Notes
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[1]
Diener, 1984. Depuis 2000 paraît le Journal of Happiness Studies.
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[2]
Pour ce faire, les travaux publiés de Ruut Veenhoven (Veenhoven, 1984a ; 1984b), ainsi que la base de données en ligne (http://worlddatabaseofhappiness.eur.nl/) fournissent une masse d’informations considérables. En outre, mes travaux réalisés dans le cadre d’une thèse de doctorat (Pawin, 2010) m’ont permis de retracer les linéaments d’une histoire intellectuelle du bien-être.
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[3]
Par exemple : Hartman, 1934.
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[4]
Les travaux de sciences cognitives se sont penchés sur le bien-être et le plaisir et certains ont envisagé d’utiliser les dernières techniques d’imagerie (Changeux, 2002).
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[5]
Angus Campbell (1910-1980) fut d’abord un chercheur renommé dans le champ de la sociologie électorale. Il se tourne vers l’étude du bien-être dans les années 1970 et son étude, The Quality of American Life, avait pour objectif de donner des repères aux enquêtes suivantes.
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[6]
Voir Campbell, Converse, Rodgers, 1976, p. 35. Les analystes de l’Eurobaromètre, périodique publié à Bruxelles à partir de 1973 par la CEE puis par l’UE, dans lequel sont consignées, entre autres, les enquêtes commandées par l’Europe, parviennent au même constat : la corrélation entre les deux variables est très forte (par exemple, r = 0,87 en 1979) (Eurobaromètre, standard 18, 1982, p. 32).
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[7]
Dès 1984, la revue bibliographique de Diener relève dix-huit façons différentes de mesurer le bien-être par l’auto-évaluation (Diener, 1984).
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[8]
Psychosociologue américain né en 1906, qui a travaillé avec P. F. Lazarsfeld sur l’impact de la radio dans les années trente.
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[9]
Dans Psychological Abstracts International, qui recense chaque année les publications de psychologie et en fournit un rapide résumé (Psychological Abstracts, Washington, American psychological association, publié de 1927 à nos jours).
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[10]
Social Indicators Research, 1974- à nos jours, Dordrecht, Reidel.
-
[11]
Brickman, Coates, Janoff-Bulman, 1978 ; Diener, 1984, p. 560 : « subjective health shows a strong relationship to happiness, and that objective health has a weak, but still significant, relationship to SWB ».
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[12]
Né en 1926, cet économiste a été Professeur à l’université de Pennsylvanie avant de poursuivre sa carrière à l’université de Californie du Sud (USC).
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[13]
Comme en témoigne notamment Veenhoven et Hagerty, 2006.
-
[14]
Mill, 1988[1863], p. 41 : « le principe de l’utilité, ou comme Bentham l’a appelé en dernier lieu, le principe du plus grand bonheur ».
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[15]
Certains auteurs ont ainsi pu affirmer : « It may be that trying to be happier is as futile as trying to be taller and therefore is counterproductive » (Likken et Tellegen, cité par Hamer. Les deux auteurs se sont ensuite rétractés).
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[16]
Lewin, 1959. Cet ouvrage constitue la seule traduction d’articles divers de Lewin, qui est pourtant l’un des pères fondateurs de la psychologie sociale. Il est connu des chercheurs français dès la fin des années 1950 et surtout dans les deux décennies suivantes : en témoignent non seulement cette traduction, mais l’existence d’un ouvrage biographique sur son œuvre rédigé par Pierre Kaufmann (Kaufmann, 1968) et les nombreuses citations de ses travaux (notamment in Iribarne, 1972 ; Strumpel, 1974 ; Campbell, Converse, Rodgers, 1976).
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[17]
Pour une réfutation, parmi d’autres, de Maslow, voir Campbell, Converse, Rodgers, 1976, p. 80.
-
[18]
L’IDH est mis au point par les économistes Amartya Sen et Mahbub ul Haq. En 1990, le Programme des Nations Unis pour le Développement l’officialise. Il permet une appréciation du développement des nations plus fine que le PIB ou le PNB, mais il ne prend pas en compte de variable subjective.
-
[19]
London, Pinguin Press, 2005, 310 p.
-
[20]
OCDE, 2011. Voir le site internet : http://www.oecdbetterlifeindex.org
-
[21]
« Les rapports entre bien-être subjectif et bien-être objectif », in Iribarne, 1972, pp. 36-48.
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[22]
Sondages, juillet 1947.
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[23]
Les résultats de ces sondages sont publiés par la Commission des communautés européennes, Eurobaromètre, de 1974 - à nos jours. (Eurobaromètre n° 1, 1974). Les documents sont accessibles en ligne : http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/eb/eb1/eb1_fr.htm (sur la méthodologie, voir Bréchon, 1998).
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[24]
Les citations sont respectivement extraites des pages 213 (pour la cartographie), du chapitre 8 (pour les pôles du bonheur au travail, établis grâce à une analyse lexicométrique des réponses à une question ouverte : « Au travail, avez-vous l’impression de faire des choses qui vous plaisent et que vous ne pourriez pas faire ailleurs ? Si oui, lesquelles ? »), 189, 264, 72 (À la question : « Finalement, qu’est-ce qui l’emporte dans votre travail ? », 50?% choisissent l’option « les motifs de satisfaction », 44?% se réfugient prudemment dans la réponse « les motifs de satisfaction et d’insatisfaction s’équilibrent à peu près » et seuls 6?% osent « les motifs d’insatisfaction ») et 190.
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[25]
Par exemple, La Fabrique Spinoza-think tank du bonheur citoyen fondé en 2011 par Alexandre Jost. L’objectif de ce think-tank économique et politique, qui a pris la forme d’une association loi 1901, est de redonner au bonheur sa place au cœur de notre société. Pour ce faire, ses membres réfléchissent notamment à la question de la mesure du bonheur et à la mise en place d’indicateurs de substitution au PIB.
1Dans l’Angleterre de 1912 a lieu la première des mesures empiriques du bien-être. L’objet de cette étude réalisée conjointement dans une université et un collège anglais est de construire un cadre scientifique pour l’analyse de l’intelligence et de la personnalité. Elle n’est donc pas directement focalisée sur le bien-être, mais plusieurs points devaient évoquer le « hedonic level of affect ». L’étude porte sur deux échantillons non représentatifs d’élèves (N = 140, moyenne d’âge : 12 ans) et d’étudiants (N = 194, moyenne d’âge : 21 ans) et consiste, pour ce qui concerne le bien-être, en une évaluation sur une échelle de sept points, par les pairs pour les étudiants, par le class-master pour les élèves. C’est un observateur, extérieur mais impliqué dans le groupe examiné, qui note le niveau de bien-être des individus après six mois d’examen (Webb, 1915).
