Notes
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[1]
Note : TH correspond à Thématique et TX correspond à Taxonomique.
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[2]
Note : NB P2 = nombre d’erreurs en phase 2 ; DI P2 = degré d’interférence en phase 2 ; Concept TX = score de conceptualisation de la relation taxonomique ; ** = p < 0,001
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[3]
Note : NB P3 = nombre d’erreurs en phase 3 ; DI P3 = degré d’interférence en phase 3 ; ** = p < 0,001 ; * = p < 0,01
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[4]
Note : TX = Taxonomique, TH = thématique, NA = Non associé
1 La catégorisation est une conduite adaptative. Organiser notre environnement en catégories est économique car il permet de réduire les coûts attentionnels en extrayant les informations pertinentes et en stockant ces informations en mémoire. Cependant, cette conduite n’est pleinement efficace que si elle est utilisée de façon contrôlée, flexible. Tout objet appartenant à plusieurs catégories, selon les situations, il est plus ou moins pertinent de le considérer comme exemplaire de l’une ou l’autre de ces catégories. Par exemple, considérer un chien (un saint Bernard) soit comme un animal parmi d’autres, soit comme un sauveteur, dépend du contexte dans lequel on voit ce chien (dans la rue ou blessé en montagne). La flexibilité catégorielle correspond à notre capacité à gérer ces appartenances multiples de façon contrôlée et cela implique de passer d’une représentation à une autre pour un même objet selon la situation.
2 La catégorisation et la flexibilité catégorielle, sans faire explicitement partie des programmes scolaires, sont deux conduites particulièrement sollicitées lors des apprentissages scolaires. Une utilisation contrôlée du processus de catégorisation permet aux enfants d’appréhender plus efficacement leur environnement et peut faciliter différents apprentissages qui leurs sont proposés tout au long de leur scolarité. En effet, un grand nombre d’activités scolaires fait appel à la catégorisation. Les exemples sont multiples : en mathématiques avec les ensembles, en biologie avec les taxonomies, en français pour l’application de règles orthographiques et grammaticales selon la catégorie des mots (le pluriel des verbes avec ENT et non avec S), etc. Il est donc important d’étudier le développement de cette capacité et de comprendre comment l’optimiser. Identifier les facteurs sous-jacents à la réussite à une épreuve de flexibilité catégorielle permettra ensuite de cibler les activités à entraîner pour favoriser le développement de cette compétence chez les enfants.
1. – Développement de la catégorisation : du pluri-appariement À la flexibilité catégorielle
3 Différentes recherches ont clairement montré qu’il existe plusieurs conduites de catégorisation (Nguyen, 2007 ; Nguyen, & Murphy, 2003). Deux conduites de catégorisation ont été particulièrement étudiées : la catégorisation taxonomique et la catégorisation thématique. La catégorisation taxonomique consiste à regrouper différents objets (ou images) sur la base de caractéristiques communes et pouvant être désignés par un terme commun (par exemple un tigre peut être associé à une grenouille car ils ont tous deux les caractéristiques communes des exemplaires de la catégorie taxonomique des animaux). Les différents éléments d’une catégorie thématique sont liés entre eux par des relations de contiguïté spatiale ou temporelle (par exemple le tigre peut être associé à une cage si l’on se place dans le thème du cirque).
4 Une tâche classiquement utilisée pour évaluer la possibilité de pluri-appariements (c’est-à-dire choisir plusieurs associés instanciant différentes relations catégorielles pour une même cible) est celle de l’appariement en choix forcé. Une série d’images (ou d’objets ou de jouets) est présentée aux enfants. À chaque essai les images sont présentées sous forme de triade : la cible (ex : un chien), un associé taxonomique (un serpent) et un associé thématique (une niche) et il est demandé aux enfants de choisir pour chaque cible l’associé qui va le mieux avec cette cible parmi les deux propositions. Après chaque premier choix d’associé pour une cible donnée, il est demandé aux enfants si une autre possibilité de choix est envisageable pour cette même cible. Plusieurs résultats (Blaye & Bonthoux, 2001 ; Waxman & Namy, 1997) mettant en évidence des difficultés de justification des choix ou un manque de cohérence dans les choix par exemple, suggèrent que l’épreuve d’appariement en choix forcé n’évalue pas réellement la possibilité d’utilisation contrôlée des différentes conduites de catégorisation, mais seulement la possibilité d’accès à ces conduites alternativement, sans contrôle ni compréhension des relations catégorielles (taxonomique, thématique) impliquées (Scheuner et al., 2004). Les enfants pourraient produire plusieurs réponses correspondant à la même conduite de catégorisation (taxonomique par exemple), sans toutefois avoir connaissance du lien commun entre ces différentes associations. Comme proposé par Blaye et Bonthoux en 2001, nous distinguons donc deux formes de variabilité dans les réponses des enfants. La première, évaluée par l’épreuve d’appariement en choix forcé, est une variabilité spontanée que nous nommons pluri-appariement, guidée par les stimuli eux-mêmes, ne nécessitant que peu de contrôle et une faible représentation des relations en jeu. La seconde correspond à ce que nous appelons la flexibilité catégorielle (Maintenant & Blaye, 2008) et nécessiterait un contrôle descendant et donc des représentations plus précises des relations catégorielles.
