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Article de revue

Alfred Binet et le laboratoire de Psychologie de la Sorbonne

Pages 291 à 325

Notes

  • [1]
    Le professeur Bernard Andrieu a retrouvé à la Bibliothèque Universitaire de Nancy l’ensemble des 6 volumes (872 pages) constituant les Mémoires inédits de Beaunis. Il y a une quinzaine d’années, l’un de nous (S. N.) a eu l’opportunité d’en consulter des extraits photocopiés mais n’avait pas cherché à les localiser, occupé par d’autres travaux importants. Plus récemment, Marcel Turbiaux (2002) a publié in extenso la partie consultée. Bernard Andrieu (2009) a récemment publié dans un ouvrage le sommaire et des extraits de ces mémoires qui ont porté sur la période nancéenne 1872-1894. Nous formons le vœu que l’ensemble des Mémoires inédits de Beaunis soit bientôt accessible à un large public.

1Dans le numéro précédent de cette revue (cf. Nicolas & Ferrand, 2011), nous avons montré l’étendue de l’œuvre de Binet en nous centrant sur l’apport du psychologue français à la psychologie cognitive. Ce nouvel article est destiné à présenter l’histoire du laboratoire de psychologie de la Sorbonne fondé par le physiologiste Henry Beaunis (1830-1921) et à évaluer l’apport d’Alfred Binet (1857-1911) au rayonnement de cette structure de recherche en France et à travers le monde. Si nous possédons quelques écrits concernant les circonstances de la création et l’histoire du développement du laboratoire de Psychologie de la Sorbonne (cf. Carroy & Schmidgen, 2006 ; Fraisse, 1989 ; de Montmollin, 1954 ; Oléron, 1966), il s’avère que certaines des informations contenues dans ces articles sont souvent très incomplètes voire erronées. Ce sont plus particulièrement, d’une part, l’accès aux Mémoires[1] de Henry Beaunis, d’autre part, la consultation des archives du laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne déposées aux Archives Nationales, et enfin, la consultation de certains écrits peu connus et de la correspondance d’Alfred Binet à la Bibliothèque Nationale, qui permettent aujourd’hui d’apporter un éclairage nouveau sur les conditions de la création et du développement du laboratoire de psychologie de la Sorbonne. La reconstitution de cette histoire nous amènera à réfléchir sur l’héritage laissé par Binet dont le laboratoire a été confié après sa mort à Henri Piéron (1881-1964) puis à Paul Fraisse (1911-1996), et plus spécifiquement à nous interroger sur la structure de recherche en France qui pourrait se prévaloir aujourd’hui d’être l’héritière du laboratoire de psychologie de la Sorbonne.

Henry Beaunis : Le véritable fondateur du Laboratoire de Psychologie de la Sorbonne (1889)

2La nomination officielle de Théodule Ribot (1839-1916) à la Chaire de « Psychologie expérimentale et comparée » au Collège de France le 18 février 1888 a été le premier acte officiel dans la reconnaissance de la nouvelle psychologie en France (Nicolas, 2005a ; Nicolas & Charvillat, 2001). Cependant aucun laboratoire n’avait été annexé à cette chaire et Ribot était un théoricien de la psychologie et non pas un expérimentaliste de formation. Si officiellement la France n’avait pas encore à l’époque un laboratoire de psychologie, elle possédait cependant des hommes qui, par leurs efforts, s’occupaient assidûment de psychologie expérimentale et physiologique. La Société de Psychologie Physiologique, créée en 1885 sous les auspices de Jean-Martin Charcot (1825-1893), rassemblait déjà de nombreux personnages intéressés par la reconnaissance institutionnelle d’une nouvelle psychologie dégagée des questions métaphysiques. Parmi eux, se trouvait le professeur de physiologie Henry Beaunis (1830-1921) (Nicolas, 1995), membre fondateur du fameux groupe de l’ « École de Nancy » (Nicolas, 2004), comme on l’appelait alors. Dès 1876, ce dernier avait souligné dans un ouvrage sur la physiologie humaine (Beaunis, 1876), et ce pour la première fois en France, l’importance de la psychologie scientifique :

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« L’auteur n’a pas cru non plus que la physiologie dût laisser de côté, pour l’abandonner aux philosophes, la partie psychologique de la physiologie cérébrale ; pour lui, en effet, à l’exemple de l’école anglaise, la psychologie trouve dans la physiologie sa base la plus sûre et la plus solide ; aussi n’a-t-il pas craint de traiter, en s’appuyant sur les données physiologiques, les questions des sensations, des idées, du langage, de la conscience, de la volonté, etc., et si les limites de ce livre lui ont interdit de s’étendre sur ces sujets, il espère en avoir assez dit pour en préciser nettement les points essentiels. » (p. VII).

4Ce médecin de formation (Nicolas & Ferrand, 2002) n’avait pas depuis cette date abandonné l’idée de participer au développement de la psychologie scientifique. Intéressé à cette époque par la question de l’hypnose et de la suggestion, mais aussi brillant psycho-physiologiste, il avait aussi constaté, comme il l’écrit dans ses Mémoires (Turbiaux, 2002), que la France était très en retard dans le domaine de la psychologie physiologique en comparaison de pays comme l’Allemagne ou les États-Unis. Il écrit ainsi :

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« Si j’avais le malheur de parler à quelques-uns de mes camarades d’un laboratoire de psychologie, je constatais chez un certain nombre d’entre eux un véritable ahurissement comme si deux mots, psychologie et laboratoire, hurlaient d’être accouplés. J’étais honteux pour mon pays de le voir ainsi en retard sur les autres ». (Beaunis, Mémoires, p. 487).

6Après avoir mûrement réfléchi à ce sujet, il se décida à en parler à Ribot en lui demandant s’il croyait que Louis Liard (1846-1917), alors directeur de l’Enseignement supérieur et défenseur avec l’administrateur du Collège de France Ernest Renan (1823-1892) de la psychologie scientifique, serait hostile à la création d’un laboratoire de psychologie physiologique, et s’il voulait se charger de l’interroger sur ce point. Ribot adopta tout de suite son idée et lui promit d’en parler à Liard dès qu’il en trouverait l’occasion.

7La réponse de Ribot lui parvint le 21 juin 1888 avec une réponse favorable de Liard. Voici en substance un extrait de la lettre de Ribot adressée à Beaunis :

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« Il a accueilli le projet de laboratoire de la manière la plus favorable, et m’a déclaré “que cela lui allait beaucoup”. Il serait certainement flatté que, lui, Directeur, le premier laboratoire de psychologie a été fondé. Mais “il n’a pas le sou”. Il croit, comme moi, qu’il faut le placer dans l’École des Hautes Études… Je vous engage à aller le voir quand vous serez à Paris (tous les jeudis de 2 heures à 4 heures). Il a besoin de causer avec vous de beaucoup de détails que je n’ai pu qu’effleurer. Mon impression finale, c’est que cela se fera, mais il faut un peu de patience… P.-S. : J’oubliai de vous dire qu’il est très favorable, non seulement au projet, mais à vous. » (Beaunis, Mémoires, p. 488).

9Dans la démarche de Beaunis auprès de Ribot il y avait non seulement un intérêt scientifique et patriotique mais aussi une arrière-pensée personnelle qu’il n’a pas cachée. En effet, il espérait bien un peu que, si le laboratoire se fondait, il aurait quelque chance d’en être nommé directeur. À son premier voyage à Paris, il alla trouver Liard, lui expliquant les raisons à l’appui de cette création. Liard, favorable au projet mais ne s’engageant pas formellement, lui demanda de lui apporter un mémoire succinct et un devis approximatif qui fut rédigé en quelques jours. L’espoir vint quand Ribot lui écrit ces quelques lignes le 8 juillet 1888 :

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« Je suis très heureux d’apprendre que cette affaire marche sur des roulettes. Je crois que le mieux est de commencer le plus tôt possible et, puisque le laboratoire dépendra directement du ministère, tout sera très simple. » (Beaunis, Mémoires, p. 489).

11Cette création suscitait néanmoins des résistances, comme cela avait été le cas avec la chaire de Ribot au Collège de France, et il fallut garder l’affaire secrète le plus longtemps possible. Mais, malgré les précautions, la nouvelle se répandit. Il restait aussi la question épineuse du local ; le 6 août 1888, Liard écrivait à Beaunis :

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« Je ne sais pas encore où nous placerons le nouveau laboratoire. Mais il n’y a aucun inconvénient à ce que vous réunissiez tous les renseignements sur l’outillage. » (Beaunis, Mémoires, p. 489).

13Muni de cette autorisation, il écrivit immédiatement à Wilhelm Wundt (1832-1920) à Leipzig en lui demandant de le mettre en rapport avec ses fournisseurs habituels pour les instruments (Nicolas, 2005b). La réponse datée du 30 août lui donna très aimablement tous les renseignements demandés. L’acte officiel annonçant la création effective du laboratoire de Psychologie physiologique et qui nommait Henry Beaunis Directeur fut signé le 29 janvier 1889 (cf. Turbiaux, 2002, p. 289). Cette direction n’était pas usurpée dans la mesure où il était un digne représentant de la psychologie physiologique française et le promoteur de l’idée de la création d’un tel type de laboratoire qui fut rattaché à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE) dans la section des Sciences naturelles. Le nom même du laboratoire de Beaunis (psychologie physiologique) n’était pas sans rappeler le titre du fameux traité de Wundt (1874) traduit en français en 1886 (cf. Carroy & Schmidgen, 2006). C’est seulement le 14 février 1889 qu’une lettre de Liard lui dit de contacter Henri-Paul Nénot (1853-1934), l’architecte de la Sorbonne, afin de s’entendre avec lui sur le choix de l’implantation du laboratoire dans les locaux de la Nouvelle Sorbonne en construction. Il y avait cependant une petite difficulté. Dans le plan des bâtiments de la Nouvelle Sorbonne, il n’y avait rien de prévu pour un laboratoire. C’est en visitant les locaux avec l’architecte adjoint que Beaunis choisit trois salles placées au troisième étage à l’angle de la rue St.-Jacques et de la rue des Écoles. Seulement ces trois salles étaient, sur le plan, destinées à un bibliothécaire. Beaunis insista de son mieux pour les obtenir. L’architecte consentit à en faire la proposition à Liard qui accepta sur le champ. Au début le laboratoire fut installé provisoirement dans deux salles de la nouvelle Sorbonne. Un an après (1890), il fut enfin transféré au troisième étage du bâtiment (Oléron, 1966).

