Couverture de ANNOR_662

Article de revue

Soutenance de thèse

Pages 115 à 138

Frédéric Chemin, La Société d’agriculture de la Seine-Inférieure. L’impact d’une institution normande sur les acteurs du monde agricole (1761-1880), thèse soutenue le 18 octobre 2016, à l’Université de Caen Normandie, 3 vol., 508 p.

1Jury : Annie Antoine, professeur d’histoire moderne à l’Université Rennes II (rapporteur), Paul Delsalle, maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’Université de Franche-Comté (rapporteur), Michel Boivin, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Caen Normandie (président de jury), Jean-Marc Moriceau, professeur d’histoire moderne à l’Université de Caen Normandie (directeur de thèse).

2La thèse de Frédéric Chemin s’inscrit dans la suite logique de ses travaux puisque lors de sa maîtrise, préparée en 2000 à l’Université de Rouen, il s’est intéressé à la Société d’agriculture de la généralité de Rouen au xviiie siècle à travers le parcours de Louis Alexandre Dambourney, secrétaire perpétuel de ladite Société. Lors de son doctorat, il poursuit ses recherches et s’intéresse à la Société d’agriculture de la Seine-Inférieure de 1761 à 1880 afin de mesurer l’impact de cette institution sur les acteurs du monde agricole.

3La Société d’agriculture de la généralité de Rouen est créée le 27 juillet 1761. Le but assigné aux sociétés d’agriculture est « de perfectionner les différentes mé-thodes, de cultiver les terres actuellement en valeur et de rendre florissant l’art de l’agriculture ». Les sociétés ne s’occupent pas des questions administratives ; leur rôle est exclusivement pratique. Elles doivent, à l’image de la Grande-Bretagne, moderniser les techniques agricoles et développer « l’art de l’agriculture ». La Société d’agriculture de la généralité de Rouen cesse toute activité en 1789. Le 8 août 1793, un décret de la Convention supprime les sociétés d’agriculture. Celle de Rouen renaît sous la Restauration, en 1819, grâce à l’action de notables et prend alors le nom de Société centrale d’agriculture de la Seine-Inférieure. En prenant pour objet d’étude la Société d’agriculture de la Seine-Inférieure, l’une des plus anciennes de France, Frédéric Chemin a souhaité mesurer son impact économique et pratique ainsi que son rayonnement social.

4Cette thèse, qui s’appuie sur de nombreuses sources, est riche de questionnements. Quel impact la Société d’agriculture de Rouen, tout au long de la période étudiée, a-t-elle eu auprès des acteurs du monde des campagnes ? De quelle manière la Société d’agriculture a-t-elle réussi, ou non, à répandre ses idées auprès des différents acteurs du monde rural ? La Société est un vecteur essentiel de transmission des théories et des innovations agricoles. Frédéric Chemin souligne l’existence d’un processus d’imitation des expériences réalisées au niveau local ainsi que tendent à l’indiquer les démonstrations réalisées lors des concours organisés par les comices et la Société d’agriculture et des expositions de matériel agricole du xixe siècle. D’autres interrogations ont également été prises en compte lors de l’élaboration de ce travail. Par exemple, quels sont les moyens, humains et matériels, dont dispose la Société d’agriculture pour mener à bien ses objectifs et s’imposer dans le monde des campagnes ? Quels impacts la Société d’agriculture a-t-elle eu dans la société française et dans la réflexion agronomique du moment ? Quelle place a-t-elle occupé au milieu de l’ensemble des sociétés d’agriculture ? Que nous apprend l’étude des relations qu’elle a entretenues avec les autres compagnies et avec les différents acteurs du monde des campagnes ?

5Les sociétés d’agriculture fleurissent après 1830 car nobles et notables qui se retirent sur leurs terres ont du temps à disposition. Ils n’ont plus d’obligations politiques et ne se reconnaissent pas dans le nouveau régime. Ils vont alors, sur leurs terres, appliquer de nouvelles méthodes et utiliser du matériel perfectionné. Ils ont un rôle de catalyseurs et de diffuseurs de l’agriculture moderne, et sont en cela un exemple pour la masse des paysans. La Société organise des concours pour encourager l’émulation entre les cultivateurs, surtout au xixe siècle, avec l’appui des comices. Bien qu’indépendants, les comices sont une sorte de relais au niveau local pour la Société. Les séances publiques constituent quant à elles une vitrine des travaux réalisés par la Société. Elles cautionnent son utilité dans le monde agricole auprès des autorités locales et du public. La Société remet des prix et des primes aux cultivateurs les plus méritants ainsi qu’à des domestiques de ferme qui ne sont pas oubliés lors de la distribution des récompenses. Les séances publiques, qui ont lieu chaque année, ont pour finalité d’encourager l’émulation parmi les cultivateurs. La Société encourage les nouvelles méthodes d’agriculture ainsi que les nouvelles techniques agricoles et de plantation. Ainsi, concours de charrues et de moissonneuses sont organisés avec l’appui des comices. Elle encourage l’imitation de ces nouvelles techniques auprès des cultivateurs et des artisans. Pour diffuser son message agronomique, elle distribue plantes, graines et instructions. La Société se construit un réseau humain au niveau sociologique mais aussi géographique. La composition des membres est constituée de liens familiaux et professionnels.

6Après de vaines démarches en 1861, la reconnaissance d’utilité publique est obtenue en 1876 par la Société centrale d’agriculture de la Seine-Inférieure. Les travaux réalisés au xviiie siècle ont eu un impact limité auprès du monde des campagnes. Leur répercussion n’a concerné que de riches cultivateurs qui avaient assez de moyens financiers pour réaliser les expériences agronomiques prescrites par les sociétés d’agriculture et les agronomes. Les sociétés d’agriculture ont, plus ou moins tôt, cessé leur activité. Si celle de Caen n’existe plus dans les années 1780, celle de Rouen est active jusqu’en 1789. À cette époque, la Société rencontre des difficultés notamment avec la persistance d’anciennes habitudes agricoles qui privilégient « la routine » aux nouveautés agronomiques. De nombreux auteurs ont émis des critiques quant à l’utilité des société d’agriculture au xviiie siècle, à l’image de Voltaire : « on écrivit des choses utiles sur l’agriculture ; tout le monde les lut, excepté les laboureurs ». Les membres des sociétés d’agriculture voulaient contribuer, grâce à leurs recherches sur l’agronomie, à l’amélioration des connaissances. Ces sociétés ont ainsi posé les bases des travaux des sociétés agricoles au xixe siècle. L’impact des travaux est plus limité au xviiie siècle qu’au xixe siècle même si les difficultés ont pu être similaires à ces deux périodes. La Société centrale d’agriculture est toujours active. Si elle organise toujours des conférences, des expositions, des concours, son rôle n’est toutefois plus le même.

7Outre quelques demandes de précisions formulées par les divers membres concernant le « lait bleu » ou les « fermes modèles » par exemple, la discussion a porté sur les améliorations qui pouvaient être apportées à la thèse, notamment sur la forme, ainsi que sur les différents apports de ce travail.

8Le jury, de manière unanime, salue le travail effectué, rigoureux et documenté, ainsi que le grand soin apporté au traitement des sources. La thèse de Frédéric Chemin, portant sur l’histoire rurale, sociale et politique, a su éveiller l’intérêt des différents spécialistes réunis qui ont trouvé ce travail vivant, agréable à lire et d’un format séduisant. Elle offre à la connaissance historique plusieurs enrichissements liés à la fois à la qualité et à la finesse de certaines analyses. Pour faciliter la consultation, avis a été donné de fusionner les trois volumes et d’ajouter quelques titres et intertitres afin que la progression du raisonnement apparaisse de manière plus évidente. De même, tableaux analytiques et figures, en nombre raisonnable dans ce travail, pourraient être insérés dans le corps de texte et réduiraient l’impression énumérative de certaines parties. Enfin, une actualisation de la bibliographie serait également appréciable. Si quelques critiques ont été émises sur la forme lors de cet échange, les apports du travail de Frédéric Chemin ont toutefois été relevés.

