Notes
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[1]
Si la question évoque le titre d’un ouvrage célèbre de Robert Dahl, il convient de rappeler que ce dernier était bien conscient des limites inhérentes à une problématisation aussi restrictive, ce qui l’a amené à s’intéresser plus précisément aux processus de prise de décision en fonction d’enjeux spécifiques. La contribution de Dahl au développement de la Policy Analysis a d’ailleurs été centrale (Robert Dahl, 1971).
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[2]
Peter Morriss, 1987.
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[3]
Jean Leca, 1997 ; Fritz Scharpf, 1997 ; Patrice Duran, 1999.
-
[4]
Patrice Duran, 2001.
-
[5]
En clin d’œil à l’ouvrage dirigé par Jacques Commaille et Bruno Jobert, 1998.
-
[6]
Jürgen Habermas, 2000.
-
[7]
Ce qui correspond au tryptique de Pierre Rosanvallon : impartialité, réflexivité, proximité (Pierre Rosanvallon, 2008).
-
[8]
François Bourricaud y voit même en quelque sorte la définition de la démocratie. « Pour le “démocrate” un pouvoir légitime, c’est un pouvoir qui accepte ou même qui institue son propre procès de légitimation » (François Bourricaud, 1961).
-
[9]
Au point d’avoir largement contribué à la constitution de ce que Michel Dobry identifie comme le « paradigme standard » de la légitimité (Michel Dobry, 2003).
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[10]
Jellinek (Jellinek, 2005) évoquera bien les théories de la justification de l’État (première partie : « Théorie générale de l’État », chap. VII, p. 297-347), de même qu’il évoquera le pouvoir étatique, mais qu’il définira comme un pouvoir de domination (Herrschergewalt, « pouvoir du souverain »), c’est-à-dire comme un pouvoir d’État sans référence à la question de la légitimité d’un tel pouvoir (deuxième partie : « Théorie juridique de l’État », p. 61-69).
-
[11]
Andreas Anter, 1995, p. 66.
-
[12]
Ibid., p. 64.
-
[13]
Édith Hanke, Wolfgang Momsen, 2001, p. 1.
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[14]
Max Weber, Sociologie du droit, 1986, p. 44.
-
[15]
On se reportera à l’article de François Chazel dans le même numéro.
-
[16]
Max Weber, Histoire économique, 1991, p. 357.
-
[17]
Sur tous ces points, on pourra se reporter au beau livre de Michel Coutu (Michel Coutu, 1995).
-
[18]
Max Weber, Sociologie des religions, 1996, p. 374-375.
-
[19]
Max Weber, Économie et société, 1971, p. 57, trad. modifiée.
-
[20]
Andreas Anter, 1995, p. 24.
-
[21]
Stefan Breuer, 1995, p. 41.
-
[22]
Ce qui justifie Catherine Colliot-Thélène à y voir l’esquisse d’une « théorie sociologique de la démocratie » (Catherine Colliot-Thélène, 1995).
-
[23]
Julien Freund, 1990.
-
[24]
Cf. entre autres, Wolfgang Schluchter, 1981, p. 126.
-
[25]
Andreas Anter, 1995, p. 68.
-
[26]
Max Weber, Économie et société, 1971, p. 272.
-
[27]
Max Weber, « Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive », 1965, p. 393.
-
[28]
Ibid., p. 392.
-
[29]
Jean-Marie Vincent, 1998, p. 196.
-
[30]
François Bourricaud, 1961.
-
[31]
Niklas Luhmann, 2001.
-
[32]
Le passage est le suivant « Denn wenn es richtig ist, da es zwei Arten von Rechtsfindung geben kann, “formale Justiz” und “Kadijustiz”, und wenn Jhering von der formalen Justiz gesagt hat : die Form sei die Feindin der Willkür, die Zwillingsschwester der Freiheit – ob mit Recht haben wir hier nicht zu erörtern – so ist daran zu erinnern, da faktisch die Institution des Geschworenengerichts bei uns die Türe öffnet, durch welche die Kadijustiz praeter und auch contra legem eintritt » (Max Weber, 1988, p. 482).
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[33]
Max Weber, 1986, p. 235.
-
[34]
Max Weber, 1971, p. 271.
-
[35]
Pour une discussion approfondie de cette question, nous renvoyons au chapitre 2 ( « Action publique et pouvoir politique, la difficile conciliation de la légitimité et de l’efficacité » ) de notre ouvrage, Patrice Duran, 1999.
-
[36]
Nous reprenons ici quelques-uns de nos développements publiés dans Patrice Duran, 2009.
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[37]
Sur la question de l’État et de la nation, on se reportera naturellement à Wolfgang Mommsen, 1985.
-
[38]
Max Weber, 1965, p. 437.
-
[39]
Max Weber, 2003, p. 188.
-
[40]
Norberto Bobbio, 2007.
-
[41]
Max Weber, Œuvres politiques, 2004, p. 359.
-
[42]
Max Weber, 1971, p. 58.
-
[43]
Max Weber, 2004, p. 342.
-
[44]
Sur ce point, Michel Coutu, 1995, p. 96.
-
[45]
Cf. Kelsen, 1988.
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[46]
Il faut se reporter au passage très éclairant concernant la situation de l’Allemagne en 1918 dans Économie et société, p. 273.
-
[47]
Notre intention n’est pas ici de revenir sur la pertinence de la grande quantité des travaux réalisés dont l’homogénéité pas plus que la qualité n’est toujours garantie du fait d’une confusion chez certains auteurs entre une logique normative et prescriptive de bureau d’études et une démarche proprement scientifique. Dans une littérature foisonnante, on pourra se reporter à Jon Pierre et B. Guy Peters, 2000. Voir également Duran, 2001.
-
[48]
Aaron Wildawski, 1980.
-
[49]
Cf. tout spécialement, Martin Landau, 1991.
-
[50]
Face l’étrange méconnaissance de l’analyse webérienne de la bureaucratie, on lira l’utile mise au point de François Chazel, « Éléments pour une reconsidération de la conception webérienne de la bureaucratie », initialement parue dans Lascoumes, 1995 et repris dans Chazel, 2000.
-
[51]
Il est d’ailleurs tout à fait significatif que dans les pays postcommunistes d’Europe centrale et orientale ou dans le contexte encore très différent des États africains où la modernisation et la consolidation de l’État passe par la construction d’une administration compétente assise sur des règles rationnelles légales sur la base du « modèle webérien ». Cf. par exemple sur ces questions, Philippe Bézès, 2007.
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[52]
Max Weber, Sociologie des religions, 1996, p. 375.
-
[53]
On se reportera en particulier à Max Weber, « Wesen, Voraussetzungen und Entfaltung der bürokratischen Herrschaft », 2. Abschnitt, WG, 1972, p. 551-579, ainsi qu’à « Parlement et gouvernement dans l’Allemagne réorganisée », Œuvres politiques, 2004.
-
[54]
Max Weber, 1971, p. 345-350.
-
[55]
Ce qui est bien sûr lié aussi à l’influence de la littérature économique qui a longtemps vu dans l’organisation un anti-marché. Voir, par exemple, dans une littérature abondante la réflexion d’Oliver Williamson (Williamson, 1975).
-
[56]
M. Landau et S. Russel, 1979.
-
[57]
Jean-Daniel Reynaud, 1988.
-
[58]
Sur ces concepts et leur utilisation, cf. naturellement l’article fondateur de Karl Weick, « Educational organizations as loosely coupled systems », 1976, mais aussi entre autres Martin Landau, 1991 ; Donald Chisholm, 1989 ; Mark Mandeles, 2005.
-
[59]
Lester M. Salamon, « Introduction », 2002, p. 19.
-
[60]
Nous nous permettons de renvoyer à notre article Duran, 1993.
-
[61]
Daniel Mockle, 2007, p. 250.
-
[62]
Philippe Bézès, 2009, p. 3.
-
[63]
Daniel Mockle, 2007, p. 250.
-
[64]
Jacques Caillosse, 2009.
-
[65]
Patrice Duran et Thomas Le Bianic, 2008.
-
[66]
Jacques Caillosse, 2009.
-
[67]
Patrice Duran et Jean-Claude Thœnig, 1996.
-
[68]
Daniel Mockle, 2007, p. 216.
-
[69]
Max Weber, Sociologie du droit, 1986, p. 164. Sur ces points également Michel Coutu, p. 77 et Roberto Unger, 1976, p. 194.
-
[70]
Max Weber, Sociologie du droit, 1986, p. 164.
-
[71]
Duncan Kennedy, 2004.
-
[72]
Jacques Caillosse, 2008.
-
[73]
Jacques Commaille et Laurence Dumoulin, 2009.
-
[74]
Stefan Breuer, 1991.
-
[75]
Sur ces points déterminants, on se reportera à l’article de François Chazel au sein du même numéro.
-
[76]
Si la sociologie s’oppose à l’histoire comme le dit Weber au sens où elle élabore des concepts de types (Typen-Begriffe) et qu’elle est en quête de règles générales, elle prend ses matériaux dans les réalités de l’activité sociale. Max Weber, Économie et société, 1971, p. 17.
-
[77]
John Dewey, 1927.
-
[78]
Max Weber, Sociologie des religions, 1996, p. 376.
1Le renouvellement des perspectives d’analyse en sociologie politique, en particulier par le développement d’une sociologie politique de l’action publique héritière des Policy Sciences et de la Policy Analysis, conduit sans nul doute à une meilleure intelligence du pouvoir politique. L’intérêt du concept de pouvoir politique réside dans la combinaison qu’il suggère d’une position d’autorité qui détermine un droit à commander et une capacité à imposer sa volonté telle qu’elle ressort de l’idée même de pouvoir. Que serait en effet une autorité sans pouvoir, car, comme l’avait bien vu Max Weber, la croyance dans la légitimité du pouvoir politique se nourrit aussi de la réalité de sa puissance. Cependant, la focalisation sur la réponse à la question « Qui gouverne ? » a fait que l’aptitude à contrôler et maîtriser les individus et les groupes est longtemps restée plus significative que la capacité à produire des résultats [1]. Le pouvoir politique a été historiquement identifié davantage à une logique de pouvoir sur que de pouvoir de, même si il est clair que, en pratique, le second peut difficilement se passer du premier : to affect plutôt que to effect pour reprendre la terminologie expressive de Peter Morris [2]. Or, si l’on ne peut évacuer la question de l’ordre politique et du régime qui lui correspond, on ne peut plus désormais ignorer que le pouvoir trouve aussi sa justification dans ses réalisations. Au plan historique, la forte intériorisation d’un modèle d’État protecteur dans les sociétés qu’on appelait jadis capitalistes avancées, a incontestablement rendu les citoyens plus sensibles aux performances des autorités publiques au point de faire de l’efficacité un critère de légitimité et de lier démocratie de forme et démocratie de contenu. On n’obéit pas seulement pour ce que sont les règles qui conditionnent l’action, mais aussi pour ce qu’on pense que sont les résultats de cette même action. Le pouvoir politique doit intégrer une nouvelle dimension qui est liée à sa capacité à traiter les problèmes qui affectent la collectivité. Selon une définition de la démocratie que l’on a qualifiée de bidimensionnelle, un bon gouvernement se doit désormais d’être responsive, sensible aux demandes sociales, et problem solving, efficace dans le traitement des problèmes qui se posent à la collectivité [3]. Si le politique est toujours la manifestation de rapports de forces, de jeux de pouvoir et de stratégies de domination, il est aussi une activité de fixation des buts collectifs qui se cristallisent dans l’énoncé et la mise en œuvre de politiques publiques, c’est-à-dire dans la capacité à définir des buts collectifs, à mobiliser les ressources nécessaires à leur poursuite, à prendre les décisions qu’impose leur obtention et à assumer au final les conséquences qui en découlent. Il ne saurait y avoir désormais de définition valide du pouvoir politique qui n’accorde une place décisive à l’action publique, entendue comme l’ensemble des processus sociaux à travers lesquels sont traités des problèmes considérés comme relevant de la compétence d’autorités publiques et dont le règlement conditionne pour une part la légitimité et la responsabilité [4]. Ainsi, l’action publique devient clairement une des dimensions du pouvoir politique, de son exercice et de sa légitimité et son analyse est indispensable à une sociologie de l’État réactualisée.