Alfred Binet : Directeur adjoint du Laboratoire de la Sorbonne (1892-1894)

14On sait peu de chose sur le laboratoire et son fonctionnement à ses débuts, si ce n’est que Beaunis ne touche aucun traitement ou indemnité pour s’en occuper. Par une lettre (cf. Turbiaux, 2002) adressée le 18 février 1889 au Doyen de l’université de Nancy, on apprend néanmoins par Beaunis que le laboratoire de psychologie physiologique ne fonctionnait que pendant le semestre d’hiver et était fermé pendant l’été. Comme Beaunis professait encore la physiologie à l’Université de Nancy (jusqu’en 1893), il eut au début peu de loisirs pour s’en occuper. D’ailleurs les crédits de fonctionnement alloués étaient très modestes : 500 francs durant les premières années, mais augmentèrent sensiblement par la suite (800 F en 1893 ; 1 400 F en 1898) (Vaschide, 1898). Beaunis était seul au départ, sans même un aide de laboratoire et c’était une des concierges de la Sorbonne qui, provisoirement, y faisait le ménage. C’est pour pouvoir s’occuper pleinement de l’installation du laboratoire et réfléchir à son développement que Beaunis sollicita durant l’année universitaire 1891-1892 un congé (cf. Turbiaux, 2002, p. 290). Peu à peu tout s’organisa grâce à l’appui de nouveaux collaborateurs qui vont développer des thèmes de recherches spécifiques.

Premières descriptions du laboratoire (1892)

15Alfred Binet (1857-1911), (pour une biographie : Andrieu, 2010 ; Wolf, 1973) qui venait de quitter Charcot et la Salpêtrière, et Jean Philippe (1862-1931), licencié ès lettres et professeur au Collège Arago, furent les premiers à intégrer bénévolement le laboratoire en 1891 comme préparateurs. C’est lors d’une rencontre fortuite avec Beaunis que Binet demanda à venir travailler au laboratoire (cf. Nicolas, 1995) ; autorisation que ce dernier lui accorda immédiatement, trop heureux de trouver un collaborateur de cette valeur pour un laboratoire à ses débuts et dont la création avait éveillé des défiances et des hostilités plus ou moins déclarées qui n’étaient pas encore éteintes (Beaunis, Mémoires, p. 495). Bien qu’ils se soient trouvés dans des camps opposés sur les questions d’hypnotisme et de suggestion quelques années plus tôt, les deux hommes se respectaient mutuellement. D’ailleurs Binet fut rapidement nommé (1892) Directeur adjoint du laboratoire (sans traitement), à l’âge de 35 ans. La vie du laboratoire, de même que le renom qu’il s’était si vite acquis à l’étranger, fut rapidement liée à la présence de Binet. Dès son arrivée (1891), il s’applique au développement de nouveaux thèmes de recherches et à la mise en place de travaux pratiques pour montrer aux élèves le maniement des principaux appareils, et pour leur donner quelques notions d’anatomie sur les centres nerveux. C’est à cette époque qu’il recrute pour la recherche son premier étudiant : Victor Henri (1872-1940). La même année (30 septembre 1892) Charles Henry (1859-1926), nommé Maître de Conférences à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE) (avec un traitement de 1 500 francs), intègre le laboratoire au grand dam de Binet. C’est dans un article du quotidien Le Temps daté du 26 octobre 1892 (p. 2) qu’on trouve la toute première description du laboratoire de la Sorbonne :

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« Le laboratoire de psychologie est installé tout en haut de l’escalier qui part de la galerie des sciences dans la partie de la Sorbonne située à l’angle de la rue des Écoles et de la rue Saint-Jacques.
Les quatre pièces qui le composent sont chacune réservée à une destination spéciale :
1° Une grande salle où se réunissent les élèves pour les démonstrations et les expériences à faire en commun : une grande table, au milieu de la pièce, supporte les instruments destinés aux expériences en cours ; aux murs, un tableau noir pour les démonstrations et des schémas de différents processus cérébraux.
2° Le cabinet du directeur, où sont réunis, soigneusement disposés derrière des vitrines, les appareils enregistreurs avec leurs tambours : des pneumographes, des esthésiomètres, un chronoscope de Hipp, l’appareil à phonation de l’abbé Rousselot, l’appareil à chute de Cattell, des dynamographes, etc., etc., en un mot, une notable partie de l’appareil obligatoire d’un laboratoire de psycho-physiologie. On voit autour de cette salle : quelques tracés de travaux faits au laboratoire par les directeurs et les élèves ; une série de courbes qui schématisent les degrés de l’inconscience dans l’appréciation de l’intervalle qui sépare deux actions très rapprochées ; des reproductions des mouvements de manège obtenus sur des insectes par des altérations du système nerveux ; enfin, une remarquable série de planches coloriées par des sujets doués d’audition colorée, et sur lesquels une série d’observations a été faite au laboratoire en juillet et en décembre 1891.
3° Une autre pièce est spécialement réservée aux études macroscopiques et microscopiques sur le système nerveux de l’homme et des animaux ; cette pièce contient aussi une remarquable série de photographies de criminels offertes, l’une par le professeur Lombroso, l’autre par le service anthropométrique de Paris.
4° La quatrième pièce est réservée au maître de conférences, qui s’y livre à des recherches personnelles. (…) »

17Pour Binet, les laboratoires sont utiles à la psychologie parce qu’ils fournissent à cette science des moyens perfectionnés d’observation (Binet, 1893a). C’est dans un document peu connu (Binet, 1892a), daté du second semestre de l’année 1892, que Binet présente l’utilité du laboratoire pour la psychologie et la direction des recherches qui y sont entreprises.

18« [368] Ce laboratoire, le seul qui existe en France, est destiné à servir de centre de réunion, régulièrement organisé, pour toutes les recherches de psychologie expérimentale ; il représente le côté pratique de la psychologie, de même que l’enseignement de M. Ribot, au Collège de France en représente le côté théorique ; il fournit aux travailleurs trois choses principales : 1° à ceux qui ne savent pas, qui sont encore des elèves – et nous sommes tous des élèves pour un grand nombre de faits, – il enseigne la technique ; des conférences pratiques ont eu lieu l’année dernière (1891) pour montrer aux élèves le maniement des principaux appareils, et pour leur donner quelques notions d’anatomie sur les centres nerveux ; je compte reprendre ces conférences et leur donner plus de développement cette année ; 2° les personnes qui désirent faire des études originales trouvent au laboratoire les instruments nécessaires qui, dans la mesure de nos ressources, sont mis à leur disposition ; 3° enfin, par sa position même, le laboratoire est particulièrement destiné à former des archives où seront réunis les différents documents psychologiques fournis par la méthode des questionnaires ou autrement. Il est à peine besoin d’ajouter que ces ressources sont mises à la disposition de tous les travailleurs sérieux. Notre laboratoire n’est inféodé à aucune école ; il est ouvert à toutes les individualités, avec cette réserve toutefois que son titre et son but excluent les spéculations de métaphysique ou de mathématiques, qui ne sauraient être à leur place sur un terrain de l’expérience. Mais les métaphysiciens eux-mêmes peuvent avoir quelque intérêt à fréquenter un centre de travail où ils pourront se familiariser avec les appareils compliqués de la psychologie physiologique, qu’il est toujours utile de connaître avant de les juger.

19Dans notre pensée, le laboratoire de psychologie de la Sorbonne est d’abord destiné à permettre des études sur la sensation et sur le mouvement, et sur les formes élémentaires de la vie psychique, qui nous semblent avoir été jusqu’ici le but principal des recherches pour les laboratoires étrangers. Cette branche d’études n’a point été négligée jusqu’ici, et pour ne parler que des travaux déjà publiés qui s’y rattachent, nous mentionnerons ceux de M. Delabarre (1892) : (l’Influence de l’attention sur les mouvements respiratoires) – de M. Jacques Passy (1892) : (la Perception des Odeurs, contrôlés et confirmés dernièrement par M. Féré, le médecin bien connu de Bicêtre) – de M. Binet (1892b) : (l’Appréciation de la durée dans les temps de réaction, etc.).

20Nous comptons en outre favoriser des études plus générales, portant sur des fonctions psychologiques plus complexes ; dans cet ordre d’idées nous signalerons des recherches déjà publiées sur l’audition colorée (Beaunis & Binet, 1892 ; Binet et Philippe, 1892), et des observations et expériences sur le calculateur Jacques Inaudi (Binet et Henneguy, 1892) et d’autres calculateurs de profession ; également des recherches en voie d’exécution sur la mémoire visuelle des peintres (Binet & Beaunis, 1892).

