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Article de revue

Influence de la préparation d’une séquence de pointages de cibles sur la recherche visuelle

Pages 561 à 573

Notes

  • [1]
    Nous avons intégré dans notre ANOVA un facteur ordre selon que les essais appartenaient aux 96 premiers ou aux 96 derniers : les participants sont plus rapides en fin d’expérience, F(1, 19) = 34.32, p < 0,01, mais l’effet d’interaction significatif entre taille et compatibilité, F(2, 38) = 3,25, p < 0,05 ne varie pas significativement en fonction du facteur ordre, F(2, 38) = 0,19, p = 0,83).

1Interagir avec notre environnement nous amène quotidiennement à mouvoir notre main pour agir sur des objets : main et regard sont alors étroitement coordonnés. Dans le prolongement des travaux sur les liens entre comportement moteur, perception et attention (Bekkering & Neggers, 2002 ; Olivier, 2006 ; Van der Lubbe & Abrahamse, 2011), cette étude vise à mieux comprendre comment la préparation d’une séquence manuelle influence l’orientation attentionnelle.

2Selon la théorie prémotrice de l’attention, orienter son attention vers un objet et agir dessus reposent sur un système commun de boucles fronto-pariétales (Rizzolatti & Craighero, 1998). Chaque boucle sous-tendant spécifiquement un type d’action, la préparation d’un geste induit donc une orientation attentionnelle vers les objets ayant des propriétés congruentes avec ce geste. Ainsi, la préparation manuelle d’un pointage de cible améliore la discrimination visuelle des stimuli localisés dans la zone visée (Deubel, Schneider, & Paprotta, 1998). De même, Coutté, Faure et Olivier (2011) ont montré que lors d’une recherche visuelle la préparation d’un pointage manuel dans la direction d’un bouton induit une orientation attentionnelle partant du point de fixation et allant dans la même direction sur l’écran : les cibles visuelles localisées sur cette trajectoire sont trouvées plus vite. Cet effet est observé en amont de l’exécution motrice malgré l’absence de superposition entre l’espace de réponse manuelle (horizontal) et l’espace de recherche visuelle (vertical).

3Comme la préparation d’un pointage de cible unique, la préparation d’une séquence de pointages manuels vers différentes cibles successives améliore la discrimination visuelle au niveau de chaque localisation visée avant le début de l’exécution motrice (Baldauf, Wolf, & Deubel, 2006). Selon Baldauf et Deubel (2010), cet effet serait lié à une allocation parallèle de l’attention visuelle vers les destinations intermédiaires et finales de la séquence. Plus précisément, Baldauf (2009) a montré que la préparation d’une séquence de pointages manuels induit cette allocation parallèle de l’attention uniquement lorsque l’exécution des différents pointages composant la séquence doit être enchaînée rapidement (moins de 400 ms séparant l’exécution des deux gestes). Lorsque la séquence manuelle doit être enchaînée plus lentement (plus de 400 ms séparant l’exécution des deux gestes), seule la localisation de la première étape de la séquence bénéficie d’une allocation attentionnelle en amont de son exécution motrice (et donc de performances perceptives améliorées).

4Il est intéressant d’articuler les résultats de Baldauf (2009) aux travaux sur le contrôle moteur. De fait, le contrôle moteur d’un mouvement est partagé entre des processus proactifs de planification et des processus de contrôle en ligne (Schmidt, 1975). Plus précisément selon Glover (2004), la prégnance relative de chacun de ces processus varie au fil du déroulement du geste : tandis que les mécanismes proactifs sont prédominants avant et au début de l’exécution du geste, l’influence du contrôle en ligne augmente graduellement au fil de son exécution. Ainsi, plus une séquence manuelle est de faible amplitude ou rapide, plus la part proactive de son contrôle est importante. Plus une séquence est de grande amplitude ou lente, plus la part en ligne de son contrôle est importante, ce tout particulièrement pour la fin de cette séquence. Pour Glover, la variation dynamique des contributions respectives de ces deux processus serait en partie déterminée avant le début de l’exécution du mouvement : si une cible est difficile à atteindre, un mouvement plus lent est planifié pour que le contrôle en ligne puisse rectifier d’éventuelles erreurs.

