Notes
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[1]
Merci beaucoup à Marie Lauricella, Jean-Marie Pillon et Olivier Quéré pour leurs suggestions, lectures et commentaires.
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[2]
« Quelle peut être sur l’économie matérielle, sur la vie civile, sur l’état social et la puissance des nations, l’influence des forces motrices et des moyens de transport qui se propagent actuellement dans les deux mondes ? ». Cette question initialement mise au concours par l’Académie occupera longtemps l’œuvre de Pecqueur. En témoigne l’enquête sur le chemin de fer belge que lui commande le ministre des travaux publics Jules Dufaure et qu’il publie en 1840 en deux volumes : De la législation et du mode d’exécution des chemins de fer.
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[3]
Pecqueur publie trois ouvrages cette année là : Des armées dans leurs rapports avec l’individu, la morale et la liberté ; De la paix et de son principe et de sa réalisation couronné par la société de la morale chrétienne, et Théorie nouvelle d’économie sociale et politique.
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[4]
En particulier dans La Réforme (1844), L’Avenir (1845) et La Revue Indépendante (1846 et 1847).
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[5]
Cette commission qui tire son nom du palais du Luxembourg depuis lequel elle siège durant deux mois s’intitule initialement Commission de gouvernement pour les travailleurs.
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[6]
Pecqueur préconise de remonter aux premiers évangiles et au christianisme primitif afin de constater la première formulation de cette loi sociale.
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[7]
La charité a le même sens chez Pecqueur que chez Pierre Leroux : « elle n’est pas une révélation basée sur le principe même de l’égoïsme, elle est la solidarité mutuelle des hommes » (Bernard, 2007). Chez Pecqueur, la charité, pourtant très connotée, n’est pas inconciliable avec l’émancipation et demeure compatible avec le républicanisme. Sur le lien entre charité et émancipation nous renvoyons en particulier à Rancière, 1985. La charité devient plus nettement solidarité chez Pecqueur dès lors qu’il côtoie dans les années 1840, et en particulier en 1848, artisans et représentants ouvriers (Mallarmet, Greppo, Benoit, Nadaud). Marie-Claude Blais (2007) d’une part, puis Philippe Chanial et Sylvain Dzimira (2008), ont bien perçu que la solidarité était chez Pecqueur un fait social.
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[8]
« On peut s’instruire dans les beaux-arts qu’autant qu’on soit partie prenante dans le partage exclusif des instruments de travail » (Pecqueur, 1842, p. 233).
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[9]
Proudhon considère une infériorité naturelle de la femme, contrairement à celle de l’ouvrier qui n’est que transitoire. Voir Bernard, 2007 ainsi que l’ouvrage de Daniel Guérin, 1978, Proudhon oui et non, Paris, Gallimard.
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[10]
Par exemple, chez Auguste Comte la famille est essentielle dans la régénération de la société : elle « fait le joint entre le moi et le non-moi. Elle nous élève de la pure personnalité à la sociabilité, des instincts égoïstes aux penchants altruistes » (Bernard, 2007).
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[11]
À la même période, Flora Tristan, socialiste et féministe, observe dans les usines, les taudis, les prisons et les bordels, les conditions de vie déplorables des femmes du siècle. Elle explique que leur condition les empêche d’élever leurs enfants qui finiront eux aussi dans les mêmes maisons de prostitution ou au bagne (Tristan, 1843 ; Bernard, 2007). L’absence de dispositifs permettant d’élever les enfants est directement la cause de la reproduction de la misère.
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[12]
On rapprochera par exemple Pecqueur de Pierre Leroux écrivant dans son Encyclopédie Nouvelle : « Si la famille telle qu’elle est, ne représente encore qu’une geôle pour les femmes, la famille telle qu’elle sera est le théâtre le plus favorable à leur développement […]. La double règle à suivre était tracée du même coup : affermissement de la famille mais réforme de la famille ; affermissement du mariage mais rénovation du mariage » (Leroux, Reynaud, 1991 [1843], p. 232).
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[13]
L’esclavage ôte leur liberté aux esclaves dont celle de procréer et vient asseoir l’autorité sexuelle du propriétaire. Pecqueur lie ainsi directement servilité et polygamie.
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[14]
La loi sociale repousse la polygamie et la polyandrie qui, inégalitaires, oblitèrent la possibilité d’un certain nombre d’hommes et de femmes qui naissent en quantités équivalentes, d’intégrer une quelconque sphère familiale.
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[15]
Pecqueur théorise l’idée d’un mariage à durée limitée. Il rejoint Enfantin qui voit dans le mariage indissoluble une arme au service de la bourgeoisie lui permettant de pérenniser ses propriétés en tolérant hypocritement l’adultère (Bernard, 2007).
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[16]
« Le droit de transmettre après notre mort les biens dont nous sommes propriétaires, à certaines personnes, désignées soit par nous-même, soit par la loi, est un élément essentiel de la propriété, telle que la reconnaissent toutes les législations des peuples civilisés » (Rossi, 1843 [1838-1839], t. II, p. 139).
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[17]
Les économistes français défendent l’idée que l’héritage est un puissant aiguillon à l’activité économique, il impose les privations et forment les épargnes (Steiner, 2008). Philippe Steiner (2008) et Claire Silvant (2015) relèvent quelques nuances importantes entre ces économistes. Certains – Cauwès, Leroy-Beaulieu, Wolowski, Dupuit, Rossi, Royer – sont favorables à une législation sur l’héritage (Silvant, 2015). Philippe Steiner (2008) précise même que Rossi (1838-1839) et Legoyt (1857) sont favorables à l’héritage égalitaire grâce auquel « le père est incité à l’effort productif car il a le souci de laisser à ses enfants des parts égales, mais suffisantes » : le partage égal peut ainsi conduire à un surcroît d’effort profitable aux enfants. Passy (1861) et Courcelle-Seneuil (1865) notamment, sont eux favorables à la liberté de tester : « privé de sa liberté de tester, le père, estiment-ils, est dépouillé de son pouvoir économique ainsi que de l’incitation à accroître sa richesse » (Steiner, 2008).
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[18]
Auguste Comte et les saint-simoniens ambitionnaient déjà de décadenasser l’héritage, de l’ouvrir aux capacités en faisant de l’État, à terme, le seul héritier.
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[19]
Sur le lien entre socialisme et sociologie, et sur l’appréhension du premier comme tentative de porter au niveau politique une connaissance singulière sur la société, voir Karsenti, Lemieux, 2017.
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[20]
On dira avec Foucault que chacun revendique un « régime de vérité », comme une vision produite par des « lunettes à travers lesquelles à chaque période les hommes ont perçu toutes choses, ont pensé et agi » (Foucault, 1994, p. 49).
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[21]
Pecqueur estime que cette « sécurité » est refusée aux prolétaires soumis à la « loi » de l’échange.
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[22]
Dans un manuscrit inédit conservé aux archives de l’Assemblée Nationale, Pecqueur s’en prend notamment à la loi des trois états d’Auguste Comte, aux conceptions de l’histoire de Saint-Simon, des saint-simoniens, et de Buchez. Il n’y voit que des points de vue, « des hypothèses vagues qu’on peut multiplier à l’infini sans que jamais on arrive à une connaissance positive des lois du mouvement social futur » (Pecqueur, AN, 8(1), p. 3).
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[23]
Marx cite Pecqueur dans Le Capital, s’il le critique il s’en inspire également. Sur la différence de dialectique entre les socialismes allemand et français, voir Perroux, 1964. Chez Pecqueur les idées sont premières, quand bien même le matériel joue sur elles de son influence et tient son rôle dans le développement social, comme le prétend à l’excès Charles Andler (1901, p. 73) – Ludovic Frobert (2017) explique que cette assertion procède d’une stratégie consistant à proposer une alternative au socialisme allemand, certifiant qu’il existait en France avant lui un socialisme non moins rigoureux.
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[24]
Au xx e siècle, la nationalisation est décrite comme une mise en gestion par l’État de certaines activités économiques, et substitution par voie d’autorité au régime capitaliste, de certaines entreprises privées.
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[25]
L’expropriation pour cause de « lèse humanité » (IISH : 98) était selon lui le meilleur moyen de mettre en œuvre l’abolition de l’esclavage et d’ouvrir la voie à une réforme progressive totale et pacifique du droit de propriété (IISH : 150).
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[26]
Les laiteries morcelées et isolées de Pontoise expédient en commun leurs productions journalière de lait, afin qu’elles soient vendues en commun.
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[27]
Ici réside selon Pecqueur le moyen infaillible de résoudre les déséquilibres identifiés par les économistes, entre la production et la consommation, et entre la population et les subsistances. Les solutions ne sauraient résider dans « l’anarchie » organisationnelle et productive résultant des théories de l’économie politique. Elles siègent dans l’organisation de la sphère économique, dans la connaissance des besoins et des aptitudes et l’utilisation raisonnée des forces motrices.
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[28]
Pecqueur utilise sporadiquement la terminologie « propriété sociale » se référant au saint-simonien Isaac Pereire (Pecqueur, 1844, p. 233).
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[29]
Dans son Discours aux politiques (1832) Pierre Leroux utilisait déjà le terme, lui associant notamment l’adjectif « libérale » (on se réfère à Œuvres de Pierre Leroux, 1850, Paris, ainsi qu’à Rosanvallon P., 2004, Le Modèle politique français, Paris, Seuil).
