. C’est ce même réseau qui explique l’arrivée d’Édouard Mestre parmi les collaborateurs des Annales sociologiques.
-
[13]
Hubert décède en 1927.
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[14]
Auteur d’un Mémoire dans la série D.
-
[15]
Les Américains participent aussi au financement des Annales sociologiques.
-
[16]
À la demande expresse de Bouglé, qui réclame à Mauss des morceaux de son cours (Fournier, 1994).
-
[17]
Et dans lequel il loue celui-ci de regretter « l'espèce de divorce qu'il constate en France entre l’équipe qui se rattache à Le Play et celle qui se rattache à Auguste Comte » (Bouglé, 1925 : 200).
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[18]
Pour plus de précisions sur la question des rapports entre sociologie et psychologie dans L’Année, voir l’article de M. Consolim dans ce numéro (p. 103-142).
-
[19]
Voir l’article de M. Consolim dans ce numéro, p. 103-142.
-
[20]
C’est un autre assistant de Bouglé, Jean Meuvret (1901-1971), plus tard collaborateur régulier des Annales. Histoire économique et sociale qui systématise ce point de vue exprimé dans les Annales sociologiques (Meuvret, 1937).
-
[21]
AN, dossier Halbwachs, AJ 16 6017.
-
[22]
Créé en 1923, l’Institut est principalement un organisme d’enseignement qui délivre un diplôme depuis 1923 (AN, AJ 16 4758 ; AJ 16 2591). Il semblerait qu’Halbwachs y siège depuis 1935, car à cette date le comité de direction souhaite déjà vivement sa présence, ainsi que celles de Charles Rist et Jacques Rueff, membres comme lui de la Société de statistique de Paris (AN, AJ 16 2595).
-
[23]
Chez les durkheimiens, l’intérêt de la base morphologique est qu’elle permet le comptage et le dénombrement des faits. Elle est donc le point d‘application par excellence de la méthode statistique.
-
[24]
Cette collaboration est fort active dans l’entre-deux guerres et outrepasse le cadre de la revue. C’est Halbwachs, par exemple, qui remplace Bouglé à sa mort à la tête du CDS, à la demande de ce dernier, Centre dans lequel certains étudiants étaient déjà dirigés par Halbwachs (Marcel, 2001).
-
[25]
On a, au passage, une preuve de plus que la vie intellectuelle fut, en ce lieu, foisonnante et intense durant cette période (Craig, 1979).
-
[26]
Elle est essentiellement le fait de Jean Stoetzel, parti en voyage d’étude à Columbia grâce aux subsides de la Fondation Rockefeller.
1Cet article vise à analyser les liens entre l’activité éditoriale produite dans L’Année sociologique Deuxième série et les Annales sociologiques, les collaborateurs au sein de leurs réseaux intellectuels et institutionnels, et, enfin, le sujet et le contenu des textes publiés dans certaines rubriques et séries. Il sera ainsi possible de préciser ce que furent les « métamorphoses » du durkheimisme après la mort de Durkheim – laquelle, ajoutée à celles de nombreux collaborateurs, rendit l’entreprise difficile (Fournier, 1994 ; Heilbron, 1985 ; Mergy, 2004). Les sociologues durkheimiens eurent à relever un certain nombre de défis, alors que le champ intellectuel évolue dans le contexte troublé de l’entre-deux-guerres. Le pôle « spiritualiste » de la philosophie se renforce, notamment du fait de l’importation par de jeunes philosophes d’auteurs allemands tels que Wilhelm Dilthey, Martin Heidegger, Edmund Husserl…, ce qui fragilise le pôle rationaliste auquel se rattache plutôt la sociologie durkheimienne (Pinto, 2009). La Grande Guerre a aussi sérieusement mis à mal les explications du monde défendant l’idée d’un progrès de la Raison, lesquelles vont devoir développer des trésors de dialectique pour conserver une place sur le marché des idées. La psychologie est en plein essor, alors que le freudisme devient à la mode, et la question de l’emprise du social sur le psychisme fait débat, devenant enjeu de luttes, autour notamment de la possibilité de fonder une psychologie collective et de s’approprier l’étude positive des facultés humaines (Hirsch, 2016). Il faut aussi recruter des collaborateurs, coordonner leurs efforts, alors que nombre d’entre eux arrivent au faîte de leur carrière et ont d’autres obligations, pour conserver à la sociologie sa place de discours critique et synthétique. Dans ce dispositif éditorial et intellectuel, encastré dans divers réseaux institutionnels, une division du travail se met en place entre les différentes séries (au départ des « rubriques » de L’Année) et leurs responsables. L’enquête montre que ce sont Maurice Halbwachs et Célestin Bouglé qui vont donner un minimum de cohérence à l’entreprise et s’efforcer de faire durer la sociologie durkheimienne.
L’activité éditoriale de L’Année sociologique Deuxième série
Vue d’ensemble (Deuxième série, volume 1 : 1923-1924)
2Nous n’avons comptabilisé que les « Analyses » (voir Annexe 1, Tableau A1). Il faut entendre par ce terme ce que Durkheim envisageait déjà quand il pensait à fonder la revue [2] :
Il y aurait avantage très souvent et surtout la première année, à ce qu’en tête des analyses ainsi classées sous une même rubrique, on mît un préambule indiquant l’état de la question et une conclusion générale ; quand il y a matière à conclusion. On aurait ainsi des analyses individuelles et objectives qui seraient en même temps des articles. Ce serait un grand avantage pour quelqu’un qui s’occupe des religions par exemple de trouver ensemble tout ce qui a paru sur le sacrifice – ou sur les fêtes – ou sur les rites funéraires.
4Dans la Deuxième série et dans les Annales, c’est toujours cette formule qui prévaut. Un texte introductif ou programmatique précède des comptes-rendus de lecture plus ou moins élaborés. Le Mémoire original, qui introduit les volumes, est quant à lui un gros article, mais dont le statut peut être variable : nécrologie, article princeps, état d’une recherche… Ce volume 1 contient un total de 220 analyses. Les rubriques les plus « actives » sont, par ordre décroissant : la Sociologie morale et juridique (28 % de l’ensemble), la Sociologie générale (25 %), la Sociologie religieuse (23 %). Ce palmarès consacre sans surprise la primauté accordée par les durkheimiens à certains ordres de faits pour construire leurs analyses.
Vue d’ensemble (Deuxième série, volume 2 : 1924-1925)
5Outre deux Mémoires originaux de Marcel Mauss (« Divisions et proportions des divisions de la sociologie ») et de René Maunier (« Recherches sur les échanges rituels en Afrique du Nord »), ce volume ne comporte qu’une analyse de Sociologie générale : « Note de méthode sur l’extension de la sociologie », signée de Henri Hubert, Marcel Mauss, Louis Gernet, Dominique Parodi, Maurice Halbwachs, Max Bonnafous, Marcel Déat, Daniel Essertier et Célestin Bouglé. Ce texte, inachevé et coupé, renferme une sorte de bilan de la sociologie (durkheimienne), liste ses lacunes et recense les critiques qui lui ont été faites.
6Jennifer Mergy (2004) a retrouvé une partie non publiée dans le fonds Mauss déposé au Collège de France. Aussi a-t-elle pu établir que la partie publiée constitue probablement un quart du volume qui était prévu au départ, qu’un volume 3 était en préparation et qu’un volume 4 avait été annoncé pour 1929 (ibid., p. 16). Ce projet avorta, car, en plus de son coût, Mauss ne possédait pas d’aptitude à gérer commercialement et diriger une telle entreprise ou ne le souhaitait pas. C’était un « vieux célibataire », « peu fiable » « dispersé et hâbleur » [3]. Les textes inédits destinés à ce volume 2 de la nouvelle série sont presque au nombre de 400, et regroupent essentiellement des analyses de Mauss (56), Hubert (22), Halbwachs (5) et Fauconnet (2). Les 17 auteurs qui ont contribué à ce volume 2 sont : Georges Davy, Philippe de Félice, Albert Demangeon, Daniel Essertier, Paul Fauconnet, Louis Gernet, Maurice Halbwachs, Henri Hubert, Henri Jeanmaire, Emmanuel Lévy, Henri Lévy-Bruhl, Charles Lalo, René Maunier, Marcel Mauss, Jean Plassard, Jean Ray et Jules Sion. Ceux dont aucun texte ne se trouve dans les archives, mais qui figurent sur la couverture du volume 2 de L’Année sociologique, sont : Albert Bayet, Célestin Bouglé, Georges Bourgin, Henri Bourgin, Stefan Czarnowski, Marcel Déat, Marcel Granet, Raymond Lenoir, Lucien Lévy-Bruhl, Jean Marx, Antoine Meillet, Alexandre Moret, Dominique Parodi, Charles Blondel, André Piganiol et Pierre Roussel [4].
L’activité éditoriale des Annales sociologiques
7Le périodique totalise 362 analyses, toutes séries confondues (voir Annexe 1, Tableau A2). Par ordre décroissant, les deux rubriques les plus actives sont la série A de Sociologie générale (28 % de l’ensemble) et la série D de Sociologie économique (26 %). Dans le premier cas, cette importance relative reflète sans doute certains débats, prégnants à l’époque, relevant des frontières entre disciplines (voir infra). Dans le second, il faut voir sans doute un indicateur du statut de la persistance de la sociologie économique comme « front » à partir duquel François Simiand engage la réflexion critique contre les autres disciplines. Les Mémoires originaux consacrent quant à eux le poids relatif (à égalité : 25 % du total à peu près pour chaque rubrique) de la sociologie juridique et de la sociologie économique.
8La variation du nombre de fascicules publiés selon les séries, de même que celle des dates de publication, la publication de fascicules doubles dans certains cas : autant d’indices qui révèlent le peu de standardisation de la publication et qui illustrent le relatif éclatement de l’équipe durkheimienne ainsi que sa marche en ordre dispersé (Tableau 1). Chaque série est indépendante des autres, et avance au rythme du travail fourni par son responsable et ses collaborateurs. La publication disparaît avec la guerre et la mort des principaux durkheimiens « historiques » (Simiand en 1935, Bouglé en 1940, Halbwachs en 1945).
