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Article de revue

Champ juridique et sciences sociales en France et aux Etats-Unis

Pages 29 à 62

Notes

  • [1]
    D’après Friedman (1989, 10), cette perspective « observe le droit comme l’avocat ou le juriste observe le droit ».
  • [2]
    Cette vue réductionniste comprend aussi bien le marxisme orthodoxe que les perspectives contemporaines rassemblées dans « law and economics ».
  • [3]
    Telles que les explique J. Alexander dans son « Introduction to Twenty Lectures (1987).
  • [4]
    Une illustration de cette idée se trouve dans la théorie du droit de Hans Kelsen, laquelle est conçue à la fois comme une théorie de l’État (Kelsen, 2000).
  • [5]
    Dans la tradition du common law, le droit est proche des individus. Les auteurs contractualistes anglo-saxons, tel que John Locke, estimaient que le fondement du pouvoir politique découlait des droits inaliénables des individus, lesquels – individus – gardaient toujours la possibilité révoquer le mandat des gouvernants (Locke, 1946). Chez Rousseau, en contraste, le droit, aussi bien que les droits, étaient définis et octroyés par l’État (Rousseau, 1975).
  • [6]
    En ce sens j’accepte l’aimable critique faite à la version anglaise de cet article par Volkmar Gessner et David Nelken dans l’introduction de leur dernier ouvrage : European Ways of Law (Gessner et Nelken, 2007).
  • [7]
    Ces différences étaient aussi le reflet des tensions politiques de l’époque, entre les partisans d’une vision de la société fondée sur l’individualisme et une politique de laissez-faire, et ceux qui défendaient une nouvelle société construite sur la base de la solidarité et du collectivisme. Plusieurs des juristes qui se sont opposés à la deuxième approche ont adopté une pratique judiciaire militante et ont eu une grande influence politique dans la France de leur époque (Herrera, 2003 b ; 2003 c). Voir n. 35.
  • [8]
    Cité par Arnaud (1975, 47).
  • [9]
    L’exégèse était une tentative de comprendre et d’expliquer le Code civil, qui commençait par une lecture détaillée du texte et qui cherchait ensuite à extraire des principes dégagés strictement de la lettre du Code. À ce sujet voir Arnaud (1975), et Jestaz et Jamin (2004).
  • [10]
    L’école historique a rejeté en 1814 le projet de codification inspiré du modèle français et avancé par Thibaut (Savigny, 1815).
  • [11]
    Voir le travail de Savigny dans l’université allemande (2003).
  • [12]
    Roscoe Pound a été le plus grand défenseur des idées antiformalistes européennes pendant les années 1920 et 1930, en particulier dans son œuvre Interpretation of Legal History (1967). Pound a introduit la théorie sociojuridique dans un discours à l’American Bar Foundation en 1906 (Pound, 1964). Il admirait des auteurs comme Gény, Lambert, et Saleilles. Des témoignages de cette admiration peuvent être trouvés chez Duguit et al. (1916) ; Reimann (1993). Voir aussi Cohen (1937). Llewellyn connaissait très bien le travail de Ihering et Ehrlich ; voir, entre autres, son texte A Realistic Jurisprudence (1930). The Common Law par Oliver Wendell Holmes est aussi clairement influencé par la théorie historique de Savigny et Maine, comme l’explique Duxbury (1995).
  • [13]
    Avec l’arrivée du laissez-faire dans la deuxième moitié du XIXe siècle aux États-Unis, une nouvelle conception des décisions judiciaires s’est imposée, celle qui se fondait sur la déduction logique et le syllogisme. Ce formalisme juridique est né avec le programme et la méthode pédagogique établis par Christopher Langdell à Harvard pendant le XIXe siècle.
  • [14]
    Vu de nos jours, le réalisme juridique est la perspective juridique la plus influente qu’ont jamais connu les États-Unis.
  • [15]
    Il est toujours difficile de définir l’essence de la pensée réaliste. D’après Twining (1985), s’il y a un accord entre ceux qui ont étudié ce mouvement, c’est qu’il s’agit d’un mouvement hétérogène et dispersé. Une approche moins critique peut être lue chez Ackerman (1984), Hunt (1978), Summers (1982). Voir aussi H. L. A. Hart (1983).
  • [16]
    « Des prévisions sur ce que les tribunaux feront effectivement c’est ce que j’entends par droit, et rien de plus prétentieux. »
  • [17]
    Durant cette époque, est apparue l’idée selon laquelle les relations sociales devaient être fondées moins sur les principes de l’autonomie et de la responsabilité individuelle que sur la notion de solidarité (Durkheim, 1993). Voir par exemple Duguit (1889) et pour une vue d’ensemble de toute la période, Arnaud (1998).
  • [18]
    À la fin du XIXe siècle en France, beaucoup estimaient que le Code civil était devenu vieux et que son temps était révolu ; certains comme Raymond Saleilles (1904) sont allés plus loin en considérant que le code était un « obstacle au progrès social ».
  • [19]
    Le texte classique se trouve chez Gény (1899). Dans celui-ci, il présente les bases d’une théorie pluraliste des sources juridiques. Voir aussi Demogue (1911).
  • [20]
    C’est pourquoi ils ont pris des distances avec les juristes de gauche de l’époque. En Allemagne, ces juristes, inspirés par Karl Marx, Frederich Engels, et spécialement par Ferdinand Lasalle, ont eu un impact important sur les réformes légales instituées pendant la République de Weimar. Voir aussi, Lasalle (1964, 1987), Ledford (1996), Menger (1899) ; en France voir Bouglé (1906), Léon Blum (1965), Léon Duguit (1922), Maurice Hauriou (1910), Jean Jaurès (1964, 1972), Émmanuel Lévy (1909) et Georges Scelle (1929). Pour une vue d’ensemble de ce mouvement, voir Herrera (2003 a, 2003 b, 2003 c).
  • [21]
    Voilà l’apogée de l’ère des « traités » en droit civil et en droit administratif. Un bon exemple est le Traité pratique du droit civil français de Planiol et Ripert. Une explication de l’importance de ces ouvrages et des manuels peut se trouver chez Jestaz et Jamin (2004).
  • [22]
    Pendant les dernières années du Moyen Âge, l’université avait déjà accompli sa tâche d’unification dans son travail de restauration du droit romain et par là, de consolidation du régime absolutiste (Anderson, 1979).
  • [23]
    Une démonstration de la jalousie avec laquelle les professeurs de droit gardent leur position se trouve dans les règles qui déterminent leur sélection et entrée au professorat (Mouly et Atias, 1993). Après avoir obtenu leur titre de doctorat, les candidats doivent passer un examen, l’agrégation. Les caractéristiques et difficulté de l’examen en font une vraie preuve de la maîtrise du domaine pour lequel ils aspirent à être embauchés (Charle, 2003).
  • [24]
    En 1952 par exemple, le prestigieux journal Archives de philosophie de droit et de la sociologie juridique a décidé de changer son nom pour Archives de philosophie de droit tout court.
  • [25]
    D’un point de vue idéologique, tant les visions marxistes – avec G. Friedmann à leur tête – que les visions libérales – dirigées par Raymond Aron – ont tenté de se séparer des origines interdisciplinaires proposées par Durkheim (Pécaut, 1996 ; Soubiran-Paillet, 1994, 2000).
  • [26]
    Selon Léon Duguit (1889) la sociologie était composée essentiellement de deux éléments : le droit et l’économie politique.
  • [27]
    Il existe trois types d’agrégation : droit public, droit privé et histoire du droit. Cette division date de 1898.
  • [28]
    D’après Mouly et Atias (1993), l’attrait de l’académie juridique « vient de la possibilité de développer des activités parallèles sans pour autant perdre la sécurité obtenue par le statut de fonctionnaire public ».
  • [29]
    Je ne me pencherai pas plus avant sur l’analyse de la période la plus récente. Pour cela, voir (Dezalay, 1996 ; Gessner et Budak, 1998 ; Gessner et Nelken, 2007 ; Trubek et Mosher, 2003 ; Kennedy, 2006).
  • [30]
    Lorsque les professeurs américains écrivent l’histoire, ils font du réalisme juridique la ligne de division théorique entre l’ancien ordre et la modernité (Mark Kelman, 1987). Voir aussi Minda (1995).
  • [31]
    D’après Dezalay, Sarat et Silbey (1989), les réalistes ont modernisé l’image du droit et ont restauré sa légitimité en le dissociant des marchands et barons de Wall Street, auxquels celui-ci était trop fortement lié. Ils ont aussi réussi à intégrer les juristes juifs – jusqu’à ce moment exclus des WASP (White Anglo-Saxon and Protestant) – qui ont ainsi ouvert de nouveaux domaines d’action pour la pratique juridique.
  • [32]
    Selon Dezalay, Sarat et Silbey (1989, 110), les réalistes « n’ont jamais remis en question les associations spéciales liées à l’académie juridique et pourvues du pouvoir public ; ils n’ont pas non plus suggéré que l’expertise ou l’autorité pour influencer la politique serait quelque part ailleurs ».
  • [33]
    Pourtant, le positivisme juridique n’a pas toujours été accepté par la culture juridique française ou francophone, spécialement hors de France. Le meilleur exemple se trouve probablement dans ce que l’on appelle l’école de théorie juridique de Bruxelles sous la direction de François Ost et Michel Van de Kerchove (1978, 1987).
  • [34]
    Bien que les juristes anglais des XVIIe et XVIIIe siècles aient rejeté les catégories fondamentales du droit romain, ils acceptèrent la conception analytique, procédurale et anti-systémique incarnée dans la personne du conseiller juridique romain, qui donnait un sens à la pratique juridique (Jestaz et Jamin, 2004).
  • [35]
    Voir l’édition spéciale de la Yale Law Review (no 90, 1981) titrée Yale Law Journal Symposium on Legal Scholarship : Its Nature and Purposes. Voir aussi André Tunc (1994).
  • [36]
    Il faut ici rappeler les explications de Max Weber sur la sacralisation de la profession juridique dans le milieu protestant, par opposition à la figure du clerc en Europe continentale (Weber, 1986).
  • [37]
    Merryman (1975) estime que la méritocratie caractérise les écoles de droit aux États-Unis, comme la démocratie marque les contreparties européennes. Dans tous les cas, les écoles de droit et leurs membres font très attention à leur position respective, évaluée par les classements des Facultés d’élite comme Harvard, Yale et Stanford (Tomlins, 2000). De la même façon, il y a une hiérarchie très marquée entre les avocats et les cabinets d’avocats (Galanter, 1995).
  • [38]
    Dès le XVIe siècle, le droit romain était utilisé pour la pacification de la société, pour le contrôle des pouvoirs intermédiaires, et pour la construction d’un type d’État fondé sur la notion de souveraineté (Anderson, 1979 ; Elias, 1986). La Révolution française n’a pas changé cette tradition. Au contraire, elle a mis l’accent sur l’idée de souveraineté populaire – initialement proposée par Sieyès et reprise ensuite par le parti de Robespierre.
  • [39]
    On ne peut pas oublier que pour le positivisme juridique allemand – de G. Jellinek (1911) jusqu’à H. Kelsen (1997) – l’État n’est rien de plus qu’une norme juridique.
  • [40]
    En Angleterre, l’adoption de la tradition de la Constitution mixte, héritée du Moyen Âge, a été un antidote contre l’idée de souveraineté (Fioravanti, 1999). Pendant tout le XVIIe siècle, les Stewarts ont échoué dans leur idée d’importer le modèle français de la souveraineté. La Révolution glorieuse de 1688, agissant contre cette tradition française, a adopté l’idée de séparation des pouvoirs entre le parlement et le roi.
  • [41]
    Bien que la souveraineté joue un rôle important aux États-Unis en temps de crise constitutionnelle, une fois ce moment passé le peuple souverain se retire et agit à travers les pouvoirs établis par la constitution.
  • [42]
    Selon Georges Sabine (1961, 203), « il est approprié de dire que le droit est “trouvé” plutôt que “créé” » et il est « inapproprié de dire qu’il existe un corps de personnes dont la tâche est de créer le droit ».
  • [43]
    Au sujet de la législation, Locke (1946, 375) affirme que « même si elle est le pouvoir suprême dans toute la zone du Commonwealth..., elle n’est pas encore, et ne pourra jamais être, absolument arbitraire s’agissant des vies et fortunes du peuple ».
  • [44]
    D’après Pound (1908), le mouvement sociologique dans la jurisprudence est un mouvement pour l’adaptation des principes et doctrines aux conditions humaines qui doivent gouverner.
  • [45]
    Au XXe siècle, l’idée de « droit du peuple » est présentée en termes de « droit alternatif » et « pluralisme juridique ». Voir Santos (1977), Wolkmer (1995).
  • [46]
    « Alors que le champ européen s’est toujours concentré sur les affaires de l’État, la caractéristique principale dans l’Amérique moderne est l’alliance institutionnelle entre les cabinets juridiques de Wall Street et les écoles de droit de l’Ivy League » (Madsen et Dezalay, 2002, 197).
  • [47]
    Ce que l’on voit bien avec la pratique croissante du litige, en particulier dans quelques pays de l’Amérique latine comme la Colombie et le Brésil (Rojas, 1989). Ce n’est peut-être pas un phénomène tout à fait nouveau, comme le montre la lutte des juristes de gauche pendant les années 1930 en France et en Allemagne. Pendant les années 1970, suite à la circulation des théories du droit alternatif, venues d’Italie et de France, beaucoup de travaux ont été publiés et discutés en Amérique latine sur la possibilité de doter les classes subalternes d’instruments juridiques qui leur permettraient d’œuvrer aussi à leur émancipation sociale (Santos, 1991). L’introduction de constitutions progressistes en Colombie et au Brésil aboutit à la création de connexions symboliques importantes entre les mouvements sociaux et les cours constitutionnelles (Uprimny et Garcia Villegas, 2003). Dans le cas du Brésil, on peut repérer un mouvement critique qui a une grande influence dans la vie nationale. Il est soutenu par des professeurs et juristes des facultés de droit et s’étend jusqu’aux couches juridiques qui cherchent à défendre une doctrine légale progressiste et alternative – un droit qui puisse, entre autres, permettre de protéger les paysans sans terres (Wolkmer, 1994).
  • [*]
    Cet article est une version modifiée du texte paru dans la revue Law and Social Inquiry, 31-2 (2006) sous le titre Comparative Sociology of Law, Legal Fields, Legal Scholarships and Social Sciences in Europe and United States. Je voudrais tout d’abord adresser mes remerciements à Jacques Commaille et à Jean-Charles Froment qui m’ont invité dans leurs centres de recherches respectifs pendant le premier semestre 2005. Ils m’ont également fait l’amitié de relire cet article et de me faire part de leurs commentaires. Je remercie aussi Laurence Dumoulin, Liora Israël, Antoine Vauchez, Pierre Mura, Marcel Tercinet, Michel Carraud, Carlos Miguel Herrera, Éric Rambo, Lissa McKinnon, Cecile Vigour, Thierry Delpeuch, Jean-François Davignon, Jérôme Pelisse et mes collègues du DeJuSticia pour leurs commentaires et critiques.