9Originale dans ses bornes chronologiques, la thèse de Frédéric Chemin transcende la frontière entre les deux périodes historiques académiques que sont l’histoire moderne et contemporaine. L’un des apports de ce travail est de montrer la continuité mais aussi les différences qui existent entre la Société Royale – créée en 1761, qui s’étiole comme un certain nombre d’autres tout en étant un peu plus active que certaines de ses congénères avant la Révolution – et celles du xixe siècle, recréées de toutes pièces en 1819. Les nombreuses informations obtenues lors des recherches offrent des renseignements sur les préoccupations et, éventuellement, sur l’action de ce type d’institution. La Société rouennaise se préoccupe des nouvelles cultures mais aussi de la question des assèchements, ou de la fiscalité, des problèmes agricoles, de la question des sarcloirs et des semoirs, de l’emploi du sel dans l’agriculture, de la destruction de larves de hannetons, de la trop courte durée des baux etc., dans le cadre d’une agriculture qui différencie la propriété de l’exploitation ; et le lecteur saisit bien, autre atout de ce travail, le rôle de certains hommes comme celui de Louis Alexandre Dambourney. Cette thèse ambitionne de démontrer le caractère pluriel et utile de la Société d’agriculture en pensant cette institution comme un lieu, d’une part, de récompenses et, d’autre part, de diffusion des savoirs. Le lecteur dispose d’un éclairage intéressant sur la composition de la Société d’agriculture de la Seine-Inférieure, en particulier au xixe siècle, avec l’émergence de certains propriétaires cultivateurs, de même que sur les réseaux socio-professionnels et familiaux avec l’importance des liens unissant certains de leurs membres. Cette thèse met en évidence la composition interne de la Société avec un profil élitiste tant économique, social que culturel avec de riches propriétaires fonciers, des négociants, des magistrats, des notaires, des savants… Ces notables sont directement intéressés, une partie de leur patrimoine ou de leur fortune repose sur l’agriculture. La possibilité, par des monographies spécifiques, de scruter les rapports des membres de la Société avec les pratiques agricoles que ces derniers s’efforcent de moderniser a été évoquée comme un prolongement intéressant, bien qu’il ait aussi été admis que de telles recherches nécessiteraient du travail et du temps supplémentaires. La mise en évidence d’une opposition entre deux cultures est également un apport non dénué d’intérêt. D’un côté se trouvent les modèles théoriques avec une culture qui se revendique du progrès, une culture nationale, voire internationale, et savante, qui essaie de propager la traduction pratique des recherches en sciences agronomiques, et de l’autre, une culture « de routine », une expérience pratique, plus locale et empirique. L’utilisation récurrente des travaux même de la Société d’agriculture, qui a pu parfois paraître monotone, reste intéressante car elle offre, d’une certaine manière, une radioscopie de l’action de la Société, décennie après décennie. Le combat de la Société d’agriculture contre cette culture « de routine » est intéressant, de même que la passation de pouvoir, sur le terrain, entre le curé pour le xviiie siècle et le maire pour le xixe siècle.

10De l’avis général, le travail de Frédéric Chemin qui présente une multitude d’extraits, regroupés par thèmes, avec des annotations, des citations, des présentations de personnages et de vocabulaire, mériterait, après quelques remaniements, d’être un instrument de travail consultable par les chercheurs et les étudiants intéressés par l’évolution de l’agriculture ainsi que par toutes les personnes manifestant de la curiosité à l’égard de ce sujet.

11La thèse de Frédéric Chemin, objet des discussions le 18 octobre 2016, est à l’image de son auteur, un travailleur consciencieux, pleinement impliqué dans son sujet et qui traitait les sources avec soin et passion. Frédéric Chemin nous a quitté le 6 décembre 2016, content d’avoir réussi à soutenir sa thèse sur la Société d’agriculture de Rouen, une thèse qui l’avait soutenu depuis plusieurs années. Doctorant investi dans la vie du Pôle Rural, il était aussi apprécié pour sa grande gentillesse et sa bienveillance. Derrière sa discrétion et son visage souriant, Frédéric Chemin était volontaire et tenace. Malgré les vicissitudes de la vie, il n’a jamais abandonné ses recherches. Il a réussi à porter sa thèse jusqu’à la soutenance, soutenance à l’issue de laquelle son travail et son investissement ont été récompensés.

12À l’issue de la délibération, le jury a accordé à Frédéric Chemin le grade de docteur en histoire.

13Isabelle Ivon
Université de Caen Normandie

Simon Lebouteiller, Faire la paix dans la Scandinavie médiévale. Recherche sur les formes de pacification et les rituels de paix dans le monde scandinave au Moyen Âge (viiie xiiie siècle)

14Le vendredi 21 octobre 2016, Simon Lebouteiller a soutenu à l’université de Caen Normandie sa thèse de doctorat, réalisée sous la direction de Pierre Bauduin et la codirection de Jean-Marie Maillefer, devant un jury composé de : Sverre Bagge, professeur émérite à l’Université de Bergen, rapporteur ; Pierre Bauduin, professeur à l’université de Caen Normandie, directeur de thèse ; Geneviève Bührer-Thierry, professeure à l’université Panthéon-Sorbonne, présidente du jury ; François Emion, maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne, examinateur ; Jean-Marie Maillefer, professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne, codirecteur de thèse ; Jean-Marie Moeglin, professeur à l’université Paris-Sorbonne et directeur de recherches à l’EPHE, rapporteur.

15Geneviève Bührer-Thierry, présidente du jury, a ouvert la séance à 14 heures, et donné la parole à Simon Lebouteiller.

16Le candidat commence par remercier le jury pour sa présence et pour l’intérêt porté à son travail. Il relate la genèse de son projet, qui remonte à l’année universitaire 2009-2010, alors qu’il suivait un double cursus en histoire et en études nordiques en Master 2 à l’université de Caen Normandie. Pierre Bauduin lui avait alors proposé de travailler sur les modes de pacification à l’époque viking. Ce premier travail, concentré sur un corpus restreint, l’avait rapidement convaincu de l’intérêt de cette question encore très peu étudiée, de la richesse des pistes de réflexion qu’elle ouvrait et de la quantité de sources qu’il lui restait à exploiter. C’est la raison pour laquelle il avait décidé de reprendre ce sujet pour l’approfondir dans le cadre d’une thèse de doctorat. Cette thèse étant, à l’image de son cursus antérieur, à la croisée de l’histoire et des études nordiques, Simon Lebouteiller rend compte de deux décisions préparatoires : choisir, en la personne de Jean-Marie Maillefer, un codirecteur spécialiste de la civilisation scandinave ; et prendre une année pour approfondir ses compétences linguistiques et monter un projet doctoral solide. C’est donc en 2011 qu’a commencé son contrat doctoral.

17Le candidat revient ensuite sur le sujet de sa thèse et son intérêt. Il rappelle que l’imagerie populaire autour du « Viking » ne laisse que peu de place à la paix, ignorant souvent que l’expansion scandinave, du viiie au xie siècle, a également été l’occasion de rencontres, d’échanges et de transferts culturels entre les populations. Les conflits eux-mêmes ne peuvent être réduits à de simples actes de violence : ils sont le plus souvent suivis d’une phase de résolution où les protagonistes cherchent à s’accorder, trouver un compromis, rétablir un équilibre. Leur étude ne devrait donc pas se borner à la détermination de leurs conséquences destructrices, mais également prendre en compte leur dimension constructive : une question que le candidat juge d’autant plus pertinente qu’elle nous offre une clé de lecture de l’intégration progressive des Scandinaves en Europe et des bouleversements majeurs que furent, en Europe du Nord, le développement du christianisme et l’affirmation d’un pouvoir centralisé autour de la figure royale.

18Simon Lebouteiller présente brièvement les sources sur lesquelles il a travaillé. Il insiste sur leur nombre et leur variété, rappelle qu’il existe un important corpus de sources narratives relatant les conflits et leur résolution dans l’Europe de l’époque viking : annales et chroniques, gesta et sagas royales. Il cite également les codes de lois, la littérature eddique et les sources diplomatiques, parmi lesquelles on compte les premiers traités rédigés par les Scandinaves au xiiie siècle. Souvent, ces sources se révèlent difficiles à exploiter, en particulier les sources historiographiques, qui portent sur les événements un regard partisan ; le candidat s’interroge d’ailleurs sur la capacité des Latins à comprendre et décrire fidèlement les éventuelles spécificités des usages diplomatiques scandinaves. Il rappelle aussi les problèmes de méthode que pose l’utilisation des sagas royales, composées au xiiie siècle, soit plusieurs siècles après certains des événements qu’elles décrivent. Toutefois, Simon Lebouteiller estime que l’approche méthodologique qu’il a choisie lui a permis de contourner ces difficultés en comparant des sources de nature et d’origine différentes : en effet, on peut considérer que des témoignages de tradition indépendante se corroborent mutuellement lorsque, écrits à des époques et dans des régions différentes, ils décrivent une même pratique.. Parallèlement, le candidat a entrepris de placer les formes scandinaves de pacification dans une perspective européenne, en s’interrogeant sur les éventuels obstacles ayant pu compliquer les échanges diplomatiques. Le but d’une telle démarche était de dégager des points de comparaison entre les pratiques scandinaves et celles d’autres cultures, dans l’espoir de mieux comprendre leurs fonctions. Le candidat défend aussi son choix de traiter une période très longue, du viiie au xiiie siècle : cela lui a permis de mieux observer les répercussions des importantes transformations que les sociétés scandinaves traversèrent durant cette période sur les modes de pacification. C’était aussi le moyen d’inclure dans une même réflexion les xiie et xiiie siècles, époque à laquelle furent rédigées la majorité des sources scandinaves utilisées, et les faits dont elles traitent, souvent antérieurs.

19La thèse se structure autour de cinq chapitres, dont le premier présente l’historiographie, les sources et la méthode employée. La deuxième se concentre sur la place des formes de pacification dans l’imaginaire et dans la littérature scandinave des xiie et xiiie siècles. Il comporte notamment un examen étymologique des termes scandinaves se rapportant à la notion de paix. Suivent deux chapitres consacrés à l’organisation concrète des processus de pacification, d’abord en amont, puis en aval de la conclusion de la paix. Le premier (chapitre 3) se concentre sur les mouvements préparatoires : prises de contact et négociations entre parties ; le second (chapitre 4) s’intéresse aux accords eux-mêmes et aux rites consacrant la réconciliation des adversaires. Enfin, le dernier chapitre synthétise les points précédemment étudiés au regard des autres sociétés européennes de l’époque, et pose la question de la place des processus de pacification dans l’intégration des Scandinaves en Europe.