5Dans notre expérience, les participants devaient préparer une séquence de pointages manuels tout en réalisant une recherche visuelle. La séquence prédéfinie devait être exécutée dés qu’ils trouvaient la cible. Nous avons fait varier la taille des pointages (et donc, si l’on en croit Glover, les parts respectives de contrôles proactif et en ligne contribuant à la réalisation de la séquence manuelle), ainsi que la compatibilité entre ces mouvements et la cible. Notre objectif était double.

6Premièrement, cette étude visait à déterminer si les résultats de Coutté et al. (2011) (où les espaces de réponse et de recherche visuelle sont spatialement distincts) sont généralisables à des cas où une séquence de deux pointages manuels est préparée.

7Deuxièmement, cette étude visait à préciser les caractéristiques de l’articulation entre comportement moteur et orientation attentionnelle. Plus précisément lors de la préparation de deux pointages de faible amplitude, le contrôle proactif de l’ensemble de la séquence devrait être important. Les deux pointages devraient donc y influencer les orientations attentionnelles. Par comparaison lors de la préparation de deux pointages de grande amplitude, la part de contrôle proactif du premier pointage devrait être plus importante que celle du second (cf. Glover, 2004). L’influence du premier pointage sur les orientations attentionnelles devrait donc y être plus importante que celle du second.

Méthode

Participants

8Vingt droitiers de 18 à 31 ans et étudiant à l’université de Nice ont participé à l’expérience. Tous avaient une vision normale et étaient naïfs quant à nos objectifs.

Matériel

9L’expérience a été programmée sur le logiciel E-Prime. En guise de dispositif de réponse, nous avons disposé six boutons périphériques autour d’un bouton de départ : deux devant lui, deux à droite, et deux à gauche. Pour chaque disposition (devant, droite et gauche), un bouton proximal était à 2 cm du bouton de départ et un bouton distal à 30 cm (Figure 1). Chacun de ces boutons était caractérisé par une couleur spécifique. Un signal était envoyé à l’ordinateur quand le participant relâchait le bouton central et quand il appuyait sur un des boutons périphériques.

Dispositif Expérimental. À gauche, le participant est face à l’écran et on voit les 6 boutons périphériques autour du bouton de départ (le rond au bout du bras). Les positions possibles d’un visage-cible sont entourées en noir. Dans cet exemple, le visage-cible est à gauche (il lui manque un nez). À droite sur une vue de profil, on peut voir que les boutons sont sur le plan horizontal de la table tandis que l’écran est sur un plan vertical

equation im1

Dispositif Expérimental. À gauche, le participant est face à l’écran et on voit les 6 boutons périphériques autour du bouton de départ (le rond au bout du bras). Les positions possibles d’un visage-cible sont entourées en noir. Dans cet exemple, le visage-cible est à gauche (il lui manque un nez). À droite sur une vue de profil, on peut voir que les boutons sont sur le plan horizontal de la table tandis que l’écran est sur un plan vertical

Figure 1. Experimental device. On the left side of the figure, the participant is in front of the screen. Six peripheral buttons are located around the departure button (symbolized by the circle at the extremity of the arm). The possible locations of a target-smiley are indicated with a black circle. In this example, the target-smiley is located on the left (his nose is missing). On the right side of the figure, we can notice that the buttons are on the horizontal plane of the table whereas the screen is on a vertical plane

10Les stimuli visuels étaient des photographies de pavés numériques (Figure 1). Sur ces photographies, les touches avaient des tailles différentes (1,66° × 1,43° en position proximale ; 1,38° × 1,2° en position intermédiaire ; 1,32° × 1,09° en position distale) : cela participait à l’effet de profondeur. Une croix de fixation figurait sur la touche centrale. Sur chacune des 8 touches périphériques figurait un dessin de visage. Sur 25 % des photos, ces visages étaient tous identiques (4 cheveux et un nez). Sur 75 % des photos, un visage-cible (5 cheveux, ou sans nez) se différenciait de 7 distracteurs (4 cheveux et un nez). Cette cible pouvait être soit devant le point de fixation, soit à sa droite, soit à sa gauche (Figure 1). Précisons que les distracteurs étaient là pour rendre la scène visuelle plus complexe.