Introduction

1L’idée conventionnelle selon laquelle la culture juridique des pays – avec ses débats, ses auteurs, ses écoles, et ses mouvements internes – est suffisante pour expliquer l’origine, l’évolution, et le statut actuel des traditions juridiques et des pratiques légales qu’on y trouve, pose problème. Cette explication passe sous silence les fortes connexions qui existent entre la culture et les conditions sociales et matérielles dans lesquelles elle prospère. La lutte interne entre les acteurs juridiques pour l’appropriation du pouvoir symbolique n’est pas indépendante du contexte politique dans lequel elle a eu lieu. Les connexions entre le champ politique et le champ juridique sont multiples et mutuellement constructives.

2Une évaluation sociojuridique comparative des auteurs, des débats, et des mouvements dans le champ du droit, doit tenir compte de la connexion complexe entre, d’un côté, l’autonomie relative des discours juridiques qui luttent afin de s’approprier du capital symbolique et de l’autre, le contexte social et politique dans lequel ces discours réussissent ou échouent. Seule une telle évaluation permet d’apprécier les raisons pour lesquelles certaines idées, auteurs ou mouvements sont acceptés et d’autres rejetés. Une approche comparative de ce type est aussi la seule façon de comprendre comment ces idées circulent ou pas dans d’autres pays, et d’apprécier l’influence des contextes de production et de réception de ces idées (López, 2001 ; Nelken, 2001). Avoir connaissance de la complexité de ce réseau de connexions peut permettre d’éviter ce que Lawrence Friedman appelle l’ « école internaliste » (the internalist school) [1] – c’est-à-dire, la tentation d’expliquer l’évolution d’une discipline, dans ce cas le droit, par la reconstitution des vicissitudes des arguments, mouvements et idées. De même, ce peut être une forme d’antidote à une approche économiciste qui réduirait la pensée juridique au contexte économique dans lequel elle surgit [2].

3Bref, la sociologie du droit comparée ne sera pas en mesure de rendre explicites les différences entre les pays, les auteurs, les mouvements et les écoles de pensée juridiques. En un mot, elle ne sera pas capable de comparer tant qu’elle n’aura pas accepté de prendre en compte certaines présuppositions [3] liées au contexte social et culturel dans lequel ces différences se déploient. Voici deux de ces présuppositions :

4— L’approche en termes de champ juridique nationalement constitué et l’analyse de leurs histoires, leurs structures internes et leurs relations de pouvoir permet de montrer comment les idées juridiques et sociojuridiques ont été modelées, non seulement par des traditions juridiques, par le rôle des professionnels du droit dans la culture juridique, mais aussi par la distribution de capital social et symbolique à l’intérieur du champ et par les relations de pouvoir-savoir que ces acteurs entretiennent à l’extérieur du champ juridique, en particulier avec ceux qui cumulent pouvoir politique et économique.

5— Il est également utile de notre point de vue d’accorder de l’importance aux relations que le champ juridique entretient avec l’État. Dans certaines traditions juridiques – comme celle du droit civil – le droit est conçu tant comme un savoir sur les normes que comme un savoir, voire une justification, de l’État [4]. Dans d’autres traditions – comme celle qui prévaut aux États-Unis – le droit est plus indépendant de l’État [5]. Il est perçu plutôt comme un instrument d’ingénierie sociale, ce qui détermine non seulement le sens des pratiques légales, mais aussi le type de visions critiques et sociologiques du droit et le degré d’autonomie juridique vis-à-vis des sciences sociales. Cette différente distance du droit par rapport au pouvoir politique a des conséquences aussi bien pour la conception du droit que pour son rapport avec les sciences sociales. Plus le droit est proche du pouvoir, plus l’autonomie de la doctrine légale sera proclamée, et donc plus la connexion entre le droit et les sciences sociales sera faible. À l’opposé, plus le droit est proche de la société et du marché, plus l’autonomie de la doctrine juridique sera faible et plus la connexion entre le droit et les sciences sociales sera forte.

6Cet article sera structuré autour de deux grandes parties qui reprennent pour l’essentiel ces deux points, la notion de champ d’une part et le rapport entre champ juridique et État d’autre part. La première partie porte sur les champs juridiques français et américain. Il s’agit d’analyser la manière dont ces deux champs se sont restructurés pendant la première partie du XXe siècle en réponse aux mouvements critiques du formalisme juridique – que nous désignerons par la suite comme les mouvements antiformalistes – du début du siècle. Nous montrerons que cette restructuration est le résultat de plusieurs interconnexions entre les débats théoriques d’une part et les enjeux matériels et institutionnels à l’intérieur et à l’extérieur du champ juridique d’autre part.

7La seconde partie aborde les différents types de critique juridique – en général – et ceux qui émanent de la sociologie du droit en France et aux États-Unis – en particulier – pour ensuite expliquer comment ceux-ci ont trouvé leur origine dans les différents types de relations que le droit entretient avec l’État dans chaque pays.

8Enfin, il faut préciser que l’analyse présentée ici ne tient compte que de manière partielle des développements récents qu’ont connus les champs juridiques en Europe et aux États-Unis. La mondialisation économique a sans doute réduit le contraste entre les traditions et les champs juridiques des pays que nous étudions (Garapon, 2007). Néanmoins, nous sommes persuadés que d’importantes différences subsistent et du fait que, dans tous les cas, la vision de longue durée que nous proposons peut permettre d’éclairer utilement la situation actuelle [6].