2Depuis cette étude initiale, les recherches sur le bien-être ont connu un développement considérable dans le monde anglo-saxon d’abord, puis en France : la consécration de la locution « subjective well-being » abrégée en SWB et traduites par « bien-être subjectif », les nombreuses bibliographies ainsi que l’apparition de la revue scientifique Journal of Happiness Studies indiquent l’institutionnalisation d’un nouveau domaine d’études [1]. C’est cette histoire de la création d’un champ de recherche que nous proposons de retracer ici [2]. De surcroît, il s’agit de mettre en évidence la circulation vers la France d’une méthodologie forgée par la sociologie anglo-saxonne et de souligner que son appropriation par les chercheurs français n’a été rendue possible que par un changement de paradigme : en France, le bien-être a longtemps été considéré comme un phénomène subjectif secondaire et le champ spécialisé ne s’est constitué qu’assez tardivement.
Un champ de recherche d’origine anglo-saxonne
3Plus de la moitié des enquêtes recensées par la World Database of Happiness sont réalisées aux États-Unis : la base est certes biaisée – elle recense plus facilement les publications en langue anglaise (Veenhoven, 1984a, p. 138) –, mais ce constat quantitatif est tel qu’il prouve le rôle moteur de ce pays dans la recherche sur le bien-être. Dès l’entre-deux-guerres, les méthodologies mises en œuvre par les enquêtes portent sur deux points et selon deux procédés distincts. Les premières études s’intéressent au « hedonic level of affect », définition affective du bien-être : « the degree to which affective experience is dominated by the pleasantness during a certain period » (Veenhoven, 1984a, p. 38). Dans ces études, le bien-être est considéré comme la tonalité émotionnelle du sujet, tel qu’il la vit immédiatement, en dehors de tout processus réflexif et cognitif. Son niveau est soit apprécié par un observateur extérieur, soit il fait l’objet d’une auto-évaluation par le sujet de l’étude. Puisqu’il représente un niveau d’affects positifs et correspond à un ressenti immédiat, il peut être évalué par un tiers sur la base d’indices verbaux ou non-verbaux (Veenhoven, 1984a, p. 62). Pourtant, les indices que pourra interpréter l’observateur ne sont pas, en eux-mêmes, des indicateurs intrinsèques ou unilatéraux : on peut sourire ou s’enthousiasmer faussement, etc. Dans ces circonstances, l’auto-évaluation subjective a souvent paru préférable aux chercheurs et Norman Bradburn, alors jeune chercheur associé au National Opinion Research Center (NORC) et à l’université de Chicago, a réalisé en 1961 l’étude fondatrice en la matière (Bradburn, Caplovitz, 1965 ; Bradburn, 1969).
4Le second type d’enquêtes porte sur le bien-être comme « contentment » ou « satisfaction », ainsi défini : « the degree to which an individual perceives his conscious aims to be achieved » (Veenhoven, 1984a, p. 38). Le bien-être est ici entendu comme un jugement réflexif que l’individu porte sur sa vie ; il implique un processus cognitif d’auto-évaluation par le sujet mettant en jeu à la fois ses aspirations, ses attentes, et son expérience, sa propre perception de ce qu’il a réalisé. Le résultat, nécessairement synthétique, résume la plus ou moins grande adéquation entre les représentations et les expériences. Parfois, surtout dans les premiers temps, ce type d’étude a été réalisé sur la base d’observation par un tiers [3]. Mais la fiabilité de tels examens extérieurs est très limitée : le comportement observable ne rend pas bien compte du bien-être ressenti par l’individu et, comme l’ont montré les test/retest, les conclusions des témoins ne sont pas stables (Irwin, Kammann, Dixon, 1979). Dès lors, il a été jugé préférable de solliciter directement les individus concernés. Aujourd’hui, l’affirmation de Ruut Veenhoven, fondateur de la World Database of Happiness et pionnier des études sur le bien-être – « Happiness can be assessed only by asking people about it. This is at least true for “overall happiness” and “contentment” » (Veenhoven, 1984a, p. 62) –, fait consensus. Cet accord est d’autant plus net que les chercheurs anglo-saxons se sont rapidement convaincus que les déclarations des sondés ne doivent pas être prises à la légère, même s’il existe des biais et des problèmes de sincérité des réponses, notamment celui lié au caractère désirable du bien-être, qui conduit les individus à se présenter comme plus heureux qu’ils ne le sont. Malgré ce biais dit de désirabilité sociale, l’auto-appréciation est la seule voie possible. De nos jours, avec l’imagerie à résonnance magnétique, certains chercheurs imaginent de nouvelles voies de mesure plus objectives, ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser certains problèmes éthiques [4]. Quels qu’ils soient, leurs projets ne sont pas encore aboutis.
5Puisque c’est cette subjectivité de l’appréciation qui pose problème, les chercheurs ont raffiné les procédures. Ils ont pointé l’importance de la terminologie employée dans les questions : l’emploi des termes « happiness » et « happy » ne conduit pas tout à fait aux mêmes résultats que celui de « satisfaction » ou « satisfied ». Angus Campbell, dans une étude devenue célèbre, explique la différence entre les deux termes :
« Level of satisfaction can be precisely defined as the perceived discrepancy between aspiration and achievement, ranging from the perception of fulfillment to that of deprivation. Satisfaction implies a judgmental or cognitive experience, while happiness suggest an experience of feeling or affect. »
7« Happiness » est de l’ordre de l’émotionnel et de l’affectif, si bien qu’il est plus sujet au changement d’humeur et constitue un indice moins fiable sur le long-terme (Campbell, Converse, Rodgers, 1976, p. 8) : c’est pourquoi les anglo-saxons utilisent de préférence le terme « satisfaction » et ses dérivés. Certaines populations peuvent ainsi se déclarer plus « satisfaites » et moins « heureuses », et inversement (Veenhoven, 1984a, p. 261 et p. 355). Toutefois, les deux termes évaluent bien la même réalité, comme le montrent les coefficients de corrélation entre les mesures de « satisfaction » et de « bonheur » : dans le monde anglo-saxon comme en France, la plupart des sondés qui se disent « satisfaits » ou « très satisfaits » se disent aussi « heureux » ou « très heureux », et inversement [6].
