Notes
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[1]
La dualité fait référence au caractère de ce qui est double alors que le dualisme fait référence à la coexistence de deux principes différents.
1. – Introduction
1Lorsque nous évoluons librement dans notre environnement, notre posture et notre locomotion s’adaptent très souplement et sans que nous en ayons conscience au terrain sur lequel nous nous déplaçons. Le moindre de nos gestes est effectué sans incident et de manière complètement en phase au but fixé. Nous n’essayons pas d’atteindre des objets inatteignables, nous n’essayons pas de nous asseoir sur des meubles trop haut ou trop bas, nous n’essayons pas de marcher sur des surfaces impropres au déplacement comme l’eau. Même le nourrisson, avant la phase cruciale de la coordination vision-préhension qui apparaît vers 4-5 mois, ne passe pas par un état où il serait animé de mouvements incoercibles car non en phase avec sa perception. Mis à part certains âges charnières (coordination vision-préhension, l’âge de l’acquisition de la marche et le 3e âge) et certaines pathologies (p. ex. chorée), les chutes, les buts non atteints sont finalement extrêmement rares face au très grand nombre de gestes réalisés quotidiennement avec succès. Aucun mouvement superflu qui semblerait d’ailleurs ridicule ne vient casser, généralement, l’harmonie qui règne au cœur de nos interactions avec notre environnement.
2La perception juste des conséquences de ses actions à venir est au cœur de cet ajustement entre la perception et l’action. Par ajustement, nous voudrions traduire cette justesse et économie d’action qui est finalement réalisée par rapport au très grand nombre de possibilités d’actions qui pourraient être réalisées. L’affordance, néologisme proposé par le psychologue américain James Jerome Gibson, traduit fidèlement cette faculté de l’homme, et de l’animal en général, à guider ses comportements en percevant ce que l’environnement lui offre en termes de potentialités d’actions. Ce néologisme vient en fait du verbe anglais to afford qui peut se traduire comme offrir, permettre, fournir. Ce concept, ces dernières années, a été utilisé de manière croissante et, de plus, dans des disciplines connexes à la psychologie de la perception : philosophie, ergonomie, psychologie sociale, neurosciences, sciences cognitives et robotique. Mais le concept d’affordance reste difficile à définir. Par ailleurs, ces deux dernières décennies ont vu l’émergence de nouvelles approches de la perception fortement ancrées sur l’action comme celle proposée par Kevin O’Regan (O’Regan, 1992 ; O’Regan & Noë, 2001). Le concept d’enaction est également apparu, proposé par le psychologue Jerome Bruner (1966) puis repris dans les sciences cognitives par Francisco Varela, biologiste, neurologue et philosophe (voir Varela, Thompson & Rosch, 1993) et Alva Noë (2004). L’enaction ou cognition incarnée est un concept qui lie non seulement la perception et l’action mais la cognition à ces deux autres. L’enaction a récemment réactivé très fortement le débat entre les théories inférentielles de la perception (internalisme) et les théories areprésentationnelles (externalisme) (voir à ce sujet, le numéro d’Intellectica, 2006/1, n° 43). Compte tenu de cette opposition théorique toujours aussi vivace, il est important aujourd’hui dans le champ de la psychologie de la perception, d’avoir une idée claire des principes de base de la théorie plus ancienne, fondatrice, proposée par Gibson et du concept d’affordance qui en découle. C’est pourquoi, nous proposons, dans cette revue, une synthèse sur la notion d’affordance, des postulats de base de la théorie écologique aux récentes formalisations du concept. Nous présenterons tout d’abord les postulats de base de la théorie écologique qui permettent de comprendre la notion d’affordance (section 2). Dans la section 3, nous exposerons la notion d’affordance. Dans la section 4, nous exposons la nouvelle conception basée sur la neurophysiologie qui considère la voie dorsale comme la voie des affordances. Enfin, dans la section 5, les différentes formalisations des affordances seront présentées.
2. – Le point d’ancrage du concept d’affordance : les postulats de base de la théorie écologique de la perception
3L’affordance est un concept qui ne peut être compris qu’en référence éclairée avec les principaux postulats de la théorie « révolutionnaire » de la perception que proposa James Jerome Gibson (1904-1979), un psychologue américain, dans les années 1970. Cette théorie, finalisée dans l’ouvrage phare de 1979 (Gibson, 1979/1986), trouve, en fait, ses principes fondateurs dans deux ouvrages antérieurs, celui de 1950 et celui de 1966.
2.1. – Présentation de la théorie écologique
4Plusieurs dénominations existent pour nommer la proposition théorique faite par Gibson : théorie écologique de la perception, théorie de la saisie d’information (theory of pickup of information) ou encore théorie de la perception directe. Elle a été qualifiée d’« écologique » par Gibson lui-même. « Écologique » est à prendre dans le sens d’adaptation de l’animal à son milieu. L’écologie, terme proposé par Ernst Haeckel (1834-1919 ; voir Axelrod, 1993) peut se définir, en effet, comme le rapport triangulaire entre les individus d’une espèce, l’activité organisée de cette espèce et l’environnement de cette activité. L’environnement est à la fois le produit et la condition de cette activité, et donc de la survie de l’espèce. Dans la théorie écologique, l’environnement est pris donc au sens de « niche écologique » et n’est pas synonyme de « monde extérieur ».
5Par rapport aux approches traditionnelles de la perception, Gibson propose ainsi d’étudier la perception en tant que moyen d’adaptation pour l’animal. La perception ne doit pas être un fait de laboratoire, elle s’inscrit avant tout dans l’interaction entre l’organisme et sa niche écologique et dans les apports mutuels entre la perception et l’action. De ces deux postulats fondamentaux, piliers de la théorie à savoir (i) le lien mutuel ou réciprocité entre l’animal et l’environnement et (ii) l’indivisibilité entre la perception et l’action, naîtront des paradigmes expérimentaux adaptés et une compréhension tout à fait nouvelle du processus perceptif.
2.2. – Le lien mutuel ou la réciprocité entre l’animal et son environnement
6Le « monde extérieur » peut être appréhendé, mesuré dans une échelle extrinsèque, de manière absolue et exprimé en unités de mesure classiques utilisées par la physique. L’environnement (niche écologique) ne peut être décrit qu’en rapport à une espèce donnée, voire un animal donné et ceci dans une échelle intrinsèque, relative, car c’est l’animal qui est pris comme référence (son poids, sa taille, sa fatigue, sa motivation…). Le système animal-environnement (animal-environment system) constitue l’unité fondamentale d’analyse de l’approche écologique et résulte du postulat de lien mutuel ou de réciprocité entre l’animal et son environnement (mutuality of the organism and its environment). Cette réciprocité entre l’organisme et son environnement (système animal-environnement) est le lieu d’émergence du processus perceptif.
2.3. – L’indissociabilité entre la perception et l’action
7Le premier postulat définit donc le lieu où prend place la perception, à savoir le système animal-environnement. Le deuxième postulat, l’indissociabilité entre la perception et l’action, définit, quant à lui, ce qui cause, ce qui permet la perception. En effet, il est trivial de constater que la réalisation d’un acte moteur volontaire dans le but d’atteindre un objectif, comme saisir un objet ou se déplacer dans l’environnement vers un lieu précis, est sous la dépendance de la perception et de sa précision. En revanche, ce qui est moins évident, c’est l’apport direct de l’action dans le processus perceptif. En opposition aux « sens » traditionnels, c’est-à-dire la proposition d’organes récepteurs passivement stimulés par les énergies, Gibson introduit en 1966 la notion de systèmes perceptifs (perceptual systems). Cette notion est à comprendre dans le sens de « systèmes perceptivo-moteurs ». Les micro-mouvements des yeux, les déplacements de l’observateur, échantillonnent, dynamisent les patterns d’énergies qui vont se structurer en « information » et rendre possible la perception. C’est le cas, par exemple, en vision, de la parallaxe de mouvement (pour une revue, voir Wexler & van Boxtel, 2005). Un autre exemple édifiant est celui du toucher dynamique (dynamic touch) mis en évidence par Turvey (voir Turvey, 1996). Turvey montre que le fait de balancer activement, dans le champ gravitaire, un objet tenu dans la main, ceci, sans le recours à la vision, informe non seulement sur la masse de l’objet mais également sur des propriétés telles que la longueur ou la forme. Dans son paradigme, la main tient seulement l’objet à une de ses extrémités. Ainsi, ce n’est pas l’exploration haptique (tactilo-kinesthésique) par les doigts de la main qui permet de percevoir longueur et forme mais les dynamiques complexes du mouvement. L’action rend donc possible la perception.
8L’indivisibilité entre la perception et l’action met le corps agissant, ou en tout cas, capable de mouvements dans l’environnement, au centre du phénomène perceptif sinon à l’origine. On est frappé par la similitude avec les conceptions philosophiques de Maurice Merleau-Ponty, philosophe français (1908-1961), phénoménologue, dont la théorie de la Gestalt, à l’instar de Gibson, a indéniablement inspiré l’œuvre. L’indivisibilité entre la perception et l’action peut être ainsi rapprochée de l’inhérence de la conscience et du corps chez Merleau-Ponty pour qui le primat de la perception signifie un primat de l’expérience, dans la mesure où la perception revêt une dimension active et constitutive.