La structuration des champs juridiques en France et aux États-Unis

9Au début du XXe siècle, les professeurs de droit en France, en Allemagne et aux États-Unis étaient divisés. D’un côté se trouvaient ceux qui, en France, sympathisaient avec l’école de l’exégèse, en Allemagne avec le conceptualisme et aux États-Unis avec la pensée juridique classique. Tous partageaient des idéaux conservateurs et formalistes. De l’autre côté, on pouvait isoler ceux qui se sentaient proches des idées critiques du droit, telles qu’elles étaient développées, en Europe par l’école du droit libre (Freirechtsschule) et le mouvement du pluralisme juridique, et aux États-Unis par le réalisme juridique.

10Ces deux groupes avaient des positions divergentes sur la tension entre autonomie versus adaptation du droit (Luhmann, 1983). Le premier groupe mettait l’accent sur l’autonomie du droit, alors que les approches critiques insistaient sur la sujétion du droit à la réalité sociale [7]. On appellera ici « formalistes » les premières conceptions, et « antiformalistes » les deuxièmes. Les attributs principaux du formalisme juridique sont la réduction de la notion de droit au droit officiel écrit, la croyance dans le droit appréhendé comme un système complet et cohérent de normes positives qui d’habitude n’ont pas besoin d’interprétation, la confiance dans le raisonnement déductif comme la meilleure – ou la seule – méthode pour appliquer le droit, et enfin, la conviction de neutralité des décisions judiciaires.

Le défi antiformaliste

11Les révolutionnaires français revendiquaient un nouveau droit pour la société. Un « droit à la portée de ceux qui doivent lui obéir », comme le disait Robespierre (1790). Dans cet esprit, le droit était assimilé à la loi et plus spécifiquement au Code civil de 1804. Puisque ce texte législatif était perçu comme une expression parfaite de la volonté du peuple, toute interprétation était exclue. C’est la raison pour laquelle l’État a ensuite essayé par tous les moyens d’empêcher le développement d’une pensée juridique indépendante des pouvoirs politiques (Arnaud, 1975, 49). On rapporte que lorsque Napoléon apprit que Maleville, l’un des auteurs du Code, avait publié un texte intitulé L’analyse raisonnée du Code civil, il se serait exclamé « mon code est ruiné » [8] !

12Cependant, dès la moitié du XIXe siècle, il apparaît évident que l’idée d’un « droit positif autosuffisant » n’était pas soutenable et que des commentaires de la législation étaient indispensables, spécialement dans une époque de grand changement social et politique. C’est dans ce contexte qu’est née l’école de l’exégèse [9]. Ses partisans reconnaissaient la nécessité d’une analyse du droit, mais seulement dans le but de clarifier son sens et sa portée par un examen consciencieux des textes légaux. Le législateur et le Code continuaient à être non seulement les acteurs centraux du champ juridique mais aussi un symbole fondateur de l’identité nationale française. Le Code était aussi bien source de vérité juridique qu’objet de vénération et de fierté républicaine (Arnaud, 1975, 47).

13En Allemagne, au contraire, la codification est arrivée tard dans le siècle, en partie en raison de la réaction culturelle de l’Allemagne à l’influence impérialiste de la France napoléonienne. Faute d’un mouvement pour la codification, c’est l’école historique du droit qui a fleuri, avec à sa tête Savigny et Puchta [10]. L’école historique du droit s’opposait à la glorification du législateur, et défendait l’idée d’un « droit du peuple » exprimé par la coutume juridique et systématisé comme une science, par les professeurs de droit. L’interprétation et la conceptualisation du droit étaient donc les « produits » des centres universitaires [11]. Plus que des juristes ou des juges, les facultés de droit formaient des professeurs, dépositaires d’un savoir scientifique et destinés à servir comme une source essentielle de droit.

14Mais l’École historique avait aussi une dimension critique à l’égard du formalisme juridique. Savigny défendait l’idée d’un droit coutumier, le droit qui venait d’en bas, contre le droit codifié de l’État (Dufour, 1974). Selon Savigny, tout le droit positif était, dans un sens ou dans l’autre, un droit qui venait du peuple (Volksrecht). Comme la langue ou la morale, le droit évolue, se transforme et c’est seulement dans une étape postérieure du développement social qu’il peut se manifester comme un droit législatif.

15Savigny était un conservateur, mais son idée du « droit du peuple » a inspiré une nouvelle génération de penseurs progressistes qui, tant en France qu’en Allemagne ont publié leurs œuvres au tout début du XXe siècle. Des auteurs comme Eugin Ehrlich et Herman Kantorowicz en Allemagne, Santi Romano en Italie, et Georges Gurvitch en France ont été particulièrement influencés par Savigny. Ils ont proposé une nouvelle approche du droit, à partir de la notion de droit social, laquelle intégrait non seulement les droits sociaux, mais aussi l’idée d’autodétermination sociale et de progressisme politique.

16Trois éléments antiformalistes peuvent être identifiés chez les défenseurs du droit social. Premièrement, l’opposition à l’approche traditionnelle qui réduisait le droit au droit officiellement produit ou reconnu par l’État. Contrairement à cette conception, ils considéraient que le droit officiel n’était qu’une partie d’un phénomène plus ample de pluralisme juridique qui impliquait nécessairement une conception sociolégale du droit (Gurvitch, 1931). « Les dispositions légales ne sont qu’une partie de la totalité du droit », disait Eugen Ehrlich (1922, 141). Deuxièmement, ils rejetaient un droit conçu comme un système rationnel, cohérent et autonome, c’est-à-dire, un système qui ne connaît ni les lacunes ni les contradictions. Pour eux, la doctrine juridique en tant que système unifié et cohérent de savoir structuré par la logique et la déduction n’existait pas ; ils insistaient sur l’omniprésence des lacunes et des vides dans le système juridique. Finalement, ils estimaient que le « droit vivant » était la source première du droit officiel. « La plus grande partie du droit », explique Eugen Ehrlich (1922, 100), naît dans la société « sous la forme d’une commande spontanée des relations sociales, du mariage, des associations familiales, de la possession, des contrats, des successions, et la plupart de cet ordre social n’a jamais été contenu dans les dispositions légales ».

17Bref, le pluralisme juridique, l’incohérence et l’existence du droit vivant caractérisaient la critique européenne du formalisme. Ils s’opposaient directement à la conceptualisation étatique et législative du droit.

18L’influence de l’école historique et en particulier celle de Savigny, s’est étendue jusqu’aux États-Unis. Des juristes comme Oliver Wendell Holmes, Roscoe Pound, et Karl Llewellyn y ont trouvé une source importante d’inspiration [12]. Sous la bannière du réalisme juridique, ces penseurs ont avancé une théorie pragmatique et sceptique du droit, s’opposant ainsi aux idées formalistes qui étaient alors dominantes dans les facultés de droit [13]. Certes, le réalisme juridique ne fut pas un mouvement unifié – il s’agissait plutôt d’ « un état d’esprit intellectuel », selon Neil Duxbury (1995) – mais il était très influent dans les facultés de droit américaines [14].

19Trois caractéristiques fortes traversent cette nébuleuse qu’est le réalisme juridique [15]. En premier lieu, les réalistes défendaient l’idée selon laquelle le droit est socialement « moins important qu’on ne le croit » (Lewellyn, 1994, 257). En second lieu et dans la même ligne de pensée, les réalistes ne reconnaissaient pas le caractère déterminant des normes juridiques par rapport aux décisions des juges. D’où la célèbre déclaration de Holmes (1897, 461) : « Predictions on what the courts will actually do is what I understand by law, and nothing more pretentious. » [16] En troisième lieu, ils mettaient en question la neutralité du droit et soulignaient sa nature politique. Lewellyn (1994, 266) insistait sur le fait que sous les formes juridiques on trouvait « la manipulation officielle des règles ».

20Bref, marginalité, indétermination et caractère politique du droit étaient, pour les réalistes, les traits centraux du droit.

21De la comparaison de ces deux mouvements antiformalistes, nous pouvons extraire – à partir du contraste entre les trois thèmes principaux de chaque mouvement qui ont été décrits plus haut – trois dichotomies qui expliquent leurs différents accents antiformalistes : pluralisme juridique / marginalité ; incohérence/indétermination, et droit vivant / influence politique. Déjà dans l’analyse des trois dichotomies on peut trouver les accents théoriques et disciplinaires qui vont marquer les visions critiques du droit dans les années à venir.

La doctrine juridique en France

22Au tournant du XIXe siècle et durant les trois premières décennies suivantes, s’esquissa en France et en Allemagne une tentative pour fonder une position intermédiaire entre le formalisme et l’antiformalisme. C’est ainsi qu’est née la doctrine juridique classique française dont les représentants principaux sont Léon Duguit (1889, 1922), François Gény (1899), Édouard Lambert (1928), Marcel Planiol (1899), Henri Capitant (1898), et Louis Josserand (1927). Leurs travaux sont publiés dans les années 1920 et 1930, dans une période caractérisée par sa complexité sociale, par la critique de l’individualisme libéral et par l’adoption des nouvelles valeurs sociales et collectives [17].

23Les juristes classiques s’opposent à la glorification de la loi [18] et demandent que les pratiques coutumières soient incluses dans les sources formelles du droit [19]. L’analyse des textes légaux n’est plus le centre d’intérêt ; elle doit céder sa place à l’interprétation du droit à partir des sciences sociales comme l’économie, les statistiques, l’anthropologie et surtout, la sociologie.

24Cependant, les auteurs classiques n’ont pas seulement pris de la distance par rapport à l’approche juridique traditionnelle, c’est-à-dire le formalisme juridique, ils se sont également éloignés des positions critiques antiformalistes comme celles de l’école du droit libre. Leur objectif principal est plus constructif que critique. Ils voulaient intégrer la dimension sociale au droit sans renoncer à son autonomie vis-à-vis de la réalité sociale et politique. Bref, ils voulaient développer une troisième voie entre ceux qui voyaient la législation comme la seule source du droit et les auteurs critiques qui, tout en plaidant pour la centralité du droit coutumier, étaient partisans du pluralisme juridique et diluaient le droit dans la politique.