5 En effet, en situation d’appariement en choix forcé, les participants peuvent se laisser guider par les amorces sémantiques que constituent les images présentées simultanément : les réponses sont alors produites au cas par cas, sur la base des associations spécifiques. Le maintien de l’utilisation d’une conduite de catégorisation n’est donc pas exigé, ni par les consignes, ni par la structure de l’épreuve. Les divers appariements produits sont codés par le chercheur du point de vue du type de relation qu’ils exemplifient. Un enfant ayant tour à tour associé un chien avec une laisse puis avec un crocodile est considéré comme ayant produit un appariement thématique et un appariement taxonomique pour le même objet, donc fait preuve d’une forme de flexibilité de réponses. Toutefois, ce contexte de tâche n’exige en aucune façon la conceptualisation explicite (Karmiloff-Smith, 1992, 1994) de la nature de la relation (thématique/taxonomique) que l’on instancie à travers un appariement particulier. Les représentations mobilisées peuvent rester au niveau des associations spécifiques sans faire intervenir la compréhension des relations sous-jacentes. Dans le présent travail, nous avons décidé d’étudier la flexibilité catégorielle dans une situation plus exigeante, celle de l’utilisation contrôlée de conduites de catégorisation. Les résultats d’une précédente recherche (Maintenant & Blaye, 2008) suggèrent que le développement de la flexibilité catégorielle est plus tardif que le pluri-appariement. Alors que les enfants sont capables très tôt (dès 3 ans) de faire preuve de choix taxonomique et thématique lors de tâche d’appariement en choix forcé (Baldwin, 1992 ; Fenson, Vella, & Kennedy 1989 ; Imai, Gentner, & Ushida, 1994 ; Nguyen & Murphy, 2003 ; Walsh, Richardson, & Faulkner, 1993 ; Waxman & Namy, 1997), il faut attendre 8 ans pour qu’ils puissent utiliser ces deux relations catégorielles de façon contrôlée. De plus, une asymétrie entre ces deux relations, dans le sens d’un accès plus précoce à la compréhension de la relation thématique, a été mise en évidence à plusieurs reprises (Blaye, Bernard-Peyron, Paour, & Bonthoux, 2006 ; Blaye, Chevalier, & Paour, 2007 ; Maintenant & Blaye, 2008). Ainsi, dans notre étude, nous attendons un développement de la flexibilité catégorielle entre 6 et 9 ans et un effet du type de relation, en faveur de la relation thématique.
6 Plus précisément, nous étudions ici, avec une procédure similaire, les deux composantes de la flexibilité catégorielle, proposées par Blaye et collaborateurs en 2007, que sont le maintien et la bascule. Dans leur épreuve, que nous avons adaptée, trois phases sont proposées aux participants. Lors de la première, les participants ont à maintenir l’utilisation d’une relation sémantique (thématique ou taxonomique) sur plusieurs essais sur la base de feedbacks, ensuite lors de la seconde (phase de Maintien), la tâche est la même, mais une interférence est introduite par la présence d’un associé instanciant une autre relation sémantique que celle attendue, enfin lors de la troisième (phase de Bascule) il s’agit de basculer vers l’utilisation de l’autre relation. Leurs résultats montrent que la flexibilité catégorielle se développe entre 5 et 10 ans avec un effet de la relation en faveur de la relation thématique (Blaye et al., 2007). Ces auteurs ont également montré que les capacités de maintien se développent plus précocement que les capacités de bascule. Nous nous attendons donc à retrouver un effet de l’âge, de la relation et de la composante évaluée sur les performances en flexibilité catégorielle.
2. – Influence des forces d’association sur les choix d’appariement des enfants
7 Scheuner et al. (2003, 2004) se sont intéressés à l’influence des forces d’association sur les choix d’appariement des enfants. Les forces d’association entre objets dépendraient « […] de la co-occurrence des objets dans le monde réel et donc, de l’expérience de chaque individu avec les objets » (Scheuner, 2003, p. 205). Les forces d’association peuvent ainsi varier d’un individu à un autre pour un même objet, selon l’expérience personnelle de chacun avec l’objet en question. Par exemple un enfant qui a un chien chez lui et qui le voit régulièrement dormir dans sa niche accordera une force plus importante à l’association entre ces deux éléments (chien et niche) qu’un enfant qui n’a pas de chien, ou même qu’un enfant qui a un chien ne dormant pas dans une niche.
8 L’évolution de ces forces d’association au cours du développement reste peu étudiée pour elle-même, mais certaines études sur l’influence de ces forces sur la catégorisation nous renseignent sur leur évolution. Scheuner et al. (2004) ont réalisé auprès d’enfants de 4 et 6 ans une évaluation des forces d’association, entre des images cibles et différents associés potentiels, jugées individuellement par chaque enfant. Cette évaluation précédait une tâche d’appariement en choix forcé. Cette étude a permis de montrer le rôle des forces d’association dans les choix des enfants. Lorsque les deux associés proposés au choix correspondent à la même relation catégorielle (thématique ou taxonomique) les choix des enfants sont guidés par les forces d’associations, l’item jugé comme fortement associé à la cible est majoritairement choisi. De plus, la plus grande fréquence des choix thématiques par rapport aux choix taxonomiques n’est observée, chez les enfants de 4 ans, que dans les cas où les items thématiques sont jugés comme plus fortement liés à la cible que les associés taxonomiques.
9 Les forces d’association étant impliquées dans les choix des enfants lors des tâches d’appariement en choix forcé nécessitant peu de contrôle, nous nous sommes interrogés sur leur influence lors d’une épreuve de flexibilité catégorielle, nécessitant de maintenir l’utilisation d’une première conduite de catégorisation (thématique par exemple) sur plusieurs essais sur la base de feedbacks, puis de basculer vers l’utilisation d’une autre conduite (taxonomique par exemple) et la maintenir à son tour. Notre hypothèse étant que leur influence devrait être moindre dans ce contexte plus exigeant d’une épreuve de flexibilité catégorielle, au profit d’un autre facteur : la conceptualisation de relations.
