Notes
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[1]
Génération 1 : Émile et Louise ; génération 2 : Jacques Halphen (leur beau-fils) et Marie (leur fille) ; génération 3 : les trois petits-fils Claude, Étienne et Maurice (à ce jour tous décédés). La 4e génération est notre contemporaine. Ce sont les arrières petits-enfants de Durkheim.
-
[2]
Les autres lettres pourront être retranscrites et publiées ultérieurement, sachant qu’elles ont un moindre intérêt scientifique et tournent presque toutes autour de la disparition de son fils André Durkheim.
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[3]
Le lot contient 21 lettres, 14 sont de Durkheim (et parfois de Louise). Elles sont adressées à son neveu Marcel Mauss (2), à Rosine, la mère de Marcel (8) et à trois « amis » non identifiés, tandis qu’une carte interpelle aussi Paul Fauconnet ; trois sont de Louise à Marcel ; deux d’André à Marcel (sans doute la dernière) et deux sont des lettres d’enfance de Marie et André, adressées à leur cousin Marcel ; une dernière est de Marie à Marcel. Ce lot vient probablement de Mauss ; il a pu être récupéré par Marie après la guerre, qui l’aurait « transmis » à Jacques, lequel l’aurait à son tour transmis à Claude (leur fils aîné), puis à Bertrand (fils unique de Claude). « Transmis » est indiqué au sens général, puisque les papiers et documents sont « laissés » aux héritiers, sauf indications spéciales.
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[4]
Sur Davy, on pourra se reporter au précieux numéro « Trois figures de l’École durkheimienne : Célestin Bouglé, Georges Davy, Paul Fauconnet » dirigé par Cl. Ravelet dans la revue Anamnèse (2007). Il est difficile de trouver autre chose à ce jour sur celui qui fut pourtant un durkheimien historique de 1910 à 1970.
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[5]
Rédaction de la thèse de 1882 à 1892, des Règles de la méthode sociologique dans la foulée (pour une parution à l’été 1894 dans la Revue philosophique) et du Suicide en 1895 et 1896.
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[6]
Première lettre connue : « Je vous remercie de la bonne pensée que vous avez eue de m’envoyer votre livre » (RFS, 1976 : 166).
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[7]
Bouglé a presque l’âge de Mauss : il est de 1870 et fut agrégé en 1893 tandis que Mauss est de 1872 et fut agrégé en 1895. Il s’en fallut d’ailleurs de peu que Bouglé ne se trouve face à Durkheim dans le jury du concours où celui-ci siégea en 1890 et 1891.
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[8]
De ce point de vue, il est dommage de ne pas posséder l’autre sens de la correspondance. Thomas Hirsch nous a signalé des spécimens de lettres adressées à Mauss (Collège de France, fonds Mauss) destinés à motiver ce dernier pour relancer L’Année ; souvent en vain (voir l’article de J.-C. Marcel dans ce numéro, p. 145-183).
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[9]
On apprend ailleurs que, pour cette raison, il sera amené à répéter les cours de science sociale après 10 années de créativité ininterrompue. Il se le reprochera parfois dans certaines lettres à Hubert.
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[10]
Durkheim avait 39 ans. Il semblait apprécier s’entourer de collaborateurs plus jeunes que lui, sans doute pour assoir sa domination intellectuelle. Rappelons que Bouglé était un ami intime des fondateurs de la Revue de métaphysique et de morale lancée en 1893, qui paraissait à un rythme également annuel.
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[11]
Le corpus de ses comptes-rendus n’a jamais été étudié, à l’heure où on en est encore à reconstituer sa bibliographie générale (voir la bibliographie réalisée par J.‑C. Marcel [2017]).
-
[12]
Pour plus de détails, se reporter à l’article de J.-C. Marcel dans ce numéro, p. 143-180.
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[13]
« Lettre à Bouglé du 6 juillet 1897 » (Durkheim, 1975).
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[14]
Son dossier aux Archives départementales de la Gironde (AD Gironde) ne nous a rien appris de particulier. En revanche, nos relations avec les descendants de Georges Rodier nous ont permis d’en apprendre davantage sur celui qui fut un ami intime d’Henri Ouvré. La triangulation Ouvré-Rodier-Durkheim est ainsi confirmée. Rodier était, rappelons-le, le troisième philosophe de Bordeaux qui succéda à Alfred Espinas en 1893. Il devint, comme Hamelin, un ami de Durkheim, cela semble-t-il surtout à partir de 1898 au cours de l’affaire Dreyfus. Les trois philosophes étaient engagés en faveur du capitaine, aux côtés du doyen Stapfer, contre de nombreux collègues bordelais.
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[15]
Nous avons pu retrouver sa trace (sur les premiers étudiants de Durkheim à Bordeaux, voir M. Béra [2017b]). Né en 1868 à Malemort en Corrèze, fils d’un universitaire de l’École pratique des hautes études tôt décédé (quand Tournier était étudiant à Bordeaux, il se déclarait orphelin de père), il eut Durkheim en cours de licence (avec une bourse en 1890, alors qu’il avait été maître répétiteur les deux années précédentes) puis à l’agrégation à partir de 1891. Il obtint l’agrégation en 1896, un an après Mauss qu’il a sans doute connu de près. Il a été ensuite nommé à Angoulême. On le retrouve à Aix-en-Provence où il décéda pour des raisons inconnues en 1908. Il n’a jamais fait de thèse. Nous n’avons pas retrouvé ses descendants, à supposer qu’il en ait eu.
-
[16]
Cet extrait est tiré du fonds Hamelin (Sorbonne Université). Les lettres reproduites par V. Karady en 1975 ont été sélectionnées dans un lot qui mériterait une publication complète, étant donné son intérêt et le lien fort entre Hamelin et Durkheim. Le dossier d’étudiant de Tournier (AD Gironde) nous apprend qu’il a été nommé au collège de Thonon le 19 juillet 1895 et qu’il a effectivement refusé ce poste. Par contre, il accepta sa nomination à la « chaire » de philosophie du lycée de Rochefort le 7 décembre. Il y prépara l’agrégation qu’il obtint finalement à 28 ans. Ses études auront duré onze ans depuis l’année de son baccalauréat (1885).
-
[17]
Richard (1860-1945) avait deux ans de moins que Durkheim. Il intégra l’ENS en 1880, un an après Durkheim, mais ne fut agrégé qu’en 1885 (reçu 9e), trois ans après lui. En revanche, il fut docteur en 1892, un an avant Durkheim, mais avec une thèse bien plus courte et bien moins ambitieuse que celle du directeur de L’Année (Richard, 1892).
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[18]
Binet (1857-1911) avait fondé L’Année psychologique avec Henry Beaunis en 1895.
-
[19]
À noter qu’Aron suivit exactement la même voie que Bouglé une génération plus tard, d’ailleurs en suivant son conseil. Il publia lui aussi un ouvrage antérieur à sa thèse (qui date de 1938) dans lequel il évoqua Simmel. Loin de « découvrir » ce dernier, Aron s’inscrivait dans les traces de celui qui fut son « patron ». Son originalité, qui fut aussi sa marque de fabrique, fut d’insister sur Max Weber, ce que Bouglé n’avait pas pu faire. À la génération suivante, R. Boudon, étudiant de R. Aron, fut un traducteur de Simmel. Il fit beaucoup pour diffuser cet auteur encore méconnu en France.
-
[20]
C’est ce qu’avait soupçonné Harry Alpert (1939) dans son ouvrage. Voir ses annexes, très perspicaces à cet égard.
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[21]
Bouglé n’était pas dupe, on le sait par d’autres sources : Lapie, qui était son ami intime, lui disait son effarement de voir Durkheim tout expliquer par le religieux. Les deux passèrent outre cet aspect, dans la mesure où ils gardèrent les coudées franches au sein de leur section, selon le principe d’autonomie des collaborateurs édicté par Durkheim.
