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Article de revue

La sociologie wébérienne de la domination revisitée. À propos d'un ouvrage de Stefan Breuer

Pages 171 à 190

Notes

  • [*]
    Stefan BREUER. – « Herrschaft » in der Soziologie Max Webers, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2011, 277 p.
  • [1]
    Sur cet ouvrage, Max Webers Herrschaftssoziologie , le lecteur francophone pourra se reporter à la riche note critique que lui a consacrée Hubert Treiber (2005).
  • [2]
    À ce premier noyau il faut adjoindre l’article posthume « Die drei reinen Typen der legitimen Herrschaft » (MWG, i/22-4, pp. 726-742), le compte rendu dans la presse de la conférence tenue à Vienne en 1917 sur les « Problèmes de la sociologie de l’État » (MWG, i/22-4, pp. 752-756) et les notes de cours sur les conférences de 1920 ayant pour objet « la sociologie de l’État » (MWG, iii/7).
  • [3]
    Préparé pour le Handwörterbuch der Staatswissenschaften, ce texte, qui avait le format habituel d’un article dans sa version initiale (1898), a atteint les dimensions d’un ouvrage dans sa troisième et dernière version (Weber, 1909). Cette ultime version a fait l’objet d’une traduction française (Weber, 1998) dont nous aurons l’occasion de reparler.
  • [4]
    Cette “Introduction” a en effet été publiée pour la première fois dans la revue Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik en 1915. Elle a été traduite par J. P. Grossein pour le recueil de textes de Weber, Sociologie des religions (Weber, 1996, pp. 331-378). La présentation des types de domination légitime se trouve à la fin du texte (pp. 370-376).
  • [5]
    Un Index des matières aurait également été le bienvenu. Il faut saluer en revanche la richesse exceptionnelle de la bibliographie. Signalons seulement une correction à prévoir pour une autre édition : le volume i/21 de la MWG, consacré au judaïsme antique, n’y figure pas.
  • [6]
    Il est regrettable que la traduction de cette proposition soit particulièrement confuse dans Économie et société (Weber, 1971, p 238).
  • [7]
    Breuer traite de ce problème dans la première section du chapitre v intitulée « Der Feudalismus und seine Formen : Umdispositionen in Webers Herrschaftssoziologie ».
  • [8]
    Ainsi Breuer considère que Weber n’exploite pas certaines pistes antérieurement esquissées dans ses dernières analyses du féodalisme. Mais ces réserves portent essentiellement sur le « féodalisme de fief » dont nous parlerons plus loin.
  • [9]
    Cette objection est formulée dans Religion und Lebensführung (Schluchter, 1988, vol. 2, p. 549). Nous avons ainsi l’occasion d’attirer l’attention sur un ouvrage particulièrement important pour la compréhension de Weber.
  • [10]
    Weber emploie cette expression dans un célèbre passage de « Parlement et gouvernement dans l’Allemagne réorganisée », (Weber, 2004, p. 336). Sur ce thème de la machine dans l’œuvre de Weber on consultera le chapitre vi « Der Staat als Maschine » de l’ouvrage fondamental d’Andreas Anter, Max Webers Theorie des modernen Staates (Anter, 1995), ainsi que son article « Verwaltung und Verwaltungsmetaphorik. Der lange Weg der Maschine » (Anter, 2009).
  • [11]
    Ce volume paru en 1998 comporte aussi la traduction d’une communication antérieure (1896) de Weber, « Les causes sociales du déclin de la civilisation antique ». Il s’ouvre sur une longue et éclairante introduction d’Hinnerk Bruhns. La traduction du premier texte est due à J. Baechler, celle des Agraverhältnisse à C. Colliot-Thélène et F. Laroche ; l’une et l’autre ont été révisées par H. Bruhns.
  • [12]
    Ce texte essentiel, « Puissance et domination. Formes de transition », a été traduit par J.P. Grossein pour le numéro spécial de la Revue française de sociologie consacré à Max Weber (Weber, 2005).
  • [13]
    En particulier l’idée d’une non-reproduction de la population d’esclaves tout comme la liaison établie entre la fin des guerres de conquête et la diminution du nombre d’esclaves, alors que le second phénomène est beaucoup plus tardif, ont été fortement contestées.
  • [14]
    Ainsi s’explique que le livre de 2011 comporte un chapitre de plus.
  • [15]
    Ce qui se donne à voir, à travers ce regroupement de caractéristiques, ce n’est ni un ‘ mode de production’ ni sans doute un type de société mais un ensemble de relations. Breuer note que, dans son ultime formulation, Weber est proche de la conception défendue par François-Louis Ganshof (1987). Peut-être faut-il ajouter que Weber et le médiéviste belge, qui fut également un historien du droit, partagent une même ‘sensibilité’ juridique.
  • [16]
    Nous avons quelque peu simplifié la formulation de Weber, pour lequel « le nom d’État au sens moderne du terme est encore moins applicable à [un tel enchevêtrement de droits] qu’à des formations politiques purement patrimoniales ».
  • [17]
    Pour illustrer le « rejet du pouvoir patrimonial » Weber cite « les cinq grandes révolutions, décisives pour le destin de l’Occident », à savoir la révolution italienne (xiie et xiiie siècles), la révolution néerlandaise (xvie siècle), la révolution anglaise (xviie siècle), les révolutions américaine et française (xviiie siècle).
  • [18]
    Illégitimité/légitimité, autonomie et rationalisation constituent en tout cas les catégories fondamentales à partir desquelles Weber pense la ville médiévale. Pour une analyse plus poussée de sa conception de la ville et de la double perspective comparative qui l’accompagne ? dans le temps et dans l’espace ?, on se reportera au panorama dressé par P. Monnet dans sa recension de l’ouvrage dirigé par H. Bruhns et W. Nippel, Max Weber und die Stadt im Kulturvergleich (Monnet, 2005).
  • [19]
    L’article de Kroll, « Max Webers Idealtypus der charismatischen Herrschaft und die zeitgenössische Charisma-Debatte », met l’accent sur l’influence de R. Sohm (Kroll, 2001). Riesebrodt insiste, pour sa part, sur le rôle qu’auraient joué des théories ethnologiques (notamment celle de Marett) pour la conception du ‘charisme magique’ dans son texte « Charisma » (Riesebrodt, 2001).
  • [20]
    C’est dans la conférence sur La vocation d’homme politique (traduction française de J. Freund [Weber, 1959], de C. Colliot-Thélène [Weber, 2003b]) que Weber se réfère au dévouement « charismatique » de la machine à la personne de Gladstone. Weber fait ressortir le caractère charismatique de la ‘démocratie plébiscitaire’ dans Économie et société (1971, p. 276).
  • [21]
    Cette section est en effet intitulée « Der Patrimonialstaat im Orient II : Der patrimoniale Zyklus ».
  • [22]
    in « Les causes sociales du déclin de la civilisation antique » [1896] (in Weber, 1998, p. 82).
  • [23]
    Ou tout au moins à des aspects déterminés de certaines civilisations, comme lorsque Weber se réfère au « cycle des villes italiennes » (MWG, i/22-5, p. 232).
  • [24]
    Il convient cependant de noter que, dans le livre de 2011, Breuer ne procède plus à une exposition des trois cycles distingués par cette théorie, à savoir le cycle tribal, le cycle archaïque et le cycle patrimonial, comme il l’avait fait dans l’ouvrage de 1991. Pour en savoir davantage sur cette théorie, on se reportera au long texte de J. Friedman et M. J. Rowlands (1977), ainsi qu’à celui de J. Friedman (1998).
  • [25]
    Le commentaire relatif à L’Ethique protestante et aux textes apparentés nous paraît cependant bien ‘abrupt’ et ne rend pas suffisamment compte de la complexité de l’argumentation développée par Weber, quelles qu’en puissent être les faiblesses.
English version