21Nous espérons également consacrer cette année des études aux [369] procédés mentaux des joueurs d’échecs, qui opèrent les yeux fermés, et un de nos élèves [Victor Henri] a entrepris des études sur la psychologie de la peau chez les aveugles – tout cet ensemble formera une contribution instructive à la question de la psychologie professionnelle ; – nous ne négligerons pas non plus de favoriser les recherches de psychologie pathologique, bien qu’elles ne puissent être faites au laboratoire même ; mais le laboratoire peut fournir aux élèves les instruments de précision et des indications pour les recherches ; c’est ainsi que trois élèves du laboratoire peuvent en ce moment, grâce à la bienveillance de M. Charcot, prendre à la Salpêtrière des temps de réaction sur les hystériques (Philippe & Henri, 1893), et nous prévoyons que ces études, que nous avons indiquées, éclaireront quelques points encore obscurs de la théorie de la double conscience. Nous comptons également diriger quelques élèves vers les cliniques mentales et même les cliniques internes de nos hôpitaux, où nous espérons que les médecins et chefs de service leur feront un bon accueil.

22Il serait trop long de parcourir ici, même rapidement, le domaine que nous avons l’intention d’explorer. Disons seulement que nous ne négligerons point la psychologie criminelle, très vague encore et très mal définie, mais relativement à laquelle nous pensons pouvoir examiner deux ou trois questions précises. La psychologie comparée, entendue non comme un recueil d’anecdotes, mais sous la forme d’expériences régulières, a déjà fait l’objet de quelques-unes de nos publications (Binet, 1892c : Mouvements de manège chez les insectes. Le centre nerveux du vol chez les coléoptères, etc.).

23La question la plus importante pour nous est celle de la psychologie des enfants, dans ses rapports avec la pédagogie. C’est là, à notre avis la question d’avenir pour la psychologie. M. Philippe, le préparateur du laboratoire, amasse en ce moment les matériaux d’une étude sur la psychologie de l’enfant à l’école ; et nous ayons commencé, d’autre part, des expériences sur la mémoire, qui ont principalement une portée pédagogique.

24Comme on peut en juger par ce rapide aperçu, le laboratoire ne se renferme pas dans un étroit local, il tend à se répandre au dehors, à rayonner, en allant chercher partout où ils se trouvent, les sujets d’étude intéressants, et aucun d’entre nous ne se laisse arrêter par les difficultés de toutes sortes que suscite toute recherche nouvelle, soutenus que nous sommes par la conviction que nous travaillons à une œuvre utile. »

Les principaux thèmes de recherche du laboratoire (1892) et création du Bulletin des Travaux du laboratoire de psychologie physiologique des Hautes Études

25À cette époque, l’activité du laboratoire était déjà importante comme en témoigne la lecture du recueil des Travaux du laboratoire de psychologie physiologique des Hautes Études (À la Sorbonne) pour l’année 1892. Ce recueil, publié au début de l’année 1893 (Beaunis & Binet, 1893) est un résumé des recherches effectuées au sein du laboratoire de la Sorbonne pour l’année 1892. Beaunis (1893) nous fournit aussi dès les premières pages de cette publication une description du laboratoire à cette époque en termes de personnels, de locaux, d’outillages, de bibliothèque et de collections. Plusieurs thèmes de recherches dominent : L’audition colorée (Beaunis, Binet & Philippe), la psychologie des calculateurs mentaux (Binet, Henneguy & Philippe), la psychologie des joueurs d’échecs (Binet), les questionnaires (Beaunis), la psychologie comparée (Binet), la psychologie musicale (Courtier) et la mesure des temps de réaction (Philippe & Henri). Ribot lui-même participa à faire la publicité des recherches du laboratoire en faisant éditer périodiquement durant l’année 1892 les comptes rendus des travaux du laboratoire dans la Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, quelques mois avant que ceux-ci ne soient réunis dans le recueil de Beaunis et Binet (1893).

26Le laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne était, en accord avec ce qui se faisait à l’étranger à la même époque, tout d’abord destiné à permettre des études expérimentales sur la sensation et sur le mouvement, ainsi que sur les formes élémentaires de la vie psychique (cf. Binet, 1892a). Pour Binet (1893), on peut sans doute faire de la bonne psychologie sans laboratoire, et avec le seul secours d’une main, de papier et d’un crayon ; pour observer, on se sert simplement de ses yeux et de ses oreilles ; on constate des différences de qualité, on ne peut guère, dans la plupart des cas prendre des mesures. C’est là l’utilité des laboratoires ; ils sont munis d’un ensemble d’appareils de précision, chronomètres, appareils enregistreurs, chambres noires, etc., qui permettent de mesurer les phénomènes psychologiques élémentaires. Si cette branche d’études n’a pas été négligée par Binet et ses élèves (Binet, 1892a ; Delabarre, 1892 ; Passy, 1892), son objectif était de favoriser des études portant sur des fonctions psychologiques plus complexes. C’est dans cet ordre d’idées que seront réalisées en 1892 des recherches sur l’audition colorée (Beaunis & Binet, 1992 ; Binet & Philippe, 1892), et des observations et expériences sur le calculateur Jacques Inaudi (Binet et Henneguy, 1892) et d’autres calculateurs de profession. L’importance de ces deux orientations d’étude est attestée par la publication en 1892 dans la Revue des Deux Mondes d’articles de synthèse sur ces sujets (Binet, 1892d, 1892e). Mais au-delà de l’étude de ces fonctions complexes (imagination, calcul, etc.) de l’esprit, Binet est aussi intéressé plus spécifiquement par la question de la mémoire. Comme ses maîtres Ribot et Charcot, et contrairement aux métaphysiciens de son temps, il pense que la mémoire n’est pas une faculté une et indivisible, un mode d’activité simple de l’esprit ; c’est en fait quelque chose de complexe et de multiple : elle se compose d’un certain nombre de mémoires partielles (visuelle, auditivo-verbale, motrice) qui peuvent être excitées ou abolies isolément. D’ailleurs en octobre 1892, Binet explique parfaitement le lien qui rattache les unes aux autres les études successives qu’il mène à l’époque et qui leur donne leur unité. « Nous cherchons, à propos des problèmes les plus divers, à exposer et à faire bien comprendre la théorie moderne des images mentales et des types de mémoire » (Binet, 1892e, p. 601).

Les nouveaux thèmes de recherche du laboratoire (1893) : la psychologie descriptive et le développement des enquêtes

27Lorsque dans le numéro de janvier 1894, Binet (1894a) résume pour la Revue Philosophique de la France et de l’Étranger les dernières recherches effectuées au sein du laboratoire pendant l’année 1893, il souligne que quelques-uns de ces travaux viennent de paraître dans le second volume des bulletins ou recueil des Travaux du laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne (pour les travaux réalisés en 1893) (Beaunis & Binet, 1894) ; d’autres, en plus grand nombre, n’y sont pas insérés, faute de place, et ont paru ailleurs (Revue des Deux Mondes, Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, Revue Scientifique, Archives de Physiologie, Revue Générale des Sciences, Le Temps, etc.), d’autres enfin restent inédits, ou ne sont pas encore achevés. L’activité au sein du laboratoire durant cette année 1893 continue à être très importante ; ceci est d’autant plus étonnant que Binet est en train de préparer une thèse de doctorat en sciences naturelles dans le laboratoire de son beau-père Edouard-Gérard Balbiani (1823-1899) au Collège de France. Mais il est important de noter que le personnel du laboratoire est en augmentation. Alors que Jean Philippe, jusqu’alors préparateur, devient chef de travaux (traitement de 500 francs, arrêté du 4 août 1893 avec effet au 1er novembre suivant), Jules Courtier, qui était en congé régulier et illimité par arrêté du 12 août 1892, est officiellement recruté en tant que chef de travaux adjoint (traitement de 400 francs, arrêté du 4 août 1893 avec effet au 1er novembre suivant).

28Cette année-là, Binet et ses collaborateurs terminent leurs études entreprises l’année précédente sur la question de l’audition colorée ainsi que leurs travaux sur les calculateurs prodiges (Charcot & Binet, 1893 ; Binet & Henri, 1893 ; Binet, 1894bc) et s’engagent dans des recherches sur le mouvement chez les sujets normaux et pathologiques (Binet & Courtier, 1893) ainsi que sur la psychologie des auteurs dramatiques (Binet & Passy, 1894). Binet s’est lui plus spécifiquement intéressé à l’étude du caractère des enfants, à la mémoire chez les joueurs d’échecs et à l’imagination créatrice chez les auteurs dramatiques. Il s’agit là essentiellement de psychologie descriptive utilisant la méthode des questionnaires. Pour Binet (1893a), les recherches de psychologie purement descriptive se passent à peu près de tout appareil. Comme le mot l’indique, on appelle psychologie descriptive toute étude de psychologie qui se contente de noter les phénomènes, sans chercher à les soumettre à la mesure et au nombre. Malgré les apparences, la psychologie descriptive n’est pas une psychologie de l’à peu près ; le caractère simple et même, si l’on veut, un peu rudimentaire de sa méthode ne lui enlève pas tout intérêt. Chaque méthode doit être appropriée à l’objet qu’on cherche à étudier, et il peut être regrettable, dans telle condition, de ne pas employer une méthode perfectionnée, comme il peut être absolument ridicule de l’employer dans d’autres circonstances. Pour Binet, la légitimité de la psychologie descriptive tient à ce qu’elle porte sur des phénomènes spontanés, qu’il faut recueillir dans la forme naturelle où ils se présentent, et qui périraient s’ils étaient soumis aux violences de l’expérimentation. « Qu’on étudie, par exemple, les méthodes de travail des auteurs dramatiques et des compositeurs de musique, ou la mémoire des joueurs d’échecs qui jouent sans voir, il est clair que ces études ne peuvent se faire que par l’observation. La psychologie descriptive est donc, avant tout, la psychologie des interrogations, des questionnaires et des enquêtes. » (Binet, 1893a, p. 441). La psychologie descriptive n’a pour méthode que l’interrogation, la causerie, ou la question écrite. « Le critérium de la vérité pour la psychologie descriptive, – nous l’avons dit et nous le répétons, – c’est la concordance des observations ; en dehors de cette règle, il n’y a qu’illusion et chimère. » (Binet, 1893a, p. 445). Ainsi, pour Binet le laboratoire n’est pas seulement un atelier où l’on expérimente, au moyen d’outils perfectionnés, sur les états de conscience. « Un laboratoire est aussi – ou plutôt devrait être aussi – un centre de travail régulièrement organisé, où se trouveraient classés tous les documents psychologiques, quelle qu’en fût la provenance. » (Binet, 1894e, pp. 133-134). La méthode des enquêtes par questionnaire, inaugurée par Francis Galton (1822-1911) sur les images mentales (Galton, 1880) puis utilisée par les grands psychologues de l’époque comme l’Américain William James (1842-1910) sur les hallucinations (James, 1889, 1890), les Suisses Théodore Flournoy (1854-1920) et Édouard Claparède (1873-1940) sur l’audition colorée (Flournoy, 1893 ; Flournoy & Claparède, 1892), le Français Théodule Ribot (1839-1916) sur les idées générales (Ribot, 1891) et les variétés de concepts (Ribot, 1892), a été appliquée de manière systématique par Binet au cours de l’année universitaire 1892-1893 (ex. Binet, 1893b, 1894d).