3. – Développement de la conceptualisation de relations
10 Comme nous l’avons vu, l’accès à différentes conduites de catégorisation constituerait un premier niveau de développement de la catégorisation, qui pourrait être suivi par une possibilité d’utilisation contrôlée, flexible de ces différentes conduites, mais cela nécessiterait donc une représentation claire des relations sous-jacentes, c’est-à-dire la conceptualisation de ces relations (Paour & Cèbe, 1999). Un concept peut être défini comme une représentation abstraite du réel (Chemlal & Cordier, 2006) et la conceptualisation comme le processus par lequel cette abstraction est réalisée et utilisée. « La conceptualisation désigne le processus par lequel nous formons une représentation explicite des propriétés et du fonctionnement d’une classe d’objets, d’une activité ou d’un phénomène. » (Paour, Bailleux, & Perret, 2009, p. 7). Au niveau des relations catégorielles, on trouve la conceptualisation de la relation « de même sorte » qui unit les éléments de différentes catégories taxonomiques (telles que, par exemple, les animaux, les vêtements ou les véhicules) et la conceptualisation de la relation « que l’on voit souvent ensemble, au même moment, au même endroit », reflétant la contiguïté spatiale et temporelle qui unit les éléments d’une même catégorie thématique.
11 Nos précédentes recherches (Maintenant & Blaye, 2008 ; Maintenant, Blaye, Pennequin, & Paour, 2013) tendent à montrer que, pour utiliser des conduites de catégorisation de façon flexible, il faut avoir conceptualisé les relations en jeu (thématique et taxonomique). Nous avons montré une synchronie dans le développement de ces deux capacités ; l’âge auquel une relation peut être utilisée de façon flexible coïncide avec celui auquel cette relation est conceptualisée. Nous proposons donc d’étudier ce lien plus directement avec une approche corrélationnelle en évaluant pour un même groupe d’enfants leurs performances de flexibilité catégorielle ainsi que leur niveau de conceptualisation des relations en jeu et les forces d’association estimées pour les associations utilisées pour instancier ces relations. Notre objectif est de déterminer si la conceptualisation permet de rendre compte des performances des enfants lors d’une épreuve de flexibilité catégorielle, alors que les forces d’association pourraient ne pas être impliquées.
12 Pour résumer, nous souhaitons étudier ici le développement de la flexibilité catégorielle entre 6 et 9 ans, pour les relations taxonomique et thématique. Sur la base des résultats précédents (Blaye et al., 2007), nous attendons un effet de l’âge et un effet de la relation, avec un avantage pour la relation thématique. Notre objectif est d’identifier un prédicteur de ce développement de la flexibilité catégorielle. Nous savons que les forces d’association influencent les choix catégoriels des enfants en situation d’appariement en choix forcé (Scheuner et al. 2004). Mais nous faisons l’hypothèse que ce facteur est moins impliqué dans leurs performances de flexibilité catégorielle, du fait du plus haut niveau de contrôle exigé lors de cette situation. Nous faisons l’hypothèse que la conceptualisation des relations sémantiques étudiées (thématique et taxonomique) dont disposent les enfants peut être un bon prédicteur de leurs capacités de flexibilité catégorielle.
4. – Méthode
4.1. – Participants
13 Cent vingt enfants de 6 à 9 ans ont participé à cette expérience et étaient répartis en 4 groupes d’âge : 31 enfants de 6 ans (M = 76,16 mois ; σ = 3,87 mois) dont 12 filles, 30 enfants de 7 ans (M = 88,47 mois ; σ = 4,07 mois) dont 13 filles, 32 enfants de 8 ans (M = 100,13 mois ; σ = 5,87 mois) dont 13 filles et 27 enfants de 9 ans (M = 116,78 mois ; σ = 5,37 mois) dont 15 filles. Ces enfants ont été recrutés dans deux écoles primaires publiques françaises, aucun n’est redoublant. Trente-six adultes jeunes (M = 21,14 ans ; σ = 1,71 ans), étudiants de première année de Licence à l’Université, dont 31 femmes, ont également participé à cette étude afin de constituer un groupe de référence pour les performances évaluées.
4.2. – Matériel
4.2.1. – Épreuve de flexibilité catégorielle et évaluation des forces d’association
14 Les deux parties de cette évaluation étaient informatisées. La construction du programme a été effectuée sur le logiciel E-Prime (Schneider, Eschman, & Zuccolotto, 2012). Un ensemble de 200 dessins en couleur d’objets et personnages dans un cadre carré (5 × 5cm) sur fond blanc a été utilisé (cf. Annexe A pour les listes complètes des items). Ces images pouvaient être liées taxonomiquement ou thématiquement ou non associées. Les associations proposées ont été construites à partir de différents thèmes (par ex. : la ferme, le cirque, l’hôpital, la plage…) et taxonomies (la nourriture, les animaux, les véhicules, les vêtements…). Cette épreuve de flexibilité catégorielle est adaptée de celle utilisée précédemment par Blaye, Chevalier et Paour en 2007.
4.2.2. – Évaluation de la conceptualisation des relations
15 Deux versions d’une épreuve de conceptualisation ont été utilisées pour évaluer les deux relations en jeu dans l’épreuve de flexibilité catégorielle, la relation taxonomique et la relation thématique. Ces deux versions sont identiques à celles déjà utilisées dans des travaux antérieurs (Maintenant & Blaye, 2008 ; Maintenant et al., 2013).