20Pensant avoir ainsi proposé « un panorama complet des formes de pacification entre le viiie et le xiiie siècle », le candidat revient sur les conclusions qu’il entend soumettre au débat historiographique. En premier lieu, il observe des ressemblances significatives entre les usages diplomatiques des Scandinaves et ceux de leurs interlocuteurs européens, ce qu’il voit comme un facteur favorable à la prise de contact avec ces derniers. Il juge en outre que les différences (formes du serment, usage plus restreint de l’écrit, par exemple) n’ont pas été de nature à empêcher des accords de paix, et estime que les négociateurs ont généralement su faire preuve de pragmatisme pour les surmonter. Il accorde par ailleurs une grande importance aux rituels et à leur utilité communicationnelle, très nette en ce qui concerne les déplacements et lieux de rencontre, la remise d’otages ou encore le serment. Ces rites font d’un accord la mise en scène d’un nouvel ordre établi. Pour finir, le candidat évoque les limites de son travail. Il regrette que la Suède demeure sous-représentée par rapport à la Norvège et au Danemark – manque inévitable, lié à la rareté des sources concernant ce pays, où l’écriture ne s’est développée que très tardivement. Il souligne à nouveau les difficultés méthodologiques que pose, malgré toutes les précautions prises, la reconstitution de pratiques et d’événements anciens à partir de sources des xiie et xiiie siècles. Pour autant, d’encourageantes perspectives d’approfondissement semblent encore ouvertes : en particulier sur les processus d’affirmation des monarchies nordiques et sur l’adaptation des élites scandinaves aux différents milieux où elles ont séjourné.

21La présidente du jury donne ensuite la parole à Pierre Bauduin, qui commence par remercier Simon Lebouteiller pour ces années de travail sous sa direction, mais aussi pour l’ensemble de son activité au sein des départements d’Histoire et d’Études nordiques de l’université de Caen Normandie. Rappelant l’originalité de son parcours en double cursus, il se dit très satisfait du résultat des intuitions dont Simon Lebouteiller lui avait fait part en 2010. Il rend également hommage à ses qualités d’enseignement et à son implication dans la vie du département et du centre Michel de Boüard, tout particulièrement dans la mise à jour de son site Internet. Pierre Bauduin décrit brièvement la thèse. Il insiste sur la qualité de son écriture, la rareté des coquilles, et son souci de ne jamais perdre le lecteur. Il rappelle aussi l’étendue des compétences linguistiques mobilisées pour cette thèse, dont l’imposante bibliographie comprend des ouvrages en langues scandinaves, française, anglaise, allemande, voire russe. Pour ses recherches, le candidat a lu et assimilé les travaux relatifs aux Peace studies, particulièrement développés en Scandinavie, et en propose une bonne synthèse pour la période étudiée, mettant en lumière la place importante qu’ont occupée les formes de pacification et les rituels de paix dans l’évolution des sociétés scandinaves. L’étude des phénomènes de réception (notamment en ce qui concerne les textes de saint Augustin) et des relations entre imaginaire et réalité historique l’a conduit à rassembler et mettre en perspective des documents nombreux et très variés. Pour les aborder, Simon Lebouteiller a su allier les compétences de l’historien, du linguiste et du littéraire – car « le littéraire n’est jamais bien loin dans ce travail », comme le manifestent ses pertinentes analyses de la texture et du style des sources écrites. Pierre Bauduin rappelle à cet égard l’effort de traduction personnelle fourni par le candidat, d’autant plus remarquable que ces textes relevaient de genres très différents, dont les règles propres pouvaient varier selon les régions.

22Pierre Bauduin revient ensuite sur la structure du travail de Simon Lebouteiller, qui porte selon lui une « démonstration solidement argumentée », et analyse de manière détaillée un ensemble très varié de pratiques. Passant sur le premier chapitre, historiographique, il revient sur le contenu des quatre derniers, mentionnant tout spécialement les développements sur le mythe de la guerre des Ases et des Vanes, et sur le rôle du roi pour le maintien de la paix et de la fertilité. La discussion sur les lieux de rencontre entre souverains scandinaves et sur la place qu’y occupent les cours d’eau lui a paru particulièrement fine. Enfin, les questions autour desquelles s’organise la synthèse du dernier chapitre lui ont semblé pertinentes et bien menées. Le tout prend en compte les nombreux apports importants de l’historiographie de ces trente dernières années, laquelle a observé que les Scandinaves ont joué dans leur processus d’intégration à l’Europe un rôle plus actif qu’on ne le croyait jusqu’alors. Pour toutes ces raisons, Pierre Bauduin dit espérer la publication de ce travail important, qui fera date.

23Simon Lebouteiller répond brièvement en remerciant Pierre Bauduin pour ses commentaires et sa collaboration. L’observation sur la place du littéraire dans l’histoire de la Scandinavie médiévale lui a semblé très juste, puisqu’on le trouve presque partout, y compris dans des textes où on ne l’attendrait pas : il cite la Loi du Västergötland. C’est la raison pour laquelle la pluridisciplinarité lui paraît essentielle à l’étude de ces sociétés.

24La parole est ensuite donnée au codirecteur, Jean-Marie Maillefer, qui rappelle les nombreuses entrevues constructives qu’il a eues avec le candidat. Il juge tout à fait importante la thèse qui en est le résultat, et dont le sérieux se reflète dans une manière très pédagogique d’identifier les problèmes et d’y répondre. La facture en est certes classique, mais équilibrée et bien maîtrisée. Après avoir fait part au candidat de quelques remarques ponctuelles qui lui étaient venues à la relecture du texte, il souligne que la question des formes de pacification a longtemps été méconnue et négligée, tant on a privilégié les aspects guerriers chez les « Vikings ». Le grand apport de cette thèse est de montrer que tout accord de paix doit être vu comme le résultat de processus complexes, ce à quoi l’historiographie scandinave prête rarement attention. Cette historiographie est visiblement bien maîtrisée : l’imposante bibliographie témoigne de l’érudition du candidat en la matière. Jean-Marie Maillefer pointe cependant deux faiblesses : la partie consacrée aux ressources sur Internet, qui sont pourtant nombreuses et facilitent vraiment les recherches ; la place accordée aux traductions existantes, ne serait-ce que pour répondre à la curiosité des lecteurs. Bien que les traductions proposées par le candidat soient dans l’ensemble de bonne qualité, Jean-Marie Maillefer déplore quelques erreurs. Dans sa courageuse tentative de traduire l’inscription de l’anneau de Forsa (p. 409), le mot oxa (bovins), qui ne posait pourtant aucun problème sémantique, est resté en langue originale. Un peu plus bas (p. 416), la mauvaise compréhension d’un passage de la saga de saint Olaf fausse en partie la conclusion partielle de la page suivante. De plus, le codirecteur met en garde le candidat contre l’utilisation trop rapide de traductions parfois peu fiables. À l’échelle d’un travail de plus de 600 pages, l’importance de ces inexactitudes est cependant toute relative. Par ailleurs, Jean-Marie Maillefer loue le soin de restituer systématiquement les passages cités dans leur langue originale, en note de bas de page. Un des points forts de cette thèse tient, selon lui, à la mise à disposition de documents en vieil islandais, mais aussi en latin, contextualisés et mis en perspective.

25Jean-Marie Maillefer liste ensuite un certain nombre de points qui, à son sens, auraient mérité d’être développés. Intéressé par l’analyse étymologique des termes liés à la paix, il interroge le candidat sur le vocabulaire de la guerre. Dans sa réponse, Simon Lebouteiller cite plusieurs expressions telles que bardagi ou la racine her-, dont le sens est cependant plus restreint. Il ressort de leur échange que s’il existe plusieurs termes évoquant le combat, le plus naturel pour désigner la guerre est ófriðr – « absence de paix ». Tous deux s’accordent à dire que cette idée de paix comme état normal bat en brèche l’image très guerrière que l’on a des sociétés scandinaves anciennes. Jean-Marie Maillefer cite un passage de la Kjalnesinga saga dans lequel deux personnages se prennent les mains après s’être réconciliés, et demande au candidat si ce geste ne pourrait pas être rapproché du rituel de l’immixtio manuum. Simon Lebouteiller répond que ce rituel, empreint de symbolique vassalique, lui semble bien plus sophistiqué que les poignées de main régulièrement mentionnées pour sceller un accord privé tel qu’une transaction commerciale ou un mariage. Le co-directeur s’interroge également sur la pertinence de la distinction entre rois scandinaves et chefs islandais, cette thèse semblant accorder à ces derniers une importance moindre. La question de savoir si ces phénomènes sont équivalents à ceux qu’on observe en Scandinavie continentale ne lui paraît pas avoir été tranchée. Le candidat admet que la place de l’Islande dans son travail est problématique : s’il était impossible d’en faire totalement abstraction, cette société avait développé des institutions politiques originales, sans aristocratie comparable à celles des autres royaumes scandinaves, si bien que les techniques de pacification elles-mêmes s’en différenciaient de manière significative. Pour cette raison, elle mériterait certainement un traitement à part.

26Jean-Marie Maillefer regrette que la notion de paix sacrée, qui apparaît par exemple dans la Saga d’Olaf Tryggvason, lorsque celui-ci se rend à Novgorod, n’ait pas été plus développée. Concernant l’institution des otages, il lui semble que la thèse aurait pu approfondir le caractère prestigieux de leur statut, lequel se reflète dans l’onomastique scandinave, le terme servant à les désigner ayant aussi été utilisé comme prénom (Gísli). Simon Lebouteiller reconnaît l’intérêt de cette question, mais souligne que les sources ne livrent que peu d’informations sur le sort des otages. Il ajoute que les femmes n’apparaissent que très rarement lors des remises d’otages, point qui l’a intrigué et qui pourrait être approfondi. La thèse de Simon Lebouteiller n’en reste pas moins originale et très satisfaisante aux yeux de Jean-Marie Maillefer, ne serait-ce que pour l’étendue des compétences linguistiques qu’elle a mobilisées.