Tableau 1. – Les séries et les fascicules des Annales sociologiques
Série/Directeurs | |||||
Série ASociologie générale | Série BSociologie religieuse | Série CSociologie morale et juridique | Série DSociologie économique | Série EMorphologie sociale, Langage, Technologie, Esthétique | |
Bouglé | Mauss | Ray | Simiand/ Halbwachs | Halbwachs | |
Date de publication | |||||
Fascicule 1 | 1934 | 1939 | 1935 | 1934 | 1935 |
Fascicule 2 | 1936 | 1939 | 1937 | 1937 | 1937 |
Fascicule 3 | 1938 | 1939 | 1938 | 1938 | 1942 |
Fascicule 4 | 1941 | 1940 | 1940 | 1942 |
Tableau 1. – Les séries et les fascicules des Annales sociologiques
L’implication des contributeurs (analyse comparée)
L’Année sociologique Deuxième série
Tableau 2. – Activité des contributeurs de L’Année sociologique Deuxième série (par ordre décroissant)
Auteur | Nombre d’Analyses |
Mauss | 67 |
Halbwachs | 17 |
Bouglé | 15 |
Hubert | 12 |
Ray | 12 |
Simiand | 12 |
Davy | 10 |
Gernet | 10 |
Lévy-Bruhl H. | 10 |
Total | 165 |
Tableau 2. – Activité des contributeurs de L’Année sociologique Deuxième série (par ordre décroissant)
9L’implication de Mauss dans L’Année est impressionnante puisqu’il publie à peu près 4 fois plus que le second contributeur, à savoir Halbwachs (Tableau 2). Il tient quasiment à lui seul la rubrique de Sociologie religieuse, et c’est aussi lui qui fournit 3 des 4 Mémoires originaux des deux volumes de la Deuxième série : « Divisions et proportions des divisions de la sociologie » pour le volume 1923-1924, et l’In memoriam et « L’Essai sur le don » pour le volume 1924-1925. Ces chiffres confirment le rôle de « leader » que les membres de l’équipe semblent lui accorder, au moment de la relance de leur revue, et qu’il endosse, du moins temporairement, si l’on en croit les correspondances échangées à ce moment. C’est du reste dans « Divisions… » que Mauss tient le plus explicitement cette place de chef de file, demande que se multiplient les études concrètes et que l’on renonce aux systématisations prématurées. On peut dire aussi que c’est la dernière fois, car avec l’arrêt de L’Année, il disparaît quasiment de l’entreprise collective. Halbwachs et Bouglé, de leur côté, montrent déjà un fort investissement, qui ne cessera de se confirmer quand on passera de L’Année aux Annales. Henri Lévy-Bruhl fait son entrée, caractérisée par une forte implication, et manifeste une fidélité dont il ne se départira plus. Reste aussi une histoire à écrire sur l’active collaboration de Jean Ray (1884-1943), ancien élève de l’École normale supérieure (ENS) et agrégé de philosophie, spécialiste de la Société des nations (SDN), qui appartient à l’équipe originelle de L’Année Première série, et dirige ensuite la série C des Annales sociologiques. À noter, outre l’absence de Davy, la très faible implication de Fauconnet [5].
Annales sociologiques : les Mémoires originaux
10Dans la littérature consacrée à cette période de l’histoire de la sociologie durkheimienne, on insiste sur l’incapacité de l’équipe à se renouveler et à trouver du sang neuf pour perpétuer sa tradition de recherche (Heilbron, 1985).
11De fait, le nombre de Mémoires publiés permet de différencier dans la première génération de durkheimiens le trio principal « historique » Halbwachs-Mauss-Simiand (et Bouglé), auquel il faut ajouter des contributeurs de leur génération recrutés par le biais de différents cercles (voir infra). Jean Ray et Emmanuel Lévy sont d’anciens collaborateurs de L’Année Première série (Tableau 3). Dans ce corpus de Mémoires figurent certains textes qui ont eu une postérité, à l’image du Mémoire de Simiand (1934) sur la monnaie, publié dans le fascicule 1, ou encore le texte programmatique de Mauss (1934) [6].
12Toutefois, il est permis considérer que dans les Annales sociologiques un espace d’expression est accordé à de plus jeunes recrues, puisqu’un peu plus d’un tiers des Mémoires originaux est de leur fait.
Tableau 3. – Les Mémoires publiés par la première génération dans les Annales sociologiques (par ordre décroissant)
Auteur | Nombre de Mémoires |
Halbwachs | 3 |
Lévy-Bruhl H. | 2 |
Mauss | 2 |
Simiand | 2 |
Bayet | 1 |
Bouglé | 1 |
Cohen | 1 |
Granet | 1 |
Le Bras | 1 |
Lévy | 1 |
Ray | 1 |
Total | 16 |
Tableau 3. – Les Mémoires publiés par la première génération dans les Annales sociologiques (par ordre décroissant)
Tableau 4. – Les Mémoires publiés par la deuxième génération dans les Annales sociologiques
Auteur | Nombre de Mémoires |
Lutfala | 1 |
Czarnowski | 1 |
Gurvitch | 1 |
Marjolin | 1 |
Maunier | 1 |
Stoetzel | 1 |
Total | 6 |
Tableau 4. – Les Mémoires publiés par la deuxième génération dans les Annales sociologiques
13La formule du « Mémoire original » existe depuis la parution du premier numéro de L’Année. Comme son nom l’indique, il est censé être une publication inédite, qui consacre le travail de recherche de son auteur. La présence de Mauss se retrouve dans ce palmarès de manière indirecte, puisque René Maunier (bien que publiant son Mémoire dans la série D) et Stefan Czarnowski appartiennent à son réseau, tandis que Robert Marjolin [7] et Jean Stoetzel gravitent autour du Centre de documentation sociale (CDS) [8] de Bouglé (Tableau 4). À noter que le Mémoire de Stoetzel (1941) sur « La psychologie sociale et la théorie des attitudes », publié dans le fascicule 4 de la série A, discute l’apport de la littérature américaine sur la théorie des attitudes, sur laquelle le jeune Stoetzel prépare alors sa thèse. Cet exemple fait aussi des Annales sociologiques un espace critique ouvert à une réflexion se démarquant à bien des égards d’un certain nombre de préceptes théoriques et méthodologiques consacrés par la doxa durkheimienne. En ce sens, comme le montrent aussi les Analyses de « Sociologie générale » dans L’Année et dans les Annales, Bouglé a contribué à impulser un renouveau de la réflexion théorique sans entraver le développement de visions alternatives de la sociologie, y compris chez ceux qui, comme Jean Stoetzel et Raymond Aron, se proclameront plus tard, pour les besoins de leur cause, pourfendeurs de la sociologie durkheimienne (plus de précisions dans Marcel, 1998 ; 2001).
Annales sociologiques : les Analyses
14Le palmarès des Analyses confirme la forte implication de Bouglé, Halbwachs et Simiand. La mort de ce dernier, 5 jours avant ses 62 ans, fera des deux premiers les principaux continuateurs de la sociologie durkheimienne, ce qui va les conduire à nouer des liens multiples (voir supra). À noter la présence d’Halbwachs dans toutes les séries, excepté celle de Sociologie religieuse qui est une preuve de plus de son engagement dans l’entreprise : il prenait la « résurrection de L’Année » au sérieux, et il jouait un rôle de « rassembleur » parmi les durkheimiens, au centre de différents réseaux. Rares sont du reste les collaborateurs qui signent dans plusieurs séries (Tableau 5). Outre ceux qui sont mentionnés dans le tableau, on trouve Lévy-Bruhl et Maunier (séries C et D) dont les compétences juridiques autorisent sans doute les incursions dans plusieurs séries, mais aussi Marjolin, doté pour sa part de compétences en sciences économiques. À noter aussi la forte implication dans une série unique (A) d’André Kaan et Raymond Aron, assistants de Bouglé au CDS, et la performance de Charles Lalo (ce dernier, ayant sans doute des compétences lui conférant une situation de monopole) qui nourrit exclusivement la rubrique « Esthétique » de la série E. Le travail conséquent fourni par les assistants du CDS, qui sont, avec lui, les principaux pourvoyeurs d’Analyses de la série A, dénote la capacité qu’avait Bouglé de motiver et mettre les jeunes au travail, en véritable entrepreneur de la sociologie qu’il était. En comparaison, Mauss, réputé pour avoir influencé nombre de jeunes auteurs, ne semblait pas avoir la même appétence pour impliquer des collaborateurs dans un tel travail collectif, dans lequel il ne s’impliquait guère lui-même.
