Couverture de ANSO_102

Article de revue

Présentation

Pages 265 à 270

English version

1La sociologie de la musique a connu ses premières formulations théoriques dès la fin du xixe siècle, en France et en Allemagne, avec Alfred Schütz, Jules Combarieu et Max Weber notamment. Par la suite, le philosophe, sociologue et musicologue Theodor W. Adorno a marqué ce courant de recherche. Cependant, on peut situer son véritable développement, en France, à partir des années 1980, avec la publication de plusieurs recherches fondées sur des enquêtes empiriques. Il connaît depuis un grand essor, particulièrement remarquable cette dernière décennie.

2Ce numéro s’est donné pour but d’interroger la pensée d’auteurs qui ont insufflé une dynamique à ce domaine de recherche depuis une trentaine d’années, afin de préciser leur contribution. Quels ont été leurs parcours de recherche ? Où en sont leurs travaux sur la musique aujourd’hui ? Comment pensent-ils leur approche dans ce champ disciplinaire ?

3Plusieurs des articles ici réunis opèrent un retour à d’autres auteurs, plus anciens, et à des textes plus ou moins bien connus, qui viennent nourrir des propositions théoriques. En faisant le lien entre passé et présent, ces diverses contributions informent l’histoire de la sociologie en général comme celle de la musique en particulier et montrent les apports des théories sociologiques à l’analyse de la musique en tant que fait social. Elles soulignent, chacune à leur manière, combien la « musique », cet objet qui n’est pas « déjà là » mais toujours en élaboration par le faire et par l’écoute, interroge la sociologie et ses modes d’appréhension.

4Examinant « les » sociologies de la musique bien plus que « la » sociologie de la musique, après avoir reconstitué les débuts historiques dans ce domaine en France, l’article de Hyacinthe Ravet introduit les contributions des quatre autres auteurs. Il synthétise les travaux menés par ces derniers en questionnant le rapport personnel de chacun à la musique. Ce rapport permet d’éclairer leur pensée et la diversité de leurs approches théoriques et empiriques.

5Emmanuel Pedler montre combien nous avons intérêt à nous pencher sur les textes en allemand d’auteurs « canoniques » portant sur la musique, comme ceux de Max Weber (1921) et de Georg Simmel (1882), soulignant que ceux de Maurice Halbwachs (1939) et d’Alfred Schütz (1951) méritent aussi d’être revisités. Ces lectures appellent à associer approche praxéologique et approche ontologique du fait musical, à considérer à la fois ses dimensions pratiques et symboliques. Elles permettent ainsi d’éviter l’impasse de l’hyperspécialisation disciplinaire et du cloisonnement entre les domaines d’investigation (professions, technique, formes musicales). Un exemple pris dans la musique italienne du xviie siècle (la sonate dite La Follia de Corelli) l’illustre.

6Pierre-Michel Menger propose une lecture des écrits de Theodor W. Adorno qui le conduit à développer sa propre conception d’une sociologie des œuvres musicales. Si les déclarations les plus générales d’Adorno ne rendent guère praticable une telle sociologie de la musique – antiempiriste, normative et déterministe – souligne-t-il, d’autres travaux plus monographiques sur des compositeurs, en particulier son ouvrage sur Mahler (1960 pour l’édition originale, 1976 pour la traduction française), offrent des pistes concrètes et heuristiques d’investigation. Parmi ces pistes, celle du travail créateur (pour Mahler, en tant que chef d’orchestre) éclaire les multiples possibles et les choix réalisés en contexte par l’artiste. Associée au caractère indéfiniment en devenir des œuvres, cette perspective rend possible une analyse sociologique des œuvres musicales, cette fois non normative, comme l’auteur le montre à propos des productions lyriques.

7C’est à un examen de la portée du célèbre texte sur la musique ouvrant les Mythologiques de Claude Lévi-Strauss (1964) que nous invite Antoine Hennion. Il en propose une étude au-delà des malentendus que cet écrit a pu susciter. L’auteur reprend ainsi la question que la tonalité – ce « langage » qui a irrigué les productions musicales occidentales durant plusieurs siècles et qui continue de le faire – pose aux sciences sociales : comment penser l’articulation nature-culture à propos d’un art – une activité culturelle, sociale et symbolique – qui fait jouer des propriétés physiques du son ? Une voie est ouverte par l’essai de Claude Lévi-Strauss lorsqu’on le fait dialoguer avec la théorie de Jean-Philippe Rameau, de quelque deux siècles plus ancienne ; Antoine Hennion montre qu’il est nécessaire d’en tirer toutes les conséquences : ne pas opposer nature et culture, faire une place aux « objets » (à la fois naturels et profondément culturels) comme la musique. En ce sens, il s’agit d’une interprétation pragmatiste de l’œuvre de Claude Lévi-Strauss.

8Sans s’arrêter à des écrits spécifiques sur le jazz, Jean-Louis Fabiani s’interroge sur la manière dont ce genre musical a pu être perçu par les sociologues et surtout sur la manière dont il questionne la sociologie. Il revient notamment sur l’enrôlement de celui-ci sous la bannière des « arts moyens » par Pierre Bourdieu (1965), pour remettre en cause la catégorisation et la catégorie. Le jazz lui apparaît, en effet, comme le paradigme d’une forme culturelle ambivalente, nourrie de tensions et objet de réceptions sociales contrastées : musique vive s’écoutant surtout par le disque. Dès lors, cette ambivalence ne peut que bousculer les catégories esthétiques et sociales de perception et d’appréciation, mais aussi les oppositions sociologiquement établies (savant ou légitime versus populaire, en particulier).

9L’ensemble de ces études s’achève sur une note de synthèse bibliographique. Cécile Prévost-Thomas prolonge les propositions des auteurs précédents en examinant les renouvellements à l’œuvre et les approches novatrices des travaux menés, cette dernière décennie, en France. Posant des jalons éclairants, cette note analyse ainsi le dynamisme de ce domaine de recherche selon une triple direction : la diversification des terrains de recherche, l’importance de la réflexion épistémologique et méthodologique, et le dialogue pluridisciplinaire.

10Relectures et voies nouvelles : les contributeurs font donc retour sur la pensée de leurs prédécesseurs, à propos de textes méconnus ou au contraire fort discutés. Leurs lectures et interprétations permettent de (re)poser des questions majeures pour les sciences sociales, de proposer des réponses à des questions toujours renouvelées en sociologie des arts et de la culture (celle des œuvres en particulier), de montrer combien la musique brouille les catégories et les cadres théoriques ou sollicite un décloisonnement des recherches. En même temps, ils offrent de nouveaux outils pour appréhender, en sociologue, le musical : par la voie du travail créateur, des versions inachevées et/ou provisoires des œuvres ; par les rencontres que provoque ce médium ; par la portée heuristique de l’ambivalence des objets culturels ; par la nécessité de conjuguer analyse des pratiques et des représentations au regard de productions avant tout symboliques.


Date de mise en ligne : 11/10/2010

https://doi.org/10.3917/anso.102.0265

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