8De même, les chercheurs ont fait varier les libellés des questions – sur « votre vie en général » ou sur « ces jours-ci » –, ainsi que l’échelonnage des réponses qualitatives [7]. Parfois, ils proposent aux sondés une échelle imagée par une montagne en plusieurs étages, ou encore les font s’évaluer de manière chiffrée sur une échelle en 7 ou 11 points. Concernant ce dernier procédé, deux méthodes s’opposent. Pour les tenants de la première, à l’instar de Hadley Cantril qui l’invente lors d’une étude fondatrice publiée en 1965 [8], le chercheur propose au sondé de déterminer d’abord les bornes de l’échelle : le 10 correspond au meilleur que l’interviewé peut concevoir pour lui (« The best possible life » et on peut lui demander de le décrire) et le 0 au pire (« The worst possible life ») (Cantril, 1965, p. 22). Le sujet se place ensuite entre ces bornes, en fonction de son ressenti global sur l’étendue temporelle qu’on lui a proposée. C’est la technique de « l’échelle auto-centrée » (« self anchoring striving scale »). Dans la seconde méthode, les bornes ne dépendent pas de la pire ou de la meilleure vie que peut imaginer le sujet, mais du pire et du meilleur que peut vivre une autre personne :
« Suppose that a person who is entirely satisfied with his life would be at the top of the ladder, and a person who is extremely dissatisfied with his life would be at the bottom of the ladder. »
10Le sujet ne définit pas les bornes par rapport à lui-même, mais par rapport à quelqu’un d’autre. Cantril, dans l’étude citée, a utilisé les deux techniques : la note moyenne obtenue est de 6,6 pour l’échelle auto-centrée, de 7,6 pour la méthode portant sur la satisfaction dans l’absolu.
11Il convient de noter l’importante évolution des méthodes depuis 1912. Dans l’entre-deux-guerres, le centre de gravité des études se place sur la question du « hedonic level of affect ». Depuis la Seconde Guerre mondiale, la majorité des recherches porte sur la satisfaction réflexive, sur le bien-être comme jugement cognitif synthétique (Veenhoven, 1984a, p. 139). Le nombre d’enquêtes augmente. De là à conclure que le bien-être est devenu un objet central, il y a un pas : les prospections sur le subjective well-being restent le parent pauvre des enquêtes par sondages. Elles se sont toutefois intégrées au champ des études sociales sérieuses et ont conduit à la constitution d’un champ spécialisé dès le début des années 1960 dans le monde anglo-saxon, champ de recherches polarisé par divers courants et théories (Wilson, 1967 ; Diener, 1984) : la première revue bibliographique parait en 1967 et, dès 1973, le terme « happiness » est indexé au sein de revues internationales de psychologie [9]. De même, la revue Social Indicators Research présente de nombreux articles sur le SWB dès sa création en 1974 [10].
12Les recherches peuvent porter sur le bien-être des diverses catégories sociales à l’intérieur d’une nation, mais d’autres ambitionnent la réalisation d’une comparaison internationale du bien-être. L’une des premières études d’envergure internationale est ainsi réalisée par H. Cantril. Elle porte sur vingt pays différents et rassemble près de 20 000 interviews. Six ans – de 1957 à 1963 – ont été nécessaires pour récolter les données, ainsi que d’importants subsides du gouvernement américain. Les États-Unis sont le pays où les chercheurs ont recueilli le plus haut niveau de bien-être déclaré. Dans les pays riches, les sondés ont plus tendance à se déclarer heureux. Toutefois, certains pays ne correspondent pas au schéma général, et particulièrement Cuba, dont les scores sont sans commune mesure avec l’état économique. Ceci pose un problème à Cantril et révèle l’empreinte politique de cette enquête. En effet, le bien-être est aussi une arme idéologique au service des États-Unis dans le contexte de la guerre froide. Pour expliquer le niveau de bonheur à Cuba, Cantril rappelle la proximité de la révolution cubaine qui a fait naître des espoirs. Il pronostique une baisse conséquente du SWB à Cuba dans les prochaines années, résultant des espoirs déçus (Cantril, 1965, p. 193). Ceci le dédouane de toute trace de communisme, en ces temps de maccarthysme. De fait, sa conception du bien-être est largement ethnocentrée et repose sur les représentations américaines : valorisation de la liberté individuelle, de l’identité, de la sécurité (Cantril, 1965, pp. 318-321). À partir de cette enquête sur le bonheur, l’auteur prétend fonder en raison une ontologie justifiant l’idéologie américaine, ce qui est visible notamment dans cette assertion extraite des conclusions de l’ouvrage, à la tonalité moins scientifique que métaphysique : « les êtres humains sont des créatures d’espoir et ne sont pas programmés pour y renoncer » (Cantril, 1965, p. 317 : « Human beings are creatures of hope and are not genetically designed to resign themselves »).
13Par ailleurs, plusieurs chercheurs ont, dès l’origine, établi des corrélations statistiques significatives entre le SWB et certains paramètres sociaux : niveau de revenu (les plus riches se disent plus heureux), statut marital (les sondés en couple se disent plus heureux), lieu de résidence (les habitants des petites villes se disent plus heureux), religion ou étendue des relations sociales. Cependant, ils ne savent pas toujours dans quel sens joue la causalité : les heureux se mettent-ils plus facilement en couple ou le couple fabrique-t-il des heureux ? Il est difficile de trancher. Les études constatent l’absence de corrélation statistique significative entre SWB et genre, niveau d’éducation, intelligence (mesurée par le QI) ou le fait d’avoir des enfants. Sur la question de la santé, les conclusions divergent. Elles semblent indiquer que la santé n’est pas, contrairement au vœu de début d’année, « le plus important » [11]. In fine, ce qui frappe le plus les précurseurs des études sur le bien-être, c’est la faible part de la variance du SWB expliquée par les facteurs sociographiques ou biologiques classiquement distingués (Diener, 1984, p. 561).
14De fait, les chercheurs peinent à construire un savoir opératoire sur la vie heureuse et ses déterminants : les facteurs prédictifs mis en évidence ne permettent pas de pronostiquer avec fiabilité le SWB. Ce trait est particulièrement saillant à propos de la richesse et de la croissance. À ce sujet, les études réalisées à un instant t ont montré que le SWB est corrélé au niveau des revenus. Mais Richard Easterlin, qui mène une analyse longitudinale des différents sondages existant depuis la Seconde Guerre mondiale (Easterlin, 1974) [12], souligne que le score moyen de SWB n’augmente pas à mesure que le pays s’enrichit. Pour lui, la croissance économique ne conduit pas au bien-être : il dépend du contexte, du cadre de référence sociale (et donc de la richesse nationale à un instant t, plutôt que de la richesse absolue ou de la croissance des revenus sur une longue période). Ce « paradoxe d’Easterlin » déclenche une polémique internationale, qui se prolonge jusqu’à nos jours [13]. Pour Easterlin, qui nourrit l’argumentaire des partisans de la décroissance d’évidences empiriques, cette absence de corrélation entre la croissance et le bien-être provient du fait que l’essor économique conduit à accroître les aspirations des populations, qui s’adaptent et s’habituent à leurs standards : au fur et à mesure que certains désirs sont satisfaits, d’autres apparaissent.