1La publication de ce dernier livre de Stefan Breuer arrive à point nommé. Le temps paraît en effet venu de dresser un tableau synthétique de l’apport essentiel de Weber sur le concept et le thème de la domination. Des outils adéquats peuvent désormais aider à cette tâche : on dispose depuis 2005, dans le cadre de la Max Weber Gesamtausgabe, de l’édition critique de la première et ancienne version de la sociologie de la domination (MWG, i/22-4), elle-même annoncée par un volume paru en 2001, sous la direction d’Edith Hanke et Wolfgang J. Mommsen, et destiné à éclairer la place de l’étude de la « domination » dans l’œuvre de Weber (Hanke, Mommsen, 2001) [1]. Enfin, sur un plan plus général, l’ensemble des textes posthumes figurant dans Wirtschaft und Gesellschaft est dorénavant accessible dans une édition savante depuis la parution en 2010 du tome relatif au droit (MWG, i/22-3).

2Parmi les spécialistes reconnus de Weber, Breuer était particulièrement qualifié pour une telle entreprise. Son premier livre sur le sujet, publié il y a vingt ans, Max Webers Herrschaftssoziologie (Breuer, 1991) avait été lui-même préparé par différents articles, concernant notamment les analyses wébériennes de l’Antiquité et du féodalisme occidental. Ses recherches ont été approfondies dans le substantiel Bürokratie und Charisma. Zur politischen Soziologie Max Webers (Breuer, 1994) et poursuivies, d’une manière sans doute plus indirecte, avec ses différents travaux sur l’État.

3Le présent ouvrage constitue donc à maints égards un aboutissement et c’est sans doute la raison pour laquelle Breuer le présente avec modestie comme une simple « seconde version » de celui de 1991. En fait, il s’agit bel et bien d’un nouveau livre. Certes la construction générale reste la même : après un chapitre d’introduction, Breuer traite successivement de la domination charismatique (du charisme en 1991), de la domination traditionnelle, des modes de domination qui ont caractérisé l’Antiquité puis le Moyen Âge en Occident et enfin de la domination légale (appelée rationnelle dans le texte de 1991) ; et certains développements sont largement repris. Mais « l’esprit » qui préside à l’ouvrage est foncièrement différent ; Breuer s’en explique dans un Avant-Propos (Vorbemerkung) particulièrement éclairant, qui définit avec fermeté la démarche adoptée. Il n’est plus désormais question de s’entêter à « combler les lacunes de l’argumentation wébérienne avec des éléments empruntés à d’autres traditions de pensée ». La priorité est donnée à l’exposition (Darstellung) précise des conceptions de Weber, en la dissociant, autant que faire se peut, du commentaire interprétatif (Kommentar). La réserve qui avait été exprimée en 1991 quant au statut de la sociologie de la domination dans l’ensemble de l’œuvre à travers la qualification de Stiefkind, avec la connotation de moindre attention portée par un père à son beau-fils, n’est plus ici de mise. Ce sont d’abord les capacités explicatives de la théorie, et non plus ses limites, qu’il convient de mettre en lumière à travers un examen rigoureux. Il n’en faut pas moins se garder de l’idée naïve que Weber aurait réponse à tout. La seule distance temporelle interdit, comme le note Breuer, de l’envisager sérieusement.

4L’introduction sert à préciser le champ de l’investigation. Il doit être conçu d’une manière très large, et ce pour deux raisons complémentaires. Si, bien sûr, l’ancienne et la nouvelle sociologie de la domination constituent le premier noyau de textes pertinents [2], il est également nécessaire de se reporter à un éventail plus large de travaux dont certains portent sur des structures originales de domination, comme les Agrarverhältnisse im Altertum[3], et dont d’autres sont susceptibles d’éclairer certaines dimensions de la légitimité, telles que les recherches relatives aux religions et au droit ; à cet égard, il n’est pas indifférent que le premier texte publié dans lequel ont été exposés les trois types purs de domination ait été l’« Introduction » à « L’Éthique économique des religions mondiales » [4]. Par ailleurs, pour bien comprendre la pensée de Weber, il est indispensable de situer ses analyses dans leur contexte de création et donc, pour s’en tenir au noyau de base, de replacer l’ancienne sociologie de la domination dans le cadre de la « première sociologie de Weber » et les textes ultérieurs dans celui qui préside à sa « seconde sociologie ». C’est dire qu’il faut se montrer attentif à l’ensemble de l’œuvre, tout en l’abordant sous un angle spécifique ; et c’est probablement ce qui justifie le rappel de la part de Breuer que la sociologie wébérienne comporte deux niveaux distincts mais complémentaires d’analyse, ceux de l’action et de l’ordre.

5L’ensemble du livre est d’une grande richesse. Les formulations de Weber sont soumises à une analyse serrée qui a le mérite de conjuguer un double point de vue : le point de vue conceptuel (les sections correspondantes portent alors la mention « Terminologisches », « Typologisches » ou le nom même de la [ou des] notion[s] considérée[s]) et le point de vue relatif au développement historique, attentif à la fois aux conditions d’émergence (Entstehungsbedingungen) de telle ou telle structure de domination et à ses potentialités de transformation. Fidèle au principe posé dans l’ « Avant-Propos » de la dissociation entre l’exposition et le commentaire, Breuer commence par une présentation de la conception ? ou de l’argumentation ? wébérienne, avant de discuter, chaque fois que cela lui paraît nécessaire et en particulier pour les questions touchant à la genèse d’une forme de domination, de sa pertinence dans une série de paragraphes imprimés en petits caractères.

6On ne s’étonnera donc pas qu’un livre ainsi conçu et conduit se recommande par sa densité ; il apporte sur de multiples plans, comme nous le verrons, des clarifications utiles, voire définitives, ainsi que des interprétations éclairantes. Mais sa difficulté tient peut-être précisément au fait que la « moisson » est surabondante. On serait, de ce fait, tenté de reprocher à l’auteur de ne pas avoir proposé, au terme de cet exigeant parcours, une esquisse des principaux « acquis » ? tant heuristiques qu’empiriques ? de la sociologie wébérienne de la domination, une fois que le lecteur a pu l’appréhender dans toute son extension comme dans son ambition [5].