Le laboratoire en 1894 : l’étude de la mémoire chez les enfants et la création de l’Année Psychologique

29Dans le premier chapitre de son ouvrage d’introduction à la psychologie expérimentale, Binet (1894e) présente le laboratoire au début de l’année 1894 en s’appuyant strictement sur la description donnée l’année précédente par Beaunis (1893) et en ajoutant certains compléments que nous indiquerons plus loin. Le personnel du laboratoire comprend officiellement H. Beaunis (Directeur), A. Binet (Directeur adjoint), J. Philippe (Chef des travaux), J. Courtier (Chef-adjoint des travaux) et C. Henry (Maître de conférences). Le laboratoire comprend quatre pièces dont chacune a sa destination spéciale :

301° Une grande salle pour les démonstrations à faire en commun ;

312° Le cabinet des directeurs, où sont renfermés, dans des vitrines, les appareils et les instruments les plus délicats ; cette salle sert aussi de salle d’expérience pour des recherches spéciales ;

323° Une pièce qui contient la bibliothèque et une armoire vitrée pour la verrerie et les réactifs. Cette salle est utilisée pour les recherches macroscopiques et microscopiques sur le système nerveux ;

334° Une quatrième pièce est réservée exclusivement au maître de conférences. Un petit cabinet annexe peut être transformé en cabinet noir pour des expériences sur les sensations visuelles.

34Un cabinet semblable donne sur le corridor qui commande toutes les pièces du laboratoire. Enfin une dernière pièce, pourvue d’un fourneau, d’une hotte, etc., sert à la fois de débarras, de réserve pour le combustible et peut être utilisée pour des expériences de chimie.

35L’outillage instrumental comprend :

361° Les principaux appareils enregistreurs usités en physiologie, cylindre enregistreur avec chariot auto-moteur, tambours à levier, myographe, cardiographe, sphygmographe, pneumographe, dynamographe, etc., et quelques appareils nouveaux, tels que l’appareil pour l’inscription des mouvements de la parole de l’abbé Rousselot, la planchette pour l’étude des mouvements inconscients, etc.

372° Les appareils d’électricité, diverses espèces de piles, appareil à chariot de Dubois Reymond, excitateurs, commutateurs, interrupteurs, signal de Deprez, chronographe de Marey, diapason de 100 vibrations, lampe à incandescence, téléphone, contacts électromagnétiques, etc.

383° Les appareils de psychométrie, chronoscope de Hipp, chronomètre de d’Arsonval, chronoscope d’Ewald, appareil à pendule de Wundt, appareil à chute de Cattell, appareil rotatif de Wundt pour la mesure des durées, appareil de Wundt pour les recherches complexes, etc.

394° Les appareils pour l’étude des sensations, esthésiomètres simple et double, explorateur de Rinne pour la température, boîte de poids pour l’exploration de la sensibilité à la pression, etc. enfin les divers appareils pour l’étude des sensations visuelles, périmètre de Badal, optomètre du même auteur, boîte de verres pour l’exploration de la vision, appareil rotatif pour les couleurs et le contraste, un audiomètre, etc.

405° Un certain nombre d’appareils spéciaux ne rentrant dans aucune des catégories précédentes, instruments d’anthropométrie, dynamomètres, rapporteur pour la mesure et la mémoire des angles, thermomètres, gong chinois, boussole, etc.

416° Une balance de précision et un grand nombre d’instruments et d’ustensiles de chimie, boîte à réactifs, étuve, alcoomètre, densimètre, verrerie, etc.

427° Pendant l’année 1894, le laboratoire s’est surtout enrichi d’appareils pour l’étude de la mémoire, collections de bobines de laine des Gobelins, tableaux de laines, tableaux de couleurs peints à l’huile, répertoire chromatique de Lacouture, séries de lignes pour la mémoire des longueurs, figures servant à l’étude des illusions visuelles, etc.

43La bibliothèque contient les collections des Philosophische Studien de Wundt, de l’American Journal of Psychology, du Zeitschrift für Psychologie des Sinnesorgane, des Beiträge fur Experimentellen Psychologie de Münsterberg, les principaux ouvrages de Th. Fechner, Wundt, Buccola, Galton, Sergi, Duchenne, Delbœuf, etc., et un certain nombre de brochures et de thèses de psychologie physiologique.

44Les collections du laboratoire comprennent des séries de tracés de phénomènes physio-psychologiques étudiés au laboratoire, des graphiques de temps de réaction, des planches coloriées provenant de sujets doués d’audition colorée, des photographies de criminels offertes par le professeur Lombroso et par le service anthropométrique de Paris, des figures schématiques des processus cérébraux, des coupes histologiques des centres nerveux des invertébrés. Durant l’année 1894, le laboratoire s’est enrichi de collections d’autographes, de travaux exécutés par des aveugles, de tableaux représentant des spécimens d’écriture tracés avec la plume électrique, de photographies en série prises par Georges Demeny (1850-1917) et décomposant les mouvements de la prestidigitation, d’une collection de photographies de psychologues français et étrangers, de tracés représentant le mouvement de manège chez les insectes, etc.

45En 1894, le laboratoire est en plein essor et Binet fait même construire de nouveaux instruments pour réaliser des expériences. Comme Beaunis le dit dans ses Mémoires, Binet prenait maintenant dans le laboratoire une place importante (Andrieu, 2009). Ayant constaté que le recueil des Travaux du Laboratoire de Psychologie Physiologique coûtait cher et ne se vendait guère, Binet résolut de demander le 19 février 1894 à Beaunis de mettre en œuvre une publication nouvelle : L’Année Psychologique (Fraisse & Segui, 1994 ; Nicolas, Segui & Ferrand, 2000a, 2000b) dont le premier volume vit le jour en 1895 (pour les travaux réalisés en 1894). Il soulignera d’ailleurs que « pendant l’année 1894-1895, le principal événement de notre laboratoire a été la publication du premier volume de notre Année psychologique » (Binet, 1895b). Cette nouvelle revue avait pour but de présenter un tableau fidèle du mouvement psychologique contemporain dans tous les pays et une série de mémoires originaux sortant du laboratoire. Parmi ceux-ci, les premiers articles de Binet publiés dans le premier volume de L’Année Psychologique (Travaux pour l’année 1894) portent sur la mémoire verbale ; ils sont le produit d’une collaboration étroite avec son élève Victor Henri (1872-1940) et sont en continuité avec les recherches précédentes des mêmes auteurs sur ce thème (voir Nicolas & Ferrand, 2011 pour une présentation). L’autre grand thème de recherche de Binet à cette époque a porté sur la question des illusions visuelles (Binet, 1894f) avec notamment les recherches réalisées sur l’illusion de Müller-Lyer chez les enfants (Binet, 1895a).

Alfred Binet : directeur du Laboratoire de la Sorbonne (1895-1911)

46Admis à la retraite en 1893, Henry Beaunis quitte définitivement Nancy et s’installe à Paris. Il peut enfin se consacrer pleinement aux recherches du laboratoire sans se préoccuper des cours et des examens auxquels il ne pouvait échapper les années précédentes. Mais son activité de recherche ne devait pas durer car en 1894 il fut atteint d’une grippe infectieuse très grave qui l’obligea à quitter Paris et à venir s’installer dans le Midi de la France (Nicolas, 1995 ; Turbiaux, 2002). Le 8 novembre 1894 Henry Beaunis écrit au directeur de l’enseignement supérieur Louis Liard pour lui demander d’être relevé de ses fonctions de directeur du laboratoire de psychologie physiologique. Voici la lettre en question (cf. Turbiaux, 2002, p. 295) :

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Monsieur le directeur,
Lorsque j’ai été vous voir à mon passage à Paris, je vous ai entretenu de mes intentions au sujet du laboratoire. Je viens aujourd’hui vous prier de me relever de mes fonctions de directeur du laboratoire à partir du 1er janvier 1895.
Ma santé, quoique sensiblement améliorée, me force à passer la plus grande partie de l’année dans le Midi, et, en réalité, depuis longtemps déjà, je ne suis que nominalement Directeur du laboratoire. Il y a là une situation qui ne peut évidemment se prolonger. Grâce à l’activité et au zèle de mon Directeur adjoint, Monsieur Binet et de ses collaborateurs, MM. Philippe et Courtier, le laboratoire n’a en rien souffert de mon absence et il a prouvé sa vitalité par des travaux de valeur.
J’ai la conviction que mon départ ne le fera péricliter en rien et qu’il restera en bonnes mains. Je vous demanderai seulement de rester attaché à titre honoraire au Laboratoire de façon à y conserver le droit d’y travailler à mes passages à Paris.
En terminant, me sera-t-il permis de vous proposer, si la chose est possible, pour les palmes d’officier d’Académie, Messieurs Binet et Philippe. Ils toucheraient dans cette situation une petite récompense de leur travail et d’un dévouement qui ne s’est jamais démenti depuis qu’ils appartiennent au laboratoire.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’assurance de mes sentiments dévoués.
Dr Beaunis
Directeur du laboratoire de psychologie physiologique
Villa Joséphine, Route d’Antibes, Cannes

48L’arrêté officiel entérinant la demande de Beaunis fut promulgué par le ministre de l’Instruction publique le 17 novembre 1894 (cf. Turbiaux, 2002, p. 290). Alfred Binet devenait ainsi officiellement le nouveau directeur du laboratoire en 1895.