15Depuis les années soixante-dix, l’économie du bien-être est un domaine de recherche extrêmement actif : la mesure du bien-être et de la satisfaction est perçue par beaucoup d’économistes comme une solution possible au problème crucial de la mesure empirique des préférences des acteurs. La centralité de l’utilité dans les conceptions de l’économie anglo-saxonne rend peut-être d’ailleurs compte du rôle moteur des chercheurs de cette zone : éponyme, dès le xixe siècle, du principal courant économique anglais, elle est presque un synonyme de bonheur [14]. Bien que J. S. Mill ait pu écrire qu’il préférait être un « Socrate insatisfait qu’un pourceau satisfait », il a dans le même ouvrage affirmé que « l’utilitarisme soutient au contraire que la seule chose désirable comme fin est le bonheur, c’est-à-dire le plaisir et l’absence de douleur » (Mill, 1988[1863], respectivement p. 54 et p. 48).
16Mais les économistes ont longtemps peiné à préciser comment se formaient et évoluaient les choix des acteurs : l’hypothèse néoclassique des « préférences révélées » les déduit des comportements individuels observés, en d’autres termes les agents seraient bien informés des conséquences de leurs actes sur leur ressenti et leurs actes viendraient optimiser leur utilité. Dans ce cadre, les chercheurs ne pouvaient progresser dans la compréhension de la fonction d’utilité des agents, puisque celle-ci était réputée maximisée par leurs préférences révélées : tenants d’un strict behaviorisme, ils ne pouvaient que constater les comportements. Le bien-être subjectif vient bouleverser ces conceptions, en introduisant la possibilité de mesurer a posteriori et sans le déduire du comportement observé, le sentiment des acteurs vis-à-vis de leur choix (Bruni, Porta, 2005 ; Frey, 2007 ; Davoine, 2012). Dès lors, il offre l’opportunité de pouvoir résoudre les équations d’utilité, puisque la variable dépendante (l’utilité ou le SWB) n’est plus une inconnue que l’on suppose maximisée, mais est désormais connue grâce aux déclarations des sondés. De surcroît, les détracteurs de la théorie néoclassique n’avaient pas manqué d’arguer que le modèle de l’homo economicus rationnel laisse de côté les erreurs, les hésitations et les atermoiements. La théorie microéconomique traditionnelle était fragilisée par cette critique. S’ouvrir à la prise en compte du bien-être déclaré revient à couper l’herbe sous le pied des critiques. Cet aggiornamento permet ainsi de garder la main. Avec les apports théoriques de la prise en compte du SWB, ce deuxième point, lié à l’évolution des rapports de force entre écoles économiques, explique l’activité des économistes dans la constitution du champ des études du bien-être.
17Avec cette critique des préférences révélées intervient plus spécifiquement la discipline sociologique dans les études du bien-être : notamment spécialistes des réflexions sur les finalités et les valeurs ou sur les effets non voulus des pratiques sociales, les sociologues lèguent leurs outils disciplinaires aux études du bien-être. Relevons toutefois qu’ils ont résisté à le prendre directement pour objet de leurs investigations (ils risquaient de passer pour des naïfs) et lui ont longtemps préféré des objets plus légitimes telle que l’aliénation, les inégalités ou la vulnérabilité (Bartram, 2012). Mais s’ils ne sont pas à l’origine de la promotion des études du bien-être, ils les rejoignent rapidement et viennent enrichir l’objet de leurs problématiques. Ils importent largement la thématique et les méthodes de l’économie et de la psychologie, mais les trois disciplines dialoguent et cette fertilisation croisée contribue au développement du champ de recherches sur le bien-être, objet fondamentalement transdisciplinaire (Argyle, Schwarz, Strack, 1994[1991]).
18D’autres disciplines, notamment les sciences du vivant, viennent rejoindre le mouvement et se sont également emparées du bien-être : certaines études suggèrent que le bonheur serait lié à l’hérédité. Partant de l’examen de populations spécifiques, tels que les accidentés de la route, les gagnants de la Loterie nationale ou les jumeaux, élevés ensemble ou séparément, plusieurs recherches tentent de démontrer que le bonheur d’un individu est déterminé par son patrimoine génétique (Hamer, 1996). [15]. Ainsi, les gagnants de la loterie et les accidentés paralysés auraient tendance à retrouver, quelque temps après l’événement, un niveau de SWB similaire à ce qu’il était auparavant. De même, les jumeaux homozygotes, élevés séparément et vivant dans des conditions objectives totalement différentes, déclareraient des niveaux de SWB comparables ; les jumeaux hétérozygotes élevés ensemble divergent de manière plus significative que les homozygotes élevés ensemble. Les méthodologies de ces études sont critiquables : faiblesse des échantillons, informations recueillies avant l’événement sujettes à caution, etc. Elles reflètent cependant l’embarras des chercheurs face au problème du SWB : butant sur l’écueil des corrélations statistiques entre le SWB et les paramètres sociaux, les chercheurs tendent à orienter leurs analyses vers d’autres territoires.
19Certains psychologues travaillent notamment sur la question des aspirations, des besoins humains et de l’adaptation. Kurt Lewin avait, dans l’entre-deux-guerres, formulé la théorie du « niveau d’aspiration », actuellement désignée par la métaphore du « tapis roulant des besoins » : les aspirations s’élèvent à mesure que les réalisations progressent ; un désir vient remplacer le besoin satisfait ; le nouvel objectif (le « niveau d’aspiration ») est fixé à partir des performances antérieures [16]. Dans ce cadre, le niveau de bien-être ne peut que modérément augmenter : il procède moins de la valeur absolue de l’accomplissement que de l’écart perçu entre l’aspiration – toujours mouvante et liée aux expériences passées – et la réalisation (Lewin, 1959, p. 190). La question des besoins est également traitée par Abraham Maslow, qui publie « A Theory of Human Motivation » en 1943, article dans lequel il développe une perspective différente de celle de Lewin (Maslow, 1943). L’auteur y asserte que les besoins humains se répartissent en cinq classes, ce qui a donné lieu à la représentation de sa théorie sous la forme de la « pyramide des besoins », qu’il n’avait cependant pas dessinée dans son ouvrage. La succession des besoins de l’individu est linéaire : pour ressentir un besoin d’un étage supérieur, il faut, selon Maslow, avoir comblé ceux de l’étage précédent. Cette pyramide connaît un grand succès public : elle offre une clé de compréhension vraisemblable, complexe mais lisible, in fine séduisante, à un ensemble d’expériences humaines quotidiennes. Or, les études empiriques la falsifient invariablement : certes, l’ensemble des besoins humains peuvent être ventilés dans les différentes classes de la typologie de Maslow. Mais en aucun cas, il n’y a de passage obligé par la satisfaction d’un type de besoins pour pouvoir en éprouver un autre [17]. De fait, le bien-être dépend plus d’une combinatoire variable de besoins satisfaits, que d’une routine linéaire de satisfactions successives. Cette combinaison à géométrie variable intègre des éléments culturels, des éléments contextuels – liés à l’histoire personnelle et collective –, des éléments plus facilement objectivables – liés à la réalité perçue. Les besoins ne procèdent pas d’une suite linéaire, pas plus que la manière dont nous évaluons notre bien-être.