Tableau 5. – Les principaux producteurs d’Analyses dans les Annales sociologiques (par ordre décroissant)
Auteur | Nombre d’Analyses publiées | Dans les série(s) |
Halbwachs | 61 | A, C, D, E |
Bouglé | 48 | A, C |
Simiand | 30 | D |
Lalo | 29 | E |
Bourgin G. | 26 | C, D |
Ray | 19 | C |
Aron | 16 | A |
Marjolin | 15 | A, D |
Kaan | 13 | A |
Soustelle | 12 | B |
Depoid | 8 | E |
Total | 277 |
Tableau 5. – Les principaux producteurs d’Analyses dans les Annales sociologiques (par ordre décroissant)
Les contributeurs
Tableau 6. – Contributeurs de L’Année et des Annales (par ordre alphabétique)
Collaborateurs | ||
exclusifs derq L’Année sociologique | communs aux deux publications | nouveaux venus aux Annales sociologiques |
Blondel C. | Bayet A. | Aron R. |
Bonnafous M. | Bouglé C. | Depoid P. |
Bourgin H. | Bourgin G. | Feldmann V. |
Davy G. | Cohen M. | Grazberg-Minkowska A. |
De Felice E. | Czarnowski S. | Gurvitch G. |
Déat M. | Demangeon A. | Hubert R. |
Doutté E. | Essertier D. | Inoué K. |
Gernet L. | Fauconnet P. | Kaan A. |
Henry Fr. et Mlle Henry | Granet M. | Klee R. |
Henry M. | Halbwachs M. | Laufenberger H.* |
Hubert H. | Jeanmarie H. | Le Bras G. |
Laoust A.** | Lalo C. | Leiris P.*** |
Laubier R. | Lévy E. | Levitzki A. |
Lenoir R. | Lévy-Bruhl H. | Lutfalla G. |
Lévy-Bruhl L. | Maunier R. | Marjolin R. |
Marx J. | Mauss M. | Mestre E. |
Meillet A. | Piganiol A. | Montagne R. |
Moret A. | Ray J. | Montet P. |
Parodi D. | Roussel P.**** | Mougin H. |
Plassard J. | Simiand F. | Noailles P. |
Radcliffe-Brown E. | Sion J. | Philip A. |
Polin R. | ||
Schwob Ph. | ||
Soustelle J. | ||
Stoetzel J. | ||
Tesnière L. | ||
Vulcanesco M. |
Tableau 6. – Contributeurs de L’Année et des Annales (par ordre alphabétique)
Notes : L’italique désigne les étudiants de Célestin Bouglé. * : 1879-1924, docteur en sciences économiques. ** : 1876-1952, orientaliste, spécialiste du monde berbère. *** : Il s’agit bien sûr de Michel Leiris. **** : 1881-1945, normalien, agrégé de lettres.15Le nombre de contributeurs à L’Année Deuxième série est de 42, si l’on inclut ceux qui ont participé au numéro inachevé et qui n’ont pas été publiés. Ils sont 48 à participer aux Annales. Pour mémoire, ils étaient 46 dans la Première série, selon le décompte de Philippe Besnard (1979). On constate donc une évidente stabilité des effectifs depuis les débuts (Tableau 6). Il semble qu’en termes « d’amplitude » du réseau mobilisé, toutes les publications durkheimiennes sont comparables. Concernant le recrutement des collaborateurs et son évolution durant la période, l’historiographie a plutôt insisté sur la difficulté des durkheimiens à attirer de nouvelles recrues après 1918 (Clark, 1973 ; Heilbron, 1985). Précisons néanmoins les caractéristiques de ce recrutement, à l’aide du tableau 7 :
Tableau 7. – Permanences et changements dans le recrutement entre L’Année sociologique et les Annales sociologiques
Part des effectifs (en %) | |||
Longévité des contributeurs | Effectifs | de L’Année | des Annales |
Présents dans toutes les publications depuis la Première série | 12 | 28 | 26 |
Présents dans les Première et Deuxième séries de L’Année | 9 | 21 | |
Présents dans L’AnnéeDeuxième série et aux Annales | 22 | 52 | 46 |
Présents dans L’AnnéeDeuxième série, mais plus aux Annales | 16 | 38 | |
Les recrues des Annales : les nouveaux venus | 27 | 56 |
Tableau 7. – Permanences et changements dans le recrutement entre L’Année sociologique et les Annales sociologiques
16Le premier résultat saillant (ligne 1) est qu’un peu plus d’un quart des « durkheimiens historiques » reste fidèle jusqu’au bout. On peut donc relativiser l’idée d’une absence de renouvellement de l’équipe éditoriale, puisque 70 % à 75 % des effectifs ne contribuaient pas à L’Année Deuxième série et aux Annales du vivant de Durkheim. Contrairement à ce qui a été dit sur la question, on constate un renouvellement certain, en même temps qu’une certaine continuité d’une publication à l’autre : une majorité des membres de l’équipe de L’Année Deuxième série se retrouve aux Annales (52 %). Mais l’effectif des Annales est composé pour plus de la moitié (56 %) de collaborateurs nouveaux. Il convient donc d’étudier d’un peu plus près ces flux dans le recrutement.
Ceux qui, de L’Année Deuxième série aux Annales sociologiques, restent
17Parmi ces fidèles, un premier cercle est constitué de collaborateurs de la première heure, déjà présents dans l’équipe de L’Année Première série, comme on a vu : Célestin Bouglé, Georges Bourgin, Albert Demangeon, Paul Fauconnet, Maurice Halbwachs, Henri Jeanmaire, Charles Lalo, Emmanuel Lévy, Marcel Mauss, Jean Ray, Pierre Roussel, François Simiand.
18Un deuxième cercle de contributeurs est composé d’auteurs nés dans les années 1880, d’une dizaine d’années plus jeunes que les « durkheimiens historiques », mais qui n’étaient pas contributeurs de L’Année Première série. Ainsi, Henri Lévy-Bruhl [9], fils du sociologue Lucien Lévy-Bruhl, est entré au comité de direction de L’Année sociologique en 1924, probablement grâce aux liens que son père entretenait avec les durkheimiens [10].
19Albert Bayet (1881-1961), quant à lui, est un collègue de la Sorbonne où il a une charge de cours depuis 1932 (Heilbron, 1985). Il succédera à Bouglé en 1940 avec l’appui d’Halbwachs (Pinto, 2004 : 44). Jules Sion (1879-1940) est un géographe, disciple de Paul Vidal de la Blache avec Albert Demangeon, enseignant à Montpellier de 1910 à 1940, ami de Lucien Febvre et membre de l’Institut français de sociologie (IFS) [11]. Il a probablement été recruté par Halbwachs, car il n’écrit que dans la série E, et il fait partie de l’équipe constituée par Febvre pour la publication de L’Encyclopédie française, dans laquelle on trouve aussi Halbwachs (Müller & Weber, 2003).
20Les autres entrent à L’Année sociologique par l’intermédiaire de Mauss. Marcel Granet (1884-1940), qui a repris ses études sur le tard et a été l’élève de Durkheim quand il passait l’agrégation à la Sorbonne (Hirsch, 2016), est recruté probablement par le biais du réseau socialiste, mais surtout de l’EPHE, où il a fait la connaissance de Mauss dont il a aussi suivi les cours (Mestre, 1939) [12]. Marcel Cohen (1884-1974) a suivi les cours de Mauss à l’EPHE, ainsi que Stefan Czarnowski (1879-1937) et René Maunier (1887-1951) (Mahé, 1996). André Piganiol (1883-1968) est un spécialiste d’histoire antique, ami de Mauss, membre du comité de rédaction de la Revue historique.
Ceux qui partent
21Si l’on examine ceux de L’Année Deuxième série qui « disparaissent », on constate qu’outre quelques étudiants de Célestin Bouglé (Marcel Déat, Max Bonnafous qui partent en politique, Daniel Essertier qui décède en 1931, Jean Laubier, François Henry), ceux qui partent sont surtout des « anciens » de L’Année sociologique Première série : Hubert Bourgin, Georges Davy, Edmond Doutté, Louis Gernet, Henri Hubert [13], Antoine Meillet, Jean Marx, Alexandre Moret, Dominique Parodi… soit environ 21 % de l’effectif. On sait que Bourgin, déçu par ses engagements de jeunesse, notamment dans le socialisme, finira par rejoindre les rangs de l’extrême droite et publiera un violent pamphlet (Bourgin, 1938) contre ce que Christophe Prochasson (1993) a nommé le « socialisme normalien ». Le départ d’autres, comme Davy, s’explique sans doute par des obligations liées à leur carrière : il devient recteur de l’académie de Rennes en 1931. Nous n’avons rien trouvé sur Jean Plassard, membre lui aussi de l’IFS. Henri Laoust, vraisemblablement recruté grâce à Mauss, fait aussi une apparition à L’Année Deuxième série et ne reste pas.
Les nouveaux venus aux Annales sociologiques
22Parmi les nouveaux venus, certains sont de la génération du « deuxième cercle » identifié précédemment : Édouard Mestre (1883-1950) est issu du réseau de Mauss à l’EPHE ; le juriste Gabriel Le Bras (1891-1970) est un collègue d’Halbwachs à Strasbourg ainsi que l’économiste Henry Laufenburger (1879-1964) [14] ; Pierre Montet (1885-1966) est un égyptologue, recruté grâce à Halbwachs toujours à Strasbourg, et Lucien Tesnière (1893-1954), linguiste, est lui aussi un temps en poste à Strasbourg. Le profil de René Hubert (1885-1954) en fait sans doute un collaborateur recruté par Bouglé : il a fait des études de philosophie à la Sorbonne. Futur recteur de l’académie de Poitiers, il a écrit en 1926 un manuel de sociologie pour les Écoles normales. Et l’on sait que Bouglé fut un ardent artisan de l’introduction de la sociologie dans ces écoles (Geiger, 1979). Georges Gurvitch (1894-1965) est vraisemblablement embauché comme contributeur grâce à Marcel Mauss, qui le soutient quand il candidate pour un cours temporaire à l’EPHE en 1932, et aussi pour suppléer Maurice Halbwachs à Strasbourg en 1935 (Fournier, 1994 : 647). Pierre Noailles (1881-1943) est un juriste ami d’Henri Lévy-Bruhl. Enfin, Halbwachs fait entrer dans l’équipe Pierre Depoid (1909-1968), polytechnicien, considéré à l’époque comme l’un des meilleurs espoirs de la démographie (Lenoir, 2004 : 207), et aussi sans doute Georges Lutfalla (1904-1964), le spécialiste de l’économie mathématique. Ces deux-là gravitent dans les réseaux de statisticiens et/démographes, que fréquentait Halbwachs, toujours très intéressé par les questions de dénombrement des phénomènes humains (Martin, 1999). Anatole Levitzki (1901-1942) et Michel Leiris (1901-1990) sont des élèves de Mauss (Soustelle est au départ un élève de Bouglé qui bifurquera vers l’ethnologie).
23Si l’on résume, 19 personnes, soit environ 39 % de l’effectif total de l’équipe des Annales sociologiques, sont entrées grâce à ce qu’on pourrait qualifier de recrutement entre pairs (11 arrivent pour la première fois lors du lancement des Annales : soit 23 %). Ils sont recrutés par des réseaux institutionnels qui relèvent de la relation entre collègues dans le cas de Bouglé et Halbwachs, et plus souvent de la relation de maître à élève dans le cas de Mauss.
24Les autres peuvent être associés à la deuxième génération des « étudiants » nés vers 1900. Grâce au travail d’Antoine Savoye (2017 : 134 sq, annexe 2), on sait que 14 d’entre eux (à peu près la moitié de l’effectif total des nouveaux venus) sont, un temps, étudiants de Bouglé (Tableau 6).
25Ce dernier assure donc quasiment à lui tout seul la « relève », en puisant dans un vivier qui gravite entre la Sorbonne où il enseigne, l’École normale supérieure et le CDS (Annexe 2, Tableau A3) qu’il dirige, et où les philosophes sont, sans surprise, surreprésentés.