Le laboratoire en 1895-1896 : le programme de psychologie individuelle

49Le jeune Victor Henri avait été un proche collaborateur de Binet depuis 1892. Mais comme l’Université de la Sorbonne ne donnait pas de diplôme de doctorat en psychologie, il dut s’expatrier en Allemagne pour obtenir une reconnaissance officielle tout en continuant à travailler avec Binet. Spécialiste de l’étude de la mémoire (Binet & Henri, 1894a, 1894b, 1895a, 1895b ; Henri, 1901 ; Henri & Henri, 1897) et de la localisation des sensations tactiles, c’est sur ce dernier thème qu’il va poursuivre des travaux expérimentaux dans les laboratoires allemands. D’octobre 1894 à mars 1896, Victor Henri est accueilli au laboratoire de psychologie à Leipzig et fut un des seuls français à aller se former sous la direction de Wilhelm Wundt (Nicolas, 1994). C’est dans ce cadre prestigieux qu’il poursuit ses travaux et qu’il rédige en décembre 1895 (Henri, 1896b) pour L’Année psychologique une revue générale sur la localisation des sensations tactiles. Le séjour de Victor Henri chez Wundt se justifiait dans la mesure où l’éminent psychologue allemand dirigeait à l’époque des recherches sur ce thème par l’entremise de son élève américain Guy Allen Tawney (1870-1947). Les résultats obtenus par Henri seront publiés dans le second tome de L’Année Psychologique (Henri, 1896a) et dans le onzième tome des Philosophische Studien (Henri et Tawney, 1895). En avril 1896, Victor Henri décide de rejoindre à l’université de Göttingen Georg Elias Müller (1850-1934). Le départ de Leipzig se justifiait de la part de Victor Henri par le sentiment que le laboratoire de Wundt était déjà une institution en perte de vitesse (cf. Henri, 1895). C’est dans ce cadre que Victor Henri entreprit de nouvelles recherches sur la localisation des sensations tactiles (Henri, 1897a, 1897b) et présenta sa thèse en psychologie expérimentale (5 juin 1897) (Henri, 1897c). L’ensemble de ses travaux sur la localisation des sensations tactiles paraîtra un an plus tard dans un ouvrage (Henri, 1898) dédicacé à Binet et intitulé Ueber die Raumwahrnehmungen des Tastsinnes (Sur la perception de l’espace par le toucher). Après son séjour à Göttingen, Victor Henri revient à Paris où il est nommé secrétaire de rédaction de L’Année Psychologique (1897-1901) et où il effectue de nouvelles expériences en collaboration avec Alfred Binet pour la réalisation de son programme de psychologie individuelle.

50En 1895-1896, Binet va en effet fonder officiellement une psychologie expérimentale des fonctions supérieures de l’esprit, en vue d’une différenciation des individus. C’est l’étude des différences entre les individus qui a conduit Binet à développer avec son élève Victor Henri la psychologie individuelle (Binet & Henri, 1896), première étape vers l’élaboration des tests d’intelligence. Binet avait voulu s’élever au-dessus de la psychologie traditionnelle de son époque en promouvant les travaux sur l’intelligence et le caractère. Il s’agissait pour lui d’une des plus importantes applications de la science nouvelle, un des moyens de la propager, de la développer et de lui apporter de nombreux adeptes. C’était dans l’idée de Binet le seul moyen de créer la science de l’homme, intellectuel et moral, qui devait être le fondement de toutes les sciences naturelles. Il pensait que les tests mentaux inventés à l’époque ne devaient pas consister dans des expériences sur les éléments simples de l’esprit, mais dans des expériences sur les éléments complexes. C’est en effet par les processus supérieurs, par la manière de se souvenir, d’imaginer, de juger, de raisonner, bien plutôt que par les sensations que les individus normaux diffèrent entre eux et se caractérisent. Dans leur article fondateur de 1896, Binet et Henri proposent un programme d’expériences conforme aux idées ainsi évoquées ; on ne trouve dans ce programme aucun test sur les sensations perceptives, mais en revanche on y trouve des tests sur la mémoire, l’attention, l’imagination, la finesse d’esprit, les sentiments, la suggestibilité, etc. Comme les différences individuelles sont plus fortes pour les processus supérieurs que pour les processus élémentaires, il faut surtout porter son attention sur les processus supérieurs (si on veut étudier les différences psychologiques entre deux individus) et ne considérer qu’en seconde ligne les processus élémentaires. Le développement de ce programme nécessitait la présence à ses côtés de collaborateurs de premier ordre.

51Si Binet avait dès son arrivée au laboratoire recruté des élèves, dont Victor Henri, il avait bien conscience des insuffisances de l’enseignement supérieur français à l’époque. Le laboratoire était intégré à l’EPHE (École Pratique des Hautes Études), une structure créée en 1868 par Victor Duruy (1811-1894) pour pallier aux insuffisances du système universitaire. L’EPHE dépendait directement du ministère de l’Instruction publique et était considérée comme une véritable structure de recherche explicitement mise en place pour élever l’enseignement supérieur français au niveau de celui de l’Allemagne. Cependant, L’EPHE ne délivrait pas de diplômes, mais de simples certificats. C’est la raison pour laquelle le nombre des élèves y fut toujours très restreint. Comme Vaschide (1898, pp. 255-256) l’a souligné, « les examens et l’intérêt d’un titre sont malheureusement liés au développement de toute institution, car ceux qui aiment la science pour elle-même sont rares, et même ceux-là ont besoin d’un témoignage officiel de leurs capacités scientifiques ». Voici la lettre écrite à ce sujet par Alfred Binet à Gaston Paris (1839-1903), président de la quatrième section de l’EPHE, le 3 octobre 1895 (Bibliothèque Nationale, département des manuscrits, NAF 24432, fol. 125-129).

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Monsieur le Professeur,
Je me permets de vous écrire pour attirer votre attention sur une question qui, je sais, vous paraît importante, celle de certificats ou diplômes pouvant être accordés par l’École des Hautes Études. Je reçois souvent à mon laboratoire des étrangers, notamment des Américains, qui ont fait de la psychologie dans leur pays et viennent chercher en Europe un complément d’instruction. Vous savez, sans doute, qu’en ce moment, en Amérique, le nombre de laboratoires de psychologie augmente rapidement et dépasse 30. Les étudiants américains ne sont cependant pas satisfaits des diplômes accordés là-bas, et ils viennent demander aux laboratoires de la vieille Europe un titre qui a toujours plus de prestige que les leurs. Longtemps ils se sont dirigés vers l’Allemagne, particulièrement vers le laboratoire de Wundt, à Leipzig, et s’ils s’arrêtent à Paris, ça a été tout simplement pour visiter l’opéra et les Musées. Mais depuis un an ou deux, nous recevons quelques-uns d’entre eux à notre laboratoire des Hautes Études, ils désirent travailler chez nous. Jusqu’ici j’ai dû les éclairer sur l’état des choses actuel, leur avouer que notre École ne confère aucun titre, aucun diplôme ; aussi, en hommes pratiques, se sont-ils retirés au bout de peu de temps, et ils sont allés grossir le nombre des élèves de laboratoires allemands.
J’ai toujours pensé que nous étions coupables de ne pas lutter contre un état de choses qui assure une prépondérance écrasante aux idées allemandes, en psychologie. C’est pour cette raison que je fais appel à votre concours pour défendre les intérêts de la science française.
Permettez-moi de terminer ma lettre par le souvenir personnel d’un service que vous avez bien voulu me rendre il y a une vingtaine d’années, en me recommandant, par la prière de Madame Lubanska, à M. Léopold Delisle, pour que je fusse admis à travailler dans la Salle des Imprimés. Votre recommandation m’a été singulièrement utile ; car ce sont mes travaux à la Bibliothèque Nationale qui ont décidé ma vocation.
Veuillez agréer, Monsieur le professeur, l’hommage de ma haute considération.
Alfred Binet
Directeur du Laboratoire de psychologie des Hautes-Études.

54À cette époque le laboratoire était toujours ouvert d’octobre à juillet et attirait quelques élèves dont le nombre diminuait au fil des années. En dehors des élèves français plus ou moins réguliers parmi lesquels se trouvaient des étudiants en lettres, en médecine et en droit comme Marcel Sembat (1862-1922), il y avait aussi, comme l’indique le registre des inscriptions de l’EPHE, des savants et étudiants étrangers tels Edmund B. Delabarre (1863-1945) et Raymond Weeks (1863-1954). Alors que la plupart sont venus seulement pour se rendre compte de la manière dont on travaillait ou des méthodes employées à Paris quelques-uns sont restés plus longtemps, tel est le cas d’un étudiant roumain du nom de Nicolae (Nicolas) Vaschide qui deviendra le second collaborateur de Binet.