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[30]
Nous empruntons ici l’analyse d’Isambert relative à la science sociale de Buchez (Isambert, 1967, pp. 7-20).
Introduction
1 Émile Durkheim (1897) opère au tournant du xx esiècle, une rupture entre sociologie et socialisme, entre théories objectives des faits sociaux et jugements catégoriques sur les institutions sociales, entre lois méthodiquement démontrées et fécondes intuitions [1]. Le caractère potentiellement scientifique du socialisme du xix esiècle est une question plusieurs fois soulevée (Engels, 1880 ; Isambert, 1965 ; Riot-Sarcey, 1998 ; Mercklé, 2004 ; Brémand, 2014 ; Frobert, 2014 ; Rignol, 2014). Nous souscrivons à l’hypothèse que les productions théoriques socialistes pré-sociologiques font « œuvre de science », fussent-elles imprécises, maladroites ou lacunaires, d’une science qu’il est essentiel de relier au contexte qui la faite émerger. En effet, lorsque Durkheim relève ce qu’il estime être la faiblesse théorique du socialisme, il considère que la « bonne » science est celle qui décrit dans le but de connaître et non celle qui se donne pour objet de prescrire ou de prophétiser. Il s’agit donc d’une rupture toute épistémologique. Il serait vain d’en rester à une telle classification, et plus intéressant de rendre compte des conditions d’émergence dans la première moitié du xix esiècle, de ce qui veut être une nouvelle science sociale revendiquant une certaine normativité objective : l’identification de ce qui doit être d’après une connaissance générale du social. Aussi est-il inutile de chercher les adversaires des premiers « physiologistes » du social dans une armée de sociologues primitifs ayant précocement saisi cet impératif scientifique : la nécessaire distinction entre l’objectivation et la prescription. Juger scientifiquement le socialisme à l’aune de ce critère nous semble éprouver un écueil important : celui du culte de la méthode scientifique et de la vérité théorique, lequel autoriserait à marginaliser et à rendre inopérant un système de pensées et d’explication du social dont on jugerait rétrospectivement l’invalidité. Durkheim lui-même n’est pas allé jusque là. Il s’est en effet largement intéressé au socialisme en suggérant de l’appréhender comme « fait social de la plus haute importance » (Durkheim, 1921, p. 482) et précise que le socialisme « a rendu à la science sociale plus de services peut-être qu’il n’en a reçu » (Durkheim, 1927, p. 11). Sans doute ne faut-il pas se tromper « d’ennemis ».
2 Les adversaires historiques des premiers « socialistes » sont plutôt les économistes, représentants auto-proclamés de la supposée mère des sciences sociales. C’est au prisme de cette opposition que doit être analysée l’émergence d’une première velléité explicative du social. Ainsi, le reproche fait au socialisme de confondre objectivité et normativité – la confusion entre science comme pure connaissance et comme action politique (Isambert, 1965) – est tributaire de la volonté de ses auteurs de proposer une alternative à la fois théorique et organisationnelle au message relayé par l’économie politique et à la désorganisation sociale dont ils l’estiment responsable. L’enjeu pour les membres de cette « nébuleuse socialiste » qui se constitue à partir d’Auguste Comte et Saint-Simon est l’applicabilité des connaissances sociales au service d’un projet réformateur. Comme le revendique Isambert, il ne faut pas considérer ce « chevauchement » comme « une maladresse » mais bien davantage comme une « liaison délibérée ». La réforme de la société industrielle du xix esiècle doit s’imprégner d’esprit scientifique. L’œuvre de science est manifeste : fonder une science sociale se donnant pour objectif la connaissance des possibilités de modification d’un système économique et politique sur des critères objectifs.
3 Isambert soutient que la politique positive a engendré la sociologie et force est de constater que Durkheim, Simiand, Bouglé, ou encore Mauss ont lu Saint-Simon et les saint-simoniens. Il est moins évident qu’ils aient lu Constantin Pecqueur. Ils ne le citent jamais, et pour cause, « le nom de Pecqueur n’est pas de ceux qui tiennent une grande place dans l’histoire du socialisme, […] la postérité l’a semble-t-il un peu injustement oublié » (Marcy, 1934, p. 1). L’amnésie générale qui l’entoure n’a pourtant d’égal que la densité paradoxale d’une œuvre foisonnante traversant des moments importants de l’histoire et de l’histoire intellectuelle. Cet article est centré sur cette figure du socialisme naissant, personnage au destin pour le moins « curieux » (Chambost, 2017).
4 Issu de la bourgeoisie du nord de la France, Pecqueur intègre à 18 ans le corps des Ponts et Chaussées. S’il est ébahi par les innovations technologiques et commerciales qui émergent dans le Nord, le jeune Pecqueur s’inquiète également de leurs conséquences sur le sort de la classe laborieuse (Frobert, 2017). Pecqueur vient alors grossir les rangs de la société saint-simonienne, publiant dans Le Globe (1831) où il dénonce la propriété privée des instruments de travail, l’oisiveté et l’héritage. Ne s’estimant plus en phase avec des pans entiers de la Doctrine saint-simonienne, Pecqueur fait sécession et rejoint Fourier. Là encore, l’adhésion n’est qu’éphémère. À 36 ans Pecqueur débute une « carrière » d’auteur d’ouvrages économiques en répondant à une question mise en concours par l’Académie des Sciences Morales et Politiques [2]. Le mémoire de Pecqueur obtient le premier prix et s’ouvre pour lui cinq années d’une production littéraire colossale, 1842 marquant son apogée [3]. Le moment de 1848 révèle un tournant important dans l’itinéraire de Constantin Pecqueur. Les publications dans les différents journaux républicains précédant la Révolution de février [4] l’inscrivent véritablement dans l’espace public, Louis Blanc le sollicitant pour intégrer la Commission du Luxembourg [5]. Cette expérience témoigne du virage politique du socialisme de Pecqueur, de la volonté de conférer une applicabilité politique à la connaissance du social préalablement acquise.
5 Cet article se propose d’exposer la science sociale de Constantin Pecqueur à partir des écrits relatifs de la période 1840-1850, au regard de la double vocation caractéristique de la pré-sociologie du xix esiècle. Il est ainsi question dans un premier temps d’un Pecqueur socialiste au sens d’expert du social, décrivant ce qui fait société, ce que cela implique comme principes constitutifs ainsi que les raisons de la désorganisation sociale (1). Pecqueur enfile ensuite l’habit du socialiste partisan d’une idéologie, d’un projet de réforme sociétale, et trace les contours de l’application de sa science sociale, via le socialisme, aux sphères économique et politique (2). Fournissant des bases de compréhension du social et dessinant contre l’hégémonie de l’économie politique et de son abstraction théorique, les contours d’une science sociale inédite, l’œuvre de Pecqueur participe de la compréhension de la société du xix esiècle et des espoirs placés dans sa transformation.
1. Pour une nouvelle « science sociale »: penser la société et la désorganisation sociale
6 Dans les pages du Salut du Peuple (1849-1850), et sept ans plus tôt, dans sa Théorie Nouvelle d’Économie Sociale et Politique (1842), Pecqueur explique en quoi consiste la science sociale et en quoi la prise en compte de ses enseignements rend visible la désorganisation du corps social. Il ne dissimule alors pas sa cible : l’économie politique des Say, Rossi, Passy, Malthus et autres esprits prétendument positifs. Le verdict est sans appel, l’économie politique est impuissante, elle ne propose aucune construction sociale valable (Pecqueur, 1834a, p. 65), elle
qui commence par abdiquer en se mettant à la remorque des faits, au lieu de les dominer et de leur imposer sa loi ; qui se fait dissolvante au lieu d’être organique ; qui raconte au lieu de prophétiser : qui se borne à l’analyse et à l’inventaire de ce qui est, tandis que la véritable science sera la synthèse de ce qui doit être. (Pecqueur, 1842, p. III).
8 La tâche qui incombe aux propagandistes de la science sociale est donnée. Il faut remonter au droit et à la justice pour donner le plan de ce qui sera sur la base de ce qui est.
1.1. Science et loi sociales
9 La pré-sociologie du xix esiècle a cette particularité d’emprunter une métaphore biologique et d’opérer le passage de la physiologie individuelle à la physiologie sociale. Dans Le Producteur (1826), Buchez précise que la société est davantage que l’expression de tendances individuelles. Il s’agit d’élaborer une connaissance « utilitaire » de la société. Parmi ces hommes du premier xix esiècle, Pecqueur semble avoir relevé l’existence de « points fixes » (Isambert, 1967) structurant l’ordre social. À un Comte qui perçoit la famille comme le plus important de ces points fixes, Pecqueur répond qu’aucune institution ne saurait prévaloir sur les autres. Dépendantes les unes des autres, elles interagissent. Et cet ensemble a besoin d’être organisé. Or, selon Pecqueur, les lois économiques du capitalisme échouent, elles sont celles convenant à une « société » singulière aujourd’hui archaïque. Ainsi, propose-t-il une architecture théorique de la société et dénonce-t-il les processus par lesquels la société se désorganise.