La perception est donc un paradoxe, et la chose perçue elle-même est paradoxale. Elle n’existe qu’en tant que quelqu’un peut l’apercevoir. Je ne puis même pour un instant imaginer un objet en soi. Comme disait Berkeley, si j’essaie d’imaginer quelque lieu du monde qui n’ait jamais été visité, le fait même que je l’imagine me rend présent à ce lieu ; je ne peux donc concevoir de lieu perceptible où je ne sois moi-même pas présent. (Merleau-Ponty, 1947/1996, p. 49).
10L’horizon visuel confirme à la fois l’inhérence entre le corps (l’action ?) et la perception, et l’inhérence entre l’animal et son environnement. L’horizon visuel n’est, en effet, ni une propriété de l’environnement ni une propriété de l’organisme. C’est une perception émergente, issue de la coexistence entre un point de vue naturel (œil) ou artificiel (p. ex. appareil photographique, caméra) et la perception de la rupture entre la terre (substance) et l’air (milieu) à l’infini. A l’instar du mirage, l’horizon n’est pas une illusion de l’esprit et peut être photographié. L’horizon coïncide avec la hauteur des yeux de l’observateur (naturel ou artificiel) et varie en fonction de la hauteur de ce dernier par rapport au sol. L’horizon n’a donc pas d’existence absolue. Si tout point de vue possible (naturel ou artificiel) était supprimé de la surface terrestre, il n’existerait plus d’horizon, ceci, contrairement à la gravité, propriété du monde physique, qui perdure quelle que soit la présence ou pas del’observateur.
2.4. – Une théorie de la perception directe par opposition aux approches inférentielles de la perception
11La théorie écologique s’oppose aux autres approches, pour lesquelles la perception est le produit avant tout d’une construction mentale sur la base des sensations et donc est un fait principalement de l’animal (mind is in the brain). Ces approches cognitivistes ou constructivistes sont qualifiées de théories inférentielles ou théories indirectes de la perception (voir Epstein, 1995 ; Fodor & Pylyshyn, 1981 ; Gregory, 1966, 1970, 1993 ; Haber & Hershenson, 1973 ; Lindsay & Norman, 1977 ; Marr, 1982 ; Neisser, 1967 ; Rock, 1977, 1983, 1997 ; Solso, 1979 ; Ullman, 1980). On peut, en effet (Delorme, 1994), les faire découler du concept d’inférence inconsciente proposé par Hermann von Helmholtz (1821–1894). Ce dernier a pointé l’importance des connaissances antérieures dans la perception qui est considérée avant tout comme un processus mental actif d’inférence. L’inférence est un processus de déduction amenant à une conclusion, à partir des connaissances du monde acquises par expérience. La perception ferait ainsi appel (inférence inconsciente) à des connaissances antérieures (stockées en mémoire sous la forme de représentation) pour interpréter les données issues de nos systèmes sensoriels, nos sens (voir Helmholtz, 1867/1989).
12Alors que les précédents courants considèrent la perception comme un processus interne, l’approche écologique considère la perception comme un processus émergeant du système animal-environnement. La perception émerge au niveau du prélèvement de l’information et non pas dans l’animal. En d’autres termes, la perception est un processus d’extraction par l’action, par l’exploration, d’informations dans l’environnement. Ce n’est pas un processus interne d’interprétation, d’inférence à partir de stimuli en provenance du monde extérieur et sollicitant nos sens (stimulation-énergie ou stimulus). L’information, ou plus justement la stimulation-information, n’est ni une propriété de l’environnement ni une propriété de l’animal, elle est ce que l’animal, par son action fait émerger de l’environnement et qu’il saisit.
13Le stimulus est défini traditionnellement comme l’intensité de l’énergie suffisante produisant l’excitabilité du récepteur et la décharge de potentiels d’action au niveau de la fibre afférente. L’idée selon laquelle c’est la stimulation des récepteurs (stimulation-énergie ou stimulus) qui est à la base de la perception est rejetée. En revanche, c’est la structure des configurations énergétiques ambiantes (optique, mécanique, acoustique) qui stimulent les récepteurs (visuels, vestibulaires, auditifs) et qui fournit l’information pour la perception (stimulation-information). C’est la richesse de la structure spatio-temporelle de l’énergie et non l’intensité suffisante d’une énergie donnée qui est le point de départ du processus perceptif.
14L’invariant est défini par Gibson comme une variable de haut niveau (high-order variable). Il se distingue des variables de bas niveau qui elles peuvent donner lieu à des sensations (colorées, de contraste et autres). Par exemple, visuellement, les différentes configurations optiques provoquées par le mouvement de l’observateur génèrent des changements en fonction du temps et au niveau de l’arrangement spatial. L’invariant est l’entité stable et constante dans les différentes configurations et flux optiques en changement. L’invariant est ce qui ne change pas en dépit des autres transformations spatio-temporelles dans le flux des énergies. L’invariant est ce qui est saisi par les systèmes perceptifs.
15Les invariants que l’on nomme structuraux informent l’individu sur les propriétés constantes des surfaces et sur leur organisation dans l’environnement : position, forme, taille, composition. Par exemple, même si l’observateur se déplace, l’organisation des surfaces dans l’environnement, leurs couleurs ne changent pas. Au cours du temps, malgré les changements de coiffure, de vêtements et de contexte, une personne familière sera la plupart du temps, reconnue. Les invariants structuraux spécifient cette persistance. Ce sont en quelque sorte des invariants « statiques ».
16Les différentes transformations du flux optique présentent aussi des caractéristiques invariables qui fournissent de l’information à l’observateur. Ainsi, les invariants qu’on appelle transformationnels se manifestent par un style de changement dans le flux optique qui est préservé en présence du déplacement de l’observateur et/ou de l’environnement. Ces invariants « cinématiques » fournissent de l’information à l’observateur sur l’état de sa relation avec son environnement. Ils le renseignent ainsi sur la nature de ses déplacements mais également sur la nature des déplacements d’éléments de l’environnement par rapport à lui (Gibson, 1961 ; Michaels & Carello, 1981 ; Pittenger & Shaw, 1975 ; Regan & Gray, 2000 ; Srinivasan, 1998 ; Warren, 1998). À partir de là, des règles élémentaires pour le contrôle de l’action peuvent être extraites de la relation de cause à effet entre l’invariant et le déplacement générant le flux optique. Ainsi, le déplacement de l’observateur qui génère un flux optique spécifie la locomotion alors que l’absence de flux spécifie l’immobilité. De même, lors d’un déplacement rectiligne, le flux en expansion engendré dans la direction du déplacement spécifie l’approche, alors que le flux en contraction dans la direction opposée va spécifier l’éloignement.
17À une définition quantitative (intensité suffisante de l’énergie), s’oppose donc maintenant une définition qualitative de la nature de ce qui sollicite les systèmes perceptifs. Le stimulus-information est porteur de « sens ». Parce qu’étant porteur de sens, étant information, l’invariant, peut faire l’économie de principes médiateurs comme l’inférence car l’invariant spécifie directement la propriété de l’objet. La perception est donc qualifiée de directe car ce qui est saisi par les systèmes est l’information et donc contient déjà l’information (le sens).
18Mais l’idée d’une perception directe a été et reste très fortement critiquée par les tenants de l’approche cognitiviste (Fodor & Pylyshyn, 1981 ; Jeannerod, 2002 ; Ullman, 1980). En effet, pour ces derniers, Gibson accorde, entre autres, trop d’importance à l’environnement et oublie les intentions du sujet et les processus cognitifs qui en découlent. La richesse de l’entrée visuelle n’est pas suffisante pour réfuter l’existence des représentations internes. Tiberghien et Jeannerod (1995) classent d’ailleurs cette approche comme relevant d’un « éliminativisme cognitif ». Nous verrons avec la formalisation de Stoffregen (2003) que l’aspect « cognitif » dans le sens d’état interne n’est pas complètement oublié.
3. – Les affordances
19Le concept heuristique d’affordance (du verbe anglais afford ou offrir) a été introduit par Gibson en 1966 et développé par la suite jusqu’à la fin de sa vie (Gibson, 1977, 1979/1986). Ce concept a été discuté par de nombreux auteurs (Chemero, 2003 ; Heft, 2003 ; Jones, 2003 ; Kirlik, 2004 ; Michaels, 2003 ; Sanders, 1997 ; Stoffregen, 2003 ; Stoffregen, 2004). Ce néologisme traduit la faculté qu’ont les animaux de guider leurs comportements en percevant ce que leur environnement leur offre en termes de potentialités d’actions.
20L’affordance est spécifiée par un cas particulier d’invariant qui émerge du système animal-environnement. L’affordance illustre parfaitement bien l’idée de lien mutuel entre l’animal et l’environnement. En effet, l’affordance nous dit que l’environnement est évalué non pas par rapport à un standard extérieur, absolu mais par rapport à l’animal et à ses propres contraintes. Mais l’affordance pose trois types de questions. La première question est d’ordre ontologique car elle concerne la nature de l’affordance elle-même. L’affordance a-t-elle une existence propre ? Est-elle une propriété de l’environnement ou une propriété relationnelle émergente du système animal-environnement ? Nous verrons que ces questions ontologiques sont au centre des différentes formalisations du concept qui ont été, depuis Gibson, proposées. La deuxième question concerne l’invariant qui spécifie une affordance donnée. Enfin, l’affordance questionne l’émergence, c’est-à-dire l’acquisition des affordances chez l’enfant ou l’acquisition de nouvelles affordances chez l’adulte.