27Sverre Bagge, rapporteur, prend ensuite la parole. Il remercie Pierre Bauduin pour l’invitation, puis félicite Simon Lebouteiller pour cette thèse qu’il juge très intéressante. L’échange se poursuit en anglais. Sverre Bagge se dit peu convaincu par la distinction opérée entre les aspects publics et privés des processus de pacification (p. 9-10). Simon Lebouteiller concède qu’elle n’est pas toujours évidente, mais pense tout de même pouvoir déceler des différences dans la manière dont les aristocrates et les « simple people » concluent des accords. Mais Sverre Bagge y voit une différence de degré (de pouvoir), plus que de nature. La discussion se porte ensuite sur le rapport aux sources, et notamment aux sagas. Le rapporteur estime que le candidat parvient en général à trouver un bon équilibre entre confiance et criticisme, mais se demande si le récit de l’Ynglinga saga concernant le sacrifice du roi Dómaldi pour établir « la paix et la fertilité » constitue vraiment un témoignage fiable et pertinent du caractère sacré de la royauté germanique ancienne. Il remarque que Snorri Sturluson, qui écrit trois siècles après les événements, en livre une description beaucoup plus détaillée que ses devanciers. Or, cet épisode est crucial dans le récit de l’historien islandais, lequel aurait, selon Sverre Bagge, monté cette description de toutes pièces afin de disculper le roi Hákon le Bon, dont il avait une bonne opinion. Enfin, Sverre Bagge demande au candidat s’il était utile de citer dans leur intégralité certains textes relatant en termes proches l’accord de paix de 1038 entre Harthacnut et Magnus le Bon. Simon Lebouteiller lui répond que son objectif était justement de montrer que ces similarités résultaient d’une même tradition historique. Le rapporteur maintient que cela aurait pu être fait de manière plus simple et concise. De manière plus générale, il dit cependant avoir apprécié l’utilisation inventive et intéressante de textes habituellement négligés. Puis il conclut son intervention en rappelant encore le plaisir qu’il a eu à participer à cette soutenance, et se dit très impressionné par le travail fourni par Simon Lebouteiller.

28Après une pause d’un quart d’heure, la présidente du jury ouvre la deuxième partie de la séance en donnant la parole à François Emion, examinateur, qui remarque que le candidat a su maîtriser un sujet ambitieux couvrant une période longue. Si les coquilles et erreurs sont rares, il relève toutefois quelques lourdeurs de style. Quant à l’orthographe des noms, elle n’a pas toujours été normalisée de manière suffisamment rigoureuse. Dans sa réponse, le candidat admet avoir été confronté à des difficultés au sujet de la retranscription des noms, dans la mesure où son travail porte sur cinq siècles marqués par des évolutions linguistiques notables. Il explique avoir privilégié une orthographe en islandais ancien standardisé pour les personnages ayant vécu entre le viiie et le xiie siècle, puis une orthographe francisée pour les Danois et Suédois après cette période, les langues parlées dans ces régions commençant dès lors à se distinguer fortement de l’islandais.

29L’examinateur loue la prudence du candidat face aux sources. Il le met cependant en garde contre la classification des sagas (royales ou légendaires), qui demeure une invention tardive et ne rend pas compte de la diversité des textes. Dans sa réponse, Simon Lebouteiller reconnaît le caractère restrictif de ce classement, mais souligne que celui-ci s’avère nécessaire pour organiser ses sources nombreuses. Il rappelle de plus qu’il s’est efforcé d’illustrer la variété des textes dans un même groupe, notamment à travers l’exemple de l’Ynglinga saga.

30François Emion relève quelques maladresses. Par exemple, si la poésie scaldique ne décrit jamais les phases de négociations qui précédent une paix (p. 197), c’est avant tout du fait de la concision de ce genre littéraire et des contraintes stylistiques qui s’y imposaient. De même, s’il est vrai que l’écriture runique est peu attestée pour un usage quotidien, on ne peut exclure qu’elle ait été utilisée sur des supports périssables.

31L’examinateur liste ensuite plusieurs points qui auraient appelé des développements supplémentaires. Comme Jean-Marie Maillefer, il regrette que l’Islande n’ait pas pu avoir dans cette thèse la place qu’elle méritait. Les lois scandinaves, qui constituent un mode de pacification à part entière, auraient pu faire l’objet, elles aussi, de développements plus amples où l’épisode de la conversion de l’Islande, qui s’accompagne de la mise en place d’une loi commune aux anciens camps des païens et des chrétiens, aurait pu trouver sa place. L’examinateur relève aussi que la troisième tentative pour attacher le loup Fenrir se déroule, dans l’Edda en prose de Snorri Sturluson, sur une île : cela aurait pu constituer un exemple intéressant pour l’analyse des lieux dans lesquels les accords étaient conclus. Le candidat répond qu’il n’a pas souhaité approfondir la signification des rencontres diplomatiques sur les îles ou le long des cours d’eau, ce thème s’écartant de son sujet initial. Il envisage toutefois de poursuivre ses recherches sur ce point. Enfin, François Emion souligne que certains termes auraient mérité un examen plus approfondi, comme trygðir (trêve) et vargr (être maléfique, exclu). Il en va de même pour la notion de guerre, pour laquelle le mot le plus naturel est effectivement ófriðr, alors que le terme strið est plus récent. À l’instar de Jean-Marie Maillefer, il estime qu’il y aurait des conclusions à tirer de cette vision négative de la guerre. Il insiste aussi sur l’ancienneté manifeste des formules de serment intitulées Tryggðamál et Griðamál, qui ont pu être composées à l’époque païenne. Simon Lebouteiller répond que ces formules doivent avant tout être replacées dans le contexte chrétien dans lequel elles évoluent, car malgré leur probable ancienneté, ces termes figurent dans des manuscrits tardifs et mentionnent des églises, la communauté chrétienne ou Dieu. Malgré ces critiques, François Emion tient à souligner, pour conclure, le grand intérêt, la grande qualité de cette thèse, qui se lit très bien.

32La parole est ensuite donnée à Jean-Marie Moeglin, rapporteur, lequel remercie Pierre Bauduin pour son invitation, et fait part du plaisir qu’il a eu à lire cette thèse. Il fait l’éloge de la prudence du candidat et du soin avec lequel il étaye son raisonnement. Après avoir attiré son attention sur certaines maladresses stylistiques, il se dit impressionné par l’ampleur de la bibliographie et la quantité de sources étudiées, et salue l’effort de traduction de textes rédigés dans de nombreuses langues différentes. En ce qui concerne le latin, ces traductions auraient cependant pu être plus précises, même si le sens du texte est généralement compris.

33Jean-Marie Moeglin passe en revue les différents chapitres de la thèse. Il regrette un défaut d’unité thématique dans le deuxième. S’il en voit l’objectif et l’intérêt, il doute de la possibilité de reconnaître des mentalités dans des sources dont la forme s’inscrit dans des traditions littéraires et est définie par des normes. Simon Lebouteiller admet avoir longtemps hésité à diviser ce chapitre en deux, mais en défend malgré tout la cohérence. Il soutient qu’on y trouve « un cheminement » qui, en partant de l’étymologie, amène à réfléchir à l’usage des termes dans les sources. Au-delà des normes qu’elles s’imposent, ces sources donnent bien le point de vue de l’auteur. S’il reconnaît la difficulté de reconstruire les mentalités à partir de sources traduisant d’abord les représentations de leurs auteurs, il ajoute qu’on peut au moins espérer en apprécier ainsi une part infime. Jean-Marie Moeglin estime que le troisième chapitre, qui examine les procédures préparant le rétablissement de la paix et fait ainsi apparaître la « protohistoire de la diplomatie », a donné lieu à d’excellents développements. L’analyse des lieux de rencontre est convaincante, à ceci près que le déplacement unilatéral de l’inférieur à la rencontre du supérieur marque moins, à son sens, la soumission que la déférence, le respect du rang. Quant au chapitre 4, la seule critique qu’il appelle porte sur son titre, qui correspond mal au contenu. Finalement, cette thèse se situe dans un courant actuel qui se propose de mettre en avant les procédures de paix et de conciliation, là où l’on a longtemps privilégié l’étude des pratiques guerrières.