L’architecture institutionnelle du social
10 Pecqueur développe en 1842 une conception « institutionnaliste » de l’ordre social. Pour lui un individu incarne des habitudes, des idées et croyances contingentes qui donnent naissance à des institutions sociales qui réagissent en retour sur lui. Ainsi, Pecqueur explique que les « manières d’être de l’homme » deviennent autant « d’éléments distincts d’organisation » ou de « causes d’institutions » dont il identifie les huit principales. Le « sentiment religieux » devient la religion ou le culte ; la « notion du bien et du mal », la morale ; l’« amour et la paternité », le mariage et la famille ; l’« activité corporelle », l’industrie ou la production ; l’« activité intellectuelle », la science ; l’« activité sentimentale et l’imagination », les beaux-arts ; le besoin d’autorité, de centralisme et de refoulement des passions antisociales, se réalisent dans la constitution de l’État ou du gouvernement ; enfin, « la prédisposition organique ou nerveuse aux habitudes », devient l’éducation. On dira que chaque besoin de la société s’incarne dans une institution. Par exemple, par la « morale » les générations connaissent la loi de leurs relations avec leurs semblables ; par la « religion » elles connaissent leurs destinées ; par l’ « éducation publique » toutes les générations sont initiées à la sociabilité ; par l’ « industrie » une portion des membres de la société se trouve chargée de pourvoir aux nécessités physiques du corps social ; ou encore, le « mariage » garantit la génération normale des hommes et la perpétuité de l’espèce, etc. Ces huit « sphères principales » dont aucune n’a vocation à dominer les autres, deviennent ainsi « les dimensions colossales de l’être collectif », de toute société en tout temps (Pecqueur, 1842, p. 208). Pecqueur postule que tous ces éléments sont présents dans toute société, mais qu’ils peuvent se chevaucher et être cumulés dans une même sphère. Par exemple, la sphère religieuse a longtemps accaparé le culte, l’éducation, la morale, la science (notamment la médecine) et les arts. Ainsi, dans la lignée d’une sociologie comtienne, il y aurait selon Pecqueur plus ou moins société en fonction de la manière dont l’ensemble est organisé.
11 L’organisation de l’ensemble dépend de l’organisation des parties. Alors, et à côté de ces éléments primordiaux, constitutifs de toute société, Pecqueur identifie la présence d’ « éléments constitutifs secondaires » comme autant de possibilités d’organisation et de connexion des sphères principales. Si ces dernières se retrouvent de manières différentes dans chaque société et dans la même société à des âges différents, c’est que des éléments secondaires viennent les configurer, les organiser, leur donner leur forme singulière et enfin donner vie à une société non moins singulière. Il en est ainsi de la division du travail qui organise les tâches au sein de chaque sphère d’activité, par exemple la division de la sphère « État » entre pouvoirs législatif, exécutif, et judiciaire, ou encore la « science » aujourd’hui divisée entre médecins, mathématiciens, philosophes, économistes, historiens… ; de l’héritage qui assure la transmission régulière des fonctions et des instruments de la fonction ; de la loi qui statue sur les droits et les devoirs ; de l’élection ; de la monnaie ; de l’impôt ; de la hiérarchie etc… Ainsi, les multiples possibilités d’organisation de ces sphères et de leurs combinaisons expliquent la diversité historique des sociétés : la recherche de toutes les combinaisons possibles révèlerait l’histoire et improviserait l’avenir (Pecqueur, 1842). Pecqueur juge que seuls les éléments de la première catégorie ont un caractère de perpétuité absolue : ainsi l’État, l’industrie, la famille… ne passeront qu’avec l’humanité. Les éléments constitutifs dits secondaires, sont tributaires du degré de développement des volontés sociales.
12 L’architecture institutionnelle bâtie par Pecqueur est déterministe. La société, qui ne constitue pas un mécanisme mais un organisme, fonctionne au service d’un but éminemment social : la réalisation du bonheur collectif. À ce titre, Pecqueur juge que l’idée même de droit naturel défendu par les économistes, à l’égard notamment de la propriété, et de tous les droits acquis déclarés imprescriptibles, est une « monstruosité anti-sociale » (Pecqueur, 1842, p. 204). Ainsi, les institutions sociales – les sphères principales et leurs éléments constitutifs – doivent évoluer à mesure que la société conçoit de meilleurs moyens de servir le but que lui indique la science sociale. La recherche de la meilleure forme à donner aux éléments constitutifs de l’ordre social est précisément la raison d’être de la science sociale telle que la définit Pecqueur. Et d’en conclure à l’encontre de l’économie politique : les éléments de la physiologie sociale ont besoin de « subir une nouvelle et profonde transformation pour être mis à la hauteur des progrès de la science sociale » (Pecqueur, 1842, p. 227).
La loi sociale révélée
13 Dans la lignée de la défiance de Comte et Saint-Simon à l’endroit du postulat des économistes (Frobert, 2003 ; Steiner, 2006), l’existence d’un ordre de réalité qui dépasse les individus ne peut résulter de la simple liaison d’individus égoïstes poursuivant leur intérêt particulier. Elle implique l’existence d’un liant, en germe dans les profondeurs de toute société, et que la science sociale a pour mission de révéler [6]. Pecqueur utilise plusieurs termes pour définir cet agglomérant : « justice » est employé itérativement dans Théorie Nouvelle […] (1842), « charité » lui est préféré dans De la République de Dieu (1844) [7], « solidarité » l’emporte enfin dans Le Salut du Peuple (1849). L’usage de termes différents n’infléchit pas le sens : si le terrain de la science sociale est le corps social et non les membres de ce corps, celle-ci doit porter sur la satisfaction des désirs des hommes dans ce qu’ils ont de commun. Pour faire vivre l’être collectif celle-ci recommande à chacun son dévouement et l’altruisme de Pecqueur répond ainsi à l’égoïsme des économistes :
L’individu peut trouver son intérêt à être égoïste, à refuser le sacrifice que l’intérêt général attend de lui, mais il n’est pas moins vrai que l’intérêt de chacun est que tous les autres pratiquent le dévouement et le sacrifice. (Pecqueur, 1842, p. 201).
15 À rebours des économistes, Pecqueur estime que c’est dans la réalisation préalable de l’intérêt collectif que chacun trouve réalisé son propre intérêt : il théorise une sorte d’altruisme intéressé. Il appartient alors à la science sociale de prouver que la solidarité préside à tout rapport social et est le ciment de toute sociabilité (Pecqueur, 1850a). Il écrit :
Tout comme nos corps (composés organiques de tous les éléments ambiants, de toutes les monades qu’on appelle matérielles), nos esprits (qui fondent nos êtres) s’assimilent et sécrètent depuis la naissance jusqu’à la mort, par l’éducation et la fréquentation de l’espèce, et les pensées et les sentiments, et les produits du grand milieu ambiant qu’on nomme société. […] Tout se pénètre, tout se transmet ou s’hérite. (Pecqueur, 1849-1850, n°2, p. 4).
17 La réflexion de Pecqueur s’imprègne ainsi du transformisme biologique débattu à cette période, et s’inscrit du côté de l’évolutionnisme. Aussi, et au delà de la solidarité inhérente à l’idée même de société, la science sociale de Pecqueur révèle un principe de responsabilité en évoquant un « pacte perpétuel de solidarité volontaire » comme reconnaissance de la solidarité naturelle qui relie le riche au pauvre, le puissant au faible (Pecqueur, 1849-1850, n°2, p. 7). Ce pacte de solidarité repose sur une forme de dette sociale : la richesse des capitalistes est une dette contractée à l’égard de la misère des travailleurs. Et ce fait illustre selon Pecqueur, l’incompétence de l’économie politique comme science sociale, alors même que c’est sur le terrain qu’elle investit que la loi sociale de solidarité est la plus éclatante.
18 En cultivant une certaine dévotion pour l’utilité matérielle et légitimant l’appropriation de la matière de la production, l’économie politique ne perçoit pas qu’elle condamne le fonctionnement de certaines sphères d’activité, rend l’échange inégal, rompt ainsi le rapport social d’égalité/solidarité et engendre par là l’anomie sociale. Seule la sphère des travaux industriels et agricoles est productrice d’utilités matérielles. Toutes les autres produisent des utilités immatérielles. Si ces dernières ne sont pas moins essentielles au développement social, Pecqueur l’admet, « on se passe indéfiniment mieux et plus longtemps de science et d’art que de pain ». De ce fait, et parce qu’il y a appropriation de la matière de la production, tout le monde cherche à participer à la production qui assure une part dans le partage des richesses indispensables. Les conséquences sont délétères pour l’harmonie sociale : soit le champ de la science et des beaux arts est déserté et le développement social amputé ; soit le personnel de ces sphères immatérielles tombe dans une relation de servilité vis-à-vis des sphères matérielles ; soit ce personnel est recruté parmi celui qui mobilise déjà le sol et les utilités matérielles [8] ; enfin, la ruée vers les sphères productrices d’utilités matérielles ne manque pas de produire en leur sein une forte concurrence et de condamner à l’indigence une partie importante de son personnel.