3.1. – L’origine du concept
21Le concept d’affordance trouve son origine dans certaines idées proposées par les théoriciens de la psychologie gestaltiste (Koffka, 1935 ; Lewin, 1926). Pour ces théoriciens, la signification ou la valeur d’une chose est perçue aussi directement que sa couleur. Pour illustrer ce fait, Lewin (1926) introduit le terme Aufforderungscharakter, traduit quelques années plus tard en anglais par les termes invitation character ou « valence », le dernier étant le plus communément utilisé. Kurt Koffka, un collègue de Gibson au Smith College de 1928 à 1941, propose en 1935 dans son ouvrage Principles of Gestalt Psychology, le terme de caractère de demande (Demand character en anglais) pour illustrer la même idée.
Each thing says what it is… a fruit says ‘Eat me’; water says ‘Drink me’; thunder says ‘Fear me’; and woman says ‘Love me’ (Koffka, 1935, p. 7).
23Pour Koffka, chaque chose nous informe sur ce que l’on peut faire avec elle. Par exemple, une boîte aux lettres invite un passant à poster une lettre. Toutefois, la boîte aux lettres ne présente cette signification que pour le passant qui a l’intention de poster une lettre. Toute modification du désir ou du besoin du sujet entraîne un changement de la signification de l’objet. Dans ce cadre, les caractères de demande relèvent d’une dimension phénoménale plutôt que physique et sont envisagés par Koffka comme faisant partie de l’environnement « comportemental » et non pas« géographique ».
3.2. – Une définition duale de l’affordance
24La complexité de la notion d’affordance réside dans l’absence de définition univoque. Dans l’ouvrage de 1979 de Gibson, l’affordance est en effet parfois décrite comme une donnée invariante de l’environnement qu’elle soit perçue ou pas et, par ailleurs, décrite comme une propriété émergente qui n’existe qu’en rapport avec l’animal. Au sein des tenants actuels de l’approche écologique, une scission est présente entre, d’une part, ceux qui définissent l’affordance comme une propriété de l’environnement (Turvey, 1992) et ceux qui la définissent comme une propriété de la relation animal/environnement (Stoffregen, 2003). Par exemple, on trouve l’idée, dans l’ouvrage de 1979, à la différence des concepts de la psychologie gestaltiste, que l’affordance d’une chose n’est pas supposée changer lorsque le besoin ou le désir du sujet change. Le sujet peut ou non percevoir ou prêter attention à l’affordance en fonction de ses besoins mais celle-ci est toujours là pour être perçue :
The affordances of the environment are what it offers the animal, what it provides or furnishes, either for good or ill (Gibson, 1979/1986, p. 127).
26L’environnement constituerait ainsi une vaste collection d’opportunités pour l’action – les affordances – que l’animal doit détecter pour le « meilleur ou le pire ». Par exemple, une chaise, un banc, un tabouret, offrent la possibilité de s’asseoir ; un objet présentant une anse offre la possibilité d’une saisie pour les animaux disposant de mains. Le même objet peut présenter différentes affordances pour différents animaux. Par exemple, un arbre peut offrir un abri à l’oiseau mais de la nourriture à l’éléphant. Le fait qu’une chaise offre la possibilité de s’asseoir ne constitue une nouveauté pour personne mais l’innovation réside dans la proposition de Gibson selon laquelle c’est l’affordance qui est perçue. Autrement dit, nous ne percevons pas des chaises, des stylos, des beignets, nous percevons des lieux pour s’asseoir, des objets avec lesquels on peut écrire, et des choses que l’on peut manger.
What animals need to perceive is not the layout as such but the affordance of the layout (Gibson, 1979/1986, p. 157–158).
We have thousands of names for such objects, and we classify them in many ways: pliers and wrenches are tools; pots and pans are utensils; swords and pistols are weapons. They can all be said to have properties or qualities: color, texture, composition, size, shape and features of shape, mass, elasticity, rigidity, and mobility. Orthodox psychology asserts that we perceive these objects insofar as we discriminate their properties or qualities. Psychologists carry out elegant experiments in the laboratory to find out how and how well these qualities are discriminated. The psychologists assume that objects are composed of their qualities. But I now suggest that what we perceive when we look at objects are their affordances, not their qualities. We can discriminate the dimensions of difference if required to do so in an experiment, but what the object affords us is what we normally pay attention to. The special combination of qualities into which an object can be analyzed is ordinarily not noticed. (Gibson, 1979/1986, p. 134).
28Concernant cette première définition, si nous traduisons l’affordance comme une opportunité pour l’action, il y a une certaine contradiction à dire qu’une action est opportune alors que les conséquences de cette action seront néfastes. Pour Gibson, les bénéfices et les dangers résultant de l’action donnent lieu à deux types d’affordances : les affordances positives et les affordances négatives. Ces deux sortes d’affordances sont des propriétés des choses prises par rapport à l’observateur mais ne sont pas des propriétés des expériences de l’observateur. Par ailleurs, une perception biaisée (misinformation) peut conduire l’animal à percevoir ce que nous qualifierons de « fausses affordances ». Une baie vitrée sans reflet peut« afforder » à tord le passage. Au contraire les pans de portes vitrées sans vitre peuvent nous freiner dans notre locomotion en nous faisant croire à tord qu’il y a une vitre. Les sables mouvants sont un autre exemple de fausses affordances.
Note that all these benefits and injuries, these safeties and dangers, these positive and negative affordances are properties of things taken with reference to an observer but not properties of the experiences of the observer. They are not feelings of pleasure or pain added to neutral perceptions. (Gibson, 1979/1986, p. 137).
30Cependant, le fait qu’une action soit opportune ou pas, sans danger pour l’animal ou dangereuse, est forcément lié aux conséquences de l’action. La douleur ou, au contraire, le plaisir, la réussite d’une action ou au contraire son échec conduit l’animal à sélectionner parmi l’ensemble des informations d’action disponibles celles qui seront appropriées, c’est-à-dire opportunes dans un certain contexte. Prenons l’exemple du feu. La perception que le feu peut permettre de se réchauffer à une distance raisonnable mais aussi la perception qu’il brûle lorsque la main est mise en contact avec la flamme, conduit l’homme, par son expérience et les retours positifs et négatifs à sélectionner le type d’action réalisable en fonction du but à atteindre. S’il veut se réchauffer, le feu « affordera » cette chaleur attendue mais à une certaine distance seulement. S’il veut brûler un objet, le feu « affordera » cette action, par la mise en contact direct de l’objet avec la flamme.
31L’affordance peut donc apparaître dans un premier temps comme une propriété de l’environnement que l’animal dans son approche dynamique à l’environnement perçoit. Mais on notera chez Gibson, une conception plus interactive de l’affordance lorsqu’il ne la conçoit ni comme une propriété de l’animal ni comme une propriété de l’environnement mais comme une relation entre les propriétés de l’animal et les propriétés de l’environnement. L’affordance révèlerait ainsi la réciprocité entre l’animal et l’environnement. Les comportements qui sont possibles pour un animal donné dans un environnement donné constituent les affordances de cet environnement pour cet animal. Par exemple, la possibilité pour un animal de s’aventurer sur un lac gelé sera dépendante du poids de cet animal. Pour 2 cm d’épaisseur de glace, cette surface « affordera » avec succès la marche pour le canard mais pas pour le cheval.
What is meant by an affordance? A definition is in order, especially since the word is not to be found in any dictionary. Subject to revision, I suggest that the affordance of anything is a specific combination of the properties of its substance and its surfaces taken with reference to an animal. (Gibson, 1977, p. 67).
An affordance cuts across the dichotomy of subjective-objective and helps us to understand its inadequacy. It is equally a fact of the environment and a fact of behaviour. It is both physical and psychical, yet neither. An affordance points both ways, to the environment and to the observer. (Gibson, 1979/1986, p. 129).
33Dans ce sens, l’affordance peut se définir comme une opportunité d’action. Par rapport aux propres dimensions corporelles et par rapport aussi aux buts, aux intentions de l’agent, l’affordance est une opportunité pour l’action pour un animal donné. Cette opportunité d’action ne peut être perçue que si l’agent par son expérience, par son exploration, a sélectionné les actions opportunes de celles qui ne le sont pas ou moins. Mais la sélection des actions opportunes revient à poser la question de l’émergence de l’affordance.
3.3. – L’émergence des affordances
34La première à s’être intéressée au développement des affordances chez l’enfant est la propre femme de Gibson, Eleanor Gibson (Gibson, E., 1969 ; Gibson, E. & Pick, A., 2000). Parmi les rares chercheurs étudiant les affordances chez l’enfant, la plupart se sont intéressés à la locomotion. Ainsi, Zwart et collaborateurs (Zwart, Ledebt, Fong, de Vries, Savelsbergh, 2005) ont mis en évidence que l’acte de traverser ou non un « fossé » était sous-tendu non pas par l’âge des enfants mais par l’expérience de la marche. Cette étude est importante car elle montre, pour la première fois, qu’un point de vue strictement maturationnel du développement moteur n’est pas suffisant pour expliquer la décision d’action chez l’enfant. Au contraire, elle suggère que l’émergence de la perception de l’affordance, l’émergence du couplage entre la perception et l’action, provient de l’expérience c’est-à-dire de l’exploration de l’environnement.