26Au total, le recrutement de L’Année Deuxième série illustre plutôt la vitalité du réseau de Mauss (Annexe 3, Figures 1 et 2), les nouveaux venus par rapport à l’équipe de la Première série étant nombreux à graviter autour de l’EPHE : plus de la moitié. Le recrutement des Annales sociologiques, certes reflète à la fois la dispersion du réseau sociologique et le fractionnement de l’ancien groupe durkheimien, comme l’a déjà mis en évidence l’historiographie, mais il consacre surtout la vitalité du réseau de Bouglé (presque la moitié des nouveaux venus), dans une moindre mesure de celui d’Halbwachs, et, de manière flagrante, le désengagement de Mauss.
Aperçu du contenu de certaines séries
27Nous avons pris le parti dans ce paragraphe d’évoquer le contenu général de deux séries (A et E), afin de restituer « l’esprit » des Annales, car il permet de prendre la mesure de certains grands changements dans l’orientation méthodologique et théorique de la sociologie durkheimienne durant cette période, et de caractériser le contexte de cette activité intellectuelle. Nous avons laissé de côté la série B, qui est l’objet d’une étude à part entière dans ce numéro, ainsi que la série C, qui mérite qu’on lui consacre une histoire qui reste à faire. Ce qui s’est fait dans la série D est relativement connu grâce aux travaux de Philippe Steiner (1996 ; 1999). Par ailleurs, ce sont les deux séries et rubriques, dirigées respectivement par Halbwachs et Bouglé, qui s’avèrent être, comme on l’a vu, les deux principaux artisans de la résurrection de la revue durkheimienne.
La série A, « Sociologie générale »
28Célestin Bouglé, qui en est le responsable, est très attaché, comme Maurice Halbwachs, au maintien d’un périodique consacré à la sociologie. La série A, qu’il avait déjà en charge à l’époque du lancement de la Première série (et dont il disait goguenard qu’elle était la moins importante), va être utilisée comme tribune pour le CDS qu’il dirige. C’est pourquoi il faut sans doute appréhender les choix éditoriaux effectués dans cette série à la lumière de l’activité du CDS, qui doit obéir au vœu des Américains, pourvoyeurs des fonds [15], de promouvoir des « enquêtes inductives » pour comprendre le monde contemporain. Les intérêts intellectuels de Bouglé et la façon dont il va les traduire entrent aussi en ligne de compte. Si bien que la génération d’étudiants qu’il forme dans l’entre-deux-guerres, même s’ils ont rarement avec lui un lien intellectuel de « disciples », ont des orientations communes que ce contexte explique, et qu’on retrouve dans les choix de Mémoires et des diplômes d’études supérieures des étudiants de Bouglé : la pensée sociale (à travers des auteurs du xixe siècle : Proudhon, Charles Fourier, Frédéric Le Play, etc.) ; les questions théoriques abordées sous un angle philosophique et sociologique ; les problèmes contemporains (syndicalisme, crise économique, coopération émigration, etc.) ; la sociologie historique et plus largement les rapports entre sociologie et histoire (Savoye, 2017). Or, on retrouve la trace de ces intérêts aussi bien dans les rubriques qui structurent la « Sociologie générale » que dans le choix des livres analysés. L’apport cognitif des articles, qui présente une continuité thématique certaine de la Deuxième série aux Annales, est à comprendre dans ce cadre. Enfin, comme nous l’avons déjà suggéré, ces publications sont aussi le reflet des intérêts intellectuels de cette jeune génération, qui les expriment en les traduisant dans ce cadre éditorial durkheimien.
29Les Analyses de la série s’ouvrent en général sur une rubrique « Méthodologie », et une rubrique « Manuels », qu’on peut lier. Dans ses « Notes sur la méthode expérimentale en sociologie » du fascicule 1 des Annales (qui comprend un compte-rendu de l’opus magnum de Simiand [1932]), Bouglé rédige une sorte de manifeste méthodologique (Bouglé, 1934a : 83) :
Puisque le point de vue de la sociologie n’est pas encore admis de tout le monde, et qu’on lui conteste la possibilité de dégager des vérités spécifiques, il est naturel que ceux qui la font avancer réfléchissent sur les procédés qu’ils ont employés… pour en montrer la légitimité et la fécondité.
31C’est aussi par rapport à ce qui est présenté comme une entreprise de défense et de consolidation de la scientificité de la sociologie qu’il faut comprendre l’introduction du fascicule 1 par le Mémoire de Mauss : « Fragment d’un plan de sociologie générale descriptive » [16], et dans le fascicule 2 celui de Bouglé (1936) sur « La méthodologie de François Simiand et la sociologie ». Cette idée est présentée comme articulée à un tournant méthodologique qui pourrait se résumer comme suit : rendre la sociologie plus empirique, plus proche des faits. Les analyses de cette rubrique manifestent un éclectisme certain dans le volume de L’Année et tout au long des quatre livraisons des Annales. Dès le début, ce sont principalement des ouvrages allemands et américains – « deux ou trois cas bien étudiés valent à nos yeux vingt traités de méthodologie » (Bouglé, 1934a : 83) – qui sont analysés. Dans le fascicule 2, sont discutés le manuel méthodologique de Florian Znaniecki (Marjolin), la façon dont William F. Ogburn conçoit le problème de la mesure (encore Marjolin), ou encore la « Sociologie expérimentale de Paul Descamps » recensée par Aron : « La méthode monographique élargie, assouplie, conduit à l’expérimentation et à la synthèse », écrit-il. Il s’agit de poser une hypothèse, de généraliser les relations qu’elle met au jour, puis de l’éprouver en recueillant des témoignages (Aron, 1936 : 90). Dans le fascicule 4 est discuté aussi l’apport de l’école roumaine de sociologie (Mircea Vulcanesco). En somme, dans le même esprit que les articles programmatiques de Mauss sur la question, il s’agit de rendre la sociologie plus opérationnelle dans l’analyse et la collecte des faits, de l’élargir vers la sociographie, sans rien sacrifier de la rigueur attachée à l’analyse expérimentale.
32Dans L’Année, Bouglé analyse des traités d’Alfred Vierkandt, Franz Oppenheimer, mais aussi Leonard Hobhouse et Paul Bureau [17], tandis que Max Bonnafous se penche sur les travaux de Leopold Von Wiese et Werner Sombart. L’intérêt de ces jeunes philosophes pour la sociologie allemande est typique des années 1920, quand apparaît une innovation majeure : l’importation d’auteurs allemands (Edmund Husserl) – dont la pensée permet de rompre avec la culture dominante idéaliste de la période précédente (Pinto, 2009). Bouglé, « patron » souple, mais non dénué d’autorité, ne détourne pas ses étudiants de ces autres traditions de pensée et ne censure pas les critiques du rationalisme durkheimien qu’elles formulent (Marcel, 2001).
33Les autres rubriques qui nourrissent les Analyses de « Sociologie générale » sont à comprendre dans le même esprit : préciser les rapports que la sociologie entretient avec les autres disciplines « dont elle se sert » (Bouglé, 1934a : 83), à savoir l’histoire et la psychologie.
34La première d’entre elles, « sociologie et psychologie » [18], est la plus signifiante, car elle s’inscrit dans un contexte de tentative de redéfinition des frontières entre les deux disciplines au cours de débats qui vont mobiliser sociologues et psychologues, et qui portent sur des objets précis : l’expression des émotions, investie par Marcel Mauss et Georges Dumas ; la question de la mémoire, objet d’un dialogue entre Maurice Halbwachs et Charles Blondel (Mucchielli, 1994 ; Hirsch, 2016). Tous ces débats sont résumés par Déat dans le premier volume de L’Année (Déat, 1925). Cet intérêt pour des objets investis aussi par la psychologie s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler une entreprise de « psychologisation » de la sociologie (Pinto, 2009). Un des principaux prolongements de la sociologie durkheimienne dans l’entre-deux-guerres passe en effet par un travail de transformation de la théorie des représentations collectives et une volonté de redéfinir les découpages des faits à observer, pour rendre la sociologie plus empirique, ou « concrète » selon les mots de Mauss (1934). Au point du reste que le même Mauss (1924) propose un programme de collaboration avec la psychologie, dans lequel il essaie de lister des concepts communs susceptibles de servir aux deux disciplines et qu’avec Halbwachs, ils finiront par proposer de délaisser le vocable « sociologie » pour celui de « psychologie collective » (Marcel, 2004). On pourrait résumer cette volonté de changement en disant qu’il s’agit de mieux rendre compte de la façon dont l’individu vit son appartenance aux groupes sociaux, somme toute, de donner un aspect plus phénoménologique à la réflexion sur le social. Ce « parti pris » justifie sans doute aussi la présence de la psychologie sociale à la mode américaine avec Stoetzel, dont le but est selon lui d’étudier l’individu dans la réalité sociale concrète et dans son histoire individuelle (Stoetzel, 1941 : 4). Les réflexions d’Essertier sur les rapports entre sociologie et psychologie sont aussi un moment fort de ces débats dans la revue. Auteur d’une vaste bibliographie critique sur la question (Essertier, 1927), que Bouglé lui avait demandé de poursuivre, il se montre très virulent à l’égard de la sociologie durkheimienne, incapable selon lui d’atteindre un niveau d’analyse en profondeur, qui exige de considérer positivement l’homme comme un « tout », et donc de modifier les concepts opératoires de la sociologie afin d’accorder plus de place à l’introspection individuelle (Essertier, 1934). Dans le programme de coopération avec la psychologie pour lequel il plaide, il importe de rétablir « point par point la part du collectif dans la vie mentale » selon la formule de Bouglé (1934b : 143), car si :
« La notion de conscience collective a pour principal rôle de nous avertir que les représentations qui servent de centre aux groupements humains sont synthèses et non pas sommes », elle ne résout pas pour autant le problème de l’interpénétration du moi individuel et du moi collectif (ibid., p. 145).
36En bref, cette entreprise de « psychologisation » de la sociologie entrait en phase avec les préoccupations des recrues de Bouglé qui manifestaient un intérêt pour la philosophie (Stoetzel, Aron, Essertier, Bonnafous, Déat…) et qui, pour certains d’entre eux, feront la sociologie d’après-guerre [19]).