19 Ceci est d’autant plus regrettable aux yeux de Pecqueur que les éléments mêmes sur lesquels statue l’économie politique contiennent en eux la preuve vivante d’une solidarité naturelle. En effet, la division du travail accentue la dépendance naturelle des existences. La relation est simple : l’existence des producteurs dépend de celle des consommateurs. L’existence de capitalistes d’une part et d’ouvriers de l’autre, témoigne du fait que des individus consomment sans produire, mais surtout que d’autres produisent sans consommer. L’équilibre des existences est ainsi rompu. Le problème réside dans une mauvaise organisation des éléments constitutifs secondaires évoqués plus haut : le mode de délégation des instruments de travail, l’impôt, la division du travail, le système rémunératoire. Ainsi, Pecqueur révèle le caractère antisocial de ces éléments tels qu’ils existent dans la société du premier xix esiècle. Par exemple, pour être conforme à l’intérêt social, le système d’impôt doit procéder d’une socialisation du capital par la mise en place d’un impôt progressif et non d’impôts indirects qui freinent la consommation des classes pauvres (Pecqueur, AN : 17). Aussi, le système rémunératoire ne peut plus reposer sur le travail ni même sur la formule défendue par les saint-simoniens d’après laquelle il doit revenir à chacun selon ses capacités (Pecqueur, 1842 ; Halévy, 1906 ; Forbert, 2017) mais sur une formule de répartition égalitaire : « à chacun selon ses besoins ».
20 Ainsi le social est configuré par des institutions, huit sphères principales et des éléments constitutifs secondaires comme autant de possibilités d’organisation de ces sphères. Parmi eux, le premier à modifier est celui ayant trait à la propriété des instruments de travail et à leur transmission. Aborder la question de l’héritage nous permet de préciser un peu plus la pensée de l’auteur en pénétrant une de ces huit sphères, la famille, en laquelle réside le cœur de la question sociale.
1.2. Dans l’œil du cyclone : famille et héritage
21 La nébuleuse socialiste du xix esiècle s’intéresse à la famille et à la condition féminine. Les féminisme et conjugalisme de Pecqueur, aux antipodes d’un Proudhon misogyne et réactionnaire [9], se mêlent aux développements d’autres réformateurs et réformatrices de la période relatifs à la famille comme corps intermédiaire de socialisation [10]. Pecqueur inscrit ses conceptions dans son architecture théorique lui permettant de penser la société.
La famille et la femme : Pecqueur et les autres
22 Pecqueur précise que la première raison de cette sphère est le sentiment personnel de famille (l’amour et la paternité) et qu’elle implique l’idée de durée et d’exclusion (les frontières de la sphère sont délimitées par les liens de parenté). La seconde raison relève d’un intérêt social : le mariage permet d’assurer la reproduction de l’espèce (Pecqueur, 1842). Le mariage a donc une visée exclusivement fonctionnelle [11]. Il cimente la famille puisqu’il incite à la procréation et à l’éducation. Mais la conception de Pecqueur n’en est pas pour autant conservatrice. Il est, sur ces questions, proche d’un « utopisme féministe » ou d’un « familialisme romantique » (Bernard, 2007) chers aux saint-simoniens, Flora Tristan, Pierre Leroux ou George Sand. Il estime ainsi que le salut peut venir de la famille mais d’une famille nouvelle, égalitaire et progressive au sein de laquelle la femme est l’égale de l’homme et doit accéder à la citoyenneté [12] : l’œuvre de Pecqueur est ainsi emprunte de « sororité » (Kolly, 2012 ; Lauricella, 2017). L’auteur se risque à théoriser une « loi des sexes » comme élément constitutif de cette sphère particulière qu’est la famille.
23 Comme tous les éléments constitutifs, cette loi a progressivement évolué en lien avec l’évolution logique de certaines données structurelles. Il faut considérer la famille d’un point de vue historique – l’immobilisme de sa configuration est le propre d’une vision rétrograde allant contre la loi sociale. Pecqueur explique ainsi que le mariage entre frères et sœurs était admis dans des cas de « disette d’hommes », et que la polygamie était la réponse appropriée au besoin de peuplement au sein d’une société qui admettait l’esclavage [13]. Dès lors que l’égalité sociale advient, la combinaison des deux raisons du mariage et de la famille postule deux lois des sexes possibles : la monogamie et la promiscuité [14]. Socialement elles ne sont pas équivalentes. La loi sociale va évincer la promiscuité qui, selon Pecqueur, fait disparaître le sentiment social de famille en consacrant l’égoïsme. La monogamie sanctionnée par un contrat qui oblige et par lequel les parties s’engagent vis-à-vis de leur descendance, est ainsi la loi des sexes la plus appropriée socialement : elle assure l’égalité entre tous les individus d’une même famille, homme, femme et enfants. Cela étant, cette loi des sexes n’est pas le dernier mot de la science sociale en matière d’organisation familiale. Il faudra, écrit Pecqueur, la rendre plus élastique et plus compatible avec les droits de la liberté individuelle. Pecqueur accuse ainsi « l’indissolubilité du mariage » d’être un affront à la loi sociale de solidarité et d’égalité : le divorce est socialement légitime, il permet des « monogamies successives » [15]. Le divorce est donc un droit qui permet la constitution indéfinie de nouvelles familles. La « monogamie dissoluble » doit permettre à la femme d’obtenir une certaine émancipation civile en s’affranchissant de son mari et en ne dépendant plus que de la loi commune : l’égalité au sein de la sphère « famille » doit permettre la jouissance de droits politiques et d’une juste rétribution dans la sphère d’activité spéciale dans laquelle sont exercées les facultés. Si Pecqueur ne considère pas la famille comme la cellule de base de la société, elle demeure bien un ordre intermédiaire de socialisation dont les progrès participent d’un progrès plus général. Mais si porteuse d’égalité la famille est émancipatrice, elle devient oppressive et antisociale lorsqu’elle se transforme en caste. Ainsi, Pecqueur considère que le modèle de famille défendu par l’économie politique est le pivot du régime féodal : celui de la petite famille arcboutée sur la propriété et l’héritage.
La famille antisociale : propriété et héritage
24 L’héritage forge des chaînes. Arrimant chaque individu à ses ancêtres, il en condamne l’émancipation. Doter un héritier ne représente pas, par essence, un asservissement. Mais pour les réformateurs de la période, à défaut d’être socialement organisé, l’héritage œuvre contre la société. S’il faut que la famille permette à l’Homme de se développer, l’héritage souvent l’en empêche. Pour Pecqueur, l’économie politique ne défend rien d’autre que le modèle des petites familles isolées, égoïstes et destinées à une concurrence incertaine et perpétuelle. Leur constitution économique fondée sur la propriété et l’héritage, rend impossible la prospérité de toutes les familles. Pecqueur explique que si l’appropriation est au départ compatible avec la famille dans la mesure où les ressources doivent se proportionner aux besoins, la quantité de terre étant bornée, à mesure que l’industrie et l’agriculture se développent, l’appropriation primitive couplée à une loi de transmission antisociale se trouve rapidement être la cause d’une augmentation des inégalités de condition. Pecqueur pointe ici ce qu’il considère finalement être la plus grande erreur de l’économie politique : la légitimation de l’héritage comme principe structurant l’ordre social. Pour les économistes français de tradition « néo-smithienne » (Béraud, Gislain, Steiner, 2004) l’héritage est le pendant naturel et nécessaire du droit naturel de propriété (Rossi, 1838-1839 ; Reybaud, 1840 ; Dunoyer, 1845 ; Parieu, 1852 ; Legoyt, 1852 ; Puynode, 1859 ; Dupuit, 1865) [16]. Pour eux, la combinaison de la famille et de la propriété féconde logiquement l’héritage et ce dernier perpétue la seconde : sans hérédité la propriété n’est plus, il faut donc la sanctuariser pour que demeure le statut de propriétaire [17]. Ces économistes défendent par ailleurs l’héritage par le prisme de l’altruisme et du don familial. La famille est donc directement attachée à la propriété via l’héritage et il serait impossible de transposer à l’être collectif des sentiments qui comme le don familial, animent l’individu (Rossi, 1843 [1838-1839], p. 141). Or, pour Pecqueur, ce « don » est aveugle : ceux qui le défendent ne voient pas que le droit de propriété familiale sur les instruments de travail préfigure un obstacle éternel à la prospérité de toutes les familles et de tous les enfants. Même un partage égalitaire est problématique puisqu’il crée des inégalités de conditions entre familles nombreuses et familles composées de peu d’enfants, fussent-elles d’égale fortune, et rend les enfants des premières responsables du fait de leurs parents. Pecqueur observe que dans la société du premier xix esiècle, le nombre d’enfants par famille est inversement proportionnel à leur niveau de ressources (Pecqueur, 1840a). Ainsi, les enfants sont-ils « punis » par l’indigence de leurs parents, l’héritage contribuant aveuglément à reproduire la misère, à resserrer les chaînes.
25 L’héritage est aux yeux de Pecqueur une convention, une invention législative destinée à réguler la transmission des instruments du travail. Mais il s’agit d’un mode de transmission qui ne fonctionne qu’au profit des classes supérieures [18]. Si l’héritage tombe, tombe aussi la propriété familiale. Mais la modification d’un élément constitutif secondaire n’altère pas l’existence de la sphère elle-même. La famille demeure, même sans propriété ni héritage par la naissance. Et Pecqueur d’insister sur le fait que si la famille est bien une des bases de la société, la propriété individuelle, elle, ne l’est pas : « Quelle connexion naturelle y-a-t-il entre la propriété absolue d’un instrument de travail et l’affection d’un homme pour une femme et d’un père pour son fils ? » (Pecqueur, 1842, p. 333-334).