34Suit une série de critiques plus ponctuelles. Le rapporteur souligne que le concept de rex iustus n’est pas nécessairement lié à la paix. Il déplore aussi que l’étude de la réception de ce concept en Scandinavie se soit concentrée sur saint Augustin, négligeant des auteurs comme le Pseudo-Cyprien et Isidore de Séville. Simon Lebouteiller répond que la figure du rex iustus est particulièrement complexe, mais que son caractère guerrier peut être complémentaire de sa capacité à faire la paix dans la mesure où une guerre juste est aussi le moyen par lequel l’ordre est rétabli. Jean-Marie Moeglin s’interroge sur le rapprochement opéré par le candidat entre la Friðþjófs saga ins frækna et l’Histoire d’Orwah et Afrâ (dans le Kitab al-Aghani), et doute de la possibilité d’une transmission de matière littéraire du monde arabe à la Scandinavie. Il souligne que les parallélismes observés sont en fait des motifs assez classiques de contes merveilleux. Simon Lebouteiller reconnaît que ce point est l’objet de débats et que les réseaux dans lesquels s’inscrivent ces échanges sont incertains. Les ressemblances lui semblent cependant suffisamment frappantes pour inviter à s’interroger. Enfin, le rapporteur s’étonne de la discrétion des négociations secrètes et des gestes de proximité physique et d’amicitia (embrassades, baisers…) dans les sagas. Le candidat répond que ces éléments apparaissent très peu dans les sources, même s’ils ont très probablement existé. Jean-Marie Moeglin assure que ces observations ne remettent en cause ni le propos, ni les nombreux apports de la thèse de Simon Lebouteiller, laquelle comble véritablement une lacune de notre connaissance du monde scandinave de la haute époque. Il conclut en félicitant une nouvelle fois le candidat pour un travail qu’il juge excellent.

35La présidente du jury, Geneviève Bührer-Thierry, est la dernière à s’exprimer. Elle remercie Pierre Bauduin pour son invitation à faire soutenir une belle thèse qu’elle a lue avec un grand intérêt. Elle en loue le style clair et agréable, le souci d’expliquer ce que peu de gens connaissent, mais aussi le grand soin avec lequel les hypothèses sont rediscutées à la lumière des sources. Elle se dit à son tour impressionnée par le nombre de langues, anciennes ou modernes, maîtrisées par Simon Lebouteiller. Tout en saluant, elle aussi, la prudence du candidat vis-à-vis des sources, Geneviève Bührer-Thierry estime qu’elle est parfois excessive. Elle précise que cette remarque est surtout formelle, et qu’il lui suffirait souvent de « quitter sa posture de modestie » et de mieux mettre en valeur ses acquis dans la conclusion de chaque partie. Elle cite en exemple les développements relatifs au bouclier de paix blanc, attesté dans plusieurs sources littéraires, ainsi que dans les annales de Fulda. Mme Bührer-Thierry estime que cette dernière mention est une preuve suffisante de l’existence réelle de tels boucliers, et que les précautions et l’hypercriticisme du candidat n’ont en l’occurrence pas lieu d’être. La présidente du jury donne au candidat quelques recommandations formelles en vue d’une publication. La méthode de l’analyse linguistique proposée dans le deuxième chapitre mériterait par exemple d’être clarifiée, afin de mieux en mettre en valeur les résultats.

36Geneviève Bührer-Thierry s’interroge sur la possibilité de restituer la forme originelle du mythe de la guerre entre les Ases et les Vanes. Elle souligne aussi que la forte continuité que le candidat a observée dans les pratiques diplomatiques ne doit pas masquer une réelle évolution du rôle du roi dans l’établissement de la paix, notamment de l’âge païen à l’âge chrétien. Puis la présidente du jury relève quelques points qui auraient pu être développés. Elle invite le candidat à mettre en perspective ses réflexions sur le roi de paix avec celles de Joël Cornette sur le « roi de guerre » moderne. Elle demande si le traitement des cadavres, décrit dans la Sverris saga, s’insère dans le processus de pacification et si le dépouillement des corps après une bataille figure dans les textes. Simon Lebouteiller explique que la Sverris saga est la seule saga royale à mettre autant en avant le sort des corps des défunts, dont la restitution à l’ennemi est un moyen pour Sverrir de rétablir l’ordre et d’obtenir la grâce de Dieu. Il ajoute que le dépouillement de cadavres, moyen de faire du butin et de rétribuer les guerriers, est beaucoup plus fréquemment attesté. Enfin, Geneviève Bührer-Thierry estime que la conclusion générale de cette thèse offre une très bonne synthèse de ses apports, même si le candidat insiste un peu trop sur les limites de ces derniers. La démonstration de la constance des pratiques de pacification scandinaves du viiie au xiiie siècle lui paraît « absolument salutaire », puisqu’elle « aboutit à décoloniser les Vikings, et à les réintégrer dans l’ordre de l’histoire européenne ».

37Après avoir délibéré, le jury, présidé par Geneviève Bührer-Thierry, a décerné à Simon Lebouteiller le doctorat de l’Université de Caen Normandie, en le félicitant à l’unanimité pour la qualité de sa thèse.

38Tobias Boestad
Université Paris-Sorbonne

François Biquet, Prospérité et reconversion économique du port de Caen 1850-2010, thèse soutenue le 9 décembre 2016, à l’Université de Caen-Normandie, 2 vol., 882 p.

39Jury : Xavier Daumalin, président, professeur des Universités, histoire contemporaine, Aix-Marseille, Olivier Dumoulin, directeur de thèse, professeur des Universités émérite, histoire contemporaine, Caen-Normandie, Alexandre Fernandez, rapporteur, professeur des Universités, histoire contemporaine économique et sociale, Bordeaux-Montaigne, Bruno Marnot, rapporteur, professeur des Universités, histoire contemporaine maritime, Université de La Rochelle, Jean-Louis Lenhof, examinateur, maître de conférences, histoire contemporaine maritime, directeur du Centre de Recherche d’Histoire Quantitative, Caen- Normandie.

40Après avoir présenté les membres du jury et décrit la manière dont se déroule une soutenance, compte tenu de la présence d’un large public de chercheurs mais aussi de non universitaires, M. Xavier Daumalin, président, donne la parole à Monsieur François Biquet afin qu’il présente les points essentiels de son travail, qu’il rappelle le contexte tant économique et politique que celui de la recherche historique.

41Très ému, M. François Biquet précise qu’il a fait carrière dans la banque et que, la retraite venue, il a commencé un cursus universitaire en vue d’obtenir une licence d’histoire et que s’est seulement par la suite qu’il a entamé un master de recherche consacré à l’histoire du port de Trouville-Deauville entre 1850 et 1940. Sa thèse se situe dans le droit-fil de ce premier travail de recherche.

42« Prospérité et reconversion économique du port de Caen 1850-2010 ». Au travers de ces 160 années de la vie du port de Caen, M. Biquet a cherché à comprendre le port, dans le sens où le définissait Marc Bloch quand il écrivait : « L’histoire est une vaste expérience de variétés humaines, une longue rencontre des hommes ». Enfin ce travail s’est inspiré du renouvellement récent de l’historiographie des ports et François Biquet espère que sa thèse contribuera aussi à ce renouvellement.

43De manière très classique, l’ouvrage est décomposé en trois parties correspondant à trois grandes périodes de la vie du port. La première, de 1850 à 1910, décrit le percement du nouveau canal, et les bouleversements que cet outil engendre sur le trafic pendant le demi-siècle qui suit. La seconde, de 1910 à 1960, débute au moment de la création de la Société des hauts-fourneaux de Caen par Auguste Thyssen et un industriel français, avec pour ambition la création novatrice d’une sidérurgie sur l’eau et l’exportation vers l’Allemagne du minerai de fer bas-normand, le minerai de Potigny étant d’excellente qualité. La dernière période, 1960-2010, enregistre le déclin et la mort inéluctable de l’industrie sidérurgique caennaise, une période pendant laquelle les hommes politiques n’ont pas su ou voulu bénéficier suffisamment de la décentralisation en favorisant l’implantation d’industries nouvelles, mais une période aussi pendant laquelle ces mêmes hommes politiques, tous unis, ont fait le choix d’une nouvelle activité avec la création d’une « passerelle » à Ouistreham destinée au transport de passagers et au fret entre les Îles britanniques et la France.

44Cette thèse tente également de mesurer le lien entre les nouveaux aménagements et le développement de la vie économique portuaire, ces aménagements ayant directement contribué au développement de Caen avec la création du bassin Saint-Pierre en 1848, l’aménagement du nouveau bassin en 1882-1883, l’élargissement de l’avant-port en 1888 etc. Dorénavant des navires de plus en plus grands ont accès au port entraînant un accroissement du trafic qui passe d’environ 300 000 tonnes en 1880 à plus de 400 000 tonnes en 1890. Beaucoup plus tard, la mise en service d’une nouvelle écluse, en 1963, dans l’avant-port de Ouistreham, permet l’accueil de navires de 10 000 tonnes provoquant un accroissement significatif du trafic. Monsieur Biquet rappelle que toutes les données publiées et analysées ont nécessité le dépouillement d’un important corpus, particulièrement les bulletins de la Chambre de Commerce de Caen et le Tableau du Commerce extérieur de la France. Il fait également part de l’aide reçue d’anciens responsables locaux qui lui ont ouvert leurs archives privées, des responsables, présents dans la salle, et qu’il remercie vivement. En revanche il regrette que personne à la Chambre de Commerce de Caen n’ait accepté de le recevoir.

45Ce travail, orienté vers l’histoire d’un port et son lien avec l’évolution de ses infrastructures, aurait pu constituer la base d’une plus vaste histoire des équipements portuaires des ports français, d’une histoire des marins et des dockers, d’une tentative pour apprécier l’incidence des taxes portuaires sur la compétitivité du port. L’auteur a préféré s’en tenir à un sujet « local » afin d’aborder d’autres problèmes, particulièrement celui de la « maritimité » de la ville de Caen. Les évolutions du port sont le résultat d’interventions extérieures et non le fait des Caennais, contrairement à Nantes, comme le montre la thèse d’Anne Vauthier-Vézier, Nantes : le port et la Loire maritime, une histoire culturelle de l’aménagement au xixe siècle.