2C’est bien dans cette articulation de l’autorité et du pouvoir que se jouent pour une large part ce que nous appellerons volontiers « les métamorphoses de la régulation politique » qui affectent le pouvoir d’État [5]. Nos institutions politiques sont aujourd’hui confrontées à la question centrale du pilotage de l’action publique dans une situation où le pouvoir politique a changé dans son cadre, sa nature et sa portée. On peut aisément résumer à gros traits ces transformations bien connues qui affectent l’ensemble des États contemporains, même si la convergence des problèmes ne doit pas masquer la diversité de leur ancrage empirique liée à la spécificité des trajectoires de construction étatique. Tout d’abord, l’État ne peut plus à lui seul incarner le politique et se trouve concurrencé par d’autres lieux de décision publique. L’avènement de cette « constellation post-nationale » pour reprendre la formule de Habermas [6] se caractérise par une nouvelle configuration de polyarchie institutionnelle dans laquelle l’extension du système politique est passée par la promotion de nouveaux acteurs tant au niveau infranational (collectivités territoriales dans un mouvement de décentralisation qui affecte au moins l’ensemble des États occidentaux) que supranational (institutions internationales diverses telles que l’Organisation mondiale du commerce ou le Fonds monétaire international, mais aussi émergence de nouveaux centres politiques à l’image de la Communauté européenne). Ensuite, l’action des institutions de gouvernement ne se résume plus à une simple fourniture de services en réponse à des demandes sociales plus ou moins exigeantes, elle doit intégrer des impératifs de gestion de « problèmes publics » dont elle a rarement le monopole et dont le traitement génère des conséquences qui définissent la réalité de leurs performances comme la nature, l’étendue et le degré de leur responsabilité. Dans ces conditions enfin, la démocratie ne peut plus elle-même s’envisager à travers la seule activité électorale, elle doit aussi bien assurer la participation de tous ceux qui sont concernés par les conséquences de l’action publique que promouvoir un contrôle impartial des activités de gouvernement à travers des institutions de surveillance adaptées [7]. À l’évidence, la fragilisation du pouvoir politique telle qu’elle ressort de ces transformations conduit à s’interroger de nouveau sur les mécanismes qui conditionnent la légitimité de ceux qui gouvernent dès lors que la légalité ne peut résumer à elle seule l’exercice du pouvoir et faire de la conformité au droit l’unique source de la légitimité.
3Dans la mesure où une des caractéristiques propres au pouvoir politique par rapport à d’autres formes de pouvoir est qu’il est soumis à une contrainte de légitimation, il ne saurait être surprenant que la question de la légitimité ne revienne pas de manière fortement récurrente dans une période où le pouvoir politique, et tout particulièrement le pouvoir d’État, s’éloigne de ses repères traditionnels. Si l’on admet que, pour être pleinement stabilisé, tout pouvoir doit être justifié et accepté, la sécularisation du politique ne pouvait que rendre les régimes politiques modernes plus sensibles aux variations de la confiance que leurs sujets étaient susceptibles de leur accorder. Le pouvoir politique ne s’impose plus de lui-même et il doit trouver une justification à sa propre existence [8]. La recomposition des registres de justification du pouvoir politique très directement liée à une nouvelle définition de ce dernier est patente qui appelle assurément de nouvelles « lentilles conceptuelles » et dessine un nouveau champ de recherche. On ne peut que regretter que la réflexion se soit le plus souvent limitée à la critique convenue du modèle wébérien de la domination légale rationnelle. En même temps, ce n’est guère surprenant tant l’idéal type forgé par le sociologue allemand s’est imposé jusqu’ici comme la référence dominante pour caractériser la légitimité politique de l’État moderne, c’est-à-dire d’un État qui trouvait sa légitimité dans l’exercice du pouvoir en conformité avec la loi [9]. Or, c’est ce modèle qui est maintenant contesté à travers la remise en cause de ses dimensions les plus significatives, à savoir la pertinence du modèle classique de la bureaucratie et la centralité du droit dans la gestion des affaires publiques.
4Il n’est naturellement pas question ici d’aborder la thématique de la légitimité wébérienne dans son ensemble, ce qui serait de toute façon une ambition excessive, mais bien plutôt de nous cantonner à considérer la légitimité du point de vue de la revendication de légitimité de ceux qui gouvernent. Autrement dit, la réception de ces revendications sous l’angle d’une croyance, dans la légitimité, c’est.à-dire ce qui fait la « validité » (Geltung) empirique d’un ordre légitime ne ressort pas de notre propos. À cette condition, le réexamen du mode de domination légale rationnelle devrait nous permettre de mieux saisir et spécifier les décalages qui construisent la singularité actuelle d’un pouvoir politique saisi au prisme de l’action publique et de pouvoir mettre ainsi au jour les mécanismes de recomposition à l’œuvre dans le registre des justifications du pouvoir qui conduisent à repenser la place du droit dans la régulation politique. Pas plus qu’il n’est possible de dire que la conceptualisation wébérienne permet de saisir pleinement l’exercice du pouvoir politique dans toute son actualité, il n’est permis de conclure à l’irrémédiable déclin de la bureaucratie et de la légalité. Si plus que jamais le pouvoir politique doit se justifier, la complexité de son exercice explique l’élargissment de la légitimation dont l’intelligence passe moins par un rejet du schéma wébérien que par son dépassement.
D’une théorie restreinte à une théorie élargie
5Reconnaissons à Weber qu’il a soulevé un problème qui reste prioritaire pour toute analyse approfondie du pouvoir politique et se trouve être reposé dans chaque configuration historique nouvelle, celui des rapports entre État, légitimité et légalité. La force de fascination exercée par la pensée de Weber réside tout simplement dans le fait que, note Breuer, il a rencontré avec son concept de légitimité un « problème central » pour tout groupement politique moderne. Il fut du reste un des premiers à évoquer cette question cruciale de la légitimité. La catégorie de la légitimité n’a pas joué un grand rôle avant lui, même un auteur comme Jellinek dont Weber était proche a écrit sa théorie générale de l’État (Allgemeine Staatslehre) sans référence à la légitimité proprement dite [10]. À la différence des études sur l’État telles qu’elles dominaient le droit positif à son époque, Weber n’en est pas resté à la seule évocation de l’État comme groupement politique, il a mis en jeu une catégorie d’analyse sans laquelle le rapport de l’État et de la domination ne pouvait être pensé : la légitimité. Weber est certainement le premier à en avoir fait une catégorie analytique pour la compréhension de l’État : « La légitimité est la sœur jumelle (Zwillingsschwester) de l’État moderne. » [11] Elle est comme le dit Anter, « le point archimédien de sa sociologie de la domination » [12]. Chez Weber, État, domination et légitimité entretiennent des relations indissociables. Weber ne cessera de dire d’ailleurs que la légitimité joue un rôle déterminant dans la stabilisation des régimes politiques insuffisamment apprécié. L’importance pour la sociologie politique du raisonnement webérien aura donc été déterminante. Et ce n’est pas un hasard si le travail entrepris avec la publication du volume de la Max Wéber-Gesamtausgabe dédié à la sociologie de la domination est l’occasion d’une relance de la discussion sur la pertinence des concepts wébériens dans une conjoncture historique justement marquée par « un processus avancé d’érosion du concept classique d’État » [13].
6La théorie wébérienne de la légitimité est d’autant plus difficile à cerner qu’elle recouvre une multiplicité de facettes et qu’il est du même coup fallacieux de l’enfermer dans l’apparente simplicité d’une formulation idéal typique. En rester en particulier à une conception étroite de la domination comme relation d’obéissance conduit à une vision restrictive du pouvoir politique. Weber en avait eu conscience et, pour cette raison, il est permis de trouver dans son œuvre la présence d’une théorie élargie qui permet de penser la légitimité de manière plus complète comme combinaison d’une justification de la distribution de l’autorité et d’une justification des actes de pouvoir. Ainsi, est-il conduit, à travers la prise en compte de la profession d’hommes politiques, à considérer la légitimité comme exercice d’une responsabilité politique qui se définit aussi comme responsabilité historique.
Une légitimité sans qualités
7Il n’est pas question ici de revenir sur les modalités historiques selon lesquelles la légitimité légale rationnelle s’est imposée comme la forme moderne de la domination politique, ou tout au moins comme son incarnation idéal typique. On peut certes comprendre d’un point de vue historique comment les défenseurs d’un droit naturel ont pu jouer un rôle décisif dans l’émergence d’une démocratie construite sur le droit, mais on peut aussi comprendre comment l’idée de légalité est le résultat d’un processus complexe de rationalisation au cours duquel la désintégration de l’axiomatique jusnaturaliste a débouché sur la consolidation d’un positivisme juridique de nature instrumentale. Ce qui est clair est que la sociologie du droit est, chez Weber, un élément important dans la construction de sa sociologie de la domination visible dans la proximité de la rationalité formelle du droit et de la domination « légale-rationnelle » qui présuppose l’identité du droit et de l’État. Du reste, il parle à propos de l’État de la « seule institution coercitive étatique se prétendant seule source de tout droit “légitime” » [14]. La victoire du rationalisme juridique formaliste a permis le développement en Occident du type légal de domination dont on sait que l’incarnation la plus pure reste la domination bureaucratique, laquelle est indispensable à l’émergence de l’État moderne. La cohérence du tableau de la modernité telle qu’esquissée par Weber s’incarne dans la « réciprocité fonctionnelle » unique entre État, droit et bureaucratie [15]. L’État rationnel « repose sur le fonctionnariat expert et sur le droit rationnel » au sens où l’État a besoin d’un droit prévisible (berenchenbar) et d’une administration régie par des règles formelles [16]. L’État a besoin de la croyance en la conformité au droit des actions entreprises en son nom et le droit ne peut exister sans l’État. L’existence d’une bureaucratie formelle efficace ne peut avoir de réelle portée sans l’appui d’une mise en cohérence juridique rigoureuse [17]. Inversement, la rationalisation des moyens d’administration contribue à l’unification et la systématisation du droit. Ainsi l’État dispose du monopole de l’usage de la force pour faire respecter l’ordre de droit qu’il a lui-même instauré et qui lui confère une légitimité spécifique à la mise en œuvre de la contrainte physique. En termes non wébériens, il est permis de dire que nous sommes là en présence d’une interdépendance systémique particulièrement déterminante.
8L’autre dimension significative réside dans le développement d’une rationalité formelle dont on sait qu’elle est au cœur du processus global de rationalisation. La légitimité de la domination est liée à la croyance dans la légalité de la règle, « laquelle est générale, élaborée en fonction d’une fin, établie et promulguée selon des critères de correction formelle » [18]. La rationalité juridique formelle peut en effet se définir comme la manière moderne de réaliser des interprétations juridiques pour générer scientifiquement de nouvelles normes juridiques des postulats législatifs. Ainsi le droit occidental est-il doublement caractérisé par un haut degré de systématisation logique et l’importance du raisonnement déductif. Le principe formel de légitimation fait que la légitimité du droit formellement rationnel repose sur le principe de légalité et la régularité procédurale, et non sur un critère substantif de légitimation.
9Il est frappant de constater qu’à l’insistance sur la dimension formelle de la domination légale correspond une sorte de « dématérialisation » du politique. Pas plus qu’il ne définit l’État par la nature de ses activités, Weber n’assigne à la politique de contenu particulier. Si la politique peut se résumer à la lutte (Kampf), l’activité politique se présente de manière assez générale comme « le fait de chercher à participer au pouvoir ou à influer sur sa répartition », ou encore « nous dirons qu’une activité sociale est “orientée politiquement” (politisch orientiert) lorsque et en tant qu’elle a pour objet d’influencer (de façon non violente) la direction d’un groupement politique, en particulier l’appropriation, l’expropriation, la redistribution ou l’affectation des pouvoirs de direction » [19]. Le politique est lié à la distribution du pouvoir et de l’autorité. Du même coup, il n’attribue pas non plus à la légitimité de contenu précis, quelle que soit sa nature, traditionnelle, charismatique ou légale rationnelle. À un État « sans qualités » (ohne Eigenschaften) selon la formule suggestive de Anter correspond de manière symétrique une légitimité « sans qualités » [20]. De fait, la légitimité est une légitimité creuse qui définit de manière très générale le cadre d’exercice du pouvoir indépendamment de la nature de son exercice. Ceci a plusieurs conséquences.