7Notre examen sera nécessairement sélectif et donc partiel mais, espérons-le, significatif. Nous nous intéresserons d’abord aux concepts wébériens en mettant l’accent, avec Breuer, sur le travail d’élaboration dont ils ont fait l’objet de la part de Weber et leur interprétation « correcte » dans certains exemples cruciaux. Nous traiterons, dans un second temps, de quelques « cas » historiquement situés et examinés par Weber du point de vue de leurs chances de développement. Enfin nous formulerons quelques interrogations sur telle ou telle dimension spécifique dans l’argumentation de Breuer.

Le travail d’élaboration des concepts wébériens et leur interprétation

8Il convient d’abord de souligner la minutie avec laquelle Breuer retrace les diverses utilisations par Weber de ses principaux concepts, les complexités auxquelles ils ont pu, à telle ou telle étape, donner lieu et leur évolution jusqu’à la version finale de la sociologie de la domination. La manière dont il traite du couple de concepts « patriarcalisme » et « patrimonialisme » est de ce point de vue exemplaire. Il rappelle d’abord, dans une première section ([chap.] iii-2), ce qu’ils doivent à la pensée réactionnaire et en particulier à l’ouvrage de C. L. von Haller, Restauration der Staatswissenschaft (1817-1834). Dans une seconde section (iii-3), il montre, avec de multiples citations à l’appui, que dans les écrits antérieurs à 1914 Weber ne cesse d’osciller dans l’emploi de ces concepts, au point de faire tantôt du patriarcalisme tantôt du patrimonialisme la catégorie première dont l’autre ne serait qu’une variété (Spielart). Ce n’est qu’avec l’ultime rédaction de 1919-1920 que le patriarcalisme est, en tant que dépourvu d’une direction administrative personnelle, radicalement distingué du patrimonialisme [6] ; en même temps Weber y évite toute référence à un éventuel lien « génétique » entre patriarcalisme et patrimonialisme, tel qu’il était postulé ? à notre sens, imprudemment ? dans l’ancienne version de la sociologie de la domination.

9Il ne faudrait pas en conclure, comme Breuer le rappelle avec force, que Weber a abandonné ses interrogations en matière de développement historique ; mais il n’en semble pas moins justifié de voir dans « Les types de domination » l’aboutissement d’un effort de clarification d’un appareil conceptuel. La spécification du concept de féodalisme à laquelle procède Weber et qui en restreint fortement le champ d’application en constitue, à nos yeux, une autre et marquante illustration [7]. Ainsi il rejette comme « tout à fait imprécise » la définition extensive en vertu de laquelle on appellerait « féodales toutes les couches, institutions et conventions militaires et impliquant des privilèges de corps (ständisch) » (Weber, 1971, p. 269). C’est dire que, comme Weber l’a signalé quelques lignes plus haut, il serait inapproprié de parler d’une « féodalité de la polis », à base urbaine (Stadtfeudalismus), alors que cette notion occupait une place centrale dans ses Agrarverhältnisse im Altertum (Weber, 1909) et servait encore à désigner un sous-type du féodalisme « libre » dans l’ancienne sociologie de la domination. Breuer a fait en quelque sorte écho à ce souci de précision conceptuelle ? si caractéristique de Weber ? en modifiant les sous-titres de la partie du chapitre iv consacrée à l’Antiquité en Occident qui ne comportent plus de référence, comme c’était le cas dans l’ouvrage de 1991, au « féodalisme urbain » de l’Antiquité, en Grèce et à Rome.

10On se tromperait pourtant, en tout cas selon Breuer, en considérant que la version finale de la sociologie de la domination est, en tout point, supérieure aux formulations initiales ou intermédiaires [8]. Weber n’a en effet disposé que de très peu de temps ? une vingtaine de mois ? pour rédiger et remettre son texte à l’éditeur. Un cas particulièrement intéressant est fourni par les catégories d’« adaptation au quotidien » (Veralltäglichung) et d’« objectivation » (Versachlichung) dont Breuer expose systématiquement les divers emplois ([chap.] ii-3) dans les deux versions de la sociologie de la domination ainsi que dans l’étape intermédiaire représentée par l’article « Die drei reinen Typen der legitimen Herrschaft ». Il part ici d’une observation importante : le charisme ne doit pas seulement être envisagé dans sa forme pure, créatrice et éphémère, où il se soustrait aux tâches quotidiennes et aux devoirs familiaux, mais aussi dans son adaptation progressive au quotidien ; il reste dans cette transformation, pour reprendre une formulation de la première sociologie de la domination, « un élément hautement important de la structure sociale » (MWG, i/22-4, p. 559). Au terme de cet examen scrupuleux il ressort que, selon l’ultime présentation de Weber, le processus global de « quotidiennisation » (Veralltäglichung) se déroulerait essentiellement sous les auspices soit de la traditionalisation soit de la légalisation ; dans le seul cas du « charisme de fonction » (Amtscharisma), il est fait mention d’un phénomène d’« objectivation », puisque le charisme n’est plus ici de l’ordre de la personne mais désigne « une qualité transmissible au moyen d’actes rituels » (Weber, 1971, p. 255). Partageant l’objection de Schluchter [9] selon laquelle, à cette seule exception, ne subsisteraient que des résidus atrophiés de charisme, Breuer propose, pour sa part, de voir dans l’objectivation une troisième voie de « l’adaptation au quotidien » du charisme, aux côtés de la traditionalisation et de la légalisation. On retrouverait ainsi l’esprit des deux présentations antérieures de la théorie de la domination, avec leur insistance sur la transformation du sens du charisme (Umbildung des Sinnes des Charismas), qui en quelque sorte sauvegarderait celui-ci, sous une forme certes amendée et réduite. C’est là une décision importante en matière conceptuelle que nous nous devions de signaler, même si nous ne sommes pas ici en mesure d’analyser toutes ses implications pour la conception globale du charisme.