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[22]
Nous avons récupéré un jeu de notes d’étudiant de 13 leçons inédites qui pourra être édité et commenté dans quelque temps. La bibliographie qu’il contient est particulièrement intéressante.
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[23]
Durkheim se rend à Paris le 16, rend son manuscrit du Suicide à Alcan et écrit à Bouglé le 18. Une copie authentique du contrat se trouve dans le fonds de Mme É. Halphen ; il est signé du 16 mars 1897 mais ne concerne que Le Suicide. Celui de L’Année est signé du 31 octobre 1897. Il s’avance donc un peu quand il dit avoir signé pour L’Année le même jour ; ou alors il faudra supposer que les contrats ont été antidatés, ce qui est possible.
-
[24]
Il compulse les ouvrages d’éditeurs ou les bibliographies annuelles allemande et française. Il consulte aussi les annonces de parutions et les comptes-rendus d’ouvrages publiés dans les revues.
Lettre 1Sur l’enveloppe : [Timbre de 15 centimes. Cachet de la poste du 20 février 1897]M. Bouglé, Professeur de philosophie au lycée de Saint-Brieuc, Côtes du NordDans l’enveloppe : [papier à en-tête]17 février 1897,179 b[oulevar]d de Talence, BordeauxCher Monsieur,Je viens enfin de terminer le livre sur le suicide dont je vous ai parlé ; de fil en aiguille, cela est devenu un assez gros ouvrage et c’est ce qui explique le retard qui s’est produit.Je vais donc pouvoir m’occuper activement de l’Année sociologique. Il me revient de différents côtés qu’elle me semble devoir être bien accueillie. On sent qu’elle répond aux besoins. Je dois d’autant plus vous le faire savoir que l’idée vient de vous.J’espère que vous conservez les mêmes [2] intentions au sujet de la collaboration que vous m’avez promise. Quant à votre ami M. Lapie dont vous m’avez parlé, voulez-vous me dire où il est afin que je lui écrive ? J’ai remarqué ou plutôt je crois avoir lu ce nom au bas des livrets scolaires des élèves de Pau. Serait-ce lui ? Nous serions voisins en ce cas.La troupe de collaborateurs est maintenant au complet, et je crois qu’elle fera bonne figure. Voici les noms : Ouvré, Richard, Emmanuel Lévy (chargé de cours à Alger), Mauss, Tournier (professeur de philosophie à Angoulême), Simiand qui se charge de la partie économique. Je ne parle pas de Lapie ni de vous qui êtes de fondation. Il y a aussi un agrégé d’histoire, A. Milhaud qui offre ses services et qui pourra peut-être être utile.Pour ce qui est des articles de fond, je ne m’en [3] suis pas encore occupé et, plus j’avance, plus j’ai peur de m’embarquer là-dedans. Je crains que l’on ne me colle quelques dissertations générales et en l’air [?] qui feraient perdre à la publication le caractère que nous tenons tous à lui donner. Je me demande, sans avoir pris aucun parti, si le mieux ne serait pas de faire quelque chose d’intermédiaire entre l’article de fond et le compte-rendu, une revue générale portant sur une question déterminée. On choisirait chaque année un problème qui semble avoir fait quelques progrès dans les dernières années et on en exposerait l’état. Par exemple, je songe pour commencer à résumer et à exposer l’état où en est la question de la peine qui a beaucoup progressé dans ces temps derniers. Voilà plusieurs chercheurs qui aboutissent avec des nuances à la conclusion que la peine est originellement un phénomène religieux. Je crois qu’on rendrait service en offrant aux lecteurs, au lieu de quelques généralités brillantes, des renseignements sérieux sur l’état où en sont les recherches sur tel ou tel point, en même temps que ces rapprochements aideraient au progrès même [4] de ces recherches. Qu’en pensez-vous ?Je pense aller à Paris soit le 28 février, soit le 7 mars pour apporter à Alcan mon manuscrit et traiter définitivement avec lui. Je vous serais donc très obligé si vous pouviez me répondre de manière à ce que je puisse encore écrire à M. Lapie avant mon départ. Il est vrai que j’aurais pu ne pas tant tarder pour vous demander ce renseignement. Mais, obligé de mener de front mon livre et mon enseignement, j’ai eu un hiver extrêmement chargé.Merci d’avance et bien cordialement à vous.É. Durkheim
Lettre 218 mars 1897179 b[oulevar]d de Talence BordeauxCher Monsieur,Je suis revenu hier de Paris où j’ai définitivement conclu avec Alcan. La 1re Année sociologique paraîtra en mars 1898. Il faudrait donc que la copie pût m’être remise dans le courant de novembre, afin d’être envoyée en décembre à l’impression.Des conversations que je viens d’avoir au cours de ce voyage et que j’avais eues d’ailleurs, en fait tenues antérieurement, il résulte d’abord que tout le monde comprend l’utilité de cette publication. Je crois, en effet, que, conçue d’une certaine manière, elle serait quelque chose de très neuf et rendrait de grands services. Voici comment je la conçois : vous allez voir d’ailleurs que mes idées ne diffèrent pas des vôtres. Inutile aussi d’ajouter que les objections seront les bienvenues.En premier lieu, j’ai trouvé très juste votre remarque sur l’utilité qu’il y aurait à proposer quelques articles de fond qui serviraient de modèles d’études proprement sociologiques ; Binet, dont j’ai consulté l’expérience m’a confirmé dans ce sentiment. Et pour bien marquer notre tendance, car il importe que notre but essentiel soit bien mis en évidence, je vais probablement choisir pour matière de mon article un sujet extrêmement défini : l’origine des règles [2] juridiques et morales relatives à l’inceste et des sentiments correspondants. C’est la question de l’exogamie. Il y a là d’ailleurs pas mal de choses à apprendre au public. Les sujets que vous m’indiquez conviennent pour des livres et non pour des articles ; ou bien les propositions énoncées ne seraient pas en rapport avec l’appareil de la démonstration. J’avais songé à un moment à donner les deux premières leçons de mon cours sur les origines de la religion (définition de la religion par ses caractères objectifs). Mais cela encore m’a paru trop général pour débuter. Cela pourra venir la seconde année.Pour l’autre article, je m’adresserai à Simmel ; voulez-vous m’envoyer son adresse. Je lui indiquerai notre but. Je crois en effet que c’est avec lui que nous nous entendrons le mieux ; pour l’avenir on verra. Je rêve d’amener des spécialistes à sortir de leurs spécialités et à nous donner quelque chose. Ce serait excellent pour tout le monde.Pour les analyses, il est certain qu’elles doivent éviter la sécheresse et le décousu ordinaires au genre – sans tomber dans la généralité des Revues générales où l’ouvrage analysé disparaît un peu derrière la personnalité du rédacteur de l’article [3].Je crois que la combinaison suivante échapperait à ces divers inconvénients. On réunirait sous une même rubrique les ouvrages ou articles se rattachant à une même question. Par exemple, dans le Droit comparé, on mettrait ensemble tout ce qui concerne la peine, ensemble tout ce qui concerne la famille ; tout ce qui regarde le contrat ; la procédure, etc., à supposer bien entendu qu’ilyait paru dans l’année des ouvrages sur ces différentes questions. Chaque livre serait d’ailleurs analysé à part individuellement. Mais de cette manière, le lecteur ne perdrait pas de vue l’ensemble de la question dont ilneverrait successivement des aspects divers, mais chacun saurait où trouver dans notre recueil, ce qu’il cherche de préférence, et le rédacteur lui-même aurait un travail beaucoup plus intéressant. Même il y aurait avantage très souvent et surtout la première année, à ce que, en tête des analyses ainsi classées sous une même rubrique, on mît un préambule indiquant l’état de la question et une conclusion générale ; quand il y a matière