10Tout d’abord, la typologie wébérienne est clairement conceptualisée selon la perspective des dominants dans la mesure où Weber envisage la légitimité comme l’assentiment apporté par les dominés à des revendications de légitimité. C’est bien ce qui pousse Weber à se désintéresser assez largement des motifs qui commandent réellement l’obéissance des dominés pour se focaliser sur la réalité de leurs comportements du point de vue du succès de la domination. Ainsi que l’observe Breuer, « une multitude de motifs soutenant la croyance des dominés en la légitimité sont presque délibérément ignorés » [21]. Ce n’est pas son problème car ce n’est pas son sujet, ce qui explique qu’il a préféré s’interroger sur la validité empirique d’un ordre au détriment d’une attention plus soutenue aux raisons profondes qui conduisent les acteurs sociaux à adhérer à cet ordre et à orienter leur action en conséquence. La légitimité d’un ordre doit en effet pouvoir s’accommoder de la pluralité et la diversité des intérêts pratiques.
11Ensuite, sa démarche lui permet de refuser toute forme de normativisme. C’est pourquoi, après avoir brièvement envisagé l’adjonction à sa typologie d’un quatrième type pur qui aurait été celui de la domination démocratique, Weber l’a rapidement abandonné. Il n’était en effet pas cohérent avec la dimension pleinement sociologique de sa théorie de la légitimité. La démocratie ne peut valablement incarner un type de domination légitime pour la seule raison que la domination suppose un minimum de pouvoir de décision et que dans ces conditions la démocratie ne saurait conduire à voir dans les gouvernants les seuls « serviteurs » des gouvernés. La domination, c’est bien la capacité à déterminer l’agenda pratique des acteurs comme on dirait aujourd’hui et c’est bien pour cela que Weber nous dit aussi que le contrat entre le salarié et son patron ne signifie pas l’égalité des contractants. De plus, on peut penser également que la démocratie relève d’un mode de domination légal rationnel du simple fait qu’elle repose sur des relations de domination encadrées par le droit. En aucun cas, il ne s’agit d’un quelconque sentiment critique à l’égard de la démocratie, et Stefan Breuer a parfaitement raison de dire que quiconque avancerait un tel argument n’aurait de fait pas saisi le sens de la théorie de la légitimité de Weber. Celui-ci n’a d’ailleurs pas tenté dans sa théorie de développer un critère normatif fondateur selon lequel un ordre étatique donné pourrait être approuvé ou condamné. En conséquence, tout mouvement de contestation reposant sur la volonté des dominés est toujours sociologiquement « initialement illégitime », ce qui, encore une fois, n’a rien à voir avec un quelconque jugement de valeur sur les raisons qui poussent les dominés à contester la « loi des dominants ». Ainsi, tant que ceux qui contestent l’ordre établi n’ont pas réussi à s’imposer, ils ne peuvent définir un ordre légitime. C’est la raison qui pousse Weber à voir dans la Ville l’exemple d’une domination non légitime dès lors qu’elle incarne une révolte contre les privilèges des ordres patrimoniaux qui ont marqué le Moyen Âge. Le travail sur la ville relève bien en cela d’une analyse de la contestation des pouvoirs légitimes au sens où la ville est elle-même une structure de domination en rupture du système des ordres de la société féodale. C’est seulement selon un processus aussi long que complexe que la ville, comme expression historique d’une domination non légitime, donnera naissance, à travers la formation de la liberté bourgeoise, aux institutions politiques modernes telles qu’elles verront à s’incarner dans la figure de l’État [22]. Dans tout ceci, le registre sociologique est patent.
12Weber a eu toujours conscience de la fragilité de la légitimité, ou tout au moins de son absence d’évidence absolue et il n’a jamais exclu la contestation, au moins pour deux raisons de nature différente. Tout d’abord aucun régime politique n’est « authentiquement légitime » parce qu’il existe une pluralité de principes de légitimité [23]. Ensuite, parce qu’au sein d’une même société coexistent des ordres sociaux différents auxquels l’acteur va se trouver confronter sans avoir jamais l’assurance de pouvoir les articuler, sauf à se cacher comme le tricheur. L’exemple du duel illustre bien cette situation dans la mesure où l’ordre social légitime interdit la pratique du duel, mais que, au sein d’un autre ordre social auquel adhère l’individu, le code de l’honneur qui le régit conduit à faire du duel une activité obligatoire pour se faire respecter. La sociologie wébérienne ne s’intéresse guère au fossé qui existe entre les revendications des dominants à la légitimité et les motifs des dominés tant que ceux-ci demeurent en fait compatibles avec la revendication de légitimité.
13Du reste, il est important de noter que pour Weber les problèmes de légitimation et d’organisation doivent être pensés ensemble, car la domination renvoie clairement à l’exercice d’une direction [24]. De ce point de vue, la place de la bureaucratie au sein de la légitimité légale rationnelle n’est que la suite logique de sa définition de la légitimité comme domination. Déjà, Weber l’a clairement perçu, « toute domination s’exprime et fonctionne comme administration ». Pour cela, comme le dit Anter, le concept d’État administratif forgé par Schmitt serait pour Weber une tautologie [25]. Comme il le dit fort explicitement : « Dans toutes les formes de domination est vital le fait de l’existence de la direction administrative et de son action continue en vue du maintien de la docilité qui tend à l’exécution des ordres sous la contrainte. » [26] Autrement dit la domination légitime suppose des actes de gouvernement, elle les rend possible ou tout au moins les autorise, au sens fort du terme. Ainsi la question de la légitimité donne lieu à la constitution d’un appareil de pouvoir destiné à éventuellement contrebalancer la fragilité de la légitimité. Du même coup, l’obéissance des membres de la direction administrative qui assiste tout pouvoir de domination est essentielle et Weber accentue avec raison le rôle des états-majors dans les processus de légitimation et délégitimation du pouvoir. Contrairement à la formulation de Rosanvallon, la légitimité ne peut être si facilement assimilée à une « institution invisible » : elle est certes une croyance, mais elle n’est pas étrangère à la constitution d’un dispositif de pouvoir. Pour la domination légitime de l’État, ce qui est essentiel c’est la croyance en la légitimité des membres des organes de l’État et des institutions étatiques dans lesquelles se déroule le processus de légitimation. C’est bien du fait de la fragilité de la domination que le cercle restreint qui se constitue autour des dominants est aussi nécessaire.
14Sans revenir sur l’intérêt sociologique d’une saisie de la légitimité comme relation de domination, il est permis cependant de souligner la portée limitative d’une telle perspective. De fait, la seule analyse de la domination du point de vue du « pouvoir sur » conduit à donner une dimension restreinte à la légitimité, restreinte à la seule distribution du pouvoir d’exercer un droit de commander. Du même coup, l’analyse de la domination légitime revêt un caractère « quasi constitutionnel » dans la mesure où ce qui est visé relève uniquement de l’ordre de la distribution du pouvoir. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Weber lui-même retient cette formulation. En effet, pour lui, la réalité de la domination exprime bien « la véritable constitution » (Verfassung) du groupement politique qu’est l’État [27]. C’est-à-dire celle qui ne relève pas simplement des règles consignées dans un texte rationnel explicite. Car, en dernier ressort, et c’est la conséquence de la légitimité conçue comme relation de domination, ce qui compte est la réponse à la question suivante : « À quels hommes en dernière analyse se “soumettront” pratiquement en moyenne ceux qui, selon l’interprétation courante, sont chaque fois visés par la contrainte, dans quelle mesure et sous quels rapports ? » [28] De ce point de vue, une des grandes intuitions de Weber est d’avoir élaboré la notion d’ordre juridique empirique (empirische Rechtsordnung). Cependant, on peut se demander s’il ne s’agit pas là de la mise en évidence d’un premier niveau de légitimité, celui qui rend possible l’exercice stable d’une domination, mais elle ne nous dit rien sur la réalité de son exercice. La croyance dans la légalité ne fait que définir l’accès légitime au pouvoir d’un dirigeant, elle ne définit pas la légitimité de son maintien qui relève, comme nous le verrons d’un autre registre de justification. Il est probable que l’impossibilité de trouver un fondement métajuridique à la légalité formelle comme critère définitif de la légitimité de l’État allié à « la disparité irrémédiable des formes dernières de représentation du monde » ait conduit Weber à se satisfaire d’un accord sur des procédures.
15Sa conception de la légitimité est là encore partie prenante de sa théorie de la modernité. Dans une société pleinement sécularisée, aucune valeur ne peut en effet pleinement s’imposer, la concurrence des valeurs s’exprime largement dans les régimes démocratiques, c’est bien pour cela que seuls des systèmes de règles formels assurant la possibilité de leur expression et de leur discussion peuvent s’imposer comme adéquats. C’est le sens des remarques de Jean-Marie Vincent défendant justement la position de Weber : « Démocratie sans message, elle est la démocratie qui tolère la pluralité des messages, voire les favorise en s’opposant aux fanatismes. » [29] De manière moins grandiose mais tout aussi réaliste, on pense au « paradoxe des associés-rivaux » cher à François Bourricaud, pour lequel l’action politique reposait sur « la prise de conscience du caractère contentieux de l’action collective », mais qui pensait qu’un accord sur des normes communes ne préjugeait en rien un nécessaire alignement des points de vue [30]. Ou faut-il, avec Luhmann, voir derrière cette généralisation de la légitimité « qui en fait presque une acceptation sans motif » une sorte de « consentement fondamental » qui permet de concevoir la légitimité comme une disposition généralisée à admettre à l’intérieur de certaines limites de tolérance des décisions au contenu encore indéterminé [31]. Dans un monde justement où il ne peut véritablement se dégager une volonté totalement commune, pas plus qu’un intérêt général qui soit le fait de tous, il est raisonnable de trouver dans les règles de droit des modalités efficaces de gestion des rapports sociaux dès lors que le compromis s’impose. C’est bien ce qui a conduit Weber à s’opposer à toute attaque excessive contre le formalisme juridique et à faire sienne la formule expressive de Jehring : « La forme est l’ennemie de l’arbitraire, la sœur jumelle de la liberté » (die Form sei die Feindin der Willkür, die Zwillingsschwester der Freiheit) [32]. Pour autant, il doutait manifestement que la croyance en la légitimité de la domination puisse trouver une assise suffisante dans une conception purement formelle de la légalité. Lorsque la force des règles ne réside plus que dans leur fonctionnalité, est-ce suffisant ? C’est-à-dire lorsque le droit a perdu tout caractère sacré pour ne plus être que « un appareil technique rationnel » [33].
16Weber avait de fait bien perçu que la légitimité du pouvoir devait incorporer d’autres dimensions. En particulier, il est vraisemblable que sa sociologie ne lui permettait pas totalement de croire au succès d’un mode de domination simplement anonyme. C’est bien la complexité inhérente aux mécanismes d’acceptation du pouvoir politique qu’il exprime dans le passage suivant à travers la combinaison possible des types de légitimité : « D’une façon générale, il faut retenir que le fondement de toute domination, donc de toute docilité, est une croyance, croyance au “prestige” du ou des gouvernants. Cette croyance n’a que rarement une signification unique. Elle n’est jamais croyance en une domination “légale” purement légale. Au contraire, la croyance en la légalité est “acclimatée”, et par là même conditionnée par la tradition : l’éclatement de la tradition peut la réduire à néant. Au sens négatif elle est aussi charismatique : les échecs éclatants et répétés d’un gouvernement, quel qu’il soit, contribuent à la perte de celui-ci, brisent son prestige et font mûrir le temps des révolutions charismatiques. » [34]
17Weber était sans nul doute conscient de la fragilité d’un mode de légitimité qui ne reposait que sur la croyance dans le bien-fondé de sa seule légalité, c’est certainement ce qui l’a conduit à tenter de le consolider par d’autres mécanismes comme celui de la démocratie plébiscitaire et à chercher dans la qualité des hommes politiques l’assurance d’un pouvoir politique responsable.
