Notes
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[*]
Professeur certifié en histoire-géographie, enseignant au lycée Jeanne d’Albret de Saint-Germainen-Laye et chargé de cours à l’université de Caen Basse-Normandie ; membre associé du Centre de Recherche d’Histoire Quantitative (UMR 6583, CNRS/UCBN) et du CIRTAI/IDÉES (CNRS/université du Havre).
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[1]
R.-H. Dana, Two Years Before the Mast, 1840, rééd. New York, Signet Books, 1958, p. 20.
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[2]
P. Earle, Sailors : English Merchant Seamen 1650-1775, Londres, Metheun, 1988, p. 81.
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[3]
Arch. mun. Le Havre. Fonds Moderne, Série I2 Police. Carton 10. Liasse 1. Rapport des commissaires de police.
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[4]
J.-P. Hary, Marine marchande. Des océans, des navires et des hommes, Rennes, Éditions Ouest-France, 1999, p. 58.
-
[5]
Compte général de l’administration de la justice criminelle, 1910, p. 35. Cité dans G. Désert, « Aspects de la criminalité en France et en Normandie », Cahier des Annales de Normandie, année 1981, vol. 13, p. 256.
-
[6]
L.-C.-D. Leconte de Roujou, Éducation morale, patriotique et militaire des équipages de la flotte, Paris, Armand Colin, 1899, p. 44.
-
[7]
U. Falaize, Le Havre moral et social, 43e session de l’Association française pour l’avancement des Sciences, Le Havre, 1914, np.
-
[8]
M. N. Borel, P. Laporte, A. Loir (dir.), Le Havre en 1914, Le Havre, Imprimerie du Journal du Havre, 1914, p. 140.
-
[9]
C. Quétel et J.-Y. Simon, « L’aliénation alcoolique en France (xixe siècle et première moitié du xxe siècle) », Histoire, économie et société, 7e année, n° 4, 1988, p. 516.
-
[10]
C. Leroux, L’assistance maritime des enfants et les hôpitaux marins, Paris, Société d’Éditions Scientifiques, 1892, p. 28.
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[11]
Cette enquête a été menée par les inspecteurs généraux des Établissements de Bienfaisance, dont le rapport a été publié le 1er décembre 1876, sous la direction du ministère de l’Intérieur.
-
[12]
T. Nègre, Le Havre, étude de géographie urbaine, Le Havre, Imprimerie Marcel Etaix, 1947, p. 43.
-
[13]
C. Leroux, L’assistance maritime…, op. cit., p. 39.
-
[14]
L. Faucher, « Études sur l’Angleterre », Revue de Deux Mondes, 1er décembre 1843, dans A. Gérard, Y. Katan, P. Saly et H. Trocme, Villes et sociétés urbaines au xixe siècle, Paris, Armand Colin, 1992, p. 320.
-
[15]
J. Siegfried, Quelques mots sur la misère, son histoire, ses causes, ses remèdes, Le Havre, Poinsignon, 1877, p. 48.
-
[16]
J. Guillemard, L’esprit du Havre, Le Havre, Éditions de La Presse du Havre, 1951, p. 202.
-
[17]
C. Le Goffic et D. Vénancourt, À travers le Havre. Effets de soir et de nuit, Le Havre, Éditions Lemale et Cie, 1892, p. 21.
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[18]
Ibid., p. 25.
-
[19]
H. Toulouse-Lautrec, L’anglaise du « Star » au Havre, Musée Toulouse-Lautrec, Albi. Reproduit dans B. Delarue et G. Lefebvre, Les peintres au Havre et Sainte-Adresse (1516-1940), Yport, Terre en Vue, 2008, p. 208.
-
[20]
C. Vesque, Histoire des rues du Havre, Le Havre, Imprimerie Brenier, 1876, p. 404.
-
[21]
Quartier situé à l’ouest de la ville.
-
[22]
Le Journal du Havre, 11 juillet 1891. Cité dans C. Barbaray, La Belle-Époque, images et réalités (1890-1914), mémoire de maîtrise d’histoire de l’Université du Havre, 2001, p. 159.
-
[23]
Arch. mun. Le Havre. Fonds Contemporain. Série I1. Carton 30. Liasse 1.
-
[24]
Règlement général du 14 avril 1881, dans le Recueil des règlements municipaux de la ville du Havre, Le Havre, Imprimerie du Commerce, 1891, p. 79.
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[25]
F. de Coninck, Le mousse Yvonnet, Le Havre, Imprimerie Lemale, 1862, p. 7.
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[26]
J. Guillemard, L’esprit du Havre, op. cit., p. 201.
-
[27]
J. Legoy, Le peuple du Havre et son histoire, du négoce à l’industrie, 1800-1914 : le cadre de vie, Saint-Étienne-du-Rouvray, EDIP, 1982, p. 127
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[28]
La Compagnie Générale Transatlantique, ou Transat, grande compagnie de navigation à vapeur, et non le syndicat ouvrier, pas encore né.
-
[29]
Arch. mun. Le Havre. Fonds Contemporain. I16 liasse 1, Lettre à Mr le Maire du Havre, 3/12/1890. Cité dans D. Nourrisson, Alcoolisme et anti-alcoolisme en France sous la Troisième République. L’exemple de la Seine-Inférieure, thèse d’histoire de l’Université de Caen, 1986, p. 540.
-
[30]
Circulaire de l’Union des syndicats. Cité par J. Hayaux, En Normandie. Documents, actions et organisations antialcooliques, Paris, Impr. Gambart, 1910 ; repris par D. Nourrisson, op. cit., p. 372.
-
[31]
C. Le Goffic, Gens de mer sur la côte, Paris, Armand Colin, 1897, p. 20.
-
[32]
« Maison du marin du port de La Rochelle », Compte-rendu de l’exercice 1898-1899, La Rochelle, Imprimerie Girault, Masson et Cie, 1899.
-
[33]
P. Butel, Européens et espaces maritimes (vers 1690-vers 1790), Talence, PU de Bordeaux, 1997, p. 174.
-
[34]
J. Legoy, Le peuple du Havre et son histoire…, op. cit., p. 129.
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[35]
D. Nourrisson, Alcoolisme et anti-alcoolisme en France…, op. cit., p. 243.
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[36]
Ibid., p. 244.
-
[37]
M. Seltzer, « Haven an a Heartless Sea : The Sailors’ Tavern in History and Anthropology », The Social History of Alcohol and Drugs : An Interdisciplinary Journal, vol. 19. http://alcoholanddrugshistorysociety.files.wordpress.com/2014/01/ shad19seltzersailorstavern.pdf
-
[38]
P. Manneville (dir.), Des villes, des ports, la mer et les hommes, Paris, CTHS, 2001, p. 15 et 17.
-
[39]
H. de Balzac, Modeste Mignon, roman, 1844, rééd. Paris, Nelson Éditeurs, 1959, p. 12-13.
-
[40]
Recueil des règlements municipaux de la ville du Havre, Le Havre, Imprimerie du Commerce, 1891, p. 219.
-
[41]
P. Masson, La mort et les marins, Grenoble, Glénat, 1997, p. 386.
-
[42]
A. Cabantous, A. Lespagnol et F. Péron (dir.), Les Français, la Terre et la Mer xiiie-xxe siècles, Paris, Fayard, 2005, p. 554.
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[43]
Arch. mun. Le Havre. Série F1. Carton 8, liasse 6. Rixes entre marins, 1800-1900.
-
[44]
E. Spalikowski, Le Havre, Rouen, Éditions Defontain, 1934, p. 122.
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[45]
F. Bergé, Le Havre, Paris, Éditions Émile-Paul Frères, 1929, p. 69.
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[46]
E. Spalikowski, Le Havre, op. cit., p. 167.
-
[47]
Arch. mun. Le Havre. Série F1. Carton 8, liasse 6. Rixes entre marins, 1800-1900.
-
[48]
Ibid.
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[49]
A. Rique, La prostitution au Havre entre 1870 et 1914, mémoire de maîtrise de l’Université de Rouen, 1993, p. 20.
-
[50]
Ibid., p. 29.
-
[51]
C. Noiret, Projet de syndicat et de caisse d’échange pour les ouvriers du port et d’amélioration morale dans notre population, Le Havre, Imprimerie Maudet, 1876, p. 12.
-
[52]
M. Vergé-Franceschi (dir.), Mer et religion. Neuvièmes Journées Universitaires de Bonifacio, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2008, p. 32.
-
[53]
A. Corbin, Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (19e siècle), Paris, Aubier, 1978, rééd. Flammarion, coll. « Champs », 1982, réimp., 2010, cartogramme p. 67.
-
[54]
A.-J.-B. Parent-Duchatelet (dir.), De la prostitution dans la ville de Paris : considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration ; suivi d’un Précis hygiénique, statistique et administratif sur la prostitution dans les principales villes de l’Europe, tome II, Paris, Baillière et fils, 1857, p. 418.
-
[55]
Cet arrêté précise que les maisons de tolérance n’ont pas l’autorisation d’être des débits de boisson. De plus l’article 14 du règlement du 13 octobre 1857 défend à tout professionnel, cabaretier ou cafetier, de servir des hommes ivres. Arch. mun. Le Havre. Fonds Moderne. Rapport du commissariat central du Havre du 2 décembre 1867 Série I2, liasse 11.
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[56]
Recensement de la ville du Havre, 1846.
-
[57]
A. Rique, La prostitution au Havre…, op. cit., p. 29.
-
[58]
Il s’agit des deux cités plus haut.
-
[59]
Les deux citées également plus haut.
-
[60]
Version confirmée par Eugène Hauguel, le cocher chargé de raccompagner ces six personnes. Le Félix a donc été mis sous surveillance policière : Arch. mun. Le Havre. Fonds Moderne. Série I2, liasse 11.
-
[61]
Arch. mun. Le Havre. Fonds Moderne. Série F1, liasses 2-5 : débits de boissons, année 1852.