16 Un ensemble de 25 cartes rondes en carton a été utilisé. Sur chaque carte, 2 dessins au trait en noir et blanc sont représentés, les images pouvant être liées taxonomiquement ou thématiquement, ou être non associées. Quatre cartes étaient utilisées comme modèles de la relation testée. Deux paires d’images satisfaisant à la relation testée (Moto/avion et Fleur/champignon pour la relation taxonomique ou Moto/casque et Fleur/arrosoir pour la relation thématique), une paire d’images correspondant à la relation concurrente et une paire correspondant à une absence de relation ont été utilisées pour servir de modèles au tri demandé (Moto/casque et Fleur/téléphone pour la relation taxonomique et Moto/avion et Fleur/téléphone pour la relation thématique). Trois autres paires (construites autour de la cible : ballon de foot, avec l’associé thématique « footballeur », avec l’associé taxonomique « corde à sauter » et avec le non associé « fourchette ») correspondant à chacun des trois types de relation pour une tâche donnée (testée, concurrente, non associée) servaient d’items de familiarisation. Lors du test 18 cartes étaient utilisées (cf. Annexe B pour la liste des items). Le support de tri formé par un couvercle de carton (que nous appellerons « boîte ») permettait une bonne visibilité des paires modèles et matérialisait la séparation entre les paires correspondant au critère de tri (placées dans la boîte) et celles ne le respectant pas (placées hors de la boîte parce qu’étant des paires d’images non associées ou présentant la relation concurrente).
4.3. – Procédure
4.3.1. – Épreuve de flexibilité catégorielle et évaluation des forces d’association
17 À chaque item trois images étaient présentées aux participants à l’écran : une image cible (un cheval) assortie de deux images proposées au choix d’appariement avec la cible. Ces deux associés potentiels pouvaient être liés thématiquement (une selle), taxonomiquement (un oiseau) ou non associé à la cible (un pinceau) selon la phase de l’épreuve. L’enfant devait désigner parmi les deux associés potentiels celui qui « va bien avec » l’image cible. Aucune consigne explicite n’était donnée au participant, il devait inférer la règle d’appariement à partir d’un feedback visuel donné à chaque essai. Lorsque la réponse était correcte le mot « oui » s’affichait en vert en majuscule assorti d’un smiley souriant, lorsque la réponse était incorrecte le mot « non » s’affichait en rouge en majuscule assorti d’un smiley mécontent.
18 Cette épreuve était divisée en 3 phases distinctes. La première correspondait à la phase « sans interférence ». Les images présentées à l’écran étaient un élément cible, un élément associé (taxonomique ou thématique) et un élément non associé à l’image cible. Lors de cette phase, l’enfant devait donc comprendre que la relation attendue était taxonomique (ou thématique) sur la base des feedbacks. Lors de la deuxième phase, la relation attendue et renforcée par les feedbacks restait la même (thématique ou taxonomique). Mais cette deuxième phase présentait une difficulté supplémentaire. Elle permettait d’évaluer les capacités de maintien en situation d’interférence des participants, car les images présentées étaient une image cible et deux images associées (une taxonomique et une thématique). La troisième phase correspondait à l’évaluation des capacités de bascule d’un type de relation vers un autre. Les feedbacks qui renforçaient alors le second type de relation, devaient permettre au participant d’inférer ce changement de règle, d’appliquer la nouvelle règle et maintenir son utilisation. Le changement de règle d’appariement était annoncé entre les phases 2 et 3, sans qu’aucune précision quant à la relation attendue ne soit donnée. Une phase était considérée comme réussie dès que le participant répondait correctement à 6 essais consécutifs ; un enfant ne passait la phase n + 1 que s’il avait réussi la phase n. Si un enfant ne réussissait pas 6 essais consécutifs pour l’une des phases, l’épreuve s’arrêtait alors au bout de 20 essais réalisés et les phases suivantes n’étaient pas présentées. L’ordre de présentation des relations a été contrebalancé. La moitié des enfants a passé l’épreuve dans la condition TH → TX, c’est-à-dire que la relation thématique était attendue et renforcée aux phases 1 et 2, puis la relation taxonomique en phase 3, l’autre moitié des enfants a passé l’épreuve dans la condition TX → TH, relation taxonomique attendue phases 1 et 2, puis relation thématique en phase 3.
19 Lors de l’évaluation des forces d’association, les images cibles vues par le participant en phase 2 et 3 lui étaient de nouveau présentées mais cette fois chaque cible était présentée dans un premier temps avec un seul des deux associés proposés, puis avec l’autre. L’ordre de présentation des paires d’images était aléatoire. La tâche du participant n’était donc plus ici de choisir entre différents associés possibles, mais de juger la force de l’association entre les deux images qui lui étaient présentées en plaçant les images associées sur une échelle en 9 points (allant de 1 : très faiblement associé à 9 : très fortement associé ; Scheuner, 2003). L’expérimentateur signifiait clairement à l’enfant le caractère personnel et subjectif des estimations demandées. « Cette fois je vais encore te montrer des images, mais il n’y a plus de jeu, ce n’est plus l’ordinateur qui décide, mais c’est ce que tu penses toi de ces images qui m’intéresse. À chaque fois je vais te montrer 2 images et je voudrais savoir comment tu trouves qu’elles vont ensemble : pas trop, un peu, très bien, très très bien… Pour que ça soit plus facile pour toi de me dire comment ces images vont bien ensemble tu vas me montrer sur la flèche (l’expérimentateur présente l’échelle graduée à l’enfant), si tu trouves que les deux images vont fort ensemble (le haut de l’échelle : 9), moyennement fort (le milieu de l’échelle : 5) ou pas très fort ensemble (le bas de l’échelle : 1). Tu vois il y a plusieurs traits. Si tu changes de trait, ça veut dire que ce n’est pas pareil. Tu peux utiliser tous ces traits. Rappelle-toi il n’y a pas de règle ici, c’est TOI qui décides ». L’expérimentateur présentait deux exemples de jugements à l’enfant.