La légitimité comme exercice de la responsabilité
18La typologie des formes de légitimité n’épuise pas la réflexion wébérienne sur la légitimité et c’est certainement dans la notion d’éthique de responsabilité et dans ses observations sur le métier d’homme politique que l’on doit chercher un utile prolongement. Certes, suivant en cela le précepte de Fichte, il savait qu’on n’a pas le droit de présupposer la bonté et la perfection de l’homme. C’est bien ce qui l’a conduit à réfléchir sur les conditions institutionnelles susceptibles d’amener les hommes à se comporter de manière sinon vertueuse, tout au moins conforme aux exigences de leur fonction. Pour autant, l’action politique ne peut être dissociée de ceux qui la conduisent, et par là même, pour lui, la viabilité d’un régime politique est liée à la qualité des hommes qui gouvernent. Au-delà de l’acquisition d’un droit légitime à commander, il faut bien qu’ils apportent la « confirmation » (Bewährung) du bien fondé de leur position à travers la qualité de leurs actes. Si la légitimité d’une domination s’exprime sur des bases légales-rationnelles, le succès des individus se mesure aussi aux résultats de leur action. Avoir le droit de gouverner ne dispense pas de la qualité du gouvernement, la croyance en la légitimité du pouvoir se nourrit aussi de la réalité de la puissance [35]. Gouverner, c’est tout à la fois être efficace et utile. L’exercice du pouvoir est devenu, avec Weber, un élément de la légitimité politique.
19Dans une période aussi troublée que la sienne, Weber ne pouvait qu’être sensible au fait que, sans pour autant qualifier l’État par la nature de ses activités, il devenait difficile d’appréhender l’action des hommes politiques indépendamment du contenu de leurs interventions, surtout lorsque celles-ci se développent suivant une logique de rationalité en finalité qui vise du même coup à l’efficacité. Même si les « écrits politiques » sont davantage concernés par des questions d’ordre pratique qui font plus appel aux catégories du combat, de la lutte et du rapport de force qu’à celles de l’ordre et de la légitimité, on est aussi en droit d’y trouver une analyse renouvelée des critères qui constituent la justification du pouvoir en même temps que les exigences à partir desquelles il est possible de penser la légitimité des gouvernants.
20La figure de l’homme politique promue par Max Weber a un côté exemplaire au sens où il distingue l’homme politique du simple politicien, les hommes politiques par vocation (Politiker kraft Berufes) des hommes politiques professionnels (Berufspolitiker) [36]. « L’homme politique authentique » est celui qui sait articuler éthique de conviction (Gesinnungsethik) et éthique de responsabilité (Verantwortungsethik). Il y a, pour Weber, deux sortes de péchés mortels dans le domaine de la politique : l’absence de cause et l’absence de responsabilité. Bien sûr, l’homme politique ne peut éviter les jeux de pouvoir et les rapports de force, mais son action reste informée par une conscience éthique qui lie son engagement à sa responsabilité à l’égard de la communauté politique.
21Si la politique est portée par une cause, elle est aussi et tout autant affaire de choix et de réalisation. De manière tout à fait significative, Weber avait d’ailleurs préalablement qualifié de Machtethik, éthique du pouvoir, ce qui allait devenir éthique de la responsabilité au sens où l’exercice concret du pouvoir est bien ce qui détermine la responsabilité de l’homme politique. Autrement dit la qualité des idéaux énoncés ne saurait conférer à elle seule la dignité à celui qui les porte. Max Weber nous donne ainsi une représentation « complète » de ce que doit être le pouvoir politique dans les sociétés modernes : le pouvoir politique est tout à la fois une activité de formulation et de réalisation des fins. Mais surtout il développe une conception très moderne de la responsabilité, dès lors que celle-ci n’est pas simplement celle des réalisations (ce que l’analyse des politiques publiques nommera plus tard outputs), mais de façon plus profonde celle des résultats, c’est-à-dire celle des conséquences produites par les actions entreprises (outcomes dans le langage de l’analyse des politiques publiques). Les conséquences sont de fait les vrais critères à partir desquelles on peut évaluer (bewerten) la contribution des hommes politiques au traitement des problèmes de la communauté. Weber n’est certes pas le premier à insister sur l’importance des conséquences de l’action, mais il est au fond le premier à mettre véritablement la question des conséquences au cœur du politique et à en faire la responsabilité des hommes politiques en la rapportant à l’existence de la communauté politique nationale au sein de laquelle il s’agit de penser l’avenir. C’est la présence de la communauté qui permet d’évaluer le rapport entre conviction et conséquences, et donc de définir la nature de la responsabilité. C’est bien du point de vue de la communauté, en l’occurrence « des intérêts vitaux de la nation » [37], qu’on va apprécier les conséquences de l’action, autrement dit sa portée. En définissant la communauté politique comme une réalité historique, Weber confère du même coup à la responsabilité une dimension tout à la fois empirique et prospective.
22La supériorité ou plus précisément l’importance de l’éthique de la responsabilité trouve sa justification dans le souci de la communauté qui l’inspire et montre qu’il y a une rationalité spécifique du choix politique. L’éthique de la responsabilité ne peut être lue comme une simple limitation de l’éthique de conviction au nom d’un quelconque réalisme, elle marque l’introduction d’une autre considération, qui est celle précisément de la communauté, dans l’appréciation du rapport entre conviction et conséquences. Ceci implique de fait une réhabilitation de la rationalité en finalité dont on perçoit bien qu’elle ne peut être réduite à une simple rationalité instrumentale. La référence prioritaire aux résultats est tout au contraire fort éloignée d’une rationalité étroite de type utilitariste. Elle procède d’un autre raisonnement qui est en l’occurrence celui de l’homme public dont l’action doit toujours être envisagée du point de vue de la communauté et opérée en fonction des spécificités situationnelles définies par la singularité des moments historiques. Ainsi, c’est bien ce qui revient à « définir la politique efficace comme l’ “art du possible” [Kunst des Möglichen] » [38]. Le « contextualisme » wébérien est tout à la fois une posture sociologique au plan de l’analyse et une posture pratique à celui de l’action. C’est bien une conception de l’action politique « dans le monde » qui est développée qui s’interroge moins sur la question de ses fondements que sur celle de sa capacité et ses limites à « faire » l’histoire.
23Si la responsabilité n’est pas étrangère au fait de rendre des comptes, elle est aussi largement de nature prospective. Il y a là l’affirmation de la mission même du politique dans la mesure où ce qui le concerne, c’est « l’avenir et la responsabilité à l’égard de l’avenir » [39]. Dans un monde marqué du sceau des conséquences, la référence au passé ne peut tenir lieu de seule marque de la responsabilité, et s’il est décisif de se demander comment maîtriser les choix politiques et leur opérationnalisation, c’est bien en vue d’un avenir à la construction duquel l’homme politique participe. Autrement dit, l’homme politique ne doit pas seulement rendre des comptes de ce qu’il a fait, il doit aussi rendre des comptes d’un futur probable. Cette évocation très moderne de la responsabilité à l’égard des générations futures fait penser que Weber aurait certainement été très sensible à l’émergence de ce que Norberto Bobbio identifie comme les « droits de troisième génération » qui concernent le droit de vivre dans un environnement non pollué. Elle n’aurait probablement fait qu’accroître chez lui la pression à la responsabilité en même temps que l’exigence d’une action publique efficace en ces domaines [40].
24Pour autant, si Weber perçoit bien la nécessité et la pleine légitimité d’une intervention politique, il n’offre pas une analyse aussi claire de ce que devrait être celle de l’administration qui constitue pourtant le bras armé du politique. S’il est convaincu de l’efficacité du modèle bureaucratique pour l’action, c’est uniquement sous l’angle de la responsabilité qu’il est conduit à séparer l’homme politique du fonctionnaire. Contrairement à l’homme politique, ce dernier est certes responsable de ce qu’il fait, mais pas des conséquences qui découlent de ses actes pour deux raisons analytiquement distinctes mais fortement liées : du fait de sa spécialisation d’une part qui l’empêche de saisir l’impact de son action sur des domaines autres, et pour la raison essentielle d’autre part qu’il n’est pas en charge du devenir de la nation. À la responsabilité restreinte d’un point de vue sectoriel et temporel du fonctionnaire s’oppose la responsabilité générale et historique du politique. Autrement dit, la distinction entre les deux acteurs s’inscrit dans la structure même de leurs tâches. La supériorité du politique réside dans sa capacité à « déterminer la politique », car « fixer des buts politiques n’est pas une affaire de spécialisation » [41]. Si une politique publique peut s’entendre comme « l’élaboration et la conduite méthodiques d’intérêts pratiques déterminés » et à ce titre réclamer l’intervention du fonctionnaire, elle est avant tout l’affirmation d’une « finalité » qui implique bel et bien la « direction du groupement politique » que constitue l’État [42]. Certes le fonctionnaire doit travailler sine ira et studio, mais on ne saurait lui laisser le privilège d’agir « sans contrôle et sans responsabilité » [43]. La méfiance qui est celle de Weber pour la bureaucratie se situe au niveau de sa responsabilité, Weber ne s’est pas vraiment intéressé à l’action des administrations. Tout d’abord, Weber était essentiellement un juriste de droit privé, et en dehors des questions constitutionnelles, il n’a jamais manifesté un véritable intérêt pour le droit public. On peut le regretter parce que le processus de rationalisation du droit public est laissé de côté dans sa sociologie du droit alors même qu’elle est essentielle du point de vue de la sociologie de la domination [44]. Ensuite, Weber avait une image subordonnée de l’appareil administratif, cohérente pour son époque et assez proche de celle que développera un peu plus tard Kelsen. L’administration se conçoit avant tout comme un rouage d’exécution, il ne lui appartient pas de déterminer le sens de l’action [45]. Pour ces raisons, Weber n’était guère en mesure de percevoir l’importance de l’administration dans la production d’action publique comme on peut le faire aujourd’hui.
25Ainsi, le suivi attentif de la réflexion wébérienne permet de distinguer différents niveaux qui composent analytiquement la légitimité politique :
26—?Le niveau procédural qui correspond de fait à la légitimité de type légal rationnel, au sens où celle-ci détermine le cadre et les instruments de l’action des pouvoirs publics et les conditions dans lesquelles celle-ci doit se dérouler : conformité au droit et respect des procédures. Il s’agit d’une légitimité qui définit le cadre d’intervention des pouvoirs publics et par là même la nature du régime politique.
27—?Le niveau de la responsabilité politique tel qu’il relève de l’action proprement politique qui articule les fins choisies, les objectifs déterminés et les conséquences recherchées, mais aussi les conséquences obtenues. être responsable d’une politique signifie pouvoir donner les raisons qui permettent de la « justifier » en même temps que pouvoir rendre compte de ses résultats. La responsabilité définit une légimité d’action.
28La clarification est d’importance par sa portée tant théorique qu’empirique. Elle montre déjà la pluralité des principes de justification du pouvoir tout comme leur différence de niveau, mais aussi par là même la concurrence, voire la « tension » pourrait dire Weber, qui est susceptible de survenir entre eux. La validité empirique de la légitimité politique devient aussi plus délicate à saisir quand la croyance en la légitimité est susceptible de reposer tout à la fois sur le respect des règles de droit et sur les performances des autorités. Du fait de l’interdépendance des deux dimensions, inculquer un sentiment de légitimité à l’égard du pouvoir politique est aussi plus aléatoire et contingent. Tout ceci ne fait que montrer le caractère irrémédiablement subjectif et relatif de la légitimité comme sa fragilité.