25L’enthousiasme des auteurs classiques pour la question sociale et la pensée antiformaliste était donc manifeste mais pas débordante. C’était des hommes d’ordre, ouverts au changement, mais à un type de changement destiné à la préservation du passé [20].

26À la fin du siècle, François Gény se demanda si l’accent donné aux aspects sociaux ne menait pas à la dissolution du droit et à la prédominance de l’arbitraire. Si les lois ne sont plus la base du droit, interroge-t-il, « cela ne nous expose-t-il pas aux dangers des décisions empiriques (...) et au sacrifice du besoin primordial, absolu et incontestable de la sécurité juridique, de laquelle provient la sécurité de la vie en société ? » (Gény 1899, 185-186).

27La réponse de Gény à cette question réside dans la consolidation d’un corps de pensée juridique scientifique, complètement autonome de l’État, des partis politiques, et des intérêts sociaux (Arnaud, 1975), à partir duquel on puisse renforcer une voie intermédiaire entre le criticisme et le formalisme. Est ainsi née une tradition qui voit le droit comme « une science inexacte, mais dure », pour utiliser l’expression de Philipe Jestaz et Christophe Jamin (2004, 174). Cette voie intermédiaire ne pouvait être développée que par les professeurs de droit des universités [21]. Ils étaient censés produire un nouveau savoir appelé doctrine juridique, définie comme l’étude autorisée du droit positif. La doctrine était une réponse aux tensions internes du droit applicable dans la pratique (Chevallier, 1993).

28Avec la création de la doctrine juridique vers la moitié du XIXe siècle, les professeurs de droit consolident leur position de privilège dans le champ juridique français. Encore une fois, l’ancienne université européenne devient un centre intellectuel destiné à stabiliser et normaliser – comme dirait Foucault – le pouvoir juridique [22]. Bien que l’unification du droit ait été largement accomplie par le Code civil pendant le XIXe siècle, c’est la doctrine juridique, faite par les professeurs dans les universités françaises au cours du XXe siècle, qui s’est constituée en garant de cette unité (Gazzaniga, 1994).

29Avec la consolidation de la doctrine juridique, les professeurs de droit français ont concentré un énorme pouvoir symbolique qui réside dans la possibilité qu’ils ont d’établir la signification finale des textes légaux, dans leur capacité à se présenter comme le groupe social – avec les avocats et les juges – auquel appartient par excellence la tâche de défendre les idéaux républicains et les règles morales qui guident la société, dans l’idée qu’ils représentent une profession universitaire fondée sur une connaissance scientifique et finalement, dans leurs origine et position souvent privilégiées dans la hiérarchie sociale. Toutes ces conditions expliquent la force de leur esprit de corps et le fait qu’au sein de l’université, ils se considèrent comme un corps à part [23].

30Pendant les années 1930 et 1940, la doctrine juridique était conçue comme un savoir juridique proche aux sciences sociales et aux droits sociaux. Cette vision « sociale » du droit commença à s’affaiblir dès la moitié du siècle, jusqu’au moment où l’autonomie du droit par rapport aux sciences sociales, défendue par le positivisme juridique, finit par être dominante dans la doctrine juridique française (Assier-Andrieu, 1996) [24].

31Le positivisme juridique fut aussi une réponse au remodelage du champ juridique universitaire. Pendant la première moitié du XXe siècle en France, les facultés de droit formaient en grande partie les élites politiques et sociales. Elles concentraient ainsi un énorme « pouvoir social et symbolique » (Sicart, 2000). Il faut rappeler que les sociologues, les économistes et les politologues étaient formés dans les facultés de droit. Les professeurs de droit n’étaient donc pas les seuls à jouir de ce prestige social, les avocats et les juges étaient considérés aussi comme de véritables « notables », dépositaires d’une capacité naturelle à diriger le politique et le social (Karpik, 1995).

32Les positions défendues dans le débat sur le droit – celles qui se développent autour de la théorie du droit, par exemple – sont, dans une bonne mesure, le reflet des changements qui se produisent dans le champ juridique (Bourdieu, 1986 a).

33Vers la moitié du siècle, l’économie et la science politique ont commencé à se séparer du droit et à constituer leur propre champ disciplinaire. Le premier diplôme universitaire français en sociologie a été créé en 1958. Au début du XXe siècle, les sociologues, soutenus par quelques juristes sympathisants, ont lutté pour que leur discipline soit reconnue comme telle. Le travail d’Émile Durkheim et son idée du droit comme une intégration entre droit et sociologie (Lascoumes, 1991) a eu une grande influence dans la formation de ces alliances entre professeurs des deux disciplines (Vogt, 1983). Mais l’influence de Durkheim a commencé à s’affaiblir peu après. Comme l’a montré Daniel Pécaut (1996), quand le moment est venu pour la sociologie de se séparer du droit, la tradition interdisciplinaire de Durkheim – qui était surtout représentée par le travail de Gurvitch [25] – n’a pas semblé très utile pour justifier l’autonomie de la sociologie [26].

34En France, le triomphe d’une conception du droit fondée sur le positivisme juridique s’explique aussi par le besoin des facultés de droit de réaffirmer leur autonomie vis-à-vis des sciences sociales. Une fois les sciences sociales séparées physiquement des facultés de droit, la doctrine juridique expulsa les sciences sociales de sa propre conception théorique. C’est ainsi que se consolide la victoire du positivisme juridique sur la sociologie du droit (Troper et Michaut, 1997).

35L’autonomisation de la sociologie par rapport au droit a été accentuée par une différentiation politique assez marquée, particulièrement pendant les années 1970, entre des facultés de droit perçues comme étant de droite et les départements de sociologie nettement à gauche. À la diversité épistémologique s’ajoutait donc la diversité politique.

36Mais la plus grande menace contre le prestige du droit et des juristes notables s’est affirmée avec le départ de la science politique des écoles de droit en 1968. Dès sa création, Sciences Po eut une grande capacité à attirer et former une nouvelle élite politique et administrative dans les affaires d’État et de droit public. Pour surmonter ce défi, les facultés de droit ont mis l’accent sur le savoir strictement juridique et technique du droit public, qui manquait aux instituts de sciences politiques (Chevallier, 1997 ; François, 2002).

37Au début des années 1970, le concours de l’agrégation (examen de validation d’un parcours en droit qui permet ensuite d’enseigner la matière) en droit public [27] était divisé en deux concours différents : l’un en droit public et l’autre en science politique. À partir de ce moment-là, les professeurs de droit public issus des facultés de droit ont été forcés de développer leur propre savoir juridique autonome par rapport à la science politique. Cette division des disciplines a eu comme résultat la création de deux communautés d’experts en droit public en France. Le groupe traditionnel, composé par des juristes formés dans les facultés de droit, travaillant comme avocats auprès des barreaux ou comme conseillers juridiques, et le groupe des avocats publicistes formés dans les écoles de Sciences Po et préparés pour travailler dans l’administration publique et même dans le système judiciaire. Non seulement ces deux groupes visent des segments différents du marché du travail, mais ils ont des conceptions du droit et de la pratique juridique bien distinctes (Chevallier, 1997).

38Il faut dire aussi que la position privilégiée de la doctrine juridique – et des professeurs – a commencé à montrer des signes de déclin pendant les deux dernières décennies. Les juristes français issus des facultés de droit ont vu leur capital symbolique réduit strictement aux cercles juridiques et judiciaires : les grands hommes d’État ne sortent pas souvent des facultés de droit, ou quand ils en sortent, doivent passer par Sciences Po, s’ils veulent accéder aux postes les plus prestigieux. Aujourd’hui l’administration publique appartient presque exclusivement aux écoles spécialisées – les grandes écoles, et particulièrement l’École nationale d’administration (ENA) et les instituts d’études politiques (IEP). Par exemple, le fait que la plupart des conseillers d’État – membres de la plus haute juridiction administrative – proviennent des grandes écoles ou de Sciences Po, et non plus des facultés de droit, peut expliquer la faible influence de la doctrine en droit public provenant des facultés de droit dans les décisions prises au Conseil d’État.

39La crise du droit et des facultés de droit en France peut aussi s’expliquer par le déclin du système universitaire vis-à-vis du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et des grandes écoles. Pendant que l’environnement universitaire est lié à des conditions de travail assez précaires et à des salaires relativement faibles, les chercheurs CNRS travaillent dans des conditions similaires à celles que l’on peut trouver dans des universités de moyenne taille aux États-Unis [28].

40Cependant la crise de la profession juridique a également donné lieu chez les juristes à la mise en place de nouvelles stratégies destinées à regagner leur position sociale. Yves Dezalay et d’autres ont ainsi montré comment les juristes essaient de récupérer le pouvoir perdu à travers d’importants bureaux d’affaires internationales conçus, organisés et gérés par les grands cabinets américains (Dezalay, 1993 ; Dezalay, Sarat, et Silbey, 1989 ; Dezalay et Trubek, 1997 ; Gessner et Nelken, 2007). La mondialisation de l’économie, la constitutionnalisation des droits, la multiplication des litiges (Kagan, 2001, 2007), la montée en puissance d’un champ juridique européen, entre autres, ont contribué à l’émergence d’une « nouvelle culture légale » (Hesselink, 2001) [29].

Le marché juridique aux États-Unis

41Aux États-Unis, en contraste avec ce qui s’est passé en France, l’antiformalisme proposé par les réalistes s’est montré victorieux. Le réalisme juridique a impliqué une transformation profonde de la culture juridique américaine. C’est une sorte de « torrent académique d’une énorme influence entre 1927 et 1940 » (Herget et Wallace, 1987, 434). Même aujourd’hui, la plupart des professeurs de droit se considèrent comme proches du réalisme juridique. « Nous sommes tous devenus réalistes », ont pris l’habitude de dire les professeurs américains [30].

42Quelles ont été les conditions qui ont permis au réalisme de triompher aux États-Unis alors qu’il a échoué en France ?