Le laboratoire en 1896-1897 : donner une base physiologique à la psychologie individuelle

55L’enseignement de la psychologie expérimentale de laboratoire était donc en France dans un état assez lamentable. Binet ne pouvait d’ailleurs participer à la formation des étudiants que par des exercices pratiques au sein de son laboratoire car aucun cours obligatoire ni examen n’était proposé par les universités françaises. Paradoxalement, c’est de l’étranger que lui est venue une proposition d’intervention dans le cadre universitaire. En effet, Binet fut invité en 1895 par un ancien camarade de lycée, alors ministre roumain de l’enseignement public, Take Ionescu (1858-1922), à donner une série de conférences en psychologie expérimentale (avril ­ juin) à l’Université de Bucarest (cf. Bejat, Alexandru & Anatol, 1966). C’est dans le cadre de ses cours qu’il attira un jeune étudiant roumain à son laboratoire, Nicolae Vaschide (1874-1907), qui vint étudier à Paris dès octobre 1895 (cf. Huteau, 2008) après avoir visité plusieurs universités dont celle de Leipzig où professait Wundt.

56À cette époque (1895-1896), Binet, qui venait de soutenir une thèse en sciences naturelles (24 décembre 1894), commençait à s’intéresser de près aux concomitants physiologiques de l’activité mentale. Il s’était engagé avec son chef de travaux adjoint, Jules Courtier, ancien professeur de rhétorique et de philosophie au collège d’Epernay, dans tout une série d’études sur les effets physiologiques du travail intellectuel (pour un résumé de ces travaux : Binet & Henri, 1898) et sur l’influence de la vie émotionnelle sur le cœur, la respiration et la circulation (Binet & Courtier, 1897). Le mérite de toutes ces recherches réalisées au sein du laboratoire sur des sujets volontaires ne consiste pas à avoir montré que la fatigue est d’autant plus forte que le travail est plus intense et plus prolongé, ce qui est une évidence, mais à avoir indiqué des méthodes pratiques qui révèlent cette fatigue, alors même qu’elle n’est pas consciemment perçue. Il faut non seulement connaître tous les signes physiques et mentaux de la fatigue intellectuelle, il faut aussi savoir à quel moment chacun d’eux se manifeste et quelle est sa valeur (cf. Binet & Henri, 1898). Après avoir été formé à la recherche au cours de l’année 1896, Vaschide collabora avec Binet pour développer son programme : donner une base physiologique et anatomique à la psychologie individuelle (cf. Binet & Vaschide, 1898a). En continuité des recherches précédentes, l’étudiant roumain va d’abord travailler sur l’influence de divers facteurs (travail physique, travail intellectuel, émotion) sur la pression sanguine et le pouls (Binet & Vaschide, 1897 ; 1898b).

57L’objectif des nombreux travaux entrepris avec Vaschide en 1897 était un peu différent : étudier séparément certains aspects de la force physique (ex. la force au dynamomètre, les temps de réaction, etc.) afin de sélectionner ou construire des tests appropriés et ensuite rechercher les corrélations qui peuvent exister entre les diverses qualités physiques d’un individu (par exemple entre sa force de pression au dynamomètre et sa capacité vitale, ou sa rapidité à la course), et les corrélations qui peuvent exister entre les qualités physiques et les qualités intellectuelles. Mais la mise en application d’un tel programme de recherche nécessitait d’expérimenter sur un nombre important de sujets. Binet explique ainsi son problème :

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« La psychologie expérimentale exige qu’un certain nombre de personnes aient la bonne volonté de servir de sujets aux expériences ; sans sujets, ou avec des sujets trop peu nombreux, on ne peut pas travailler… Pour la psychologie, il faut distinguer deux espèces de laboratoires. Les laboratoires comme ceux de Wundt à Leipzig, de Baldwin, de Titchener, de Stanley Hall en Amérique, de Biervliet en Belgique, sont fréquentés par un grand nombre d’élèves assidus qui se préparent à des examens de licence et de doctorat, et qui sont toujours prêts à se soumettre à l’expérimentation, même la plus prolongée et la plus fastidieuse, parce que leur docilité a pour sanction pratique une bonne note aux examens. Il y a des laboratoires où les élèves restent six mois de suite en observation avant qu’on leur permette le moindre travail personnel. Au contraire, les laboratoires qui ne délivrent aucune espèce de diplôme sont désertés par les étudiants ; et les directeurs officiels de ces laboratoires se trouvent à peu de chose près dans les mêmes conditions qu’un psychologue indépendant et sans attaches universitaires : ils doivent chercher en dehors du laboratoire leurs matériaux d’étude. » (Binet & Vaschide, 1898a).

59Forcé de quitter le laboratoire pour développer son programme, Binet va rechercher une nouvelle population à étudier. Après avoir tenté des essais sur des bénévoles, il dut se résoudre à prendre comme sujets d’expérience les enfants des écoles. Cette solution a été choisie pour des raisons essentiellement pratiques liées à la facilité d’accès aux écoles de l’enseignement primaire mais il faut avouer que Binet était depuis longtemps aussi intéressé par la psychologie de l’enfant. Les expériences ont été réalisées durant le printemps 1897 (février à juin) sur 40 enfants d’une école primaire de Paris âgés de 12 à 13 ans et sur de jeunes élèves-maîtres de l’École normale de Versailles. Les principaux résultats ont montré que l’épreuve du dynamomètre était un bon indicateur de la force musculaire et que la relation entre l’ordre intellectuel et l’ordre physique est de nature complexe. Si ce ne sont pas les élèves les plus vigoureux qui ont la meilleure mémoire des chiffres, prise ici comme exemple de développement intellectuel, les auteurs ne pensent pas qu’il n’y ait aucune relation entre le développement physique et le développement intellectuel. Mais ces conclusions seront critiquées à cause de la présence d’erreurs numériques dans les publications de Binet et Vaschide (cf. Franz, 1898).

Le sommeil du Laboratoire : 1897-1911

60L’année universitaire 1897-1898 marque une date importante qui a certainement eue pour conséquence de pousser Binet à effectuer des recherches hors du laboratoire de la Sorbonne. En effet, c’est à cette époque que Charles Henry (1859-1926), maître de Conférences à l’EPHE depuis 1892 et intégré dans l’équipe de Binet, obtint une dissociation du laboratoire de la Sorbonne et la création pour lui d’un laboratoire distinct de physiologie des sensations dont Jules Courtier devint le chef des travaux (puis en 1911 le Directeur adjoint). Il garda une partie du laboratoire dirigé par Binet, l’entrée restant commune. Binet et Philippe demeurèrent donc seuls, comme fonctionnaires du laboratoire de psychologie physiologique, et cela jusqu’à la mort de Binet. Philippe n’avait pas participé très activement au grand mouvement de recherches initial. N’ayant qu’un traitement très modeste, il dut prendre un poste de professeur et se contenta bientôt de venir au laboratoire dans l’après-midi du jeudi où se concentrait la vie de toute la semaine (Piéron, 1939). De plus, Binet se sépare l’année suivante (1898) de Vaschide pour des raisons personnelles et scientifiques (cf. Huteau, 2008) et Henri qui était revenu d’Allemagne avec un doctorat de psychologie ne trouvait pas de poste dans la recherche et avait décidé de rejoindre le laboratoire de physiologie d’Albert Dastre (1844-1917) à la Sorbonne pour préparer une nouvelle thèse. En 1898, Binet n’a plus de collaborateurs de valeur intéressés par poursuivre ses recherches dans le champ de la psychologie individuelle. Les publications ultérieures de L’Année Psychologique vont refléter le changement progressif de l’activité de Binet qui, de plus en plus, se préoccupera exclusivement de la psychologie de l’enfant. Le laboratoire à cette date ne restait ouvert que le jeudi après-midi. Henri Piéron (1939) a raconté l’histoire de son premier contact (1899) avec Binet qui se défiait des gens qui n’étaient pas des passionnés. Pour ce faire, il imposait aux nouveaux élèves des expériences ingrates destinées à leur apprentissage mais aussi à juger leurs capacités à la recherche et leur motivation pour des travaux dans le domaine de la psychologie.

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« Dans la grande salle où l’on attendait d’être reçu par Binet, Jean Larguier des Bancels [1876-1961] faisait à ce moment des recherches ergographiques, avec le norvégien Aars, sur une immense table noire qui est toujours à la même place depuis 50 ans et qui constituait un héritage du vieux mobilier de la salle d’examen. L’accueil de Binet était froid et réservé. Ses propos n’étaient pas très encourageants, et on peut même dire qu’ils étaient destinés à décourager tous ceux qui n’avaient pas une foi assez ardente pour surmonter les obstacles dressés sur leur route. Binet se défiait des amateurs, des curieux, qui abandonnaient vite, après avoir fait perdre du temps, des expériences en somme ingrates. Je me montrai assez décidé pour être admis aux jeudis de la Sorbonne et je fus mis à l’épreuve des temps de réaction, en commun avec un philosophe attiré aussi par la science et qui devait faire sa carrière à l’Institut Pasteur, Georges Abt [1874-1961]. » (Piéron, 1939, p. 191)

63Binet consacrera de plus en plus son activité de recherche au développement de la psychologie de l’enfant. Beaunis regretta amèrement par la suite que Binet se soit de plus en plus éloigné du laboratoire de la Sorbonne et des méthodes qui avaient déterminé sa création. Les deux hommes entretinrent néanmoins des relations amicales comme en témoigne la communication internationale sur la première version de l’échelle métrique de l’intelligence (Binet et Simon, 1905) présentée par Beaunis le 28 avril 1905 au cinquième Congrès International de Psychologie tenu à Rome. Quelques mois plus tard, Binet va officialiser sa présence dans les écoles en créant en octobre 1905 un laboratoire de pédagogie expérimentale à l’École de la rue Grange-aux-belles (Binet, Simon & Vaney, 1906).