à conclusion. On aurait ainsi des analyses individuelles et objectives qui seraient en même temps des articles. Ce serait un grand avantage pour quelqu’un qui s’occupe des religions par exemple de trouver ensemble tout ce qui a paru sur le sacrifice – ou sur les fêtes – ou sur les rites funéraires, etc.Toutefois il faut prévoir que tous les ouvrages ne [4] comporteront pas des études étendues. On se contenterait alors d’une courte notice bibliographique de quelques lignes. On pourrait ainsi signaler des ouvrages où il n’y a que quelques pages qui soient de nature à intéresser le sociologue.Ce qui précède s’applique surtout aux ouvrages de droit comparé, d’histoire comparée des religions, d’histoire économique et d’économie politique. Pour ce qui est de la sociologie générale, la distinction de questions serait peut-être plus difficile. Peut-être pourtant ne serait-ce pas impossible, et ce serait préférable à des distinctions d’écoles. Voulez-vous y réfléchir ? – Voudriez-vous aussi me dire comment vous pensez partager le travail avec M. Lapie ?Je compte mettre en tête du premier volume une préface où j’exposerai l’objet du recueil. Je montrerai que la sociologie doit être avant tout un trait d’union entre plusieurssciencesrecherches déjà existantes et qui doivent les transformer elles-mêmes par suite de ce rapprochement, droit comparé, histoire comparée des religions, etc. – que c’est à cette seule condition que la sociologie peut devenir quelque chose de spécifique, et cesser de se réduire à des vagues généralités philosophiques et sans documentation – que ces recherches, si spéciales elles-mêmes ne peuvent progresser qu’à cette condition. Réponse à ceux d’après lesquels il faudrait attendre que chaque histoire fût faite pour que la sociologie fût possible. Le sociologue n’est pas un simple metteur en œuvre de travaux auxquels il est et reste étranger ; il apporte avec lui un esprit qui est l’esprit scientifique et dont les différentes histoires doivent s’inspirer. – Il me semble que tout cela a besoin d’être dit et ne saurait l’être sans ces perspectives. [5]Je vous donne tous ces détails parce que, avant tout, ce qu’il faut c’est une entente continue entre nous tous ; que chacun soit indépendant dans son domaine, mais sente ce que font les autres et ait l’impression toujours présente de l’œuvre commune. À cette condition nous ferons quelque chose qui aura de l’unité, mais une unité qui ne coûtera rien à l’indépendance de personne. Mon rôle, avant tout, sera de mettre tout le monde en contact.Tout cela posé, il ne nous reste plus qu’à nous mettre à l’œuvre.Voudrez-vous songer un peu aux ouvrages déjà parus qui, dès à présent, vous paraîtraient pouvoir entrer dans votre premier article ? On pourrait y faire entrer les ouvrages principaux parus dans le second semestre 1896. – S’il en est que vous n’ayiez pas et que vous désireriez recevoir, avisez-m’en. Alcan fait imprimer des lettres, signées de lui, pour demander les ouvrages qui paraissent et dont nous aurons besoin. De même pour les Revues. Je suis autorisé à offrir l’échange à toutes les Revues qu’il nous paraîtrait utile de recevoir ; les lettres sont à l’impression dans ce sens. Dites-moi vos desiderata à l’un et à l’autre point de vue.Je vous rappelle en même temps les deux questions [6] posées plus haut 1°) l’adresse de Simmel 2°) comment entendez-vous diviser le travail avec M. Lapie ?Mon manuscrit sur Le Suicide est à l’impression. Je vais donc pouvoir me donner tout entier à l’Année. Je ne ménagerai pas ma peine pour le faire recenser, car je sens bien que ce serait une bien bonne chose – mais aussi difficile.Bien cordialement à vousÉ. DurkheimSerez-vous à Paris pendant ces vacances de Pâques ? J’y passerai certainement quelques jours, surtout à la fin de la semaine de Pâques.
Lettre 316 mai 1897218 b[oulevar]d de TalenceCher Monsieur,Aussitôt reçue votre dernière lettre, j’ai demandé aux éditeurs les livres que vous désiriez. Je n’ai encore rien reçu. C’est décidément un principe chez eux d’attendre qu’Alcan fasse chercher chez eux les livres dont il a besoin. Je vais donc écrire à ce dernier en le priant d’envoyer quelqu’un faire une tournée dans ce but. Dès que j’aurai reçu les livres, je vous les adresserai.Cette question de livres est, d’ailleurs, le dernier obstacle que j’aperçoive sur notre route. Il n’est pas certain que tous les libraires soient également complaisants à cet égard. Mais je suis décidé à ne pas me laisser arrêter par la difficulté. Si c’est nécessaire, j’achèterai les livres. Il est vrai que je ne pourrai pas [2] continuer ce système aveuglément. Mais, une fois l’Année lancée, je pense que nous ne rencontrerons plus les mêmes résistances.Ne vous étonnez pas, du reste, si je ne me suis pas encore occupé de l’Année aussi exclusivement que je pensais. Tout mon temps vient d’être pris par la correction des épreuves de mon Suicide. Pour pouvoir faire paraître en juin, Alcan en a activé l’impression. Nous avons fait même un petit tour de force : en six semaines, tout aura été imprimé, soit 460 pages chargées de tableaux et de cartes. Dans quelques jours, ce sera fini. Mais vous vous expliquez que je n’aie pas eu, pendant ce temps, beaucoup de loisirs.Tout le monde est d’ailleurs au travail et je commence à entrevoir la forme qu’aura la publication. Encore une fois, n’étaient les livres qui mettent quelque lenteur à venir [3], tout serait bien en train. Mais je ne me laisserai pas longtemps arrêter par cette défiance ou cette mauvaise volonté : je vais faire quelques expériences encore et si elles trouvent à aboutir, j’emploierai le système radical que je vous ai dit. Les 10 % que m’attribue Alcan suffiront en partie à la dépense.Je ne vois pas du tout ce que peuvent donner les travaux et la méthode de Lapouge : tout cela me fait l’effet d’être parfaitement stérile. Mais 1°) je n’ai pas étudié d’assez près la question pour que mon siège soit absolument fait 2°) nous ne devons pas, en vertu d’une opinion personnelle, exclure de la sociologie des travaux qui peuvent être sérieux ni surtout les laisser ignorer de nos lecteurs. J’accepterai donc volontiers la collaboration dont vous me parlez. Je désirerais seulement que votre collègue se contentât d’abord [4] d’exposer objectivement les résultats de ces recherches sans porter de jugements sur leur importance, ou tout au moins en ne les jugeant qu’avec discrétion. Autrement, il y aurait lieu de craindre que cela ne détonât au milieu des autres articles dont l’inspiration sera, vraisemblablement, très différente. Un de nos principes communs à tous et qui est, je crois, essentiel, c’est qu’il faut faire la science des faits moraux, religieux, etc., mais sans les réduire à leurs conditions organiques lointaines, c’est ainsi que la sociologie, si elle doit être une science, doit avoir ses procédés propres. Or cette école, en général, a une orientation très différente. Si donc il est très désirable que quelqu’un le fasse connaître dans notre Année, j’aimerais à ce qu’on s’en tînt à un simple exposé : dans ces conditions, je serais très reconnaissant à votre collègue de son concours. – Je ne demande, d’ailleurs, qu’à me laisser convertir ; mais en attendant, quelque réserve est indispensable.Je retourne corriger les épreuves ; il me reste encore trois à quatre feuilles. Dès que ce sera fini, je me donne tout entier à notre œuvre commune.Bien à vous,É. Durkheim