4.3.2. – Évaluation de la conceptualisation des relations
20 Quatre paires-modèles étaient d’abord placées par l’expérimentateur (deux paires dans la boîte parce que respectant le critère testé et deux paires hors de la boîte : une paire associée sur l’autre critère et une paire d’images non associées). Ces 4 paires-modèles restaient visibles tout au long de l’épreuve. L’enfant devait trier (dans la boîte versus hors de la boîte) les autres paires d’images. On expliquait que les deux cartes dans la boîte avaient été mises ensemble dans cette boîte parce qu’elles jouaient « au même jeu », les images sur les cartes « vont bien ensemble de la même façon ». Il s’agissait de mettre dans cette boîte les cartes où les images qui « vont ensemble de la même façon » que celles sur les modèles. Les autres cartes devaient être placées hors de la boîte. Aucune formulation verbale explicite qualifiant la relation dont on évaluait la conceptualisation, n’était donnée. Les enfants devaient inférer la règle de tri à partir des paires-modèles placées par l’expérimentateur. Les cartes posées par l’enfant étaient placées à l’envers afin de limiter l’influence d’un placement sur le suivant. Après trois items (un de chaque type) avec feed-back correcteur et rappel du principe de tri, 18 paires-tests étaient proposées à l’enfant dans un ordre quasi aléatoire fixe (voir Annexe B pour l’ordre de présentation des items). Un résumé de l’ensemble des évaluations et des tâches utilisées est présenté dans le tableau 1.
5. – Résultats
5.1. – Développement de la flexibilité catégorielle
21 Pour évaluer la flexibilité catégorielle nous avons utilisé comme score le nombre moyen d’erreurs à chacune des phases de l’épreuve de flexibilité catégorielle. Les nombres moyens d’erreurs (les écarts types) selon le groupe d’âge, la phase sont présentés dans le pour la condition TH→TX et dans le pour la condition TX→TH.
22 Quel que soit leur âge et quelle que soit la relation considérée (taxonomique ou thématique) les enfants font très peu d’erreurs en phase 1, c’est-à-dire lorsqu’aucune interférence n’est présente et qu’il suffit de maintenir l’utilisation d’une conduite de catégorisation sur la base des feedbacks. Nous pouvons donc considérer que le principe de l’épreuve est bien compris par les enfants, même les plus jeunes et que les associations proposées sont reconnues. Les performances en phase 1 ne présentent donc pas la variance nécessaire pour être incluses dans les analyses statistiques. Nous souhaitons déterminer si les performances évoluent avec l’âge, si elles diffèrent selon la relation sémantique attendue et selon qu’il s’agit de maintenir l’utilisation d’une relation sémantique (phase 2) ou de basculer vers l’utilisation d’une nouvelle relation (phase 3). Nous avons donc réalisé une ANOVA 2 (phase : 2 ; 3) × 5 (Groupe d’âge : 6, 7, 8 et 9 ans et les adultes) × 2 (Condition : TH → TX et TX→TH) sur les nombres moyens d’erreurs en phase 2 et 3 en mesures répétées. Cette analyse révèle un effet du groupe d’âge F (4, 127) = 7,50 ; p < 0,001 ; η² = 0,19, un effet de la phase, F (1,127) = 51,05 ; p < 0,001 ; η² = 0,29 et un effet de la condition, F (1,127) = 18,52 ; p < 0,001 ; η² = 0,13. De plus, trois interactions ont été mises en évidence, entre la phase et la condition, F (1,127) = 66,76 ; p < 0,001 ; η² = 0,34, entre la phase et le groupe d’âge, F(4,127) = 4,58 ; p < 0,01 ; η² = 0,13 et entre la phase, le groupe d’âge et la condition, F(4,127) = 5,12 ; p < 0,001 ; η² = 0,14. Seule l’interaction entre le groupe d’âge et la condition n’est pas significative. Les participants commettent moins d’erreur lors de la phase 2, quand il s’agit de maintenir l’utilisation d’une conduite de catégorisation que lors de la phase 3 qui nécessite de basculer vers l’utilisation d’une autre conduite. De plus, l’utilisation de la relation taxonomique est plus source d’erreur pour les participants que la relation thématique en phase 2 (F(1,127) = 9,30 ; p < 0,001), et en phase 3 (F(1,127) = 51,29 ; p < 0,001). L’écart d’efficience dans la mise en œuvre des deux types de relation est encore plus marqué lorsqu’il s’agit de cesser d’utiliser une relation pour en adopter une nouvelle. Ainsi, les participants ont plus de difficultés à basculer vers l’utilisation de la relation taxonomique après avoir produit une série de choix thématiques que l’inverse.
5.2. – Évolution des forces d’association
23 La figure 1 présente les forces d’association moyennes pour chaque type de relation et chaque groupe d’âge.
24 Afin de comparer les estimations de forces d’association selon le type de relation instanciée par les associations présentées (Thématique vs Taxonomique) et l’âge, nous avons réalisé une ANOVA 5 (Groupe d’âge : 6, 7, 8 et 9 ans et les adultes) × 2 (Type de relation : thématique et taxonomique) sur les jugements de forces d’association. Les résultats de cette analyse ne permettent pas de mettre en évidence un effet significatif du groupe d’âge, mais révèlent un effet significatif du type de relation (F (1,151) = 318, 72,02 ; p < 0,0001 ; η² = 0,68) et une interaction significative (F (4,151) = 17,84 ; p < 0,0001 ; η² = 0,32) entre le groupe d’âge et le type de relation. Les comparaisons post hoc (L.S.D.) montrent que l’effet d’interaction peut être expliqué par le fait que l’effet du type de relation est significatif (p < 0,0001) à tous les âges sauf pour les adultes. De plus, aucune différence d’âge n’est significative, excepté entre 8 et 9 ans pour la relation taxonomique (p < 0,01) et entre le groupe des 9 ans et celui des adultes pour les deux relations (p < 0,0001).