Henri Piéron (1881-1964) : le troisième directeur du laboratoire

64La mort d’Alfred Binet survenue en 1911 faillit bien conduire à la disparition du laboratoire de Psychologie physiologique de la Sorbonne. Ses adversaires étaient toujours là et la lenteur mise par le ministre à donner un successeur à Binet favorisait leur critique. Les uns demandaient sa suppression, tandis que les autres, plus dangereux et plus habiles, demandaient sa transformation, ce qui équivalait en somme à une suppression déguisée. Liard n’était plus directeur de l’Enseignement supérieur, il ne pouvait plus défendre efficacement sa création. Dans ses Mémoires, Beaunis raconte qu’il fut prévenu à temps du danger par le chef des travaux du laboratoire, Jean Philippe, et fit tout son possible pour sauver l’œuvre à laquelle il tenait tant. Il écrivit à Liard, alors Vice-recteur de l’Académie de Paris, au nouveau directeur de l’Enseignement supérieur, Charles Bayet (1849-1918), à quelques membres de la commission du budget et à quelques personnalités scientifiques qu’il savait favorables au projet. C’est Henri Piéron (1881-1964) qui fut choisi pour diriger l’ancien laboratoire de Binet. Piéron avait travaillé quelque temps (1899-1900) sous la direction de Binet en tant que chercheur néophyte, mais attiré par Nicolas Vaschide, il avait préféré le nouveau laboratoire de psychologie expérimentale créé par Édouard Toulouse (1865-1947) (pour une biographie : Huteau, 2002) à l’hôpital de Villejuif. Piéron fut nommé préparateur en 1901, chef de travaux appointés en 1907 et maître de Conférences à l’EPHE, ce qui lui permit d’organiser un enseignement de psychologie scientifique.

65Le laboratoire fut maintenu avec son titre (laboratoire de Psychologie physiologique) avec, comme directeur Henri Piéron, et comme Directeur adjoint, Jean Philippe. L’orientation que Piéron avait imprimé au laboratoire satisfaisait pleinement Henry Beaunis comme en atteste le texte de ses Mémoires. Cependant, la bataille pour la succession fut rude. Voici comment s’exprime Piéron à ce sujet :

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« C’est en octobre 1911 que l’on apprit la mort, très prématurée, de Binet, atteint d’une tumeur cérébrale, à l’âge de 54 ans. À ses obsèques, son cousin, Eugène Gley [1857-1930], professeur au Collège de France, qui m’avait donné maintes preuves d’estime et de sympathie, voulut bien me dire que j’étais à son avis le successeur désigné du maître disparu. Mais, pour ma part, j’envisageais seulement, d’accord avec Ed. Toulouse, la fusion du Laboratoire de la Sorbonne avec celui de Villejuif, dont, étant alors maître de Conférences, je serais devenu Directeur adjoint. Mais d’autres projets s’étaient fait jour et diverses candidatures avaient été posées. Pierre Janet [1859-1947], rappelant que le Laboratoire était destiné à appuyer la chaire du Collège de France, pensait en prendre la direction, mais son orientation parut trop exclusivement pathologique à Liard qui, devenu Recteur, continuait à s’intéresser au laboratoire de la Sorbonne qu’il avait créé et qu’il tenait à voir maintenu dans la direction physiologique initiale. Pour une raison analogue, Liard était hostile au projet de fusion avec le laboratoire de Villejuif, et il me fit dire que je devais poser ma candidature, à côté de celles de J. Philippe, de Th. Simon, et de Revault d’Allonnes. Ce fut en ma faveur que se prononça le directeur de l’Enseignement supérieur Bayet, mais le Ministre, sollicité de divers côtés, hésitait à nommer le plus jeune des candidats. Divers projets furent conçus et abandonnés pendant que quelques ministres se succédaient sous l’action du jeu parlementaire. Enfin l’arrêté, prêt depuis plusieurs mois, fut signé en 1912, et j’eus la grande joie d’entrer comme chef responsable dans ce laboratoire, dont J. Philippe devenait Directeur adjoint. Mais l’impression d’abandon que j’éprouvais en y entrant ne fut pas sans abattre une partie de cette joie. L’électricité n’avait jamais été installée dans le local de la nouvelle Sorbonne ! Il fallait renoncer à travailler quand la nuit venait ; il n’y avait pas de crédit prévu pour le service ; le crédit normal d’entretien était resté misérable. Le matériel était celui qu’avait constitué Beaunis, il n’avait pas été accru ni renouvelé, la bibliothèque n’avait toujours que son fond initial et les Bulletins du laboratoire ne s’y trouvaient même pas ; il n’y avait pas une seule des Année Psychologique, ce périodique essentiel, dont l’éditeur Masson me confiait à ce moment la direction » (Piéron, 1939, pp. 193-194).

67Il fallut à Henri Piéron un gros effort pour obtenir des crédits, pour équiper le local, accroître le matériel, reconstituer la bibliothèque et attirer de futurs chercheurs. Une lettre du ministère datée du 21 décembre 1912 précisera : « Un crédit extraordinaire de 1 000 francs vous a été ouvert sur le chapitre 24 du budget de l’exercice 1912 pour solder en 1912 les frais de première installation du laboratoire de psychologie physiologique de l’École Pratique des Hautes Études placé sous votre direction. Cette décision est prise à titre tout à fait exceptionnel et ne constitue en aucun cas un précédent pour l’avenir ». Son amitié avec Édouard Toulouse lui permit, dans cette période de transition, d’utiliser encore tout l’équipement du Laboratoire de Villejuif où Piéron poursuivit encore certaines recherches et continua ses cours et ses démonstrations pratiques au laboratoire de Villejuif.

68Après la guerre, ce fut une période de grand essor grâce à l’appui de l’Académie des Sciences et de la Caisse des Recherches Scientifiques (Piéron, 1939). La création en 1920 par Piéron de l’Institut de Psychologie à l’Université de Paris (cf. Nicolas, 2002), commun aux facultés des Lettres et des Sciences, permit l’organisation (pour la préparation de ses diplômes) au Laboratoire de travaux pratiques de psychologie. Pour cela, il obtient une nouvelle salle qui agrandira le laboratoire initial. Ignace Meyerson (1888-1983) fut nommé préparateur en 1921 puis Directeur adjoint en 1923 après le départ à la retraite de Jean Philippe. Marcel François (1899-1937) deviendra le nouveau préparateur. Lorsque fut créée en 1923, au Collège de France, une chaire de physiologie des sensations pour Piéron, le laboratoire associé à cette chaire, faute de place dans les locaux du Collège, fut provisoirement hébergé dans les locaux du laboratoire de la Sorbonne, dont l’exiguïté posait tous les jours les problèmes les plus aigus, en raison du nombre des collaborateurs et d’élèves qui devaient se disputer la place pour pouvoir poursuivre leurs travaux (Piéron, 1939). Lorsque Charles Henry atteignit l’âge de la retraite, en 1925, les locaux du laboratoire de Physiologie des sensations furent attribués à Piéron. Ainsi, les deux laboratoires de l’EPHE furent réunis ; l’unité primitive fut rétablie et le nom du laboratoire de l’EPHE fut ainsi celui de « Laboratoire de Psychologie expérimentale et Physiologie des sensations ». À la même époque (1926) un second directeur adjoint, Alfred Fessard (1900-1982), fut nommé au laboratoire aux côtés de I. Meyerson.

69C’est grâce au laboratoire de Psychologie physiologique que Piéron put héberger les nouveaux chercheurs que ne manque pas d’attirer sa présence au Collège de France. En même temps, un poste d’assistant pour le laboratoire du Collège de France fut confié à Gustave Durup. Si Piéron obtint encore une extension des locaux, celle-ci devait rapidement se révéler insuffisante car le laboratoire dut abriter en 1928 le service des recherches psychologiques, dirigé par Mme Piéron, et les séances de travaux pratiques de l’Institut national d’Orientation professionnelle dont Piéron avait obtenu la création avec la collaboration d’Henri Laugier (1888-1973) et de Julien Fontègne (1879-1944). Ainsi jusqu’en 1938, les locaux de la Sorbonne abritèrent le Laboratoire unifié de l’EPHE, le laboratoire d’enseignement de l’Institut de psychologie de l’Université de Paris, le laboratoire du Collège de France, le service des recherches psychologiques et le laboratoire d’enseignement de l’Institut national d’Orientation professionnelle (Oléron, 1966). L’installation de locaux au Collège de France pour le laboratoire de la chaire de physiologie des sensations en 1938 et la construction de l’Institut national d’Orientation professionnelle, achevée début 1939, permirent de décongestionner le vieux laboratoire dont la réfection n’avait jamais été entreprise depuis sa fondation par Beaunis. À la veille de la guerre 1939-1945, les locaux de la Sorbonne restaient encore communs à l’Institut de psychologie et à l’EPHE (pour un historique : Nicolas, 2002).