Procédure

11Notre procédure visait à amener les participants à réaliser une recherche de cible visuelle tout en préparant une séquence de deux pointages manuels. À chaque essai, le participant devait déterminer s’il y avait sur l’écran face à lui un visage-cible parmi les trois positions possibles (devant, à droite, à gauche). Si c’était le cas, il devait répondre rapidement et sans se tromper en réalisant la séquence manuelle préparée.

12Plus spécifiquement, chaque essai débutait par une consigne écrite qui indiquait au participant la séquence de pointages manuels qu’il devrait exécuter pour répondre quand il trouverait le visage-cible. Six séquences de deux appuis successifs étaient possibles : Avant Gauche, Avant Droit, Droit Avant, Droit Gauche, Gauche Avant et Gauche Droit. Ces six séquences pouvaient porter soit sur les boutons proches du bouton de départ, soit sur les boutons éloignés. Douze séquences manuelles étaient donc possibles.

13Dès qu’il était prêt, le participant devait maintenir enfoncé le bouton central de départ avec l’index de la main droite. Cela déclenchait l’affichage sur l’écran du point de fixation central. Une seconde après, les visages apparaissaient autour de lui. Le participant devait alors déterminer s’il y avait un visage-cible. Dès qu’il le trouvait, il devait relâcher le bouton de départ pour appuyer successivement sur les 2 boutons indiqués en début d’essai (il devait actionner les 2 boutons en moins de 1 500 ms, sinon l’ordinateur passait directement à l’essai suivant). S’il ne trouvait pas de cible, le participant devait relâcher le bouton de départ (Figure 2).

Décours temporel de chaque essai. Dans cet exemple, les boutons de réponse sont proches du bouton de départ : le bouton jaune est placé devant et le bouton blanc est placé à droite. La séquence de pointages manuels à exécuter est donc Avant Droit. Dans cet exemple, le visage-cible est à gauche (il lui manque un nez)

equation im2

Décours temporel de chaque essai. Dans cet exemple, les boutons de réponse sont proches du bouton de départ : le bouton jaune est placé devant et le bouton blanc est placé à droite. La séquence de pointages manuels à exécuter est donc Avant Droit. Dans cet exemple, le visage-cible est à gauche (il lui manque un nez)

Figure 2. Chronology of each try. In this example, response buttons are closed to the departure button : the yellow button is located is front and the white button is on the right. Thus, the manual pointings sequence to execute is “Front Right”. In this example, the target-smiley is on the left (his nose is missing)

14Pour familiariser les participants avec la tâche, la passation commençait par 8 essais d’entraînement aléatoires avec feedback sur la justesse des réponses. Puis suivaient 192 essais présentés aléatoirement : les participants préparaient 16 fois chacune des 12 séquences manuelles possibles, et pour chaque type de séquence, la cible pouvait être devant le point de fixation, à droite, à gauche ou absente. À chaque essai, l’ordinateur enregistrait le Temps de Réaction (TR) compris entre l’affichage des stimuli et le relâchement du bouton de départ, la Durée du Mouvement 1 (DM1) comprise entre le relâchement du bouton de départ et l’activation du premier bouton de réponse, la Durée du Mouvement 2 (DM2) comprise entre l’activation du premier bouton de réponse et celle du second. Nous avons également relevé les taux de Réponses Correctes quand une cible était présente (RC).

15Outre la variable « taille des gestes » (les gestes étaient d’amplitude soit petite, soit grande), nous avons manipulé une variable « compatibilité ». Plus précisément, si on superposait le plan vertical de l’écran et le plan horizontal du dispositif de réponse, on pouvait distinguer 3 types de compatibilités entre la réponse manuelle préparée et l’orientation attentionnelle permettant d’atteindre directement la cible depuis le point de fixation central (Figure 3). La direction de cette orientation attentionnelle pouvait être compatible avec : (a) la direction du geste manuel permettant d’atteindre le premier bouton de réponse à partir de la position de départ (compatibilité 1er mouvement) ; (b) la direction du geste manuel permettant d’atteindre le second bouton de réponse à partir de la position de départ, autrement dit, la direction de la résultante des deux gestes composant la séquence manuelle (compatibilité 2nd mouvement) ; (c) aucune de ces deux directions (compatibilité 0).