Lettre 421 novembre 1897218 b[oulevar]d de TalenceCher Monsieur,Je suis repassé à la Faculté ces jours-ci ; votre livre est commandé et doit arriver instamment.Sur la question qui vous préoccupe, je connais bien peu de chose et il y a, je crois, bien peu de chose. Je vous signalerai parmi les publications récentes :Balicki, L’État comme organisation coercitive de la société politique (Giard et Brière).Duguit, « L’Idée de l’État », Revue de Worms, 1894, no 3. Comme cette revue reliée forme un assez gros volume, il serait peut-être plus commode pour vous de vous procurer cet article en vous adressant à l’auteur qui est un de mes collègues de la Faculté de droit. Il vous suffirait de lui écrire en lui disant que je vous ai recommandé son travail ; il en sera très flatté et se fera un plaisir [2] de vous en envoyer un exemplaire s’il lui en reste. Voici son adresse :Léon DuguitProfesseur à la faculté de Droit2, rue du jardin publicParmi les travaux plus anciens, il y a d’abord la conception spencérienne qui est exposée tout au long ses Principes de sociologie, et dont on ne peut faire abstraction si médiocre qu’elle soit. – D’un autre côté, je pourrais vous envoyer, si vous le désirez, L’État de Bluntschli, et le 4e volume de Schaeffle sur L’État également et où vous trouverez peut-être quelque chose. Répondez-moi par retour de courrier, je vous enverrai tout à la fois.À la fin de la semaine, j’aurai en main tous les manuscrits destinés à L’Année sociol[ogique]. Il n’y en a plus que deux qui soient en retard. Tout ce que j’ai reçu jusqu’à présent me paraît intéressant. Mon article et mes compte-rendus [sic] sont terminés depuis hier. [3]À ce sujet, je voudrais vous adresser une demande, mais que vous pourrez refuser sans m’étonner aucunement. Alcan voudrait que le livre pût être vendu à 7f50, c’est-à-dire ne dépassât pas 500 pages ; et cela vaudrait mieux à plusieurs égards. Mais pour y arriver, il faut se serrer un peu. J’ai revu mes propres manuscrits dans ce but. En relisant le vôtre ces jours-ci, il m’a paru que l’analyse de Giddings pourrait, peut-être, prendre moins de place. D’un autre côté, il est trop tard pour que je vous renvoie les manuscrits afin que vous voyiez vous-même ce que vous pourriez faire dans ce sens. M’autorisez-vous à pratiquer quelques coupures dans l’analyse (et non dans la discussion) si j’en trouve le moyen ? – je vous fais la proposition à tout hasard et trouverai tout naturel que vous la décliniez. Dans ce cas, je vous prierais seulement de faire le possible sur les épreuves.Bien cordialement à vousÉ. Durkheim[Note de la rédaction : Les références exactes des ouvrages évoqués ici par Durkheim sont :– Sigismond Balicki, L’État comme organisation coercitive de la société politique, Paris, Giard et Brière, 1890 (en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54704505), consulté le 21 novembre 2018 ;– Johann Caspar Bluntschli, Théorie générale de l’État (éd. traduite de l’allemand et préfacée par Armand de Riedmatten), Paris, Librairie Guillaumin et Cie, 1877 (en ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5553692t), consulté le 21 novembre 2018 ;– Léon Duguit, « Des fonctions de l’État moderne », Revue internationale de sociologie, no 3, 1894 (en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4425844), consulté le 21 novembre 2018 ;– Albert Eberhard Friedrich Schäffle, Bau und Leben des socialen Körpers, Tübingen, Laupp, 1896 (en ligne : https://archive.org/details/bauundlebendess03schgoog/page/n555), consulté le 21 novembre 2018 ;– Herbert Spencer, Principes de sociologie (trad. fr. É. Cazelles, J. Gerschel et H. de Varigny), Paris, Germer Baillière, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine », 1878-1898, 5 vol.]
Présentation du lot et commentaires
5Ces quatre lettres inédites d’Émile Durkheim à Célestin Bouglé ont traversé trois générations de descendants maintenant disparues [1], et sont conservées dans l’une des branches des trois fils de Marie Durkheim (épouse Halphen). Elles font partie d’un lot de correspondances inédites qui concernent la toute dernière partie de la vie de Durkheim (1916 et 1917) et qui sont, pour la plupart, non professionnelles [2], parfois coécrites à quatre mains avec Louise, son épouse [3].
6Il est difficile de savoir selon quelle logique elles ont pu être rassemblées. L’explication la plus vraisemblable est la suivante : peut-être avaient-elles été réunies à l’occasion du centenaire de la naissance de Durkheim (1958) qui fut à peine fêté. La célébration se tint avec deux ans de retard, en 1960, à la Sorbonne, sous la houlette de Georges Davy (1883-1876), dernier représentant des « durkheimiens historiques » [4]. Ces documents avaient pu être rassemblés via Jacques Halphen encore vivant, veuf de Marie décédée en 1953, qui disparut lui-même en 1964. C’est là cependant pure hypothèse.
7Les quatre lettres adressées à Célestin Bouglé incluses dans ce lot sont particulièrement intéressantes pour l’histoire de la sociologie qui nous concerne ici, d’autant qu’elles renvoient très précisément au moment du lancement de L’Année. Elles complètent très avantageusement la collection des 31 lettres retranscrites et éditées par Victor Karady en 1975 (Durkheim, 1975), auxquelles furent adjointes 14 autres lettres peu de temps après, dans le numéro spécial de la Revue française de sociologie (RFS, 1976), éditées cette fois-ci par les soins de Philippe Besnard. Par chance, ces quatre lettres viennent éclairer une période qui, rétrospectivement, nous paraît cruciale pour l’histoire de la sociologie. Elles éclairent d’un jour plus net encore le travail de Durkheim et le rôle de Bouglé.
8On parle souvent, à propos de la trajectoire intellectuelle de Durkheim, de la « révélation de 1895 ». Pourtant, l’année 1897 fut celle qui le fit se projeter en pratique sur la scène de l’histoire des sciences sociales, quand il se décida à franchir un pas décisif en tournant la page de la phase solitaire de sa carrière [5], pour se lancer dans une phase collective, en prenant l’engagement et la responsabilité de créer, conduire et animer une revue annuelle, c’est-à-dire une équipe de collaborateurs, faisant par là même exister une « école » de sociologie scientifique. S’il avait d’abord initié le processus de fondation en solitaire – de sa leçon inaugurale à Bordeaux en décembre 1887 (Durkheim, 1970) à la soutenance de sa thèse en 1893, en passant ensuite par la publication de son manifeste doctrinal intitulé Les Règles de la méthode sociologique à l’été 1894 dans la Revue philosophique, puis enfin de son étude de sociologie Le Suicide en juin 1897 –, il objectiva cet élan primordial en lui donnant une forme collective et donc institutionnelle. Comme il l’écrit à la fin de la préface du premier volume de L’Année, préface à laquelle il commence à réfléchir dès mars 1897 (Lettre 2) : « La science, parce qu’elle est objective, est chose essentiellement impersonnelle et ne peut progresser que grâce à un travail collectif ».
9Pour ce faire, il n’est pas indifférent de noter qu’il appliqua à la lettre les principes ou « les lois » énoncés dans sa thèse de 1893 : la division du travail entre plusieurs individus complémentaires permet de produire une solidarité scientifique qui est une force objective supérieure à toutes les forces individuelles, forcément marginales ou subjectives. Il l’écrit à Bouglé dans la lettre du 18 mars 1897 : faire en sorte que chaque collaborateur reste « indépendant », tout en ayant une conscience constante de « l’unité » du groupe auquel il participe et qu’il contribue à produire. Ménager à la fois l’unité du groupe et l’indépendance des individus, telle était à la fois la question théorique de sa thèse et la réponse pratique que lui a fournie la revue. L’Année est le laboratoire expérimental de sa théorie générale de la division du travail. Dit encore autrement, L’Année est la preuve expérimentale de la théorie de La Division du travail social.