37La rubrique « Histoire et sociologie » s'inscrit dans la perspective de construire une histoire « universaliste » des civilisations, que la guerre a rendue nécessaire. Rien de bien neuf néanmoins dans ce programme de collaboration, qui reprend la position affirmée par les sociologues durkheimiens depuis les débats du début du siècle et annexe le matériau historique à l’explication sociologique, mais qui est remis au goût du jour toujours dans l’optique de rendre la sociologie plus descriptive. La notice « Histoire et sociologie » du fascicule 1, rédigée par Bouglé, prend en effet acte du fait que les historiens (de l’école des Annales autour de Marc Bloch et Lucien Febvre, et de la collection « L’Évolution de l’humanité » de Henri Berr, en particulier) ont souligné l’importance de la méthode comparative pour mieux rendre compte des transformations et de l’évolution des institutions. Le bénéfice à en tirer est une meilleure discrimination entre les effets et les causes. L’histoire aurait ainsi été amenée à considérer les interférences du fait historique avec les faits économiques, de psychologie collective, politiques... avec les faits généraux de civilisation. Si bien que les conflits, qui portaient sur trois points essentiels (la place des individus dans l’histoire, le rôle de l’accident et de la contingence pure dans la série des causes, la généralisation sociologique et son incapacité réelle ou supposée à souligner le caractère original de chaque époque historique) sont désormais considérés comme secondaires, c’est-à-dire plus de forme que de fond. Les évolutions récentes, consécutives notamment à la formation de l’école des Annales, sont ainsi interprétées comme un renforcement du point de vue sociologique. Il convient dès lors de mettre en place une nouvelle division du travail dans laquelle, en face d’un cas particulier, le sociologue établit ce qui est explicable par les transformations des formes sociales et des croyances collectives, tandis que l’historien s’attache au récit de ce qui est attribuable aux effets d’une coïncidence ou à l’action d’un tempérament, la névrose et l’opiniâtreté de Philippe-Auguste et leur rôle dans la formation de la religion de la monarchie par exemple. Cette place accordée à l’histoire est présentée comme entrant en phase avec la réflexion méthodologique sur la méthode expérimentale : l’historien peut produire des monographies capables de poser des problèmes généraux à partir d’un cas particulier (comme le prouve l’ouvrage de Marc Bloch, Les Rois thaumaturges) [20]. Tout en accordant une part aux innovations et aux initiatives, cela n’empêche pas de relever dans la vie des sociétés un certain nombre de régularités : à antécédent donné correspond un effet particulier. Mais il n’est pas question pour autant d’emprunter ses concepts à la science historique, ou de construire avec son aide de nouvelles notions.
38La rubrique sur « L’histoire des doctrines » accorde une large place aux socialismes allemand et français. C’est là sans doute le reflet d’un intérêt de Bouglé pour les penseurs socialistes et socialistes utopiques dont il ne s’est jamais départi en publiant sur ce sujet sa vie durant, et en incitant ses étudiants à leur consacrer des recherches (Savoye, 2017).
39Enfin, le fascicule 4 de 1941 introduit une rubrique intitulée « Le problème des classes », « puisque le concept relève de la sociologie générale et que la réalité des classes intéresse la société dans son ensemble » (Mougin, 1941 : 62). Restituant une partie des résultats de « L’enquête sur les classes moyennes » effectuée au CDS par le même Henri Mougin, cette rubrique présente, si l’on peut dire, la recherche en train de se faire. Financée par la fondation Rockefeller qui le subventionne, cette enquête sur les classes moyennes est lancée en 1938 par le CDS, afin de réaliser une synthèse entre les données quantitatives, accumulées selon le modèle américain, et une réflexion théorique sur la notion (Tournès, 2008). Les premiers résultats sont publiés dans le volume Inventaires III (Aron et al., 1939) qui compare des données accumulées par des observateurs partis à l’étranger, grâce à Bouglé, et dont une bonne partie sont des pensionnaires du CDS : Raymond Polin (Belgique), Robert Marjolin (États-Unis), Dragoljub Yovanovitch (Yougoslavie)…
La série E, « Morphologie sociale, Langage, Technologie, Esthétique »
40Cette série est depuis le début quelque peu hétéroclite, regroupant un reliquat de faits difficiles à classer. La position d’Halbwachs à sa direction s’explique par l’importance que ce dernier accorde aux « faits morphologiques », ou encore aux « faits de population » (Lenoir, 2004). Halbwachs précise que le terme de « morphologie sociale » est plus exact que celui de démographie, car « il implique science (logie) et non une simple description (graphie) ; surtout il marque bien que l’accent est à mettre sur la forme matérielle et spatiale de la société » (Halbwachs & Sauvy, 1936 : 7–76.3). Son implication dans les études de « morphologie sociale » est très forte dans l’entre-deux-guerres. C’est à lui, par exemple, que Paul Rivet et Lucien Febvre feront appel pour rédiger (en collaboration avec Alfred Sauvy) la partie du tome VII de L’Encyclopédie française, consacrée à « L’espèce humaine » et portant sur « le point de vue du nombre » (Halbwachs & Sauvy, 1936). Le Mémoire publié dans le fascicule 1 sur « La nuptialité en France, pendant et depuis la guerre », traite d’une question qu’il développe plus complètement dans ce volume de 1936. De même, il rend compte de son propre travail sur la détermination du sexe à la naissance dans ce fascicule, qui préfigure le long article qu’il consacre à cette question dans L’Encyclopédie. L’importance accordée aux faits de population se mesure à la lumière de la conception qu’Halbwachs se fait de la vie en société et qui étaie une théorie de la population. Pour exister et se sentir exister (se fabriquer une conscience collective), un groupe a besoin, de même qu’un individu, de se faire une idée de sa forme dans l’espace, de son corps (Halbwachs, 1938). Par « forme », il faut entendre la répartition et la division, la concentration et la dispersion de sa population dans l’espace. Cette forme structure la façon dont les individus entrent en contact les uns avec les autres, et, partant, la force aussi bien que la qualité (en termes de pouvoir cognitif) des représentations collectives qui en résultent. Les contacts sont éphémères dans des lieux à forte concentration de population, dans les villes par exemple, et l’on y fait l’expérience répétée de l’altérité. En conséquence, les représentations collectives s’imposent moins fortement, car elles perdent en force et en cohérence. À la campagne au contraire, les contacts sont plus intenses, se font avec moins de monde, et renforcent un entre-soi entre individus semblables, qui partagent des représentations collectives plus simples et qui s’imposent plus fortement à eux (Halbwachs, 1930). Si bien que pour une société, une des conditions fondamentales de sa capacité à exister et à durer, est la façon dont elle s’insère dans la matière, ce à quoi elle apporte un soin particulier (Halbwachs, 1920). Dans les sociétés modernes, ce sont les ouvriers, asservis à la matière parce qu’ils la façonnent, qui sont chargés de réaliser cette « insertion » dans le monde matériel, ce qui fait d’eux une classe sacrifiée, écartée des lieux où des contacts plus purement humains fabriquent le social (Halbwachs, 1955). En ce sens, les faits de population, le rapport des sexes à la naissance, la nuptialité, ou la baisse du nombre moyen d’enfants par famille, etc., ne sont pas seulement des faits qui relèvent du biologique et du physique. Ce sont des faits sociaux qui montrent comment les sociétés organisent la lutte pour durer dans le temps et l’espace. Par exemple, si les familles ont moins d’enfants, c’est parce que dans un monde social urbain, où la vie est plus compliquée, on attache plus d’importance à l’enfant en tant qu’individu unique et on lui consacre plus d’efforts pour le préparer à cette vie future plus dure. En somme, la famille nucléaire est l’institution qui permet que la société s’adapte à la vie urbaine, qui est plus compliquée. Le dénombrement des phénomènes humains est dans cette conception un moyen de montrer comment la société s’efforce de durer dans le temps et l’espace en exerçant une action sur son « corps » : le groupe a une influence sur les démarches secrètes de ses membres et contribue à modeler leurs motifs et leurs aspirations.
41Ainsi, dans le Mémoire sur « La nuptialité en France » (Halbwachs, 1935), Halbwachs constate que ce qu’il appelle le « mouvement des mariages », qu’il analyse pour la période 1913-1931, a été modifié par la guerre. Les « habitudes sociales », et les « motifs et mobiles de toutes sortes qui poussent les hommes et les femmes à se marier » (ibid., p. 37) ont été troublés comme jamais. Ainsi, les mariages conclus pendant la guerre présentent des combinaisons d’âges nouvelles, qu’on trouvait excessives avant la guerre et qui constituaient de ce fait une très faible proportion des mariages : les unions dans lesquelles l’épouse est plus âgée que l’époux, et celles dans lesquelles l’époux est beaucoup plus âgé que l’épouse. Après la guerre, les unions avec époux bien plus jeunes restent en proportion plus élevées qu’avant la guerre. « Dès qu’ils ne se sont plus heurtés à leurs aînés, parce que le nombre de ceux-ci a été réduit, la tendance des jeunes à se marier, comprimée jusqu’alors, a pu se manifester », et perdure (ibid., p. 41), et cela jusque dans les années 1930. Pour comprendre l’arrivée de cette tendance qui s’avère durable, et n’a aucune raison d’être purement démographique (pourquoi ne retrouve-t-on pas « l’équilibre d’antan », s’interroge Halbwachs), il faut comprendre la nuptialité comme un jeu de compétitions entre hommes et entre femmes, inégalement âgés. Jeunes et moins jeunes entrent en lutte sur le marché matrimonial. Car l’union conjugale est l’acte de créer un ménage et de fonder un établissement domestique destiné à durer. Aujourd’hui on dirait que c’est un statut, avec une dimension sociale qui le relie au reste de la société. Cela explique que le nombre des mariages varie en fonction des conditions économiques. Or l’état économique résulte de l’organisation que se donne la société et des circonstances où elle se trouve. Ainsi, ce n’est pas un changement mécanique dans la composition de la population masculine due aux pertes de la guerre qui explique ces changements. C’est parce que, du fait de la guerre, la vie économique s’est ralentie, et a offert aux jeunes des possibilités accrues dans la mesure où la concurrence des plus âgés a cessé de s’exercer. Les conditions ont été réunies pour qu’ils ne soient plus obligés de patienter aussi longtemps que d’habitude pour prendre la place de leurs aînés. Les conditions générales de la vie en société se sont donc transformées. Elles ont aussi modifié en conséquence les représentations collectives liées à l’âge : la réduction très forte, du fait de la guerre, de la population masculine comprise entre 23 et 38 ans, a modifié des perceptions telles que le sentiment de responsabilité, qui a mûri plus vite pour qu’on laisse des hommes plus jeunes qu’autrefois assumer les charges du mariage. Autrement dit, le milieu social dans son ensemble a changé parce que les rapports entre ses parties (les âges) s’en sont trouvés modifiés.