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27 La société est configurée par des institutions et des éléments constitutifs qui sont autant la matière du progrès que matière à progrès. C’est dans leur reconfiguration – d’après les enseignements de la science sociale – que réside le progrès social – il en est par exemple de l’héritage, élément constitutif de la sphère « famille » qui doit être modifié. La loi de progrès social indique que si la société impose à chaque individu son dévouement, cette dernière offre des droits à chacun. Alors, la base économique de la société n’est plus la propriété mais le droit : le droit à l’éducation, au travail, au salaire, au repos… bref aux conditions sociales d’existence. Or Pecqueur observe que la propriété, telle qu’elle est encore constituée au xix esiècle, gêne le droit social, empêche la jouissance universelle des utilités. Arrimée à l’héritage au sein de la famille, elle se fait exclusive. S’attacher à réaliser le système social qui la rende inclusive nous fait quitter le seul terrain de la connaissance, celui de la science sociale pure, pour investir celui du socialisme.
2. Le socialisme : la science sociale appliquée aux sphères morale, économique et politique
28 Dans un contexte de délitement du corps social sous l’effet d’une industrialisation extravagante, la pré-sociologie de Pecqueur délimite elle-même son champ d’investigation : elle est science de l’organisation et de l’égalité. Pecqueur le concède, le socialisme n’est pas une science, il est « art social », il est application de la science sociale aux sphères économique et politique. Il ne découvre aucune loi, il est l’instrument de la science (Pecqueur, 1849-1850) [19]. En cela, Pecqueur donne raison à la critique de Durkheim à l’endroit du socialisme, selon laquelle ni lui, ni l’économie politique, ne saurait être scientifique, chacun n’étant que l’expression d’une intuition, « d’une passion qui s’affirme » [20]. Pecqueur précède la tripartition méthodologique opérée par John Neuville Keynes entre économie positive, économie normative et art, médium entre les deux termes consistant à composer avec les faits observés au service de valeurs et idéaux. Le socialisme de Pecqueur propose un mixte entre économie positive et économie normative en précisant ce qui doit être sur la base de ce qui est, établissant ainsi des principes de justice sociale
29 C’est de la constitution de la propriété que l’art social de Pecqueur exige avant tout la réforme. La force du raisonnement de l’auteur est peut-être d’inscrire sa critique de l’organisation sociale dans une perspective historique. Il déconstruit l’idée d’appropriation naturelle des instruments de travail et donne à voir le processus mental et social qui sous-tend son évolution. Par là même, Pecqueur dessine la transformation ultime de ce droit, depuis son caractère exclusif que révèle son histoire, vers la promesse de son universalité.
2.1. Socialisme : morale, propriété et liberté
30 Le socialisme doit relever le défi éternel posé par la science sociale : l’amélioration matérielle et morale de l’humanité. Alors que ses détracteurs reprochent au socialisme de sacrifier la liberté individuelle sur l’autel d’une égalité chimérique, Pecqueur prétend lui défendre la seule liberté qui vaille, la liberté sociale, condition indispensable à la jouissance individuelle de la liberté.
La liberté sociale contre le droit individuel de propriété
31 L’auteur explique que le règne de la liberté exclusive est directement lié à la question de la propriété. Assurer la liberté à chacun impose que chacun jouisse d’une propriété. Ainsi, Pecqueur ne nie pas le caractère socialement structurant de la propriété, au contraire. L’appropriation antique du sol ne posait pas de problème économique majeur dans la mesure où l’étendue du territoire et la faible proportion de population libre, permettaient à chaque famille de disposer de la terre. Les familles étaient donc économiquement protégées, seuls les esclaves étaient exposés. L’appropriation de l’homme et celle de la terre sont pour Pecqueur des faits historiques plus ou moins simultanés. Et Pecqueur ne porte pas de jugement anachronique sur une telle constitution de la propriété, considérant qu’elle n’est finalement que l’incarnation des relations sociales existantes entre les différentes classes d’hommes à cette période : « la propriété fut conçue et appliquée de manière à répondre à son principe ». Elle s’est constituée de manière privative et exclusive, car elle a été pensée par et pour une société constituée sur l’esclavage.
32 En revanche, l’abolition de l’esclavage aurait dû conduire à une constitution autre de la propriété. Beaucoup d’hommes affranchis ne furent pas assurés comme les familles antiques de disposer des moyens d’existence. Au mieux, propriétaires mobiliers, ils sont soumis aux vicissitudes de l’échange, leur existence suspendue au jeu de l’offre et de la demande. Pecqueur précise alors qu’une telle constitution est pire que l’esclavage qui assurait au moins au captif ses moyens d’existence, ne fût-ce que dans l’unique but de reproduire la force de travail : « les esclaves avaient la sécurité de la bête de somme à qui on fournit l’avoine » (Pecqueur, 1842, p. 803) [21]. Il montre ainsi qu’une telle constitution de la propriété, sans restriction sociale, où la propriété est immobilisée au sein de chaque famille, ne peut convenir qu’aux sociétés fondées sur l’esclavage, constituées de peu d’âmes libres et où seule la terre produit des richesses. En effet, dès que la population libre augmente, qu’il est d’autres sources de richesse que le sol – le commerce et l’industrie – et que la propriété devient ainsi mobilière – mobile et transmissible – elle doit changer de constitution. Si la société féodale a pu fonctionner avec la même constitution c’est que la loi des relations de l’homme avec ses semblables était sensiblement la même. En effet, le servage, avec son serf, sa glèbe et sa propriété foncière comme source unique de richesses, ne différait de l’esclavage que dans un « droit de propriété moins absolu et une immobilisation des instruments de travail moins rigoureuse » (Pecqueur, 1842, p. 808). Selon Pecqueur, le progrès de la société industrielle, avec le développement du prolétariat, est insignifiant. En prétendant garantir la liberté de tous en appliquant aux propriétés mobilière et intellectuelle la même constitution que la propriété foncière, elle marche contre le progrès, contre la loi sociale. La conservation d’un régime de propriété suranné est la cause des perturbations internes que produisent les sociétés dites libérales. La liberté y est illusoire. Pour la rendre effective, il faut soit pouvoir doter chaque famille d’une propriété foncière, soit organiser le travail de manière à assurer à chaque individu qu’il en soit pourvu.
33 Toutefois, et si la société industrielle perpétue ainsi une forme d’esclavage en faisant dépendre d’une minorité et de sa propriété, le travail et la vie de la multitude, Pecqueur relève dans la société du xix esiècle des restrictions plus importantes imposées aux propriétaires et une plus grande mobilité des capitaux. Au sein du spectacle putride offert par la société industrielle, Pecqueur veut percevoir une lueur : « le progrès éclatant dans l’histoire est bien la décroissance de l’esclavage » via la mobilisation de la propriété (Pecqueur, 1842, p. 808). Et ce progrès est infini. Pecqueur prophétise un nouveau stade social dans lequel la propriété sera encore reconfigurée sur la base des nouvelles relations de l’homme avec ses semblables : la solidarité. Si cette société nouvelle juge que le droit à la liberté est premier, elle ne peut passer outre l’universalisation de la propriété ou le droit au travail. Le socialisme prône une telle société et Pecqueur juge qu’elle n’adviendra que du progrès des idées sociales. « Toute société commence avec une morale et par cette morale » : ainsi, la propriété est enveloppée dans les dépendances de la morale, si bien qu’un peuple cherchant à se constituer dans une morale donnée, donne sa constitution à la propriété. Elle n’est donc chez Pecqueur que le corollaire économique de la morale. Ainsi, celle de l’esclavage (inégalité des hommes, mérite par le sang et la naissance, rétribution par l’origine sociale) produit un droit de propriété exclusif légitimant l’appropriation individuelle ; la morale sociale (égalité et solidarité entre les hommes, mérite par l’aptitude, rétribution par le travail et les besoins) doit produire quant à elle une toute autre constitution de la propriété fécondée par son universalité. La tâche du socialisme est ainsi de convaincre qu’il est des moyens d’appropriation ou de constitution de la propriété plus conformes aux nouvelles idées économiques et de justice. « Il faut coller au mouvement imprimé par la force des choses modernes en faisant volte-face aux préjugés et aux mœurs du passé ! » (Pecqueur, 1842, p. 804). La propriété comme toute autre institution est l’incarnation des besoins de la société, et ces besoins sont évolutifs. Le défaut d’organisation rationnelle doit être attribué au vice des institutions qu’il faut alors repenser. Ainsi, l’histoire sociale est une histoire des idées.
De l’avènement du socialisme : une histoire sociale des idées
34 L’histoire prouve selon Pecqueur le caractère inadapté de la vieille constitution de la propriété au désir de faire de la société du xix esiècle une société d’individus libres. Mais il ne considère pas de déterminisme historique [22]. Le processus est avant tout psychique. Là est la condition pour Pecqueur d’une évolution pacifique. Le moyen spirituel du socialisme qui lui est logiquement fourni par la science sociale – la justice et la solidarité – doit guider le moyen matériel : l’organisation sociale des modes d’activité. Pecqueur illustre ici ce qui le distingue du matérialisme marxien [23] : le socialisme a besoin d’une nouvelle morale sociale.