11Ce n’est pas seulement à une exploration minutieuse de la construction progressive des concepts wébériens, avec ses succès et ses limites, que Breuer convie son lecteur mais aussi à une « revisitation », si l’on peut risquer ce terme, de leur signification et de leur portée. Il est de ce fait amené, à plusieurs reprises, à rétablir avec autorité leur interprétation « correcte ». Une illustration particulièrement nette en est fournie par son analyse de la « domination légale » ? et non plus « rationnelle » comme dans l’ouvrage antérieur. L’enjeu n’en reste pas moins la caractérisation du mode de rationalité propre à cette domination ([chap.] vi-2, « Die ‘Rationalität’ legaler Herrschaft »). Breuer reprend ici, mais avec encore plus de force, l’argumentation développée dans le livre de 1991. L’élément de stabilité que la reconnaissance de la légitimité revendiquée confère au rapport de domination ne saurait s’expliquer par la seule rationalité en finalité et le pur jeu des intérêts. C’est à de tout autres éléments que la présentation de Weber fait appel. D’une part, ce qui est typiquement associé à la domination légale, c’est la représentation que « n’importe quel droit peut être établi rationnellement […] avec la prétention d’être suivi au moins par les membres du groupement » (Weber, 1971, p. 223). Le terme de beliebiges sert à désigner la dimension discrétionnaire dans l’établissement du droit et, de par sa liaison avec la notion de Satzung, la possibilité toujours ouverte – en principe ? de modifications. D’autre part, en tant que « cosmos de règles abstraites », le droit est soumis à un travail d’élaboration méthodique, allant dans le sens de l’unification et de la systématisation, dont la nature est clairement précisée dans la Sociologie du droit (MWG, i/22-3, p. 302). On a là deux composantes intrinsèques de la « domination légale » ; mais il nous semble que seule la seconde relève, au sens strict, de la rationalité, entendue ici comme rationalité formelle.

12Cette rationalité formelle se distingue aussi analytiquement de la rationalité axiologique à laquelle certains, dont Winckelmann, ont voulu recourir pour éviter la prétendue dénaturation de la légitimité en pure légalité. Breuer rappelle opportunément la distinction entre le point de vue juridique et le point de vue sociologique : dans le premier cas, ce sont des critères de justesse qui sont déterminants ; dans le second, ce sont des critères empiriques fondés sur les représentations des hommes et les maximes d’action qui leur correspondent. Il en résulte qu’une disposition, tout en étant ‘légale’, n’est pas nécessairement tenue par eux pour légitime.

13Breuer s’en prend aussi (vi-4) à l’idée fausse – mais largement répandue ? selon laquelle la domination légale ne pourrait être dotée que d’une faible légitimité. Celle-ci bénéficie, au moins sous sa forme la plus achevée et à la différence des autres types, d’un support interne avec l’organisation bureaucratique envisagée dans son acception stricte, c’est-à-dire rationnelle. La loyauté vis-à-vis des règles et non pas des personnes, « le principe du sine ira ac studio » (MWG, i/22-4, p. 187), la compétence spécialisée confèrent à ce mode d’organisation une telle régularité que Weber s’autorise à y voir une « machine vivante » [10]. Forte de cet instrument, la domination légale se trouve ainsi en mesure de « créer par elle-même les conditions de son efficacité » (p. 225). Elle produit par là sa propre légitimité.

Les potentialités divergentes de développement historique

14Venons-en maintenant aux questions touchant au développement historique ? l’autre face majeure du livre ? auxquelles Breuer consacre une grande attention et sans doute l’essentiel de ses commentaires. On ne peut que saluer son souci constant de confronter les positions défendues par Weber sur les sujets les plus divers ? la cité antique comme l’Empire chinois, la féodalité de fief comme le judaïsme ancien – avec les acquis les plus récents de la recherche historique, sociologique et même anthropologique : la discussion s’inscrit ainsi dans le cadre même qui était privilégié par Weber, à savoir celui de l’histoire universelle. Notre examen sera, comme nous l’avons annoncé, plus limité et plus modeste. Pour autant, il n’est pas interdit de formuler un jugement d’ensemble : servi par une immense culture, Breuer parvient, le plus souvent, à faire ressortir les points forts mais aussi les aspects plus ou moins caducs des propositions wébériennes touchant au développement historique.

15Commençons, en guise d’illustration, par le chapitre iv auquel nous n’avons fait jusqu’à présent qu’une référence allusive. Il porte sur « l’Occident pré-rationnel », c’est-à-dire sur l’Antiquité grecque et romaine. L’attention du lecteur est ainsi opportunément attirée sur les Agrarverhältnisse im Altertum et plus spécifiquement sur sa version finale de 1909 qui reste, à l’exception de cercles bien définis d’historiens, méconnu par les spécialistes de sciences sociales, et notamment les sociologues, dans le monde francophone. Il s’agit pourtant d’un ouvrage important, qui représente une étape significative dans la carrière de Max Weber. Il ne faut pas se laisser abuser par son titre : le champ d’investigation est plus global, comme le laisse justement entendre le titre retenu pour la traduction française, Économie et société dans l’antiquité (Weber, 1998) [11]. Le propos est en effet particulièrement ambitieux : le sous-titre figurant en tête de l’« Introduction », « Contribution à la théorie économique du monde des États antiques » en avertit sans ambages le lecteur. La question centrale que s’y pose Weber est de savoir si « l’Antiquité [a connu] l’économie capitaliste » (Weber, 1998, p. 98) et l’on sait qu’il y répond de façon affirmative, tout en soulignant à quel point cette forme de capitalisme différait du capitalisme moderne, ne serait-ce, entre autres raisons, que parce qu’elle reposait sur le travail servile, ce qui aurait fini par la conduire à sa ruine. C’est pourtant sur un autre aspect du livre que Breuer met l’accent, à savoir la typologie des « stades d’organisation » (Organisationsstadien) construisant, de manière idéaltypique, une séquence de développement. Si les deux premières phases – présence épisodique du chef en fonction de l’existence ou non d’une menace extérieure, royauté de château fort – semblent avoir été communes aux peuples de l’Antiquité, une bifurcation s’est ensuite opérée selon que la royauté militaire a donné naissance, avec l’extension du pouvoir royal, à une « royauté urbaine bureaucratique » (la voie égyptienne et mésopotamienne) ou au contraire, à travers un processus d’émancipation à l’égard du roi châtelain, à une polis revêtant la forme d’un « État nobiliaire », c’est-à-dire une commune urbaine dominée par un groupement de « lignages ». Cette voie – la voie grecque ? a conduit, par des transitions plus ou moins complexes, à la cité « hoplitique » dans laquelle, une fois brisée la domination des lignages, « l’armée [est devenue] une armée de citoyens s’équipant eux-mêmes » (Weber, 1998, p. 125) et enfin à « la cité démocratique de citoyens » dans laquelle ils pouvaient tous – en principe – accéder aux fonctions publiques, indépendamment des différences dans la taille des propriétés possédées. La question de la domination se trouve ainsi au centre de l’examen : ce sont les variations dans la nature et l’extension du groupe qui la porte que l’on peut observer d’une étape à l’autre. Cependant, comme Breuer le note incidemment, l’analyse tend encore à privilégier « la domination en fonction d’une constellation d’intérêts » et non « la domination en vertu d’une ‘autorité’ (pouvoir de commandement et devoir d’obéissance) », selon la distinction opérée au début de la première sociologie de la domination [12]. À partir de 1910, Weber entre dans une nouvelle phase de ses travaux qui certes n’implique pas de rupture dans ses préoccupations fondamentales mais se traduit notamment par une réflexion systématique sur la domination – entendue dans la seconde acception ? et les différents modes de légitimité qu’elle est susceptible de revendiquer. Le chapitre sur « La ville » (MWG, i/22-5) revêt à cet égard une particulière importance, dans la mesure où sa rédaction plus tardive a permis à Weber d’y intégrer ces dimensions : on y trouve, dans les passages pertinents, un éclairage complémentaire sur l’Antiquité gréco-romaine.