Illustration des 3 compatibilités. Le participant prépare un pointage vers les boutons Avant puis Droit. La focalisation visuelle directe de la cible est symbolisée par une flèche sur chaque image. Sur le premier exemple, la cible est placée devant : il y a compatibilité 1er mouvement. Sur le second exemple, la cible est placée à droite : il y a compatibilité 2nd mouvement. Sur le troisième exemple, la cible est placée à gauche : il y a compatibilité 0

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Illustration des 3 compatibilités. Le participant prépare un pointage vers les boutons Avant puis Droit. La focalisation visuelle directe de la cible est symbolisée par une flèche sur chaque image. Sur le premier exemple, la cible est placée devant : il y a compatibilité 1er mouvement. Sur le second exemple, la cible est placée à droite : il y a compatibilité 2nd mouvement. Sur le troisième exemple, la cible est placée à gauche : il y a compatibilité 0

Figure 3. Illustration of the 3 kinds of compatibility. The participant prepares to push on the Front button and on the Right button. The target's direct attentional reach is symbolized by an arrow on each picture. In the first example, the target is located in front: there is a 1st movement compatibility. In the second example, the target is located on the right: there is a 2nd movement compatibility. In the third example, the target is located on the left: there is compatibility 0

16Notre première hypothèse est que la préparation d’une séquence de gestes manuels devrait induire une orientation attentionnelle influencée par les 2 gestes constituant cette séquence, et ceci, malgré le fait que les espaces de réponse manuelle et de recherche visuelle ne sont pas superposés. Les performances devraient donc être meilleures (TR plus courts et taux de RC plus élevés) en présence d’une compatibilité 1er mouvement ou 2nd mouvement qu’en l’absence de compatibilité.

17Notre seconde hypothèse est que cet effet de la compatibilité devrait varier en fonction de l’amplitude des pointages de la séquence préparée.

Résultats

18Nous avons exclu des analyses les essais sans cible (MTR = 2 686 ms ; ETTR1 078), les essais où les TR sont à plus de 2,5 écarts-types de la moyenne (3,7 % des données) et les essais avec activation des mauvais boutons de réponse (3,7 % des données). Nous avons réalisé des ANOVA (2 × 3 modalités avec mesures répétées sur les facteurs « taille des gestes » et « compatibilité ») sur les TR, les DM1 et les DM2 des réponses correctes. Une ANOVA similaire a été menée sur les RC (RCtotal = 97,74 %). Nous avons utilisé le test HSD de Tuckey pour les comparaisons post-hoc.

19Les TR ne varient significativement ni en fonction de la taille des gestes (F(1, 19) = 2,46, p = 0,13), ni en fonction de la compatibilité (F(2, 38) = 3,1, p = 0,06). Par contre, l’ANOVA montre que ces deux facteurs interagissent significativement (Figure 4), F(2, 38) = 4,74, p < 0,05 (ή² = 0,20). Plus précisément lorsqu’une réponse de grande amplitude est préparée, les TR sont plus courts en condition de compatibilité 1er mouvement (M = 1 515 ms ; ET = 384), qu’en condition de compatibilité 0 (M = 1 666 ms ; ET = 595) ou de compatibilité 2nd mouvement (M = 1 698 ms ; ET = 570). En revanche, lorsqu’une réponse de petite amplitude est préparée, les TR sont plus longs en condition de compatibilité 0 (M = 1 674 ms ; ET = 629) qu’en condition de compatibilité 1er mouvement (M = 1 512 ms ; ET = 397), ou de compatibilité 2nd mouvement (M = 1 501 ms ; ET = 390). Ces quatre comparaisons sont les seules significatives (p < 0,05) dans cette interaction.

Effet sur les TR de l’interaction entre la taille du geste et la compatibilité (les erreurs types sont également représentées)

equation im4

Effet sur les TR de l’interaction entre la taille du geste et la compatibilité (les erreurs types sont également représentées)

Figure 4. Interaction effect between size and compatibility on Reaction Times (standard errors are also represented)

20Les taux de RC ne varient pas significativement, ni en fonction de la taille des gestes F(1, 19) = 2,9, p = 0,11, ni en fonction de la compatibilité, F(2, 38) = 0,90, p = 0,41.