43Le réalisme juridique relève d’une stratégie montée par quelques avocats libéraux qui voulaient faire face à l’isolement du droit et des juristes, à une époque où le système juridique ne semblait pas très bien connecté aux rapides changements sociaux et économiques en cours (Dworkin, 1985 ; Garth et Sterling, 1998 ; Kalman, 1996 ; Sarat et Silbey, 1988 ; Tomlins, 2000). Le succès du réalisme – selon Tomlins (2000, 943) – fut une réponse à l’ « érosion de l’autorité politique du droit ». Les nouvelles idées politiques du New Deal et de l’État interventionniste offrirent l’opportunité aux réalistes de renforcer l’influence politique et sociale du droit. Les réalistes ont ainsi créé « une approche imaginative, expérimentale et moderne pour résoudre les problèmes et surtout pour élargir le rôle de l’État-providence » (Kalman, 1996, 17). D’après Edward Robinson (1934, 266), les réalistes ont imposé l’idée selon laquelle il était nécessaire de transformer les avocats en ingénieurs sociaux, de telle façon qu’ils puissent appliquer de manière ample les méthodes des sciences sociales « dans la création de solutions pratiques à des problèmes sociaux urgents ». Ce faisant, ils « ont placé leur foi en l’utilité de la science sociale » (Robinson, 1934, 266) et ont adapté la pensée juridique à un environnement politique changeant dans lequel l’État commençait à jouer un rôle croissant dans la société (Ackerman, 1984). Des auteurs comme Pound et Robinson voulaient utiliser « d’autres formes de savoir social pour maintenir le pouvoir du droit » (Robinson, 1934, 266) [31]. La tendance critique radicale initialement présente parmi les réalistes finit en effet par être marginale parce que incompatible avec l’approche réformiste du droit et de la politique (Law and Policy), devenue prédominante (Peller, 1985) [32].

44La stratégie des réalistes destinée à valoriser le droit a eu d’importantes implications non seulement en ce qui concerne la conception du droit, mais aussi sur le plan académique. Premièrement, l’idée d’un droit conçu comme un savoir scientifique, tel qu’il était compris par la doctrine juridique en France ou en Allemagne, devint une idée inacceptable, voire suspecte. L’analyse juridique des problèmes sociaux impliquait nécessairement une approche flexible et une perspective multidisciplinaire. En accord avec ces postulats, les facultés de droit étaient conçues comme des écoles professionnelles enseignant des contenus juridiques immédiatement applicables dans la pratique (Riesenfeld, 1937, 51).

45Deuxièmement, l’autorité du droit et sa capacité à fournir des solutions pratiques n’étaient possibles que par l’intégration par les juristes de savoirs de sciences sociales qui dépassaient leurs compétences strictement juridiques. Si la formation en sciences sociales des juristes a toujours été pauvre, leurs remarquables capacités analytiques pour saisir les problèmes sociaux dans toutes leurs dimensions a facilité leurs relations avec d’autres mondes scientifiques, et leur a permis d’occuper très souvent des positions de direction dans ces rencontres interdisciplinaires (Tomlins, 2000, 944 ; voir aussi Dezalay, Sarat et Silbey, 1989 ; Trubek, 1990).

46Troisièmement, le fait qu’aux États-Unis la dynamique du droit soit déterminée par la pratique juridique et que celle-ci dépende davantage des avocats et de leur organisation que de l’État – en contraste avec ce qui se passe en France – a conduit à une conception instrumentale du droit : « Celui-ci n’est plus conçu – explique Antoine Garapon – comme un ensemble abstrait de règles qui renvoie à un certain idéal mais à une trousse à outils pour agir » (Garapon, 2007, 78). Le droit est conçu comme un instrument pour faire des choses – de l’argent entre autres – plus qu’un ensemble de principes et de règles de justice. Les principes et l’argumentation ont sans doute une place dans le droit – ce que Fuller appelait la morale interne du droit (Fuller, 1964) – mais, comme le dit Antoine Garapon, l’idéal est dans la procédure et la procédure est un combat (Id., 78).

47Bref, le positivisme juridique fut en France la théorie « appropriée », pour un champ juridique dans lequel les professeurs se concentraient dans la création et l’interprétation de la doctrine juridique [33]. De manière similaire, l’antiformalisme juridique a été la théorie adéquate, idoine pour le champ juridique américain, dans lequel les avocats tiraient leur capital matériel et symbolique de leur rattachement avec d’autres domaines sociaux. De plus, la différence entre positivisme et autonomie juridique en France, d’un côté, et entre antiformalisme et insertion sociale du droit de l’autre, peut expliquer le fait que la plus grande partie du débat juridique en France concerne des problèmes techniques et doctrinaux, alors qu’aux États-Unis, il y a aussi place pour un débat qui concerne la théorie et la sociologie du droit.

48Mais, comment l’accent sociojuridique des réalistes a-t-il influencé les positions et dispositions des acteurs à l’intérieur du champ juridique ?

49Tout d’abord, il est important de garder à l’esprit le fait que la doctrine juridique, telle qu’elle est conçue en France, n’a pas d’équivalent aux États-Unis. Le rejet du droit romain – conçu comme la base de l’État absolutiste en Europe continentale [34] – et l’adoption d’une conception du droit liée à la pratique juridique et à l’autorité de la jurisprudence se sont opposés aux États-Unis à la mise en place d’un corps sacré composé de professeurs d’université chargés de maintenir l’intégrité du droit, sur le mode français ou allemand. (Van Caenegem, 1987 ; Merryman et al., 1994) [35]. Le capital symbolique des acteurs juridiques, y compris celui des professeurs, vient en grande partie du fait que la société les considère comme des « ingénieurs sociaux, comme des professionnels spécialement préparés pour comprendre et résoudre des problèmes sociaux » (Merryman, 1975, 867).

50C’est pourquoi aux États-Unis le champ juridique est intimement lié au marché et au système politique, ce qui implique un déplacement de la dynamique compétitive propre à ces domaines vers le droit (Dezalay, Sarat et Silbey, 1989 ; Shamir, 1995) [36]. Les investissements du droit dans les sciences sociales dépendent de leurs dividendes. La plupart des opportunités qu’offre le champ juridique américain sont liées aux ressources pour l’interprétation et la manipulation de la réalité extérieure qui peuvent être apportées par les juristes (Garth et Sterling, 1998, 410). Pour cette raison, la concurrence entre les avocats, les professeurs et les juges, aussi bien qu’entre les institutions juridiques (en particulier les écoles de droit) est souvent plus importante que les luttes pour des positions dans la hiérarchie interne de chacun de ces acteurs dans le champ juridique [37]. Quelques auteurs suggèrent même que la création du mouvement Law and Society est liée au besoin des universités de l’Ouest américain – comme l’Université de Wisconsin – de défier les paradigmes juridiques venant des universités de l’Ivy League de la côte est (Dezalay, Sarat et Silbey, 1989).

51Enfin, le prestige des professeurs américains est moins lié à l’appartenance à une caste sacerdotale – gardiens d’un corps de savoir strictement associé aux idéaux républicains – qu’à leur capacité à travailler dans un marché compétitif et hiérarchisé destiné à produire des solutions juridiques aux problèmes sociaux les plus variés. Ce rôle social, qui s’est créé et qui prit forme avec le réalisme juridique au début du XXe siècle, est encore robuste aujourd’hui.

Pensée juridique, critique du droit et pouvoir politique

52Concentrons-nous à présent sur notre seconde proposition qui porte sur les connections entre le champ juridique d’un côté, et l’État et le pouvoir politique de l’autre. Il s’agit plus spécifiquement de montrer comment les différents types de relations entre le droit et l’État qui prévalent en France et aux États-Unis, donnent lieu à différents types de critiques du droit.

53Cette partie cherche donc à explorer les connexions entre la culture juridique et l’idéologie politique ou, autrement dit, entre le droit et le politique, et à partir de là, à montrer comment la sociologie du droit, aussi bien que la critique juridique, se structurent et prennent des formes différentes dans les traditions juridiques américaine et française.

Droit et pouvoir politique

54La différence entre le common law et le droit civil se trouve plus dans la culture politique implicite propre aux deux traditions que dans la plus ou moins grande primauté des codes ou bien des décisions judiciaires (Garapon, 1996 ; Legrand, 1999 ; Merryman, Clark, et Haley, 1994). Bref, comme les juges en Angleterre, les juristes et les professeurs en Europe continentale (et en Amérique latine) ont été des instruments politiques pour la conservation et la reproduction du statu quo (Van Caenegem, 1987, 157).

55Les identités particulières du common law et du droit civil ont été modelées par le débat autour du concept de souveraineté qui a eu lieu entre le XVIIe et le XVIIIe siècle en Angleterre et en France (Elias, 1986 ; Tilly, 1993). Les deux pays étaient divisés sur cette question. Dans la tradition française – tirée de l’absolutisme – le droit était l’expression de la souveraineté de l’État, représentée par le monarque (Van Houtte, 1986). Dans cette conception, le droit ne précède pas l’État, mais est son expression. C’est bien l’idée de souveraineté qui fit le lien entre l’État absolutiste et l’État révolutionnaire [38]. Entre ces deux régimes, seule la personne du souverain change : avant la Révolution française, c’est le roi, après c’est le peuple. L’ancienne expression : un roi, une foi, une loi n’a varié que dans la forme et s’est maintenue dans son contenu comme un symbole de l’unité nationale.

56Dans la tradition civiliste, la souveraineté populaire s’exprime dans le code, destiné à créer la conscience populaire d’appartenir à une seule et même nation, gouvernée par une seule loi et une seule volonté populaire. Selon la formule de Merryman et al. « le Code français de 1804 était conçu comme une sorte de livre populaire qui pouvait être placé sur l’étagère aux côtés de la Bible » (1994, 28).

57Le succès des professeurs de droit (civil) et des facultés de droit en France et en Allemagne vient de leur capacité à se présenter comme les dépositaires du savoir de l’État. Ils ont ainsi acquis non seulement une grande visibilité et signification politique, mais aussi une grande autonomie vis-à-vis du pouvoir politique (Dahrendorf, 1972). Ils tirent leur capital symbolique d’une situation d’ambivalence : être à la fois proches et distants du pouvoir politique. Proches en ce qu’ils ont pour mission, par exemple de former les élites de l’État, distants en ce qu’ils appartiennent alors à des universités indépendantes et produisent une science du droit positiviste et formaliste. Cette ambivalence leur permettait à la fois d’expliquer l’État comme une entité externe et politique et de le justifier en l’identifiant au droit [39].