35Chez l’homme, mis à part quelques gestes très simples en réponse à un stimulus qui sont innés ou très précoces comme l’agrippement (grasping) ou la réponse à la collision (looming), la perception de la plupart des affordances serait le fruit de l’exploration (voir Berger & Adolph, 2007). James Gibson avançait que le développement de la perception des affordances résultait d’une « éducation de l’attention ». L’exploration peut être vue comme un moyen d’éducation de l’attention. Mais les processus exploratoires précis amenant à ces compétences restent à définir. Comment l’action inhérente à l’exploration, par exemple, amène-t-elle, à la découverte de nouvelles affordances ? A contrario, comment s’expliquent les grandes capacités de perception/action innées de certaines espèces animales ? Comment un poulain, dès sa naissance est-il capable non seulement de se tenir debout mais aussi de suivre et de téter sa mère tout en évitant d’éventuels obstacles ?
3.4. – Mise en évidence expérimentale des affordances
36De nombreuses affordances ont été étudiées comme la « montabilité » (climbability) des escaliers (Warren, 1984), l’« assoyabilité » des surfaces (Mark, 1987 ; Mark & Vogele, 1988), la « passabilité » des ouvertures (Warren & Whang, 1987), la « posturabilité » d’une surface (Regia-Corte & Luyat, 2004 ; Regia-Corte, Luyat, Miossec & Darcheville, 2004), le caractère « attrapable » d’un objet (Carello, Grosofsky, Reichel, Solomon, & Turvey, 1989 ; Solomon & Turvey, 1988 ; Solomon, Turvey, & Burton, 1989), la « franchissabilité » des fossés (Burton, 1992 ; Burton, 1994 ; Burton & McGowan, 1997) ou, encore, la possibilité de passer sous une barrière (van der Meer, 1997). En anglais, les affordances sont systématiquement traduites par le verbe d’action suivi du suffixe ability ce qui se traduit en français par l’adjonction du suffixe « abilité » qui a pour origine latine habilis (maniable) et qui a donné en français « habile » (qui exécute avec adresse) et ability en anglais. Alors que l’usage de ce suffixe est systématique en anglais chez les chercheurs étudiant les affordances, la langue française semble tolérer moins bien ces néologismes. De très rares expressions existent cependant dans la langue française qui sont d’un point de vue orthographique correctes et acceptées comme le terme « maniabilité » ou« posturabilité ».
37Le premier à avoir mis en évidence la perception d’une affordance chez l’homme est Warren en 1984. Deux groupes d’hommes étaient étudiés : un groupe de petite taille (163,7 cm) et un autre groupe de grande taille (189,8 cm). Différents escaliers dont la hauteur de contremarche variait à chaque présentation (de 50,8 cm à 101 cm) étaient projetés sur grand écran. La tâche était de juger, sans faire l’action réelle, si l’escalier présenté pouvait être « monté » en posture bipède sans s’aider des mains. Comme attendu, le seuil critique (la hauteur de contremarche limite au-delà de laquelle l’escalier n’est plus accepté comme étant « montable ») est plus petit pour les hommes de petite taille (67,13 cm) que pour le groupe de grande taille (81,32 cm). Cependant, lorsqu’on rapporte la hauteur de contremarche à la longueur de jambe des observateurs dans chacun des groupes, les courbes se confondent et le seuil critique obtenu est proche de 0,88. Ce ratio (π = 0,88) est conforme à celui donné par le modèle biomécanique décrivant a priori cette activité motrice particulière. En d’autres termes, un escalier est jugé comme étant « montable » sans s’aider des mains jusqu’à ce que la hauteur de contremarche n’excède pas 0,88 de la longueur totale de la jambe de l’observateur-acteur. On notera que Warren est le premier à proposer une formalisation mathématique de l’affordance : le ratio pi.
38Mark en 1987 apporte un élément crucial en faveur du caractère « direct » de la perception démontrant que l’information spécifiant cette affordance est directement saisie dans la configuration optique et ne nécessite pas de médiateur. Ainsi, la détection de l’affordance ne résulte pas d’une mise en relation « interne » entre une représentation de la longueur de la jambe (schéma corporel) et une hauteur estimée à une certaine distance. Il montre, en effet, que la « montabilité » des escaliers dépend en fait d’une certaine proportion par rapport à la hauteur des yeux effective. La hauteur des yeux effective est la hauteur des yeux, non pas réelle de l’observateur, mais perçue. Elle peut être fournie dans le flux optique par le point d’expansion ou de contraction (pour un observateur en mouvement), par la compression des textures et également par le point de fuite au niveau de l’horizon explicite ou implicite. Notons également, l’addition d’inputs vestibulaires et proprioceptifs donnant une information non visuelle sur la hauteur des yeux par rapport au sol.
39Warren et Whang (1987) ont confirmé le rôle de la hauteur des yeux perçue concernant le passage à travers des ouvertures de différentes largeurs. Dans la condition de base, sans faire réellement l’action, les jugements perceptifs de « passabilité » ont révélé un ratio de 1,16 (largeur critique de l’ouverture/largeur des épaules). Lorsque le sol était surélevé à l’insu de l’observateur par la construction d’un « faux plancher » qui diminuait la hauteur des yeux perçue visuellement, l’ouverture critique était diminuée alors que la distance perçue (estimation verbale) n’était pas affectée. Ces résultats ont permis de montrer que les jugements de « passabilité » étaient également basés sur un ratio de la hauteur des yeux perçue saisi dans la configuration optique. Nous avons testé (Luyat, Marcilly & Darcheville, 2003 ; Marcilly & Luyat, 2008) l’effet d’une modification de la hauteur des yeux perçue par le port de prismes base-up. Six participants devaient juger la hauteur minimale d’une barrière permettant le passage sans courber la tête. Les résultats ont montré un effet d’adaptation laissant suggérer que la perception de cette affordance est également basée sur la hauteur adaptée des yeux.
40Sur Terre, la hauteur des yeux perçue peut être utilisée comme référence pour mesurer certaines dimensions des objets par rapport à l’observateur parce que la hauteur des yeux et l’objet partagent une surface commune : le sol. Par conséquent, l’objet peut être mesuré relativement à une certaine proportion de la hauteur des yeux et on peut faire l’hypothèse que l’utilisation de cet étalon n’est pas une donnée innée mais acquise par expérience. Cependant, en impesanteur et surtout en cas de vols de longue durée, la hauteur des yeux et l’objet n’ont plus en commun une surface unique comme le sol. On peut donc faire l’hypothèse que la hauteur des yeux pourrait ne plus être utilisée pour mesurer les objets en situation d’impesanteur, a fortiori en cas de vol prolongé. Les troubles de perception visuelle rencontrés par les astronautes (voir Clément, 2003) comme la dimension verticale qui semble être perçue avec une distorsion par rapport à la dimension horizontale ainsi que les problèmes d’appréciation des distances pourraient être expliqués par la perte de la hauteur des yeux perçue comme référent pour mesurer les dimensions des surfaces et des objets.
4. – La voie dorsale est-elle la voie des affordances ?
41Nous avons vu comment l’approche écologique différait des approches cognitivistes. Certains auteurs ont proposé diverses solutions pour réconcilier voire unifier ces deux approches (voir Banks & Krajicek, 1991 ; Bennett, Hoffman, & Prakash, 1989, 1991 ; Braunstein, 1994 ; Hatfield, 1988, 1990 ; Müsseler, van der Heijden, & Kerzel, 2004 ; Norman, 2002). Norman (2002) propose un nouveau cadre pour l’étude de la perception qu’il nomme l’approche du traitement double. Pour cet auteur, la perception des affordances serait sous-tendue par une voie corticale de traitement de l’information visuelle. Les approches écologique (directe) et cognitive (indirecte) seraient des descriptions valides de la perception mais elles feraient référence à différents aspects de la perception. Ces approches pourraient coexister dans le cadre d’une théorie plus large de la perception.
42Cette théorie plus large est basée sur l’accumulation de résultats de recherches indiquant l’existence de deux systèmes visuels : le système dorsal et le système ventral (Milner & Goodale, 1995). Le fondement de l’approche proposée par Norman (2002) est basé sur le principe d’un parallélisme entre les deux systèmes visuels et les deux approches de la perception. En effet, cet auteur suggère que l’approche écologique est compatible avec les fonctions du système dorsal et l’approche cognitive est compatible avec les fonctions du système ventral. Ces deux systèmes visuels prennent en charge différents aspects de la perception. Le système dorsal est chargé principalement de l’utilisation de l’information visuelle pour le guidage du comportement dans l’environnement. Le système ventral est lui chargé principalement de l’utilisation de l’information visuelle pour connaître l’environnement c’est-à-dire identifier et reconnaître les éléments préalablement rencontrés et stocker les nouvelles informations visuelles pour les futures rencontres.
43Le prélèvement de l’information visuelle serait pris en charge par le système dorsal-écologique qui fonctionne avec un faible niveau de conscience. La principale information prélevée est celle qui permet à l’animal d’évoluer dans son environnement (les affordances). Le système dorsal serait la voie de l’affordance. Le système ventral-cognitif est un système de plus haut niveau qui prendrait en charge l’interface entre l’entrée visuelle et la cognition. Il est le seul à posséder une mémoire à long terme et par conséquent, toute identification ou reconnaissance serait réalisée par ce système.