29C’est bien la question de la démocratie qui se trouve posée si l’efficacité peut en venir à s’opposer à la légalité. Max Weber montre bien in fine que l’antagonisme entre légalité et légitimité n’est pas prêt de disparaître dans la mesure où l’effondrement d’un type de domination peut être clairement lié à l’affaiblissement des performances du pouvoir et à la multiplication de comportements illégaux [46]. En effet, la réflexion même qu’il inaugure à propos de la responsabilité politique montre que la légalité pourra difficilement constituer la seule marque de légitimité du pouvoir politique, c’est peut-être aussi la raison qui le conduira à accorder autant d’attention à la configuration institutionnelle d’une démocratie ordonnée (geordnete Demokratie) pour assurer la sélection de dirigeants de valeur.
Légitimité et action publique
30L’examen du modèle initial de la légitimité légale rationnelle au regard d’une théorie plus large de la légitimité invite à prêter une attention plus grande aux modalités mêmes d’exercice du pouvoir politique et ouvre des perspectives de recherche incontestablement stimulantes sur une question difficile. C’est pourtant l’idéal type de la domination légale rationnelle qui retiendra l’attention et s’imposera comme la grille de lecture des régimes politiques occidentaux et comme la caractérisation la plus significative de leur mode de fonctionnement.
31Le développement décisif de l’analyse des politiques publiques et plus largement une attention plus forte aux modalités de développement de l’action publique conduiront cependant à contester la pertinence du modèle, voire à le considérer comme irrémédiablement dépassé. Si l’on admet que l’action publique constitue désormais une dimension essentielle de la justification du pouvoir, il faut reconsidérer la place occupée par les deux composantes majeures de l’idéal type de la domination rationnelle légale que sont la bureaucratie et le droit. La bureaucratie en constituait le type le plus pur quand le droit occidental moderne apparaissait comme l’incarnation la plus aboutie de la rationalité formelle, et les deux fonctionnaient sur le double registre de principes et d’instruments de légitimation. Même si les critiques ont souvent procédé d’un usage convenu d’un modèle mal connu, elles sont ancrées dans des observations empiriques qui attestent la réalité des transformations de la gestion publique.
32L’apparition du concept de « gouvernance » a servi de label commode pour marquer le nouvel âge d’une action publique caractérisée par la complexité des problèmes publics, la croissance des interdépendances et de la compétition internationales, la pluralité des centres de décision sans hiérarchie claire et le développement de modes de décision informels pour contrebalancer l’absence de flexibilité des structures bureaucratiques [47]. La gouvernance vise à rappeler que l’action publique ne se réduit plus à l’action des seuls « gouvernements », dont l’étude ne peut plus désormais rendre compte de la complexité d’une activité qui transcende les barrières du privé et du public, traverse les nomenclatures politico-administratives et mêle les différents niveaux d’intervention tant infra- que supranationaux. Comment parvenir à articuler des buts collectifs dont la formulation est délicate, des acteurs dont le statut et les intérêts sont très différents, des territoires hétérogènes est bien ce qui constitue le cœur d’une réflexion menée en termes d’action collective. La perspective défendue reste cependant dans les travaux les plus accomplis state centric, car, bien que nous soyons dans une post strong state era, l’État demeure l’acteur politique clé dans la société et l’expression prédominante de l’intérêt collectif. Il est en tout cas le seul acteur qui peut réellement s’attribuer un mandat politique légitime pour faire ce qu’il a à faire. Tous cependant mettent clairement l’accent sur la capacité des autorités publiques à construire et mettre en œuvre des politiques publiques, autrement dit à piloter des ensembles sociaux plus ou moins vastes. La tonalité très critique à l’égard de l’interventionnisme de l’État-providence qui est à l’origine de cette orientation de recherche a d’ailleurs conduit à considérer les activités de gouvernement plus comme la cause et moins comme la solution des problèmes que rencontre la société, prolongeant ainsi le raisonnement ancien de Wildawski selon lequel les « politiques (policies) sont leurs propres causes » [48]. La démarche vise du même coup à davantage insister sur les capabilities politiques que sur la détention des pouvoirs formels tout comme l’attention est plus tournée vers la production des outputs et des outcomes que vers le contrôle des inputs. Ce sont bien les résultats de l’action qui importent.
33Dans ces conditions, il est logique qu’une attention renouvelée soit portée à la question de l’organisation comme à celle des « outils » (tools) de gouvernement qui conduit à une appréciation critique du mode de domination légale rationnelle à un double niveau :
34—?celui de la bureaucratie comme mode d’organisation ;
35—?celui du droit comme instrument d’action publique.
36Le droit et la bureaucratie pouvaient se penser de manière autonome, il faut aujourd’hui les concevoir dans leur ajustement aux politiques publiques formulées et mises en œuvre, autant constitués par l’action publique que constitutifs de celle-ci. Ceci conduit à mettre en avant un double décalage qui marque la configuration actuelle de l’action publique et qui introduit une rupture forte par rapport au passé comme par rapport à l’idéal type qui en assurait la compréhension :
37—?L’action publique ne peut plus se résumer à la seule activité des bureaucraties publiques dont le modèle d’organisation est de surcroît fortement contesté. Les dispositifs de gestion des problèmes publics sont conduits à rechercher des modes de coordination de l’action de nature autre que simplement hiérarchique. Le changement de nature des enjeux d’action publique génère d’autres modalités de coopération qui passent souvent par une hybridation des modèles organisationnels. Le pilotage de l’action ne se résume plus au seul pilotage des bureaucraties publiques.
38—?Le droit, en l’occurrence le droit public, plus précisément administratif, est amené à se transformer. Tout à la fois parce qu’il subit les mutations de l’action publique et aussi parce qu’il les accompagne ou les précède. Il est toujours un instrument indispensable de l’action publique, mais il n’est plus lui-même qu’un des instruments disponibles du pouvoir politique et, de plus, l’ordre du droit administratif ne recoupe plus l’ordre bureaucratique.
39Ce sont là autant des enjeux pratiques que des questions de recherche qui ne sont pas spécifiques à tel ou tel État, mais se rencontrent dans l’ensemble des États occidentaux tout au moins. Ainsi, c’est moins la question de la légitimité dans son ensemble qui est en jeu que celle des transformations que les modalités actuelles de l’action publique font subir au mode domination légal rationnel. Qu’en est-il en effet si la bureaucratie et le droit ne déterminent plus l’action publique ?
Réinventer l’organisation
40L’action publique doit être aujourd’hui clairement pensée en fonction des caractéristiques multi-organisationnelles des programmes publics [49]. Le diagnostic est connu, lié au développement d’une approche de la gestion publique en termes de politiques publiques ou de programmes d’action qui a conduit à s’éloigner du modèle bureaucratique de plus en plus condamné pour sa rigidité et son inefficacité. À l’origine, la bureaucratie fut indiscutablement l’institutionnalisation de l’action rationnelle en finalité, et il convient de la saisir dans sa dimension historique par contraste avec les structures patriarcales et patrimoniales [50]. Weber a parfaitement montré le rôle considérable qu’elle joua dans la construction de l’État moderne en assurant tout à la fois la démocratisation sociale de son personnel à travers des procédures de recrutement juridiquement réglées et sa professionnalisation par l’accent mis sur la qualification [51]. Droit et bureaucratie sont indissociables, Weber le rappelle en évoquant la figure du fonctionnaire dont la soumission résulte de l’attachement impersonnel à un devoir de fonction encadré par le droit : « Ce “devoir de fonction” ainsi que le droit de domination qui lui correspond – la compétence – sont définies par des normes établies rationnellement. » [52] Les deux éléments ont une même grammaire : le droit formel correspond à une logique déductive où le particulier est déduit du général, quand la bureaucratie correspond à une logique identique du point de vue de la qualification au sens où les qualifications subalternes sont déduites des qualifications supérieures. La hiérarchie bureaucratique reflète en effet la gradation des compétences faisant des bureaucraties des hiérarchies transitives. La bureaucratie présente un avantage considérable dans la mesure où elle constitue une double solution à la légitimité de l’ordre social et à l’efficacité de l’action où elle est à la fois autorité, constitution d’un ordre social légitime, et pouvoir, mode d’organisation du travail en vue de la résolution de problèmes pratiques. Les questions de la légitimité et de l’efficacité sont bien deux questions distinctes, et Weber a mis au jour la dualité de l’organisation qui prend son sens dans la disjonction de l’autorité et du pouvoir, mais trouve leur articulation dans un modèle unique de hiérarchie. La force de la bureaucratie était bien à l’origine dans le parfait recoupement des principes d’ordre et des principes d’action, de l’autorité et du pouvoir.
41Certes, on savait que l’organisation avait du mal à fonctionner selon son propre mode de structuration et toute la sociologie des organisations l’a abondamment montré au prix cependant d’une incompréhension du modèle wébérien car, là encore, on a cru voir dans l’idéal type de la bureaucratie la réalité de son fonctionnement. Or, Weber n’a jamais pensé que la bureaucratie pouvait fonctionner d’elle-même sans heurt ou sans quelques dérives, bien au contraire il envisage lui-même la probabilité de mécanismes informels ou de bricolage qui sont plus en rapport avec sa conception de l’acteur social. Comme il le dit lui-même la règle se « gère ». Il rappelle opportunément que la gestion des bureaux se fait en fonction de règles générales qui sont plus ou moins stables, plus ou moins exhaustives et claires et toujours sujettes à un apprentissage [53]. De plus l’observation des prescriptions légales peut être contrebalancée par la force des logiques d’intérêts, de même que par leur action, des acteurs sont susceptibles de défigurer l’objectif d’une prescription tout en la respectant [54]. Pour autant, l’analyse des organisations reste avant tout une discussion de la hiérarchie et du contrôle. Ce n’est pas par hasard que le terme anglo-saxon de Hierarchy est de fait un synonyme d’organisation [55]. Or ce qui caractérise une hiérarchie c’est essentiellement la centralisation définie par une cascade d’asymétries transitives reliant les acteurs entre eux. Dans les faits, comme le montre toute la sociologie des organisations, le type pur de la centralisation n’existe pas. Les organisations ne fonctionnent pas mécaniquement comme des machines à produire des décisions : il y a à tous les niveaux de leur hiérarchie de la déviance qui se manifeste par l’affaiblissement des symétries, des ruptures de transitivité, du relâchement de l’autorité, etc. Il faut donc voir la hiérarchie organisationnelle, non comme une machine, mais comme une structure statistique, c’est.à-dire qu’il faut la considérer en termes de probabilités. Elle joue toujours un rôle capital : elle fournit la loi de l’organisation et réduit la probabilité d’apparition de conduites aléatoires, elle instaure des contraintes qui induisent les marges de jeu et les opportunités d’action (frontières, juridictions, procédures, autorisations à agir, etc.). Autrement dit, en pratique, les organisations bureaucratiques supposent toujours deux types d’autorité : celle de la ligne hiérarchique conçue comme lieu de détermination de l’agenda pratique des acteurs de l’organisation (identification et définition des problèmes à traiter) et celle de la connaissance contextualisée des univers de réalisation des tâches qui procède toujours d’ordres locaux spécifiques [56]. Le fonctionnement des organisations reste toujours tributaire du degré de congruence de ces deux types d’autorité. C’est bien ce qu’a voulu montrer Jean-Daniel Reynaud en identifiant les deux logiques et les deux régulations qui leur correspondent, « régulation de contrôle » et « régulation autonome » et en cherchant dans une « régulation conjointe » leur possible articulation [57]. Cela veut dire aussi que les défauts et autres dysfonctions peuvent trouver leur solution au sein même de l’organisation. Mais il n’en va plus de même lorsque les bureaucraties publiques ont à gérer des problèmes publics qui s’imposent à elles et dont l’origine et la définition ne procèdent pas des seules qualifications de leurs membres. Dès qu’on adopte une perspective de politique publique, l’enjeu est moins la gestion de la hiérarchie que le bon ajustement au problème public que l’on entend gérer. Le modèle de la bureaucratie représente un modèle de gestion de la hiérarchie dans un univers centralisé, il n’est plus un modèle de production de l’action publique susceptible de nous offrir un cadre de référence pour penser l’action publique.