C’est le propre […] d’un organisme social, que de consolider les changements qui ont pris forme vraiment collective. Ainsi, au-dessus des efforts et tendances partielles, des démarches matrimoniales individuelles, il y a comme une marche nuptiale collective, dont le sens et le rythme sont réglés par l’évolution de la société » (ibid., p. 46).
43Le mouvement de la nuptialité est une manifestation, parmi d’autres, d’une sorte d’instinct collectif de survie, démarche que le groupe suit pour durer dans le temps et l’espace, en organisant la lutte pour la vie. Ici, cette lutte a lieu entre les plus âgés, enclins, grâce à leur expérience, à écarter leurs cadets pour les empêcher de progresser dans la carrière et les remplacer, et les jeunes, remplis de fougue et d’énergie, prompts à vouloir éliminer leurs aînés pour prendre immédiatement leurs places (Halbwachs, 1938).
44D’où l’intérêt qu’Halbwachs ne cesse de manifester pour les méthodes statistiques, et, par exemple, sa collaboration, à Strasbourg, avec les mathématiciens Jean Cerf et René Maurice Fréchet, avec lesquels il fait des cours de statistique. Avec le dernier, il publie même un livre pour lequel il reçoit le prix de l’Académie des Sciences (Halbwachs & Fréchet, 1924). Il est membre de la Société de statistique de Paris et fait autorité en la matière puisque, par exemple, en février 1936, il se rend à la convocation de la commission mixte de l’Alimentation de la SDN [21]. En 1938, il siège au conseil d’administration de l’Institut de statistique de la faculté des Lettres [22]. En 1935, il devient membre de l’Institut international de statistique. La même année, il siège encore à Genève, au Bureau international du travail, cette fois-ci comme délégué à la Conférence des statisticiens du travail…
45Chez Halbwachs, l’intérêt pour la morphologie sociale se trouve donc au croisement de la statistique morale (dont il analyse les productions aussi dans la série C) [23], des faits de population, et de la sociologie de la connaissance (Marcel, 2007). Cela explique pourquoi il contribue à plusieurs séries.
46Ainsi son travail éditorial dans la série consiste-t-il à dresser un inventaire critique d’ouvrages de démographie, de géographie et de statistique morale signés par des auteurs aussi divers que, en démographie : Adolphe Landry (fascicule 1 des Annales), René Gonnard (dans L’Année) ; en statistique : Lucien March, Michel Huber (fascicule 1 des Annales). Il consacre de même des notices méthodologiques à l’étude la population, comme par exemple sa « note sur l’application de certains procédés analytiques à l’étude la population » (fascicule 2), ou celle qu’il consacre aux « diverses espèces de déplacements de population » (fascicule 1). Halbwachs publie nombre d’articles méthodologiques sur les procédés de comptage, dans le prolongement de ses intérêts sur la question.
47Concernant les autres contributeurs, il semble qu’une division du travail nette soit mise en place dans une équipe restreinte. Charles Lalo signe absolument toutes les analyses de la rubrique « Esthétique », qui rend compte d’ouvrages qu’on classerait aujourd’hui en sociologie de l’art et des artistes. Cette situation de monopole dans l’équipe durkheimienne est la sienne depuis l’époque de Durkheim, semble-t-il. Lucien Tesnière et Pierre Montet alimentent la rubrique relative au langage et à l’écriture, tandis que Depoid et Halbwachs s’occupent de tout ce qui concerne « La Population ». Sion et Demangeon s’occupent des « Bases géographiques de la ville ». Dans les fascicules 1 et 2 seulement apparaît une rubrique sur les « Déplacements de population » comprenant des analyses d’Halbwachs et Sion.
48Au final, ses intérêts intellectuels variés, sa prolifique activité de recherche durant la période, ainsi que son implication dans l’entreprise éditoriale collective font d’Halbwachs (surtout après la mort de Simiand) un personnage pivot dans l’entreprise durkheimienne durant l’entre-deux-guerres. En ce sens, la série E illustre bien un pan de la recherche sociologique et de certaines innovations conceptuelles, dues essentiellement à Halbwachs.
Conclusion
49Après 1918, l’entreprise éditoriale collective durkheimienne continue de se donner comme objectif de dresser un panorama le plus complet possible des recherches effectuées en sciences humaines, de « rapprocher les diverses disciplines qui étudient tel ou tel de ses aspects, de rendre leurs méthodes homogènes, de faire converger et de coordonner leurs résultats » (Annales sociologiques, 1934 : VII). Dans ce dispositif, les deux hommes clés sont incontestablement Halbwachs et Bouglé, respectivement responsables des séries E et A. Ceux qui publient le plus vont aussi s’efforcer de préserver un minimum d’unité dans le groupe [24], et d’assurer une certaine continuité de la tradition durkheimienne. Néanmoins, cet objectif s’avère difficile à tenir, car le contexte n’est plus le même. Nombre de collaborateurs ont été tués à la guerre. Les durkheimiens survivants ont progressé dans leur carrière et ont des objectifs divers. Si bien que l’histoire de la relance de L’Année entérine la marche en ordre dispersé du groupe durkheimien : après l’échec de L’Année Deuxième série et la défection de Mauss, les différentes séries sont publiées de façon autonome dans les fascicules des Annales sociologiques. Cette dispersion se reflète aussi dans les modes de recrutement des collaborateurs. Tandis que Mauss et Bouglé vont les chercher parmi les élèves qu’ils croisent dans les institutions où ils enseignent (EPHE pour Mauss, Sorbonne et ENS pour Bouglé), Halbwachs les trouve parmi ses pairs plus jeunes, essentiellement à l’université de Strasbourg [25] où il enseigne de 1919 à 1935. Ces appartenances institutionnelles aident à comprendre le contenu des rubriques et séries E et A.
50La première est le reflet de certains intérêts intellectuels de son directeur, c’est-à-dire la recherche démographique en train de se faire, au confluent de la sociologie, de la démographie et de l’application statistique au dénombrement des phénomènes humains. Les analyses proposées dans la rubrique peuvent être comprises comme un travail d’exploration à l’usage de la théorie sociologique de la population qu’il élabore tout au long de la période (et dont on a un aperçu dans ses Mémoires originaux).
51Le contenu de la rubrique « Sociologie générale » (série A ensuite), reflète les intérêts intellectuels de Bouglé, d’une génération d’étudiants plus jeunes (nés dans les années 1900, qu’il a su mettre au travail et qui ont intégré dans les cadres de pensée durkheimiens des réflexions neuves dans « l’air du temps »), mais aussi ceux des Américains qui voulaient voir se multiplier des recherches empiriques construites selon leurs standards et centrées sur le monde actuel contemporain. En particulier se dégage une réflexion sur les méthodes de la sociologie et sur les frontières entre disciplines (principalement avec la psychologie), qui s’inscrit dans les débats intellectuels du moment. Ce travail peut être interprété comme une entreprise de « psychologisation » de la sociologie, dont les durkheimiens sont aussi partie prenante (Marcel, 2001). Cette entreprise semble se faire en deux temps. D’abord en mobilisant des « phénoménologues allemands » (avec, par exemple, les influences de Déat et Bonnafous) dans L’Année sociologique Deuxième série. Ensuite en se référant à la psychologie sociale américaine dans les Annales sociologiques [26]. Au prisme du contenu de la série A, on constate aussi que les contributeurs s’efforcent de prolonger la théorie des représentations collectives afin de la rendre plus « empirique » (soucieuse de récolter systématiquement des « faits »), plus « concrète » (selon les mots de Mauss), et plus à même de rendre compte du vécu des individus. D’où les rubriques réservées aux discussions sur le bienfait des méthodes dites « de terrain » selon la terminologie actuelle. Or, ce souci du « concret » a aussi été impulsé par la nécessité de satisfaire aux exigences de la fondation Rockefeller.