21Les DM1 ne varient pas en fonction de la compatibilité, F(2, 38) = 1.11, p = 0,34. Par contre, l’ANOVA montre un effet significatif de la taille des gestes, F(1, 19) = 216,05, p < 0,01 (ή² = 0,92) : les DM1 sont plus courtes lorsque l’amplitude est petite (M = 379 ms ; ET = 98) que lorsqu’elle est grande (M = 554 ms ; ET = 107).

22Les DM2 ne varient pas en fonction du facteur « compatibilité », F(2, 38) = 2,49, p = 0,10. Par contre, l’ANOVA montre un effet significatif de la taille, F(1, 19) = 369,74, p < 0,01 (ή² = 0,95) : les DM2 sont plus courtes lorsque l’amplitude est petite (M = 343 ms ; ET = 80) que lorsqu’elle est grande (M = 639 ms ; ET = 104).

Discussion

23Cette expérience avait pour premier objectif de montrer que, même lorsque les espaces de réponse et de recherche visuelle ne sont pas superposés, la préparation d’une séquence de pointages manuels influence les performances d’une recherche visuelle avant même l’exécution de cette séquence. Deuxièmement, cette expérience visait à montrer que cette influence est modulée par l’amplitude des gestes composant la séquence manuelle et par le type de contrôle moteur impliqué.

24L’analyse des TR, si elle ne montre pas d’effet simple de la compatibilité, révèle une interaction entre la compatibilité et la taille qui va dans le sens de l’hypothèse de cet effet simple. En effet, il apparaît (cf. figure 4) que 3 des 4 moyennes associées à une compatibilité (compatibilité 1er ou 2nd mouvement) sont significativement inférieures aux moyennes correspondantes associées à une absence de compatibilité (compatibilité 0). Plus précisément, c’est le cas lorsque : (a) la cible est directement atteignable par une orientation attentionnelle compatible avec le premier geste composant la séquence manuelle (compatibilité 1er mouvement), et ceci, quelle que soit l’amplitude des gestes composant cette séquence ; (b) la cible est directement atteignable par une orientation attentionnelle compatible avec la résultante de la séquence manuelle (compatibilité 2nd mouvement), et ceci, uniquement lorsque les gestes manuels enchaînés sont de faible amplitude. Par contre lorsque les gestes sont de grande amplitude, les TR associés à une compatibilité 2nd mouvement ne sont pas significativement différents de ceux associés à l’absence de compatibilité.

25Avant d’interpréter cette interaction, trois aspects méthodologiques doivent préalablement être discutés. Premièrement, les participants semblent avoir respecté la consigne en relâchant le bouton de départ après avoir trouvé la cible : dans le cas contraire les DM1 (M = 466 ms) auraient été plus longs que les DM2 (M = 491 ms). Deuxièmement, nos résultats ne renvoient probablement pas à une simple mise en correspondance entre les représentations visuelles du dispositif de réponse et de la disposition des stimuli visuels. En effet, la consigne recourait à un code-couleur verbal pour désigner la séquence à réaliser. Troisièmement, il est possible que la complexité de la tâche ait perturbé la planification motrice en surchargeant la mémoire de travail (Baker, Mattingley, Chambers, & Cunnington, 2011). Le faible nombre d’erreurs contredit toutefois cette supposition. Par ailleurs, une telle perturbation aurait été sensible à un effet d’apprentissage : une analyse complémentaire des TR montre que l’interaction entre taille et compatibilité ne varie pas en fonction de l’ordre des essais [1]. Ces trois points ayant été pris en considération, deux interprétations de nos résultats sont envisageables.