58La tradition du common law, par contre, est fondée sur la conception médiévale de constitution mixte [40], selon laquelle la loi appartient au peuple, presque comme un attribut du groupe ou une possession commune grâce à laquelle le groupe maintient son unité (Sabine, 1961 ; Fioravanti, 1999) [41]. La culture juridique est donc fondée sur le sens commun et non pas sur des principes généraux. C’est pourquoi le common law existe – et a toujours existé – et doit être découvert et adapté sans cesse (Legrand, 1999). Rien n’est créé, tout est adapté [42]. Le droit est comme le scénario d’une pièce de théâtre dans lequel chaque personnage a son rôle et joue en accord avec celui-ci. Selon Pierre Legrand (1999, 41), « immanent à un processus historique en vertu duquel une communauté se constitue, le common law se présente comme une forme de solidarité sociale ».

59Quelles sont les conséquences de ces cultures politiques et juridiques pour la sociologie et la critique du droit ?

60En France et en Amérique latine, les textes de Rousseau – interprétés par Sieyès – ont laissé peu de place pour une critique politique à travers le droit. Si, comme Rousseau l’a écrit dans le Contrat social, « la volonté générale a toujours raison et tend toujours vers le bien public » (1975, 371-372), sur quelle base peut être critiqué un droit qui naît de cette volonté générale ? D’après l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme, inclus dans la Constitution de 1793, « la loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale ; elle est la même pour tous, soit qu’elle protège soit qu’elle punisse... ». Si la volonté générale existe et qu’en plus elle peut être connue, et si par ailleurs la loi est une simple manifestation de cette volonté, le droit est alors censé être parfait et la critique du droit n’a de sens que lorsqu’elle se fait à partir d’une perspective externe et radicale qui met en question la volonté générale, les institutions et le contrat social lui-même. La critique juridique entraîne la reconstruction de la société ; elle remet en question la structure institutionnelle en place et exige de nouvelles institutions politiques.

61Voilà pourquoi il a été si difficile d’introduire un système de révision judiciaire en France. Par ailleurs, la réduction du droit au pouvoir politique en France – par le concept de souveraineté – est aussi associée à la subordination du libéralisme à la démocratie qui s’installa après la Révolution française. Depuis la fin du XVIIe siècle, l’Angleterre est un État libéral, fondé sur la rule of law et les procédures représentatives. La démocratie a tardé jusqu’au XIXe siècle, lorsque le pouvoir de l’aristocratie s’est retiré comme conséquence de l’extension du vote. D’après Rosanvallon, Furet et Juillard (1988, 164), « la Révolution française cherchait au contraire à achever les deux étapes en même temps, libéralisme et démocratie. Les procédures légales et la rule of law n’avaient pas d’autonomie vis-à-vis de la volonté générale exprimée par la représentation politique.

62En Angleterre par contraste, le droit – et les droits – précèdent l’organisation politique, ce qui donne lieu à un pouvoir politique suprême mais pas souverain [43]. Les droits fondamentaux ne sont pas simplement l’expression de ce pouvoir, mais, bien au contraire, le paramètre qui permet une critique éventuelle du pouvoir politique. Selon John Locke – qui inspira la Déclaration d’indépendance américaine – les gens peuvent se soulever contre les gouvernements qui ne respectent pas les droits inhérents aux individus (Locke, 1946). Le droit positif – à la différence du droit naturel ou des droits fondamentaux – est bien une manifestation de ce pouvoir politique et, comme tel, peut être l’objet d’une critique juridique institutionnalisée, qui s’est développée à l’intérieur du système juridique sans remettre en question le contrat social.

63En Angleterre et aux États-Unis, le terme law – droit positif – est associé au pouvoir politique et n’inclut pas nécessairement ce qui est juste (right), autrement dit, n’inclut pas les droits fondamentaux. En Europe, les termes droit, recht, diritto, derecho, ont une signification plus ample, une signification qui inclut la justesse de l’ordre établi. C’est pourquoi les critiques du droit en Europe ont tendance à assimiler droit et institutions et en conséquence à se débarrasser du droit pour mettre l’accent sur les droits en tant que droits sociaux, et non droits juridiques. Aux États-Unis, par contre, puisque le droit peut être injuste, la critique du système juridique n’implique pas la critique de l’ordre politique.

Les critiques juridiques au début du XXe siècle

64Au début du XXe siècle en Amérique, les réalistes revendiquent le fait que les décisions judiciaires ne soient pas neutres mais puissent être politisées. « Les tribunaux doivent créer du droit », expliquait Oliver Holmes, qui continuait en affirmant que « les tribunaux sont de grands faiseurs de politique dans notre système de gouvernement » (1917). La critique des réalistes sur le caractère politique des décisions judiciaires était une proposition pragmatique qui, bien que discutable, pouvait être gérée intérieurement sans remettre en question les fondations du système juridique [44].

65Le réalisme juridique a réussi dans sa critique du formalisme juridique, et en particulier, il a triomphé de ceux qui prétendaient que le droit était indépendant et autonome des faits sociaux et de la politique. Malgré l’effet dévastateur de cette critique au début du XXe siècle, le courant juridique dominant est parvenu à circonscrire la portée de la critique, en retravaillant le contenu et la force du droit avec l’aide des sciences sociales. Les sciences sociales – et non la logique abstraite – ont fourni des critères importants pour la définition du droit, et en particulier pour le processus de prise de décisions judiciaires, mais ils ont également apporté d’importants éléments visant à fonder l’objectivité et la stabilité du droit.

66Au contraire, la critique des antiformalistes européens n’a pas eu d’effets durables sur la doctrine juridique. Selon Serverin (2000), le positivisme juridique en Europe, ou la primauté des règles écrites sur les autres sources du droit, n’a jamais été vraiment remis en question. Les critiques européens des années 1920 et 1930 – le mouvement du droit libre (Freirechtschule) et les juristes de gauche – étaient porteurs de programmes divergents et développaient une critique idéologisée et politisée. L’influence du marxisme a été beaucoup plus importante en Europe qu’aux États-Unis, ce qui a orienté la critique vers une perspective plutôt théorique et spéculative (Herrera, 2003 b).

67La doctrine légale était conçue par les critiques du droit européen comme étant trop proche du pouvoir politique. Pour cette raison, ils ne voyaient pas de possibilité d’émancipation sociale à travers le droit ; il fallait changer le pouvoir politique pour pouvoir changer le droit. Ils se plaçaient donc en dehors du droit pour attaquer le système politique et le droit en même temps. La vision externe des critiques sur le droit les a menés vers un type de discours qui s’est positionné loin de la technique juridique et proche de la politique et de la philosophie.

68Les penseurs de l’école du droit libre, tout comme les intellectuels qui se situent loin de la pratique, dirigeaient leur critique contre l’injustice du monde et regardaient avec une certaine négligence le débat qui se livrait à l’intérieur du champ juridique (Herget et Wallace, 1987, 439). En outre, le contexte politique dans lequel les Européens travaillaient ne favorisait pas la réception d’idées critiques : alors qu’aux États-Unis, l’antiformalisme juridique obtenait le support politique du New Deal et sa vision réformiste et démocratique, en Allemagne c’était le régime nazi qui voyait positivement les critiques juridiques et l’activisme judiciaire, dans la mesure où celles-ci délivraient les juges nazis des contraintes imposées par la Constitution de Weimar.

Deux types d’académies juridiques, de critiques juridiques et de sociologies juridiques

69Les critiques européens ont réagi contre la législation et la codification parce qu’ils y ont trouvé une expression de la domination politique existante. Le droit était donc perçu comme un pouvoir politique qui devait être dénoncé et remplacé par un autre pouvoir et un autre droit. C’est pourquoi l’idée de Savigny du « droit du peuple » a été aussi importante dans cette tradition [45].

70Par contraste, en Amérique, la critique des réalistes s’est focalisée sur le juge parce qu’il est la figure politique centrale du champ juridique. Cette critique a dénoncé le caractère intéressé et partiel des jugements à partir d’une argumentation juridique. Le fait que le droit soit perçu comme résultant de décisions politiques n’empêchait pas en effet que le débat autour de ces décisions se fasse sur le terrain et avec des arguments juridiques.

71Par ailleurs, compte tenu de l’existence plus « discrète » de l’État, moins interventionniste et moins visible qu’en France, les avocats, juges et professeurs de droit n’ont pas ressenti le besoin impérieux de se différencier des forces politiques ou du marché. Les avocats américains et les professeurs de droit ont non seulement relativisé l’importance des frontières entre le marché et le pouvoir politique – le droit et les sciences sociales –, mais ils ont également utilisé les interstices entre le droit, le marché et le pouvoir pour augmenter leur pouvoir symbolique, valorisant leur travail et se présentant comme experts pour résoudre les problèmes sociaux les plus divers [46].

72L’esprit antiformaliste et l’ouverture du droit aux sciences sociales – spécialement vers l’économie – ont maintenu le prestige du champ juridique américain. Les marchés juridiques ont fleuri justement autour des connexions multiples entre droit et vie sociale (Garth et Dezalay, 1996).

73Il est important de tenir compte du fait qu’aux États-Unis l’antiformalisme juridique n’est pas synonyme de pensée progressiste. Ce qui prévaut dans la culture juridique américaine, c’est l’idée réaliste de la connexion entre le droit et les sciences sociales et ce, bien davantage qu’une vision progressiste du droit. C’est pourquoi les mouvements Law and Economics et Law and Society peuvent se présenter comme les héritiers du réalisme juridique, alors même qu’ils développent des visions politiques divergentes.