Le lien Durkheim-Bouglé
10Quand on reconstitue la chronologie des 31 et 14 lettres éditées, on s’aperçoit que ces 4 spécimens supplémentaires renvoient au tout début de la relation entre Durkheim et Bouglé, alors qu’il s’adresse encore à lui par un « Cher Monsieur », et termine ses missives par un « Bien cordialement à vous ». Il faudra l’affaire Dreyfus, autour d’avril 1898, pour que des engagements manifestes de Bouglé (et des autres collaborateurs de la revue) amènent Durkheim à verser dans le « Cher ami », parfois affublé d’un possessif (« Mon cher ami ») – et ceci jusqu’à sa dernière lettre connue. Dans l’ordre des lettres connues, ce lot renvoie donc aux 4e, 5e, 7e et 18e échanges entre Durkheim et Bouglé. Il n’y est question que de L’Année, de sa conception et de sa mise en œuvre.
Tableau 1. – Ensemble des lettres connues de Durkheim à Bouglé
Années | Nombre de lettres | Lieux de publication |
1895 | 1 | * |
1896 | 2 | * |
1897 | 17 | * ** *** (no 1, 2, 4 et 15 de cette année) |
1898 | 9 | *** |
1899 | 5 | * |
1900 | 6 | ** |
1901 | 1 | ** |
1902 | 4 | * |
1912 | 2 | *** |
1914 | 1 | * |
Tableau 1. – Ensemble des lettres connues de Durkheim à Bouglé
11Durkheim est, selon toute vraisemblance, rentré en contact avec Bouglé par correspondance, sans doute à l’initiative de ce dernier qui lui adressa son livre en hommage [6]. Les Sciences sociales en Allemagne (Bouglé, 1896) parurent en 1896 et traitaient de sujets qui intéressaient directement Durkheim, que Bouglé commentait longuement : la conclusion de son ouvrage est consacrée en partie à la discussion des principes méthodologiques des Règles. Durkheim fut suffisamment habile pour engager un dialogue raisonné avec ce jeune agrégé talentueux, de douze ans son cadet [7]. En ce sens, les Règles avaient produit l’effet escompté, en provoquant un débat, obligeant chacun à se positionner pour ou contre, ce qui apporta à Durkheim des alliés et pas seulement des adversaires. L’alliance avec Bouglé ne fut pas acquise d’emblée : celui-ci était certes très intéressé par les écrits de Durkheim, mais il n’était pas convaincu qu’il faille laisser de côté la psychologie, conformément à ce que proposaient d’autres auteurs qui l’attiraient aussi, tels Georg Simmel ou Gabriel Tarde. N’écrivait-il pas dans son ouvrage (Ibid., p. 156) :
On se demande si, en voulant traiter comme des choses extérieures les phénomènes sociaux, on n’en laisse pas échapper tout l’essentiel […]. Si les causes psychologiques sont difficiles à atteindre, faut-il renoncer à les chercher par les procédés qui leur conviennent ?
13Dans ce morceau de correspondance inédite (et dans les lettres déjà publiées), on constate que Bouglé joue une fonction de miroir : il incite Durkheim à poser par écrit ses principes et à imaginer les moyens de réaliser ses ambitions. Bouglé joue le rôle d’un accoucheur et d’un facilitateur de projet [8].
Le projet sociologique de L’Année
14« Je rêve d’amener des spécialistes à sortir de leurs spécialités et à nous donner quelque chose ». On comprend dans ce court passage de la seconde lettre que Durkheim travaille sur un fil : il cherche à sortir la sociologie de l’ère des généralités, il veut que ses auteurs assument la spécialisation ; mais d’un autre côté, il souhaite sortir les spécialistes de leurs domaines pour faire de la sociologie une science sociale synthétique. C’est une dialectique subtile qui caractérise le travail et la situation même de la sociologie (Béra, 2017a). Travailler sur le fil du rasoir n’est pas sans écueil. Ainsi Simmel eut-il très vite à essuyer les reproches de Durkheim à chaque fois qu’il le recensa : essayisme et dilettantisme, « tout le contraire de la science ». Précisément, cet auteur avait la mauvaise idée, aux yeux de Durkheim, de ne pas être un véritable spécialiste et d’être un « touche à tout » sans méthode.
La petite « troupe » originelle
15Dans le courrier de février 1897, Durkheim annonce avoir enfin terminé son Suicide, ce qui lui permet de se lancer corps et âme dans l’aventure de L’Année [9]. Il avait sondé les opinions pour se convaincre de la nécessité de créer une revue et il avait demandé à Marcel Mauss d’en faire autant de son côté à Paris. II reconnaît clairement sa dette envers Bouglé : « l’idée vient de vous ». Il n’est donc plus possible de soupçonner Bouglé de s’en être attribué le mérite ex post : son influence fut décisive, alors qu’il n’avait que 27 ans [10]. Bouglé prit d’ailleurs toutes ses responsabilités dans la revue durant la « Première série » (1898-1913), il ne ménagea pas sa peine [11]. Il fit même tout son possible pour en prolonger l’élan dans les années 1920 et 1930, en insistant auprès de Mauss, sans pour autant y parvenir autant qu’il l’aurait souhaité [12].
16La lettre du 17 février nous permet de découvrir la liste exhaustive des premiers collaborateurs pressentis, que Durkheim appelle joliment sa petite « troupe ». Certains d’entre eux, cependant, ne participeront pas à l’aventure. Ainsi, Henri Ouvré (1863-1903) devait se charger de la Sociologie esthétique, mais il se sera « définitivement tourné vers le roman » [13]. Notons qu’il ne s’agit pas du recteur de l’académie de Bordeaux Henri Ouvré (1824-1890), celui-là même qui évalua Durkheim dans les rapports confidentiels de ses dossiers administratifs : il était décédé en 1890. Il est ici question de son fils, également prénommé Henri, spécialiste de la littérature grecque, avec lequel Durkheim eut visiblement des liens intimes et qui fut l’auteur d’une thèse [14] en 1894. Cette information apparemment anecdotique a le mérite de nous faire découvrir d’une part que Durkheim avait le projet de donner une position à un « littéraire » au sein de l’équipe initiale et, d’autre part, qu’il souhaita créer dès le début une rubrique de Sociologie esthétique, qu’on appellerait aujourd’hui sociologie de l’art. On ne savait pas le projet si ancien. On connaît les efforts d’Henri Hubert, sans doute le plus sensible aux questions artistiques, pour revenir sur ce projet. Ce dernier insista régulièrement auprès de Durkheim, sans succès : les arts durent se contenter d’une petite place au sein de la section 7 « Divers » de la Première série.
17Quant à Alexandre Tournier, étudiant bordelais tout juste agrégé [15] en 1896, il fut lui aussi écarté du plan initial, on ne saurait dire pourquoi. Tout juste peut-on formuler une hypothèse : Durkheim, qui le connaissait depuis des années, affirmait peu de temps auparavant son « habituelle irrésolution » auprès de son collègue Octave Hamelin. Voici l’extrait de la lettre de Durkheim à Hamelin [16], datant d’octobre 1895 :
Pour Tournier, sa conduite manque vraiment trop de suite. Il m’écrit pour me dire que, ne trouvant plus de leçons, il a besoin d’un poste, que même il en accepterait un dans l’enseignement moderne. À moi aussi, cela me paraissait compromettre ses chances de succès à l’agrégation, mais je ne pouvais aller contre son désir expressément formulé pensant qu’il y avait pratiquement urgence à ce qu’il fut placé sur le champ. J’écris dans ce sens à Lachelier, en ayant soin toutefois de présenter que comme probable son acceptation d’une chaire de moderne. Lachelier écrit aussitôt très gentiment ; le poste est accordé et aussitôt refusé. J’ai reconnu là son irrésolution habituelle.