16Il nous semble, sans que nous puissions ici le démontrer pleinement, que le « commentaire » de Breuer est, dans le cadre de ce chapitre, particulièrement instructif. Proposons-en brièvement quelques illustrations. Ainsi l’idée d’appliquer à la Grèce archaïque, dans laquelle l’identité politique était faiblement affirmée, la notion de communauté politique pré-étatique (MWG, i/22-1, pp. 204-205) que Weber a forgée dans sa première sociologie paraît stimulante. L’importance, capitale du point de vue du développement historique, de l’autonomisation de l’ordre politique de par sa dissociation avec l’ordre social dans le cadre de la démocratie athénienne est clairement soulignée, avec l’aide de Christian Meier (1980). Mais en même temps sont rappelées les conséquences qui en ont résulté, selon Weber : il y aurait eu comme une hypertrophie du politique, qui aurait en quelque sorte bloqué des processus d’autonomisation analogues dans d’autres sphères, et notamment le développement économique.

17Nous laisserons de côté la question de savoir si l’on peut encore défendre la thèse de Weber sur l’autodissolution de l’Empire romain. Un point cependant paraît acquis : les arguments auxquels Weber recourt sont aujourd’hui jugés globalement peu convaincants [13]. De la même manière, l’idée que l’Antiquité tardive portait déjà en germe les caractéristiques du féodalisme médiéval n’a pas été validée : la période de transition a été beaucoup plus longue. Cette observation a sûrement compté parmi les motifs qui ont conduit Breuer à une importante modification dans l’organisation interne de son livre : alors que dans l’ouvrage de 1991 Breuer traite à l’intérieur d’un même chapitre (iv, Herrschaftsstrukturen im Okzident) du « féodalisme urbain de l’Antiquité » et « du féodalisme de fief » propre au Moyen Âge occidental, celui-ci est désormais l’objet d’un chapitre spécifique, le chapitre v[14], Traditionale und charismatische Herrschaft im vorrationalen Okzident : Mittelalter. La clarification conceptuelle à laquelle procède Weber dans l’ultime version de la sociologie de la domination et qui aboutit, comme nous l’avons vu, à exclure des acceptions pertinentes de la notion de féodalisme « la féodalité dite de la polis » a probablement aussi contribué à la décision de traiter de l’Antiquité et du Moyen Âge occidentaux dans deux chapitres distincts.

18Toujours est-il que l’on est confronté avec le Moyen Âge à une configuration hautement spécifique dont Breuer dégage d’abord les traits caractéristiques pour être ensuite en mesure, conformément à la démarche de Weber, de dégager la part qu’ils ont pu prendre au processus de rationalisation singulier qui est le propre de la civilisation occidentale.

19Breuer n’a pas manqué, au préalable, de rappeler avec sa précision habituelle que la féodalité comportait, selon la dernière sociologie de la domination, deux « formes pures », à savoir la « féodalité de fief » et « la féodalité de bénéfices » (Weber, 1971, p. 262) ; mais son attention se porte essentiellement sur la première. Certaines caractéristiques méritent d’en être soulignées : la concession d’un fief s’effectue à titre individuel, sur la base d’un contrat entre deux hommes libres, le seigneur et le vassal, impliquant des devoirs de fidélité réciproques, d’obéissance et de service pour le vassal, de protection pour le seigneur, fondés sur l’honneur propre à un corps [15]. De plus, même si cette relation féodale peut s’intégrer à un État patrimonial et par là à un certain degré de centralisation, elle irait, « dans sa réalisation complète » qui n’a en fait jamais été atteinte, vers une décentralisation radicale, ne laissant, en lieu et place du groupement politique, subsister qu’un ensemble « de relations strictement personnelles de fidélité entre le seigneur et ses vassaux inféodés, ceux-ci et leurs vassaux » et ainsi de suite (Weber, 1971, p. 263). Il en résulte, selon les termes de la première sociologie de la domination, qu’ :

20

« à [ce] cosmos ou plutôt à [ce] chaos de droits et de devoirs subjectifs, déterminés de façon purement concrète, du seigneur, des détenteurs d’une fonction et des dominés, qui se croisent et se limitent et sous l’effet desquels se crée une action en communauté…[on ne peut] appliquer le nom d’‘État’ au sens moderne du terme ».
(MWG, i/22-4, pp. 410-411) [16]

21Pourtant ce n’est là, comme le souligne Breuer, « qu’une facette d’un processus plus complexe » (Breuer, 2011, p. 190). Le point essentiel est que, envisagé à partir de la conception extensive du féodalisme à laquelle adhérait Weber lors de la rédaction des Agraverhältnisse im Altertum, le féodalisme médiéval représente « sa forme individualiste » (Weber, 1998, p. 89). Il a pu ainsi se révéler compatible avec la création de « fraternisations » entre personnes individuelles. Le phénomène peut être observé sur différents plans mais sa manifestation la plus significative en est certainement la constitution de « communes » urbaines visant à assurer, par l’association des citoyens individuels, la protection réciproque, le règlement pacifique des conflits et la monopolisation de « chances » économiques déterminées. Cette autonomie a été le cadre dans lequel s’est formée puis s’est affermie une bourgeoisie orientée vers les chances de profit sur le marché, c’est-à-dire entendue au sens ‘moderne’ du terme et donc de nature essentiellement économique, par opposition à la bourgeoisie fondamentalement politique de l’Antiquité. L’essor de cette couche sociale a de ce fait représenté une étape dans le sens d’une rationalisation accrue, dont on trouve des indices complémentaires dans le développement des formes de droit auquel elle était particulièrement intéressée, comme le droit commercial et le droit d’association. En même temps cette rationalisation n’a pas seulement concerné les dimensions économique et juridique auxquelles Weber accordait tant d’importance mais a touché également le domaine politique : la ville doit en effet être reconnue comme une « communauté de citoyens » fondée sur la parité et la liberté, capable d’action à la fois à l’intérieur et vers l’extérieur. On tient là, selon Weber, une raison fondamentale du développement spécifique de l’Occident en matière économique et administrative : à la différence de la Chine (et, plus généralement, des autres civilisations mondiales),

22

« il y existait des puissances fortes et indépendantes (souligné par nous) avec lesquelles le pouvoir princier pouvait faire alliance afin de briser les barrières traditionnelles ou qui pouvaient, de leur côté, dans des conditions très particulières, faire usage de leur propre puissance militaire pour rejeter les liens du pouvoir patrimonial ».
(Weber, 2000, pp. 100-101) [17]

23Pour autant, il ne faut pas surestimer l’importance de la ville médiévale dans le développement historique : elle n’est pas grosse de la modernité, même si elle en a été un incontestable facteur. À cet égard, Breuer nous invite fermement à ne pas y voir « un principe de légitimation et d’organisation alternatif par rapport à la féodalité de fief » (Breuer, 2011, p. 195). Elle trouverait plutôt sa place dans le cadre d’une société marquée par la division du pouvoir entre les ordres (ständische Gewaltenteilung). La priorité que Weber confère aux communes de l’Europe du nord, notamment de la Flandre et du Rhin, par rapport à celles du centre et du nord de l’Italie paraît s’accorder avec ce point de vue : ce ne sont pas les villes les plus marquées par l’« usurpation révolutionnaire » ? et l’illégitimité originelle qui l’accompagne ? qui ont été, à terme, porteuses des développements les plus significatifs [18].