42Le cœur de l’action publique est désormais constitué par le traitement de « problèmes publics » plus que par la réalisation d’objectifs organisationnels, l’action publique est problem oriented comme on dit. Or le propre des problèmes publics est leur ambiguïté et leur indétermination : comment sauver l’emploi et conduire les restructurations industrielles, aménager le territoire dans une logique de développement durable, gérer des risques sanitaires qui mettent en cause des filières de production économiques, la santé des personnes, des économies locales... Le sujet est bien connu : les problèmes publics sont « mal structurés » (ill structured) au sens où on les définit comme des problèmes caractérisés par l’interaction d’un nombre important d’éléments dont les comportements sont très variables définissant ainsi un haut degré d’imprévisibilité et nécessitant en retour une connaissance contextualisée. L’action publique renvoie donc aux modalités de définition et de traitement des problèmes publics dont la solution déborde largement les lignes hiérarchiques et les frontières organisationnelles des administrations concernées. La capacité à résoudre des problèmes (problem-solving capacity) doit être clairement distinguée de la capacité à contrôler (control capacity) et il faut penser les politiques publiques indépendamment des structures proprement administratives. Il ne suffit pas de rationaliser les moyens, de mieux ventiler les personnels, de repenser les lignes de commandement pour améliorer l’efficacité de l’action administrative, celle-ci réside pour une large part dans la qualité de la coordination des interventions publiques. La multiplicité des partenaires, le caractère souvent contingent des coalitions à mettre en place, des problèmes publics par nature évolutifs et aux frontières molles, autant de raisons qui militent en faveur de plus de flexibilité dans l’action. L’enjeu devient de créer des dispositifs institutionnels adaptés à la réalité des problèmes publics. Ceci revient à conjuguer de manière concomitante deux systèmes organisationnels profondément différents puisqu’il s’agit d’un côté de ce que les Anglo-Saxons appellent des tightly coupled systems, des systèmes fortement liés correspondant généralement à des organisations hiérarchiques caractérisées par une cascade d’asymétries transitives reliant les acteurs entre eux (on reconnaîtra aisément le modèle classique de la bureaucratie), et d’un autre côté des loosely coupled systems, des systèmes faiblement liés, sans véritable autorité centrale, orientés vers le traitement des problèmes et dont les interactions et les communications sont justement commandées par la nature des problèmes et non par d’éventuels organigrammes [58].
43La logique bureaucratique est donc peu adaptée à bien des aspects actuels de l’action publique et se trouve concurrencée par de nouveaux principes de management, de nouvelles perspectives d’intégration des tâches fonctionnelles et opérationnelles. La sociologie des organisations a depuis longtemps clairement identifié l’existence de ces deux systèmes, mais leur combinaison reste encore bien problématique. L’histoire administrative s’est incarnée dans la complexification des organisations à travers des logiques de différenciation fortes, aujourd’hui la logique de l’action administrative est davantage à chercher dans la capacité à organiser des possibilités de coopération qui ne soient jamais figées. Tout le monde se retrouve pour défendre une approche coordonnée des problèmes, mais subsiste cette tension entre gestion des personnes et gestion des problèmes, bureaucratie et politique publique, administration et policy. On ne sait pas penser l’articulation des deux logiques qui constitue un vrai challenge tant théorique que pratique. Du même coup, bien souvent on avance selon la logique de structuration de grands ensembles administratifs par regroupement de services, simplification des procédures, etc., autrement dit selon des mécanismes qui continuent à s’apparenter plus ou moins à des solutions bureaucratiques, ou par des mécanismes d’externalisation dont le mouvement actuel d’agencification est une bonne illustration. La régulation conjointe reste toujours un problème plus qu’une solution. La sociologie de l’action organisée a encore de beaux jours devant elle.
Le désenchantement du droit
44Mettre l’accent sur le pilotage de l’action publique conduit à placer le droit sous contrainte dans la mesure où la règle de droit devient un instrument d’action publique parmi d’autres, c’est-à-dire « une méthode identifiable de structuration de l’action collective pour le traitement d’un problème public » [59]. Le développement d’une approche de management public manifeste d’ailleurs la recherche d’autres modes de régulation que strictement juridiques [60]. Bref, « le droit n’est plus l’élément central de l’action publique » [61].
45Au-delà de son pessimisme, le diagnostic, n’est pas nouveau. Mais, la volonté de déjuridicisation de l’action publique s’est accélérée depuis une vingtaine d’années. Les réformes introduites par exemple en Grande-Bretagne en 1990 avec le programme Next Steps ou aux États-Unis par l’administration Clinton avec le Government Performance and Results Act de 1993, qui seront suivies plus tardivement par la France avec la Loi organique sur les lois de finance (LOLF) d’août 2001 visent clairement à promouvoir une logique de gestion par résultats au sein du secteur public qui n’est pas sans effet sur la place du droit. La diffusion tant au sein des États que des organismes internationaux des préceptes du New Public Management (NPM) a constitué un élément décisif par le succès de leur réception aisément mesurable à leur traduction en politiques de réforme administrative. Sorte de « puzzle doctrinal », comme l’a qualifié à raison Philippe Bézès, le NPM repose essentiellement sur un ensemble d’axiomes hétérogènes inspirées des théories économiques et de préceptes managériaux issues souvent d’expériences pratiques réussies qui se traduisent dans une panoplie de recettes et techniques de gestion (agences, gestion par la performance, contractualisation, réduction d’effectifs...) venant très directement en concurrence des instruments juridiques [62]. Il y aurait là matière à remise en cause progressive, voire parfois démantèlement des préceptes juridiques. Le fonctionnement du modèle classique d’administration reposait sur des principes tirés du droit formel (publicité, transparence, régularité, validité, neutralité, égalité, cohérence formelle) qui gouvernaient d’ailleurs logiquement les bureaucraties administratives, ces principes sont aujourd’hui fortement contestés tant pour la gestion des personnes que pour la détermination des actions à entreprendre. Il est clair que l’impératif de résultat auquel est soumise l’action publique change la donne. L’efficacité de la gestion publique tend du même coup à primer sur la conformité au droit établi. L’efficacité était un sous-produit de la régularité, elle ne peut plus se concevoir dans des termes équivalents, favorisant ainsi l’expansion des approches gestionnaires. Tout ceci conduit in fine à « discréditer les acquis d’un droit public issu d’un “modèle légal-rationnel” qui présuppose l’effectivité des règles abstraites, générales et impersonnelles, notamment celles qui découlent de la loi et des règlements » [63]. Il est naturellement hors de notre compétence de saisir la portée exacte de ces transformations du point de vue du droit, par contre il est possible d’en marquer au plan sociologique les effets les plus significatifs sur la question qui est la nôtre.
46Au-delà de tout catastrophisme, le droit demeure sans nul doute une référence majeure et il n’est pas certain que la concurrence qu’il subit aujourd’hui en tant qu’instrument conduise à le réduire à un rôle simplement périphérique. Sans pour autant devoir envisager un quelconque « dépassement du droit », tout concourt cependant à repenser la question du droit dans la détermination de l’action publique. Plus intéressant est de se demander comment s’opère le passage de l’ « État juriste » à l’ « État manager », pour reprendre la formulation expressive d’un fin observateur des mutations en cours [64]. L’expression est sociologiquement pertinente, car elle attire l’attention d’emblée sur deux points stratégiques. Tout d’abord, l’État juriste n’est pas l’État de droit, car l’État manager en est aussi une expression, simplement il se veut en être la forme moderne. Ensuite, l’appellation nous oblige à revenir à des considérations sociologiques que Weber aurait fortement encouragées : quels sont les groupes porteurs (Trägerschichten) des changements observés ? En effet, l’orientation actuelle vers l’action publique est aussi significative d’un glissement des savoirs pertinents, les juristes, ou plus exactement les personnes dont la qualification principale repose sur le droit ont perdu le monopole de l’expertise. La concurrence des savoirs est aussi une guerre des experts. L’orientation vers la question du pilotage de l’action publique signifie tout à la fois le glissement des savoirs professionnels vers des paradigmes non juridiques et le renouvellement des professionnels eux-mêmes [65].
47L’instrumentalisation du droit est assez logiquement liée au développement d’une approche de politique publique. Dès lors qu’une action est développée pour atteindre un but spécifique, il est assez logique que l’on se préoccupe d’en mesurer et évaluer les effets tant en termes de réalisation que d’impact. Certes, l’influence du NPM a surtout contribué à développer des approches étroitement gestionnaires dans lesquelles les objectifs d’efficience et de maîtrise des coûts ont largement pris le pas sur la recherche des conséquences toujours plus difficile à établir, mais aussi politiquement plus dérangeante comme Weber l’a bien montré. Mais là n’est pas notre propos, sauf à souligner que le droit, en privilégiant la régularité, ne nous donne pas plus de prise sur la mise au jour des conséquences que la seule recherche de l’efficience. Par contre, il n’est pas sans conséquence d’observer que l’ « État manager » opère une transfiguration managériale de l’action publique « partout où il fait passer, et jusque dans son propre droit, les préoccupations d’efficacité avant les considérations relatives à la régularité et à la légalité de ses interventions » [66]. Ceci explique le recours à des instruments alternatifs qui se situent hors du droit (plans stratégiques, centres de profit, chartes en tout genre, etc.), mais aussi que les impératifs d’efficacité se développent au sein du droit lui-même sous l’influence en particulier du courant Law and Economics. Le droit, comme n’importe quel outil, est d’ailleurs appelé à rendre compte de ses propres performances. Ainsi se produit un processus général d’hybridation des catégories de la pensée juridique traditionnelle. La gouvernance a aussi besoin du droit dès lors que les nouvelles préoccupations doivent emprunter les canaux du droit. Un bon exemple est ici celui de l’évaluation des politiques publiques dont l’institutionnalisation ne pouvait passer que par la reconnaissance juridique et qui de fait produit des effets de droit.
48De manière tout aussi significative, le droit a été conduit à entériner les évolutions d’une gestion publique qui est sortie des bureaucraties publiques pour s’incarner dans des politiques publiques qui mettent en jeu des réseaux élargis d’acteurs multiples autant publics que privés, mêlant de niveaux de gouvernement différents du local à l’Europe. Non seulement l’horizontalité, ou la transversalité plus précisément, de la gouvernance a conduit à un décloisonnement du droit et des droits (droit public / droit privé ; droit de Common Law / droit romano-germanique), mais elle a également favorisé l’adoption de formes négociées et contractuelles de réglementation. Certes, le juriste peut voir dans ces pratiques transactionnelles l’émergence de formules hybrides qui s’éloignent de la formule originale du contrat, mais il est tout aussi important de mettre en avant le rôle du droit dans la diversification des échanges sociaux auxquels donnent lieu la gestion publique aujourd’hui. La mise au jour des systèmes d’action à travers lesquels se développe l’action publique permet de mettre l’accent sur les modalités selon lesquelles sont tenues compatibles les actions d’un grand nombre d’acteurs aux statuts et aux intérêts très différents, marqués tout à la fois par leur autonomie et leur dépendance. C’est bien cette double dimension, de l’autonomie et de la dépendance qui les conduit à vivre des rapports de pouvoir plus explicites et plus directs poussant à l’institutionnalisation de l’action collective, voire parfois à une véritable « constitutionnalisation » des systèmes d’action [67]. L’affirmation d’un État qui se veut régulateur explique aussi le développement de politiques publiques « constitutives », c’est-à-dire des politiques qui définissent des règles du jeu plus que le but du jeu. Cofinancement, partenariat et contractualisation sont en outre devenus les modalités emblématiques d’une gestion publique moderniste qui explique aussi la formalisation des règles du jeu à travers le développement des procédures contractuelles comme plus largement la place renouvelée de la technique juridique au sein de la gestion publique. Il ne faut pas oublier que le droit est un mode de gestion des rapports sociaux. Le contrat est une régulation des relations de pouvoir dans un contexte de réciprocité et de dépendance. Dans une situation de pouvoir et d’inégalité des partenaires, le droit, par la technique du contrat, peut aider à définir un espace de comportements acceptables dans lequel les acteurs peuvent s’auto-organiser. La difficulté à définir clairement des objectifs d’action ou à clarifier les enjeux rend d’autant plus nécessaire un accord sur des règles communes. Comme toute règle, le contrat fournit une base d’échange, un cadre au sein duquel peuvent intervenir d’autres formes de régulation. En cela, il convient d’assumer ce que les économistes appellent l’incomplétude du contrat. L’extension des échanges multiples tous azimuts, l’accroissement des transactions induisent une exigence de structuration par des mécanismes de coordination dont le droit n’est jamais totalement exclu. La densité relationnelle dans laquelle se construit l’action publique s’est considérablement accrue, créant par là même un vrai « besoin de droit ».