35 Pecqueur explique longuement que la condition pour faire société est le respect d’une loi des relations entre les hommes, c’est-à-dire d’une morale. Il raconte ainsi qu’Aristote conseilla pour la société antique une morale compatible avec les inégalités. Mais le renoncement aux inégalités est selon lui irrésistible et une nouvelle morale doit donc investir les esprits et modifier les rapports sociaux : « ainsi ont changé et changeront infailliblement quelquefois du tout au tout : les rapports de père à enfants ou la paternité, les rapports d’homme à femme ou le mariage ; les rapports de supériorité d’homme à homme ou la hiérarchie ; la propriété, etc… » (Pecqueur, 1842, p. 170). Dans un volume inédit, intitulé Science Sociale (AN, 1), Pecqueur explique que tout système social présent est un équilibre entre les forces du passé et de l’avenir. Ainsi le développement social est-il la succession psychique de thèses, d’antithèses et de synthèses. La thèse incarne les idées admises et dominantes. Il en est des idées de propriété privée et de liberté individuelle chères à l’économie politique. Mais les dispositions morales qui donnent vie à ce système de relations sont pour l’auteur dépassées.
36 La thèse de l’économie politique écrit Pecqueur, est ainsi l’expression du besoin de tradition et de conservation. Face à elle s’érige une antithèse incarnant l’idéal et la nouveauté. Pecqueur en parle comme de « l’état normal » décrit dans son ouvrage de 1844 consacré à son utopie des Philadelphes. Le renoncement aux inégalités y donne naissance à une morale inédite, à un nouveau système de relations et d’institutions sociales : on a substitué à la propriété et au crédit privés du sol et des capitaux, la propriété collective et le crédit social et gratuit. Les travailleurs deviennent des associés-fonctionnaires de la communauté, chacun exerce selon ses aptitudes et ses forces et reçoit selon ses besoins. Si le vieux système est dans les idées déjà dépassé, le nouveau n’est encore lui qu’une hypothèse. L’esprit de conciliation ou de synthèse est donc appelé à régner, et à expérimenter de nouvelles configurations sociales au sein de cette phase de transition. Pecqueur explique qu’il s’agit de tenir la balance entre deux extrêmes antagonistes et de céder de plus en plus à l’extrême progressif – le but étant de le publiciser, de le vulgariser afin d’en faire le nouveau milieu régnant (Pecqueur, AN, 1(7)). L’utopie investit progressivement le réel : « le système supérieur vient réaliser son idéal qui dès lors est passé à l’état de vérité incontestée ; il vient gouverner dans le présent » (Pecqueur, AN, 1(7)). Ce faisant, les idées de l’extrême inférieur « végètent leur impuissance » et s’immobilisent « comme un fossile qui doit attester la trace du mouvement géologique moral ou social » (Pecqueur, AN, 1(7)).
37 La raison sociale progresse donc perpétuellement et permet, Pecqueur l’observe historiquement, de restreindre de plus en plus le champ de l’appropriation individuelle des instruments et des sources de la richesse. Si le socialisme de Pecqueur se réclame par certains côtés de la nature, d’une nature sociale – il argue que l’humanité est née et mourra communiste, que la communauté est au fondement de l’humanité et est le message contenu dans les premiers évangiles – il est surtout un processus, une histoire à faire à partir d’un idéal identifié, un programme, non un rêve. Et Pecqueur se fait l’observateur dans la société industrielle du xix e siècle d’innovations sociales, économiques et organisationnelles inédites qui témoignent selon lui de ce mouvement progressif.
2.2. Le socialisme en marche et le socialisme réalisé : mouvements ascendant et tutélaire.
38 Le socialisme spirituel correspond à l’ensemble des efforts qui ont pour but la constitution de la science sociale, et le socialisme pratique ou matériel, la réalisation des voies et moyens qui découlent de cette science. Il dresse donc le plan d’organisation sociale optimale. Marcel Mauss (2013) préconise de faire la distinction entre le socialisme étatique et le socialisme des nationalisations. Selon nous, celui de Pecqueur est du second ordre. Mais il s’agit d’un processus moins vertical que ce que sous-entend la définition « moderne » du terme [24]. En effet, si à plusieurs reprises Pecqueur évoque la nécessité d’indemniser les propriétaires [25], il observe surtout des manifestations et réalisations populaires et spontanées exprimant un désir d’émancipation économique et politique.
Des manifestations « populaires » du socialisme
39 Pecqueur le répète : les voies et moyens du socialisme sont multiples. Et s’il assène que les idées ont le premier rôle dans son avènement, il reste attentif aux conséquences positives du progrès technique qui fait naître des configurations économiques et organisationnelles inédites et catalyse le mouvement des idées. Sans doute est-elle trop brutale l’antithèse consistant à nier le caractère naturel du droit de propriété et à n’admettre comme seul légitime, le droit naturel qu’a tout homme de se développer et à ce que la société lui garantisse les moyens de ce développement. Il faut donc des adjuvants, des dispositifs permettant de faire progressivement germer cette idée, et l’intuition se vérifie alors : les machines ont cette vertu. En effet, les « améliorations matérielles » possèdent des propriétés économiques agglomérantes. Sous l’essor de la machine s’opère par exemple un phénomène de concentration des entreprises, rendu nécessaire par le besoin de réunir les capitaux indispensables à l’industrialisation. Le chemin de fer, « l’amélioration majeure de ce siècle » détient un pouvoir semblable. Il ne se contente pas de lacer le territoire et de tuer l’isolement, il fait « naître » la coopération et l’entente industrielle. Avant lui, chaque producteur de chaque localité ne pouvait compter que sur ses propres moyens, souvent précaires, pour expédier sa production. Pecqueur est alors optimiste quant aux possibilités offertes par le chemin de fer pour la mise en place d’un système d’exportation unique et commun. Initiant une mutualisation des moyens, il est amené à s’identifier à un réel service public d’expédition, et évite finalement « les privations, les temporisations, les pertes sèches, qui découragent et atrophient l’activité [...] » (Pecqueur, 1839) : il détruit tout obstacle au mouvement par l’entente des producteurs. Il s’agit de généraliser aussi simplement qu’il est le principe des fruitières alors déjà effectif [26]. Pecqueur dresse ici le portrait de ce que devraient être les futures coopératives et se risque à fantasmer des grands ensembles urbains d’un style nouveau, des communes donnant vie à de nouveaux modes de sociabilité. Optimiste, il suppose que les premières réussites conduiront chaque exploitant à prendre part à cette heureuse association de telle sorte qu’il n’y aura bientôt plus nulle part dans l’organisme, de molécule isolée, séparée de ses semblables. Le chemin de fer entraîne finalement tous les individus sur le même chemin de la réunion, de la prévoyance et de la solidarité. Grâce à lui juge Pecqueur, la production, la distribution, la consommation et la circulation vont dans un sens favorable à la socialisation.
40 Mais là n’est qu’une possibilité de socialisation parmi d’autres. Elle se révèle également par une évolution juridique : l’esprit d’association se manifeste par la mise en place des sociétés en commandites par petites actions. Pecqueur remarque en effet, que conjointement à la mise sur rails des locomotives, c’est une multitude de nouvelles sociétés anonymes qui voient le jour autant dans le secteur industriel qu’agricole. C’est le cas par exemple de l’industrie de la betterave, mais cela concerne également les banques qui s’établissent par actions pour commanditer l’agriculture et l’industrie des entreprises qu’elles protègent et relient par une mutualité dans les pertes et profits. Grâce à cet associationnisme naissant, le moindre petit capital est appelé à trouver usage, emploi et profit proportionnel dans les plus grandes entreprises. Par cette « socialisation » du capital, les ouvriers peuvent désormais devenir associés, copartageant. Chacun est, du fait de sa participation à la propriété, intéressé à l’activité, tout autant que pouvait l’être le petit possesseur individuel isolé, mais n’est plus désormais confronté « aux cruautés du marché, au rapport d’étranger à étranger ». Enfin, la propriété ne porte plus sur le sol mais prend un caractère mobilier :
La propriété individuelle absolue promet de ne plus porter que sur un capital, sur une part indivise du sol socialisé et de pouvoir se réaliser volontairement en un capital mobilier monétaire ou en une marchandise équivalente à la portion indivise : et par conséquent, voici que s’accomplit insensiblement, mais fatalement l’affranchissement du sol quant au droit individuel et absolu d’user, d’abuser et de transmettre.
42 Se trouve ainsi réalisée une forme, ne serait-ce que transitoire, de socialisation du capital. Gérard Marcy (1934) et Ludovic Frobert (2017) montre que Pecqueur est conscient du risque de « féodalité industrielle » inhérent à un tel processus. Les machines peuvent ainsi conduire à la concentration des richesses dans les mains de quelques oppresseurs ; les sociétés par actions, si la propriété n’est pas suffisamment divisée, peuvent fonctionner au bénéfice de quelques « gros » capitalistes. Cette nouvelle féodalité est une issue possible. C’est pourquoi l’État représentant doit venir encadrer le sursaut de l’esprit d’association dès ses premiers balbutiements. Si le mouvement vient en premier lieu « d’en bas », il doit ensuite être consacré par « en haut » :
Toujours le fait social a précédé le droit positif […]. La transformation de la société s’accomplira concurremment par l’intervention du pouvoir et par le fait libre des individus : d’abord viendra le fait libre puis la loi sanctionnera les actes salutaires de la moralité générale. Chez les peuples libres ou qui veulent le devenir, les gouvernements secondent le mouvement ou s’y opposent : ils ne l’impriment jamais.