Éléments de discussion

24Nous nous sommes efforcé, dans les paragraphes qui précèdent, de donner une idée de la richesse de l’ouvrage. Nous voudrions, pour terminer, entamer une discussion plus libre autour de quelques questions que ce livre ambitieux invite, entre autres, à se poser.

25Nos premières interrogations touchent au traitement de la domination charismatique. Certes ? il faut le rappeler ? Breuer y procède à un strict « débroussaillage » du concept complexe de charisme, en s’efforçant de tenir compte à la fois des analyses de Thomas Kroll et de celles de Martin Riesebrodt [19]. Il éclaire également, comme nous l’avons vu, la problématique de « l’adaptation au quotidien » du charisme, à travers l’examen des notions de Veralltäglichung et de Versachlichung et il l’illustre par l’étude du « charisme héréditaire et [du] charisme de fonction dans les civilisations asiatiques » ([chap.] ii-4). Mais on n’en est pas moins surpris de ne trouver aucun développement relatif aux manifestations du charisme dans les périodes modernes, voire prémodernes, en tout cas marquées par une montée en puissance de la rationalité. Quel peut y être le rôle des « conducteurs d’hommes » (Führer) ? Il paraît en tout cas suffisamment important à Weber pour qu’il fasse du chef du parti majoritaire, et notamment de Gladstone, un dirigeant charismatique et qu’il reconnaisse dans la ‘démocratie plébiscitaire’, associée à la présence de chefs, une forme de domination charismatique [20]. On attendait aussi avec curiosité la réponse de Breuer à des questions de nature plus interprétative, comme le fait de savoir si le démagogue antique préfigure le politicien moderne de parti ou encore si le césarisme n’est qu’un sous-type de la « domination plébiscitaire », à côté de celle qui est exercée à travers la direction du parti prépondérant. Breuer pourrait sans doute nous opposer deux arguments, brièvement évoqués dans son texte : d’abord, à l’exception de la conférence sur La vocation d’homme politique (MWG, i/17), Weber ne se réfère pratiquement pas au charisme dans ses Écrits politiques des années 1914 à 1920 (MWG, i/15 ; (MWG, i/16). Ensuite, il n’est guère possible d’accepter aujourd’hui les thèses excessives de Mommsen sur le charisme qui en feraient une force équivalente, mais de sens opposé, à la rationalisation. Il n’en reste pas moins permis de voir dans la démocratie plébiscitaire et les phénomènes apparentés plus que « des résidus (Rückstanden) de la « réinterprétation du charisme dans un sens contraire [ou apparemment contraire] à la domination » (Breuer, 2011, p. 51).

26Ce chapitre aurait donc pu être complété ; mais peut-être eût-il pu, sur un autre plan, être allégé. La dernière section intitulée « Von magischen zum prophetischen Charisma ? » est en effet de nature à susciter chez le lecteur quelque perplexité. Assurément il s’agit d’une question d’importance ; et sans doute le temps est-il venu, sur la base de travaux récents (comme ceux d’Eckart Otto [2002 et introduction de MWG, i/21)]), de réévaluer l’influence des prophètes – et de leur charisme propre – dans le judaïsme antique. On est cependant quelque peu surpris de voir Breuer lui consacrer une section entière et, qui plus est, la section finale de son chapitre relatif à la domination charismatique : il relègue ainsi au second plan les dimensions plus spécifiquement politiques de celle-ci. Si son intention était bien, comme nous le pensons, de faire ressortir son substrat (ou résidu) magique, il eût mieux valu terminer sur cette forte proposition, partiellement citée à la fin de la section 2, de « L’État et la hiérocratie » selon laquelle :

27

« on trouvera […] régulièrement imbriqués dans tout pouvoir politique légitime, quelle qu’en soit la structure, un minimum d’éléments théocratiques ou césaropapistes, parce que tout charisme, finalement, prétend détenir un reliquat quelconque d’origine magique, ce qui veut dire qu’il est toujours apparenté aux pouvoirs religieux et qu’il y a toujours en lui une ‘grâce divine’, dans quelque sens que ce soit ».
(Weber, 1996, p. 248)

28L’intérêt de cette formulation est de mettre l’accent sur la subtile interdépendance susceptible de se nouer entre le politique et le religieux. Pourtant, quelque chose lui manque : dans ce que nous nous risquerons à appeler sa résonance parsonienne, elle laisse de côté le caractère personnel du charisme et des relations sociales qu’il instaure, si fortement souligné dans l’ultime version d’Économie et société.

29Nous sommes aussi quelque peu dubitatif devant l’usage que fait Breuer de la notion de cycle, et en particulier de sa référence appuyée à un « cycle patrimonial » qui fait l’objet de la cinquième et dernière section du chapitre iii relatif à la domination traditionnelle [21]. Pour éviter tout malentendu, Breuer indique d’emblée que rien n’est aussi étranger à la pensée de Max Weber que l’idée d’un cycle universel sans cesse renouvelé, en vertu duquel s’enchaîneraient inéluctablement des phases d’épanouissement et des périodes de décadence. Mais il signale aussi que Weber n’a pas hésité à appliquer la notion de cycle à des cas historiquement déterminés : ainsi ce dernier a cru déceler un « cycle du développement économique de l’Antiquité » [22] aboutissant à l’effondrement de l’Empire romain. Et c’est bien autour de cette thèse que restent structurées les analyses ultérieures, plus élaborées, des Agrarverhältnisse im Altertum. On peut cependant faire observer que Weber ne recourt à la notion de cycle qu’à propos de civilisations bien circonscrites [23] et aujourd’hui disparues, alors que Breuer l’emploie pour caractériser un type (ou un sous-type) : la seconde décision est évidemment plus lourde de conséquences au plan épistémologique. Sans doute y a-t-il bien ici une référence géographique, l’Orient, mais il s’agit d’un cadre très vaste permettant d’éclairer le phénomène de l’État patrimonial par une pluralité d’illustrations. Pour en revenir à la notion de cycle, il nous semble qu’elle implique deux dimensions : d’une part, bien sûr, une dimension de répétition mais aussi une autre de régularité, au moins relative. La répétition serait, selon Breuer, assurée par le renouvellement, à la suite d’invasions et de conquêtes militaires, de dynasties patrimoniales, sans que pour autant les caractéristiques de celle-ci soient modifiées : elles resteraient confrontées à de fortes tendances centrifuges et incapables d’impulser un changement profond de l’intérieur. Mais l’on voit bien que les invasions militaires introduisent dans le processus un élément d’irrégularité et donc de contingence. Or Weber a été, comme on le sait, particulièrement sensible à ce qu’il subsiste d’irréductiblement contingent dans le développement historique et c’est pourquoi il nous paraît forcé de parler de « cycle patrimonial », comme si l’éventualité ? plus ou moins exceptionnelle ? de la sortie d’un tel cycle était interdite par essence. Il semble donc légitime de se demander si Breuer ne reste pas encore prisonnier, contrairement à ce qu’il avait annoncé, du cadre interprétatif de la « théorie épigénétique des civilisations » auquel est empruntée la notion de cycle patrimonial [24].