Paul Fraisse (1911-1996) : quatrième directeur du laboratoire

70Lorsque la guerre éclate, les chercheurs du laboratoire sont mobilisés. Parmi eux on trouve Paul Fraisse (1911-1996) qui avait intégré le laboratoire en 1937 après avoir effectué des recherches sur le rythme à l’Université de Louvain sous la direction du professeur Albert Michotte (1881-1965). De son côté, Piéron acceptera de prendre la direction d’un service de sélection des pilotes dans le cadre de l’inspection médico-physiologique de l’Armée de l’Air. Il part alors à Mérignac accompagné par A. Fessard, G. Durup et G. Bernyer en emportant une grande partie du matériel du laboratoire. Ainsi de nombreux appareils seront soustraits plus tard à la convoitise des Allemands et mis à l’abri dans les locaux prêtés par le Recteur de l’Université de Bordeaux. Après l’armistice de 1940, Piéron décide de revenir à Paris. Il sera privé de la collaboration de I. Meyerson frappé par les lois raciales qui se réfugie à Toulouse où il restera comme professeur après la guerre jusqu’à sa nomination comme directeur à la 6e section de l’EPHE.

71En dépit de toutes les difficultés, la vie du laboratoire reprend ainsi que l’enseignement de l’Institut de psychologie toujours partie intégrante du laboratoire. En 1941, Yves Galifret entre au laboratoire pour aider Piéron dans ses recherches ; en 1942, P. Jampolsky viendra à son tour et étudiera le mouvement optométrique. Paul Fraisse revient de captivité en 1943 et devient Directeur adjoint à l’EPHE (1943-1952). Piéron lui confiera le soin de développer à nouveau les recherches de psychologie expérimentale, lui, restant personnellement orienté vers les recherches de physiologie des sensations qui se poursuivent dans son laboratoire au Collège de France où il a maintenant des locaux. Fraisse est alors chargé des conférences de psychologie expérimentale. Il réorganise les travaux pratiques du diplôme de psychologie expérimentale. Il lui sera également confié en 1945 les travaux pratiques du certificat de psychophysiologie créé en 1944 à la Faculté des Sciences sous l’impulsion de Piéron et P. Grassé. C’est en septembre 1945 que Geneviève Oléron est appelée comme collaboratrice technique au CNRS à aider Paul Fraisse dans ses recherches et dans la préparation des travaux pratiques.

72En 1947, après avoir passé le diplôme de psychologie expérimentale de l’Institut, deux nouveaux chercheurs entrent au laboratoire, Pierre Oléron, qui sous la direction de Piéron va commencer ses études sur le rôle du langage dans le développement de l’intelligence et Vincent Bloch, qui sous la direction de Fraisse s’intéressera aux conduites émotives en relation avec le réflexe psycho-galvanique (il s’orientera plus tard vers la psychologie animale). Cependant les mêmes locaux ne peuvent plus servir à la fois aux recherches et à l’enseignement pratique. Le laboratoire obtient la construction de deux nouvelles pièces en surélévation au-dessus du palier de la salle Y. Elles sont occupées par de nouveaux chercheurs : Madeleine Jampolsky et Germaine de Montmollin qui s’orientera vers la recherche en psychologie sociale expérimentale.

73C’est en 1952 que Paul Fraisse succède à Henri Piéron comme directeur du Laboratoire EPHE qui prend le titre de laboratoire de « Psychologie expérimentale et comparée » (Oléron, 1966). Il est nommé Maître de conférences en psychologie expérimentale (1957) puis l’année suivante professeur de psychologie expérimentale à la Sorbonne (pour un historique : Nicolas, 2002). C’est en 1959 que l’université achète l’ancien hôtel des Sociétés savantes, localisé au 28 rue Serpente. Pierre Oléron (1915-1995) qui vient d’être nommé professeur de psychologie génétique à la Sorbonne fonde un laboratoire et intègre les locaux laissés vacants par le départ de Paul Fraisse qui a installé son laboratoire à l’hôtel des sociétés savantes. C’est dans ce lieu que seront formés à la recherche, entre les années 1960 et 1980, toute une génération de psychologues qui ont marqué ou marquent encore l’histoire de la psychologie expérimentale française (pour une liste voir Nicolas, 2002, p. 280-283). Lors de son départ à la retraite, Fraisse a laissé en héritage le plus ancien laboratoire de psychologie expérimentale en France et la plus prestigieuse revue française de psychologie : L’Année psychologique. En 1979, il abandonne en effet la direction du vieux laboratoire EPHE de « Psychologie expérimentale et comparée » qui est d’abord confiée à Geneviève Oléron (1979-1983) puis à Marie-France Ehrlich (1984-2000) qui va en changer l’appellation (Laboratoire de psychologie cognitive de la communication) comme d’ailleurs son successeur Francis Eustache (Laboratoire de neuropsychologie cognitive et neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire humaine). Ce laboratoire EPHE sera associé pendant de très nombreuses années au laboratoire de psychologie expérimentale de l’université Paris Descartes (Paris V) dirigé successivement par Georges Noizet (1979-1984), par Claude Bonnet (1984-1992) puis par Juan Segui (1993-2001), avant d’être délocalisé plus récemment sur l’université de Caen.

Conclusion : l’héritage de Binet

74Voici ce qu’a écrit Piéron (1912, p. 245) sur Binet après sa nomination comme directeur au laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne :

75

« S’il n’occupa point dans les hiérarchies officielles le rang qui aurait dû lui revenir, Alfred Binet représenta le mieux aux yeux de l’étranger la psychologie scientifique française dont il fut un des premiers et un des plus fidèles pionniers. Si son inlassable activité l’entraînait parfois vers la littérature, et surtout vers le théâtre où ses qualités psychologiques lui valurent de réels succès, – comme celui de l’Homme mystérieux, en collaboration avec André de Lorde, – le plus clair de son travail était toujours la recherche psychologique ; et il ambitionnait de s’essayer à toutes les méthodes psychologiques, d’apporter sa contribution dans tous les domaines qui s’ouvrent à l’étude de l’esprit… Binet fut surtout un “découvreur” ; il se sentit attiré de trop de côtés pour se livrer exclusivement à une catégorie de recherches, s’acharner à approfondir un sillon unique. À coup sûr certains de ses travaux ne sont pas définitifs, certaines de ses idées sont discutables, et comment en serait-il autrement dans des domaines nouveaux et presque inexplorés ? Mais bien des faits établis avec cette conscience, cette honnêteté scientifique si précieuse qui le caractérisaient, sont aujourd’hui acquis ; bien de ses suggestions ouvrirent des voies nouvelles… à l’étranger, car il eut peu d’élèves en France. La psychologie française, qui ne peut opposer que bien peu de noms à la cohorte des savants allemands ou américains, perd en Alfred Binet un de ceux qui lui ont le plus fait honneur. »

76Binet demeure encore aujourd’hui une figure incontournable de l’histoire de la psychologie, son nom étant connu de tous les psychologues à travers le monde. En France, s’il existe un héritage de Binet il faut le chercher dans l’esprit actuel de la recherche scientifique en psychologie. On a vu que les successeurs directs de Binet ont été Piéron et Fraisse qui ont conservé la direction de la structure du laboratoire EPHE d’origine. Mais nombreux sont ceux aujourd’hui encore qui se réclament les héritiers de la tradition Binet-Piéron-Fraisse. Cette tradition s’est construite avec les années grâce aux liens qui ont pu être établis entre l’EPHE, l’Université de Paris et le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique). Il serait en effet illusoire de rechercher une filiation par le biais de la structure de recherche (EPHE) et/ou par le biais de son implantation géographique (Sorbonne). Il est clair que les politiques actuelles de la recherche, où de nombreux partenaires sont impliqués (Universités, CNRS, INSERM), ne permettent plus de conserver des laboratoires historiques, comme celui de Binet. Ce laboratoire a été mais il n’est plus, l’évolution dans les intitulés le montre bien. Il ne s’agit pas alors de savoir quelle est la structure qui pourrait encore prétendre utiliser le nom de « Laboratoire Binet » mais quelles sont celles qui peuvent ou pourraient en revendiquer l’héritage ; et il en existe déjà plusieurs à Paris même qui gardent l’esprit de la discipline expérimentale initié par Binet et développé par Piéron dans les locaux de la Sorbonne, puis par Fraisse et ses successeurs dans les locaux de la rue Serpente. Institutionnellement, le laboratoire de Binet a disparu depuis longtemps mais son héritage en termes de conception de la discipline ne cesse d’exister.

77Reçu le 25 octobre 2010.
Révision acceptée le 13 mars 2011.

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  • Vaschide, N. (1898). Un laboratoire de psychologie à Paris. Revue des Revues, 24, 249–257.
  • Wolf, T.H. (1973). Alfred Binet. Chicago: University of Chicago Press.
  • Wundt, W. (1874). Grundzüge der physiologischen Psychologie. Leipzig: Engelmann (traduction française par E. Rouvier, Eléments de psychologie physiologique. Paris: Alcan).

Date de mise en ligne : 01/11/2017

https://doi.org/10.3917/anpsy.112.0291

Notes

  • [1]
    Le professeur Bernard Andrieu a retrouvé à la Bibliothèque Universitaire de Nancy l’ensemble des 6 volumes (872 pages) constituant les Mémoires inédits de Beaunis. Il y a une quinzaine d’années, l’un de nous (S. N.) a eu l’opportunité d’en consulter des extraits photocopiés mais n’avait pas cherché à les localiser, occupé par d’autres travaux importants. Plus récemment, Marcel Turbiaux (2002) a publié in extenso la partie consultée. Bernard Andrieu (2009) a récemment publié dans un ouvrage le sommaire et des extraits de ces mémoires qui ont porté sur la période nancéenne 1872-1894. Nous formons le vœu que l’ensemble des Mémoires inédits de Beaunis soit bientôt accessible à un large public.

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