74La critique juridique américaine, née dans ces interstices entre le marché / le pouvoir et le droit, ne pouvait être que moins inclusive et moins radicale que la critique européenne, opérée, elle, depuis l’extérieur du champ juridique. Même pendant la première moitié des années 1960, où le radicalisme politique était assez courant en Europe et aux États-Unis, les textes américains les plus radicaux des Critical Legal Studies, par exemple l’article sur les droits de Mark Tushnet (1984), étaient moins virulents et radicaux que les écrits issus du mouvement Critique du droit en France, par exemple ceux de Michel Miaille (1976). On pourrait même suggérer que la critique antiformaliste américaine – dans la mesure où elle met l’accent sur la nécessité de définir les connexions entre le droit et la société – est devenue fonctionnelle pour le champ juridique et les visions conservatrices (Garth et Sterling, 1998 ; Sarat et Silbey, 1988 ; Tomlins, 2000).

75La critique européenne – plus radicale et plus « déconstructrice » – a été développée par des professeurs et des juristes qui, à la différence de leurs collègues américains, étaient en quelque sorte considérés comme étrangers au champ juridique ; comme des intellectuels non seulement opposés au pouvoir politique dominant, mais aussi trop sceptiques à l’égard du droit et des institutions. Du coup, droit et pouvoir dans cette perspective critique ont alors été considérés comme faisant partie de la même machine politique laquelle ne pouvait pas être réformée, mais devait être purement et simplement remplacée.

76Bref, dans des pays comme la France, l’Italie ou l’Allemagne, dans lesquels le législateur a occupé une position centrale dans le champ juridique, la critique antiformaliste ou sociojuridique a acquis un caractère plutôt politique et idéologique, alors que dans les pays comme les États-Unis, où c’est le juge qui est en position centrale, la critique sociolégale a pris une forme plus réformiste et instrumentale.

77Ces deux formes de critique juridique – qui sont aussi deux formes d’académie et de sociologie juridique – correspondent non seulement aux différentes conceptions du pouvoir politique et de sa relation avec le droit, mais également à deux types de pratiques juridiques et de luttes entre les acteurs juridiques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du champ. Ces deux types de critiques montrent aussi les difficultés inhérentes à chaque tradition : dans le cas américain, une banalisation de la production du discours critique au bénéfice de son instrumentalisation ; dans le cas français, une grande difficulté pour faire entendre un discours critique par nature interdisciplinaire.

78En tout état de cause, tout indique que la sociologie du droit en France a un avenir plus prometteur en dehors des facultés de droit qu’à l’intérieur, comme dans des projets du type du Réseau droit et société.

79Pour terminer il faut dire que pendant les deux dernières décennies, la distinction entre la critique antiformaliste en Europe et aux États-Unis est toutefois devenue moins claire. L’affaiblissement de l’État-providence, la crise de la codification, l’expansion du contrôle judiciaire de constitutionnalité, le déclin des mouvements sociaux traditionnels, et d’autres phénomènes, ont contribué à des changements importants dans la perception du politique, ainsi qu’à la consolidation d’une perspective juridique plus pragmatique et instrumentaliste. Le droit est vu comme un instrument utile à l’émancipation sociale [47].

Conclusion

80Dans cet article nous avons essayé d’expliquer les différences qui existent entre droit et sciences sociales dans les traditions juridiques du common law et du civil law. Nous partons de l’hypothèse selon laquelle les idées juridiques sont modelées aussi bien par les traditions et les idées des acteurs juridiques sur le droit, que par la distribution de capital social et symbolique à l’intérieur du champ et par les relations de pouvoir-savoir que ces acteurs tissent à l’extérieur du champ juridique.

81Le droit n’est pas un savoir autonome qui peut être expliqué par l’originalité de sa pensée. Il n’est pas non plus une simple réflexion sur les contextes ou conditions matérielles dans lesquelles opère le système juridique (Foucault, 1971). Le savoir juridique dépend de certaines prémisses intellectuelles et matérielles. La culture juridique, le rôle que jouent les professionnels du droit dans cette culture, la distribution du capital à l’intérieur du champ juridique et les relations de pouvoir-savoir que ces acteurs entretiennent avec la société à l’extérieur du champ – en particulier ceux qui détiennent le pouvoir politique et économique – sont toutes des prémisses qui déterminent le contenu, la signification et la portée du savoir juridique.

82Tant que ces questions ne seront pas examinées, la sociologie du droit comparée ne sera pas capable d’expliquer la différence entre les pays, les auteurs, les mouvements et les écoles de pensée. Elle ne sera pas capable non plus d’expliquer les rapports différenciés entre le droit et les sciences sociales dans chacune des traditions juridiques.

83Il faut ensuite tenir compte de la relation que le champ juridique entretient avec l’État. Plus le droit est proche du pouvoir, plus il sera autonome et plus la connexion entre le droit et les sciences sociales sera faible. À l’opposé, plus le droit est proche de la société et du marché, plus sera faible l’autonomie de la doctrine juridique et plus sera forte la connexion entre le droit et les sciences sociales.

84À la suite de Pierre Legrand (1999, 28), on pourrait donc dire que les sociologues du droit qui font du comparatisme devraient accorder plus d’attention aux cultures juridiques et à leurs relations de pouvoir pour s’émanciper des théories sociojuridiques, écoles de pensée, auteurs et produits, de la même manière que les juristes qui font du comparatisme devraient se libérer du droit positif et des doctrines légales.

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Mots-clés éditeurs : Champs juridiques, histoire juridique, théorie sociojuridique, sciences sociales, traditions juridiques