20Formé à l’université du Michigan puis recruté à l’UCLA, Allen Parducci a, quant à lui, élaboré en 1968 sa théorie dite de « l’étendue-fréquence » (« range-frequency theory ») (Parducci, 1968). Pour lui, le bien-être provient bien de l’adéquation plus ou moins grande entre les réalisations et les aspirations. Mais les aspirations évoluent en fonction des réalisations : elles sont liées au contexte de perception. Celui-ci constitue la mémoire de l’individu, qui a une capacité limitée. Lorsqu’une nouvelle réalisation intervient, elle s’agrège au contexte de perception et évacue une autre réalisation (soit la plus ancienne des réalisations intégrées à cette mémoire, soit, si la plus ancienne est trop structurante, une autre moins forte). Le bien-être lié à un événement provient de son intensité relative, par rapport au contexte de perception. L’indéniable nouveauté de la théorie de Parducci ne masque cependant pas la sagesse bourgeoise qui l’étaie : sa valorisation des joies moyennes mais répétées et la critique explicite des plaisirs intenses mais rares ne sont pas sans rappeler la philosophie de la juste mesure, qui s’oppose aux jubilations intenses vantées par l’aristocratie. Mais décliner sa conception du bien-être derrière un appareil scientifique lui confère une force argumentative bien supérieure. De fait, les premiers savoirs empiriques construits sur le bien-être tombent bien souvent sous le coup de cette critique : leurs auteurs instrumentalisent la forme scientifique du propos pour asseoir leur conception du bonheur, qui s’avère souvent issue des thèmes traditionnels de la sagesse. La réforme n’est, souvent, que cosmétique.
21Dès les années 1970, l’un des objectifs des programmes de recherche sur le bien-être est de parvenir à le mesurer et de substituer l’indicateur du bien-être au PIB, largement critiqué. Mais la synthèse du « programme d’élaboration des indicateurs sociaux » de l’OCDE n’aboutit pas encore. La dissociation entre les enquêtes subjectives et objectives se perpétue : d’une part, les baromètres d’opinion sont maintenus ; d’autre part, les indices positifs sont affinés, mais cette amélioration ne découle que de la prise en compte de nouvelles variables objectives. L’Indice de développement humain (IDH), institué par l’ONU en 1990, est ainsi informé par les critiques à l’égard du PIB, mais il est construit uniquement à partir de l’espérance de vie, du taux de scolarisation ou d’alphabétisation et du PIB par habitant [18]. Dans une large mesure, il constitue une régression par rapport aux idéaux des chercheurs des années 1970, qui souhaitaient parvenir à une appréhension globale et synthétique des ressentis humains. Amartya Sen estime ainsi qu’il était utile de le substituer au PIB, mais que l’indicateur reste trop sommaire.
22Après une longue éclipse, le programme de construction d’indicateurs de mesure du bien-être social a été relancé ces dernières années. En Europe, plusieurs pays ont mené de vastes enquêtes afin de concevoir ce type d’indices : les travaux et la position institutionnelle de Richard Layard (professeur d’économie à la LSE, le conseiller de Tony Blair s’est également fait connaître du grand public grâce à Happiness. Lesson from a New Science [19]) permettent sans doute de comprendre le rôle moteur de la Grande-Bretagne, qui a lancé le mouvement, suivie, entre autres, par l’Italie. Dans le Royaume-Uni, un large débat public a eu lieu en 2010, afin de faire participer les citoyens à la définition du bien-être sociétal : il s’agissait d’éviter de le définir par le haut et d’y inclure un grand nombre de paramètres, non seulement économiques, mais aussi écologiques, relationnels ou psychologiques, à la fois objectifs et subjectifs. Ce débat national a conduit l’Office national des statistiques anglais (ONS) à établir des statistiques sur le bien-être, afin d’offrir une nouvelle boussole aux décideurs politiques et économiques.
23L’OCDE a, elle aussi, relancé les programme de recherche sur le SWB et le projet Better Life Index constitue la base de données la plus avancée dans le domaine du bien-être social [20]. Onze dimensions importantes de la vie ont été retenues, à la fois économiques, écologiques, sociales et relationnelles. Chacune est construite de l’agrégat de plusieurs paramètres objectifs (par exemple, surface des logements) et subjectifs (jugements sur son logement). Facilement accessible, cette base de données offre une vision synthétique des diverses dimensions et, en outre, permet de récolter des informations précises sur chacune d’entre elles. De surcroît, le chercheur ou le citoyen peut pondérer lui-même les diverses dimensions et construire, de ce fait, son propre indicateur synthétique de bien-être, en fonction de ses propres représentations du bonheur : l’outil statistique n’est pas monolithique mais s’adapte à chacun. Mieux encore, les usages de l’outil sont eux-mêmes collectés par l’OCDE et servent à enrichir la conception et la mesure du bien-être social : d’une part, les utilisateurs sont invités à enrichir la base de données en donnant leur avis sur le bien-être et leur idée pour avoir une vie meilleure ; d’autre part, l’OCDE conserve, anonymement, les pondérations des utilisateurs, qu’elles relient à quelques paramètres personnels déclarés par l’usager. Demain, cette base de données participative offrira certainement de nouvelles perspectives aux chercheurs et aux décideurs.
En France : constitution tardive d’un champ de recherches
24À son retour des États-Unis en 1946, Claude Lévi-Strauss écrit un article intitulé : « La technique du bonheur aux États-Unis » (Levi-Strauss, 1946). Il s’y montre partagé à l’égard du bien-être : il est désirable et pacifie les rapports sociaux, mais il prive l’individu de son autonomie morale (parce que la société américaine contraint l’individu au bonheur) et il s’oppose au légitime souci de la vérité. Les réserves de Lévi-Strauss rappelle qu’en France, le sacre du bonheur est tardif : les élites, qui refusent de s’aligner sur l’American way of life (Roger, 2002), lui préfèrent longtemps d’autres idéaux régulateurs et la conversion au bien-être n’a lieu qu’au cours des années 1960 et 1970 (Pawin, 2013). Ce caractère assez secondaire du bien-être est l’un des éléments qui permet de rendre compte de l’intervalle chronologique entre les études anglo-saxonnes et françaises : moins légitimes, le bien-être n’a été que plus tardivement constitué en objet de recherches.