-
[62]
D. Kirby, « One hundred years of the finnish Seamen’s Church in London », dans 100 Vuotta, 100 Years of the Finnish Seamen’s Church in London, Kajaani, Kainuun Sanomain Kirpaino Oy, 1982, p. 43. Cité dans M. Seltzer, op. cit.
-
[63]
J. Bourienne, « Les congrégations religieuses au Havre (1815-1914) », Cahiers Havrais de Recherche Historique, n° 65, 2007, p. 95.
-
[64]
E. Zola, « Comment elles poussent ? », Le Figaro, 21 février 1881.
-
[65]
J. Fingard, « Masters and Friends : Crimps and Abstainers », disponible en ligne au lien suivant : http://journals.hil.unb.ca/index.php/Acadiensis/article/view/12322/13166 ; et S. Palmer, « Seaman Ashore in Late Nineteenth-Century London : Protection from Crimps », dans P. Adam (dir.), Seamen in Society : Proceedings of the International Commission for Maritime History, Bucarest, Commission internationale d’histoire maritime, 1980, p. 5-67.
-
[66]
Dans A. Corvisier, Histoire du Havre et de l’estuaire de la Seine, Toulouse, Privat, 1987, p. 218.
-
[67]
Voir M. Agulhon, « Classe ouvrière et sociabilité avant 1848 », dans Histoire vagabonde, Paris, Gallimard, 1988, tome 1, p. 60-97 ; J. Rougerie, « Le mouvement associatif populaire comme facteur d’acculturation politique à Paris de la Révolution aux années 1840. Continuités et discontinuités », Annales Historiques de la Révolution française, 1994, n° 3, p. 493-516, cité dans F. Jarrige, « Une “barricade de papiers” : le pétitionnement contre la restriction du suffrage universel masculin en mai 1850 », Revue d’histoire du xixe Siècle, n° 29, 2004, p. 6.
-
[68]
Arch. mun. Le Havre. Fonds Moderne. F1 2-6. Débits de boissons 1852-1854.
-
[69]
On trouvera le terme skinner en anglais : littéralement, « celui qui dépèce ».
-
[70]
Arch. mun. Le Havre. Série F2, liasse 10. Police des matelots.
-
[71]
Biville, « L’alcool et l’embauchage des ouvriers dans les ports de Normandie », L’alcool, janvier 1900, p. 6-9. Cité dans D. Nourrisson, op. cit. p. 476.
-
[72]
Recueil des règlements municipaux de la ville du Havre, Le Havre, Imprimerie du Commerce, 1891, p. 31.
-
[73]
A. Cabantous, A. Lespagnol et F. Péron (dir.), Les Français, la Terre et la Mer…, op. cit., p. 604.
-
[74]
C. Le Goffic, La payse, cité dans J. Legoy, Le peuple du Havre et son histoire…, op. cit., p. 201.
-
[75]
C. Maze, Étude sur le langage dans la banlieue du Havre, Le Havre, Imprimerie Micaux, 1903, p. 201.
-
[76]
8 014 personnels du pont, 5 177 personnels de machines et 1 053 personnels de service. Ces données quantitatives sont fournies dans : Arch. mun. Le Havre. Fonds Contemporain. Série F7, liasse 3-4 (Bureau de placement pour les marins, 1897-1927).
-
[77]
E. Eriksen, Vår Gamle Sjøfartskultur, Oslo, 1968, p. 27. Cité dans M. Seltzer, op. cit., traduction du norvégien à l’anglais par l’auteur, et de l’anglais au français par nos soins.
-
[78]
P. Gilje, Liberty on the Waterfront : American Maritime Culture in the Age of Revolution, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2004, p. 17.
-
[79]
E.-P. Thompson, The Making of the English Working Class, Londres, Victor Gollancz, 1963, p. 63.
-
[80]
M. Seltzer, op. cit.
-
[81]
C. Le Goffic, Gens de mer sur la côte, op. cit., p. 7.
-
[82]
J.-R. Bruijn, « Seamen in Dutch Ports, 1700-1914 », Mariner’s Mirror, n° 65, 1979, p. 327-337.
-
[83]
V. Burton, « Boundaries and Identities in the Nineteenth Century English Port : Sailortown Narratives and Urban Space », dans S. Gunn et R. Morris (dir.), Identities in Space : Contested Terrains in the Western City since 1850, Aldershot, Ashgate, 2001, p. 137-151 ; S. Fischer (dir.), Lisbon as a Port Town, the British Seaman, and Other Maritime Themes, Exeter, University of Exeter Press, 1988 ; D. Hilling, « Socio-economic change in the Maritime Quarter : The Demise of Sailortown », dans B. Hoyle (dir.), Revitalising the Waterfront : International Dimensions of Waterfront Development, Londres, Belhaven Press, 1988, p. 20-37 ; G. Jordan (dir.), Tramp Steamers ; Seamen and Sailor Town, Jack Sullivan’s Paintings of Old Cardiff Docklands, Cardiff, Butetown History & Arts Centre, 2002.
1Qu’ils soient nommés bars, cabarets, bistrots ou cafés, les débits de boissons s’inscrivent profondément dans le paysage de la ville-port contemporaine. Au xixe siècle, Le Havre est en plein essor notamment du fait de l’affirmation de son identité transatlantique. De ce fait, la présence massive de populations flottantes, composées de marins ou de migrants principalement, favorise celle des débits de boissons, notamment dans les deux quartiers méridionaux de Saint-François et Notre-Dame. Dès lors, ces établissements constituent des espaces centraux dans la vie des marins qui, une fois à terre, cherchent à profiter des intervalles de repos, loin des rudesses de la vie à bord. La consommation d’alcool demeure logiquement la fonction majeure des débits mais il serait néanmoins erroné d’en réduire ainsi l’activité. En effet, ces établissements concentrent également d’autres activités telles que le logement dans des chambres meublées, la prostitution, l’embauche de marins ou l’offre de crédits. En permanence sous la surveillance des autorités de la ville, les débits inquiètent puisqu’ils concentrent une faune masculine relativement tumultueuse. Cela étant, dans une ville-port comme Le Havre, essentiellement tournée vers la navigation de long cours à la période qui nous intéresse, ces établissements étaient indispensables aux marins de passage et une part de la vie maritime s’y déroulait. C’est précisément en cela que la notion de régulation prend sens. Si l’on considère l’établissement d’un système de fonctionnement basé sur des règles globalement admises, les débits de boissons occupent alors une place importante. Ils concourent effectivement à exercer un contrôle sur la société de la ville-port en structurant en partie les rapports entre les différents acteurs de la vie maritimo-portuaire. Cela étant, la notion de régulation se veut ici plurielle. Elle diffère en effet selon le profil du marin puisque les débits ne répondent pas nécessairement aux mêmes besoins pour un marin local que pour un marin en escale. Dans ces conditions, la régulation revêt des logiques différentes, mais les débits constituent pour les marins un relai voire un substitut aux cadres traditionnels puisqu’ils y élaborent leurs propres règles afin d’organiser de manière plus autonome leur vie professionnelle. Il devient alors intéressant de s’attarder sur ces points névralgiques de la ville-port que sont les débits, sous l’angle de la régulation puisqu’ils participent, notamment par la prise en charge des marins à des fins diverses, à construire l’équilibre de la société portuaire.
2Si l’exemple havrais sera retenu ici, les rapports entre les débits et la société urbaine intéressent directement l’ensemble des villes-ports, et ce, quelle que soit l’activité de navigation dominante, halieutique, commerciale ou militaire. Par conséquent, nous proposons d’évaluer la portée réelle des débits de boissons dans la ville-port contemporaine (fig. 1) en nous penchant successivement sur leurs différentes fonctions, notamment par rapport aux marins.
Les principaux quartiers du Havre (Arch. dép. Seine-Maritime, 12 Fi, plans du Havre)
Les principaux quartiers du Havre (Arch. dép. Seine-Maritime, 12 Fi, plans du Havre)
Marins, alcool et débits : quels liens ?
3Richard Henry Dana [1] ou Peter Earle [2] ont souligné le fait que la monotonie du bord explique l’excès de boisson. La figure du marin grand buveur peut apparaître comme un lieu commun et mérite d’être examinée. Lorsqu’ils sont en mer, les marins consomment l’alcool dans des quantités fixées par la loi et sous la surveillance de la hiérarchie. L’alcool demeure un élément fondamental de l’équilibre à bord puisque la dose journalière joue un rôle de garde-fou chez des équipages soumis aux rudesses de la vie en mer et à l’isolement. Aussi, les actes d’insoumission et les désertions peuvent parfois être liés à une quantité insuffisante. Par exemple, le 19 janvier 1898, le Commissaire central du Havre prévient le maire que :
« Vers 6 heures et demie du soir, environ 50 chauffeurs du paquebot La Bretagne se sont réunis au syndicat des marins, 57 rue Videcoq en présence du sieur Rathier, président du syndicat. Ces hommes ont décidé qu’ils se mettraient en grève si la Compagnie Générale Transatlantique continuait à leur refuser les 6 centilitres d’eau-de-vie qui leur étaient accordés depuis longtemps » [3].
5Ajoutons que les sanctions à bord se manifestent souvent par un retrait de la ration quotidienne d’alcool qui constitue un moyen de pression très efficace. Par conséquent, c’est surtout à terre que se déroulent les consommations abusives. Jean-Pierre Hary, ancien de la marine marchande, a évoqué à la fin du xxe siècle les logiques de la consommation chez les marins :
« On a trop souvent reproché aux gens de mer d’être des rustres et de grands buveurs. C’est faux pour l’un et exagéré pour l’autre. S’il est vrai qu’ils lèvent facilement le coude, c’est que la dureté de leur travail les y “incite” et que la convivialité, qui doit être, et est, la règle du bord, les y conduit sous la forme d’échange » [4].