44Nous pensons, contrairement à Norman, que les deux approches inférentielle et écologique-enactive de la perception sont incompatibles. La principale raison est que l’approche écologique repose sur la notion d’information. L’information, non pas en tant que stimulus riche ou plus complexe, mais en tant que stimulation porteuse de sens et saisie par des systèmes perceptivo-moteurs. Cette idée ne peut être conciliable avec celle d’une reconstruction du sens interne sur la base de représentation et de processus de traitement inférentiel propre à l’approche cognitiviste. La différence réside de plus dans la définition même de la perception. Pour l’approche écologique, la perception est vue comme une saisie d’information dans la configuration optique par l’action-exploration dans le but d’une adaptation de l’organisme à son environnement. Pour l’approche inférentielle, la perception est vue comme un traitement interne d’information dont le but est de donner du sens aux données pauvres et ambiguës stimulant nos sens. Par ailleurs, les paradigmes expérimentaux utilisés pour étayer le modèle des deux voies sont issus des théories classiques, inférentielles de la perception. Les tâches visant à impliquer la voie ventrale sont des tâches de catégorisation, d’identification, de reconnaissance ou de discrimination d’objet ou de visage présentés la plupart du temps sur écran d’ordinateur. Les tâches visant à solliciter la voie dorsale sont des tâches d’atteinte ou de saisie d’objet dans un contexte de laboratoire. Or en fixant la tâche que doit faire l’observateur, la méthode coupe le sujet d’un but plus large chargé d’intention, engagé forcément dans l’action, qu’il aurait dans une interaction écologique avec son environnement (voir p. 15, la deuxième citation de Gibson). Les résultats de ces expériences nous apprennent beaucoup concernant la tâche réalisée lors de l’examen clinique ou de l’expérimentation au laboratoire mais finalement ne nous apprennent pas assez concernant nos comportements de la vie quotidienne. De plus, en situations naturelles, la reconnaissance, l’identification d’un objet ne se fait pas indépendamment de sa position et de la position de l’observateur dans l’espace. Or celles-ci impliquent l’intégration complexe d’information, notamment l’intégration d’informations vestibulaires. Or les afférences vestibulaires au niveau du cortex se font de manière privilégiée dans les aires pariétales notamment au niveau de la jonction pariéto-temporale. Inversement, dans la vie quotidienne, la saisie d’un objet ou son atteinte ne se fait pas sans l’accès à la signification des objets à saisir ou à atteindre. Même si aujourd’hui cela ressemble à une gageure, l’utilisation de paradigmes proches de la vie quotidienne en neurosciences s’avère nécessaire pour mieux comprendre la co-activation ou les centres d’intégration rendant possiblesces actions.
5. – Les différentes formalisations du concept d’affordance
45Le travail de Gibson met l’accent sur la réciprocité des relations entre les animaux et leurs environnements avec une analyse qui est principalement focalisée sur l’information de l’environnement. D’autres théoriciens de l’approche écologique ont ressenti le besoin de fournir une description complémentaire concernant les propriétés des animaux qui leur permettent d’agir dans le cadre des affordances. En effet, si les affordances sont les propriétés de l’environnement spécifiées relativement à l’animal, les propriétés de l’animal qui révèlent la réciprocité entre l’animal et l’environnement sont appelées « effectivités » (Turvey & Shaw, 1979). Ces « effectivités » sont les moyens, les contraintes pour l’action dont dispose un animal. Elles peuvent changer lorsque l’état de l’animal change, car elles sont des propriétés propres à l’animal. Le terme d’« effectivité » est largement utilisé par ces théoriciens, et la plupart des travaux de formalisation qui sont réalisés ont pour objectif de déterminer la nature de la relation entre les affordances et les « effectivités ».
5.1. – La formalisation de Shaw et Turvey (1981)
46Shaw et Turvey (1981) rejettent le dualisme et considèrent que la compréhension de la relation entre un animal et son environnement passe par le concept de dualité [1]. Le lien entre la perception et l’action est caractérisé par l’idée que les affordances et les « effectivités » constituent une dualité. Dans cette perspective, une tasse X offre la prise Y pour un agent Z (p. ex., un bébé) en une occasion O (lorsque Z est assoiffé ou enjoué), si et seulement si, il existe une relation de dualité entre X et Z en cette occasion (le bébé Z présente une maturation normale). Cette maturation lui donne la force et les capacités de coordination pour attraper la tasse X qui n’est pas trop large, lourde ou mal formée pour être attrapée par Z. Autrement dit, X offre Y pour Z si et seulement si, il y a un isomorphisme réciproque (ou dualité) entre les propriétés de X et celles de Z, X ◊ Z (qui se lit comme « X et Z sont compatibles »). Les auteurs représentent cette formalisation par le schéma d’affordance (X, Z, O | X ◊ Z) = Y.
47L’analyse de Shaw et Turvey (1981) est basée sur des dualités syntaxiques dérivées de définitions établies par stipulation (de manière arbitraire). Pour ces auteurs, une dualité est spécifiée par toute règle symétrique dans laquelle une transformation T permet d’obtenir Y’ à partir de Y, et Y à partir de Y’. Dans ce cadre, si les affordances et les « effectivités » constituent vraiment une dualité, il existerait une transformation T, avec laquelle le descripteur sémantique pour l’affordance Y peut être transformé en un descripteur sémantique correspondant à l’« effectivité » Y’ : T(Y)→ Y’ et T(Y’)→ Y. Lorsque ces auteurs appliquent cette opération au descripteur sémantique de l’affordance Y = (X, Z, O | X ◊ Z), ils obtiennent alors un schéma de la forme Y’ = (Z, X, O | Z ◊ X) qui correspond à l’« effectivité ».
48Les auteurs utilisent ce concept de dualité comme l’élément fondamental pour modéliser de façon abstraite les mécanismes de la perception et sa relation avec l’action. Leur modèle est basé sur le principe de coalition. Il s’agit d’un système superordonné qui consiste en huit paires de sous-systèmes (avec 1 024 états) emboîtés dans quatre niveaux d’analyse (bases, relations, ordres et valeurs) pour lesquels une opération spécifie comment les deux sous-systèmes agissent comme des contextes réciproques sous une contrainte mutuelle. Classiquement, l’analyse en coalition consiste en l’élaboration d’une modélisation mathématique d’un écosystème qui vise une description du système animal-environnement dans sa totalité. La coalition dans le cas présent est un modèle partiel d’un écosystème car elle n’implique pas une modélisation dynamique des systèmes naturels. Pour cela, elle devrait inclure les processus liés au temps et à l’énergie, ce qui n’est pas le cas. Au contraire, la coalition fournit ici une description indiquant de quelle manière différents niveaux d’analyse sont au minimum exigés et au maximum autorisés et sur lesquels les variables doivent être sélectionnées, reliées, ordonnées et évaluées.
49Le modèle en coalition relie quatre catégories d’entités : un ensemble B de bases, un ensemble R de relations, un ensemble O d’ordres, et un ensemble V de valeurs. Chaque catégorie identifie un « grain » d’analyse. Ainsi, il y a un grain de base, un grain de relation, un grain d’ordre, et un grain de valeur. Les grains sont reliés les uns aux autres à partir d’une dimension de grossièreté g(B) > g(R) > g(O) > g(V), où « > » indique « plus grossier que ». Ces grains d’analyse sont explicitement différenciés des échelles d’analyse, qui se réfèrent à une dimension de type moléculaire-molaire, et des niveaux d’analyse, qui eux se réfèrent au degré d’abstraction d’un modèle. Les grains modélisent ce que Shaw et Turvey appellent des « contextes de contraintes ». Le grain de base décrit l’ensemble des variables sur lesquelles le modèle est défini. Le grain de relation décrit les relations écologiques qui sont possibles étant donné les variables de base. Le grain d’ordre fournit des descripteurs pour la structure de l’affordance de l’environnement et pour la structure de l’« effectivité » d’un animal. Ce grain est donc spécifique à l’animal. Enfin, le grain de valeur spécifie quelles affordances sont perçues ou quelles « effectivités » sont activées en une occasion donnée.
50Chaque grain est structuré comme un ensemble avec deux membres (sous-ensembles) qui ne se recouvrent pas. Ainsi, le grain de base est un ensemble B = {X, Z}, le grain de relation est un ensemble R = {φ, ψ}, le grain d’ordre est un ensemble O = {A, E}, le grain de valeur est un ensemble V = {S, N}, et dans chaque cas, les sous-ensembles X et Z par exemple, n’ont aucun élément en commun. Les sous-ensembles sont reliés par une« opération de dualité » T, telle que pour un grain donné G {α, β}, T (α) = β et T(β) = α. Ainsi, pour le grain de base, T(X) = Z et T(Z) = X ; pour le grain de relation T(φ) = ψ et T(ψ) = φ ; et même chose pour les grains d’ordre et de valeur.
51La plus simple coalition nécessite seulement deux variables, une dans X et une dans Z. Si on considère par exemple, l’activité de saisie d’une balle, nous aurions X = {diamètre de la balle}, Z = {envergure de la main}, et B = {diamètre de la balle, envergure de la main}. En simplifiant, avec b pour le diamètre de la balle et m pour l’envergure de la main, on aurait ainsi, X = {b}, Z = {m} et B = {b, m}.
52Le grain de relation R modélise les relations écologiques qui sont possibles en fonction du grain de base particulier choisi. R est défini comme le produit Cartésien B × B. Ainsi, en considérant l’exemple précédent de la saisie de balle, R est l’ensemble des paires ordonnées {<b,b>, <b,m>, <m,b>, <m,m>}. Par stipulation, Rest également caractérisé par l’ensemble {φ, ψ} tel que φ = {<b,b>, <b,m>} et ψ = {<m,b>, <m,m>}. L’ensemble φ est dit correspondre à l’environnement, et l’ensemble ψ à l’animal, mais l’ordre des membres de R n’est pas interprété.