25L’autre élément explicatif de ce décalage tient à l’orientation que prennent les sociologues français après-guerre : la sociologie française est alors traversée par deux courants. Pour les tenants de la tradition sociologique française et de l’héritage durkheimien, majoritaires et souvent marxistes, le bien-être, sentiment subjectif ou superstructure culturelle déterminée par les conditions objectives, est sujet à caution. Toutefois, ces sociologues reconnaissent, dès les années 1940, que les sentiments subjectifs peuvent devenir des vérités objectives : même Georges Gurvitch, sociologue incontournable de l’école française de sociologie d’après-guerre, n’échappe pas, dans un premier temps, à l’influence des méthodologies empiristes ; de retour des États-Unis et dans sa « période œcuménique » (Marcel, 2001), il fait l’exégèse des travaux de l’école de Chicago, dont plusieurs trouvent grâce à ses yeux. S’il est soucieux de perpétuer l’héritage durkheimien, il subit néanmoins l’influence du magistère américain sur les travaux sociologiques. De même, Friedmann a pris connaissance des travaux d’Elton Mayo, dont il fait l’éloge dans Les Problèmes humains du machinisme industriel (Friedmann, 1946, pp. 301-322). Dès lors, la sociologie objectiviste française inclut en réalité dans ses méthodes des éléments de saisie de vérités subjectives et l’opposition, classique, des deux courants est certainement trop schématique. Les travaux de l’étudiant Alain Touraine permettent de le souligner : dans L’Évolution du travail ouvrier aux usines Renault, il observe, sous la direction de Friedmann, les conditions du travail, mais double son observation d’entretiens avec les ouvriers (Touraine, 1955).
26Ainsi, malgré des clivages internes marqués, la sociologie française postérieure à la Seconde Guerre mondiale est fortement influencée par les travaux réalisés outre-Atlantique. Désormais, toute étude doit mettre en place une enquête empirique, qui produit les données à analyser et inclut dans ses questions des points ayant trait à la subjectivité des acteurs. L’ouvrage de Paul-Henry Chombart de Lauwe, La Vie quotidienne des familles ouvrières, est particulièrement révélateur de ce changement de paradigme, qui ouvre les voies de la recherche dans le domaine du bonheur. L’introduction de son ouvrage signale cette évolution :
Chaque famille a été étudiée à la fois au point de vue des conditions de vie, et au point de vue des opinions exprimées sur ces conditions. Nous avons voulu réaliser deux enquêtes de type très différent, et jusqu’ici presque toujours séparées : l’une sur les conditions matérielles de vie, l’autre sur les opinions et les attitudes. La première reste très incomplète sans la seconde. La seconde effectuée sans la première ne permet pas certains contrôles indispensables. Les relations entre les conditions de vie et les réactions psychologiques sont un des objets essentiels de notre recherche.
28Cette explicitation des présupposés de son travail signale à la fois l’objectivisme persistant, et l’évolution à l’œuvre, qui conduit à l’évocation de la subjectivité des acteurs. Dans un article de 1964, Chombart théorise la nécessité de prendre en compte le rôle des « aspirations » des acteurs pour comprendre l’évolution sociale et y affirme que « les aspirations sont le moteur des révolutions » (Chombart de Lauwe, 1964, p. 181).
29De cette évolution découle l’intérêt explicite des études sociologiques pour le thème du bien-être ressenti par les individus. La question de la satisfaction intervient d’abord au sein des sous-champs de la sociologie, qui ont chacun leur territoire propre : la sociologie du travail, la sociologie de la culture, la sociologie des loisirs. Dans chacune des enquêtes relatives à chaque domaine, les ressentis sont testés. Mais les premières réponses à ces enquêtes induisent un doute sur la fiabilité des données récoltées, et amènent une première controverse sur ces sondages de bien-être subjectif. C’est ainsi que Chombart de Lauwe commente le résultat d’un sondage sur la satisfaction du logement – 55 % des sondés se plaisant dans leur « intérieur » : « le nombre de ménages qui déclarent que leur logement leur plait est très supérieur à celui des ménages qui sont, en fait, convenablement logés » (Chombart de Lauwe, 1956, p. 87). Perplexe face au résultat obtenu, il hésite entre le point de vue surplombant du chercheur, qui définit une norme de bien-être objectif – le logement « convenable » –, et la compréhension interne du résultat par rapport aux aspirations du sondé. Finalement, il explique que « la satisfaction s’exprime surtout par l’effort ayant abouti à une création personnelle » et qu’elle est liée à « une résignation » (Chombart de Lauwe, 1956, p. 88).
30Dans les années 1970 encore, plusieurs chercheurs veulent éviter d’avoir recours aux questions subjectives et préfèrent établir des indices objectifs de bien-être, forcément normatifs. Le programme de recherche pour la création d’indicateurs sociaux sous l’égide de l’OCDE (Strumpel, 1974 ; OCDE, 1976), révèle cette permanence de l’objectivisme, alors même que les questions sur le bien-être subjectif sont désormais institutionnalisées dans de nombreux pays. Les ingénieurs sociaux français, plus que les autres, hésitent à valider les indicateurs subjectifs : dans la synthèse des travaux de l’OCDE de 1974, Philippe d’Iribarne, sociologue français né en 1937 et directeur du Centre de recherche sur le bien-être créé en 1972, refuse largement la prise en compte du bien-être subjectif [21]. Parmi le groupe de prestigieux intellectuels internationaux, il est le seul à s’opposer ouvertement à la mesure subjective du bien-être et lui préfère la constitution d’indicateurs objectifs nouveaux et plus complexes (Iribarne, 1972, respectivement p. 36 et p. 45). Sa position révèle le tropisme objectiviste de nombreux chercheurs français, que subit aussi l’économiste Pierre Kende. Pour ce dernier :
« seules les conditions de vie matérielles de la population, ou d’un fragment de cette population, peuvent faire l’objet d’une comptabilité. Les prix du marché offrent à cette dernière un instrument de mesure […] en revanche, la « qualité de la vie » ne se prête pas à la quantification par rapport à une échelle unique des valeurs »
32Il y a donc une réticence à appréhender la réalité sociale à travers les perceptions subjectives des acteurs.
33Dès les années 1970 cependant, la légitimité des travaux sur bien-être subjectif s’accroît et de vastes enquêtes attentives aux processus de subjectivation sont lancées. Les conceptions du groupe minoritaire de la sociologie d’après-guerre sont progressivement parvenues à convaincre un grand nombre de chercheurs du bien-fondé de leur approche et du caractère opératoire des études sur les opinions subjectives. L’exemple de Jean Stoetzel est bien connu, mais significatif : le fondateur et directeur de l’IFOP importe les techniques de Georges Gallup (questionnaire quantitatif, échantillon représentatif de la population étudiée, travail statistique sur les corrélations, etc.) (Blondiaux, 1998) et l’une de ses ambitions est d’objectiver les processus subjectifs, les opinions ou les sentiments, parmi lesquels le bien-être.