Date de mise en ligne : 06/04/2009

https://doi.org/10.3917/anso.091.0029

Notes

  • [1]
    D’après Friedman (1989, 10), cette perspective « observe le droit comme l’avocat ou le juriste observe le droit ».
  • [2]
    Cette vue réductionniste comprend aussi bien le marxisme orthodoxe que les perspectives contemporaines rassemblées dans « law and economics ».
  • [3]
    Telles que les explique J. Alexander dans son « Introduction to Twenty Lectures (1987).
  • [4]
    Une illustration de cette idée se trouve dans la théorie du droit de Hans Kelsen, laquelle est conçue à la fois comme une théorie de l’État (Kelsen, 2000).
  • [5]
    Dans la tradition du common law, le droit est proche des individus. Les auteurs contractualistes anglo-saxons, tel que John Locke, estimaient que le fondement du pouvoir politique découlait des droits inaliénables des individus, lesquels – individus – gardaient toujours la possibilité révoquer le mandat des gouvernants (Locke, 1946). Chez Rousseau, en contraste, le droit, aussi bien que les droits, étaient définis et octroyés par l’État (Rousseau, 1975).
  • [6]
    En ce sens j’accepte l’aimable critique faite à la version anglaise de cet article par Volkmar Gessner et David Nelken dans l’introduction de leur dernier ouvrage : European Ways of Law (Gessner et Nelken, 2007).
  • [7]
    Ces différences étaient aussi le reflet des tensions politiques de l’époque, entre les partisans d’une vision de la société fondée sur l’individualisme et une politique de laissez-faire, et ceux qui défendaient une nouvelle société construite sur la base de la solidarité et du collectivisme. Plusieurs des juristes qui se sont opposés à la deuxième approche ont adopté une pratique judiciaire militante et ont eu une grande influence politique dans la France de leur époque (Herrera, 2003 b ; 2003 c). Voir n. 35.
  • [8]
    Cité par Arnaud (1975, 47).
  • [9]
    L’exégèse était une tentative de comprendre et d’expliquer le Code civil, qui commençait par une lecture détaillée du texte et qui cherchait ensuite à extraire des principes dégagés strictement de la lettre du Code. À ce sujet voir Arnaud (1975), et Jestaz et Jamin (2004).
  • [10]
    L’école historique a rejeté en 1814 le projet de codification inspiré du modèle français et avancé par Thibaut (Savigny, 1815).
  • [11]
    Voir le travail de Savigny dans l’université allemande (2003).
  • [12]
    Roscoe Pound a été le plus grand défenseur des idées antiformalistes européennes pendant les années 1920 et 1930, en particulier dans son œuvre Interpretation of Legal History (1967). Pound a introduit la théorie sociojuridique dans un discours à l’American Bar Foundation en 1906 (Pound, 1964). Il admirait des auteurs comme Gény, Lambert, et Saleilles. Des témoignages de cette admiration peuvent être trouvés chez Duguit et al. (1916) ; Reimann (1993). Voir aussi Cohen (1937). Llewellyn connaissait très bien le travail de Ihering et Ehrlich ; voir, entre autres, son texte A Realistic Jurisprudence (1930). The Common Law par Oliver Wendell Holmes est aussi clairement influencé par la théorie historique de Savigny et Maine, comme l’explique Duxbury (1995).
  • [13]
    Avec l’arrivée du laissez-faire dans la deuxième moitié du XIXe siècle aux États-Unis, une nouvelle conception des décisions judiciaires s’est imposée, celle qui se fondait sur la déduction logique et le syllogisme. Ce formalisme juridique est né avec le programme et la méthode pédagogique établis par Christopher Langdell à Harvard pendant le XIXe siècle.
  • [14]
    Vu de nos jours, le réalisme juridique est la perspective juridique la plus influente qu’ont jamais connu les États-Unis.
  • [15]
    Il est toujours difficile de définir l’essence de la pensée réaliste. D’après Twining (1985), s’il y a un accord entre ceux qui ont étudié ce mouvement, c’est qu’il s’agit d’un mouvement hétérogène et dispersé. Une approche moins critique peut être lue chez Ackerman (1984), Hunt (1978), Summers (1982). Voir aussi H. L. A. Hart (1983).
  • [16]
    « Des prévisions sur ce que les tribunaux feront effectivement c’est ce que j’entends par droit, et rien de plus prétentieux. »
  • [17]
    Durant cette époque, est apparue l’idée selon laquelle les relations sociales devaient être fondées moins sur les principes de l’autonomie et de la responsabilité individuelle que sur la notion de solidarité (Durkheim, 1993). Voir par exemple Duguit (1889) et pour une vue d’ensemble de toute la période, Arnaud (1998).
  • [18]
    À la fin du XIXe siècle en France, beaucoup estimaient que le Code civil était devenu vieux et que son temps était révolu ; certains comme Raymond Saleilles (1904) sont allés plus loin en considérant que le code était un « obstacle au progrès social ».
  • [19]
    Le texte classique se trouve chez Gény (1899). Dans celui-ci, il présente les bases d’une théorie pluraliste des sources juridiques. Voir aussi Demogue (1911).
  • [20]
    C’est pourquoi ils ont pris des distances avec les juristes de gauche de l’époque. En Allemagne, ces juristes, inspirés par Karl Marx, Frederich Engels, et spécialement par Ferdinand Lasalle, ont eu un impact important sur les réformes légales instituées pendant la République de Weimar. Voir aussi, Lasalle (1964, 1987), Ledford (1996), Menger (1899) ; en France voir Bouglé (1906), Léon Blum (1965), Léon Duguit (1922), Maurice Hauriou (1910), Jean Jaurès (1964, 1972), Émmanuel Lévy (1909) et Georges Scelle (1929). Pour une vue d’ensemble de ce mouvement, voir Herrera (2003 a, 2003 b, 2003 c).
  • [21]
    Voilà l’apogée de l’ère des « traités » en droit civil et en droit administratif. Un bon exemple est le Traité pratique du droit civil français de Planiol et Ripert. Une explication de l’importance de ces ouvrages et des manuels peut se trouver chez Jestaz et Jamin (2004).
  • [22]
    Pendant les dernières années du Moyen Âge, l’université avait déjà accompli sa tâche d’unification dans son travail de restauration du droit romain et par là, de consolidation du régime absolutiste (Anderson, 1979).
  • [23]
    Une démonstration de la jalousie avec laquelle les professeurs de droit gardent leur position se trouve dans les règles qui déterminent leur sélection et entrée au professorat (Mouly et Atias, 1993). Après avoir obtenu leur titre de doctorat, les candidats doivent passer un examen, l’agrégation. Les caractéristiques et difficulté de l’examen en font une vraie preuve de la maîtrise du domaine pour lequel ils aspirent à être embauchés (Charle, 2003).
  • [24]
    En 1952 par exemple, le prestigieux journal Archives de philosophie de droit et de la sociologie juridique a décidé de changer son nom pour Archives de philosophie de droit tout court.
  • [25]
    D’un point de vue idéologique, tant les visions marxistes – avec G. Friedmann à leur tête – que les visions libérales – dirigées par Raymond Aron – ont tenté de se séparer des origines interdisciplinaires proposées par Durkheim (Pécaut, 1996 ; Soubiran-Paillet, 1994, 2000).
  • [26]
    Selon Léon Duguit (1889) la sociologie était composée essentiellement de deux éléments : le droit et l’économie politique.
  • [27]
    Il existe trois types d’agrégation : droit public, droit privé et histoire du droit. Cette division date de 1898.
  • [28]
    D’après Mouly et Atias (1993), l’attrait de l’académie juridique « vient de la possibilité de développer des activités parallèles sans pour autant perdre la sécurité obtenue par le statut de fonctionnaire public ».
  • [29]
    Je ne me pencherai pas plus avant sur l’analyse de la période la plus récente. Pour cela, voir (Dezalay, 1996 ; Gessner et Budak, 1998 ; Gessner et Nelken, 2007 ; Trubek et Mosher, 2003 ; Kennedy, 2006).
  • [30]
    Lorsque les professeurs américains écrivent l’histoire, ils font du réalisme juridique la ligne de division théorique entre l’ancien ordre et la modernité (Mark Kelman, 1987). Voir aussi Minda (1995).
  • [31]
    D’après Dezalay, Sarat et Silbey (1989), les réalistes ont modernisé l’image du droit et ont restauré sa légitimité en le dissociant des marchands et barons de Wall Street, auxquels celui-ci était trop fortement lié. Ils ont aussi réussi à intégrer les juristes juifs – jusqu’à ce moment exclus des WASP (White Anglo-Saxon and Protestant) – qui ont ainsi ouvert de nouveaux domaines d’action pour la pratique juridique.
  • [32]
    Selon Dezalay, Sarat et Silbey (1989, 110), les réalistes « n’ont jamais remis en question les associations spéciales liées à l’académie juridique et pourvues du pouvoir public ; ils n’ont pas non plus suggéré que l’expertise ou l’autorité pour influencer la politique serait quelque part ailleurs ».
  • [33]
    Pourtant, le positivisme juridique n’a pas toujours été accepté par la culture juridique française ou francophone, spécialement hors de France. Le meilleur exemple se trouve probablement dans ce que l’on appelle l’école de théorie juridique de Bruxelles sous la direction de François Ost et Michel Van de Kerchove (1978, 1987).
  • [34]
    Bien que les juristes anglais des XVIIe et XVIIIe siècles aient rejeté les catégories fondamentales du droit romain, ils acceptèrent la conception analytique, procédurale et anti-systémique incarnée dans la personne du conseiller juridique romain, qui donnait un sens à la pratique juridique (Jestaz et Jamin, 2004).
  • [35]
    Voir l’édition spéciale de la Yale Law Review (no 90, 1981) titrée Yale Law Journal Symposium on Legal Scholarship : Its Nature and Purposes. Voir aussi André Tunc (1994).
  • [36]
    Il faut ici rappeler les explications de Max Weber sur la sacralisation de la profession juridique dans le milieu protestant, par opposition à la figure du clerc en Europe continentale (Weber, 1986).
  • [37]
    Merryman (1975) estime que la méritocratie caractérise les écoles de droit aux États-Unis, comme la démocratie marque les contreparties européennes. Dans tous les cas, les écoles de droit et leurs membres font très attention à leur position respective, évaluée par les classements des Facultés d’élite comme Harvard, Yale et Stanford (Tomlins, 2000). De la même façon, il y a une hiérarchie très marquée entre les avocats et les cabinets d’avocats (Galanter, 1995).
  • [38]
    Dès le XVIe siècle, le droit romain était utilisé pour la pacification de la société, pour le contrôle des pouvoirs intermédiaires, et pour la construction d’un type d’État fondé sur la notion de souveraineté (Anderson, 1979 ; Elias, 1986). La Révolution française n’a pas changé cette tradition. Au contraire, elle a mis l’accent sur l’idée de souveraineté populaire – initialement proposée par Sieyès et reprise ensuite par le parti de Robespierre.
  • [39]
    On ne peut pas oublier que pour le positivisme juridique allemand – de G. Jellinek (1911) jusqu’à H. Kelsen (1997) – l’État n’est rien de plus qu’une norme juridique.
  • [40]
    En Angleterre, l’adoption de la tradition de la Constitution mixte, héritée du Moyen Âge, a été un antidote contre l’idée de souveraineté (Fioravanti, 1999). Pendant tout le XVIIe siècle, les Stewarts ont échoué dans leur idée d’importer le modèle français de la souveraineté. La Révolution glorieuse de 1688, agissant contre cette tradition française, a adopté l’idée de séparation des pouvoirs entre le parlement et le roi.
  • [41]
    Bien que la souveraineté joue un rôle important aux États-Unis en temps de crise constitutionnelle, une fois ce moment passé le peuple souverain se retire et agit à travers les pouvoirs établis par la constitution.
  • [42]
    Selon Georges Sabine (1961, 203), « il est approprié de dire que le droit est “trouvé” plutôt que “créé” » et il est « inapproprié de dire qu’il existe un corps de personnes dont la tâche est de créer le droit ».
  • [43]
    Au sujet de la législation, Locke (1946, 375) affirme que « même si elle est le pouvoir suprême dans toute la zone du Commonwealth..., elle n’est pas encore, et ne pourra jamais être, absolument arbitraire s’agissant des vies et fortunes du peuple ».
  • [44]
    D’après Pound (1908), le mouvement sociologique dans la jurisprudence est un mouvement pour l’adaptation des principes et doctrines aux conditions humaines qui doivent gouverner.
  • [45]
    Au XXe siècle, l’idée de « droit du peuple » est présentée en termes de « droit alternatif » et « pluralisme juridique ». Voir Santos (1977), Wolkmer (1995).
  • [46]
    « Alors que le champ européen s’est toujours concentré sur les affaires de l’État, la caractéristique principale dans l’Amérique moderne est l’alliance institutionnelle entre les cabinets juridiques de Wall Street et les écoles de droit de l’Ivy League » (Madsen et Dezalay, 2002, 197).
  • [47]
    Ce que l’on voit bien avec la pratique croissante du litige, en particulier dans quelques pays de l’Amérique latine comme la Colombie et le Brésil (Rojas, 1989). Ce n’est peut-être pas un phénomène tout à fait nouveau, comme le montre la lutte des juristes de gauche pendant les années 1930 en France et en Allemagne. Pendant les années 1970, suite à la circulation des théories du droit alternatif, venues d’Italie et de France, beaucoup de travaux ont été publiés et discutés en Amérique latine sur la possibilité de doter les classes subalternes d’instruments juridiques qui leur permettraient d’œuvrer aussi à leur émancipation sociale (Santos, 1991). L’introduction de constitutions progressistes en Colombie et au Brésil aboutit à la création de connexions symboliques importantes entre les mouvements sociaux et les cours constitutionnelles (Uprimny et Garcia Villegas, 2003). Dans le cas du Brésil, on peut repérer un mouvement critique qui a une grande influence dans la vie nationale. Il est soutenu par des professeurs et juristes des facultés de droit et s’étend jusqu’aux couches juridiques qui cherchent à défendre une doctrine légale progressiste et alternative – un droit qui puisse, entre autres, permettre de protéger les paysans sans terres (Wolkmer, 1994).
  • [*]
    Cet article est une version modifiée du texte paru dans la revue Law and Social Inquiry, 31-2 (2006) sous le titre Comparative Sociology of Law, Legal Fields, Legal Scholarships and Social Sciences in Europe and United States. Je voudrais tout d’abord adresser mes remerciements à Jacques Commaille et à Jean-Charles Froment qui m’ont invité dans leurs centres de recherches respectifs pendant le premier semestre 2005. Ils m’ont également fait l’amitié de relire cet article et de me faire part de leurs commentaires. Je remercie aussi Laurence Dumoulin, Liora Israël, Antoine Vauchez, Pierre Mura, Marcel Tercinet, Michel Carraud, Carlos Miguel Herrera, Éric Rambo, Lissa McKinnon, Cecile Vigour, Thierry Delpeuch, Jean-François Davignon, Jérôme Pelisse et mes collègues du DeJuSticia pour leurs commentaires et critiques.

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