5.3. – Développement de la conceptualisation des relations
25 L’évaluation de la conceptualisation réalisée grâce à l’épreuve de tri de cartes a permis de calculer un score de conceptualisation pour chaque relation en jeu dans l’épreuve de flexibilité catégorielle : taxonomique et thématique. Le score utilisé est le nombre moyen de cartes correctement placées dans la boîte. Ces scores sont présentés pour chaque groupe d’âge dans la Figure 2.
26 Une ANOVA 5 (Groupe d’âge : 6, 7, 8 et 9 ans et les adultes) × 2 (Type de relation : thématique et taxonomique) sur les scores moyens de conceptualisation a été réalisée. Les résultats montrent un effet significatif du groupe d’âge F(4,146) = 21,70 ; p < 0,001 ; η² = 0,37 et du type de relation (F(1,146) = 50,04 ; p < 0,001 ; η² = 0,26) ainsi qu’une interaction significative entre ces deux facteurs (F(4,146) = 11,11 ; p < 0,001 ; η² = 0,23). La réalisation de comparaisons post hoc (L.S.D.) a permis de révéler que l’effet du type de relation (supériorité des performances en TH ; ps < 0,01) est présent chez les enfants les plus jeunes (6, 7 et 8 ans), mais plus chez les plus âgés (9 ans) et les adultes. Jusqu’à 8 ans la relation thématique apparaît mieux conceptualisée que la relation taxonomique.
5.4. – Prédicteurs de la flexibilité catégorielle
27 Un effet de la relation ayant été mis en évidence sur les performances de flexibilité catégorielle, nous ne pouvons réaliser les analyses suivantes sur l’ensemble des données. Nous avons choisi d’étudier spécifiquement la situation représentant le plus de difficulté pour les enfants et par là même présentant une variance de score plus importante : l’utilisation contrôlée de la relation taxonomique. Nous avons donc réalisé les analyses suivantes sur les 59 enfants qui ont eu à maintenir l’utilisation de la relation taxonomique en phase 2 et les 58 enfants qui ont eu à basculer vers la relation taxonomique en phase 3.
28 Afin de tester l’influence des forces d’association sur les performances de flexibilité catégorielle chez les enfants de 6 à 9 ans, nous avons réalisé des analyses de corrélation et de régression. Pour évaluer l’impact de la différence de force d’association entre les deux associés proposés au choix dans l’épreuve de flexibilité catégorielle, nous avons calculé un score dénommé degré d’interférence. Ce degré d’interférence calculé pour chaque enfant correspond pour chaque image cible à la différence entre la force estimée pour l’associé correspondant à la relation taxonomique lors de la tâche de flexibilité catégorielle et la force estimée pour l’associé thématique à ignorer. Par exemple si pour une cible « chien » un enfant a jugé l’association taxonomique avec une girafe à 3 et l’association thématique « os » à 8, le degré d’interférence sera : DI = 3 – 8 = -5. Ce degré d’interférence peut varier de -8 (interférence la plus forte) à 8 (interférence la plus faible).
29 Une première analyse de corrélation dont les résultats sont présentés dans le , a été réalisée sur les performances en phase 2 lorsque la relation à maintenir est taxonomique.
Matrice de corrélation pour les performances en phase 2 entre les nombres moyens d’erreurs et les prédicteurs potentiels (Age, Conceptualisation et Degré d’interférence)
Matrice de corrélation pour les performances en phase 2 entre les nombres moyens d’erreurs et les prédicteurs potentiels (Age, Conceptualisation et Degré d’interférence)
30 Cette analyse a permis de montrer que le nombre moyen d’erreurs en phase 2 corrèle significativement avec l’âge et avec la conceptualisation. Ces deux facteurs corrèlent significativement entre eux. Nous avons ainsi réalisé une analyse de régression incrémentielle ascendante sur le nombre moyen d’erreurs en phase 2 avec l’âge en mois, le degré d’interférence et la conceptualisation comme prédicteurs potentiels. Les résultats de cette analyse montrent que le meilleur modèle est celui de l’étape 1 qui permet d’expliquer 25 % (p < 0,001) de la variance du nombre moyen d’erreurs commises en phase 2. Le meilleur prédicteur est le facteur Conceptualisation, β = -0,50 ; p < 0,001. Les facteurs Âge et Degré d’interférence ne sont pas inclus dans le modèle car ils n’apportent pas de part explicative supplémentaire significative.
31 Une seconde analyse de corrélation, dont les résultats sont présentés dans le , a été réalisée sur les performances en phase 3 lorsqu’il s’agit de basculer vers l’utilisation de la relation taxonomique.