La production éditoriale de L’Année sociologique Deuxième série et des Annales sociologiques
Tableau A1. – Contributions à L’Année sociologique Deuxième série selon l’auteur (par ordre alphabétique) et la rubrique
Section de publication | Total | |||||||
Auteurs | Sociologie générale | Sociologie religieuse | Sociologie morale et juridique | Sociologie criminelle et statistique morale | Sociologie économique | Morphologie sociale | Divers.Le langage. L’écriture, Technologie, Esthétique | |
Bayet A. | 2 | 2 | ||||||
Bonnafous M. | 5 | 5 | ||||||
Bouglé C. | 15 | 15 | ||||||
Bourgin G. | 3 | 3 | ||||||
Bourgin H. | 2 | 2 | ||||||
Cohen M. | 2 | 2 | ||||||
Davy G. | 10 | 10 | ||||||
Déat M. | 2 | 2 | ||||||
De Felice E. | 1 | 1 | ||||||
Doutté E. | 5 | 1 | 1 | 7 | ||||
Essertier D. | 2 | 2 |
Tableau A1. – Contributions à L’Année sociologique Deuxième série selon l’auteur (par ordre alphabétique) et la rubrique
(Tableau A1. - Suite)
Fauconnet P. | 4 | 4 | ||||||
Gernet L. | 2 | 1 | 7 | 10 | ||||
Halbwachs M. | 2 | 10 | 5 | 17 | ||||
Henry Fr. et Mlle Henry | 1 | 1 | ||||||
Henry M. | 1 | 1 | ||||||
Hubert H. | 3 | 5 | 1 | 3 | 12 | |||
Lalo C. | 1 | 1 | ||||||
Laubier R. | 2 | 1 | 3 | |||||
Lévy E. | 1 | 1 | ||||||
Laoust A. | 1 | 1 | ||||||
Lévy-Bruhl L. | 1 | 1 | ||||||
Lévy-Bruhl H. | 10 | 10 | ||||||
Marx J. | 1 | 1 | ||||||
Maunier R. | 6 | 6 | ||||||
Mauss M. | 17 | 34 | 12 | 4 | 67 | |||
Meillet A. | 1 | 1 | ||||||
Moret A. | 1 | 1 | 1 | 3 | ||||
Parodi D. | 1 | 1 | 2 | |||||
Piganiol A. | 1 | 1 | ||||||
Radcliffe-Brown E. | 1 | 1 | ||||||
Ray J. | 10 | 2 | 12 | |||||
Roussel P. | 1 | 1 | ||||||
Simiand F. | 12 | 12 | ||||||
Total | 56 | 50 | 61 | 2 | 33 | 5 | 13 | 220 |
(Tableau A1. - Suite)
Notes : Les sections recoupent quasiment les séries telles qu’elles vont se différencier dans les Annales sociologiques. Les italiques identifient les contributeurs ayant le plus publié.Tableau A2. – Contributions aux Annales sociologiques selon l’auteur (par ordre alphabétique), la série et la catégorie
Série A | Série B | Série C | Série D | Série E | Total | |||||||
Auteurs | M. | A. | M. | A. | M. | A. | M. | A. | M. | A. | M. | A. |
Aron R. | 16 | 16 | ||||||||||
Bayet A. | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||||||
Bouglé C. | 1 | 40 | 8 | 1 | 48 | |||||||
Bourgin G. | 12 | 14 | 26 | |||||||||
Cohen M. | 1 | 1 | 2 | |||||||||
Czarnowski S. | 1 | 1 | 2 | |||||||||
Demangeon A. | 1 | 1 | ||||||||||
Depoid P. | 8 | 8 | ||||||||||
Essertier D. | 1 | 1 |
Tableau A2. – Contributions aux Annales sociologiques selon l’auteur (par ordre alphabétique), la série et la catégorie
Note : M. : Mémoires originaux. A. : Analyses.(Tableau A2. - Suite)
Fauconnet P. | 1 | 1 | ||||||||||
Feldmann V. | 3 | 3 | ||||||||||
Granet M. | 1 | 1 | 2 | |||||||||
Grazberg-Minkowska A. | 1 | 1 | ||||||||||
Gurvitch G. | 1 | 1 | 2 | |||||||||
Halbwachs M. | 1 | 8 | 1 | 37 | 3 | 11 | 4 | 61 | ||||
Hubert R. | 6 | 6 | ||||||||||
Inoué K. | 1 | 1 | ||||||||||
Jeanmaire H. | 2 | 2 | ||||||||||
Kaan A. | 13 | 13 | ||||||||||
Klée R. | 6 | 6 | ||||||||||
Lalo C. | 29 | 29 | ||||||||||
Laufenberger H. | 1 | 1 | 2 | |||||||||
Le Bras G. | 1 | 1 | 2 | |||||||||
Leiris M. | 1 | 1 | ||||||||||
Levitzki A. | 1 | 1 | ||||||||||
Lévy E. | 1 | 3 | 1 | 3 | ||||||||
Lévy-Bruhl H. | 2 | 5 | 1 | 2 | 6 | |||||||
Lutfalla G. | 1 | 1 | 1 | 2 | 1 | |||||||
Marjolin R. | 14 | 1 | 1 | 1 | 15 | |||||||
Maunier R. | 1 | 4 | 2 | 1 | 6 | |||||||
Mauss M. | 1 | 1 | 2 | 4 | ||||||||
Mestre E. | 1 | 1 | 2 | |||||||||
Montagne R. | 1 | 1 | 2 | |||||||||
Montet P. | 1 | 1 | ||||||||||
Mougin H. | 4 | 4 | ||||||||||
Noailles P. | 1 | 1 | 2 | |||||||||
Philip A. | 1 | 1 | 2 | |||||||||
Piganiol A. | 1 | 1 | ||||||||||
Polin R. | 7 | 7 | ||||||||||
Ray J. | 1 | 19 | 1 | 19 | ||||||||
Roussel P. | 4 | 4 | ||||||||||
Schwob Ph. | 2 | 2 | ||||||||||
Simiand Fr. | 2 | 30 | 2 | 30 | ||||||||
Sion J. | 6 | 6 | ||||||||||
Soustelle J. | 12 | 12 | ||||||||||
Stoetzel J. | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||||||
Tesnière L. | 6 | 6 | ||||||||||
Vignaux P. | 4 | 4 | ||||||||||
Vulcanesco M. | 1 | 1 | 2 | |||||||||
Total | 6 | 102 | 2 | 21 | 7 | 72 | 7 | 95 | 6 | 72 | 28 | 362 |
(Tableau A2. - Suite)
Tableau A3. – Formation intellectuelle et rôle au CDS des étudiants de Bouglé collaborant aux Annales sociologiques
Nom | Formation | Fonction au CDS |
Aron Raymond (1905-1983) | Philosophie (ENS) | Secrétaire-archiviste* (1934-1939) |
Feldman Valentin (1909-1942) | Philosophie | |
Grazberg-Minkowska Anna (1906-1942) | Histoire | |
Kaan André (1906-1971) | Philosophie (ENS) | Assistant (1938-1940) |
Klée Raymond (1907-1944) | Philosophie | |
Marjolin Robert (1911-1986) | Philosophie | |
Montagne Robert (1893-1954) | Ethnologie | |
Mougin Henri (1912-1946) | Philosophie (ENS) | |
Philip André (1902-1970) | Philosophie | |
Polin Raymond (1910-2001) | Philosophie (ENS) | Assistant (1935-1938) |
Schwob Philippe | (ENS) | Secrétaire-archiviste (1932-1934) |
Soustelle** Jacques (1912-1990) | Philosophie (ENS) | |
Stoetzel Jean (1910-1987) | Philosophie (ENS) | |
Vulcanesco Mircea (1904-1952) |
Tableau A3. – Formation intellectuelle et rôle au CDS des étudiants de Bouglé collaborant aux Annales sociologiques
Note : * Il gère le fonds documentaire, tandis que les assistants servent d’agrégés-répétiteurs, effectuant un rôle de monitorat auprès des plus jeunes, tout en préparant leur doctorat. ** Soustelle est un « transfuge », orienté par Bouglé vers l’anthropologie et Mauss (Savoye, 2017).Figure A1. – L’Année sociologique : recrutements et réseaux
Figure A1. – L’Année sociologique : recrutements et réseaux
Figure A2. – Les Annales sociologiques : recrutement et réseaux
Figure A2. – Les Annales sociologiques : recrutement et réseaux
Références bibliographiques
- Annales sociologiques, 1934, Série A, « Sociologie générale », Fasc. 1.
- Aron R., 1936, « Paul Descamps, La Sociologie expérimentale », Annales sociologiques, Série A, Fasc. 2, p. 90-92.
- —, Halbwachs M., Vermeil E., Franck L.-R., Vaucher P., Marjolin R., Polin R., Gravier R., Yovanovitch D., Feldman V., Mougin H., 1939, Inventaires III. Classes moyennes (Avant-propos de C. Bouglé), Paris, Alcan.
- Besnard Ph., 1979, « La formation de l’équipe de l’Année sociologique », Revue française de sociologie, vol. 20, no 1 : « Les durkheimiens. Études et documents réunis par Philippe Besnard », dossier coordonné par Ph. Besnard, p. 7-31. DOI : 10.2307/3321262.
- Bouglé C., 1925, « Paul Bureau, La Science des mœurs. Introduction à la méthode expérimentale », L’Année sociologique, Deuxième série, vol. 1 (1923-1924), p. 200-204.
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- —, 1934b, « Remarques générales II. Depuis 1927 », Annales sociologiques, Série A, Fasc. 1, « Sociologie et psychologie », p. 140-148.
- —, 1936, « La méthodologie de François Simiand et la sociologie », Annales sociologiques, Série A, Fasc. 2, p. 5-28.
- Bourgin H., 1938, De Jaurès à Blum : l’École normale et la politique, Paris, Fayard.
- Clark T. N., 1973, Prophets and Patrons. The French University and the Emergence of the Social Sciences, Cambridge, Harvard University Press.
- Craig J. E., 1979, « Maurice Halbwachs à Strasbourg », Revue française de sociologie, vol. 20, no 1 : « Les durkheimiens. Études et documents réunis par Philippe Besnard », dossier coordonné par Ph. Besnard, p. 273-292.
- Déat M., 1925, « Question de Méthode », L’Année sociologique, Deuxième série, vol. 1 (1923-1924), p. 232-236.
- Essertier D., 1927, Psychologie et sociologie. Essai de bibliographie critique, Paris, Alcan.
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- Fournier M., 1994, Marcel Mauss, Paris, Fayard.
- Geiger R., 1979, « La sociologie dans les écoles primaires, histoire d’une controverse », Revue française de sociologie, vol. 20, no 1 : « Les durkheimiens. Études et documents réunis par Philippe Besnard », dossier coordonné par Ph. Besnard, p. 257-267.
- Halbwachs M., 1920, « Matière et société », Revue philosophique de la France et de l’étranger, t. 90, p. 82-122.
- —, 1930, Les Causes du suicide (Avant-propos de M. Mauss), Paris, Alcan.
- —, 1935, « La nuptialité en France pendant et depuis la guerre », Annales sociologiques, Série E, Fasc. 1, p. 1-46.
- —, 1938, Morphologie sociale, Paris, Armand Colin.
- —, 1955, Esquisse d’une psychologie des classes sociales, Paris, Marcel Rivière.
- —, Fréchet M., 1924, Le Calcul des probabilités à la portée de tous, Paris, Dunod.
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- Heilbron J., 1985, « Les métamorphoses du durkheimisme, 1920-1940 », Revue française de sociologie, vol. 26, no 2 : « La sociologie française dans l’entre-deux-guerres. Études et documents réunis par Philippe Besnard », dossier coordonné par Ph. Besnard, p. 203-237.
- Hirsch T., 2016, Le Temps des sociétés : d’Émile Durkheim à Marc Bloch, Paris, Éditions de l’EHESS.