49Ainsi, l’hypothèse d’un « déclin du droit » ne se vérifie pas aisément et la réalité s’avère plus complexe. À l’évidence, le droit n’a plus la même fonction structurante tant pour penser l’organisation de l’État et que pour gérer l’activité de son administration. La gestion publique est ainsi tout à la fois significative d’un évincement du droit et d’un ancrage dans le droit. Comme le dit brillamment Daniel Mockle, « c’est par les moyens du droit que s’opère la sortie du droit » [68]. Ce qui est nouveau en fait, c’est moins la présence du droit qu’un nouveau rapport au droit, un droit qui serait pour une large part policy oriented.
50On le sait, le droit ne sera jamais totalement rationnel – Weber lui-même a abondamment insisté sur les tendances antirationnelles du droit moderne –, pas plus que la rationalité juridique ne peut être seulement formelle. Weber avait d’ailleurs une vision plutôt dialectique du rapport entre rationalité formelle et rationalité matérielle. Le droit matériel signifie fatalement une subordination du juridique aux impératifs immédiats du politique. Une des caractéristiques principales du droit actuel consiste justement dans la fragilisation des modalités formalistes du raisonnement juridique par substitution des procédés finalistes axés sur des choix de politiques publiques, Weber y voyait déjà « l’antinomie inévitable entre le formalisme abstrait de la logique juridique et le besoin de réaliser des postulats matériels par les voies juridiques » [69]. Ainsi, la règle de l’égalité soumet la décision à des critères formels et non matériels, car elle est une règle de distribution, l’équité à l’inverse qui guide les choix des politiques d’aménagement du territoire fait intervenir des critères matériels d’une autre nature que juridique-formelle. Le recours également à des notions vagues et indéfinies pour traduire dans le droit l’énoncé de problèmes publics tout aussi vagues et indéfinis n’aide pas à sa systématisation logique et ne permet guère à l’appareil juridique de fonctionner pleinement « comme une machine techniquement rationnelle » [70]. Là encore, Weber avait bien perçu que la précision logique se réduit fortement en cas de remplacement des concepts juridiques formels par des raisonnements sociologiques, économiques ou éthiques. Pour autant toute matérialisation du droit ne conduit pas à l’abandon de la rationalité formelle. Certains auteurs voient même dans l’analyse de politique publique le moyen de construire un nouvel idéal type de la pratique juridique comme « rationalité substantive formalisée » (Formalized Substantive Rationality) [71].
51Nous ne discuterons pas de la validité d’un tel paradigme pour le juriste. Pour le sociologue, il a quelques vertus au sens où il permet de rendre compte des mutations considérables qui se sont autant produites dans la réalité de l’exercice du pouvoir politique que dans la manière d’en rendre compte. Il nous permet aussi, comme Jacques Caillosse nous y invite, à voir dans les transformations en cours moins une décomposition du droit qu’une recomposition. Face en particulier à une action publique qui déborde l’administration de partout, il n’est plus guère possible de continuer à faire du droit administratif un droit de l’administration et il y aurait certainement avantage et sens à se diriger vers la formulation d’un droit de l’action publique [72].
52En dépit des évolutions fortes qui ont marqué la sphère publique, on voit à quel point le droit reste un élément toujours déterminant de l’action publique. Une vue élargie montre d’ailleurs que les branches du droit ne sont pas affectées de la même manière pour la bonne raison qu’elles sont elles-mêmes en prise avec des espaces sociaux ayant eux-mêmes leur propre dynamique. De même, une attention portée au mécanisme de judiciarisation constitue un contre-exemple de l’hypothèse hâtive d’un déclin du droit. Le rôle croissant des juridictions dans la réalisation des politiques publiques montre aussi la fonction stratégique du droit dans la régulation politique des sociétés contemporaines. La « déjuridicisation » observée par certains ne peut être que partielle et elle s’accompagne d’une « judiciarisation » qui montre qu’il convient d’avoir une vue nuancée des choses et que peut-être c’est l’idée même de légalité qui se trouve transformée comme le suggèrent Jacques Commaille et Laurence Dumoulin [73]. La place qui reste celle de la légalité tout comme la persistance de modes d’organisation bureaucratique montre que l’abandon sans autre forme de procès de l’idéal type wébérien de la légitimité légale rationnelle serait injuste d’autant que le vieillissement du modèle ne signifie pas pour autant celui du raisonnement qui l’a construit. Chercher à le dépasser n’équivaut pas à le disqualifier.
Avec Weber au-delà de Weber
53Loin de tout fétichisme conceptuel et révérence excessive, on ne saurait voir dans ce retour à un « classique » autre chose que la manifestation de la façon dont un même intérêt de recherche peut se perpétuer à travers des contextes historiques différents. Non seulement Max Weber nous a légué la réflexion sociologique certainement la plus conséquente sur la légitimité, mais il avait lui-même bien perçu la fragilité de tout ordre politique dès lors qu’il ne saurait y avoir de fondement définitif à l’obligation politique dans un monde sécularisé marqué au sceau de la « démagification » (Entzauberung der Welt).
54La légitimité légale rationnelle reposait de fait sur un tryptique dont la cohérence faisait tout à la fois l’attractivité et l’efficacité explicatives : État, droit et bureaucratie. Mais, désormais, le pouvoir politique ne se résume plus à l’État, le droit n’est plus le seul instrument à travers lequel les institutions de gouvernement pilotent leur action et la bureaucratie n’est plus en conséquence la forme d’organisation la plus adéquate au traitement des problèmes publics. Pour le dire dans les mots de Stefan Breuer, l’idée d’un pilotage centralisé a vécu quand le droit a perdu son côté systématique et la bureaucratie son autorité et sa compétence [74]. Si la centralité de l’État s’est construite à travers un triple processus d’étatisation du droit, de juridicisation de l’État et de bureaucratisation des dispositifs de gouvernement [75], il peut paraître logique qu’à l’érosion de l’État corresponde celle du droit et de la bureaucratie compte tenu des liens qui unissent les deux éléments. La transformation des conditions historiques de l’exercice du pouvoir politique signe-t.elle pour autant l’acte de décès de l’idéal type webérien de la domination légale rationnelle ? Nous ne le croyons pas, car les choses sont plus complexes : Weber l’a lui-même puissamment démontré, la causalité sociologique n’est pas la causalité historique.
55La conceptualisation idéal typique initiée par Weber nous permet tout au contraire de pratiquer une comparaison historique qui fait apparaître par contraste la singularité des transformations à l’œuvre dans l’ordre présent du politique. La force du modèle, dont la formation reste toujours indexée à une réalité historique particulière [76], est justement qu’il nous permet aussi de rendre le présent compréhensible dans son éventuel éloignement en offrant des critères de son intelligibilité. La confrontation avec une sociologie de l’action publique qui se définit comme sociologie du pouvoir politique est ici riche d’intérêt par ce qu’elle nous donne à voir. Dès lors que le pouvoir politique trouve sa justification dans ce qu’il fait, c’est-à-dire dans sa capacité à traiter les problèmes qui se posent à la collectivité, il est probable que la revendication de légitimité ne peut elle non plus se résumer à la seule conformité du pouvoir à un exercice juridiquement réglé. On a cru voir pouvoir identifier « crise de l’État » et « crise du droit » quand bien même il convient de distinguer analytiquement les deux phénomènes. Certes il existe des liens, mais ils relèvent généralement d’explications d’une autre nature telles que par exemple l’émergence d’autres lieux de production du droit que l’État. Dans le cas qui nous occupe, la perte de centralité du droit est moins liée à celle de l’État qu’à sa propre perte de centralité dans la gestion des affaires publiques. Non seulement le droit n’apparaît plus comme le seul instrument de la puissance publique, mais il rentre en concurrence avec d’autres principes de justification du pouvoir que le développement du New Public Management a exacerbé à travers l’introduction de critères de performances et d’efficacité. Dans le même temps cependant, l’éloignement du traitement des problèmes publics des solutions bureaucratiques conduit à dissocier l’ordre légal de l’ordre bureaucratique. Autrement dit, c’est largement dans les propriétés de l’action publique qu’il faut chercher les raisons des mutations en cours dans l’ordre du pouvoir politique, de sa représentation et de son exercice plus que dans la seule nature de l’État. Là encore, il est aventureux de parler de crise du droit, quand il est plus prudent d’évoquer les transformations qui caractérisent ses usages. La place du droit dans la conduite des affaires publiques explique sa place dans l’ordre de la justification du pouvoir, le droit ne peut résumer à lui seul l’exercice du pouvoir, pas plus que la rationalité formelle du droit n’incarne à elle seule toute la rationalité formelle. Assurément, il est difficile d’envisager autrement que sous l’angle de la rationalisation les transformations actuelles de l’action publique, mais une rationalisation qui s’exprime sous d’autres formes que strictement juridiques.
56La légalité, la tradition et le charisme épuisent-ils les ressources de justification que le pouvoir politique peut mobiliser ? Assurément non, et Weber l’avait bien perçu qui a étendu la question de la légitimité aux actes du pouvoir à travers la thématique cruciale de la responsabilité politique. L’introduction des conséquences de l’action comme mesure de la responsabilité s’avère décisive car elle constitue un autre mode de validation de la légitimité du pouvoir. Quand l’obéissance marquait la validité empirique d’une relation de domination, les conséquences valident le mode d’exercice du pouvoir qui en découle. Il y a, dans la réflexion wébérienne, les prémisses d’une articulation du pouvoir sur et du pouvoir de. L’enrichissement est réel, mais il ne va pas sans poser plusieurs problèmes que nous évoquerons rapidement pour conclure. La légitimité est liée, nous l’avons vu, à l’existence d’un dispositif de contrainte en même temps que d’action dont la bureaucratie incarne le mode d’organisation. L’attention sur les conséquences suppose de son côté la mise en place d’un dispositif de connaissance, non seulement à disposition du pouvoir afin de lui permettre la réflexivité nécessaire à tout apprentissage, mais aussi à disposition du public car il ne peut y avoir de responsabilité sans publicité (Öffentlichkeit). En ce sens, Weber montre bien que l’obtention d’une position de pouvoir a pour contrepartie de rendre compte de son usage. Il n’y a pas de responsabilité sans démocratie.
57Mais, il ne peut y avoir de théorie de la légitimité sans théorie de la communauté, ce n’est pas par hasard si Weber considérait la question de la légitimité comme partie prenante d’une théorie de l’institution et du groupement. La mise au jour des conséquences relève de la politique « objective » (sachlich) qui constitue l’élément fort de la modernité politique, mais elle suppose aussi de pouvoir déterminer la valeur de l’action entreprise, son « évaluation » (Bewertung). Pour Weber, l’affaire est entendue, c’est la communauté politique qui devient le point de référence pour « qualifier » une polique. La responsabilité suppose que l’on puisse identifier les acteurs concernés par les conséquences d’une politique, ceux que Dewey considérait comme le « public » [77]. Mais, autant on comprend que cela aille de soi à l’époque de Weber, autant la question s’avère plus délicate aujourd’hui dans la mesure où il y a quelque indétermination sur ce que doit être la communauté politique de référence. Il est clair que cela dépend de l’échelle des conséquences elles-mêmes. On le voit très clairement avec la question des droits de troisième génération et du développement durable. La référence ne peut plus manifestement être la nation, mais la planète comme espace dans lequel nous inscrivons notre « destin » commun ! Par ailleurs, la sécularisation du politique montre la pluralité possible des intérêts publics. Si l’on réfléchit, par exemple, en termes d’aménagement du territoire tant pour des politiques de l’emploi que pour des politiques d’infrastructure, on voit bien qu’il y a une multiplicité d’intérêts publics susceptibles de devenir concurrents : commune, région, État, Europe... Le brouillage des repères introduit par le cadre européen est en soi une bonne illustration de ces difficultés. Si l’État n’a plus le monopole du bien public selon la formule classique de Léon Duguit, comment tranche-t-on cette nouvelle guerre des Dieux ? Quelle est du même coup la communauté qui doit être « choisie » comme cadre de référence aux actes du pouvoir ?