7Les marins, ce groupe socio-professionnel dans lequel a priori « l’alcoolisme exerce le plus ses ravages » [5], font l’objet de nombreux commentaires d’observateurs allant jusqu’à craindre leur progressive dégénérescence [6]. À la fin du xixe siècle, le discours antialcoolique qui s’adresse à l’ensemble des catégories laborieuses participe de la crainte de la dégénérescence d’une supposée race française. Au Havre au xixe siècle, l’alcool semble être un véritable problème de santé publique. Urbain Falaize, rédacteur en chef du Havre-Éclair, déclare en 1914 que « Le Havre apparaît ainsi comme la ville la plus alcoolique de France, en quelque sorte, comme la capitale de l’alcool dans le monde entier, puisque la France est de toutes les nations la plus alcoolisée » [7]. En 1913, 3 301 ivrognes sont ramassés dans les rues par les autorités de la ville, obligeant la municipalité à réduire l’activité des cabarets [8]. À l’échelle nationale en effet, le département de la Seine-Inférieure apparaît comme celui où la consommation d’alcool, rapportée au nombre d’habitants, se situe parmi la plus forte du pays [9]. À la décharge des Havrais, la présence permanente de populations flottantes augmente considérablement la consommation globale de la ville. À l’époque, on considère que la question de l’alcoolisme reste intimement liée à celle de l’hygiène [10]. La misère intervient également, à l’image de ce témoignage datant de 1892 :
9Concernant les gens de mer, le même auteur considère que « la grande cause de l’alcoolisme […] chez les pêcheurs est le désœuvrement à terre » [13]. Seulement, les marins du commerce n’obéissent pas forcément à ces logiques pour deux raisons. Premièrement, les personnels de retour de voyage ou en escale sont le plus souvent loin d’être dénués de ressources financières et la fréquentation des débits de boissons en est un signe. Il a été démontré dans les années 1840 pour le port de Liverpool que le jour de paye est synonyme de dépenses, mal perçues par les autorités, au contraire des débitants [14]. Ensuite, la consommation d’alcool reste une composante de l’expression des sociabilités à terre et ne peut en aucun cas être réduite à l’enivrement, quoi qu’en dise Jules Siegfried en 1877 :
« L’ivrognerie provient-elle uniquement de la passion de boire ? Je ne crois pas, et il me semble que bien souvent elle n’est que la conséquence du désœuvrement et d’un manque d’éducation. Le cabaret est la source de tous les dérèglements ; là, le jeu, les mauvaises connaissances fausses, les mauvais propos se donnent rendez-vous ; on s’y excite par l’abus des boissons alcooliques, et on en sort presque toujours la poche vide et l’esprit hanté par des pensées malsaines » [15].
11Le marin de passage profite de ses moments à terre, avec le plus souvent la fréquentation des mêmes débits. Le marin havrais quant à lui se rend dans les débits dans un objectif de réappropriation des sociabilités terriennes, même si elles s’effectuent fréquemment avec d’autres marins. Quoi qu’il en soit, pour tous le bar représente un lieu de convivialité avant tout, en dépit des nombreuses gueules de bois que les alentours des bassins voient défiler, comme le souligne le Havrais Julien Guillemard :
« Combien de ces marins, partis en maudissant dans leur soûlographie Saint-François, tout en l’aimant plus que tout, ont avalé leur chique en luttant désespérément contre la mer en furie […] » [16].
13Le paysage urbain est fortement imprégné par les débits de boissons, comme en attestent les propos du très conservateur Charles Le Goffic en 1892 :
« Tout le monde les connaît, du grand café-restaurant où, jusqu’à plus d’une heure du matin, séjourne une clientèle trop mêlée, au petit café-débit où la plus mauvaise partie de cette clientèle émigre à la fermeture du premier, pour pouvoir encore s’abreuver deux ou trois heures plus tard » [17].
15La rue des Drapiers au cœur du quartier Notre-Dame possède deux des principaux cabarets populaires de la ville que sont le Star et la Gaieté, dont les marins français et étrangers constituent une grande partie de la clientèle :
« C’est qu’à Saint-François l’on trouve de tout, depuis ce Star, Music Hall où se dansent des gigues effrénées, où le tarara boom dy ay britannique fut chanté pour la première fois en France, et quelle gloire pour notre ville natale ! Depuis ces Sailor’s Rest, si dignes de leur nom, où, pour quelques sous, les marins étrangers viennent boire de rafraîchissantes liqueurs et se raffermir l’esprit aux inscriptions bibliques des murs […] » [18].
17On mesure dans ce propos à la fois la participation de ces lieux de fête au folklore local mais aussi le caractère international et cosmopolite des environs du port et plus particulièrement du quartier Saint-François. Le Star et son propriétaire Thomas Wilson offrent une programmation musicale ainsi qu’un large choix de bières et spiritueux à partir de 19 h 30. Le Star est un haut lieu de la vie nocturne havraise si bien que Toulouse-Lautrec, au repos à l’hôtel de l’Amirauté du Havre en juillet 1899 à la suite d’une cure de désintoxication alcoolique, laissa un portrait de la chanteuse du café-concert [19].
18L’esprit de fête participe indéniablement à l’entretien du lien entre les marins et la société urbaine. Le 4 juillet par exemple, des bals se tiennent dans les rues des quartiers proches des bassins sous l’impulsion des matelots américains et à partir des débits de boissons. Sans pour autant éviter les rixes, l’objectif premier demeure la volonté de communion entre terriens et marins [20]. À partir des années 1870, le 14 juillet est aussi l’occasion de réjouissances et au Havre, il s’agit également de donner une image moins terne de la ville. Ainsi, le Journal du Havre en date du 11 juillet 1891 relate une requête du Comité du Perrey [21] qui appelle les Havrais à décorer leurs intérieurs afin de montrer une image plus reluisante du quartier mais aussi « que les rues habitées par les travailleurs soient aussi celles où le patriotisme est le plus vivace, que toutes les croisées aient leurs drapeaux, leurs lanternes tricolores. Honneur aux travailleurs ! Vive la République ! » [22].
19Outre ces réjouissances officielles, de nombreux bals non autorisés sont organisés au Havre. Ces réjouissances se déroulent le plus souvent dans le quartier Saint-François à l’initiative des Bretons en mal du pays. Ce rapport du commissariat de la troisième section en 1896 en témoigne :
« Une obstinée Bretonne a laissé danser dans son débit situé rue du Grand Croissant. Dans cet établissement qui a déjà fait l’objet de plusieurs procès-verbaux, se mêlent des filles aux mœurs légères et des marins aimant s’amuser après un long voyage » [23].
21Ces bals ne sont d’ailleurs pas forcément du goût des riverains et plaintes ou pétitions sont monnaie courante.
22Même si l’utilité sociale des débits de boissons est avérée, la consommation d’alcool reste une préoccupation majeure des autorités et plusieurs initiatives tentent alors de se préoccuper du problème. À la fin du xixe siècle, la ville édite une série de règlements municipaux afin de limiter l’impact des débits de boissons sur la sécurité générale de la ville, « considérant qu’il y a lieu, dans un but de morale, de santé et de paix publiques, de généraliser la police des établissements à usage des cafés » [24]. Ces règlements se distinguent par une volonté de ne pas nuire à ce secteur d’activité important tout en maintenant un équilibre sécuritaire dans l’espace public. Le 25 juin 1889, la fermeture à une heure du matin des débits de boissons était accordée, mais le 4 juin 1885 leur implantation avait été interdite à proximité des lieux de culte, hospices ou établissements scolaires. Les alcools forts, en particulier les eaux-de-vie, inquiètent les élites, à l’image de l’armateur Frédéric de Coninck, s’exprimant par l’intermédiaire d’une nouvelle destinée aux jeunes mousses du Havre :
« De cette eau que l’on appelle eau-de-vie, mais qui devrait bien plutôt être appelée de l’eau de mort, vu qu’elle tue à la fois l’âme et le corps, et qu’elle rend un homme incapable de réussir à se créer une position honorable dans n’importe quel métier » [25].
24L’absinthe est également très prisée et consommée habituellement, malgré ses dangers :
« À cette époque, dans tous les bistrots du port […] midi et soir d’innombrables verres d’absinthe incendiaire étaient alignés sur le zinc et, pour trois sous, ayant grand soif de la “petite verte” ou la “petite bleue” qui leur détraquait l’organisme, pour trois sous, d’un rapide coup de gosier les gars “étouffaient un perroquet” en passant » [26].
26La Ligue Nationale est l’une des principales associations de lutte contre l’alcoolisme et ce n’est manifestement pas un hasard si cette même association a fondé et entretenu la Maison des Marins, ayant bien ciblé les problèmes d’alcool de cette catégorie de travailleurs. Lors d’une conférence au Havre le 9 janvier 1870 pour le compte de la Ligue de l’Enseignement, le docteur Gibert opère pour ses calculs de la consommation moyenne des Havrais un retrait des femmes et des enfants de moins de 14 ans, ce qui le conduit à évaluer la consommation à 90 l d’eau-de-vie par an et par homme [27]. La consommation d’alcool n’est cependant pas une exclusivité masculine et le « nicano » se consomme quotidiennement chez les femmes des milieux populaires. Il s’agit d’un mélange à dose égale de café et d’alcool fort. Par ailleurs, certaines femmes facilitent l’accès à l’alcool sur les quais puisque des cantinières distribuent le « tout ensemble », mélange d’une part de café pour environ cinq parts d’eau-de-vie réchauffées ensemble. Le 3 décembre 1890, l’agent principal de la CGT [28] s’adresse à ce sujet au maire du Havre :
« Non seulement ces marchandes contreviennent à tous les règlements sur la matière [la vente d’alcool], mais elles sont la seule cause de presque tous les accidents dont sont victimes mes ouvriers et marins qui vont, l’estomac vide, absorber des produits frelatés et se blessent ou tombent dans les cales sans autre motif qu’une grande maladresse résultant d’une intoxication momentanée » [29].