La réponse politique
44 Pecqueur est de ceux qui dénoncent l’impuissance politique qui a suivi 1789. Avec d’autres socialistes et républicains de la période, il constate cette impuissance par la négation du droit au travail et défend l’État-association contre l’État-capitaliste de Louis-Philippe (Chambost, 2017). Mais nous l’avons illustré, l’unité morale et politique exige chez Pecqueur, une certaine harmonie, ne serait-ce qu’imparfaite, dans le domaine économique : l’unité politique, si elle doit asseoir l’unité économique, nécessite une base sur laquelle prendre forme. Il faut que les membres de la société aient conscience qu’ils ne peuvent se passer les uns des autres. « L’État n’est pas la force d’impulsion, elle dépend de chacun, mais il doit la favoriser en faisant converger les activités isolées vers l’unité, la socialiser progressivement » (Chambost, 2017 ; Pecqueur, 1839).
45 L’essor des sociétés anonymes par petites actions et l’impact organisationnel du chemin de fer, s’ils sont de ces manifestations, ne représentent qu’une phase transitoire. N’offrant qu’un accès aléatoire à la propriété et une socialisation partielle, elle n’en demeure pas moins éminemment nécessaire en ce qu’elle participe d’un progrès dans l’évolution du droit de propriété et d’un indice de maturité « populaire » dont le centre régulateur peut s’emparer. Elle est le terreau d’une réforme politique importante qui entend redéfinir la souveraineté. La réforme du droit de propriété atteint un nouveau stade et la propriété elle-même s’en trouve redéfinie. Il n’est plus question d’offrir à quelques-uns, une portion d’un capital social, mais de s’assurer que tous disposent des mêmes chances de se développer. Ainsi, l’État n’accorde plus des propriétés à certains mais des fonctions à chacun. À l’état de germe dans ses manifestations par la technique (les machines) et l’évolution juridique et organisationnelle (les sociétés anonymes), l’esprit d’association peut désormais être pleinement communiqué par l’État représentant un peuple qui a « le droit et le devoir de proclamer les droits antérieurs et supérieurs à toute loi positive, de définir le but de la société » (Pecqueur, AN, 2, p. 184). Afin de réaliser l’association, cet État doit donc distribuer les fonctions au regard des besoins sociaux et des aptitudes propres à chacun, et juger de leur bonne réalisation. Il y a bien là extension de la logique politique de la République à la sphère économique : il s’agit de construire collectivement et sur un pied d’égalité une œuvre économique. Par ailleurs, ce n’est plus l’héritage des positions acquises et le hasard qui fixent l’accès à la propriété et aux positions dominantes, mais le concours et le peuple représenté qui déterminent l’obtention des fonctions et des positions sociales. La nationalisation doit ainsi autant permettre l’émancipation politique des anciens prolétaires que l’efficacité économique [27].
46 Le droit de propriété se meut en droit à une fonction, et la propriété perd son caractère exclusif et matériel pour devenir immatérielle et collective. La participation de Pecqueur à la Commission du gouvernement pour les travailleurs au printemps 48 aux côtés de Louis Blanc et François Vidal apparaît comme une tentative d’incarner cet idéal.
Remarques conclusives
47 Si l’œuvre de Pecqueur assume une normativité conséquente, elle est aussi observation minutieuse de la structure sociale du xix esiècle. Sa science sociale est caractéristique de la période : elle fournit les aliments à un projet de réforme politique que Pecqueur tente d’approcher au tournant de 1848. Elle propose une explication originale de l’anomie sociale qui entend mettre en exergue les lacunes de l’économie politique, ainsi qu’une explication du développement social qui relativise, sans l’exclure totalement, le matérialisme marxien et le spectre économique, spécifiant amplement le rôle moteur des idées et de la morale dans la dynamique des institutions. Pecqueur partage en effet la conviction de ses contemporains de faire partie d’une société en pleine mutation et appartient à cette génération de « sociologues » balbutiants ou de premiers socialistes qui s’emparent de la question sociale et proposent de repenser le statut de la classe la plus pauvre – de celle qui produit. Parmi ces hommes souvent relégués au rang d’utopistes, Constantin Pecqueur est singulier : il défend une utopie créatrice. Sorte d’horizon fantasmatique, elle nourrit l’esprit et propose une échappatoire progressiste au fatalisme de l’économie politique. L’utopie propose un au-delà qui donne sa force à la dynamique sociale. La science sociale originale de Pecqueur est donc en partie une science de l’évolution, une théorie du progrès qui ne parvient toutefois pas à s’émanciper d’une conception finaliste : projeter une société idéale ou parfaite, offre les moyens de connaître et de comprendre la société présente.
48 Ludovic Frobert (2014) tente un rapprochement du socialisme de 1848 avec les théories de la justice d’Amartya Sen et de Gerald Cohen. Dans cette perspective, l’architecture sociale de Pecqueur, reposant sur les sphères, et l’attention portée aux principes de justice élémentaire qui les régissent, renvoient selon nous aux « sphères de justice » de Michael Walzer (1983). Si Pecqueur n’atteint pas le degré de sophistication conceptuelle du philosophe, sa « justice », qui exige l’égalité dans chacune des sphères, est plus exigeante que celle de Walzer qui tolère l’inégalité tant qu’elle n’alimente pas de rapport de domination dans une sphère voisine. Or, parce qu’elle est exclusive, la propriété privée est par définition vectrice de domination. Pour assurer l’égalité, il faut donc pour Pecqueur rediscuter cette notion de propriété. « La science sociale, écrit-il, ne peut plus borner la définition de la propriété à la seule matière : cette définition s’étend à tout ce qui peut irradier la vie de l’homme » (Pecqueur, 1842, p. 384). « Posséder » matériellement, mais surtout juridiquement et socialement, est ainsi une condition nécessaire au développement. La « propriété normale » – inclusive – développée par Pecqueur fait ainsi le lien avec la notion de « propriété sociale » que Robert Castel emprunte à Alfred Fouillée, Émile Durkheim ou Léon Bourgeois, et au concept de « support » qu’il mobilise comme « condition objective de possibilité […] de développer des stratégies individuelles […], d’exister positivement » (Castel, Haroche, 2001, pp. 30 et 75) [28]. Ainsi indique Castel, « la propriété sociale représente une nouvelle condition, une ressource historiquement inédite pour assurer l’accès à l’indépendance et à la propriété de soi » (Castel, Haroche, 2001, p. 79). À cette fin, Pecqueur, spécifie déjà la nécessaire tutelle de l’État afin de garantir la souveraineté économique du peuple, anticipant le rôle d’un État – réellement – Providence qui distribuerait les propriétés, les supports de l’existence individuelle. Avant Walzer et Castel, Pecqueur précise donc qu’il est fondamental que l’organisation sociale soit telle qu’il n’y ait pas de séparation définitive et insurmontable entre les propriétaires et les non-propriétaires, qu’il n’y ait pas « désassociation » (Walzer, 1997) [29] ou « désocialisation » (Pecqueur, AN : 17).
49 L’œuvre de Pecqueur dessine les contours d’une théorie de la société et se revendique science de l’homme et de l’organisation. D’une science qui adosse à la connaissance objective, imagination politique et valeurs religieuses, qui relie connaissance et action, matière et esprit, individu et société, enfin, passé et avenir [30]. Si en ces temps instables de révolutions industrielle et politique, Pecqueur ne prélude pas tous les « bons » principes en matière de science sociale, il propose au moins une science de la bonne société dont certains échos résonnent aujourd’hui.
Bibliographie
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Archives
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- – enveloppe 1 « Science sociale » ;
- – enveloppe 2 « De la souveraineté – Gouvernement direct du peuple » ;
- – enveloppe 6 « Qu’est ce que la morale ? » ;
- – enveloppe 7 « Philosophie du progrès » ;
- – enveloppe 8 « Philosophie de l’histoire » ;
- – enveloppe 17 « De l’universalité des principes de la morale » ;
- – enveloppe 48 « Loi universelle de l’évolution » ;
- – enveloppe 45, cahier « Population ».
- Fonds Constantin Pecqueur, International Institut of Social History (IISH) :
- – dossiers 98 « Critique de quelques économistes malthusiens : Bastiat et Dollfus » ;
- – dossier 126 « Impuissance radicale des voies et des moyens économiques […] » ;
- – dossier 150 « Préambule des voies et moyens de l’organisation du travail ».
Mots-clés éditeurs : solidarité, Socialisme, Morale, Propriété, Justice, Science sociale
Date de mise en ligne : 30/11/2017.
https://doi.org/10.3917/anso.172.0423Notes
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[1]
Merci beaucoup à Marie Lauricella, Jean-Marie Pillon et Olivier Quéré pour leurs suggestions, lectures et commentaires.