19Il est cependant intéressant de savoir qu’il avait été présélectionné – son destin en aurait peut-être été bouleversé, puisqu’il décéda à Aix-en-Provence quelques années plus tard.
20En définitive, comme on le voit, les deux seuls bordelais de la « troupe » – si l’on excepte un peu artificiellement Mauss, remonté à Paris après son agrégation en 1895, qui fut pourtant étudiant bordelais entre 1890 et 1895 – ne prirent aucune part dans cette entreprise qui les incluait à l’origine. Au bout du compte, le réseau initial fut très peu bordelais, et il se constitua sur les bases des réseaux parisiens et normaliens de Mauss, Bouglé et Durkheim lui-même. Gaston Richard intégra l’équipe via Durkheim et leur scolarité à l’École normale supérieure (ENS) au cours de laquelle ils durent se croiser [17] ; Hubert, peut-être Lévy, sans doute Simiand, Milhaud et Fauconnet, furent intégrés par l’intermédiaire de Mauss. Quant à Bouglé, il amena avec lui Lapie comme on le voit dans ces lettres. On peut supposer qu’il vint spontanément vers Durkheim, qui sut le « capter » et le conserver comme ami et fidèle collaborateur toute sa vie.
21Concernant Milhaud, auquel il est aussi fait une allusion dans la première lettre, il donna huit analyses pour le volume 1, toutes dans la 5e section de « Sociologie économique » : il traita des groupements professionnels, de l’histoire du travail et de l’évolution commerciale. Il s’en tint là, cependant. Dans le tableau synthétique de Philippe Besnard (2003 : 276), on retrouvera les noms des collaborateurs effectifs du volume 1, que l’on peut comparer à cette liste de 1897 : il y aura Mauss, Hubert (qui n’apparaît pas encore dans la correspondance et dont on sait rétrospectivement le rôle crucial), Simiand, Richard, Fauconnet (même remarque que pour Hubert), Bouglé, Lapie, Parodi (qui sera introduit par Bouglé), Lévy et Muffang dont il est question dans ces courriers (voir infra).
La structure de la revue
22Durkheim réfléchit avec Bouglé à la structure de la revue en s’inspirant explicitement de L’Année psychologique d’Alfred Binet. Comme on le voit, le fractionnement en deux rubriques est déjà validé : une rubrique avec des articles de fond à propos de laquelle ils discutent des ajustements, et une rubrique bibliographique, prédominante et incontestée.
Les articles de fond
23La création de cette rubrique est encouragée par Bouglé et Binet [18]. Durkheim la valide aussi, en émettant néanmoins des réserves : il souhaite éviter certains travers et se méfie des « dissertations générales ». Cette rubrique doit avant tout viser à affirmer la doctrine de « l’école » ou, dans les termes de Durkheim, à « affirmer la tendance ». Elle a aussi pour but de faire de la sociologie et non de se contenter « d’en regrouper les matériaux ». Après y avoir cédé la plume à quelques auteurs « extérieurs » (c’est-à-dire non inclus dans le travail bibliographique structurel) et étrangers comme Simmel, Steinmetz ou Ratzel, Durkheim encouragera les membres de la « troupe » à produire eux-mêmes des travaux originaux. Concernant Simmel, la seconde lettre nous confirme que Bouglé était en contact épistolaire avec lui, à la suite de son voyage en Allemagne post-agrégation. Il avait suivi ses cours et lui avait consacré des passages importants dans son ouvrage sur la sociologie allemande contemporaine [19]. Durkheim est donc amené à passer par l’intermédiaire de Bouglé pour obtenir l’adresse personnelle de Simmel.
Les sections de la rubrique bibliographique
24Quant à la rubrique bibliographique, la principale, dont l’organisation reste encore à imaginer dans ses détails en 1897, elle visait à rassembler, présenter et organiser les matériaux pour installer la sociologie et mettre en avant les résultats positifs des autres domaines de recherche (histoire comparée du droit, des religions, économie politique, etc.). L’énonciation de ces domaines, récurrente dans la correspondance, est en soi très intéressante. Durkheim parle de l’histoire comparée du droit, de l’histoire comparée de la religion, et il présente la sociologie comme la discipline synthétique qui se charge de les mettre en commun. D’où « l’impérialisme sociologique », déjà présent dans la leçon inaugurale de Bordeaux dix ans plus tôt, qui vise à transformer les « disciplines » spéciales en domaines de la sociologie.
La section 4 de « Sociologie criminelle »
25De ce fait, dès la seconde lettre, émergent les divisions de L’Année puisqu’on reconnaît déjà quatre sections : « Sociologie générale », « Sociologie religieuse », « Sociologie juridique », et « Sociologie économique ». Il n’est que la sociologie criminelle, future 4e section, qui ne soit pas annoncée explicitement ici. Elle sera autonomisée par rapport à la sociologie comparée du droit qui s’orienta, sous la férule de Durkheim, vers la sociologie de la famille, des contrats et de la propriété.
26Durkheim imagina une rubrique thématique visant à annoncer de manière synthétique le contenu des différents ouvrages recensés :
Même il y aurait avantage très souvent et surtout la première année, à ce qu’en tête des analyses ainsi classées sous une même rubrique, on mît un préambule indiquant l’état de la question et une conclusion générale ; quand il y a matière à conclusion.
28Pourtant, ce principe énoncé ne se réalisa pratiquement jamais. On peut signaler une exception notable : la section 4 du premier volume, confiée à Richard, propose un avertissement synthétique qui annonce la logique de présentation des ouvrages analysés.
La première section de « Sociologie générale »
Pour ce qui est de la sociologie générale, la distinction de questions serait peut-être plus difficile. Peut-être pourtant ne serait-ce pas impossible, et ce serait préférable à des distinctions d’écoles. Voulez-vous y réfléchir ? – Voudriez-vous aussi me dire comment vous pensez partager le travail avec M. Lapie ?
30On connaît la réponse en consultant le volume 1 : cette section fut confiée à Bouglé et se divise en « Sociologie philosophique » (il y est question de Comte, Mill, Tarde, Le Play), « Sociologie biologique » (avec Novicow par exemple) et en « Sociologie psychologique » (Simmel, Bouglé lui-même, etc.). Il est intéressant de noter que la sociologie durkheimienne (voir la doctrine des Règles) s’est construite par opposition aux explications psychologique, biologique, voire même philosophique, les trois sous-sections qu’on retrouve dans cette section de « Sociologie générale » qui se chargea de rendre compte des autres formes d’explications du social.
La deuxième section de « Sociologie religieuse » : un peu taboue ?
31La première lettre fait état d’une synthèse sur « la peine » que Durkheim projette d’écrire, qu’il mentionne afin de donner un exemple à Bouglé sur le genre de « rubricage » possible.
Par exemple, je songe pour commencer à résumer et à exposer l’état où en est la question de la peine qui a beaucoup progressé dans ces temps derniers. Voilà plusieurs chercheurs qui aboutissent avec des nuances à la conclusion que la peine est originellement un phénomène religieux.
33Il y revient dans la seconde lettre, mais sans plus s’avancer sur la dimension religieuse de la question :
On réunirait sous une même rubrique les ouvrages ou articles se rattachant à une même question. Par exemple, dans le Droit comparé, on mettrait ensemble tout ce qui concerne la peine, ensemble tout ce qui concerne la famille ; tout ce qui regarde le contrat ; la procédure, etc.