53Le grain d’ordre est basé sur un ensemble O, qui du point de vue de l’analyse des affordances est le plus important car il fournit des descripteurs formels pour les structures d’affordance et d’« effectivité ». Cet ensemble O est défini comme le produit Cartésien R × R. Ainsi, les membres de O sont des paires ordonnées de paires ordonnées (soit 4 × 4 = 16 paires). Comme B et R, O est également divisé en deux par une définition stipulative telle que O = {A, E}, avec huit paires dans A, et huit paires dans E. Les ensembles A et E sont censés fournir des descripteurs respectivement pour les affordances et les « effectivités ».
54Enfin, le grain d’analyse de valeur V, le plus fin de la coalition, est défini par A × E × {+, −} ou O × {+, −}. Le grain de valeur est censé permettre de différencier les affordances et les « effectivités » qui sont sélectionnées et activées en une occasion donnée, de celles qui ne le sont pas. Ainsi, l’ensemble V est divisé en deux sous-ensembles avec S = O × {+} pour les séquences de relation sélectionnées, et N = O × {−} pour les séquences de relation non sélectionnées.
55Pour Wells (2002), la formulation de Shaw et Turvey (1981) présente des lacunes dans la mesure où elle ne fait pas la distinction entre les dualités syntaxiques et les dualités substantives. En effet, les dualités syntaxiques peuvent être créées à partir d’une définition stipulative, mais les dualités substantives (par exemple, comme la dualité onde-corpuscule de la lumière, ou la dualité corps-esprit) dépendent de l’existence préalable de relations plus profondes, bien qu’elles puissent avoir également des expressions syntaxiques. Si une dualité est connue pour exister alors une transformation syntaxique appropriée peut être utilisée pour obtenir un membre à partir de l’autre, mais il est fallacieux d’inférer le contraire. Ainsi, Shaw et Turvey proposent (X, Z, O | X ◊ Z) = Y comme schéma d’affordance, lequel se lit « X afforde Y pour Z en une occasion O, si et seulement si, il existe une relation de dualité entre X et Z ». Ils suggèrent alors que si les affordances et les « effectivités » constituent une vraie dualité (substantive), il y a une relation syntaxique entre le schéma de l’affordance et le schéma de l’« effectivité ». Ils définissent que la relation syntaxique transforme (X, Z, O | X ◊ Z) en (Z, X, O | Z ◊ X). Après avoir défini la règle, ils avancent, « En observant, nous constatons que le schéma qui définit une affordance (X, Z, O | X ◊ Z) et le schéma (Z, X, O | Z ◊ X) obtenu sous l’application de la règle déjà stipulée, constituent une dualité. Ce schéma obtenu doit correspondre à une « effectivité » (Shaw & Turvey, 1981, p. 388). Finalement, ils avancent que « la forme générale de cette dualité entre la perception et l’action vis-à-vis des affordances et des « effectivités » n’est pas triviale ; elle fournit la base de notre première supposition selon laquelle la perception et l’action doivent être étroitement liées » (Shaw & Turvey, 1981, p. 388). Pour Wells (2002), cet argument est clairement circulaire. S’il y a une dualité substantive entre les affordances et les « effectivités », il y a une dualité syntaxique. Il y a (par stipulation) une dualité syntaxique ; ainsi, il y a une dualité substantive.
5.2. – La formalisation de Turvey (1992)
56Turvey (1992) propose une formalisation du concept d’affordance dans le contexte du contrôle prospectif de l’action. Le contrôle prospectif concerne les actions futures comme la réalisation de buts. Turvey fait la distinction entre les propriétés substantives et les propriétés formelles. Les propriétés formelles sont des entités épistémologiques alors que les propriétés substantives sont des entités ontologiques. Il caractérise les affordances comme des propriétés substantives plutôt que comme des propriétés formelles. Pour Turvey, cette caractérisation des affordances en termes de dispositions permet d’expliquer la nature prospective de la perception des affordances. Percevoir une affordance consiste à percevoir une possibilité c’est-à-dire une chose qui pourrait être plutôt qu’une chose qui est actuellement. En effet, les dispositions sont des potentialités plutôt que des réalités. Lorsqu’une disposition devient réelle, elle est considérée comme actualisée. Notons que Turvey considère le terme « ontologie » comme l’étude des caractéristiques non spécifiques de la réalité (celles des êtres vivants ou celles du monde physique). Dans ce cadre, les possibilités d’action (les affordances) sont réelles, constituent une catégorie ontologique, et ne doivent pas être confondues avec une possibilité conceptuelle ou une incertitude (Turvey, 1992, p. 174).
57Ainsi, Turvey (1992) propose une caractérisation tripartite des affordances : elles sont des possibilités réelles, elles sont des dispositions ; et elles sont complétées par les « effectivités ». Il établit sa formalisation à partir d’une fonction de jonction ou juxtaposition assez semblable au concept de dualité proposé par Shaw et Turvey (1981). Il considère une entité X avec une propriété dispositionnelle p, et une entité Z avec une propriété dispositionnelle q. À partir de là, Wpq = j(Xp, Zq) constitue l’unité formée par les entités X et Z qui sont liées de telle manière qu’une troisième propriété r se manifeste. Ce r est une propriété relationnelle de l’unité de second ordre Wpq. Pour illustrer sa formalisation, Turvey donne l’exemple d’un prisme qui réfracte la lumière. La « réfractibilité » est une propriété dispositionnelle de la lumière, la réfraction est une propriété dispositionnelle du prisme, et quand un prisme et la lumière sont réunis dans des circonstances appropriées, comme par exemple, dans la célèbre démonstration de Newton sur le spectre des longueurs d’onde visibles, ils conduisent alors à un système lumière-déviée-dans-prisme qui révèle les différentes couleurs de l’arc-en-ciel. Lorsqu’on applique cette formalisation à une situation qui implique un individu et son environnement, on a :
Wpq (p. ex., un système personne-monte-escalier) = j(Xp, Zq) composé des entités Z (p. ex., une personne) et X (p. ex., un escalier). Soit p une propriété de X et q une propriété de Z. Dans ce cadre, p est considéré comme une affordance de X et q comme l’« effectivité » de Z (le complémentaire de p), si et seulement si, il y a une troisième propriété r telle que
où j est une fonction de jonction ou de juxtaposition et r est l’acte correspondant à l’affordance (p. ex., la montée de l’escalier).
- Wpq = j(Xp, Zq) possède r
- Wpq = j(Xp, Zq) possède ni p ni q
- ni Z ni X possède r,
59Le point fondamental de la formalisation de Turvey est qu’il définit l’affordance comme une propriété de l’environnement. Cette formalisation se base sur le concept des dispositions et notamment sur le fait que ces dispositions se présentent en paires. Autrement dit, si une affordance est une disposition, il doit exister alors une disposition correspondante qui est une autre chose (pas une affordance). Dans ce cadre, Turvey considère que le complément de l’affordance est l’« effectivité » c’est-à-dire une propriété de l’animal.
60Le fait que Turvey (1992) définisse les affordances comme des propriétés de l’environnement et non comme des propriétés du système animal-environnement est problématique dans le cadre de l’approche écologique de la perception et de l’action. En effet, il y a un certain consensus au sein de cette approche, en particulier dans le contexte des affordances, selon lequel l’unité d’analyse est le système animal-environnement (Gibson, 1979/1986, p. 2 ; Lombardo, 1987 ; Stoffregen, 2000a, 2000b ; Turvey, 1992). De manière plus précise, la définition de Turvey (1992) pourrait conduire à des problèmes au niveau de la spécification et de la perception directe des affordances (Stoffregen, 2003). Dans son article, Turvey (1992, p. 181) discute brièvement de la spécification des affordances en caractérisant les affordances comme des propriétés non observables en étroite relation avec les propriétés visibles des surfaces qui vont structurer la lumière de manière à spécifier les affordances. Sa discussion des relations entre les affordances et les propriétés visibles des surfaces se réfère à la complémentarité des propriétés de l’animal. Cependant, dans sa proposition reliant les propriétés visibles des surfaces à la structure de la lumière, il n’y a pas de référence aux propriétés de l’animal ni à une mesure de l’environnement en termes de l’animal. De manière similaire, sa discussion concernant le prélèvement de l’information perceptive (section 10.3, p. 181) se réfère uniquement au prélèvement de l’information spécifiant les propriétés de l’environnement et ne fait pas référence aux informations spécifiant les propriétés de l’animal ni aux informations spécifiant la complémentarité des propriétés de l’animal et de l’environnement. Dans la formalisation de Turvey (1992), la spécification d’une propriété de l’environnement (la spécification d’une affordance) n’implique pas la spécification de la complémentarité des propriétés de l’animal et de l’environnement. Dans ce cadre, on peut se demander quelle est l’information qui spécifie qu’une propriété donnée de l’environnement, p, est le complémentaire d’une propriété de l’animal, q. En effet, si la lumière réfléchie d’une surface peut spécifier que cette surface supporterait des forces d’une certaine intensité, cela n’implique pas une spécification de l’intensité des forces qu’un animal particulier peut imposer sur cette surface. L’inverse est également vrai à savoir, la spécification de l’intensité des forces qu’un animal peut développer ne dit rien sur l’intensité des forces que toute surface donnée peut supporter. Autrement dit, le fait qu’un paramètre d’une certaine configuration ambiante spécifie une propriété particulière de l’environnement ne garantit pas que cette propriété spécifie également la propriété correspondante et complémentaire de l’animal (et vice et versa). Ce dernier aspect constitue un point critique dans la formalisation de Turvey (1992). En effet, si les propriétés de l’environnement et les propriétés de l’animal sont spécifiées séparément ou indépendamment, il est possible qu’il n’y ait aucune spécification de la complémentarité entre les propriétés de l’animal et de l’environnement. D’un autre côté, la perception directe des propriétés de l’environnement (les affordances pour Turvey) et la perception directe des propriétés de l’animal (les « effectivités » pour Turvey) n’impliqueraient ou ne garantiraient pas une perception directe de la complémentarité des propriétés de l’animal et de l’environnement. Si les affordances sont les propriétés de l’environnement et les « effectivités » sont les propriétés de l’animal, cela voudrait dire que la connaissance sur la complémentarité des affordances et des « effectivités » doit être obtenue indirectement c’est-à-dire en étant dérivée à partir des informations perceptives séparées des affordances et des « effectivités ». Ces différents aspects problématiques ont conduit Stoffregen (2003) à proposer une nouvelle formalisation de l’affordance plus en phase avec les principes de l’approche écologique.