Matrice de corrélation pour les performances en phase 3 entre les nombres moyens d’erreurs et les prédicteurs potentiels (Age, Conceptualisation et Degré d’interférence)
Matrice de corrélation pour les performances en phase 3 entre les nombres moyens d’erreurs et les prédicteurs potentiels (Age, Conceptualisation et Degré d’interférence)
32 Cette analyse a révélé une corrélation entre le nombre d’erreurs commises en phase 3 et la conceptualisation, r = -0,31 ; p < 0,02. Ce facteur Conceptualisation corrèle significativement avec l’Age, r = 0,49 ; p < 0,001. Nous avons réalisé une analyse de régression incrémentielle ascendante avec pour variable dépendante le nombre d’erreurs en phase 3 et pour variable indépendante l’âge en mois, le degré d’interférence et la conceptualisation. Cette analyse montre que le meilleur modèle correspond à l’étape 1 et permet d’expliquer 9 % de variance (p < 0,02). Ce modèle implique le facteur conceptualisation (β = -0,31 ; p < 0,02), l’âge et le degré d’interférence n’apportent pas de part explicative significative supplémentaire.
6. – Discussion
33 Notre premier objectif était d’étudier le développement de la flexibilité catégorielle. Le second était de déterminer si les capacités de conceptualisation des relations sémantiques en jeu peuvent prédire cette capacité d’utilisation contrôlée des conduites de catégorisation, alors que les forces d’associations ne devraient pas être de bons prédicteurs.
34 Concernant le développement de la flexibilité catégorielle, nos résultats confirment les résultats antérieurs sur le développement de la flexibilité catégorielle (Blaye et al., 2007). Ils montrent une amélioration de performance entre 6 ans et l’âge adulte et un effet significatif de la relation sémantique, révélant des difficultés particulières pour utiliser de façon contrôlée et flexible la relation taxonomique (Blaye et al., 2006 ; Maintenant & Blaye, 2008). Plus précisément, tous les participants ont réussi à maintenir l’utilisation des deux relations sémantiques en situation sans interférence, confirmant ainsi l’accès aux associations lorsque l’inhibition d’associés instanciant une autre relation sémantique n’est pas nécessaire. Mais lorsqu’il s’agit de maintenir l’utilisation d’une relation sémantique en situation interférente, l’utilisation de la relation taxonomique est plus source d’erreur pour les enfants que la relation thématique. Concernant la possibilité de basculer d’une relation vers une autre, la difficulté d’utilisation contrôlée de la relation taxonomique est retrouvée de 6 à 9 ans. Alors que dès 6 ans les enfants ont peu de difficulté à basculer de la relation taxonomique vers la relation thématique, la situation inverse reste source d’erreur jusqu’à 9 ans. Ces résultats permettent d’étendre ceux obtenus précédemment par Blaye & Jacques (2009), montrant une première forme de flexibilité dans l’utilisation des relations sémantiques chez des enfants plus jeunes (3 à 5 ans) et avec un protocole différent. L’épreuve utilisée nécessitait deux choix d’associés (taxonomique et thématique) consécutifs pour une même cible de la part de l’enfant, mais n’impliquait pas de maintenir l’utilisation d’un type de relation ou de basculer, après maintien, de l’une vers l’autre, nous avons pu montrer ici que cette forme de flexibilité semble plus coûteuse et est maîtrisée plus tardivement.
35 L’expérience présentée ici a également permis d’étudier l’évolution avec l’âge d’estimations individuelles et subjectives de forces d’association entre images. Les résultats obtenus montrent que les enfants âgés de 6 à 9 ans estiment globalement deux images liées thématiquement comme plus fortement associées que deux images liées taxonomiquement. Ce résultat va dans le sens de ceux obtenus précédemment (Scheuner, 2003 ; Scheuner et al., 2004) montrant que les associés thématiques sont jugés comme plus fortement liés que les associés taxonomiques par des enfants de 4 à 6 ans. Ce résultat montre, de plus, que cela perdure jusqu’à 9 ans au moins et que cela n’est pas retrouvé chez les adultes jeunes. Nos résultats révèlent également que ces forces d’association ne varient pas selon l’âge entre 6 et 9 ans. Nos résultats sur les performances de conceptualisation de relations tendent à montrer qu’il ne s’agit que d’une préférence, d’un jugement subjectif à un instant donné et pas d’une difficulté d’accès, pour les plus âgés au moins. En effet les connaissances conceptuelles des relations catégorielles sont bien en place à 9 ans, équivalentes à celles des adultes jeunes. Cette préférence pour les associations thématiques semble donc assez bien établie lors de l’enfance et nous savons qu’elle perdure tout au long de la vie, que ce soit chez les adultes jeunes ou âgés (Pennequin et al., 2006).
36 Nos résultats révèlent un développement des connaissances conceptuelles entre 6 et 9 ans, notamment concernant la relation taxonomique nécessitant un apprentissage présenté progressivement pendant cette période au cours des apprentissages scolaires. La conceptualisation de la relation thématique semble déjà acquise à 6 ans, alors qu’il faut attendre 9 ans pour que la conceptualisation de la relation taxonomique soit équivalente. Ce développement est cohérent avec nos résultats précédents (Maintenant & Blaye, 2008).
37 Nous avons rappelé que les jeunes enfants acceptent très tôt (dès 3 ans au moins) des appariements multiples pour un même objet cible, appariements pouvant relever de relations sémantiques thématiques ou taxonomiques (Baldwin, 1992 ; Fenson, Vella, & Kennedy 1989 ; Imai, Gentner, & Ushida, 1994 ; Nguyen & Murphy, 2003 ; Walsh, Richardson, & Faulkner, 1993 ; Waxman & Namy, 1997). Les données présentées ici révèlent que l’utilisation contrôlée des conduites de catégorisation thématique et taxonomique n’est pas encore véritablement acquise à l’âge de 9 ans. Cette apparente discordance n’a rien de paradoxal si l’on envisage les différences de niveaux de contrôle et de conceptualisation que requièrent respectivement les tâches d’appariements en choix forcé et notre épreuve de flexibilité catégorielle. Comme nous l’avons proposé, deux niveaux de variabilité seraient à distinguer dans les réponses des enfants : le pluri-appariement nécessitant peu de contrôle et une faible conceptualisation, et la flexibilité catégorielle nécessitant un contrôle descendant et donc une conceptualisation suffisante des relations. Nos résultats tendent à confirmer cette différence de niveau de contrôle, en révélant que les forces d’association n’influent pas significativement sur les performances de flexibilité catégorielle alors que la conceptualisation de la relation en jeu prédit une part significative de ces performances.