46Le président donne ensuite la parole à M. Olivier Dumoulin, directeur de la thèse, qui félicite l’auteur pour avoir su surmonter toutes les difficultés techniques et rédactionnelles d’une thèse universitaire. Il souligne la qualité des références. Il remercie M. Biquet de ne pas avoir oublié l’histoire des représentations. Comment le canal est-il vécu ? Il transforme l’image de Caen, cette Athènes du Nord, qui progressivement n’est plus seulement perçue comme la ville d’une élite intellectuelle, mais devient un port industriel. L’auteur pouvait-il aller plus loin ? Certainement mais il aurait fallu effectuer une lecture systématique de la presse, dépouiller également les proclamations de foi des campagnes électorales, ce qui était beaucoup trop chronophage. M. Dumoulin regrette que les quelque 400 dockers n’aient pas été replacés dans l’ensemble de la population active et de la population industrielle. Surtout, l’absence d’un outil prosopographique des acteurs principaux – ingénieurs et armateurs – constitue un de ses regrets. M. François Biquet répond que concernant la presse et les campagnes électorales, ce n’est pas faute d’y avoir pensé mais il n’avait plus assez de temps à y consacrer.

47M. Alexandre Fernandez souligne l’ampleur et la solidité du travail : 882 pages de texte, 83 plans, 52 graphiques et 92 illustrations situent cette thèse très au-dessus de la moyenne. Toutefois les tableaux récapitulatifs, pièces essentielles de ce travail, particulièrement le tableau récapitulatif de l’activité du port, ne sont pas assez mis en valeur. Quelques cartes et plans sont peu lisibles, en raison d’une perte de qualité à l’impression. Il serait également souhaitable de mieux légender les cartes pour la publication. Il rappelle que cette thèse est structurée en trois parties : 1850-1910 c’est surtout l’exportation du fer normand qui personnalise le port de Caen et contribue à la prospérité, 1910-1960 est marquée par Thyssen, même s’il est rapidement écarté du fait de la guerre de 1914-1918… M. Fernandez est plus circonspect quant à la césure choisie, 1960. C’est un choix institutionnel, une occasion manquée, il aurait préféré une coupure plus tardive, 1984-1993, une coupure que l’utilisation d’une courbe semi-logarithmique de l’activité portuaire aurait mis en évidence. Mais M. Fernandez est bien conscient que cela aurait entraîné un déséquilibre quantitatif des parties et aurait nécessité un infléchissement problématique. Il cite d’autres réserves : l’histoire de la chambre de commerce n’est pas assez développée, l’analyse de l’effacement de l’ancienne bourgeoisie intellectuelle face à la nouvelle bourgeoisie industrielle, qui n’arrive pas à s’insérer pleinement dans la vie de la cité, est incomplète. Mais cela compte peu face aux apports d’un travail qui devrait être impérativement lu par les décideurs économiques. Cette thèse devra être publiée en la réduisant d’un tiers.

48Manquant de temps, M. Biquet n’a pu améliorer la qualité de toutes les reproductions. Concernant la chambre de commerce, il rappelle qu’il n’a pas réussi à y rentrer. Enfin, M. Biquet explique le choix de 1960 qui correspond aussi au premier déclin du trafic du minerai de fer, toutefois, si on adopte le seul point de vue économique, M. Fernandez a raison.

49M. Marnot est ravi de voir arriver à son terme une nouvelle monographie portuaire qui apporte de nombreuses réponses à des questions que lui-même se posait, particulièrement sur Thyssen. Il souligne la qualité matérielle du texte, un texte d’une lecture agréable, mais regrette des transitions parfois un peu brutales, l’absence de véritable introduction pour la première partie et la maigreur de celles des deuxième et troisième parties. L’emploi, à plusieurs reprises, de la première personne du pluriel n’est pas satisfaisant. M. Marnot se félicite que toutes les sources traditionnelles aient été bien exploitées, que la bibliographie soit excellente, complète et bien assimilée, même si le choix des rubriques peut se discuter. Il regrette qu’en 1858 on change d’unité de mesure du trafic en passant du tonneau à la tonne, ce qui rompt l’homogénéité des tableaux, il conteste aussi la différenciation entre cabotage et commerce international utilisée par l’auteur. Le premier mérite de ce travail est d’être bien dominé sur le plan de la problématique. Les bornes chronologiques avec les trois cycles de la vie portuaire sont excellentes et le détail des quatre piliers de la prospérité est convaincant.

50La première partie démontre parfaitement le rôle essentiel de la construction du canal dans la modernisation du port, un peu comme la digue longitudinale à Marseille et le port de La Palice à La Rochelle. M. Marnot a apprécié l’étude hydrographique de l’Orne, mais les acteurs qui ont voulu et construit le canal sont peu documentés, de même la création des docks n’est pas assez développée. En revanche, l’analyse d’un port qui s’étend de façon intrusive dans le tissu urbain est excellemment menée. Caen devient un port de pondéreux, ce qui explique qu’il a pu intéresser Thyssen. Enfin, M. Marnot cite plusieurs excellentes analyses : la concurrence entre Caen et Honfleur, l’étude des taxes, la question de la mission temporaire en entrepôts, la conflictualité (peu développée, il est vrai Caen n’ayant pas de tradition ouvrière).

51La deuxième partie montre bien le rôle croissant de la chambre de commerce. Elle met en évidence la naissance d’une fonction industrielle et d’un nouveau modèle économique. M. Biquet développe bien les débats sur l’exhaussement et l’approfondissement du canal. À la fin de la Première Guerre mondiale, on est en face d’un port d’avant-pays, monofonctionnel, qui se situe au 7e rang des ports français. Après la Seconde Guerre mondiale, la dynamique portuaire doit être relancée, le rôle du maire, Yves Guilloux, est bien analysé

52La troisième partie est un peu moins maîtrisée que les deux précédentes. Plus l’historien se rapproche du temps présent, plus il est difficile de penser, de théoriser. Caen est victime de décisions stratégiques – il n’a pas la taille critique, il ne bénéficie pas suffisamment des investissements de l’État – et la disparition du trafic du minerai de fer est un coup dur. M. Biquet n’a pas oublié Ouistreham qui entretient une relation originale avec Caen. Ouistreham n’en poursuit pas moins son évolution en s’orientant vers la plaisance et en devenant une station balnéaire. Caen a-t-il eu des velléités de contrôler Ouistreham ? M. Biquet n’apporte pas de réponse à cette interrogation et si le dossier reste à élucider, une réponse en creux semble permettre dès aujourd’hui de l’affirmer, avec la création de l’entité : Caen-Ouistreham. Enfin, le processus de littoralisation du port intervient très tardivement, pendant la séquence 1984-2010, c’est-à-dire la partie la plus difficile à conceptualiser.

53Au final, malgré quelques réserves, cette thèse est un beau travail, un essai d’histoire totale du port même si tous les aspects ne sont pas abordés totalement et si des questions restent en suspens, par exemple les docks sont-ils de simples magasins (à la française) ou des entrepôts à l’anglaise ? Pour la publication, il serait bon de recalculer les taxes et le budget en francs constants. Enfin, M. Marnot a été frappé par le côté dramatique de la troisième partie avec la disparition des 4 piliers… une disparition qui a dépassé l’histoire de la Société Métallurgique de Normandie (SMN).

54M. Lenhof est satisfait de voir cette thèse aboutir, et cela au sein du CRHQ, comme cela avait été le cas pour les masters I et II, sur le port de Trouville, qu’il avait dirigés. Les graphiques sont lisibles, même si le choix d’une échelle commençant à 0 n’est pas toujours judicieux, si la droite de tendance aurait pu être utilisée… L’histoire dite quantitative existe donc toujours au CRHQ. Jusqu’ici l’étude des ports de taille moyenne avait été un peu laissée de côté. Comment ces ports réagissent-ils à l’incitation ? L’étude des sources a été très bien menée, et de façon exhaustive, du moins celles conservées aux archives départementales puisque les archives municipales ont été détruites en 1944, sans parler de celles de la SMN, stockées dans un hangar qui a pris feu. Les sources imprimées ont toutes été dépouillées, la bibliographie est bonne même si elle ne comporte pas assez de sous-rubriques. Le glossaire en fin de thèse est très bien réalisé. Quant au plan chronologique, particulièrement la césure de 1960, il est convaincant. La problématique est robuste et met bien en valeur l’objet de la démonstration : établir les différents trafics et les expliquer. La connexion entre la ville et le port est un domaine d’interrogation à lui tout seul. Force est de constater que tout ce qui arrive est le fruit d’initiatives exogènes, qu’il s’agisse de l’équipement ferroviaire (1856) ou du port. Le serpent de mer de la désindustrialisation est bien présent. Les Normands restent à l’écart du chemin par rapport à la deuxième révolution industrielle. Le port n’est pas « industrialisant » (selon les sources). François Biquet ne peut que convenir du manque d’initiatives locales pendant plus d’un siècle, mais il rappelle que la création de la passerelle est une initiative purement locale.