5.3. – La formalisation de Stoffregen (2003)
61Stoffregen (2003) propose une nouvelle définition de l’affordance en s’opposant à la formalisation proposée par Turvey (1992). En effet, Stoffregen (2003) considère que cette formalisation n’est pas satisfaisante dans la mesure où elle stipule que l’affordance est une propriété de l’environnement seul et non une propriété du système animal-environnement.
62Pour Stoffregen (2003), les propriétés des dispositions utilisées par Turvey (1992) ne sont pas appropriées pour établir une définition de l’affordance. Rappelons que Turvey (1992) considère les affordances comme des propriétés dispositionnelles de l’environnement et les « effectivités » comme les propriétés dispositionnelles de l’animal. Ces deux types de propriétés sont les constituants d’une autre propriété, et l’action est l’actualisation de ces paires de dispositions. Les caractéristiques des dispositions proposées par Turvey (1992) impliquent que la conjonction entre les propriétés complémentaires de l’animal et de l’environnement doit produire l’action correspondant à l’affordance. Cependant, dans toute situation réelle donnée, plusieurs actions sont possibles mais seulement certaines sont réellement actualisées. Or, ce fait n’est pas compatible avec les caractéristiques des propriétés dispositionnelles utilisées puisque par définition, ces dispositions conduisent nécessairement à l’action lorsque la situation rend possible la réalisation de cette action. Turvey (1992) est conscient de ce problème et avance l’existence d’un filtrage qui laisserait passer une disposition particulière de l’animal et une disposition particulière de l’environnement parmi l’assortiment total de leurs dispositions. Turvey suggère que ce filtrage pourrait être réalisé par la fonction de juxtaposition (j), mais il ne précise pas la nature de ce filtrage ni comment il se réalise.
63Pour Stoffregen (2003), un filtrage qui empêche que certaines affordances soient actualisées serait compatible avec la nature des dispositions seulement si les affordances non actualisées n’étaient pas des dispositions puisque par principe, ces dispositions ne peuvent pas être inactives lorsque la situation est appropriée pour l’action. Par conséquent, il suggère que les affordances en général ne peuvent pas être définies comme des propriétés dispositionnelles. Pour Stoffregen, les affordances sont des propriétés du système animal-environnement. Ce sont des opportunités pour l’action, propriétés du système animal-environnement qui détermine ce qui peut être fait.
64Dans sa formalisation, Turvey (1992) considère une disposition de l’environnement (l’affordance, p) et une disposition de l’animal (l’effectivité, q) et les relie pour obtenir une actualisation r, qui est l’acte correspondant à l’affordance. Les propriétés p et q sont ce qui peut arriver et r est ce qui arrive réellement. La propriété r qui n’est pas une affordance peut être considérée comme l’exploitation de l’affordance. Étant donné que r est une conjonction entre la propriété de l’environnement (p) et la propriété de l’animal (q), cette propriété r est une propriété du système animal-environnement. C’est justement à ce seul niveau qu’est impliqué le système animal-environnement dans la définition des affordances de Turvey (1992). En effet, pour Turvey (1992), l’affordance n’est pas une propriété qui se trouve au niveau du système animal-environnement mais est clairement définie comme une propriété de l’environnement.
65Pour Stoffregen (2003), si les parties constituantes des systèmes ont des propriétés, le système lui-même présente également des propriétés. Pour illustrer ce fait, Stoffregen considère l’exemple d’un triangle avec les lignes qui le constituent. Les lignes existent en tant que telles et ont des propriétés comme la longueur, la largeur, et la couleur. De même, le triangle existe en tant que tel et présente également des propriétés comme le fait d’être équilatéral, rectangle, ou isocèle. Les propriétés du triangle diffèrent qualitativement des propriétés des lignes. Les propriétés du système (p. ex., la triangularité) qui ne sont pas des propriétés des constituants du système (p. ex., des lignes individuelles) sont considérées comme des propriétés émergentes. Dans la formalisation proposée par Stoffregen (2003), le système animal-environnement présente des propriétés qui diffèrent qualitativement des propriétés de l’animal et de l’environnement. Le système animal-environnement présente des propriétés émergentes qui ne sont pas inhérentes aux propriétés de l’animal ou de l’environnement considérés séparément.
66Par ailleurs, Turvey (1992) considère uniquement les propriétés émergentes résultant de l’actualisation des opportunités d’action. En revanche, pour Stoffregen (2003), le système animal-environnement présente des propriétés émergentes persistantes qui existent préalablement et indépendamment du comportement réel. Ainsi, contrairement à Turvey (1992) qui considère les propriétés de l’animal et de l’environnement comme des primitives ontologiques, Stoffregen (2003) considère que ce sont les propriétés du système animal-environnement qui constituent des primitives ontologiques. Ces différents points amènent Stoffregen (2003) à définir les affordances comme les propriétés émergentes du système animal-environnement.
Soit Wpq (p. ex., un système personne-monte-escalier) = (Xp, Zq) composé des entités Z (p. ex., une personne) et X (p. ex., un escalier). Soit p une propriété de X et q une propriété de Z.
La relation entre p et q, p/q définit une propriété h de plus haut niveau (une propriété du système animal-environnement). Dans ce cadre, h est considérée comme l’affordance de Wpq, si et seulement si
- Wpq = (Xp, Zq) possède h
- ni Z ni X possède h.
68Cette formalisation indique que les affordances sont les propriétés du système animal-environnement et qu’elles existent uniquement au niveau du système animal-environnement. Dans cet exemple, l’affordance ou la propriété de haut niveau (h) qui représente le rapport entre la hauteur de l’escalier et la longueur de la jambe de la personne est un fait actualisé (h est un fait plutôt qu’une potentialité). Ce fait actualisé contraint ce qui peut arriver dans le futur, c’est-à-dire que la réalité présente donne lieu à des possibilités prospectives. Autrement dit, si h est compris dans une certaine plage de valeurs alors la montée de l’escalier est possible, et elle peut survenir dans le futur. Dans l’exemple, la propriété pertinente de l’animal est biomécanique (la longueur de la jambe ; Warren, 1984). Toutefois, Stoffregen (2003) indique que toute propriété d’un animal peut être en relation avec une certaine propriété de l’environnement et donner lieu à une affordance incluant d’autres types de propriétés comme la force, la flexibilité, l’habileté, les croyances, ou les états émotionnels.
69Dans la formalisation de Turvey (1992), les affordances et les « effectivités » diffèrent qualitativement et tiennent une place de la même importance. En revanche, pour Stoffregen (2003), les « effectivités » sont les constituants de bas niveau des relations animal-environnement qui constituent les affordances. Elles ne sont pas des compléments qualitativement distincts des affordances mais sont subordonnées aux affordances. Les « effectivités » sont les propriétés de l’animal alors que les affordances sont les propriétés émergentes de haut niveau du système animal-environnement.
70Dans la formalisation de Stoffregen (2003), la définition n’inclut pas le comportement c’est-à-dire qu’elle ne développe pas l’actualisation des affordances. Cette définition indique que les affordances sont les opportunités pour l’action ; elles sont les propriétés du système animal-environnement qui déterminent ce qui peut être fait. À la suite de sa formalisation des affordances, Stoffregen (2003) fournit une définition du comportement. Le comportement est le résultat de la conjonction des affordances et intentions complémentaires.
Soit Wpq (p. ex., un système animal-environnement) = m(h, i) qui est composé de différentes affordances, h (p. ex., c : l’opportunité de monter un escalier ; e : l’opportunité de prendre un repas ; f : l’opportunité de résoudre une équation mathématique) et intentions, i (p. ex., s : l’intention d’aller en haut de l’escalier ; l : l’intention de manger ; b : l’intention de résoudre une équation), où ces affordances et intentions sont des propriétés du système animal-environnement.
Ainsi, un comportement donné C (p. ex., monter un escalier) apparaîtra si et seulement si (et quand), une affordance (p. ex., c) et son intention complémentaire (p. ex., s) co-apparaissent en un même point du continuum espace-temps, où m est une fonction de choix psychologique.
72De nombreuses affordances existent et ne sont pas exploitées en un lieu et moment donnés. En effet, en tout lieu et moment donnés, on ne fait pas toutes les choses qu’il est possible de faire. Parmi l’assortiment très large des comportements possibles, les intentions sélectionnent ceux qui seront essayés. La persistance des affordances préalablement à leurs exploitations permet qu’elles soient spécifiées et détectées de manière prospective. De manière similaire, de nombreuses intentions existent et ne sont pas satisfaites en un lieu et moment donnés. Parmi l’assortiment très large des intentions, l’assortiment existant des affordances détermine les intentions qui peuvent être satisfaites en ce lieu et moment donnés.