35Pourquoi choisit-il le thème de la peine ? Sans doute parce qu’il s’agit d’un sujet qui le préoccupe depuis de nombreuses années. Dans sa thèse, il aborde largement la question à partir de la théorie des sanctions qui constitue son ossature. Il avait aussi consacré un cours sur la peine en 1893-1894 (le cours est perdu, malheureusement). En 1896 enfin, Mauss venait de publier sur ce sujet son premier et long article dans la Revue d’histoire des religions intitulé « La religion et les origines du droit pénal », d’après un ouvrage de Sebald Rudolf Steinmetz (Mauss, 1969 : 651 sqq). Il en avait discuté intensément avec son oncle, comme le montre l’abondant courrier (Durkheim, 1998 : 45 ou 47). Toutes ces raisons permettent de comprendre l’intérêt de Durkheim pour la peine, située au carrefour de l’éducation morale (sanction et discipline), de la théorie générale (définition du fait social par la contrainte et les sanctions), de la religion (le phénomène de l’expiation, futur sujet de thèse de Robert Hertz), et du droit, évidemment.
36Dans cette seconde lettre, on constate avec surprise qu’il tourne sa phrase de telle manière qu’il ne soit pas plus question de religion, alors qu’il évoque son projet d’article en réalité totalement axé autour de cette direction. On ne saurait dire si c’est un procédé rhétorique pour avancer masqué aux yeux de Bouglé – et on le sait parfaitement capable de cela – ou s’il n’avait pas encore une pleine conscience de la manière dont il allait aborder l’exogamie et l’inceste dans son article.
Je vais probablement choisir pour matière de mon article un sujet extrêmement défini : l’origine des règles juridiques et morales relatives à l’inceste et des sentiments correspondants. C’est la question de l’exogamie. Il y a là d’ailleurs pas mal de choses à apprendre au public.
38En outre, toujours à propos de la religion, il prévoit et anticipe son article de L’Année de 1899. On obtient ici la preuve indirecte que le cours de 1894-1895, le premier qu’il fit sur les religions primitives et qui s’avéra déterminant de son propre aveu, puisqu’il parla de « révélation », porta au moins en partie sur les définitions de la religion [20].
39Ces extraits montrent à quel point Durkheim était un fin stratège. Ainsi, à Bouglé qui était à l’origine de l’idée de L’Année et qui constituait un soutien essentiel, il parlait bien évidemment de religion, mais en la reléguant assez nettement en arrière-plan [21]. À Mauss, il écrivait bien autre chose en l’assurant que la religion était à l’origine de tout et que la seconde section serait la pierre angulaire de l’entreprise théorique.
La section 6 : l’« Anthroposociologie » de Lapouge
Je ne demande, d’ailleurs, qu’à me laisser convertir ; mais en attendant, quelque réserve est indispensable.
41On sait ce qu’il advint de cette sous-rubrique insérée dans la 6e section « Divers », qui fut intitulée « Anthropologie sociologique » et confiée à Henri Muffang : elle fut éliminée au bout de quelques années. En réalité, Durkheim connaissait très bien cette école d’anthropologie, grâce à ses multiples lectures sur le crime réalisées à l’occasion de la préparation de son cours [22] de 1892-1893.
La chronologie du travail à L’Année
42On apprend que le lancement de L’Année fut acté en mars 1897, au moment de la signature avec Félix Alcan du contrat pour Le Suicide, quand Durkheim rendit son manuscrit achevé à son éditeur [23]. Aussitôt après cette rencontre, Durkheim écrit à Bouglé qu’« il ne nous reste plus qu’à nous mettre au travail ». Il a alors déjà récupéré des ouvrages à recenser auprès d’éditeurs français et étrangers. Les collaborateurs pressentis de L’Année doivent consacrer leur printemps et leur été à rédiger les comptes-rendus. Le manuscrit devra être rendu à l’automne, en vue de l’impression en décembre. La parution est prévue avec Alcan en mars 1898, juste un an après celle du Suicide.
43Les délais seront quasiment respectés. Et chaque année, le travail se déroulera selon ce même cycle. Dès le mois de janvier, au moment de la remise du manuscrit de L’Année, Durkheim réclamera aux différents éditeurs du monde entier des ouvrages annoncés [24] ou parus dans l’année, demandera à pratiquer des « échanges » avec les autres revues nationales et internationales, pour donner aux collaborateurs matière à rédiger leurs comptes-rendus ; et cela pendant dix ans, jusqu’au passage au rythme de trois ans pour une « Année » qui ne portera plus aussi bien son nom (les volumes de 1910 et 1913, no 11 et 12).
Bibliographie
Références bibliographiques
- Alpert H., 1939, Emile Durkheim and His Sociology, New York, Columbia University Press.
- Anamnèse, 2007, no 3 : « Trois figures de l’École durkheimienne : Célestin Bouglé, Georges Davy, Paul Fauconnet » dossier coordonné par Cl. Ravelet.
- Besnard Ph., 2003 [1979], Études durkheimiennes, Genève, Droz.
- Béra M., 2017a, « La représentation disciplinaire du “social” dans les références et les lectures du jeune Durkheim (1879-1894) », L’Année sociologique, Troisième série, vol. 67, no 2, p. 481-481. DOI : 10.3917/anso.172.0481.
- —, 2017b, Sociologie des étudiants de Durkheim à Bordeaux (1887-1902), Mémoire d’habilitation à diriger des recherches (HDR), ENS Cachan (inédit).
- Bouglé C., 1896, Les Sciences sociales en Allemagne. Les méthodes actuelles, Paris, Alcan.
- Durkheim É., 1970 [1888], « Leçon inaugurale de 1887 », La Science sociale et l’action (introduction et présentation de J.-Cl. Filloux), Paris, PUF (1re éd. Revue internationale de l’enseignement, vol. 15, no 1).
- —, 1975, Textes, vol. 2 : Religion, morale, anomie (éd. V. Karady), Paris, Éditions de Minuit.
- —, 1976, « Lettre du 14 décembre 1895 », Revue française de sociologie, vol. 17, no 2 : « À propos de Durkheim ».
- —, 1998, « Lettre de juillet 1896 », Lettres à Mauss (présentées par Ph. Besnard et M. Fournier), Paris, PUF.
- Marcel J.-C., Savoye A., Hirsch T., 2017, « Célestin Bouglé, un demi-siècle de publications (1894-1940) », Les Études sociales, no 165 : « Sociologues en politique. Autour de Célestin Bouglé », dossier coordonné par J.-C. Marcel.
- Mauss M., 1969, Œuvres, t. II : Représentations collectives et diversité des civilisations (éd. V. Karady), Paris, Éditions de Minuit.
- Revue française de sociologie (RFS), 1976, vol. 17, no 2 : « À propos de Durkheim », dossier coordonné par Ph. Besnard.
- Richard G., 1892, Essai sur l’origine de l’idée de droit, Paris, Ernest Thorin.
Mots-clés éditeurs : Compte-rendu, Sociologue, Alcan, Collaborateur, Article, Lapouge, Binet, Divisions de la sociologie, Suicide, Simmel, Lapie
Mise en ligne 18/04/2019
https://doi.org/10.3917/anso.191.0043Notes
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[1]
Génération 1 : Émile et Louise ; génération 2 : Jacques Halphen (leur beau-fils) et Marie (leur fille) ; génération 3 : les trois petits-fils Claude, Étienne et Maurice (à ce jour tous décédés). La 4e génération est notre contemporaine. Ce sont les arrières petits-enfants de Durkheim.
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[2]
Les autres lettres pourront être retranscrites et publiées ultérieurement, sachant qu’elles ont un moindre intérêt scientifique et tournent presque toutes autour de la disparition de son fils André Durkheim.
-
[3]
Le lot contient 21 lettres, 14 sont de Durkheim (et parfois de Louise). Elles sont adressées à son neveu Marcel Mauss (2), à Rosine, la mère de Marcel (8) et à trois « amis » non identifiés, tandis qu’une carte interpelle aussi Paul Fauconnet ; trois sont de Louise à Marcel ; deux d’André à Marcel (sans doute la dernière) et deux sont des lettres d’enfance de Marie et André, adressées à leur cousin Marcel ; une dernière est de Marie à Marcel. Ce lot vient probablement de Mauss ; il a pu être récupéré par Marie après la guerre, qui l’aurait « transmis » à Jacques, lequel l’aurait à son tour transmis à Claude (leur fils aîné), puis à Bertrand (fils unique de Claude). « Transmis » est indiqué au sens général, puisque les papiers et documents sont « laissés » aux héritiers, sauf indications spéciales.