28La prévention n’est pas l’apanage de la bourgeoisie locale et les ouvriers, par l’intermédiaire des syndicats le plus souvent, y concourent également en rappelant que les dépenses seraient mieux utilisées dans les caisses du syndicat que dans l’alcool. Cet appel d’un syndicat en atteste :
« Ouvriers,
Chaque fois que vous prenez un verre d’alcool de 10 centimes, vous donnez un centime pour l’eau-de-vie qui s’y trouve contenue, 3 centimes pour le bénéfice du débitant ou du distillateur et 6 centimes d’impôt au gouvernement. Or, vous buvez chaque année plusieurs millions d’eau-de-vie ou autres liqueurs. Combien de caisses syndicales pourraient être alimentées ! Combien de belles et bonnes besognes vous pourriez faire avec tant d’argent dépensé en pure perte ! Non seulement l’alcool est mauvais pour la santé, mais aussi il est, et surtout, une des causes des misères sociales.
Camarade, travaille pour toi, pour ta famille, pour la société. Boycotte l’alcool comme besoin » [30].
30Un moyen de prévention était l’ouverture d’hôtels de marins, à but philanthropique et faisant œuvre de « moralité ». En 1886, Félix Faure, alors député du Havre, dépose un projet de loi pour la création d’une caisse spéciale, alimentée par une retenue de 4 % sur les primes allouées à la construction et à la navigation, soit un apport prévisionnel de 80 000 francs par an, pour subventionner l’ouverture de tels hôtels dans les grands ports français ; mais cette initiative reste sans suite. Pourtant, les premiers établissements de ce type sont apparus en 1844 en Angleterre. Le 30 janvier 1893, la Chambre des députés vote l’article 12 de la loi sur la marine marchande. Cet article, dont on doit le texte à Jules Siegfried alors ministre, vise à accorder des subventions aux Chambres de Commerce ou autres établissements d’utilité publique qui veulent créer des établissements d’accueil pour les marins. Néanmoins, les Chambres de Commerce sont invitées durant plusieurs années à trouver des hôtels privés afin de répondre aux exigences législatives. Dans ce cas, la subvention est attribuée à l’hôtelier en échange du logement des marins. Servant de modèle à des solutions plus ambitieuses, un Sailor’s Home du Havre est inauguré au Havre le 4 février 1883, au 31 du quai Casimir-Delavigne, à l’initiative de Madame Bernal, femme du Consul général de Grande-Bretagne. Charles Le Goffic le décrit en 1897 :
« L’établissement est spacieux et de belle apparence. On y trouve un fumoir, un gymnase et des salons de lecture et de récréation avec billards, tables de jeu, harmonium…Mais les murs y sont couverts d’inscriptions bibliques et de devises salutistes, l’harmonium n’y a d’autre emploi que d’accompagner les cantiques […]. De plus les spiritueux sont totalement bannis du programme. Le Sailor’s home fournit cependant à boire, il y a même un café annexe, quai de Lille, le Sailor’s rest […] mais on y sert que de la bière de gingembre, du thé, des orgeats et des limonades » [31].
32Il faut attendre le 13 décembre 1898 pour que les marins français bénéficient d’une structure d’accueil comparable. Seulement, cette Maison du marin, située au 5 quai Notre-Dame, ne compte qu’une quinzaine de chambres pour une quarantaine de marins et si la finalité est bien de soustraire les matelots aux tentations de la ville, notamment à l’alcool, la capacité d’accueil limite son impact. C’est en tout cas l’époque où des initiatives philanthropiques destinées aux marins se multiplient dans les ports de commerce. Ainsi, des « Maisons du marin » apparaissent sur le littoral français à la fin du xixe siècle, comme à Dunkerque en 1895, Nantes et Marseille en 1897, La Rochelle en 1898 ou Bordeaux en 1905. L’un des objectifs communs est bien de « soustraire les marins le plus possible aux tentations du cabaret et combattre l’invasion de plus en plus redoutable de l’alcoolisme » [32]. Ces établissements peuvent, en vertu de la loi du 30 janvier 1893, recevoir des subventions du ministère de la Marine, en plus des dons de notables. Sur le littoral breton, Jacques de Thézac, pour qui l’amélioration des conditions d’existence des gens de mer représente une priorité, se donne pour but de détourner les marins de la consommation d’alcool. Il crée en 1899 l’Almanach du Marin Breton dont le but est d’apporter une instruction et un divertissement aux marins, puis, en 1908, il fonde l’Œuvre des Abris du marin. Sous son impulsion, onze Abris du marin sont construits sur le littoral breton, principalement finistérien mais également morbihannais, de 1900 à 1933, pour une population maritime essentiellement composée de pêcheurs.
33Néanmoins, il faut rappeler que de nombreux marins non domiciliés au Havre mais venus pour s’y embarquer ne dépensent pas leur solde (durement gagnée) dans les débits. En effet, pour les marins bretons par exemple, la navigation à partir du Havre ne représente parfois qu’une activité provisoire destinée à amasser un petit pécule afin de retourner dans la région d’origine dans de meilleures conditions, en devenant propriétaire de son embarcation de pêche par exemple.
34Dès lors, combien de débits peut-on compter au Havre, qui répondent aux besoins d’une population sans cesse croissante au xixe siècle, avec, à la fin du siècle, près de 100 000 marins de passage chaque année dans le port ?
35En 1662, la ville compte déjà 32 cabarets, signe que la nature portuaire et militaire encourage le développement de l’activité [33]. Néanmoins, le nombre de débits de boissons n’a de cesse d’augmenter tout au long du xixe siècle. On trouvera dans le tableau suivant les chiffres retenus par Didier Nourrisson, en rappelant que les femmes et les enfants sont inclus dans ces données. Il faut bien se souvenir que la clientèle des débits était, pour l’essentiel, constituée d’individus mâles et adultes [34] :
Le nombre de débits de boissons au Havre (fin xixe-début xxe siècles) [35]
Le nombre de débits de boissons au Havre (fin xixe-début xxe siècles) [35]
36Nous ne possédons pas de recensement exhaustif de l’implantation géographique des débits de boissons. Cependant, dans les années 1890, les quartiers Saint-François et Notre-Dame rassemblent le tiers des débits de boissons de la ville. Didier Nourrisson retient 147 débits dans le quartier Saint-François en 1896, soit un établissement pour 46 habitants [36]. La rue Faidherbe, au cœur de Saint-François, compte à la fin du siècle 35 débits sur 63 numéros. Cette implantation des principaux débits de boissons dans les quartiers périphériques des bassins du port, cas de figure classique selon Michael Seltzer, identifie une clientèle maritime [37]. Cela étant, afin de répondre à l’augmentation de la taille et du nombre des navires, une reconfiguration de la structure portuaire vers l’est de la ville s’effectue dans la seconde moitié du xixe siècle ; elle s’accompagne de l’implantation de nouveaux débits, dans le quartier de Leure notamment. Ce déplacement de l’infrastructure a donc eu un impact sur l’implantation des débits, plus diffuse qu’auparavant. Malgré tout, les abords des quais, anciens ou nouveaux, restent le lieu d’implantation privilégiée des débits. On retrouve ici tous les éléments qui conduisent à la redéfinition de la ville-port à l’époque contemporaine, avec des bassins de taille croissante et progressivement spécialisés, un gain de surface portuaire sur la mer ainsi que le développement d’une multi-modalité. En conséquence, le lien spatial entre la ville et le port se distend et la ville souffre de « démaritimisation », à plus forte raison lorsque les débits, lieux d’animation de la vie urbaine, migrent [38]. On mesure bien ici le fait que les débits accompagnent en quelque sorte les marins en escale vers les espaces de débarquement. Toutefois, l’implantation de populations maritimes domiciliées au Havre impulse également de nouvelles dynamiques. L’appropriation des nouveaux territoires s’accompagne d’une dégradation de leur image puisque considérés comme malfamés, surtout selon ceux qui n’y habitaient pas. Par exemple, la prostitution, les cabarets et les débits pullulent à Ingouville, au nord de l’agglomération, au bon plaisir de Balzac qui estime qu’« Ingouville est au Havre ce que Montmartre est à Paris. […] Quelle tristesse au Havre et quelle joie à Ingouville » [39].
37Les marins, locaux ou en escale, fréquentent massivement les débits de boissons de la ville-port mais il serait tout à fait réducteur de considérer ces établissements sous le seul angle de la simple consommation d’alcool. En effet, les cabarets ou les bars représentent avant tout des lieux d’expression des sociabilités. Pour les marins de passage, les débits constituent une parenthèse de plaisir au sein d’une vie difficile. Pour les marins havrais, la fréquentation des bars participe d’une réintégration des marins aux sociabilités terriennes, même si aux yeux des observateurs, c’est surtout l’image du marin buveur et bagarreur qui ressort.
Les débits de boissons, des lieux de débauche ?
38Au xixe siècle, Le Havre tient une réputation de ville chaude en grande partie du fait de la présence d’une « faune » mouvante en perpétuelle effervescence dont les débits représentent des points centraux. Concernant les marins, la ville-port permet d’assouvir les pulsions accumulées à bord. Il existe alors un lien évident entre violences et alcool. Ces troubles étaient monnaie courante au Havre et les témoignages restent abondants sur ces violences dans les quartiers Saint-François et Notre-Dame. Nombre d’entre eux révèlent l’utilisation d’armes blanches au cours des rixes, signe évident d’une violence envisagée à tout instant [40]. On peut alors s’interroger sur la place des marins dans l’expression de ces violences liées à l’alcool. Les concernant, Philippe Masson rappelle très justement que « jusqu’à une époque toute récente, les escales, les descentes à terre sont l’occasion d’un indispensable défoulement où l’homme se libère de ses angoisses et de ses frustrations. Ce défoulement conduit à toute une gamme de débordements, où dominent l’alcool et les femmes, à l’origine d’une réputation bien assise de brutalité et de libertinage » [41].