30Il est un dernier point qui mérite d’être évoqué et qui tient essentiellement au mode de présentation adopté par Breuer. Celui-ci est en effet tellement soucieux de mettre en évidence la genèse de tel ou tel mode de domination et ses potentialités de développement que l’autre voie de recherche ouverte par la démarche de Weber, à savoir la comparaison structurale entre ces différents modes, se trouve en quelque sorte reléguée au second plan. Or il s’agit d’une méthode particulièrement appropriée au travail du sociologue, comme la pratique de Weber le démontre et comme Breuer lui-même ne l’ignore pas. Ce serait lui faire un mauvais procès que de prétendre qu’il en a méconnu l’importance ; il nous semble simplement qu’il aurait pu la mettre davantage en valeur.

31Le livre peut donc susciter ici et là quelques réserves ou réticences. Mais pour en revenir à une appréciation d’ensemble, il se recommande par sa rigueur dans l’exposition des concepts, par une connaissance intime de l’œuvre de Weber qui permet de la mobiliser tout entière à des fins de clarification et de démonstration et par une impressionnante confrontation des positions défendues par Weber avec les recherches les plus récentes [25]. C’est dire que sa lecture s’impose à tous ceux qui ne se satisfont ni des fadeurs de la « vulgate » tirée de la sociologie wébérienne de la domination ni des tentatives réductrices de captation au profit de telle ou telle chapelle dont, comme toute grande œuvre, celle de Weber est régulièrement l’objet.

Références bibliographiques

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  • Œuvres de Max Weber citées en langue allemande et abréviations pour ces œuvres

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    • MWG, i/17 : Weber, 1992, Max Weber Gesamtausgabe, i/17, Wissenschaft als Beruf 1917/1919 – Politik als Beruf 1919, édité par Wolfgang J. Mommsen et Wolfgang Schluchter avec la collaboration de Birgitt Morgenbrod, Tu?bingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck).
    • MWG, i/21 : Weber, 2005, Max Weber Gesamtausgabe, i/21, Die Wirtschaftsethik der Weltreligionen. Das antike Judentum. Schriften und Reden. 1911-1920, édité et introduit par Eckart Otto avec la collaboration de Julia Offermann, Tu?bingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck).
    • MWG, i/22-1 : Weber, 2001, Max Weber Gesamtausgabe, i/22, Wirtschaft und Gesellschaft. Die Wirtschaft und die gesellschaftlichen Ordnungen und Mächte. Nachlaß, t. 1, Gemeinschaften, édité par Wolfgang J. Mommsen avec la collaboration de Michael Meyer, Tu?bingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck).
    • MWG, i/22-3 : Weber M., 2010, Max Weber Gesamtausgabe, i/22, Wirtschaft und Gesellschaft. Die Wirtschaft und die gesellschaftlichen Ordnungen und Ma?chte. Nachlass, t. 3, Recht, édité par Werner Gephart et Siegfried Hermes, Tu?bingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck).
    • MWG, i/22-4 : Weber M., 2005, Max Weber Gesamtausgabe, i/22, Wirtschaft und Gesellschaft. Die Wirtschaft und die gesellschaftlichen Ordnungen und Ma?chte. Nachlass, t. 4, Herrschaft, édité par Edith Hanke avec la collaboration de Thomas Kroll, Tu?bingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck).
    • MWG, i/22-5 : Weber, M., 1999, Max Weber Gesamtausgabe, i/22, Wirtschaft und Gesellschaft. Die Wirtschaft und die gesellschaftlichen Ordnungen und Mächte. Nachlass, t. 5, Die Stadt, édité par Wilfried Nippel, Tu?bingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck).
    • MWG, iii/7 : Weber M., 2009, Max Weber Gesamtausgabe, iii/7, Allgemeine Staatslehre und Politik (Staatssoziologie). Unvollendet. Mit-und Nachschriften 1920, édité par Gangolf Hübinger avec la collaboration d’Andreas Terwey, Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck).
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  • Œuvres de Max Weber citées en langue française

    • Weber M., 1959, Le Savant et le politique, préface de Raymond Aron et tr. fr. par J. Freund, Paris, Plon.
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    • Weber M., 1998, Économie et société dans l’antiquité [1909], introduction de H. Bruhns, Paris, La Découverte.
    • Weber M., 2000, Confucianisme et taoïsme [1916], tr. fr. par C. Colliot-Thélène et J.P. Grossein, présenté par J.P. Grossein, Paris, Gallimard.
    • Weber M., 2003a, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme suivi d’autres essais, édité, traduit et présenté par J.P. Grossein, Paris, Gallimard.
    • Weber, M., 2003b, Le Savant et le politique, préface, tr. fr. et notes par C. Colliot-Thélène, Paris, La Découverte.
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Date de mise en ligne : 02/05/2014