73Par ailleurs, on ne tente pas de faire toutes les choses que l’on voudrait faire. Dans toute situation donnée, un nombre illimité d’affordances existe. De même, dans toute situation donnée, un grand nombre d’intentions existent. Malgré cette multiplicité des intentions et des affordances, seulement une petite partie des affordances est exploitée, et seulement une petite partie des intentions est prise en compte. Ainsi, seuls certains liens entre affordances et intentions sont actualisés. Autrement dit, pour définir le comportement il est nécessaire de déterminer quelles intentions seront prises en compte. Ceci est le rôle de la fonction de choix psychologique m. Stoffregen (2003) utilise le terme « psychologique » pour indiquer que le choix est fait par l’animal et qu’il n’est pas contraint par les faits ou événements de l’environnement. Toutefois, Stoffregen (2003) reconnaît que pour l’instant, il n’est pas en mesure de définir m, et d’indiquer d’où proviennent les intentions, et comment s’opère le choix parmi les intentions.
74Pour Stoffregen (2003), le fait que les affordances persistent quand elles ne sont pas exploitées et que les intentions persistent lorsqu’elles ne sont pas suivies, peut motiver la grande majorité des explorations et des apprentissages perceptivo-moteurs. En effet, percevoir qu’une intention donnée ne peut pas être satisfaite ici et maintenant incite l’animal à rechercher les conditions dans lesquelles l’intention pourrait être satisfaite. Ce fait peut inciter l’exploration du système animal-environnement existant (p. ex., une recherche des propriétés de l’environnement qui associées avec les propriétés de l’animal permettrait de réaliser une intention). Ce fait incite également l’acquisition de nouvelles habiletés perceptivo-motrices (p. ex., le développement ou l’acquisition d’une propriété de l’animal qui associée avec les propriétés de l’environnement permettrait de réaliser une intention), et la modification prospective de l’environnement (p. ex., la transformation ou la création d’objets ou de circonstances qui associés avec les propriétés de l’animal permettrait de réaliser une intention).
75La nature des affordances reste ainsi fortement questionnée actuellement. L’affordance a dans un premier temps été formalisée comme une propriété de l’environnement, une disposition, que les « effectivités » de l’animal viennent compléter. C’est la formalisation de Shaw et Turvey (1981) et de Turvey (1992). Mais cette conception de l’affordance a été fortement critiquée par Stoffregen (2003). Pour ce dernier, l’affordance est une propriété relationnelle du système animal-environnement et se définit comme une opportunité d’action. Sa formalisation a l’intérêt d’inclure l’intention et la notion de fonction de choix psychologique qui sont censées rendre compte de la sélection de certaines affordances dans un contexte donné. Toutefois, comme nous l’avons déjà mentionné, le fait qu’une action soit opportune ou pas, sans danger pour l’animal ou dangereuse, est forcément lié aux conséquences de l’action. La douleur ou, au contraire, le plaisir, la réussite d’une action ou au contraire son échec conduit l’animal à sélectionner parmi l’ensemble des informations d’action disponibles celles qui seront appropriées, c’est-à-dire opportunes dans un certain contexte. L’affordance en tant qu’opportunité d’action contient du sens que l’action a fait émerger. En effet, c’est par les conséquences de l’action (la réussite ou l’échec ; le plaisir ou la douleur) qu’une action devient opportune ou pas dans un contexte donné. L’action permet la perception car l’action donne du sens aux énergies dans lesquelles nous évoluons.
6. – Conclusion
76Depuis sa création par James Gibson, le concept d’affordance a fait l’objet de nombreuses controverses et débats. Dans cette revue, nous avons insisté sur la double définition de l’affordance. Cette double définition se retrouve à la fois dans la relecture de la conception écologique radicale (Gibson, 1979/1986) et dans les formalisations plus récentes. Si l’on se réfère à la conception de Shaw et Turvey (1981) et de Turvey (1992), l’affordance est une propriété de l’environnement, complétée au niveau de l’animal par l’effectivité, propriété de l’animal. L’affordance est une disposition. C’est par la réalisation du comportement (actualisation de l’affordance) que la description se situe au niveau du système animal-environnement. En revanche, pour Stoffregen (2003), l’affordance est une propriété du système animal-environnement. Les affordances sont des opportunités pour l’action ; elles sont les propriétés du système animal-environnement qui déterminent ce qui peut être fait. Sa définition de l’affordance ne sous-tend pas obligatoirement l’actualisation des affordances, c’est-à-dire le comportement. Le comportement est, quant à lui, défini comme le résultat de la conjonction d’une affordance et d’une intention complémentaire. Cette conception est la plus proche du postulat écologique de réciprocité entre l’animal et son environnement. L’animal et son environnement définissent un système indivisible. L’affordance est une propriété de ce système mais n’est une propriété d’aucun des deux éléments pris séparément. Percevoir une affordance pour un animal donné c’est percevoir qu’une action dont on a l’intention est possible. Le comportement s’inscrivant dans un contexte de but à atteindre, d’action à réaliser, l’intention et la notion de fonction de choix psychologique vont sélectionner une affordance particulière parmi un ensemble très grand de possibles.
77La sélection des affordances rejoint le problème de l’acquisition et du développement des affordances chez l’enfant. Depuis Eleanor Gibson, relativement peu d’études ont été consacrées à ce sujet. Ces études accordent une place centrale à l’expérience, à l’exploration de l’environnement dans l’acquisition des affordances. L’âge maturationnel apparaît comme un facteur secondaire par rapport à l’exploration. Cependant les mécanismes précis qu’implique l’exploration et qui expliquent le fait qu’à un moment donné une affordance est acquise restent à déterminer. Par ailleurs, l’extraction du sens qu’implique l’affordance est une question importante. Si le sens est saisi c’est qu’il existe, or ce qui donne du sens est forcément un processus neuronal donc interne. Faut-il comprendre alors la saisie d’information comme un processus de sélection (la fonction m de choix psychologique de Stoffregen, 2003) régi par des réseaux neuronaux et guidé par l’action et surtout par la réussite ou l’échec de ces actions ?
78Le rôle de l’action pourrait être ainsi élargi. Il faudrait distinguer deux fonctions de l’action : l’action-mouvement et l’action-exploration. Le premier couplage (action/mouvement-perception) traduit les bénéfices qu’apporte directement l’action à la perception (p. ex. parallaxe de mouvement, toucher dynamique). L’action-mouvement et la perception sont indissociables car l’action en dynamisant les patterns d’énergie rend possible l’extraction d’invariant, l’information et donc le sens. Le deuxième couplage action/exploration-perception, traduit le processus généré par les conséquences de l’action (réussite, échec, plaisir, déplaisir) sur la sélection des affordances ou des invariants en général. Ce couplage exploration-perception est au cœur des apprentissages des affordances, il serait lié à l’intention et donnerait une piste pour comprendre le processus qui sous-tend la sélection des affordances.
79Enfin, nous avons vu que l’approche écologique s’opposait aux autres approches de la perception sur plusieurs points fondamentaux. La principale pierre d’achoppement est la notion de perception directe prônée par le courant écologique. Norman (2002) a tenté une réconciliation des deux grands courants de la perception (perception directe versus perception indirecte) en attribuant la voie dorsale à la perception des affordances. Mais, nous pensons qu’il est difficile de concilier ces deux approches. L’approche écologique repose sur les principes de mutualité entre l’animal et l’environnement et d’indivisibilité entre la perception et l’action. Son unité d’analyse est le système animal-environnement. La perception est une saisie d’information. La notion d’information est à comprendre, non pas comme un stimulus riche ou plus complexe, mais comme une configuration énergétique porteuse de sens et saisie par des systèmes perceptivo-moteurs. Cette idée ne peut être conciliable avec celle d’une reconstruction du sens interne sur la base de représentation et de processus de traitement inférentiel propre à l’approche cognitiviste. La différence réside dans la définition même de la perception. Pour l’approche écologique, la perception est vue comme une saisie d’information par l’action dans le but d’une adaptation de l’organisme à son environnement. Pour l’approche inférentielle, la perception est vue comme un traitement interne d’information dont le but est de donner du sens aux énergies stimulant nos sens. L’unité d’analyse est le système de traitement de l’information et non pas le système animal-environnement. Enfin, l’approche écologique ne fournit pas seulement un cadre de compréhension pour une perception sans conscience mais pour tout processus perceptif qu’il s’agisse de naviguer dans l’environnement en évitant les obstacles ou d’interagir à bon escient avec nos semblables. Il est vrai que les principales recherches ont été conduites dans le domaine de l’action motrice et de la locomotion. Les recherches futures devraient permettre de montrer toute l’heuristique de ce concept dans d’autres domaines que l’action motrice. Lorsqu’on interagit avec les autres, en témoigne l’utilisation de ce concept en psychologie sociale (Dubois & Beauvois, 2000), il est tout aussi important de percevoir si une personne peut nous aider par exemple ou au contraire nous nuire. La notion d’affordance en particulier, la théorie écologique en général fournit donc au chercheur un cadre théorique de toute importance pour comprendre le comportement non seulement au niveau des actions motrices mais au niveau plus large de ses interactions avec son environnement y compris les autres.
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Notes
-
[1]
La dualité fait référence au caractère de ce qui est double alors que le dualisme fait référence à la coexistence de deux principes différents.