39Ces comportements participent à la territorialisation de certaines rues et certains quartiers de l’espace urbain, avec Saint-François pour épicentre. Avec l’éloignement progressif des activités de navigation, l’image interlope des quartiers Saint-François et Notre-Dame s’assoie davantage, au profit du quartier de Leure, plus proche des nouvelles activités transatlantiques. Alain Cabantous note un lien étroit entre mutations spatiales portuaires et redéfinition sociale :
« La ville-port a toujours une réputation sulfureuse et rares sont les livres qui ne mentionnent pas ces cabarets à filles de petite vertu et ces maisons de prostitution. Pourtant, il semble que c’est à la faveur de la mutation des transports maritimes et du décrochage entre le port et la ville que le quartier populaire louche s’affirme avec une vie nocturne débridée […] » [42].
41Pour un groupe, avoir ses débits de boissons attitrés, ses rues que l’on s’approprie structure une logique de territorialisation de l’espace urbain, y compris au moyen de bagarres, comme le prouve ce rapport du commissariat central de la ville du Havre en date du 24 novembre 1867, choisi parmi bien d’autres :
« Le 24 novembre courant, vers 11 heures 15 du soir, trois marins du Jérome Napoléon se trouvant attablés buvant de la bière chez la femme Certain, débitante rue Royale, numéro 21. Dans ce même débit, sept marins du transport de l’État Le Cormoran, lesquels se firent servir de l’absinthe et s’attablèrent à une table voisine, l’un de ces derniers ayant dit qu’il avait l’intention de démonter le menton de l’un des autres marins, quelques mots s’échangèrent entre eux puis ils en vinrent aux coups. Dans cette affaire, les tables furent renversées et quelques verres et bouteilles furent brisés, les gens de cette maison ayant dit que la police allait intervenir, ils prirent la fuite » [43].
43L’écrivain havrais Edmond Spalikowski a précisément décrit les endroits des quartiers Notre-Dame et Saint-François dans lesquels deux ambiances se dégagent, l’une particulièrement agréable le jour, l’autre plus problématique la nuit [44]. On retrouve un témoignage identique chez un autre auteur local :
« Quand le commerce va et que les marins débarquent, les lumières se multiplient, les attroupements sortent de terre aux portes des dancings. […] Les gens de la ville bourgeoise prétendent que ces quartiers sont dangereux. Ils n’y sont jamais allés. Certes on rencontre des saoulots et ce n’est pas le moment de les catéchiser. Parfois, c’est vrai aussi, des rixes éclatent, une “rixe de port”, les journaux n’en manquent pas une. Je ne mettrai pas mon doigt entre l’enclume et le marteau, les autres non plus, qui regardent et laissent faire. Histoire de femmes, disent-ils. Ça se terminera peut-être pour l’un des deux combattants au fond du bassin. À moins que la police n’intervienne à temps. […] À deux heures du matin, tout s’éteint, et on fait des enfants » [45].
45La violence reste un vecteur de construction identitaire de l’individu par rapport à son groupe mais aussi par rapport aux autres groupes. Il se met ainsi en scène afin que l’on identifie son appartenance professionnelle souvent par le biais d’une virilité exacerbée, frisant parfois la caricature et entretenant les clichés. Les marins étrangers contribuent alors largement à pérenniser l’image du marin fauteur de troubles :
« Lorsque le mauvais alcool a mis toutes les cervelles à l’envers, allez donc raisonner ces diables venus de tous les coins de la terre, ne connaissant du français que les mots essentiels pour l’achat des victuailles de chaque jour et notre vocabulaire poissard et ordurier » [46].
47La lettre qui suit, écrite par le sous-préfet du Havre au maire du Havre le 24 décembre 1831, admet la rivalité qui existe entre pavillons, avec une pratique de la violence qui peut largement être assimilée à une logique de bandes puisque « les rixes sont presque toujours provoquées par l’état d’ivresse dans lequel se trouvent ordinairement ces marins, que les logeurs ou aubergistes gardent chez eux à une heure indue » [47]. Après avoir rappelé au maire ses attributions en matière de sûreté publique, le sous-préfet préconise plusieurs mesures telles que l’interdiction de la présence de marins étrangers dans la ville la nuit, avec le concours requis des aubergistes et des logeurs. Ces mesures sont difficilement applicables et le 13 juin 1843, une lettre du sous-préfet au maire du Havre déplore la permanence de ces troubles :
« J’ai vu par l’un des derniers rapports de police qu’une rixe sanglante avait eu lieu le dix de ce mois entre des matelots français et américains, rue de la Crique […] et je vous prie d’examiner s’il ne serait pas possible d’exiger que ces marins fussent rentrés à bord à une heure moins tardive » [48].
49Le sous-préfet reproche au maire un manque d’efficacité chronique même si ce dernier l’attribue aux faibles moyens dont il dispose. Il faut toutefois préciser qu’au vu du nombre de marins présents en permanence dans la ville, force est d’admettre que ce n’est qu’une minorité seulement qui provoque des troubles. Néanmoins, ce sont bien souvent les débits de boissons qui constituent le point de départ de bien des incidents.
50La prostitution se développe également en partie depuis les débits puisque, globalement, les tarifs qui y sont pratiqués sont moins élevés que dans les maisons closes. Au Havre comme dans de nombreuses villes au xixe siècle, les prostituées n’exercent pas uniquement dans le cadre de maisons closes. Au Havre, la majorité des maisons de tolérance se situent rue d’Albanie et rue des Galions à proximité des bassins du port. On note d’ailleurs que dans cette dernière rue, jusqu’au 1er avril 1891, les logeurs sont autorisés à avoir trois filles et deux seulement après cette date [49]. Autant dire que ce type de mesure facilite l’accès au commerce du sexe. De 1870 à 1914, 14 % des prostituées sont des femmes mariées [50]. Ce témoignage de 1876 revient sur le caractère multiforme de la prostitution :
« Le Havre a ses maisons commodes, où la prostitution du mariage est largement pratiquée et rétribuée, où s’emploient toutes sortes de ruses, de stratagèmes, de procédés, de dissimulation qui déroutent la police et la justice. À un échelon plus bas se trouvent des débits, des auberges qui pratiquent la prostitution clandestine et ou l’on offre aux étrangers, aux marins, avec des aliments frelatés, des femmes à tout le monde, et tous les moyens possibles de débauche, d’orgie et de dépouillement. Il ne manque, je crois, que la prostitution contre nature, comme à Paris et en Algérie » [51].
52Le marin apparaît comme un « personnage pécheur, fornicateur, amateur d’amours vénales et rongé de maladies vénériennes, maladies portuaires » [52]. Pourtant, Alain Corbin indique qu’en 1872 le département de la Seine-Inférieure n’est pas celui qui compte le plus de prostituées : 14 à 22 filles pour 10 000 femmes de 15 à 49 ans, contre 22 à 45 pour le Finistère ou la Loire-Atlantique et plus de 45 pour les Bouches-du-Rhône [53]. Comme dans la majorité des villes, la prostitution dans l’agglomération normande s’explique à la fois par les besoins d’une importante population masculine de passage, mais également par la misère qui pousse nombre de jeunes femmes à faire de leur corps leur gagne-pain. Lors des French Wars par exemple, certaines épouses de marins détenus en Angleterre, devenues nécessiteuses, se sont parfois livrées à cette activité. Au milieu du xixe siècle, un chirurgien de la marine de Brest note que « les marins rapportent, de leurs campagnes, ce besoin de jouissances de toutes natures qu’engendrent les longues privations, et l’argent nécessaire pour le satisfaire [54] ».
53C’est le plus souvent à partir des débits de boissons que la passe débute puisque de nombreuses filles y cherchent le client. Les débitants sont d’ailleurs, nous l’avons vu, autorisés à déclarer des filles et les recensements permettent de noter une frontière parfois floue entre le débit et la maison close. Pourtant, conformément à l’arrêté municipal du 8 octobre 1853, les maisons closes ne peuvent guère proposer d’alcool [55]. Au 48 du quai Lambardie en 1846 par exemple, Alphonsine Belot déclare être débitante mais à la même adresse, cinq jeunes femmes déclarent être des filles publiques [56]. Au début du xxe siècle, les marins fréquentent les prostituées davantage dans les bars ou dans la rue que dans les maisons de passe et on mesure ici la place importante des débits de boissons [57]. Les archives du commissariat central du Havre regroupent de nombreux rapports relatifs aux liens entre débits, marins et prostituées.
54Un rapport du commissariat central du Havre datant du 1er août 1864 relate un événement survenu dans le café-restaurant tenu par le sieur Félix dans la nuit du 30 au 31 juillet. Un service d’observation ayant été établi par les agents de la police, il a été constaté que les personnes présentes dans cet établissement sont les suivantes :
« - Vautier Marie, 26 ans, fille publique en chambre, 14 rue des Pincettes, en compagnie d’un capitaine de navire, elle est entrée au café restaurant Félix vers dix heures et demie et n’en est sortie avec le même individu que vers deux heures du matin.
- Peslin Marie, 21 ans, fille publique dans la maison de tolérance tenue par la femme Joseph, 53 rue d’Albanie, en compagnie d’un capitaine de navire, elle est entrée au café Félix vers dix heures et demie du soir et n’en est sortie avec le même individu que vers deux heures du matin.
- Eckerbault Marie, 23 ans, fille publique dans la maison de tolérance tenue par la femme Huot dite Léon, 45 rue d’Albanie déclare que : “Vers 11 heures et demi du soir un des garçons du café Félix est venu me chercher dans ma maison de tolérance et m’a conduite au café Félix pour me mettre en rapport avec un second de navire. On m’a fait entrer dans un petit salon où lui-même se trouvait en compagnie de deux capitaines [58] de navire, et de deux filles publiques [59]. Nous sommes tous sortis vers deux heures du matin, une voiture nous a raccompagnées à nos domiciles toujours chacune accompagnée par son amant” » [60].
56Le rapport du commissariat central du Havre en vue de la fermeture du cabaret du sieur Jean-Baptiste Quedreville, rue des Arcades, résume bien les liens entre débits, marins et prostitution. On notera la précision de l’information jusqu’au surnom donné à la prostituée, dont la poésie peut rappeler les chroniques de Géo London :
« Ignace Sévère-Marie, 17 ans, fille publique en chambre, 19 rue de la Comédie déclare être allée au Taverno vendredi trois avril où elle a fait connaissance d’un capitaine de navire, elle y est entrée à 22 h 30 et sortie à minuit et demi, en même temps que Augustine Jolincourt, dite la Bergère des Alpes, fille publique, 20 ans, 8 place Louis-Philippe » [61].