https://doi.org/10.3917/anso.141.0171

Notes

  • [*]
    Stefan BREUER. – « Herrschaft » in der Soziologie Max Webers, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2011, 277 p.
  • [1]
    Sur cet ouvrage, Max Webers Herrschaftssoziologie , le lecteur francophone pourra se reporter à la riche note critique que lui a consacrée Hubert Treiber (2005).
  • [2]
    À ce premier noyau il faut adjoindre l’article posthume « Die drei reinen Typen der legitimen Herrschaft » (MWG, i/22-4, pp. 726-742), le compte rendu dans la presse de la conférence tenue à Vienne en 1917 sur les « Problèmes de la sociologie de l’État » (MWG, i/22-4, pp. 752-756) et les notes de cours sur les conférences de 1920 ayant pour objet « la sociologie de l’État » (MWG, iii/7).
  • [3]
    Préparé pour le Handwörterbuch der Staatswissenschaften, ce texte, qui avait le format habituel d’un article dans sa version initiale (1898), a atteint les dimensions d’un ouvrage dans sa troisième et dernière version (Weber, 1909). Cette ultime version a fait l’objet d’une traduction française (Weber, 1998) dont nous aurons l’occasion de reparler.
  • [4]
    Cette “Introduction” a en effet été publiée pour la première fois dans la revue Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik en 1915. Elle a été traduite par J. P. Grossein pour le recueil de textes de Weber, Sociologie des religions (Weber, 1996, pp. 331-378). La présentation des types de domination légitime se trouve à la fin du texte (pp. 370-376).
  • [5]
    Un Index des matières aurait également été le bienvenu. Il faut saluer en revanche la richesse exceptionnelle de la bibliographie. Signalons seulement une correction à prévoir pour une autre édition : le volume i/21 de la MWG, consacré au judaïsme antique, n’y figure pas.
  • [6]
    Il est regrettable que la traduction de cette proposition soit particulièrement confuse dans Économie et société (Weber, 1971, p 238).
  • [7]
    Breuer traite de ce problème dans la première section du chapitre v intitulée « Der Feudalismus und seine Formen : Umdispositionen in Webers Herrschaftssoziologie ».
  • [8]
    Ainsi Breuer considère que Weber n’exploite pas certaines pistes antérieurement esquissées dans ses dernières analyses du féodalisme. Mais ces réserves portent essentiellement sur le « féodalisme de fief » dont nous parlerons plus loin.
  • [9]
    Cette objection est formulée dans Religion und Lebensführung (Schluchter, 1988, vol. 2, p. 549). Nous avons ainsi l’occasion d’attirer l’attention sur un ouvrage particulièrement important pour la compréhension de Weber.
  • [10]
    Weber emploie cette expression dans un célèbre passage de « Parlement et gouvernement dans l’Allemagne réorganisée », (Weber, 2004, p. 336). Sur ce thème de la machine dans l’œuvre de Weber on consultera le chapitre vi « Der Staat als Maschine » de l’ouvrage fondamental d’Andreas Anter, Max Webers Theorie des modernen Staates (Anter, 1995), ainsi que son article « Verwaltung und Verwaltungsmetaphorik. Der lange Weg der Maschine » (Anter, 2009).
  • [11]
    Ce volume paru en 1998 comporte aussi la traduction d’une communication antérieure (1896) de Weber, « Les causes sociales du déclin de la civilisation antique ». Il s’ouvre sur une longue et éclairante introduction d’Hinnerk Bruhns. La traduction du premier texte est due à J. Baechler, celle des Agraverhältnisse à C. Colliot-Thélène et F. Laroche ; l’une et l’autre ont été révisées par H. Bruhns.
  • [12]
    Ce texte essentiel, « Puissance et domination. Formes de transition », a été traduit par J.P. Grossein pour le numéro spécial de la Revue française de sociologie consacré à Max Weber (Weber, 2005).
  • [13]
    En particulier l’idée d’une non-reproduction de la population d’esclaves tout comme la liaison établie entre la fin des guerres de conquête et la diminution du nombre d’esclaves, alors que le second phénomène est beaucoup plus tardif, ont été fortement contestées.
  • [14]
    Ainsi s’explique que le livre de 2011 comporte un chapitre de plus.
  • [15]
    Ce qui se donne à voir, à travers ce regroupement de caractéristiques, ce n’est ni un ‘ mode de production’ ni sans doute un type de société mais un ensemble de relations. Breuer note que, dans son ultime formulation, Weber est proche de la conception défendue par François-Louis Ganshof (1987). Peut-être faut-il ajouter que Weber et le médiéviste belge, qui fut également un historien du droit, partagent une même ‘sensibilité’ juridique.
  • [16]
    Nous avons quelque peu simplifié la formulation de Weber, pour lequel « le nom d’État au sens moderne du terme est encore moins applicable à [un tel enchevêtrement de droits] qu’à des formations politiques purement patrimoniales ».
  • [17]
    Pour illustrer le « rejet du pouvoir patrimonial » Weber cite « les cinq grandes révolutions, décisives pour le destin de l’Occident », à savoir la révolution italienne (xiie et xiiie siècles), la révolution néerlandaise (xvie siècle), la révolution anglaise (xviie siècle), les révolutions américaine et française (xviiie siècle).
  • [18]
    Illégitimité/légitimité, autonomie et rationalisation constituent en tout cas les catégories fondamentales à partir desquelles Weber pense la ville médiévale. Pour une analyse plus poussée de sa conception de la ville et de la double perspective comparative qui l’accompagne ? dans le temps et dans l’espace ?, on se reportera au panorama dressé par P. Monnet dans sa recension de l’ouvrage dirigé par H. Bruhns et W. Nippel, Max Weber und die Stadt im Kulturvergleich (Monnet, 2005).
  • [19]
    L’article de Kroll, « Max Webers Idealtypus der charismatischen Herrschaft und die zeitgenössische Charisma-Debatte », met l’accent sur l’influence de R. Sohm (Kroll, 2001). Riesebrodt insiste, pour sa part, sur le rôle qu’auraient joué des théories ethnologiques (notamment celle de Marett) pour la conception du ‘charisme magique’ dans son texte « Charisma » (Riesebrodt, 2001).
  • [20]
    C’est dans la conférence sur La vocation d’homme politique (traduction française de J. Freund [Weber, 1959], de C. Colliot-Thélène [Weber, 2003b]) que Weber se réfère au dévouement « charismatique » de la machine à la personne de Gladstone. Weber fait ressortir le caractère charismatique de la ‘démocratie plébiscitaire’ dans Économie et société (1971, p. 276).
  • [21]
    Cette section est en effet intitulée « Der Patrimonialstaat im Orient II : Der patrimoniale Zyklus ».
  • [22]
    in « Les causes sociales du déclin de la civilisation antique » [1896] (in Weber, 1998, p. 82).
  • [23]
    Ou tout au moins à des aspects déterminés de certaines civilisations, comme lorsque Weber se réfère au « cycle des villes italiennes » (MWG, i/22-5, p. 232).
  • [24]
    Il convient cependant de noter que, dans le livre de 2011, Breuer ne procède plus à une exposition des trois cycles distingués par cette théorie, à savoir le cycle tribal, le cycle archaïque et le cycle patrimonial, comme il l’avait fait dans l’ouvrage de 1991. Pour en savoir davantage sur cette théorie, on se reportera au long texte de J. Friedman et M. J. Rowlands (1977), ainsi qu’à celui de J. Friedman (1998).
  • [25]
    Le commentaire relatif à L’Ethique protestante et aux textes apparentés nous paraît cependant bien ‘abrupt’ et ne rend pas suffisamment compte de la complexité de l’argumentation développée par Weber, quelles qu’en puissent être les faiblesses.

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