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[4]
Sur Davy, on pourra se reporter au précieux numéro « Trois figures de l’École durkheimienne : Célestin Bouglé, Georges Davy, Paul Fauconnet » dirigé par Cl. Ravelet dans la revue Anamnèse (2007). Il est difficile de trouver autre chose à ce jour sur celui qui fut pourtant un durkheimien historique de 1910 à 1970.
-
[5]
Rédaction de la thèse de 1882 à 1892, des Règles de la méthode sociologique dans la foulée (pour une parution à l’été 1894 dans la Revue philosophique) et du Suicide en 1895 et 1896.
-
[6]
Première lettre connue : « Je vous remercie de la bonne pensée que vous avez eue de m’envoyer votre livre » (RFS, 1976 : 166).
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[7]
Bouglé a presque l’âge de Mauss : il est de 1870 et fut agrégé en 1893 tandis que Mauss est de 1872 et fut agrégé en 1895. Il s’en fallut d’ailleurs de peu que Bouglé ne se trouve face à Durkheim dans le jury du concours où celui-ci siégea en 1890 et 1891.
-
[8]
De ce point de vue, il est dommage de ne pas posséder l’autre sens de la correspondance. Thomas Hirsch nous a signalé des spécimens de lettres adressées à Mauss (Collège de France, fonds Mauss) destinés à motiver ce dernier pour relancer L’Année ; souvent en vain (voir l’article de J.-C. Marcel dans ce numéro, p. 145-183).
-
[9]
On apprend ailleurs que, pour cette raison, il sera amené à répéter les cours de science sociale après 10 années de créativité ininterrompue. Il se le reprochera parfois dans certaines lettres à Hubert.
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[10]
Durkheim avait 39 ans. Il semblait apprécier s’entourer de collaborateurs plus jeunes que lui, sans doute pour assoir sa domination intellectuelle. Rappelons que Bouglé était un ami intime des fondateurs de la Revue de métaphysique et de morale lancée en 1893, qui paraissait à un rythme également annuel.
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[11]
Le corpus de ses comptes-rendus n’a jamais été étudié, à l’heure où on en est encore à reconstituer sa bibliographie générale (voir la bibliographie réalisée par J.‑C. Marcel [2017]).
-
[12]
Pour plus de détails, se reporter à l’article de J.-C. Marcel dans ce numéro, p. 143-180.
-
[13]
« Lettre à Bouglé du 6 juillet 1897 » (Durkheim, 1975).
-
[14]
Son dossier aux Archives départementales de la Gironde (AD Gironde) ne nous a rien appris de particulier. En revanche, nos relations avec les descendants de Georges Rodier nous ont permis d’en apprendre davantage sur celui qui fut un ami intime d’Henri Ouvré. La triangulation Ouvré-Rodier-Durkheim est ainsi confirmée. Rodier était, rappelons-le, le troisième philosophe de Bordeaux qui succéda à Alfred Espinas en 1893. Il devint, comme Hamelin, un ami de Durkheim, cela semble-t-il surtout à partir de 1898 au cours de l’affaire Dreyfus. Les trois philosophes étaient engagés en faveur du capitaine, aux côtés du doyen Stapfer, contre de nombreux collègues bordelais.
-
[15]
Nous avons pu retrouver sa trace (sur les premiers étudiants de Durkheim à Bordeaux, voir M. Béra [2017b]). Né en 1868 à Malemort en Corrèze, fils d’un universitaire de l’École pratique des hautes études tôt décédé (quand Tournier était étudiant à Bordeaux, il se déclarait orphelin de père), il eut Durkheim en cours de licence (avec une bourse en 1890, alors qu’il avait été maître répétiteur les deux années précédentes) puis à l’agrégation à partir de 1891. Il obtint l’agrégation en 1896, un an après Mauss qu’il a sans doute connu de près. Il a été ensuite nommé à Angoulême. On le retrouve à Aix-en-Provence où il décéda pour des raisons inconnues en 1908. Il n’a jamais fait de thèse. Nous n’avons pas retrouvé ses descendants, à supposer qu’il en ait eu.
-
[16]
Cet extrait est tiré du fonds Hamelin (Sorbonne Université). Les lettres reproduites par V. Karady en 1975 ont été sélectionnées dans un lot qui mériterait une publication complète, étant donné son intérêt et le lien fort entre Hamelin et Durkheim. Le dossier d’étudiant de Tournier (AD Gironde) nous apprend qu’il a été nommé au collège de Thonon le 19 juillet 1895 et qu’il a effectivement refusé ce poste. Par contre, il accepta sa nomination à la « chaire » de philosophie du lycée de Rochefort le 7 décembre. Il y prépara l’agrégation qu’il obtint finalement à 28 ans. Ses études auront duré onze ans depuis l’année de son baccalauréat (1885).
-
[17]
Richard (1860-1945) avait deux ans de moins que Durkheim. Il intégra l’ENS en 1880, un an après Durkheim, mais ne fut agrégé qu’en 1885 (reçu 9e), trois ans après lui. En revanche, il fut docteur en 1892, un an avant Durkheim, mais avec une thèse bien plus courte et bien moins ambitieuse que celle du directeur de L’Année (Richard, 1892).
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[18]
Binet (1857-1911) avait fondé L’Année psychologique avec Henry Beaunis en 1895.
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[19]
À noter qu’Aron suivit exactement la même voie que Bouglé une génération plus tard, d’ailleurs en suivant son conseil. Il publia lui aussi un ouvrage antérieur à sa thèse (qui date de 1938) dans lequel il évoqua Simmel. Loin de « découvrir » ce dernier, Aron s’inscrivait dans les traces de celui qui fut son « patron ». Son originalité, qui fut aussi sa marque de fabrique, fut d’insister sur Max Weber, ce que Bouglé n’avait pas pu faire. À la génération suivante, R. Boudon, étudiant de R. Aron, fut un traducteur de Simmel. Il fit beaucoup pour diffuser cet auteur encore méconnu en France.
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[20]
C’est ce qu’avait soupçonné Harry Alpert (1939) dans son ouvrage. Voir ses annexes, très perspicaces à cet égard.
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[21]
Bouglé n’était pas dupe, on le sait par d’autres sources : Lapie, qui était son ami intime, lui disait son effarement de voir Durkheim tout expliquer par le religieux. Les deux passèrent outre cet aspect, dans la mesure où ils gardèrent les coudées franches au sein de leur section, selon le principe d’autonomie des collaborateurs édicté par Durkheim.
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[22]
Nous avons récupéré un jeu de notes d’étudiant de 13 leçons inédites qui pourra être édité et commenté dans quelque temps. La bibliographie qu’il contient est particulièrement intéressante.
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[23]
Durkheim se rend à Paris le 16, rend son manuscrit du Suicide à Alcan et écrit à Bouglé le 18. Une copie authentique du contrat se trouve dans le fonds de Mme É. Halphen ; il est signé du 16 mars 1897 mais ne concerne que Le Suicide. Celui de L’Année est signé du 31 octobre 1897. Il s’avance donc un peu quand il dit avoir signé pour L’Année le même jour ; ou alors il faudra supposer que les contrats ont été antidatés, ce qui est possible.
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[24]
Il compulse les ouvrages d’éditeurs ou les bibliographies annuelles allemande et française. Il consulte aussi les annonces de parutions et les comptes-rendus d’ouvrages publiés dans les revues.