58À partir des débits de boissons, la « présence de troupeaux de femmes qui ont oublié depuis bien longtemps ce qu’est la pudeur féminine » [62] – selon une expression pour le moins brutale relative à l’étude du quartier de Radcliffe Highway à Londres – participe également à la régulation de la société urbaine havraise dans le sens où les filles répondent aux besoins des individus de passage, notamment des marins. Nos recherches relatives à ces derniers n’ont d’ailleurs pas permis de relever un seul exemple de viol (ce qui n’indique cependant pas qu’il n’y en eut pas). En 1895, des sœurs de Notre-Dame de la Charité du Bon-Pasteur à Angers sont pourtant appelées au Havre pour tenir une maison de protection pour jeunes filles [63]. L’objectif premier reste de lutter « contre ce chancre de la prostitution qui nous dévore » selon l’expression d’Émile Zola [64]. Au sein de la ville-port, la prostitution semble alors nécessaire, même si, au Havre comme ailleurs, le débat demeure animé entre ceux qui en bénéficient et les élites avides de morale et de vertu [65].
59Les débits de boissons de la ville-port peuvent donc apparaître comme des lieux de débauche notamment pour les marins mais, en y regardant de plus près, on constate en fait que malgré les violences observées ou la présence de la prostitution, ils sont d’une grande utilité et contribuent à réguler la société urbaine. Cela étant, l’agitation à partir des débits de boissons revêt également des formes plus inattendues.
60Philippe Manneville a rappelé qu’à la Belle-Époque, 3 000 hommes d’équipage résident au Havre où les affinités avec le monde ouvrier se développent [66]. L’agitation sociale de cette période, auquel concourent les inscrits maritimes, intègre les travailleurs de la mer dans l’espace politique. Certains débits de boissons, ces « parlements du peuple » [67], occupent alors la place de quartier général des grévistes, au grand dam des autorités de la ville qui voient d’un mauvais œil ces réunions militantes. En effet dès le milieu du siècle, plusieurs demandes de fermetures de débits de boissons sont requises pour mettre fin à la présence jugée néfaste d’individus aux idées politiques subversives, dont les marins constituent en partie l’auditoire [68]. Cette catégorie de travailleurs, traditionnellement éloignée du débat politique, s’imprègne alors, à partir des débits, de discours fortement marqués à gauche et auxquels ils ne restent pas insensibles à en juger par l’expression des mouvements sociaux des années 1900.
61La Maison du Peuple est à l’origine le théâtre de Graville inauguré en 1839. En 1907, c’est une brasserie qui a pris la place de cet ancien espace culturel tout en devenant la Maison du Peuple. Le 3 septembre 1920, la structure devient le cinéma L’Eden. Lors des grèves de 1912, cette brasserie constitue un lieu de rassemblement pour les grévistes terriens et marins. C’est en partie dans cet établissement que le mouvement s’anime au moment des luttes sociales et les débits de boissons jouent alors le rôle de salle de réunion et de préparation des actions à mener. À bien des égards, les débits représentent donc des espaces de régulation de la vie maritimo-portuaire.
Une fonction majeure : des bureaux de placement pour les marins
62Au Havre durant le xixe siècle, de nombreux individus, soucieux de tirer profit de la présence de marins dans la ville, trouvent dans certains débits de boissons le quartier général de leur activité. Certains établissements jouent alors le rôle de bureaux de placement clandestins, orchestrés par les débitants. Face à une rude concurrence et une offre (de travail) toujours supérieure à la demande, de nombreux marins ne trouvent pas facilement d’embarquement et recourent ainsi aux marchands d’hommes [69]. Ces individus, autorisés ou non à exercer cette activité, permettent aux matelots de bénéficier de leur réseau, de leur carnet d’adresses dirait-on aujourd’hui. Les capitaines, qui possèdent leur propre réseau, n’hésitent d’ailleurs pas à aller solliciter l’aide de marchands d’hommes afin de compléter l’équipage, notamment pour l’appel aux personnels des machines que les officiers connaissent parfois peu.
63Le marchand d’hommes non officiel se place au cœur d’un système où il supervise le plus souvent les dépenses du marin entre deux embarquements : dépenses relatives à la nourriture, la boisson ou le logement, à des tarifs naturellement supérieurs au marché. Des filières liées les unes aux autres conduisent à un endettement fréquent qui contraint le marin à trouver dans l’immédiat un nouvel engagement, et ainsi de suite. Une multitude d’acteurs, du marchand d’hommes au cabaretier en passant par le logeur et l’hôtesse, tirent profit des marins plus ou moins démunis dans la ville.
64Tout au long du xixe siècle, les autorités n’ont de cesse de dénoncer et de sanctionner les établissements pratiquant ces recrutements illégaux, et ce pour deux raisons. La première réside essentiellement dans la concurrence déloyale face aux bureaux de placement autorisés, au nombre de 10 en 1865 et dont la promotion s’effectue auprès des marins par voie de presse ou d’affichage. Ensuite, ces recruteurs illégaux ont une forte tendance à débaucher des marins en escale, dont le contrat est encore en cours, afin de leur proposer des engagements plus avantageux. Autrement dit, ils encouragent la désertion des marins du commerce. Des pisteurs à la solde des marchands d’hommes et des hôtesses sillonnent les quais à la recherche de marins désireux d’embarquer, n’hésitant pas à aller jusque sur le pont du navire. La concurrence féroce entre les placeurs provoque fréquemment des disputes, verbales ou physiques. À ce sujet, en 1853, le consul de Suède et de Norvège Bröstrom réclame au maire du Havre « une surveillance accrue de toutes les maisons de logement et cabarets dont les maîtres font le métier d’embaucheurs de marins étrangers et provoquent la désertion des navires » [70]. Citant plusieurs débits du quartier Saint-François, le consul dénonce alors les cafetiers qui débauchent des marins étrangers, parfois pour servir d’interprètes. L’avocat caennais Biville s’est emparé de ce sujet :
« L’alcool trop souvent s’empare des matelots à leur débarquement. Ceux-ci sont exposés à devenir la proie du débitant qui se rend devant eux, leur fournit à crédit, les gorge d’alcool et devient ainsi leur maître, jusqu’au moment où il leur aura fait contracter, au milieu des fumées de l’alcool, un nouvel engagement sur lequel il perçoit une commission » [71].
66Les Règlements municipaux de la ville du Havre tentent dès le milieu du siècle de résoudre les problèmes liés aux abus dont les marins sont victimes et, pour ce faire, des recommandations sont destinées à la fois aux profiteurs mais également aux abusés. L’article 6 d’un arrêté du 22 avril 1854, complété par une annexe du 5 mai 1885 concernant les aubergistes et logeurs, stipule ceci :
« Défenses sont faites aux aubergistes, logeurs ou loueurs de chambres garnies de recevoir aucuns marin français ou étrangers, militaires ou autres voyageurs qui ne seraient pas porteurs, soit d’un passeport, soit d’une feuille de route ou d’un billet de logement, soit enfin d’un permis du capitaine du navire sur lequel les marins seraient embarqués, lequel permis devra dans tous les cas être visé par un des commissaires de police. […] Lesdits aubergistes, logeurs ou loueurs de chambres garnies, devront réclamer des marins, des novices et des mousses français, un permis de séjour ou un ordre de retour délivré par le Commissaire de l’Inscription Maritime. Ils seront tenus d’exiger ce permis ou ordre de retour tenant lieu de passeport : pour les marins, dans les trois jours de l’arrivée ; pour les novices et pour les mousses, dans les vingt-quatre heures de leur arrivée » [72].
68Jusqu’à la fin des années 1910, les marchands d’hommes prospèrent néanmoins et seule une loi d’octobre 1917 parvient à résoudre les problèmes de recrutement en mettant en place des commissions gérées paritairement par les armateurs-affréteurs et les syndicats de marins. De fait, les pratiques illégales ont disparu [73]. En 1897, Charles Le Goffic explique l’emprise que peut avoir le marchand d’hommes sur le marin :
« Les placiers d’équipages, que les marins du commerce appellent pittoresquement les “marchands d’hommes”, ont presque toujours des intérêts chez les “hôtesses” ; il arrive même que l’établissement leur appartient. D’où cette conséquence qu’avant de s’occuper d’eux, comme placiers, ils entendent en avoir fait leur profit d’abord comme hôteliers. Qui ne passe pas par l’hôtesse risque de ne jamais connaître l’embarquement. Douloureuse alternative ! L’hôtesse est un coupe-gorge ; le marin y laisse sa bourse et quelquefois sa santé. S’il regimbe, c’est pire encore, puisqu’il n’a aucune chance de trouver par lui-même un embarquement et que la plupart des capitaines s’adressent, pour les fournitures d’équipage, aux marchands d’hommes qui les débarrassent gratuitement de tous soins » [74].
70Ces organisations particulièrement structurées agissent dans l’ambivalence permanente. En effet, d’un côté les marins peuvent avoir véritablement besoin de leurs services afin d’assurer leur confort matériel à terre mais également d’être certains de contracter un embarquement. Cependant, cela se paye au prix fort et l’association des cabaretiers, des marchands d’hommes, des hôtesses et des logeurs constitue alors un entourage tout autant nécessaire que parfois nuisible pour le marin à terre, comme en témoigne ce propos du début du xxe siècle :
« À Saint-François, opérait alors (mais que l’on se garde d’en faire une généralité) le sinistre trio formé par la mauvaise hôtesse, le marchand d’hommes sans scrupule et le shipchandler aux mœurs de rapace. Attifées pour faire une bonne pêche, l’hôtesse et ses bonnes les plus aguichantes assistaient à l’accostage des grands voiliers long-courriers, bassin Bellot, et à des matelots qui n’avaient pas vu visage de femme depuis des mois, elles faisaient comprendre que le bonheur les attendait. Confiants, ils se laissaient emmener dans le bouiboui meublé, et, après quelques apéritifs bien servis, y prenaient pension, couchant pêle-mêle sur un grabat. Jusqu’à ce que leur portefeuille fût à sec, ils étaient gavés de complaisances et d’alcools incendiaires, mais lorsqu’ils étaient fin saouls on inventait des dégâts à leur mettre sur leur compte. Quand il n’y avait plus rien à tirer d’eux, l’hôtesse les envoyait à son compère le marchand d’hommes sans scrupule, lequel, moyennant commission, leur procurait un embarquement à la voile pour les Indes, le Chili ou l’Australie. Dès les avances touchées à la Marine, il les menait chez le troisième larron, le shipchandler associé qui les soulageait d’un argent qu’ils auraient pu perdre ou mal employer » [75].