55M. Daumalin souscrit sur le fond et la forme à toutes les remarques de ses collègues. Il revient sur des points précis : ce travail, orienté vers l’aménagement du port de Caen, concerne deux acteurs importants, les entreprises et les ouvriers. Pour les entreprises, les enquêtes industrielles n’ont pas été suffisamment exploitées, même chose pour les actes notariés qui auraient permis d’aborder le problème de l’actionnariat et de son origine (locale ?). Le monde ouvrier n’est pas assez étudié (qu’elle est notamment la part des étrangers ?). L’analyse des recensements aurait pu apporter quelques réponses. Le port de Caen n’est pas un vrai port industriel jusqu’aux années 50 (peut-être y avait-il seulement 30 % de salariat). Il a raté deux virages, celui de la vapeur et celui du pétrole. Cette étude n’apporte pas suffisamment d’explications à cet égard. D’autres questions restent en suspens : les relations Caen-Ouistreham. Y-a-t-il eu des velléités d’annexion ? Quels ont été les rapports de force entre les différentes municipalités ? (cf. la comparaison avec Marseille, Fos et Berre). On constate une concurrence des usages entre la plaisance et l’industrie. Les Bas-Normands ne s’engagent pas vraiment en faveur de l’industrialisation, plus exactement de l’investissement industriel, parce qu’il ne faut pas négliger les intérêts agricoles, et qu’il est toujours tentant d’investir les premiers profits industriels dans des châteaux et des domaines qui assurent un certain style de vie, sans oublier une évidente réticence envers les investisseurs allemands, pour ne pas dire une germanophobie. Enfin les impacts environnementaux ne sont pas suffisamment abordés. La résistance des pêcheurs a-t-elle joué un rôle ? M. Daumalin, s’il a émis des réserves, rappelle qu’au début de son intervention il avait souscrit à tous les compliments émis par ses collègues.

56M. Biquet explique qu’il a fait le choix d’une histoire de l’aménagement, une histoire des acteurs économiques, et qu’effectivement l’histoire ouvrière est peu abordée. Une histoire « tentaculaire » n’était pas possible, mais ce travail ouvre des portes vers d’autres sujets. Caen n’a jamais voulu que les ouvriers envahissent la ville, c’est pourquoi ils habitent à Hérouville et à Colombelles. Quant à la difficulté du développement du port vers Ouistreham, il vient essentiellement du refus des autres communes de se laisser absorber. Enfin, l’orientation de Ouistreham vers le yachting et les bains de mer s’inscrit dans le développement des stations balnéaires sur toute la côte normande au xixe siècle.

57À l’issue d’une courte délibération, M. Biquet se voit décerner le titre de docteur en Histoire contemporaine de l’Université de Caen-Normandie. Bien que cela ne soit plus prévu par les textes, à titre personnel, le jury, à l’unanimité, lui accorde les félicitations.

58Michel Daeffler
Univerté de Caen-Normandie

Patrice Mouchel-Vallon, Croquants, rebelles et ligueurs en Cotentin à la fin du xvie siècle. La réécriture politique d’une révolte et de ses composantes : prosopographie de l’émeute, du saccage et du meurtre, thèse soutenue le 28 février 2017 à l’Université de Caen Normandie, 2 vol., 1 012 p.

59Le jury était composé d’Antoine Follain (université de Strasbourg, président de jury), Philippe Hamon (université de Rennes 2, pré-rapporteur), Laurent Bourquin (université du Mans, pré-rapporteur), Denis Crouzet (université Paris IV Sorbonne), Marcel Roupsard (université de Caen Normandie), Jean-Marc Moriceau (université de Caen Normandie, directeur de thèse).

60Pays meurtri par les premières guerres de Religion, le Cotentin est partagé à la fin du xvie siècle entre la nécessité de panser ses plaies et celle d’en finir avec le péril huguenot. Loin de tout et enclin à la panique, les habitants pays s’imagine menacé par une nouvelle invasion anglaise et l’érection d’une république protestante à Carentan. Éreintée par les guerres, privée très vite de ses chefs, la noblesse locale doit composer avec ces officiers de bailliage et ce bas-clergé, qui ont leurs entrées à Paris, cultivent la rancune à l’égard de la Couronne et considèrent que l’ancienne aristocratie n’est plus à la hauteur des enjeux. Le travail prosopographique de Patrice Mouchel-Vallon s’attache à lever le voile sur les composantes populaires de la Ligue rurale. Petits curés du Val de Saire avec hallebardes, chanoines coutançais portant arquebuses, seigneurs pillards, pirates et naufrageurs, contrebandiers et fermiers d’impôts, sergents véreux, potiers-défricheurs et gentilshommes-verriers de la forêt de Brix, marchands de drap, foulons et teinturiers de Valognes, soit près d’un millier de fauteurs d’émeutes, composant une faune méconnue, picaresque et souvent interlope dont le dénominateur commun ne se réduit pas à l’anglophobie et l’anti-protestantisme primaires. Mais au lieu de se contenter d’une prosopographie passive, cette recherche se fait histoire politique, persuadée qu’au plus bas de l’échelle sociale, il y a aussi une opinion ; et ce, dans une presqu’île où rien n’est plus compliqué que de prendre position publiquement et de s’entretuer entre gens de connaissance, quitte plus tard, à oublier le passé ou le travestir.

61La thèse de Patrice Mouchel-Vallon, dont le résumé vient d’être exposé, trouve sa genèse dans la découverte d’un document inédit aux Archives départementales de l’Orne. À l’automne 2005, il lit et relit, avec une certaine perplexité, la succession de noms que lui révèle « la liste des hommes contre lesquels il est rapporté de certain avoir été de la conjuration entreprise et faite dans la ville de Cherbourg ». Passée la surprise de cette découverte et après avoir procédé à quelques vérifications indispensables, Patrice Mouchel-Vallon entreprend de remonter le mystère de cette liste de 26 noms dont il ne comprenait finalement que peu de choses. Pour y parvenir, il s’est engagé dans de longues et minutieuses recherches, dans une région pourtant considérée comme sinistrée en matière d’archives depuis les destructions de la seconde guerre mondiale. Malgré des difficultés certaines, Patrice Mouchel-Vallon a poursuivi sa quête et sa ténacité, sa patience et son travail acharné donnèrent lieu, le 28 février 2017, à la soutenance de sa thèse intitulée « Croquants, rebelles et ligueurs en Cotentin à la fin du xvie siècle. La réécriture politique d’une révolte et de ses composantes : prosopographie de l’émeute, du saccage et du meurtre ».

62Des mots tels que « monumentale » ou « impressionnantes », ont été employé par les divers membres du jury pour qualifier cette thèse de 1 012 pages et de près de 4 500 000 signes. Ce millier de pages comprends 5 620 notes de bas de page d’une grande précision, des annexes offrant 57 transcriptions de pièces justificatives de 1571 à 1611 ainsi que 3 jeux d’index très détaillés, de personnes, de lieux et de matières mais aussi de nombreuses illustrations. La qualité du français a été soulignée de même que celle de la relecture. L’ensemble du jury a été séduit par la plume de Patrice Mouchel-Vallon. Cette thèse écrite dans une langue goguenarde mêlant Montaigne et Proust, où la verve, l’ironie et la maestria tiennent le lecteur en haleine et où se glissent quelques archaïsmes savoureux, promène sans cesse le lecteur d’un personnage à l’autre, dans une galerie de portraits vertigineuse.

63Philippe Hamon souligne que Patrice Mouchel-Vallon a souhaité aborder la crise ligueuse dans le Cotentin, et particulièrement dans sa partie nord, en prenant en compte l’ensemble des facteurs pouvant permettre de comprendre cette révolte et en essayant de faire la place la plus large possible aux acteurs des violences commises à travers un travail prosopographique. Dans un souci de réaliser une histoire totale du Cotentin pendant la Ligue, il propose une analyse multifactorielle de la guerre. À l’origine de ce travail, il y a la surprise de Cherbourg. Cet épisode militaire est aussi un objet de mémoire et l’ensemble du travail du doctorant a été pensé et construit sur les faits et la mémoire des faits, des faits réels, difficiles à trouver et à comprendre, et une mémoire qui n’est pas toujours sincère. Patrice Mouchel-Vallon a voulu insérer le local dans le conflit global c’est-à-dire le protestantisme normand, les guerres de Religion, l’apparition de la Ligue, etc., avec en arrière-plan le contexte économique et social et les rapports entre la société et l’État dont principalement ceux touchant à l’argent et la fiscalité.

64Cette thèse fut aussi, selon Jean-Marc Moriceau, un pari, car Patrice Mouchel-Vallon a dû s’attaquer aux archives de la fin du xvie siècle, à la paléographie singulière, pour tenter combler quelques-unes des lacunes de l’histoire sociale de l’actuel département de la Manche. Grâce à sa détermination et sa rigueur, il est parvenu à réunir un important substrat documentaire à savoir des arrêts du Parlement de Rouen, 141 registres d’arrêts de la Grande Chambre de 1562 à 1599, 84 registres d’arrêts de la Tournelle, 21 registres secrets de la Grande Chambre complétés par la Cour des Aides, 80 registres d’arrêts du Bureau des Finances de Caen, 35 registres du notariat de Valognes de 1574 à 1608 ainsi que de nombreux dépôts de papiers d’érudits, d’archives diocésaines. Patrice Mouchel-Vallon n’a pas renoncé et a réussi à trouver des sources à la fois considérables et variées, ce qui est l’une des grandes qualités de son travail, qualité reconnue et saluée par l’ensemble du jury. Le doctorant a inscrit son travail dans une chronologie courte en combinant les facteurs lourds et quasi permanents du mécontentement avec les facteurs courts propres au temps de la Ligue. L’expérience a été appréciée par le jury même si des doutes subsistent sur le caractère opératoire de ce choix de méthode.