34Pour Stoetzel, les sondages sur le bien-être constituaient dans un premier temps une vitrine dans le but d’affermir la fragile position des enquêtes d’opinion en France. Lors d’un congrès de la WAPOR (World Association for Public Opinion Research, association internationale regroupant divers instituts de mesure d’opinion dont l’IFOP) tenu à Loxwood en mai 1947, un programme d’évaluation régulière du bien-être des populations est mis en place [22]. Il est rapidement abandonné en France, signe que l’objet n’est pas encore suffisamment légitime : ce champ de recherche importé des États-Unis n’est pas mis en culture dans l’immédiat après-guerre, et seul trois sondages de SWB ont été réalisés entre 1946 et 1948. Dans les années 1950 et 1960, le bonheur ne fait pas non plus l’objet d’enquêtes régulières : seul le magazine Réalités en lance une en 1955. Réalisée par l’IFOP sous la forme de questionnaire auto-administré, elle fournit le seul sondage de SWB des années 1950. Pour les rédacteurs de Réalités, qui souhaitent créer un Life français, le bonheur fournit un sujet attractif et vendeur, inédit et original, bien adapté aux fêtes de fin d’année : plutôt que de la science, c’est du divertissement cautionné par les autorités morales qui est offert aux lecteurs. En 1967, la COFREMCA (Compagnie Française d’Études de Marché) réalise, à son tour, un sondage sur le bien-être, selon la méthode Cantril de l’échelle auto-centrée à vingt paliers (de 0 à 20). Mais cette recherche est également isolée.
35Dans les années 1970, le bonheur a gagné une nouvelle légitimité : les magazines grand public commandent des études et des enquêtes sur le bien-être des Français et plusieurs sondages sont réalisés. Surtout, la Commission européenne est désormais acquise aux mesures de l’opinion. Elle souhaite connaître le sentiment des citoyens européens et lance le premier baromètre de satisfaction en 1973. En France, l’IFOP est chargé de mener à bien le projet. À partir de septembre 1973, des sondages réguliers sont réalisés ; ils fournissent une série homogène de données comparables. En 1975, le second sondage de la Commission européenne est réalisé. À partir de 1976 et jusqu’à nos jours, des échantillons représentatifs des diverses populations nationales sont interrogés deux fois par an [23]. Si les résultats sont souvent médiatisés, l’objectif princeps du baromètre n’est plus de divertir les lecteurs, mais de fournir aux décideurs des informations fiables sur le bien-être des populations, sur les variables qui l’influencent et sur les modalités par lesquelles il se construit. En trente ans, le statut de l’objet a donc considérablement évolué : le champ de recherche sur le bien-être subjectif est né en France et a, depuis, pris son essor. Désormais, tout un secteur institutionnel de la sociologie française mène de vastes enquêtes et tente de préciser les mesures du bien-être.
36Les travaux sociologiques sont moins nombreux que ceux du courant dit Happiness Economics, mais certains méritent toutefois d’être mentionnés comme des jalons importants de cette histoire des études sur le bien-être. À la fin du xxe siècle, l’étude d’envergure conduite par l’équipe réunie par Christian Baudelot et Michel Gollac (Baudelot, Gollac, 2003) offre un éclairage plus précis sur le bien-être au travail [24]. Elle souligne l’importance de l’être, de l’avoir, et du faire dans la sphère professionnelle ; elle construit, par la mise en œuvre d’une analyse factorielle, une carte de « l’espace des rapports subjectifs au travail » qui met en évidence une troisième posture entre le « bonheur » et le « malheur » au travail : « le retrait », c’est-à-dire le désinvestissement de certains, qui développent cette stratégie pour éviter la souffrance. Par rapport aux quatre pôles du bonheur au travail (« avoir des contacts », « servir, aider », « faire, créer » et « voyager, s’enrichir personnellement »), les sondés mentionnent plus fréquemment le relationnel, suivi par le service, puis la création. Les femmes évoquent plus souvent le contact et l’aide ; les hommes le faire et les voyages ; les métiers intellectuels le relationnel et l’enrichissement ; les catégories intermédiaires et les employés le service ; les sans diplôme, les moins diplômés et les professions manuelles le faire. Enfin, les catégories ouvrières et employées sont les moins positives. Toutefois et pour tous, déclarer que « dans son travail, les motifs d’insatisfaction l’emportent finalement » est devenu une attitude ultra-minoritaire presque impossible à tenir. Les réponses permettent donc aux sondés de sauver la face et révèle la force du biais de désirabilité sociale, mais il n’en reste pas moins que les actifs résistent massivement à évoquer le bonheur au travail : « Pour 62 % d’entre eux, le travail n’apporte aucun plaisir qu’ils ne pourraient se procurer ailleurs ». Pour mieux préciser les avancées en France des études sur le bien-être, on devrait sans doute aussi mentionner les études de Jean-François Tchernia sur « Le moral des Français » ou leur « humeur », ainsi que celle de Gianluca Manzo sur les relations entre « Satisfaction personnelle, comparaisons et sentiments de justice » (Pina, 2000 ; Tchernia, 2003 ; Manzo, 2011). Ce dernier intègre notamment l’apport des études de l’économie du bien-être sur l’importance de la comparaison sociale dans la formation du sentiment de satisfaction : il souligne que le revenu possède à la fois un effet objectif (il offre l’accès à des biens et services plus nombreux et de meilleur qualité), mais aussi un effet subjectif – un meilleur revenu diminue le sentiment d’être discriminé.
37De nos jours en France, le processus de construction d’indicateurs synthétiques du bien-être semble également se dessiner. Nicolas Sarkozy a constitué la commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social pilotée par Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, et leur rapport, bien connu des spécialistes du bien-être, a été largement médiatisé. À nouveau, ils ont souligné les limites du PIB et la nécessité de créer des outils statistiques permettant la mesure de dimensions non économiques de la vie, ils ont montré l’importance du bien-être soutenable, ils ont préconisé la constitution d’indices synthétiques plus complexes, qui intègrent des appréciations subjectives du bien-être (Stiglitz, Sen, Fitoussi, 2009). Les indicateurs statistiques ne sont pas encore aussi étoffés qu’en Angleterre et l’INSEE est loin de présenter des mesures aussi riches en ce domaine que l’ONS anglais. Mais le processus est en cours, avec quelques années de décalage, et il est également porté par des groupes de citoyens et d’experts [25].