72Afin de freiner l’impact des marchands d’hommes, la Chambre de Commerce ouvrit le 15 juillet 1897, au 7 place Jules-Ferry, un bureau de placement gratuit pour les marins. Malgré ces initiatives, il faut bien admettre l’échec relatif de cette démarche qui n’a en rien empêché ces activités de prospérer puisque, du 15 juillet 1897 au 15 juillet 1902, 17 569 demandes d’embarquements ont été effectuées mais seuls 14 244 ont été assurés par cette voie [76].
73Toutefois, selon l’historien norvégien Erling Eriksen, « le maître de pension s’assure que le marin trouve dans son établissement de la nourriture, le logement et une quantité d’alcool considérable. Il prend néanmoins la précaution d’être certain que son invité puisse obtenir une couchette sur un autre navire afin de retourner en mer une fois encore » [77]. Paul Gilje a étudié les marins sur les quais américains et a bien perçu le rôle social de certains tenanciers de débits qui viennent parfois en aide aux marins par le crédit, le logement ou l’aide à la négociation du salaire [78]. Cet aspect, confirmé par Edward Thompson, permet de ne pas réduire les cabaretiers et autres débitants à de simples rapaces puisque, dans bien des cas, ils rendent de nombreux services au marin. Concernant les ports anglais, Thompson note que les débits offrent un lieu de protection pour les marins, sachant que la plupart descendent toujours aux mêmes adresses [79].
74Michael Seltzer note que dans certains cas, l’absence de cellule familiale pour le marin en escale conduit même à structurer des affinités avec le tenancier. Selon lui, le personnel du débit de boisson devient en quelque sorte une cellule familiale de substitution [80]. Les liens d’amitié sincère existent effectivement et au Havre, dans le dernier tiers du siècle, certains débitants sont témoins de mariage des marins. Charles Le Goffic a noté que pour le marin, « l’accueil qu’il reçoit chez l’hôtesse est rigoureusement proportionné au montant de son salaire » [81] et puisque de nombreux marins du commerce ne sont pas dans le dénuement, on peut supposer que l’accueil est bon. Le gîte et l’accès au crédit que procurent ces établissements sont dès lors une « absolue nécessité » pour les marins à terre [82]. Les hommes de la mer restent donc convoités et on leur prête volontiers de l’argent, mais avec des intérêts qui peuvent atteindre 50 % ! Si ces taux peuvent paraître pour le moins exagérés, ils permettent de pointer l’endettement fréquent des marins mais aussi et surtout leur capacité de remboursement jugée satisfaisante par le créancier.
Conclusion
75Au xxe siècle, les débits restent des lieux majeurs du front de mer dans bien des ports à travers l’Europe, l’Amérique ou d’autres espaces littoraux [83]. Loin de se limiter à leur fonction initiale, les débits de boissons concourent par leur polyvalence à réguler la société maritimo-portuaire havraise à cette période. Une erreur d’analyse consisterait à en limiter le rôle à la consommation d’alcool, laquelle doit être revue davantage sous l’angle de l’expression de sociabilités que de l’enivrement. Quoique très critiqués par les autorités, ces établissements sont d’une utilité avérée pour beaucoup de marins et par conséquent pour l’ensemble des acteurs de la vie maritime et portuaire. Le caractère vertueux de certaines fonctions peut évidemment se discuter, mais quoi qu’il en soit, les débits concentrent des activités dont le marin peut difficilement se passer. Boire, tisser du lien social, se bagarrer, vivre sa sexualité, se faire embaucher, éveiller sa fibre politique sont autant d’activités se pratiquant à partir des débits. Malgré un impact partiellement négatif sur les individus, les acteurs de la vie maritimo-portuaire y établissent, par la négociation et le compromis, la contrainte parfois, un système de règles de fonctionnement communes parfois implicites et coutumières. Dans ces conditions, on peut admettre à bien des égards une certaine forme d’autogestion au sein de cet univers singulier, régulé à partir des débits de boissons. Ces derniers sont donc au cœur de la vie du marin puisqu’il peut bien souvent y trouver un intérêt quelconque et de ce fait, ils constituent une vitrine de la société portuaire.
Mots-clés éditeurs : siècle, marins, prostitution, e, cabarets, Le Havre, port, Débits de boissons, xix
Mise en ligne 13/03/2015
https://doi.org/10.3917/annor.642.0073Notes
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[*]
Professeur certifié en histoire-géographie, enseignant au lycée Jeanne d’Albret de Saint-Germainen-Laye et chargé de cours à l’université de Caen Basse-Normandie ; membre associé du Centre de Recherche d’Histoire Quantitative (UMR 6583, CNRS/UCBN) et du CIRTAI/IDÉES (CNRS/université du Havre).
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[1]
R.-H. Dana, Two Years Before the Mast, 1840, rééd. New York, Signet Books, 1958, p. 20.
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[2]
P. Earle, Sailors : English Merchant Seamen 1650-1775, Londres, Metheun, 1988, p. 81.
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[3]
Arch. mun. Le Havre. Fonds Moderne, Série I2 Police. Carton 10. Liasse 1. Rapport des commissaires de police.
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[4]
J.-P. Hary, Marine marchande. Des océans, des navires et des hommes, Rennes, Éditions Ouest-France, 1999, p. 58.
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[5]
Compte général de l’administration de la justice criminelle, 1910, p. 35. Cité dans G. Désert, « Aspects de la criminalité en France et en Normandie », Cahier des Annales de Normandie, année 1981, vol. 13, p. 256.
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[6]
L.-C.-D. Leconte de Roujou, Éducation morale, patriotique et militaire des équipages de la flotte, Paris, Armand Colin, 1899, p. 44.
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[7]
U. Falaize, Le Havre moral et social, 43e session de l’Association française pour l’avancement des Sciences, Le Havre, 1914, np.
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[8]
M. N. Borel, P. Laporte, A. Loir (dir.), Le Havre en 1914, Le Havre, Imprimerie du Journal du Havre, 1914, p. 140.
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[9]
C. Quétel et J.-Y. Simon, « L’aliénation alcoolique en France (xixe siècle et première moitié du xxe siècle) », Histoire, économie et société, 7e année, n° 4, 1988, p. 516.
-
[10]
C. Leroux, L’assistance maritime des enfants et les hôpitaux marins, Paris, Société d’Éditions Scientifiques, 1892, p. 28.
-
[11]
Cette enquête a été menée par les inspecteurs généraux des Établissements de Bienfaisance, dont le rapport a été publié le 1er décembre 1876, sous la direction du ministère de l’Intérieur.
-
[12]
T. Nègre, Le Havre, étude de géographie urbaine, Le Havre, Imprimerie Marcel Etaix, 1947, p. 43.
-
[13]
C. Leroux, L’assistance maritime…, op. cit., p. 39.
-
[14]
L. Faucher, « Études sur l’Angleterre », Revue de Deux Mondes, 1er décembre 1843, dans A. Gérard, Y. Katan, P. Saly et H. Trocme, Villes et sociétés urbaines au xixe siècle, Paris, Armand Colin, 1992, p. 320.
-
[15]
J. Siegfried, Quelques mots sur la misère, son histoire, ses causes, ses remèdes, Le Havre, Poinsignon, 1877, p. 48.
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[16]
J. Guillemard, L’esprit du Havre, Le Havre, Éditions de La Presse du Havre, 1951, p. 202.
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[17]
C. Le Goffic et D. Vénancourt, À travers le Havre. Effets de soir et de nuit, Le Havre, Éditions Lemale et Cie, 1892, p. 21.
-
[18]
Ibid., p. 25.
-
[19]
H. Toulouse-Lautrec, L’anglaise du « Star » au Havre, Musée Toulouse-Lautrec, Albi. Reproduit dans B. Delarue et G. Lefebvre, Les peintres au Havre et Sainte-Adresse (1516-1940), Yport, Terre en Vue, 2008, p. 208.
-
[20]
C. Vesque, Histoire des rues du Havre, Le Havre, Imprimerie Brenier, 1876, p. 404.
-
[21]
Quartier situé à l’ouest de la ville.
-
[22]
Le Journal du Havre, 11 juillet 1891. Cité dans C. Barbaray, La Belle-Époque, images et réalités (1890-1914), mémoire de maîtrise d’histoire de l’Université du Havre, 2001, p. 159.
-
[23]
Arch. mun. Le Havre. Fonds Contemporain. Série I1. Carton 30. Liasse 1.
-
[24]
Règlement général du 14 avril 1881, dans le Recueil des règlements municipaux de la ville du Havre, Le Havre, Imprimerie du Commerce, 1891, p. 79.
-
[25]
F. de Coninck, Le mousse Yvonnet, Le Havre, Imprimerie Lemale, 1862, p. 7.
-
[26]
J. Guillemard, L’esprit du Havre, op. cit., p. 201.
-
[27]
J. Legoy, Le peuple du Havre et son histoire, du négoce à l’industrie, 1800-1914 : le cadre de vie, Saint-Étienne-du-Rouvray, EDIP, 1982, p. 127
-
[28]
La Compagnie Générale Transatlantique, ou Transat, grande compagnie de navigation à vapeur, et non le syndicat ouvrier, pas encore né.