- Lenoir R., 2004, « Halbwachs : démographie ou morphologie sociale ? », Revue européenne des sciences sociales, t. XLII, no 129 : « La sociologie durkheimienne : tradition et actualité », p. 199-218
- Mahé A., 1996, « Un disciple méconnu de Marcel Mauss : René Maunier », Revue européenne des sciences sociales, t. XXXIV, no 105, p. 237-264.
- Marcel J.-C., 1998, « Jean Stoetzel élève de Maurice Halbwachs : les origines françaises de la théorie des opinions », L’Année sociologique, Troisième série, vol. 48, no 2 : « Études d’histoire de la pensée sociologique », p. 319-351
- —, 2001, Le Durkheimisme dans l’entre-deux-guerres, Paris, PUF.
- —, 2004, « Mauss et Halbwachs : vers la fondation d’une psychologie collective », Sociologie et sociétés, vol. XXXVI, no 2 : « Présences de Marcel Mauss », p. 73-90.
- —, 2007, « Mémoire, espace et connaissance chez Maurice Halbwachs », in Jaisson M., Baudelot C., (dir.), Maurice Halbwachs, sociologue retrouvé, Paris, Presses de l’ENS, p. 103-126.
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- Mauss M., 1924, « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », Journal de psychologie normale et pathologique, vol. 21, p. 892-923.
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- Mergy J., 2004, « Présentation », L’Année sociologique, Troisième série, vol. 54, no 1 : « Mauss et les durkheimiens. Textes inédits », p. 10-28.
- Merllié D., 2017, « Correspondance d’Émile Durkheim avec Lucien Lévy-Bruhl », Revue européenne des sciences sociales, vol. 55, no 2 : « Émile Durkheim 1917-2017 », p. 105-168.
- Mestre É., 1939, « Marcel Granet (1884-1940) », Annuaires de l’École pratique des hautes études, no 49, p. 39-43.
- Meuvret J., 1937, « L’histoire » in Aron R. et al., Les Sciences sociales en France. Enseignement et recherche, Paris, Hartmann.
- Mougin H., 1941, « Note sur l’étude statistique de la consommation et le problème des classes », Annales sociologiques, Série A, Fasc. 4, p. 62-85.
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- Müller B., Weber F., 2003, « Réseaux de correspondants et missions folkloriques. Le travail d’enquête en France, vers 1930 », Gradhiva, p. 33-55.
- Pinto L., 2004, « Le débat sur les sources de la morale et de la religion », Actes de la recherche en sciences sociales, no 153, p. 41-47.
- —, 2009, La Théorie souveraine. Les philosophes français et la sociologie au xxe siècle, Paris, Cerf.
- Prochasson C., 1993, Les Intellectuels, le socialisme et la guerre, 1900-1938, Paris, Éditions du Seuil.
- Savoye A., 2017, « Enquête sur les étudiants en sociologie de Célestin Bouglé et leur engagement politique (1920-1940), Les Études sociales, no 165, p. 111-156.
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- —, 1934, « La monnaie, réalité sociale », Annales sociologiques, Série D, Fasc. 1, p. 1-58.
- Sirinelli J.-Fr., 1988, Génération intellectuelle : khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard.
- Steiner Ph., 1996, « La sociologie économique dans L’Année sociologique (1897-1913) », dans Gillard L., Rosier M. (dir.), François Simiand (1873-1935). Sociologie-Histoire-Économie, Paris, Archives contemporaines, p. 31-41.
- —, 1999, « Maurice Halbwachs : les derniers feux de la sociologie économique durkheimienne », Revue d’histoire des sciences humaines, no 1, p. 141-162.
- Stoetzel J., 1941, « La psychologie sociale et la théorie des attitudes », Annales sociologiques, Série A, Fasc. 4, p. 1-26.
- Tournès L., 2008, « La Fondation Rockefeller et la construction d’une politique des sciences sociales en France (1918-1940) », Annales. Histoire, Sciences sociales, vol. 63, no 6, p. 1371-1402.
Mots-clés éditeurs : Revue, Réseau, Recrutement, Espace intellectuel
Date de mise en ligne : 18/04/2019
https://doi.org/10.3917/anso.191.0143Notes
-
[1]
Merci à mes lecteurs pour leurs remarques qui ont permis d’améliorer ce texte.
-
[2]
Voir l’article de M. Béra dans ce numéro, p. 21-41.
-
[3]
Lettre d’Henri Lévy-Bruhl à Ignace Meyerson, 15 avril 1950 (Archives nationales [AN], fonds Meyerson, 521AP54).
-
[4]
Les analyses relevant des sections « Sociologie économique » et « Divers » ont été perdues.
-
[5]
Paul Fauconnet était dès le départ très réticent à s’engager dans l’entreprise. Après la parution du volume 1, il propose de résilier ses fonctions de secrétaire, après l’accumulation des retards (du fait de Mauss) et des difficultés relatives à la publication du premier numéro (Mergy, 2004 : 18).
-
[6]
Voir infra, où nous revenons un peu plus sur le contenu des publications.
-
[7]
Robert Marjolin (1911-1986) est un autodidacte, non bachelier, issu d'un milieu très modeste, qui avait repris, sur le tard, des études à l’École pratique des hautes études (EPHE) sur les conseils de Georges Bourgin. Il est remarqué par Bouglé qui lui obtient une bourse d’études Rockefeller pour partir aux États-Unis. En 1934, il bifurque vers les sciences économiques et devient collaborateur de Charles Rist, toujours grâce à Célestin Bouglé (Sirinelli, 1988 : 587 sqq).
-
[8]
Le Centre de documentation sociale, fondé en 1920 par le banquier Albert Kahn pour réunir une vaste documentation portant sur l’actualité économique et sociale, est financé lui aussi par les Américains après la faillite de son mécène, en 1932. À la fois bibliothèque et premier centre de recherche universitaire en sociologie, il va, sous l’influence de Bouglé (qui s’est exécuté avec la meilleure volonté du monde pour satisfaire aux exigences de la fondation Rockefeller), se tourner résolument vers la « recherche inductive » selon l’expression consacrée. Cette orientation explique aussi le contenu de la rubrique « Méthodologie » (voir infra) où sont discutés des manuels américains (Marcel, 2001).
-
[9]
Henri Lévy-Bruhl est né le 18 décembre 1884 à Paris, où il meurt le 2 mai 1964. Il est professeur à la faculté de Droit de Lille, puis de Paris (1930), ainsi qu’à l’École des hautes études en sciences sociales. Il restera fidèle à la revue durkheimienne en continuant à y prendre une part active après 1945 (sur ce dernier point, voir : Marcel, 2017).
-
[10]
La correspondance professionnelle et amicale d’Émile Durkheim à Lucien Lévy-Bruhl, éditée par Dominique Merllié (2017), semble montrer notamment que leurs enfants se connaissaient et se recevaient, et qu’il en allait sans doute de même avec Mauss (dont Durkheim donne des nouvelles à Lévy-Bruhl). Le dernier numéro de L’Année sociologique Première série comporte déjà un compte rendu d’un texte d’Henri Lévy-Bruhl, l’histoire du droit (dont il est « agrégé ») faisant partie des objets constants de la revue. Leurs affinités politiques ont réuni assez tôt Marcel et Henri, qui était membre du Groupe d’études socialistes (GES) animé par Robert Hertz. Toutes raisons qui peuvent expliquer son implication dans les publications durkheimiennes et sa fonction de secrétaire de l’Institut français de sociologie de 1924 à 1933 (Hirsch, 2016 : 338).
-
[11]
Sont aussi membres de l’IFS Édouard Mestre et André Piganiol, qu’on retrouve parmi les contributeurs.
-
[12]
C’est un ancien membre du GES regroupé autour de Lucien Herr. C’est ce même réseau qui explique l’arrivée d’Édouard Mestre parmi les collaborateurs des Annales sociologiques.
-
[13]
Hubert décède en 1927.
-
[14]
Auteur d’un Mémoire dans la série D.
-
[15]
Les Américains participent aussi au financement des Annales sociologiques.
-
[16]
À la demande expresse de Bouglé, qui réclame à Mauss des morceaux de son cours (Fournier, 1994).
-
[17]
Et dans lequel il loue celui-ci de regretter « l'espèce de divorce qu'il constate en France entre l’équipe qui se rattache à Le Play et celle qui se rattache à Auguste Comte » (Bouglé, 1925 : 200).
-
[18]
Pour plus de précisions sur la question des rapports entre sociologie et psychologie dans L’Année, voir l’article de M. Consolim dans ce numéro (p. 103-142).
-
[19]
Voir l’article de M. Consolim dans ce numéro, p. 103-142.
-
[20]
C’est un autre assistant de Bouglé, Jean Meuvret (1901-1971), plus tard collaborateur régulier des Annales. Histoire économique et sociale qui systématise ce point de vue exprimé dans les Annales sociologiques (Meuvret, 1937).
-
[21]
AN, dossier Halbwachs, AJ 16 6017.
-
[22]
Créé en 1923, l’Institut est principalement un organisme d’enseignement qui délivre un diplôme depuis 1923 (AN, AJ 16 4758 ; AJ 16 2591). Il semblerait qu’Halbwachs y siège depuis 1935, car à cette date le comité de direction souhaite déjà vivement sa présence, ainsi que celles de Charles Rist et Jacques Rueff, membres comme lui de la Société de statistique de Paris (AN, AJ 16 2595).
-
[23]
Chez les durkheimiens, l’intérêt de la base morphologique est qu’elle permet le comptage et le dénombrement des faits. Elle est donc le point d‘application par excellence de la méthode statistique.
-
[24]
Cette collaboration est fort active dans l’entre-deux guerres et outrepasse le cadre de la revue. C’est Halbwachs, par exemple, qui remplace Bouglé à sa mort à la tête du CDS, à la demande de ce dernier, Centre dans lequel certains étudiants étaient déjà dirigés par Halbwachs (Marcel, 2001).
-
[25]
On a, au passage, une preuve de plus que la vie intellectuelle fut, en ce lieu, foisonnante et intense durant cette période (Craig, 1979).
-
[26]
Elle est essentiellement le fait de Jean Stoetzel, parti en voyage d’étude à Columbia grâce aux subsides de la Fondation Rockefeller.