Conclusion
38C’est, finalement, l’invention d’un champ de recherches international que nous avons retracée, en localisant la création de celui-ci dans le monde anglo-saxon et la circulation des méthodes et pratiques vers la France. Les travaux internationaux et français ont produit un savoir empirique à visée scientifique : à partir d’études cliniques ou sociales, les savants construisent des corrélations statistiques significatives, vérifient ou infirment des intuitions, élaborent des théories falsifiables. C’est un progrès notable par rapport aux sagesses ancestrales. Toutefois, l’absence de modèle prédictif fiable du bien-être interdit encore aux scientifiques de s’immiscer en experts crédibles dans les politiques publiques : malgré la constitution d’un nouveau champ de recherche et la reconnaissance de l’importance du regard porté et des processus subjectifs, les hommes du second xxe siècle et d’aujourd’hui, tout comme les politiques qui les gouvernent, n’ont pas à leur disposition de recette infaillible du bien-être. La science du bien-être mérite donc encore de nouveaux développements.
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Mots-clés éditeurs : États-Unis, bien-être, histoire de la sociologie, bien-être subjectif, XXe siècle, circulation, France
Date de mise en ligne : 12/11/2014
https://doi.org/10.3917/anso.142.0273Notes
-
[1]
Diener, 1984. Depuis 2000 paraît le Journal of Happiness Studies.
-
[2]
Pour ce faire, les travaux publiés de Ruut Veenhoven (Veenhoven, 1984a ; 1984b), ainsi que la base de données en ligne (http://worlddatabaseofhappiness.eur.nl/) fournissent une masse d’informations considérables. En outre, mes travaux réalisés dans le cadre d’une thèse de doctorat (Pawin, 2010) m’ont permis de retracer les linéaments d’une histoire intellectuelle du bien-être.
-
[3]
Par exemple : Hartman, 1934.
-
[4]
Les travaux de sciences cognitives se sont penchés sur le bien-être et le plaisir et certains ont envisagé d’utiliser les dernières techniques d’imagerie (Changeux, 2002).
-
[5]
Angus Campbell (1910-1980) fut d’abord un chercheur renommé dans le champ de la sociologie électorale. Il se tourne vers l’étude du bien-être dans les années 1970 et son étude, The Quality of American Life, avait pour objectif de donner des repères aux enquêtes suivantes.
-
[6]
Voir Campbell, Converse, Rodgers, 1976, p. 35. Les analystes de l’Eurobaromètre, périodique publié à Bruxelles à partir de 1973 par la CEE puis par l’UE, dans lequel sont consignées, entre autres, les enquêtes commandées par l’Europe, parviennent au même constat : la corrélation entre les deux variables est très forte (par exemple, r = 0,87 en 1979) (Eurobaromètre, standard 18, 1982, p. 32).
-
[7]
Dès 1984, la revue bibliographique de Diener relève dix-huit façons différentes de mesurer le bien-être par l’auto-évaluation (Diener, 1984).
-
[8]
Psychosociologue américain né en 1906, qui a travaillé avec P. F. Lazarsfeld sur l’impact de la radio dans les années trente.
-
[9]
Dans Psychological Abstracts International, qui recense chaque année les publications de psychologie et en fournit un rapide résumé (Psychological Abstracts, Washington, American psychological association, publié de 1927 à nos jours).
-
[10]
Social Indicators Research, 1974- à nos jours, Dordrecht, Reidel.
-
[11]
Brickman, Coates, Janoff-Bulman, 1978 ; Diener, 1984, p. 560 : « subjective health shows a strong relationship to happiness, and that objective health has a weak, but still significant, relationship to SWB ».
-
[12]
Né en 1926, cet économiste a été Professeur à l’université de Pennsylvanie avant de poursuivre sa carrière à l’université de Californie du Sud (USC).
-
[13]
Comme en témoigne notamment Veenhoven et Hagerty, 2006.
-
[14]
Mill, 1988[1863], p. 41 : « le principe de l’utilité, ou comme Bentham l’a appelé en dernier lieu, le principe du plus grand bonheur ».
-
[15]
Certains auteurs ont ainsi pu affirmer : « It may be that trying to be happier is as futile as trying to be taller and therefore is counterproductive » (Likken et Tellegen, cité par Hamer. Les deux auteurs se sont ensuite rétractés).
-
[16]
Lewin, 1959. Cet ouvrage constitue la seule traduction d’articles divers de Lewin, qui est pourtant l’un des pères fondateurs de la psychologie sociale. Il est connu des chercheurs français dès la fin des années 1950 et surtout dans les deux décennies suivantes : en témoignent non seulement cette traduction, mais l’existence d’un ouvrage biographique sur son œuvre rédigé par Pierre Kaufmann (Kaufmann, 1968) et les nombreuses citations de ses travaux (notamment in Iribarne, 1972 ; Strumpel, 1974 ; Campbell, Converse, Rodgers, 1976).
-
[17]
Pour une réfutation, parmi d’autres, de Maslow, voir Campbell, Converse, Rodgers, 1976, p. 80.
-
[18]
L’IDH est mis au point par les économistes Amartya Sen et Mahbub ul Haq. En 1990, le Programme des Nations Unis pour le Développement l’officialise. Il permet une appréciation du développement des nations plus fine que le PIB ou le PNB, mais il ne prend pas en compte de variable subjective.
-
[19]
London, Pinguin Press, 2005, 310 p.
-
[20]
OCDE, 2011. Voir le site internet : http://www.oecdbetterlifeindex.org
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[21]
« Les rapports entre bien-être subjectif et bien-être objectif », in Iribarne, 1972, pp. 36-48.
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[22]
Sondages, juillet 1947.
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[23]
Les résultats de ces sondages sont publiés par la Commission des communautés européennes, Eurobaromètre, de 1974 - à nos jours. (Eurobaromètre n° 1, 1974). Les documents sont accessibles en ligne : http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/eb/eb1/eb1_fr.htm (sur la méthodologie, voir Bréchon, 1998).
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[24]
Les citations sont respectivement extraites des pages 213 (pour la cartographie), du chapitre 8 (pour les pôles du bonheur au travail, établis grâce à une analyse lexicométrique des réponses à une question ouverte : « Au travail, avez-vous l’impression de faire des choses qui vous plaisent et que vous ne pourriez pas faire ailleurs ? Si oui, lesquelles ? »), 189, 264, 72 (À la question : « Finalement, qu’est-ce qui l’emporte dans votre travail ? », 50?% choisissent l’option « les motifs de satisfaction », 44?% se réfugient prudemment dans la réponse « les motifs de satisfaction et d’insatisfaction s’équilibrent à peu près » et seuls 6?% osent « les motifs d’insatisfaction ») et 190.
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[25]
Par exemple, La Fabrique Spinoza-think tank du bonheur citoyen fondé en 2011 par Alexandre Jost. L’objectif de ce think-tank économique et politique, qui a pris la forme d’une association loi 1901, est de redonner au bonheur sa place au cœur de notre société. Pour ce faire, ses membres réfléchissent notamment à la question de la mesure du bonheur et à la mise en place d’indicateurs de substitution au PIB.