-
[29]
Arch. mun. Le Havre. Fonds Contemporain. I16 liasse 1, Lettre à Mr le Maire du Havre, 3/12/1890. Cité dans D. Nourrisson, Alcoolisme et anti-alcoolisme en France sous la Troisième République. L’exemple de la Seine-Inférieure, thèse d’histoire de l’Université de Caen, 1986, p. 540.
-
[30]
Circulaire de l’Union des syndicats. Cité par J. Hayaux, En Normandie. Documents, actions et organisations antialcooliques, Paris, Impr. Gambart, 1910 ; repris par D. Nourrisson, op. cit., p. 372.
-
[31]
C. Le Goffic, Gens de mer sur la côte, Paris, Armand Colin, 1897, p. 20.
-
[32]
« Maison du marin du port de La Rochelle », Compte-rendu de l’exercice 1898-1899, La Rochelle, Imprimerie Girault, Masson et Cie, 1899.
-
[33]
P. Butel, Européens et espaces maritimes (vers 1690-vers 1790), Talence, PU de Bordeaux, 1997, p. 174.
-
[34]
J. Legoy, Le peuple du Havre et son histoire…, op. cit., p. 129.
-
[35]
D. Nourrisson, Alcoolisme et anti-alcoolisme en France…, op. cit., p. 243.
-
[36]
Ibid., p. 244.
-
[37]
M. Seltzer, « Haven an a Heartless Sea : The Sailors’ Tavern in History and Anthropology », The Social History of Alcohol and Drugs : An Interdisciplinary Journal, vol. 19. http://alcoholanddrugshistorysociety.files.wordpress.com/2014/01/ shad19seltzersailorstavern.pdf
-
[38]
P. Manneville (dir.), Des villes, des ports, la mer et les hommes, Paris, CTHS, 2001, p. 15 et 17.
-
[39]
H. de Balzac, Modeste Mignon, roman, 1844, rééd. Paris, Nelson Éditeurs, 1959, p. 12-13.
-
[40]
Recueil des règlements municipaux de la ville du Havre, Le Havre, Imprimerie du Commerce, 1891, p. 219.
-
[41]
P. Masson, La mort et les marins, Grenoble, Glénat, 1997, p. 386.
-
[42]
A. Cabantous, A. Lespagnol et F. Péron (dir.), Les Français, la Terre et la Mer xiiie-xxe siècles, Paris, Fayard, 2005, p. 554.
-
[43]
Arch. mun. Le Havre. Série F1. Carton 8, liasse 6. Rixes entre marins, 1800-1900.
-
[44]
E. Spalikowski, Le Havre, Rouen, Éditions Defontain, 1934, p. 122.
-
[45]
F. Bergé, Le Havre, Paris, Éditions Émile-Paul Frères, 1929, p. 69.
-
[46]
E. Spalikowski, Le Havre, op. cit., p. 167.
-
[47]
Arch. mun. Le Havre. Série F1. Carton 8, liasse 6. Rixes entre marins, 1800-1900.
-
[48]
Ibid.
-
[49]
A. Rique, La prostitution au Havre entre 1870 et 1914, mémoire de maîtrise de l’Université de Rouen, 1993, p. 20.
-
[50]
Ibid., p. 29.
-
[51]
C. Noiret, Projet de syndicat et de caisse d’échange pour les ouvriers du port et d’amélioration morale dans notre population, Le Havre, Imprimerie Maudet, 1876, p. 12.
-
[52]
M. Vergé-Franceschi (dir.), Mer et religion. Neuvièmes Journées Universitaires de Bonifacio, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2008, p. 32.
-
[53]
A. Corbin, Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (19e siècle), Paris, Aubier, 1978, rééd. Flammarion, coll. « Champs », 1982, réimp., 2010, cartogramme p. 67.
-
[54]
A.-J.-B. Parent-Duchatelet (dir.), De la prostitution dans la ville de Paris : considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration ; suivi d’un Précis hygiénique, statistique et administratif sur la prostitution dans les principales villes de l’Europe, tome II, Paris, Baillière et fils, 1857, p. 418.
-
[55]
Cet arrêté précise que les maisons de tolérance n’ont pas l’autorisation d’être des débits de boisson. De plus l’article 14 du règlement du 13 octobre 1857 défend à tout professionnel, cabaretier ou cafetier, de servir des hommes ivres. Arch. mun. Le Havre. Fonds Moderne. Rapport du commissariat central du Havre du 2 décembre 1867 Série I2, liasse 11.
-
[56]
Recensement de la ville du Havre, 1846.
-
[57]
A. Rique, La prostitution au Havre…, op. cit., p. 29.
-
[58]
Il s’agit des deux cités plus haut.
-
[59]
Les deux citées également plus haut.
-
[60]
Version confirmée par Eugène Hauguel, le cocher chargé de raccompagner ces six personnes. Le Félix a donc été mis sous surveillance policière : Arch. mun. Le Havre. Fonds Moderne. Série I2, liasse 11.
-
[61]
Arch. mun. Le Havre. Fonds Moderne. Série F1, liasses 2-5 : débits de boissons, année 1852.
-
[62]
D. Kirby, « One hundred years of the finnish Seamen’s Church in London », dans 100 Vuotta, 100 Years of the Finnish Seamen’s Church in London, Kajaani, Kainuun Sanomain Kirpaino Oy, 1982, p. 43. Cité dans M. Seltzer, op. cit.
-
[63]
J. Bourienne, « Les congrégations religieuses au Havre (1815-1914) », Cahiers Havrais de Recherche Historique, n° 65, 2007, p. 95.
-
[64]
E. Zola, « Comment elles poussent ? », Le Figaro, 21 février 1881.
-
[65]
J. Fingard, « Masters and Friends : Crimps and Abstainers », disponible en ligne au lien suivant : http://journals.hil.unb.ca/index.php/Acadiensis/article/view/12322/13166 ; et S. Palmer, « Seaman Ashore in Late Nineteenth-Century London : Protection from Crimps », dans P. Adam (dir.), Seamen in Society : Proceedings of the International Commission for Maritime History, Bucarest, Commission internationale d’histoire maritime, 1980, p. 5-67.
-
[66]
Dans A. Corvisier, Histoire du Havre et de l’estuaire de la Seine, Toulouse, Privat, 1987, p. 218.
-
[67]
Voir M. Agulhon, « Classe ouvrière et sociabilité avant 1848 », dans Histoire vagabonde, Paris, Gallimard, 1988, tome 1, p. 60-97 ; J. Rougerie, « Le mouvement associatif populaire comme facteur d’acculturation politique à Paris de la Révolution aux années 1840. Continuités et discontinuités », Annales Historiques de la Révolution française, 1994, n° 3, p. 493-516, cité dans F. Jarrige, « Une “barricade de papiers” : le pétitionnement contre la restriction du suffrage universel masculin en mai 1850 », Revue d’histoire du xixe Siècle, n° 29, 2004, p. 6.
-
[68]
Arch. mun. Le Havre. Fonds Moderne. F1 2-6. Débits de boissons 1852-1854.
-
[69]
On trouvera le terme skinner en anglais : littéralement, « celui qui dépèce ».
-
[70]
Arch. mun. Le Havre. Série F2, liasse 10. Police des matelots.
-
[71]
Biville, « L’alcool et l’embauchage des ouvriers dans les ports de Normandie », L’alcool, janvier 1900, p. 6-9. Cité dans D. Nourrisson, op. cit. p. 476.
-
[72]
Recueil des règlements municipaux de la ville du Havre, Le Havre, Imprimerie du Commerce, 1891, p. 31.
-
[73]
A. Cabantous, A. Lespagnol et F. Péron (dir.), Les Français, la Terre et la Mer…, op. cit., p. 604.
-
[74]
C. Le Goffic, La payse, cité dans J. Legoy, Le peuple du Havre et son histoire…, op. cit., p. 201.
-
[75]
C. Maze, Étude sur le langage dans la banlieue du Havre, Le Havre, Imprimerie Micaux, 1903, p. 201.
-
[76]
8 014 personnels du pont, 5 177 personnels de machines et 1 053 personnels de service. Ces données quantitatives sont fournies dans : Arch. mun. Le Havre. Fonds Contemporain. Série F7, liasse 3-4 (Bureau de placement pour les marins, 1897-1927).
-
[77]
E. Eriksen, Vår Gamle Sjøfartskultur, Oslo, 1968, p. 27. Cité dans M. Seltzer, op. cit., traduction du norvégien à l’anglais par l’auteur, et de l’anglais au français par nos soins.
-
[78]
P. Gilje, Liberty on the Waterfront : American Maritime Culture in the Age of Revolution, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2004, p. 17.
-
[79]
E.-P. Thompson, The Making of the English Working Class, Londres, Victor Gollancz, 1963, p. 63.
-
[80]
M. Seltzer, op. cit.
-
[81]
C. Le Goffic, Gens de mer sur la côte, op. cit., p. 7.
-
[82]
J.-R. Bruijn, « Seamen in Dutch Ports, 1700-1914 », Mariner’s Mirror, n° 65, 1979, p. 327-337.
-
[83]
V. Burton, « Boundaries and Identities in the Nineteenth Century English Port : Sailortown Narratives and Urban Space », dans S. Gunn et R. Morris (dir.), Identities in Space : Contested Terrains in the Western City since 1850, Aldershot, Ashgate, 2001, p. 137-151 ; S. Fischer (dir.), Lisbon as a Port Town, the British Seaman, and Other Maritime Themes, Exeter, University of Exeter Press, 1988 ; D. Hilling, « Socio-economic change in the Maritime Quarter : The Demise of Sailortown », dans B. Hoyle (dir.), Revitalising the Waterfront : International Dimensions of Waterfront Development, Londres, Belhaven Press, 1988, p. 20-37 ; G. Jordan (dir.), Tramp Steamers ; Seamen and Sailor Town, Jack Sullivan’s Paintings of Old Cardiff Docklands, Cardiff, Butetown History & Arts Centre, 2002.