38 Nos résultats montrent en effet que la conceptualisation de relations permet de prédire les performances de flexibilité catégorielle, que ce soit lors du maintien de l’utilisation de la relation taxonomique ou de la bascule de la relation thématique vers la relation taxonomique, alors que les forces d’association ne sont pas impliquées. L’identification de ce prédicteur du développement de la flexibilité catégorielle suggère qu’un entraînement de la conceptualisation permettrait d’optimiser ou favoriser le développement de cette compétence chez les enfants d’âge scolaire. Ces résultats, bien que spécifiques au domaine de la catégorisation, sont ainsi en accord avec les travaux de Paour, Bailleux et Perret (2009) sur différents domaines dans le cadre de la remédiation cognitive, qui proposent d’ancrer la remédiation cognitive dans le processus de conceptualisation, que ce soit dans le cadre d’un travail de prévention (Bailleux et al., 2005 ; Cèbe, Paour, & Goigoux, 2004) ou de remédiation (Büchel & Paour, 2005 ; Paour, 1995).
39 Nous avons donc pu montrer que la conceptualisation permet de prédire une part significative des performances de flexibilité catégorielle des enfants de 6 à 9 ans. Mais d’autres facteurs sont à envisager et à tester maintenant pour compléter ce premier résultat. Comme nous l’avons montré pour les adultes lors du vieillissement (Maintenant et al., 2013), les fonctions exécutives, dont on connaît le développement à cette période d’âge (Davidson, Amso, Anderson, & Diamond, 2006 ; Manly et al., 2001), pourraient également constituer un facteur explicatif potentiel à explorer et plus particulièrement les capacités d’inhibition (Borst, Aïte, & Houdé, 2015). En effet lors de l’épreuve de flexibilité catégorielle, le maintien de l’utilisation de la relation taxonomique en phase 2, alors même que les stimuli proposés comme associés comportent maintenant aussi un associé thématique en concurrence, implique de résister à l’interférence que représente la présence de cet associé non pertinent. Cette situation pourrait être plus coûteuse que la situation inverse du fait de la saillance plus importante des associés thématiques comparativement aux associés taxonomiques pour les enfants. Ensuite, lors de la phase 3, lorsqu’il s’agit de basculer de l’utilisation de la relation thématique, mieux conceptualisée par les plus jeunes, vers l’utilisation de la relation taxonomique, moins accessible, le coût exécutif doit être plus important que dans la situation inverse. Nous avons tenté de prendre en compte indirectement ces deux aspects de l’épreuve de flexibilité catégorielle. Le premier peut être reflété en partie par le calcul du degré d’interférence sur la base des estimations de forces d’association réalisées par les enfants eux-mêmes. En effet nous avons pu prendre en compte la différence de saillance des deux associés en jeu à chaque item vu par l’enfant et ainsi avoir une indication de la difficulté en termes d’interférence. Il semble au vu des résultats des analyses de régression que cela ne permette pas d’expliquer la possibilité d’utilisation contrôlée de la relation taxonomique. Le second, peut correspondre à la mesure des capacités de conceptualisation, dont on a confirmé l’asymétrie en faveur de la relation thématique et qui permet d’expliquer les capacités de l’utilisation contrôlée de la relation taxonomique. Toutefois, lors de l’épreuve de conceptualisation, afin de faire preuve de sa compréhension de la relation évaluée (par ex. taxonomique) l’enfant doit être capable de la différencier de la relation non pertinente (par ex. thématique). Le lien que nous avons pu mettre en évidence dans la présente étude pourrait donc être, en partie tout du moins, expliqué par l’implication des capacités d’inhibition dans les deux épreuves. Une étude proposant une évaluation conjointe de la flexibilité catégorielle et des fonctions exécutives, notamment les capacités d’inhibition, est maintenant souhaitable afin de déterminer les parts explicatives respectives de la conceptualisation et du coût exécutif dans le développement de la flexibilité catégorielle.
40 Reçu 17 avril 2015.
41 Révision acceptée le 23 février 2016.
Annexe A - Liste des items utilisés pour chacune des phases de l’épreuve de flexibilité catégorielle
Phase 2
Phase 2
Phase 3
Phase 3
Annexe B - Ordre de présentation des items lors de l’évaluation de la conceptualisation de la relation taxonomique [4]
42 Lors de l’évaluation de la conceptualisation de la relation thématique l’ordre de présentation était identique, à l’exception des items 1 et 7 qui était inversés afin de commencer chaque évaluation par un item correspondant à la relation attendue.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Note : TH correspond à Thématique et TX correspond à Taxonomique.
-
[2]
Note : NB P2 = nombre d’erreurs en phase 2 ; DI P2 = degré d’interférence en phase 2 ; Concept TX = score de conceptualisation de la relation taxonomique ; ** = p < 0,001
-
[3]
Note : NB P3 = nombre d’erreurs en phase 3 ; DI P3 = degré d’interférence en phase 3 ; ** = p < 0,001 ; * = p < 0,01
-
[4]
Note : TX = Taxonomique, TH = thématique, NA = Non associé