58À travers la question des conséquences, le raisonnement débouche sur des problèmes que Weber ne pouvait certes pas anticiper, mais qui sont des problèmes très clairement politiques, tout en étant aussi théoriques. Nous avons du mal en effet à faire le deuil d’une représentation du politique identifié à la seule figure étatique. La prétention de l’État à monopoliser la définition de l’intérêt général a vécu. Nous sommes désormais confrontés à la fragmentation de la souveraineté et à la dispersion de l’autorité politique. La souveraineté circule entre les niveaux de gouvernement, elle est devenue pour partie une souveraineté nomade. Comment penser désormais le pouvoir politique et sa légitimité dans un monde marqué par la pluralité des centres politiques, la multiplicité des acteurs, la diversité des espaces de référence et l’hétérogénéité des valeurs. L’agenda pratique est aussi un agenda de recherche, cette concomitance ne serait pas pour surprendre Weber, ni pour lui déplaire d’ailleurs.
59Certes, on peut toujours dire que la théorie wébérienne de la légitimité demeure imparfaite ou incomplète, mais quelle théorie des sciences sociales, dès lors qu’elle est conduite à s’inscrire dans une perspective d’analyse, possède une telle qualité de complétude ? Comme Weber le dit à propos de la caractérisation idéale typique de la domination légitime, « la terminologie proposée ici n’a pas l’intention de faire entrer de force dans des schémas l’infinie variété de la réalité historique, elle vise seulement à forger des points de repère conceptuels, utilisables à des fins précises » [78]. En ce sens, la typologie élaborée n’est pas seulement engagée dans l’analyse du passé, elle est aussi une contribution visant à aiguiser notre regard analytique, à nous de la prolonger, voire de la refondre sur la base des indications précieuses apportées par Weber.
60L’apport indubitable de Weber aura été de montrer qu’une sociologie de la légitimité était possible. Sa grande richesse tient dans une large mesure à la multiplication des angles d’analyse fondés sur des niveaux d’agrégation très divers qui permettent du même coup de mieux saisir l’ensemble des dimensions dont la légitimité n’est que la résultante. La complexité de leur articulation explique par là même tout autant la difficulté de son acquisition que celle de son explication, continuant à assurer à la légitimité sa part de mystère.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Mots-clés éditeurs : domination, Action publique, autorité, bureaucratie, État, organisation, Weber, légalité, politique publique, légitimité, pouvoir, droit
Date de mise en ligne : 01/10/2009
https://doi.org/10.3917/anso.092.0303Notes
-
[1]
Si la question évoque le titre d’un ouvrage célèbre de Robert Dahl, il convient de rappeler que ce dernier était bien conscient des limites inhérentes à une problématisation aussi restrictive, ce qui l’a amené à s’intéresser plus précisément aux processus de prise de décision en fonction d’enjeux spécifiques. La contribution de Dahl au développement de la Policy Analysis a d’ailleurs été centrale (Robert Dahl, 1971).
-
[2]
Peter Morriss, 1987.
-
[3]
Jean Leca, 1997 ; Fritz Scharpf, 1997 ; Patrice Duran, 1999.
-
[4]
Patrice Duran, 2001.
-
[5]
En clin d’œil à l’ouvrage dirigé par Jacques Commaille et Bruno Jobert, 1998.
-
[6]
Jürgen Habermas, 2000.
-
[7]
Ce qui correspond au tryptique de Pierre Rosanvallon : impartialité, réflexivité, proximité (Pierre Rosanvallon, 2008).
-
[8]
François Bourricaud y voit même en quelque sorte la définition de la démocratie. « Pour le “démocrate” un pouvoir légitime, c’est un pouvoir qui accepte ou même qui institue son propre procès de légitimation » (François Bourricaud, 1961).
-
[9]
Au point d’avoir largement contribué à la constitution de ce que Michel Dobry identifie comme le « paradigme standard » de la légitimité (Michel Dobry, 2003).
-
[10]
Jellinek (Jellinek, 2005) évoquera bien les théories de la justification de l’État (première partie : « Théorie générale de l’État », chap. VII, p. 297-347), de même qu’il évoquera le pouvoir étatique, mais qu’il définira comme un pouvoir de domination (Herrschergewalt, « pouvoir du souverain »), c’est-à-dire comme un pouvoir d’État sans référence à la question de la légitimité d’un tel pouvoir (deuxième partie : « Théorie juridique de l’État », p. 61-69).
-
[11]
Andreas Anter, 1995, p. 66.
-
[12]
Ibid., p. 64.
-
[13]
Édith Hanke, Wolfgang Momsen, 2001, p. 1.
-
[14]
Max Weber, Sociologie du droit, 1986, p. 44.
-
[15]
On se reportera à l’article de François Chazel dans le même numéro.
-
[16]
Max Weber, Histoire économique, 1991, p. 357.
-
[17]
Sur tous ces points, on pourra se reporter au beau livre de Michel Coutu (Michel Coutu, 1995).
-
[18]
Max Weber, Sociologie des religions, 1996, p. 374-375.
-
[19]
Max Weber, Économie et société, 1971, p. 57, trad. modifiée.
-
[20]
Andreas Anter, 1995, p. 24.
-
[21]
Stefan Breuer, 1995, p. 41.
-
[22]
Ce qui justifie Catherine Colliot-Thélène à y voir l’esquisse d’une « théorie sociologique de la démocratie » (Catherine Colliot-Thélène, 1995).
-
[23]
Julien Freund, 1990.
-
[24]
Cf. entre autres, Wolfgang Schluchter, 1981, p. 126.
-
[25]
Andreas Anter, 1995, p. 68.
-
[26]
Max Weber, Économie et société, 1971, p. 272.
-
[27]
Max Weber, « Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive », 1965, p. 393.
-
[28]
Ibid., p. 392.
-
[29]
Jean-Marie Vincent, 1998, p. 196.
-
[30]
François Bourricaud, 1961.
-
[31]
Niklas Luhmann, 2001.
-
[32]
Le passage est le suivant « Denn wenn es richtig ist, da es zwei Arten von Rechtsfindung geben kann, “formale Justiz” und “Kadijustiz”, und wenn Jhering von der formalen Justiz gesagt hat : die Form sei die Feindin der Willkür, die Zwillingsschwester der Freiheit – ob mit Recht haben wir hier nicht zu erörtern – so ist daran zu erinnern, da faktisch die Institution des Geschworenengerichts bei uns die Türe öffnet, durch welche die Kadijustiz praeter und auch contra legem eintritt » (Max Weber, 1988, p. 482).
-
[33]
Max Weber, 1986, p. 235.
-
[34]
Max Weber, 1971, p. 271.
-
[35]
Pour une discussion approfondie de cette question, nous renvoyons au chapitre 2 ( « Action publique et pouvoir politique, la difficile conciliation de la légitimité et de l’efficacité » ) de notre ouvrage, Patrice Duran, 1999.
-
[36]
Nous reprenons ici quelques-uns de nos développements publiés dans Patrice Duran, 2009.
-
[37]
Sur la question de l’État et de la nation, on se reportera naturellement à Wolfgang Mommsen, 1985.
-
[38]
Max Weber, 1965, p. 437.
-
[39]
Max Weber, 2003, p. 188.
-
[40]
Norberto Bobbio, 2007.
-
[41]
Max Weber, Œuvres politiques, 2004, p. 359.
-
[42]
Max Weber, 1971, p. 58.
-
[43]
Max Weber, 2004, p. 342.
-
[44]
Sur ce point, Michel Coutu, 1995, p. 96.
-
[45]
Cf. Kelsen, 1988.
-
[46]
Il faut se reporter au passage très éclairant concernant la situation de l’Allemagne en 1918 dans Économie et société, p. 273.
-
[47]
Notre intention n’est pas ici de revenir sur la pertinence de la grande quantité des travaux réalisés dont l’homogénéité pas plus que la qualité n’est toujours garantie du fait d’une confusion chez certains auteurs entre une logique normative et prescriptive de bureau d’études et une démarche proprement scientifique. Dans une littérature foisonnante, on pourra se reporter à Jon Pierre et B. Guy Peters, 2000. Voir également Duran, 2001.
-
[48]
Aaron Wildawski, 1980.
-
[49]
Cf. tout spécialement, Martin Landau, 1991.
-
[50]
Face l’étrange méconnaissance de l’analyse webérienne de la bureaucratie, on lira l’utile mise au point de François Chazel, « Éléments pour une reconsidération de la conception webérienne de la bureaucratie », initialement parue dans Lascoumes, 1995 et repris dans Chazel, 2000.
-
[51]
Il est d’ailleurs tout à fait significatif que dans les pays postcommunistes d’Europe centrale et orientale ou dans le contexte encore très différent des États africains où la modernisation et la consolidation de l’État passe par la construction d’une administration compétente assise sur des règles rationnelles légales sur la base du « modèle webérien ». Cf. par exemple sur ces questions, Philippe Bézès, 2007.
-
[52]
Max Weber, Sociologie des religions, 1996, p. 375.
-
[53]
On se reportera en particulier à Max Weber, « Wesen, Voraussetzungen und Entfaltung der bürokratischen Herrschaft », 2. Abschnitt, WG, 1972, p. 551-579, ainsi qu’à « Parlement et gouvernement dans l’Allemagne réorganisée », Œuvres politiques, 2004.
-
[54]
Max Weber, 1971, p. 345-350.
-
[55]
Ce qui est bien sûr lié aussi à l’influence de la littérature économique qui a longtemps vu dans l’organisation un anti-marché. Voir, par exemple, dans une littérature abondante la réflexion d’Oliver Williamson (Williamson, 1975).
-
[56]
M. Landau et S. Russel, 1979.
-
[57]
Jean-Daniel Reynaud, 1988.
-
[58]
Sur ces concepts et leur utilisation, cf. naturellement l’article fondateur de Karl Weick, « Educational organizations as loosely coupled systems », 1976, mais aussi entre autres Martin Landau, 1991 ; Donald Chisholm, 1989 ; Mark Mandeles, 2005.
-
[59]
Lester M. Salamon, « Introduction », 2002, p. 19.
-
[60]
Nous nous permettons de renvoyer à notre article Duran, 1993.
-
[61]
Daniel Mockle, 2007, p. 250.
-
[62]
Philippe Bézès, 2009, p. 3.
-
[63]
Daniel Mockle, 2007, p. 250.
-
[64]
Jacques Caillosse, 2009.
-
[65]
Patrice Duran et Thomas Le Bianic, 2008.
-
[66]
Jacques Caillosse, 2009.
-
[67]
Patrice Duran et Jean-Claude Thœnig, 1996.
-
[68]
Daniel Mockle, 2007, p. 216.
-
[69]
Max Weber, Sociologie du droit, 1986, p. 164. Sur ces points également Michel Coutu, p. 77 et Roberto Unger, 1976, p. 194.
-
[70]
Max Weber, Sociologie du droit, 1986, p. 164.
-
[71]
Duncan Kennedy, 2004.
-
[72]
Jacques Caillosse, 2008.
-
[73]
Jacques Commaille et Laurence Dumoulin, 2009.
-
[74]
Stefan Breuer, 1991.
-
[75]
Sur ces points déterminants, on se reportera à l’article de François Chazel au sein du même numéro.
-
[76]
Si la sociologie s’oppose à l’histoire comme le dit Weber au sens où elle élabore des concepts de types (Typen-Begriffe) et qu’elle est en quête de règles générales, elle prend ses matériaux dans les réalités de l’activité sociale. Max Weber, Économie et société, 1971, p. 17.
-
[77]
John Dewey, 1927.
-
[78]
Max Weber, Sociologie des religions, 1996, p. 376.