26Tout d’abord, un effet de compatibilité stimulus-réponse (SR) peut en partie expliquer certains effets observés (cf. Derbyshire, Ellis & Tucker, 2006). En effet pour Hommel, Müsseler, Aschersleben et Prinz (2001), expérience perceptive et schémas d’action sont intégrés dans un cadre de référence commun. La perception d’un stimulus s’accompagne donc selon eux de l’activation du schéma moteur congruent avec les caractéristiques de ce stimulus (cf. Milner & Goodale, 1995). Si l’on admet que les temps de réaction reflètent les processus proactifs, et les durées de mouvement le contrôle en ligne, il paraît cohérent que la localisation de la cible ait influencé la planification des réponses (les TR) mais pas leur contrôle en ligne (les DM). Cette interprétation présente cependant plusieurs limites. En effet selon Glover (2004), les processus proactifs ne s’arrêtent pas brusquement avec le début de l’exécution du geste, mais voient leur influence diminuer graduellement au profit du contrôle en ligne : on aurait donc dû observer un effet de compatibilité SR au moins au début de l’exécution (au niveau des DM1). Buetti et Kerzel (2008 ; 2009) ont d’ailleurs montré que lors d’un effet de compatibilité SR impliquant un pointage manuel, la localisation d’une cible influence les TR mais également les DM. Pour résumer, s’il est possible qu’un effet de compatibilité SR ait modulé les TR, cet effet ne suffit pas à expliquer tous nos résultats.

27De fait, c’est dans la perspective d’une articulation entre les théories du contrôle moteur (cf. Glover, 2004) et de l’attention prémotrice (Rizzolatti & Craighero, 1998) que nos résultats sont les plus aisément interprétables. Ainsi lors de la préparation d’une séquence de pointages manuels, la planification est accompagnée d’orientations attentionnelles qui l’escortent en temps réel. Cet effet n’est pleinement observé que lorsque la séquence est suffisamment courte pour être majoritairement sous contrôle proactif. Lorsque l’amplitude des pointages est grande, la part de contrôle proactif du premier pointage est suffisante pour influencer l’orientation attentionnelle, mais la part de contrôle proactif du second pointage est insuffisante pour influencer la recherche visuelle (une planification exhaustive des séquences de grande amplitude se serait accompagnée de TR plus longs en condition de grande amplitude qu’en condition de petite amplitude). En conséquence, seul le premier geste de la séquence influence l’orientation attentionnelle. Dans cette perspective, nos résultats soulignent la force du lien entre attention et motricité en apportant plusieurs originalités méthodologiques : (a) les espaces de réponse et de recherche visuelle étaient spatialement distincts ; (b) les deux pointages de la séquence étaient exécutés sans être séparés par un intervalle temporel (donc sans encourager de segmentation de la séquence).

28Pour conclure, ces résultats montrent que lors de la préparation d’une séquence manuelle, la prise en considération des caractéristiques de cette séquence (amplitude, direction) ainsi que des mécanismes régissant son contrôle moteur, permet d’améliorer la prédiction des performances attentionnelles. En cela, ils s’inscrivent dans la continuité de la théorie prémotrice de l’attention selon laquelle attention et comportement moteur seraient sous-tendus par des mécanismes communs impliquant les boucles fronto-pariétales. Ces résultats suscitent cependant une interrogation. Selon Scherklum, Ruff, Heinen et Chambers (2008), certaines structures comme le gyrus supramarginal interviendraient plus précocement que les boucles fronto-pariétales dans l’orientation attentionnelle. Nous envisageons à l’avenir d’étudier précisément sur quelle(s) fenêtre(s) temporelle(s) s’exerce l’influence d’une préparation manuelle sur les performances attentionnelles.

29Reçu le 19 juillet 2011.

30Révision acceptée le 7 mai 2012.

Remerciements. Nous remercions les participants à l’expérience pour leur disponibilité. Nous tenons également à remercier les deux experts de L’Année Psychologique : la pertinence de leurs remarques a grandement contribué à améliorer la qualité de cet article.

Bibliographie

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Date de mise en ligne : 01/11/2017

https://doi.org/10.3917/anpsy.124.0561

Notes

  • [1]
    Nous avons intégré dans notre ANOVA un facteur ordre selon que les essais appartenaient aux 96 premiers ou aux 96 derniers : les participants sont plus rapides en fin d’expérience, F(1, 19) = 34.32, p < 0,01, mais l’effet d’interaction significatif entre taille et compatibilité, F(2, 38) = 3,25, p < 0,05 ne varie pas significativement en fonction du facteur ordre, F(2, 38) = 0,19, p = 0,83).

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