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[2]
« Quelle peut être sur l’économie matérielle, sur la vie civile, sur l’état social et la puissance des nations, l’influence des forces motrices et des moyens de transport qui se propagent actuellement dans les deux mondes ? ». Cette question initialement mise au concours par l’Académie occupera longtemps l’œuvre de Pecqueur. En témoigne l’enquête sur le chemin de fer belge que lui commande le ministre des travaux publics Jules Dufaure et qu’il publie en 1840 en deux volumes : De la législation et du mode d’exécution des chemins de fer.
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[3]
Pecqueur publie trois ouvrages cette année là : Des armées dans leurs rapports avec l’individu, la morale et la liberté ; De la paix et de son principe et de sa réalisation couronné par la société de la morale chrétienne, et Théorie nouvelle d’économie sociale et politique.
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[4]
En particulier dans La Réforme (1844), L’Avenir (1845) et La Revue Indépendante (1846 et 1847).
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[5]
Cette commission qui tire son nom du palais du Luxembourg depuis lequel elle siège durant deux mois s’intitule initialement Commission de gouvernement pour les travailleurs.
-
[6]
Pecqueur préconise de remonter aux premiers évangiles et au christianisme primitif afin de constater la première formulation de cette loi sociale.
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[7]
La charité a le même sens chez Pecqueur que chez Pierre Leroux : « elle n’est pas une révélation basée sur le principe même de l’égoïsme, elle est la solidarité mutuelle des hommes » (Bernard, 2007). Chez Pecqueur, la charité, pourtant très connotée, n’est pas inconciliable avec l’émancipation et demeure compatible avec le républicanisme. Sur le lien entre charité et émancipation nous renvoyons en particulier à Rancière, 1985. La charité devient plus nettement solidarité chez Pecqueur dès lors qu’il côtoie dans les années 1840, et en particulier en 1848, artisans et représentants ouvriers (Mallarmet, Greppo, Benoit, Nadaud). Marie-Claude Blais (2007) d’une part, puis Philippe Chanial et Sylvain Dzimira (2008), ont bien perçu que la solidarité était chez Pecqueur un fait social.
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[8]
« On peut s’instruire dans les beaux-arts qu’autant qu’on soit partie prenante dans le partage exclusif des instruments de travail » (Pecqueur, 1842, p. 233).
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[9]
Proudhon considère une infériorité naturelle de la femme, contrairement à celle de l’ouvrier qui n’est que transitoire. Voir Bernard, 2007 ainsi que l’ouvrage de Daniel Guérin, 1978, Proudhon oui et non, Paris, Gallimard.
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[10]
Par exemple, chez Auguste Comte la famille est essentielle dans la régénération de la société : elle « fait le joint entre le moi et le non-moi. Elle nous élève de la pure personnalité à la sociabilité, des instincts égoïstes aux penchants altruistes » (Bernard, 2007).
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[11]
À la même période, Flora Tristan, socialiste et féministe, observe dans les usines, les taudis, les prisons et les bordels, les conditions de vie déplorables des femmes du siècle. Elle explique que leur condition les empêche d’élever leurs enfants qui finiront eux aussi dans les mêmes maisons de prostitution ou au bagne (Tristan, 1843 ; Bernard, 2007). L’absence de dispositifs permettant d’élever les enfants est directement la cause de la reproduction de la misère.
-
[12]
On rapprochera par exemple Pecqueur de Pierre Leroux écrivant dans son Encyclopédie Nouvelle : « Si la famille telle qu’elle est, ne représente encore qu’une geôle pour les femmes, la famille telle qu’elle sera est le théâtre le plus favorable à leur développement […]. La double règle à suivre était tracée du même coup : affermissement de la famille mais réforme de la famille ; affermissement du mariage mais rénovation du mariage » (Leroux, Reynaud, 1991 [1843], p. 232).
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[13]
L’esclavage ôte leur liberté aux esclaves dont celle de procréer et vient asseoir l’autorité sexuelle du propriétaire. Pecqueur lie ainsi directement servilité et polygamie.
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[14]
La loi sociale repousse la polygamie et la polyandrie qui, inégalitaires, oblitèrent la possibilité d’un certain nombre d’hommes et de femmes qui naissent en quantités équivalentes, d’intégrer une quelconque sphère familiale.
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[15]
Pecqueur théorise l’idée d’un mariage à durée limitée. Il rejoint Enfantin qui voit dans le mariage indissoluble une arme au service de la bourgeoisie lui permettant de pérenniser ses propriétés en tolérant hypocritement l’adultère (Bernard, 2007).
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[16]
« Le droit de transmettre après notre mort les biens dont nous sommes propriétaires, à certaines personnes, désignées soit par nous-même, soit par la loi, est un élément essentiel de la propriété, telle que la reconnaissent toutes les législations des peuples civilisés » (Rossi, 1843 [1838-1839], t. II, p. 139).
-
[17]
Les économistes français défendent l’idée que l’héritage est un puissant aiguillon à l’activité économique, il impose les privations et forment les épargnes (Steiner, 2008). Philippe Steiner (2008) et Claire Silvant (2015) relèvent quelques nuances importantes entre ces économistes. Certains – Cauwès, Leroy-Beaulieu, Wolowski, Dupuit, Rossi, Royer – sont favorables à une législation sur l’héritage (Silvant, 2015). Philippe Steiner (2008) précise même que Rossi (1838-1839) et Legoyt (1857) sont favorables à l’héritage égalitaire grâce auquel « le père est incité à l’effort productif car il a le souci de laisser à ses enfants des parts égales, mais suffisantes » : le partage égal peut ainsi conduire à un surcroît d’effort profitable aux enfants. Passy (1861) et Courcelle-Seneuil (1865) notamment, sont eux favorables à la liberté de tester : « privé de sa liberté de tester, le père, estiment-ils, est dépouillé de son pouvoir économique ainsi que de l’incitation à accroître sa richesse » (Steiner, 2008).
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[18]
Auguste Comte et les saint-simoniens ambitionnaient déjà de décadenasser l’héritage, de l’ouvrir aux capacités en faisant de l’État, à terme, le seul héritier.
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[19]
Sur le lien entre socialisme et sociologie, et sur l’appréhension du premier comme tentative de porter au niveau politique une connaissance singulière sur la société, voir Karsenti, Lemieux, 2017.
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[20]
On dira avec Foucault que chacun revendique un « régime de vérité », comme une vision produite par des « lunettes à travers lesquelles à chaque période les hommes ont perçu toutes choses, ont pensé et agi » (Foucault, 1994, p. 49).
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[21]
Pecqueur estime que cette « sécurité » est refusée aux prolétaires soumis à la « loi » de l’échange.
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[22]
Dans un manuscrit inédit conservé aux archives de l’Assemblée Nationale, Pecqueur s’en prend notamment à la loi des trois états d’Auguste Comte, aux conceptions de l’histoire de Saint-Simon, des saint-simoniens, et de Buchez. Il n’y voit que des points de vue, « des hypothèses vagues qu’on peut multiplier à l’infini sans que jamais on arrive à une connaissance positive des lois du mouvement social futur » (Pecqueur, AN, 8(1), p. 3).
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[23]
Marx cite Pecqueur dans Le Capital, s’il le critique il s’en inspire également. Sur la différence de dialectique entre les socialismes allemand et français, voir Perroux, 1964. Chez Pecqueur les idées sont premières, quand bien même le matériel joue sur elles de son influence et tient son rôle dans le développement social, comme le prétend à l’excès Charles Andler (1901, p. 73) – Ludovic Frobert (2017) explique que cette assertion procède d’une stratégie consistant à proposer une alternative au socialisme allemand, certifiant qu’il existait en France avant lui un socialisme non moins rigoureux.
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[24]
Au xx e siècle, la nationalisation est décrite comme une mise en gestion par l’État de certaines activités économiques, et substitution par voie d’autorité au régime capitaliste, de certaines entreprises privées.
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[25]
L’expropriation pour cause de « lèse humanité » (IISH : 98) était selon lui le meilleur moyen de mettre en œuvre l’abolition de l’esclavage et d’ouvrir la voie à une réforme progressive totale et pacifique du droit de propriété (IISH : 150).
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[26]
Les laiteries morcelées et isolées de Pontoise expédient en commun leurs productions journalière de lait, afin qu’elles soient vendues en commun.
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[27]
Ici réside selon Pecqueur le moyen infaillible de résoudre les déséquilibres identifiés par les économistes, entre la production et la consommation, et entre la population et les subsistances. Les solutions ne sauraient résider dans « l’anarchie » organisationnelle et productive résultant des théories de l’économie politique. Elles siègent dans l’organisation de la sphère économique, dans la connaissance des besoins et des aptitudes et l’utilisation raisonnée des forces motrices.
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[28]
Pecqueur utilise sporadiquement la terminologie « propriété sociale » se référant au saint-simonien Isaac Pereire (Pecqueur, 1844, p. 233).
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[29]
Dans son Discours aux politiques (1832) Pierre Leroux utilisait déjà le terme, lui associant notamment l’adjectif « libérale » (on se réfère à Œuvres de Pierre Leroux, 1850, Paris, ainsi qu’à Rosanvallon P., 2004, Le Modèle politique français, Paris, Seuil).
-
[30]
Nous empruntons ici l’analyse d’Isambert relative à la science sociale de Buchez (Isambert, 1967, pp. 7-20).