65Le travail de Patrice Mouchel-Vallon nous convie, à travers ces cinq parties, à une identification des acteurs de la rébellion, des premières dévastations, vers 1572-1573, jusqu’à celles qui suivent l’Édit de Nantes dans le tout dernier quart du xvie siècle, en focalisant néanmoins davantage son attention sur la période 1587-1598. La première partie, « Le Clos du Cotentin : un foyer contestataire », présente le cadre et le contexte socio-politique du conflit depuis le début des guerres de Religion à savoir la conjuration d’Amboise. La seconde partie, « Nul ne peut servir deux maîtres à la fois », plus narrative, plonge le lecteur dans le crime au cœur de la crise de 1588-1596. Ici l’idée est de remettre en cause deux erreurs historiographiques, à savoir, premièrement que toute la basse Normandie était restée loyaliste et, deuxièmement, qu’au contraire dans le Cotentin il n’y avait pas de loyaliste. La troisième partie, d’une nature différente, s’intéresse à la sociologie et à la prosopographie des révoltés et donne une liste impressionnante de 750 noms considérés comme des participants possibles aux agressions ligueuses. La quatrième partie, « Les pommiers de la colère » porte sur les facteurs de la révolte, la fiscalité, l’économie et les dissensions sociales. Elle se consacre à la recherche des facteurs explicatifs des troubles présentés autres que politiques et religieux. La cinquième et dernière partie s’intéresse aux conditions d’un retour à l’ordre qui est, semble-t-il, un retour à l’ordre partiel, progressif et finalement extrêmement imparfait.

66Les apports de cette thèse sont multiples. Ils portent sur les questions politiques et religieuses, sur le rapport entre le local et la capitale, sur les rivalités entre seigneurs protestants et catholiques, sur les liens entre notables, paysans et artisans ainsi que sur l’impact de la fiscalité sur les relations sociales. En ce qui concerne le monde rural, Patrice Mouchel-Vallon est aussi parvenu à mettre en lumière la mobilité socio-professionnelle au sein du monde rural entre industrie et agriculture. Ce travail montre également la manière dont un territoire a pu être désorganisé ou, selon les points de vue, réorganisé par les guerres de la Ligue et par des pouvoirs différents. Il met en évidence le recul de l’appareil d’État qui se trouve être remplacé par une autre forme d’autorité notamment basée sur la violence. Cette question offre d’ailleurs de très belles pages notamment sur les violences faites aux femmes. Des passages intéressants sur le banditisme sont également à signaler. Cette thèse est une plongée dans des centaines d’aventures personnelles qui ne sont pour autant jamais déconnectées de l’entourage familial ni des interactions sociales, politiques et religieuses.

67Le jury, de manière unanime, salue le travail de Patrice Mouchel-Vallon et son investissement. Ce travail, qui a su éveiller l’intérêt des différents spécialistes, a été aussi source de questions, de discussions et de recommandations. Conseil a été donné de réorganiser la bibliographie pour en faciliter la consultation, mais aussi d’apporter plus de précision sur la chronologie afin que le lecteur, pas toujours familier des guerres de Religion, de la Ligue, des diverses factions et positions, puisse être mieux fixé sur la chronologie des faits, chronologie qui pourrait aussi offrir quelques précisions supplémentaires et, pourquoi pas, un tableau des protagonistes pour faciliter la compréhension. Par de courts résumés, l’auteur pourrait également donner davantage de respirations son ouvrage. Denis Crouzet aurait apprécié, en début de travail, une synthèse sur la question de la révolte paysanne à l’échelle de l’Europe du xvie siècle et de la Renaissance, ce qui aurait pu permettre d’avoir des modèles interprétatifs, ainsi que des différentes positions historiographiques de manière à voir si ce travail peut, ou non, entrer dans un cadre.

68Pour Philippe Hamon, il aurait également été appréciable que ce travail présente davantage de comparaisons pour que la banalité ou, au contraire, l’originalité du Cotentin puisse mieux ressortir. Pour ce faire, s’intéresser, par exemple, à la Champagne, au Limousin, à la Savoie ou encore à la Bretagne aurait pu donner des éléments de comparaison intéressants. De même, selon Denis Crouzet, il aurait été bon de regarder les écrits sur la guerre d’Espagne ou la guerre de Trente Ans pour essayer de voir comment le cas individuel peut fournir une grille de lecture pertinente quant aux causalités et aux modes d’implications des acteurs. Le tableau dressé au vitriol par Patrice Mouchel-Vallon de la société du Cotentin pousse à s’interroger sur les sources qui ont pu encourager ce catastrophisme. Les sources judiciaires, qui mettent en lumière l’extraordinaire et ne montrent pas l’ordinaire, sont finalement au service d’un tableau du désordre qui peut conduire à des surinterprétations ou des généralisations.

69Denis Crouzet, Philippe Hamon et Laurent Bourquin sont revenus sur la question de l’anarchie, de la violence et de l’aspect culturel des guerres de Religion qui aurait pu être davantage étayée. Si quelques centaines de pages supplémentaires aurait pu être écrites, les contraintes documentaires mais aussi d’investissement expliquent en grande partie cette lacune. Les discussions ont aussi porté sur le choix du doctorant à travailler sur le Cotentin, au-delà de l’intérêt légitime qu’il pouvait ressentir à l’égard de sa région natale, afin de savoir en quoi il pouvait être intéressant et singulier. Des demandes de précisions ont été formulées à ce sujet de même que sur le périmètre étudié. Les contours géographiques de l’objet d’étude ont pu manquer de clarté. Une carte claire et synthétique aurait pu pallier ce problème en aidant à fixer et à repérer les différents lieux étudiés. Patrice Mouchel-Vallon a reconnu « une coque mal taillée » à son aire géographique, probablement induite par sa volonté d’étudier non pas le territoire mais les habitants ainsi que la crainte d’enfermer son objet d’étude dans une définition administrative inadaptée.

70La prosopographie a aussi été au cœur des débats. La définition de cette méthode d’analyse a été rappelée et discutée par Laurent Bourquin et Antoine Follain afin de savoir si l’emploi de ce terme était véritablement adapté pour la thèse de Patrice Mouchel-Vallon. Le doctorant a reconnu ne pas avoir suivi les règles propres à la prosopographie car il ne souhaitait pas borner son étude à de strictes statistiques. De même, il lui avait été inconcevable d’établir une base de données « à la Prévert ». De la prosopographie, il a essayé d’extraire des écritures biographiques des individus pour les restituer dans leur contexte. Si le jury comprend la réflexion et la démarche du candidat, il l’enjoint tout de même à présenter clairement son positionnement oscillant finalement entre la microhistoire, la biographie collective et la prosopographie sans en être des applications strictes selon les définitions universitaires propres aux sciences humaines.

71Si les propositions de compléments sont nombreuses, une partie d’entre elles relève davantage du souhait que de la critique. Les discussions, nombreuses et variées, prouvent l’intérêt suscité par le travail de Patrice Mouchel-Vallon et rappellent, par la même occasion, qu’un travail de recherche, aussi conséquent soit-il, n’est jamais totalement couvert et que le propre de l’histoire est l’interrogation et la remise en question permanente de méthodes et de positionnements.

72Plusieurs membres du jury ont insisté sur le fait que la thèse de Patrice Mouchel-Vallon offre au lecteur un fourmillement d’exemples, une succession d’échappées microhistoriques, un passage en revue prosopographique qui apporte une mine d’informations. Bien que l’auteur n’ait pas adopté une démarche quantitativiste, son travail offre une reconstruction de l’histoire sociale et rurale au filtre de la conjoncture épouvantable de la dernière décennie du xvie siècle. Par le prisme de l’événement et des réactions judiciaires, le candidat a élaboré une vaste fresque qui s’appuie sur un socle documentaire impressionnant et toujours vérifiable. Pour le jury, cette approche rigoureuse et méthodique de l’utilisation systématique des sources a le défaut de ses qualités et a pu fragiliser la cohérence de certains propos. Le travail de Patrice Mouchel-Vallon témoigne de sa volonté d’aborder la crise ligueuse, ses composantes, ses causes et ses effets en essayant d’embrasser l’ensemble des acteurs et des facteurs en jeu dans le Cotentin à la fin du xvie siècle.

73Pour reprendre les mots de Denis Crouzet, Patrice Mouchel-Vallon est aussi un professeur qui prend conscience qu’il ne suffit pas d’enseigner mais qu’il a aussi une forme de devoir : celui de reconstituer, relater et restituer à ses contemporains une histoire dont ils n’ont pas idée. Croquants, rebelles et ligueurs en Cotentin à la fin du xvie siècle. La réécriture politique d’une révolte et de ses composantes : prosopographie de l’émeute, du saccage et du meurtre est un ouvrage qui est le reflet de son auteur : un travailleur tenace, ne comptant pas les heures passées dans les dépôts d’archives jusqu’au détriment de sa vue, faisant preuve d’un sens critique, de méthode et de rigueur, mais c’est aussi un homme au talent oratoire certain, possédant une plume aussi savoureuse que stylisée, qui s’est pleinement impliqué dans son sujet et qui a produit, pour reprendre les propos d’Antoine Follain, une très belle thèse.

74Après avoir écouté, discuté, questionné et délibéré, le jury attribué à Patrice Mouchel-Vallon le grade de docteur en histoire.

75Isabelle IVON
Université de Caen Normandie


Logo cc-by-nc

Date de mise en ligne : 03/05/2017

https://doi.org/10.3917/annor.662.0115

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.87

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions