Notes
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Université de Caen Basse-Normandie.
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[1]
Dudon de Saint-Quentin, De moribus et actis primorum Normanniae Ducum, J. Lair (éd.), Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, t. XXIII, Caen, F. Le Blanc-Hardel, 1865 (ci après Dudon) ; H. Prentout, Étude critique sur Dudon de Saint-Quentin et son Histoire des premiers ducs Normands, Paris, Picard, 1916, p. 345-424 ; L. Shopkow, « The Carolingian World of Dudo of Saint-Quentin », Journal of Medieval History, 15, 1989, p. 19-37 ; P. Bouet, « Dudon de Saint-Quentin et Virgile : l’Énéide au service de la cause normande », Cahiers des Annales de Normandie, n° 23, 1990, Recueil d’études en hommage à Lucien Musset, p. 215-236 ; V. B. Jordan, « The role of Kingship in Tenth Century Normandy : Hagiography of Dudo of Saint-Quentin », Haskins Society Journal, 3, 1991, p. 122-135 ; Guillaume de Jumièges, Gesta Normannorum ducum, E. van Houts (éd.), Oxford, Clarendon Press, t. 1, 1992, p. 96-135 (ci après Guillaume de Jumièges) ; G. Huisman, « Notes on the Manuscrit Tradition of Dudo of Saint-Quentin », Anglo-Norman Studies, VI, 1993, p. 122-135 ; F. Lifshitz, « Dudo’ Historical Narrative and The Norman Succession in 996 », Journal of Medieval History, 20, 1994, p. 101-120 ; E. Albu Hanawalt, « Dudo of Saint-Quentin : The Heroic Past Imagined », Haskins Society Journal, 6, 1994, p. 111-118 ; P. Gatti, E. A. Degl’Innocenti (éd.), Dudone di San Quentino, Trente, Università degli Studi di Trento, 1995 ; F. Lifshitz, « Translating Feudal Vocabulary : Dudo of Saint-Quentin », Haskins Society Journal, 9, 1997, p. 39-56 ; P. Bouet, « Dudon de Saint-Quentin et le martyre de Guillaume Longue Épée », dans P. Bouet et F. Neveux, Les Saints dans la Normandie médiévale, Caen, Presses universitaires de Caen, 2000, p. 237-258 ; P. Bouet, « Dudon de Saint-Quentin : construction de la nouvelle collégiale de Fécamp », dans La Normandie vers l’an Mil, Rouen, Société de l’Histoire de Normandie, p. 123-129 ; J. Le Maho, « Grands travaux à la cathédrale de Rouen (avant 996) », dans La Normandie vers l’an Mil, Rouen, Société de l’Histoire de Normandie, p. 150-158.
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[2]
Voir Libellus de revelatione aedificatione et auctoritate Fiscannensis monasterii, PL, 151, col. 721.
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[3]
B. S. Bachrach, « Dudo of St Quentin and Norman Military Strategy c. 1000 », Anglo Norman Studies, XXVI, 2003, J. Gillingham (éd.), Woodbridge, Boydell Press, 2004, p. 28-29.
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[4]
Dudon, 4, 122, ligne 1, p. 285.
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[5]
Ibid., 4, 126, ligne 2, p. 290.
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[6]
Voir la synthèse dans les actes du colloque de Cerisy-la-Salle (25-29 septembre 2002) : P. Bauduin (éd.), Les fondations scandinaves en Occident et les débuts du duché de Normandie, Caen, Publications du CRAHM, 2005.
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[7]
Ibid., 4, 128, lignes 29-30, p. 297 : Cadaver tanti sceleris non requiescet infra aditum hujus templi, sed ad ostium in stillicidio monasterii.
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[8]
Ibid., lignes 37-38, p. 297 : In manus tuas, Christe, commendo spiritum meum.
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[9]
Ibid., 4, 129, lignes 34-35, p. 299 : Exinde manavit odor suavior fragrantia terebenthinae et balsami, afflans illorum olfactum.
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[10]
Guillaume de Jumièges, 4, 17, p. 128.
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[11]
Dudon, 4, 125, lignes 14-15, p. 289.
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[12]
Guillaume de Jumièges, 4, 18, p. 128-130 : Ipse vero non multo post quemdam speciosis simam virginem nomine Gonnor, ex nobilissima Danorum prosapia ortam, sibi in matrimonium christiano more desponsavit. Ex qua filios genuit Ricardum videlicet et Rodbertum atque Malgerium et duos alios necnon filias tres.
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[13]
Dudon, 4, 126, lignes 1-2, p. 290 : justisque legum habenis plebem strenue regebat.
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[14]
Nous avons un portrait physique du duc dans un âge avancé : « C’était un homme de très belle apparence, de grande taille, à la chevelure très blanche, au regard brillant et à l’œil vif, au nez et à la mâchoire remarquables, à la barbe longue et blanche ». Dudon, 4, 126, p. 291-292 : specie pulcherrimus, canis praecandidis repletus, superciliis acieque oculorum coruscus, naribus malisque splendidus, barba canifera et prolixa honoratus, statura procerus, etc.
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[15]
Les ennemis de Richard le qualifient de : vir tantae elationis (104, l. 11-12, p. 266) et adolescens tantae superbiae (94, l. 60, p. 252).
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[16]
Dudon, 4, 84, p. 129.
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[17]
Ibid., 4, 88, p. 244.
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[18]
Ibid., 4, 88, p. 244-245.
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[19]
Gerberge était la fille du roi de Germanie Henri (919-936) et la sœur d’Otton, roi de Germanie en 936, puis empereur en 962 : Ibid., 4, 88, p. 245 : Henricus autem rex Gebergae reginae, filiae suae, non se venturum remandat ob obsidionem ad Rotomagum, quia merito et digne atque ultione Dei rex Luthdovicus acquisitum praejudicio patiebatur hunc casum, quia filium Willelmi ducis qui pro fidelitate sua Arnulfi perfidia occubuit captum in custodia tenuit totamque regionem Northmannicam, quam suus avus praeliis acquisivit, sibi injuste vindicavit.
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[20]
Parmi les adjonctions les plus importantes, il faut retenir : Osmond aurait pris conseil auprès d’Yves (père de Guillaume de Bellême), pour faire évader Richard (4, 4) ; il aurait caché l’enfant dans une gerbe de paille ou de foin et l’aurait porté sur ses épaules (4, 4) ; Raoul le Tort était un agent du roi franc, qui restaura la ville de Rouen en enlevant les pierres des abbayes détruites par les Vikings, en particulier celle de Jumièges (4, 6) ; Hagrold, fils du roi de Danemark, était venu avec 60 navires à l’époque de Guillaume Longue Épée, qui l’aurait installé dans le Cotentin (4, 7) ; la ville d’Évreux fut prise à cause de la trahison de Gilbert Machel (4, 15).
1L’histoire du règne de Richard Ier représente la moitié du texte du De moribus et actis primorum Normanniae ducum de Dudon de Saint-Quentin. On peut comprendre que Dudon, qui avait connu personnellement le duc Richard ainsi que ses familiers, disposait d’informations plus abondantes sur ce duc, dont le règne avait duré 54 ans, que sur ses prédécesseurs. On s’attendrait, de ce fait, à ce que Dudon nous donne de ce personnage une image plus précise et plus intime que celle de Rollon ou de Guillaume Longue Épée. Or, comme nous allons le voir, il n’en est rien. Avant de porter un jugement critique sur l’œuvre de cet historien, il importe au préalable de comprendre ses intentions, notamment en comparant ce livre IV avec le résumé qu’en a fait Guillaume de Jumièges dans ses Gesta Normannorum ducum [1].
Le livre IV dans la structure générale du De moribus et actis
2Le De moribus et actis est l’œuvre d’un clerc cultivé qui avait une connaissance approfondie aussi bien de la Bible et des ouvrages de l’Antiquité profane et chrétienne que des vies de saints et des poésies liturgiques de l’époque carolingienne. Les imitations de tous ces modèles s’entrecroisent dans le De moribus et actis : elles sont perceptibles, voire évidentes, dans les poésies qui interrompent souvent la narration, mais plus discrètes dans les récits en prose. Le projet historiographique de Dudon est clairement annoncé dans sa préface : il a voulu célébrer l’intégration des Vikings dans le monde franc et leur conversion à la foi chrétienne dont ils sont devenus les prosélytes les plus actifs. À cette défense et illustration des Normands, Dudon ajoute un autre objectif, celui de faire le panégyrique du lignage issu de Rollon et d’en affirmer la légitimité. Il avait une rude tâche à accomplir pour façonner une nouvelle image de ces Normands dont on continuait à affirmer, comme le faisait Guillaume de Volpiano, que ces gens n’étaient que des pilleurs et des destructeurs d’églises [2].
3Pour imposer cette nouvelle image à l’Europe chrétienne, Dudon a eu recours à une double stratégie. En premier lieu, il développe l’idée que la fondation du duché de Normandie n’est pas le fruit d’un compromis improvisé entre Francs et Vikings, encore moins la conséquence d’un pur hasard de l’histoire. Une telle création aurait été éphémère et dénuée de légitimité jusqu’au moment où un autre rapport de force aurait amené son anéantissement. Comme la nouvelle Troie, Rome, fondée dans le Latium par les descendants d’Énée, et cela conformément à la volonté de Jupiter, le duché de Normandie s’inscrit dans le plan de la divine Providence. Deux songes envoyés par le Ciel (vox divina, 2, chap. 5, p. 144) avaient averti Rollon de la mission qui allait lui être confiée : châtier le peuple chrétien qui ne respectait plus les préceptes de la foi et rétablir la paix et l’ordre, une fois qu’il se serait fait baptiser.
4Parallèlement à cette « stratégie du long terme », pour reprendre une expression de Bernard Bachrach [3], Dudon a cherché à montrer que le lignage de Rollon s’était conformé aux exigences de la foi chrétienne dans l’exercice de la fonction ducale. Dudon avait donné de Rollon l’image d’un prince qui avait accompli la mission à laquelle la Providence divine l’avait appelé. Une fois converti à la foi chrétienne, il avait pu fonder un regnum indépendant et entreprendre la restauration de l’Église. Dudon avait enrichi cette figure du héros fondateur par des analogies avec le troyen Énée conduisant son peuple errant vers la terre promise et avec l’empereur Constantin qui avait appris en songe que par le signe de la croix il vaincrait. La légitimité de Rollon tenait, d’une part, à son élection divine et, d’autre part, à sa conversion qui entraîna celle de tous les autres Vikings. Il revenait à son fils Guillaume de conférer à ce lignage une dignité plus haute. Bien qu’il ait assumé ses responsabilités de dux, Guillaume Longue Épée ne se révèle pas un guerrier comme son père. Il se contente d’appliquer les lois justes initiées par celui-ci. Mais si Rollon incite les Vikings à se convertir au christianisme, Guillaume illustre leur intégration à la civilisation chrétienne, comme le manifeste sa victoire sur Rioul qui refusait de perdre son identité nordique et sa culture païenne. Comme Rollon, il est l’homme de la paix, mais alors que le père l’imposait par la force des armes, le fils l’impose par la parole et la négociation. C’est en allant au rendez-vous de Picquigny pour négocier la paix qu’il a été assassiné sur ordre d’Arnoul, comte de Flandre. Ce martyre est le couronnement de cette politique conduite au service de la paix, mais il est aussi le couronnement d’une vie intérieure qui est à la recherche d’une forme de vie contemplative. Par-delà la personne du duc martyr, c’est tout le lignage qui est ainsi sanctifié.
5Comme l’a montré Victoria B. Jordan, après le converti et le martyr, c’est la figure du saint qu’incarne le duc Richard Ier. Richard réunit, en effet, en sa personne les qualités militaires de son ancêtre Rollon, capable de dévaster le territoire de ses ennemis sans état d’âme, et les aptitudes de son père à rechercher la paix à tout prix par la négociation. Avec une détermination farouche il a su préserver l’indépendance du duché menacé de tous côtés par le roi de Francie, par Arnoul, comte de Flandre, par Thibaud, comte de Blois-Chartres, et par Geoffroi, comte d’Anjou, sans parler des attaques lancées par le roi de Germanie.
6La sainteté de Richard se manifeste avec éclat dans les dernières pages du De moribus et actis. Auparavant cette sainteté était plus affirmée que montrée ou démontrée. Dans les poèmes initiaux du livre IV, Dudon ne se prive pas de qualifier le duc de termes à forte connotation religieuse (almus, pius, religiosus, sacer) et surtout par sanctus et sanctissimus. Dans les derniers chapitres du livre IV, Dudon évoque les actions du duc en faveur de la foi et de l’Église. Au chapitre 121, Richard tente d’amener à la foi chrétienne les chefs des Vikings, venus du Danemark à son appel pour piller la Francie. Il se transforme en prédicateur et expose dans un long discours les principes essentiels du dogme chrétien, en insistant en particulier sur les mystères de la Trinité, de l’Incarnation et du Péché originel. Cet exposé laisse sans voix les chefs vikings (quae audientes Daci obstupuerunt) [4], mais Richard leur propose une intégration en trois temps : le baptême, l’enseignement du dogme et enfin les dons du prince pour prix de cette conversion.
7Dudon passe ensuite à l’action du duc en faveur de l’Église. C’est à ses frais (sumptu proprio) [5] qu’il reconstruit les églises de la région, rétablit le patrimoine des abbayes et entreprend de participer au financement de la construction d’églises dans toute la Francie. Dudon insiste plus particulièrement sur les chantiers de grands édifices emblématiques, ce que les fouilles archéologiques ont confirmé [6] : agrandissement de la cathédrale de Rouen, restauration du monastère Saint-Ouen de Rouen, édification d’une abbaye au sommet du Mont Tombe (in Monte maritimo) et fondation d’une collégiale dédiée à la Sainte Trinité à Fécamp, à proximité du palais ducal. C’est l’occasion pour le chanoine de décrire en détail les diverses phases que nécessite l’ouverture d’un nouveau chantier.
8Avant de raconter les instants ultimes de la vie du duc Richard, Dudon rappelle que toutes les vertus attachées aux béatitudes évangéliques s’épanouissent naturellement dans la personne de Richard : il s’applique même à mettre chacune de ces béatitudes en relation avec les épisodes de sa vie. Lorsque Dudon évoque la béatitude des « Bienheureux les pacifiques », il rappelle que Richard était souvent sollicité pour réconcilier des adversaires et que lui-même avait souvent cherché à résoudre les conflits par la parole et la négociation plutôt qu’en assiégeant les villes et en s’emparant des places fortes. La mort du duc Richard a tous les caractères de la sainte mort, telle qu’on la présente dans les textes hagiographiques. Le duc a eu la prescience de sa fin et a pu faire tailler dans la pierre un sarcophage destiné à être déposé dans la collégiale de Fécamp. Il a fait distribuer nourriture et argent aux pauvres. Lorsque ses forces ont notablement diminué, il s’est fait transporter de Bayeux, où il résidait, à Fécamp et a désigné son fils Richard comme son héritier et son successeur. Il a mis des vêtements de pénitent pour se rendre pieds nus à la collégiale de la Trinité en faisant déposer sur l’autel des dons considérables ; c’est alors qu’il a fait savoir que « son sarcophage devait être déposé non à l’intérieur de l’église, mais à l’entrée sous la gouttière, car le corps coupable de si grands crimes ne doit pas reposer à l’intérieur » [7]. Il est mort la nuit suivante en prononçant les mots qui rappellent l’ultime parole du Christ sur la croix : « Entre tes mains, Christ, je remets mon esprit » [8]. Quand le jour suivant le comte Raoul ouvrit le tombeau, tous les présents constatèrent avec lui que le corps du duc était intact. Il émana alors du tombeau une odeur suave de térébenthine et de baume [9], signe évident de la sainteté du duc.
9Guillaume de Jumièges n’adopte pas la perspective de Dudon et supprime tous les passages de style hagiographique : même s’il qualifie le duc Richard de gemma Christi (4, 20), il n’emploie jamais les adjectifs sanctus ou sanctissimus à propos de Richard. Il résume en une seule expression la longue démonstration sur le dogme de la foi chrétienne adressée aux Vikings (paganorum plurimos ad fidem Christi sacris monitis convertit) [10]. Du catalogue des béatitudes, Guillaume de Jumièges ne retient que celle de prince de la paix et ses derniers instants sont ceux d’un bon chrétien et nullement d’un saint personnage, comme le montre la comparaison entre les deux textes :
La structure du livre IV
10Les livres consacrés à Rollon et à Guillaume Longue Épée s’efforçaient de présenter les principales étapes de leur vie. Pour Richard Ier, qui gouverna le duché durant 54 ans, nous ne disposons pas d’un véritable récit biographique. Dudon n’a retenu que les périodes de crise qui ont mis en péril l’existence du duché. Ce livre IV comprend trois parties.
11La première partie, qui représente la moitié du livre (environ un millier de lignes de l’édition de Jules Lair sur les 2 000 du livre IV), ne couvre qu’une brève période de quatre années, de 942 à 946 : ce sont les années cruciales où le roi franc profita de l’assassinat de Guillaume Longue Épée et de la minorité de son jeune fils pour tenter de recouvrer le duché de Normandie. L’histoire de cette période dramatique aussi bien pour les Normands que pour le jeune Richard se déroule en plusieurs épisodes.
- – chap. 70-71 : À la nouvelle de l’assassinat de Guillaume Longue Épée, le roi Louis IV d’Outremer arrive à Rouen : il garde l’enfant près de lui, malgré la méfiance, puis la colère des princes normands et du peuple de la cité ;
- – chap. 72-77 : Le roi emmène le jeune Richard à Laon, en compagnie de son précepteur Osmond, sous le faux prétexte de lui apprendre ses devoirs dans l’exercice du pouvoir. Constatant que la vie du jeune duc est menacée, Osmond réussit à s’évader avec lui en le déguisant en paysan (en le cachant dans une botte de paille selon Guillaume de Jumièges). Richard trouve refuge auprès de son oncle maternel, Bernard de Senlis. Le duc Hugues le Grand promet par serment de protéger l’enfant.
- – chap. 78-81 : Arnoul, le comte de Flandre, achète le pardon du roi pour dix livres d’or et lui conseille de conquérir la Normandie en s’alliant avec Hugues le Grand. Il suffit de proposer à celui-ci toute la partie du duché située à l’ouest de la Seine. Hugues trahit son serment et se laisse séduire par la proposition royale. Louis et Hugues envahissent la Normandie.
- – chap. 81-83 : Bernard de Senlis et Bernard le Danois parviennent à dresser le roi contre Hugues le Grand en le présentant comme un rival dangereux et à empêcher le partage du duché. Le duc Hugues reconnaît sa faute.
- – chap. 84-87 : Les Normands, sans cesse menacés, font appel au roi de Danemark, Hagrold, qui lève une armée et débarque à l’embouchure de la Dives ; les hommes du Cotentin et de Bayeux s’y rendent aussitôt. Lors d’une entrevue entre le roi et Hagrold se produit une échauffourée qui provoque la bataille : les Français sont battus et le roi est fait prisonnier.
- – chap. 88-92 : Après négociation, une rencontre a lieu à Saint-Clair-sur-Epte : le roi, libéré, doit reconnaître la Normandie comme un regnum indépendant qui ne doit obéissance qu’à Dieu (nullis nisi Deo servitium ipse (Ricardus) et successio ejus reddat, 4, 89, p. 247). Le jeune Richard rentre enfin à Rouen et chasse Raoul le Tort, agent du roi des Francs.
- – chap. 93-95 : L’alliance entre le duc Richard et Hugues le Grand suscite les craintes des autres princes francs et surtout celles du roi, qui fait appel au roi de Germanie. Le roi cède à Otton de Germanie le royaume de Lorraine à condition que ce dernier dévaste les terres du duc Hugues le Grand et le duché de Normandie.
- – chap. 96-101 : Le roi Otton envahit la Normandie en compagnie du roi et des princes francs : il assiège Rouen sans succès et se retire après avoir subi une défaite à Maupertuis. Éloge du jeune duc de Normandie.
12Le paradoxe de cette première partie c’est la quasi-absence du jeune Richard : après les quatre chapitres consacrés à son enfance et à sa désignation comme dux, comes et patricius (chap. 66-69), Richard ne joue plus aucun rôle dans la longue histoire que nous venons d’évoquer. Il a juste droit à quelques lignes quand le roi le menace de lui couper les jarrets et quand Osmond lui fait jouer la comédie du grand malade pour favoriser leur évasion. L’historien qui avait su montrer un Rollon saisi par le doute ou rempli d’angoisse quand il désespérait de son destin n’a pas une parole pour évoquer les craintes et les peurs du jeune enfant. Il est absent en quelque sorte de sa propre histoire. L’enjeu des conflits n’est pas tant sa personne que le duché de Normandie. Les acteurs de cet affrontement sont, d’un côté, les grands du royaume de Francie, comme Arnoul de Flandre, et le roi Louis IV d’Outremer ; de l’autre, se distinguent Bernard de Senlis et Bernard le Danois, qui semble avoir été un redoutable défenseur de la cause normande face à l’agent du roi Louis, Raoul le Tort.
13La seconde partie raconte les péripéties d’une autre crise survenue 14 ans plus tard, entre 960 et 966, en raison de l’action perturbatrice de Thibaud le Tricheur, comte de Blois-Chartres. Comme l’avait fait Arnoul avec le roi Louis, Thibaud ne cesse d’intervenir auprès du roi Lothaire pour l’inciter à réussir l’entreprise engagée par son père, recouvrer la Normandie et chasser tous les Vikings et fils de Vikings.
- – chap. 102-104 : Le mariage en 960 de Richard avec Emma, la fille du duc Hugues le Grand, inquiète le comte Thibaud qui incite la reine Gerberge à agir pour assurer la couronne royale de son fils Lothaire.
- – chap. 105-106 : La reine fait venir en Vermandois son frère Brunon, archevêque de Cologne, pour qu’il s’empare de Richard en l’invitant à une entrevue.
- – chap. 107-109 : Le roi Lothaire tente le même piège sur les bords de l’Eaulne, mais Richard apprend en cours de route que tous ses ennemis entourent le roi. Richard doit livrer combat au gué de Dieppe pour échapper à ce guet-apens.
- – chap. 110-113 : Sur les conseils de Thibaud, Lothaire prend Évreux par surprise. Thibaud en profite pour envahir la Normandie, mais il est défait aux portes de Rouen, à Hermentruville. En représailles Richard dévaste tout le pays de Chartres.
- – chap. 114 : Face aux menaces permanentes des Francs, Richard fait à nouveau appel aux Vikings qui s’installent sur l’île de la Seine, à Jeufosse. Les Vikings dévastent pendant cinq ans toute la Francie, sauf la Normandie.
- – chap. 115-118 : Épuisés par les raids vikings, comtes et évêques de Francie décident de négocier une paix durable avec Richard.
- – chap. 119-124 : Les Danois installés en Normandie refusent aussi bien une trêve que la paix. Richard parvient non sans peine à les convaincre soit de rester en se faisant baptiser, soit de refuser le baptême et de partir en Espagne.
14Dans cette seconde partie, le duc Richard apparaît bien comme un personnage de premier plan. Mais ce n’est pas lui le maître du jeu. Dans les conflits avec Thibaud de Chartres, le roi Lothaire, Baudouin de Flandre et Brunon de Cologne, il est constamment sur la défensive. Ses adversaires combinent des plans, prennent des initiatives et lancent des opérations. Richard est condamné à déjouer leurs pièges. Dudon lui donne le premier rôle en de rares occasions. Au gué de Dieppe, il tient tête à l’armée royale avec détermination. Il allait lancer une opération avec de jeunes recrues quand les vieux guerriers normands arrêtent son cheval pour le mettre à l’abri en retournant à Rouen. À la bataille d’Hermentruville qui se termina par la mort de 640 guerriers francs, sur les 3 000 engagés, le duc prit l’initiative de faire traverser la Seine de nuit à ses hommes pour attaquer l’armée de Thibaud au lever du soleil. Le combat se déroule sans que l’on voie le jeune duc accomplir un quelconque exploit.
15À notre avis, Dudon a volontairement choisi de présenter un duc au-dessus de la mêlée, car mettre en scène Richard massacrant des guerriers francs à la pointe de son épée était incompatible avec le projet de faire du duc un saint personnage qui respectait à la lettre les prescriptions de la doctrine chrétienne. Si Dudon le montre sans cesse sur la défensive, c’est pour en faire une victime de la perversité des Francs, qui menacent constamment d’envahir la Normandie au mépris de leurs engagements. En revanche Dudon nous le montre retournant le lendemain sur le champ de bataille : il s’attriste devant les centaines de morts, il les fait inhumer, il fait transporter les blessés ennemis à Rouen et les fait soigner. Quand il se lance dans des opérations de représailles, c’est parce que ses adversaires ont envahi son territoire et ravagé les campagnes. Mais même dans ces récits de violence, les verbes d’action qui se rapportent à Richard sont des verbes au contenu sémantique « neutre » : cucurrit, eripit, resistit, irruit, bellum iniit, alors que les verbes qui font couler le sang (posternit, disrumpit, multatur, occidit) sont le fait de la gens northmannica.
16La troisième partie est, en revanche, entièrement consacrée au duc Richard. Dudon apprend au lecteur la mort d’Emma dont il n’eut aucun enfant et le don aux églises de tous ses biens. Il excuse, « en raison de la fragilité inhérente à la nature humaine portée aux plaisirs » (subscalpenti voluptuosae humanitatis fragilitati subactus) [11], le fait qu’il eut de plusieurs concubines deux fils (Geoffroi et Guillaume) et deux filles. Il consacre un long éloge à Gonnor dont Richard eut de nombreux fils et filles, bien avant de l’épouser officiellement. Il le fit, selon Dudon, à la demande des grands de Normandie pour que son héritier soit né d’une mère et d’un père danois. Guillaume de Jumièges omettra plus tard de dire que les enfants de Richard étaient nés d’une union au préalable illégitime, au regard de l’Église [12]. Dudon passe ensuite en revue toutes les restaurations et constructions religieuses entreprises par le duc à ses frais, il met en évidence les vertus évangéliques du duc et sa fin exemplaire, comme nous l’avons montré précédemment.
17Pour la période de 966 à 996, Dudon ne dit rien de plus, si ce n’est qu’il « gouvernait énergiquement le peuple en appliquant les lois selon la justice » [13]. Les historiens médiévaux, comme les historiens antiques, ne s’attardaient guère sur les périodes de paix, où il ne se passait rien. Il n’y a que ces mots pour le dire, sans que l’on ait besoin d’en parler davantage. En outre, c’est de la personne même du duc, comme du roi, que procèdent la paix, la tranquillité et la prospérité du pays. C’est par lui que se répartissent les richesses entre tous les sujets. Les vertus du prince garantissent que la justice sera respectée, que l’Église sera protégée et que le peuple ne connaîtra pas la famine. Ainsi, en développant longuement les vertus du duc Richard dans l’un des derniers chapitres du livre IV, il sous-entend que la Normandie était heureuse et prospère. Les peuples heureux n’ont pas d’histoire, mais ils ont nécessairement un prince vertueux.
18Dans une société où l’administration centrale n’assurait que l’exercice des pouvoirs régaliens (finances, armée, justice), c’est par sa liberalitas, c’est-à-dire par sa générosité envers ses sujets, que le prince redistribuait les richesses à travers toutes les classes de la société. La liberalitas était, en effet, une vertu essentielle attachée à la fonction de gouvernement : le mauvais prince thésaurisait en gardant tout dans son trésor, tandis que le bon prince, par ses donations et ses concessions, les répartissait entre tous ses sujets. À l’exemple de leur duc, barons et seigneurs étaient invités à participer en relais à cette redistribution. Le duc, comme le roi, n’était pas seulement le protecteur de l’Église et du peuple, il était considéré également comme le « père nourricier » (pater familias) qui assurait à tous ses sujets les moyens de subsistance, ce qui se révèle par l’abondance des adjectifs almus aussi bien dans les poésies que dans la prose de Dudon.
Dudon historien
19Les remarques que nous avons faites sur l’aspect apologétique et hagiographique de l’œuvre de Dudon ne doivent pas discréditer son témoignage d’historien. Les procédés du panégyrique et les éléments de l’hagiographie auxquels l’auteur a recours ont pour objet de donner plus de relief, plus d’éclat aux faits rapportés, sans pour autant les dénaturer. Alors que l’annaliste rapporte les faits selon leur succession chronologique, l’historien tente de dépasser l’incohérence apparente des faits en établissant entre eux des liens de cause à effet. Telle est du moins la grande tradition héritée de l’Antiquité, pour qui l’art de narrer les événements compte autant que la connaissance précise de ce qui s’est réellement passé. Pour reprendre l’expression de Cicéron, il ne saurait y avoir d’historia qu’ornata : seul un écrivain formé aux subtilités de l’art oratoire peut oser faire œuvre d’historien. Ce n’est donc pas d’après notre conception moderne de l’histoire, mais d’après ce qu’il se proposait de faire en suivant ses modèles que nous devons juger l’auteur du De moribus et actis. Les artifices littéraires de l’œuvre que certains ont déplorés constituent pour nous une donnée intrinsèque du genre historique. Que pouvons-nous dire sur cette histoire des premiers duc de Normandie telle que Dudon a voulu la rédiger ?
20En premier lieu, nous devons reconnaître que le duc Richard Ier demeure pour le lecteur un personnage inconnu. On le voit rarement au cœur de l’action et prendre des initiatives. Or Dudon nous avait présenté Rollon, Guillaume Longue Épée et même Hasting comme des personnages dynamiques. Ils préparaient des stratagèmes et les expliquaient à leurs compagnons et complices, ils avaient parfois des doutes et sollicitaient souvent les avis de leur entourage. Richard n’a pas cette vitalité : c’est une figure abstraite et désincarnée dont il se contente d’énumérer régulièrement les qualités éminentes qui en font le prince le plus exceptionnel de l’Europe chrétienne [14]. Pour justement en faire un modèle, Dudon hésite à le montrer en pleine action, où nécessairement on se salit les mains et l’âme. Le panégyriste et l’hagiographe ont coupé les ailes de l’historien.
21De ce fait, s’expliquent parfaitement deux procédés d’écriture dont use Dudon dans ce livre IV : les expansions nominales et les litanies. Le premier procédé consiste à faire suivre chaque évocation du nom de Richard par un génitif de qualité. Il est aisé d’en établir une liste :
- puer summae celebritatis (73, l. 1, p. 229)
- puer magnae posteritatis (71, l. 12, p. 226)
- puer praedignae innocentiae (71, l. 20, p. 226)
- puer ineffabilis probitatis (90, l. 12-13, p. 247)
- puer ingentis reverentiae (69, l. 29, p. 223)
- puer tantae ditionis (70, l. 22, p. 225)
- puer tantae pulchritudinis (70, l. 9, p. 224)
- puer tantae spei (70, l. 28-29, p. 225)
- puer praecelsi auxilii (70, l. 37, p. 225)
- puer tantae liberationis (70, l. 39, p. 225)
- puer tantae virtutis (70, l. 44, p. 225)
- puer desideratae spei (72, l. 13, p. 227)
- puer fiduciae vestrae (72, l. 20, p. 227)
- puer tanti pretii (72, l. 62, p. 229)
- puer tantae dulcetudinis (73, l. 12, p. 230)
- puer tanti desiderii (73, l. 20, p. 230)
- puer sagacissimae probitatis (92, l. 10, p. 248)
- puer exspectatae nobilitatis (69, l. 34, p. 223)
- puer tanti decoris (74, l. 1, p. 230)
- puer desideratae visionis (90, l. 18, p. 247)
- puer tantae industriae (92, l. 25-26, p. 249)
- puer futurae opis (72, l. 26, p. 227
- puer tantae modestiae (92, l. 28, p. 249)
- puer tantae fortitudinis (92, l. 44, p. 249)
- puer tantae diligentiae (77, l. 2, p. 233)
- puer tanti amoris (76, l. 23, p. 232)
- puer tantae custodiae (75, l. 7-8, p. 231)
- puer tantae dulcedinis (70, l. 14-15, p. 224
- puer immeritae captionis (73, l. 2-3, p. 230)
- puer ingentis reverentiae (69, l. 12-13, p. 223)
- puer tantae speciei (90, l. 15-16, p. 247)
- puer tantae dignitatis et speciei (90, l. 15, p. 247)
- puer inestimabilis incrementationis (75, l. 22, p. 247)
- puer tanti honoris (70, l. 11, p. 224 ; 90, l. 15, p. 247)
- vir tantae dignitatis (90, l. 15, p. 247)
- patricius tantae probitatis (103, l. 32, p. 265)
- infans bonae indolis (69, l. 3, p. 223)
- patricius summae patientiae (127, l. 63, p. 295)
- ephebus industris scientiae (92, l. 6, p. 248)
- puer almifluae mellifluaeque innocentiae (90, l. 22, p. 247) [15]
22Les litanies à la gloire du duc Richard se rencontrent à quatre reprises dans le livre IV (chap. 100, 106, 109, 126), chaque fois que Dudon fait l’éloge évident du prince : elles évoquent de manière abstraite les multiples qualités dont a fait preuve le duc Richard et les multiples devoirs qu’il remplissait auprès de ses sujets et auprès de ses pairs. Cette accumulation de formules se présente sous trois formes :
- énumération de substantifs précisés par un adjectif et/ou par un complément (4, 100, p. 261-262) :
- Erat melliflua dulcedo fortium
- defensor orphanorum
- baculus orborum
- lux sincera caecorum
- fortitudo debilium
- solator miserorum
- reparator ecclesiarum
- apex clericorum
- salus egentium
- decus praesulum
- cacumen sacerdotum
- cultor virtutum
- pietas maestorum
- memorabile pignus amicitiarum
- sedes legum
- pastor pauperum
- arma militum
- mitigator rixarum
- receptor profugorum
- dulcis amor vernularum
- poena furum
- emendator confessorum
- murus regionum
- specimen sanctitatum
- auxiliator regum
- judicium accusantium et accusatorum
- culmen generum
- salus viduarum
- amator foederum
- maxima spes omnium
- palma desperantium
- tutela presbyterorum
- rector populorum
- forma proborum
- libra quaestionum
- pater exsulum
- distributor bonorum
- exemplum cunctorum
- detrimentum latronum
- opus pietatum
- lumen cunctorum
- dulce caput consulum
- protector omnium populorum
- énumération d’adjectifs ou de participes complétés par un ablatif (4, 106 et 126) :
- moribus et meritis praecipuus
- spe robustissimus
- sapiens in colloquio,
- docilis in opere
- eximius in timore dei
- in omni opere strenuus
- in reos severitate terribilis
- fortis in periculis
- praecellenti ingenio praeditus …
- mente sagacissimus
- fide plenissimus
- charitate largissimus
- prudens in consilio
- longanimis in spe
- magnificus ordine habituque laicali
- patiens adversis
- in probos lenitate mitis
- judicio justitiaque insignis
- bonitate effusus
- gratia Dei munitus …
- succession de petites phrases à l’imparfait pour évoquer les actions du duc (4, 109)
23Guillaume de Jumièges qui reste fidèle au récit de Dudon élimine méthodiquement aussi bien les longs développements hagiographiques, comme le catalogue des vertus évangéliques, que les génitifs de qualité et les énumérations à la manière des litanies.
24S’il n’est guère convaincant dans sa laus ducis, Dudon en revanche réussit avec talent à faire revivre les périodes de crises, comme celle de 942-946 et celle de 960-966, qui forment à elles seules 85 % de la materia du livre IV. Dudon met en scène le théâtre des ambitions princières et royales et prend plaisir à entrer dans l’intimité de ceux qui font et défont l’histoire. C’est un tableau tout en nuances et d’une grande précision de la politique en Francie vers la moitié du xe siècle, où se nouent des intrigues de cour, où se confrontent les ambitions des grands, où se jouent la guerre et la paix des peuples. Nous voudrions insister sur quelques aspects de cette histoire.
25Dudon montre d’abord que le moteur de l’action politique c’est à la fois l’envie et l’ambition. Arnoul, Thibaud et les autres supportent difficilement que le duc de Normandie devienne un prince que l’on consulte et dont on sollicite l’amicitia. Ils rêvent de gloire et pensent y parvenir en préparant de ténébreuses machinations et de perfides conspirations. Ils jouent même sur la loyauté du jeune duc Richard pour tenter de le faire tomber dans leurs pièges. C’est ainsi que l’archevêque de Cologne, Brunon, le frère de la reine Gerberge, fait venir le jeune Richard dans la région d’Amiens pour pouvoir s’en emparer aisément. L’ambition est l’autre levier puissant qui incite les grands à engager des opérations militaires ou à pousser le roi Louis IV et son fils Lothaire à se lancer dans une politique de grandeur. Ainsi le roi Louis IV se laisse aisément persuader par Arnoul de Flandre qui lui conseille de retenir le jeune Richard prisonnier à Laon et de mettre la main sur le duché de Normandie ; par ce moyen le roi pourra accroître son territoire et son prestige. Le duc Hugues le Grand, qui vient pourtant de jurer sur les reliques qu’il protégera le duc Richard, accepte d’envahir la Normandie quand le roi lui offre de devenir le maître de la plus grande partie du duché. En contrepartie, Dudon propose le modèle de Guillaume Longue Épée et de Richard Ier qui, par la pratique des vertus chrétiennes, savent écarter les mauvais conseillers. La vertu du prince n’est pas seulement le gage pour lui d’assurer son salut éternel, elle est la condition indispensable pour que la paix règne en ce monde et que l’Église ait la possibilité de se développer et de remplir sa mission de salut auprès de tous les hommes.
26Un second aspect de l’œuvre de Dudon est l’importance qu’il accorde aux discours et aux délibérations, voire aux controverses. Un historien dira avec raison que ces discours sont de pures fictions littéraires, encore que rien ne nous interdise de penser que Dudon, bien introduit dans les cours princières de Francie, ait pu parfois reproduire la teneur de certaines conversations. Mais en composant ces discours et ces dialogues, Dudon suit la tradition historiographique gréco-romaine (de Thucydide à Salluste et Tite-Live) pour qui les discours constituent un élément essentiel du genre. C’est, de toute façon, à travers cette fiction littéraire que les historiens cherchent à atteindre une vérité, sinon plus profonde, du moins plus instructive sur les événements et les sociétés du passé.
27Discours et dialogues témoignent de ce que furent les relations complexes entre les grands du royaume où la délibération tient une place essentielle dans la vie politique. Il n’y a pas d’action qui n’ait fait au préalable l’objet d’une délibération collective. Les vassaux doivent, en effet, consilium et auxilium à leur seigneur. Ces discours remplissent plusieurs fonctions dans la narration.
28Certains servent tout simplement à exposer les pensées d’un personnage, d’autres manipulent tout un ensemble d’arguments pour inciter habilement l’interlocuteur à prendre une décision, à engager une action, ou, plus subtilement, à l’amener à dévoiler ses projets secrets. L’historien fait dire à plusieurs personnages les mêmes propos pour rendre plus convaincante son analyse. Lorsque le roi Louis IV d’Outremer est emprisonné à Rouen par les Normands, ce qui est un acte d’une grande portée politique, Dudon met dans la bouche de plusieurs princes le bien-fondé d’une telle décision : discours des Normands à Hagrold pour l’inciter à venir à leur secours [16], discours de Bernard de Senlis à Hugues le Grand pour annoncer la mort des 18 comtes francs et la capture du roi [17], discours de ce même Hugues qui qualifie le sort du roi comme un juste châtiment de Dieu pour avoir emprisonné le jeune Richard [18], discours du roi de Germanie qui refuse de porter secours à sa fille, épouse du roi emprisonné, en rappelant tous les actes criminels du roi – il n’a pas puni Arnoul pour l’assassinat de Guillaume Longue Épée, mort de lui avoir été fidèle, il a retenu prisonnier l’héritier du duché et a même osé « s’approprier injustement toute la région normande » [19]. L’emprisonnement du roi, suzerain des ducs de Normandie, apparaît ainsi parfaitement légitime et tous ces discours témoignent indirectement de la nécessité dans laquelle sont tous les acteurs de l’histoire de se justifier auprès de leurs pairs et de l’opinion populaire.
29Les discours témoignent du statut de la parole dans une société où l’écrit n’avait pas encore une place importante : violence, guerres, trahisons apparaissent clairement comme la conséquence visible de prises de parole. Mais la parole peut être source de salut, comme ce fut le cas pour Hugues le Grand, qui s’était laissé enfermer dans une situation insoluble. Le duc des Francs avait promis sur les reliques de protéger le jeune Richard réfugié à Senlis après son évasion de Laon. Mais, quelque temps après, il avait trahi sa foi en acceptant d’envahir la Normandie et d’assiéger la cité de Bayeux, en raison de la promesse du roi, conseillé par Arnoul, de lui laisser la partie de la Normandie qui se trouvait à l’ouest de la Seine. Quand Bernard de Senlis eut vent de ce parjure, il se rendit auprès d’Hugues et lui dit son fait en usant de termes éloquents : infamia, blasphema, perfidia, nequitia. Hugues reconnaît sa faute, mais ne sait comment désormais tenir ses engagements à l’égard du roi et à l’égard de Richard. Il implore alors Bernard de Senlis et le supplie de « le sortir de ce sacrilège par quelque sophisme » (Precor ut eruas me aliquo sophismate a blasphemia, 4, 80, p. 235). Bernard de Senlis s’entend avec Bernard le Danois, qui organise la défense à Rouen, pour imaginer un stratagème subtil et sortir Hugues de ce mauvais pas. Ils incitent d’abord Hugues à tenir son engagement à l’égard du roi en envahissant la Normandie. Lorsque le roi, conformément à son plan, envahit, de son côté, le pays de Caux en faisant le plus possible de dévastations, Bernard le Danois va à la rencontre du roi pour lui signifier son étonnement : pourquoi dévaster les terres de ses sujets fidèles qui se préparent à l’accueillir à Rouen comme leur seigneur légitime ? Le roi se laisse convaincre, arrête le pillage et se rend à Rouen où il est accueilli par toute la population, mise dans la confidence. Nouveau discours de Bernard le Danois qui explique au roi qu’il a eu tort de céder la part la plus riche de la Normandie, celle où il y a les guerriers les plus valeureux : Hugues deviendra un duc si puissant qu’il pourra revendiquer la couronne royale. Bernard annonce alors que, si Hugues est confirmé dans sa mission, tous les Normands d’origine viking regagneront le Danemark et qu’ils ne se priveront pas de revenir sur leurs navires pour mettre à feu et à sang toute la Francie. Convaincu par cette habile harangue, le roi envoie un messager au duc Hugues le Grand pour lui ordonner d’arrêter le siège de Bayeux et de rentrer à Paris sur le champ. Ce que s’empresse de faire Hugues, délivré ainsi de son serment par le roi en personne et pouvant dès lors rester fidèle à son engagement à l’égard de Richard.
30On peut considérer objectivement que tout cela est un jeu rhétorique du chanoine avec mise en scène dramatique, destinée à sauver l’honneur du duc Hugues le Grand, dont le fils est devenu, entre temps, roi des Francs. Il ne faut pas oublier que pour Dudon la connaissance du passé doit être utile à la postérité, en lui proposant des modèles et un « miroir des princes ». Le discours remplit plusieurs fonctions non seulement dans le continuum de la narration, mais également dans le projet historiographique. Le discours reflète la complexité du jeu diplomatique où les ambitions s’affrontent. La politique se joue d’abord dans les antichambres des princes avant de se jouer sur le champ de bataille.
31Le discours est aussi l’endroit où s’effectue l’analyse de la situation par l’historien qui emprunte la voix de ses personnages. L’historien moderne effectue cette analyse en son nom et en se situant en dehors de l’évocation du passé. L’historien médiéval, comme l’historien antique, n’intervient jamais dans son œuvre (si ce n’est dans la préface) : il exprime sa réflexion et son analyse de la situation dans les discours de ses personnages. Ces discours sont, en réalité, les paroles que l’auteur prononcerait s’il était à la place de ses personnages avec tout le recul que lui donne son statut d’auteur. Ainsi le centre de l’intérêt historique se déplace : l’important n’est pas de savoir si ce que dit le roi de Francie ou le comte Arnoul est ou non véridique, c’est de prendre en compte ce que pense l’historien, qui a rassemblé une abondante documentation orale et écrite et qui écrit en connaissant la suite de l’histoire. Ceci dit, l’historien peut avoir le souci de faire parler ses personnages selon ce qu’il sait d’eux, de leur caractère, de leurs projets, de leurs habitudes dans la conduite de la politique. De ce fait, les discours « fabriqués » ne sont pas nécessairement des fictions littéraires sans rapport avec la vérité historique.
32En outre, les discours rédigés selon les règles de l’art témoignent de la rhétorique qui était en honneur dans les cours du nord de la Francie au début du xie siècle, comme l’ensemble de l’œuvre témoigne de la vision que les contemporains de Dudon avaient ou voulaient avoir de leur propre histoire.
33On pourrait de même s’attarder longuement sur les autres données de l’œuvre de Dudon, sur l’art du récit et de la dramatisation, sur le rôle des poésies, sur l’image du duc telle qu’elle est affirmée dans le rituel des litanies et les portraits du prince.
34*
35En conclusion, il nous semble que Dudon n’a guère réussi son panégyrique du duc Richard Ier, alors qu’il avait su donner une image vivante de Rollon, le brillant guerrier, et de Guillaume Longue Épée, le martyr de la pax. Pour des raisons évidentes, Dudon a choisi de le mettre au-dessus de l’action, au-dessus de la mêlée et donc des mesquineries, voire des vilenies de la vie politique de son temps. Faute d’être montré en pleine action, le duc Richard apparaît comme une figure désincarnée, sans densité humaine, véritable catalogue de vertus et litanie incessante de qualités exceptionnelles, qui se sont d’ailleurs formées et développées à notre insu. Il reste que ce portrait du duc normand est proposé par Dudon comme un modèle pour tous ceux qui exercent un pouvoir. L’historien y affirme avec force que seules les vertus du prince garantissent la paix dont l’Église a besoin pour assurer sa mission de salut. Telle est l’une des leçons majeures du De moribus et actis et ce n’est pas un hasard si ce titre donné à l’œuvre par Jules Lair qui l’a emprunté à la préface de Dudon parle en premier des mores et non des acta.
36Piètre panégyriste et piètre hagiographe dans ce livre IV, Dudon se révèle un remarquable historien qui a parfaitement réussi son imitation de l’historiographie antique. Il a rédigé une œuvre riche, dense, vivante à propos de deux moments importants de l’histoire du duché de Normandie, puisque celui-ci a failli disparaître en raison de la convoitise et de la perfidie des princes francs. Les acteurs de cette histoire pro-normands et anti-normands s’affrontent, s’invectivent, se battent, se tendent des pièges constamment. Mais il y a un acteur dont nous n’avons pas parlé, et qui joue un rôle important, c’est le peuple normand. Du fait de la minorité du duc et de son emprisonnement, c’est Bernard le Danois, c’est le peuple de Rouen, ce sont les hommes du Cotentin, ce sont les guerriers du Bessin et ce sont les nouveaux Vikings auxquels on a fait appel qui restent fidèles au fils de Guillaume Longue Épée et qui vont à chaque fois mettre en échec les invasions étrangères. Il n’est donc pas surprenant que les manuscrits de Dudon portent le plus souvent comme titre de l’œuvre Historia Normannorum ou Gesta Normannorum. La légitimité des ducs de Normandie ne tient pas seulement à l’élection d’un lignage exceptionnel, mais avant tout à la fidélité du peuple normand et à son héroïsme dans les heures sombres.
37Quant à Guillaume de Jumièges, qui avait déjà délaissé les développements hagiographiques et les procédés du panégyrique, il a également rayé d’un trait de plume tous les discours qui donnaient relief et vie au récit de Dudon. Il se contente de présenter les faits, en suivant la trame de Dudon, selon la technique de l’abbrevatio, en ajoutant ici ou là des précisions intéressantes [20]. Son histoire se rapproche dès lors de la sécheresse des annales.
Dudon de Saint-Quentin : plan du livre IV
38Préface : Richard est un prince « exemplaire » par ses insignia opera
1re partie : La Normandie menacée (942-946)
I – Une succession mouvementée (chap. 66-77)
1 – L’enfance (chap. 66-69) : c. 936-942
- Naissance à Fécamp et baptême par Henri, évêque de Bayeux (66)
- Projet de succession : entrevue de Quevilly avec Bernard, Bothon et Anslec (67)
- Éducation du jeune Richard à Bayeux sous l’autorité de Bothon (68-69)
- Mort de Guillaume Longue Épée ; Richard reconnu comme comes, dux, patricius (69)
2 – Le roi Louis IV d’Outremer à Rouen (chap. 70-71) : 943
- Venue du roi Louis IV à Rouen : il garde l’enfant près de lui, d’où révolte des princes normands et du peuple de Rouen (70)
- Le roi et les princes normands et bretons reconnaissent Richard comme duc
- Le roi se propose de former Richard à ses responsabilités et annonce qu’il va attaquer Arnoul pour venger la mort de Guillaume Longue Épée (71-72)
- Le roi regagne Laon avec Richard, devenu son prisonnier (72)
3 – La captivité de Richard (chap. 72-77) : 943-944
- Arnoul de Flandre, meurtrier de Guillaume Longue Épée, achète le pardon du roi pour 10 livres d’or et lui suggère de s’approprier la région normande (72)
- Menaces du roi contre la vie de Richard et de son tuteur Osmond, qui fait connaître à toute la Normandie le sort malheureux du jeune duc (73)
- Le jeune Richard reçoit une éducation soignée (74)
- Osmond réussit à s’évader avec Richard et à le conduire à Senlis chez son oncle (75)
- Bernard de Senlis et Hugues le Grand prennent le parti de Richard contre le roi et s’engagent par serment à le protéger (76-77)
II – L’Invasion de la Normandie par Louis IV, roi de France (chap. 78-92) : 944-945
1 – Le partage de la Normandie entre le roi Louis et le duc Hugues le Grand (chap. 78-83)
- Rencontre à Restibule entre le roi et Arnoul de Flandre qui conseille de séduire Hugues en lui offrant la Normandie jusqu’à la Seine (78)
- Le roi propose à Hugues le Grand d’envahir la Normandie et de se la partager ; Hugues trahit son serment envers Richard (79)
- Bernard de Senlis reproche à Hugues sa trahison et monte une machination pour sauver la Normandie et l’honneur d’Hugues le Grand (80)
- Le roi envahit le pays de Caux et Hugues la région de Bayeux : les Normands font semblant d’accueillir le roi à Rouen avec joie. Bernard le Danois dresse le roi contre le trop puissant duc Hugues le Grand (81)
- Le roi renonce au partage et ordonne à Hugues de rentrer à Paris (82)
- Les Francs demandent au roi les terres des Normands et leur expulsion (83)
2 – L’appel aux Vikings et la défaite du roi Louis sur la Dives (chap. 84-88)
- Ambassade auprès d’Hagrold, roi de Danemark, qui débarque à l’embouchure de la Dives, où le rejoignent les hommes du Cotentin et de Bayeux (84)
- Arrivée du roi avec son armée à Rouen (85)
- Entrevue sur les bords de la Dives : à la suite du meurtre d’Herluin de Montreuil, s’engage une bataille où les Français ont le dessous (86)
- Le roi s’échappe et est pris par un habitant de Rouen, qui se laisse séduire et le cache dans une île de la Seine. Le roi Louis est repris par Bernard le Danois (87)
3 – La Normandie indépendante et le retour de Richard à Rouen (chap. 89-92)
- La reine Gerberge fait à appel à son père, Henri, roi de Germanie, qui refuse d’intervenir (89)
- Hugues le Grand accepte de négocier avec les Normands pour rétablir la paix
- Entrevue à Saint-Clair-sur-Epte : le roi est libéré et la Normandie est considérée comme un regnum indépendant (90)
- Retour triomphal du jeune Richard et expulsion de Raoul le Tort, qui administrait la Normandie au nom du roi de France (91-92)
III – L’invasion de la Normandie par Otton, roi de Germanie (chap. 93-101) : 946
1 – Projet d’union matrimoniale entre Richard et la fille de Hugues le Grand (chap. 93-95)
- Hugues le Grand propose sa fille Emma comme future épouse à Richard (93)
- Inquiétude d’Arnoul et du roi Louis à propos de cette alliance (94)
- Arnoul et le roi proposent la Lorraine à Otton pour qu’il intervienne (95)
2 – Les Saxons envahissent la Normandie et sont défaits (chap. 96-99)
- Le roi Otton arrive sur l’Epte, puis sur l’Andelle (96)
- Attaque de Rouen par le neveu d’Otton qui est tué (97)
- Otton assiège Rouen sans succès, mais peut aller prier à Saint-Ouen (98)
- Panique nocturne dans le camp des envahisseurs : fuite d’Arnoul et défaite des Saxons à Maupertuis (99)
3 – Alliance entre Hugues le Grand et Richard (chap. 100-101)
- Éloge du jeune duc Richard (100)
- Hugues le Grand mourant confie à Richard son fils et sa famille (101)
2e partie : La Normandie de 959 à 996
I – Conflits avec le comte Thibaud de Chartres et le roi Lothaire (102-113) : 959-966
1 – Le piège de Brunon, archevêque de Cologne (chap. 102-106)
- Richard épouse Emma en 960 (102)
- Thibaud, comte de Chartres, veut réduire l’influence grandissante de Richard en Francia : il convainc la reine que la couronne de Lothaire est menacée (103)
- Thibaud suggère à Gerberge de faire intervenir son frère, Brunon, archevêque de Cologne (104)
- Venue de Brunon en Vermandois : il convoque Richard à un plaid. En s’y rendant, celui-ci apprend qu’il s’agit d’un piège et rentre à Rouen (105)
- La Francia est indignée du piège tendu par Thibaud et Lothaire ; portrait de Richard (106)
2 – Le piège de Lothaire (chap. 107-109)
- Sur les conseils de Thibaud, Lothaire propose une entrevue à Richard sur les bords de l’Eaulne pour sceller une nouvelle alliance (107)
- En route, Richard apprend que le roi l’attend avec Thibaud, Baudouin de Flandre et Geoffroi d’Anjou : il doit livrer combat au gué de Dieppe (108)
- Richard est contraint par ses hommes à rentrer à Rouen. Éloge du duc (109)
3 – L’invasion de la Normandie par Lothaire et Thibaud (chap. 110-113)
- Thibaud conseille au roi de prendre Évreux : prise d’Évreux que le roi concède à Thibaud (110)
- En représailles, Richard dévaste le pays chartrain et le Dunois. En réponse, Thibaud envahit la Normandie avec 3 000 hommes (111)
- Richard surprend Thibaud à Hermentruville, face à Rouen (112)
- Thibaud s’enfuit : il a perdu son fils et 640 hommes ; Richard incendie Chartres (113)
II – Difficiles négociations de paix, à cause des Vikings appelés en renfort (114-124) : 965-966
1 – Les Francs veulent négocier avec Richard pour faire cesser les pillages des Vikings (chap. 114- 118)
- Richard fait appel aux Danois qui s’installent sur l’île de Jeufosse (114)
- Les Vikings dévastent une grande partie de la France pendant cinq ans (114)
- Les évêques réunis en synode veulent mettre fin aux pillages : ils envoient une ambassade à Richard qui énumère tous ses griefs contre Thibaud et le roi (115)
- Thibaud envoie un moine négocier avec Richard (116)
- Thibaud vient de nuit rencontrer Richard pour négocier la paix (117)
- Richard fait dresser de grandes tentes pour accueillir les évêques et les comtes sur les bords de la Seine à proximité de Jeufosse (118)
2 – Embarras de Richard pour se débarrasser des Vikings (chap. 119-124)
- Les Francs et Richard sollicitent une trêve que les Vikings refusent (119)
- Le duc essaie d’inciter les Danois à quitter la Normandie pendant plusieurs semaines, sans succès ; il invite leurs chefs de nuit et les convainc par des promesses de dons (120)
- Richard leur expose les points essentiels de la foi chrétienne (121)
- Les chefs des Danois se laissent convaincre (122)
- Richard adresse aux Vikings ses dernières propositions : vives discussions entre eux durant plusieurs jours (123)
- À Saint-Clair-sur-Epte, la paix est conclue entre Lothaire et Richard ; le duc accueille les Vikings qui acceptent de se convertir et force au départ les autres (124)
III – Bilan de l’action du duc et sa mort (chap. 125-129) : 966-996
1 – Épouses et concubines du duc Richard (chap. 125)
- Mort d’Emma sans enfant
- Les enfants des concubines
- Richard épouse Gonnor, une noble danoise
2 – La fin d’un prince exemplaire (chap. 126-129)
- Action en faveur de l’Église : restaurations et nouvelles constructions
- Chantiers privilégiés : cathédrale Saint-Ouen de Rouen, abbaye du Mont Saint-Michel, collégiale de Fécamp (126)
- Portrait physique et moral du duc à la fin de sa vie (126)
- Richard, l’homme de toutes les béatitudes évangéliques (127)
- Les dernières décisions pour la succession du duc Richard ; sa mort édifiante (128)
- Deuil des Normands, inhumation à Fécamp (129).
Mots-clés éditeurs : duc Richard Ier, roi de France Louis IV d’Outremer, Thibaud de Blois-Chartres, roi de France Lothaire, Arnoul de Flandre, Otton roi de Germanie et empereur, Duché de Normandie
Mise en ligne 21/07/2014
https://doi.org/10.3917/annor.641.0013Notes
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[*]
Université de Caen Basse-Normandie.
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[1]
Dudon de Saint-Quentin, De moribus et actis primorum Normanniae Ducum, J. Lair (éd.), Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, t. XXIII, Caen, F. Le Blanc-Hardel, 1865 (ci après Dudon) ; H. Prentout, Étude critique sur Dudon de Saint-Quentin et son Histoire des premiers ducs Normands, Paris, Picard, 1916, p. 345-424 ; L. Shopkow, « The Carolingian World of Dudo of Saint-Quentin », Journal of Medieval History, 15, 1989, p. 19-37 ; P. Bouet, « Dudon de Saint-Quentin et Virgile : l’Énéide au service de la cause normande », Cahiers des Annales de Normandie, n° 23, 1990, Recueil d’études en hommage à Lucien Musset, p. 215-236 ; V. B. Jordan, « The role of Kingship in Tenth Century Normandy : Hagiography of Dudo of Saint-Quentin », Haskins Society Journal, 3, 1991, p. 122-135 ; Guillaume de Jumièges, Gesta Normannorum ducum, E. van Houts (éd.), Oxford, Clarendon Press, t. 1, 1992, p. 96-135 (ci après Guillaume de Jumièges) ; G. Huisman, « Notes on the Manuscrit Tradition of Dudo of Saint-Quentin », Anglo-Norman Studies, VI, 1993, p. 122-135 ; F. Lifshitz, « Dudo’ Historical Narrative and The Norman Succession in 996 », Journal of Medieval History, 20, 1994, p. 101-120 ; E. Albu Hanawalt, « Dudo of Saint-Quentin : The Heroic Past Imagined », Haskins Society Journal, 6, 1994, p. 111-118 ; P. Gatti, E. A. Degl’Innocenti (éd.), Dudone di San Quentino, Trente, Università degli Studi di Trento, 1995 ; F. Lifshitz, « Translating Feudal Vocabulary : Dudo of Saint-Quentin », Haskins Society Journal, 9, 1997, p. 39-56 ; P. Bouet, « Dudon de Saint-Quentin et le martyre de Guillaume Longue Épée », dans P. Bouet et F. Neveux, Les Saints dans la Normandie médiévale, Caen, Presses universitaires de Caen, 2000, p. 237-258 ; P. Bouet, « Dudon de Saint-Quentin : construction de la nouvelle collégiale de Fécamp », dans La Normandie vers l’an Mil, Rouen, Société de l’Histoire de Normandie, p. 123-129 ; J. Le Maho, « Grands travaux à la cathédrale de Rouen (avant 996) », dans La Normandie vers l’an Mil, Rouen, Société de l’Histoire de Normandie, p. 150-158.
-
[2]
Voir Libellus de revelatione aedificatione et auctoritate Fiscannensis monasterii, PL, 151, col. 721.
-
[3]
B. S. Bachrach, « Dudo of St Quentin and Norman Military Strategy c. 1000 », Anglo Norman Studies, XXVI, 2003, J. Gillingham (éd.), Woodbridge, Boydell Press, 2004, p. 28-29.
-
[4]
Dudon, 4, 122, ligne 1, p. 285.
-
[5]
Ibid., 4, 126, ligne 2, p. 290.
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[6]
Voir la synthèse dans les actes du colloque de Cerisy-la-Salle (25-29 septembre 2002) : P. Bauduin (éd.), Les fondations scandinaves en Occident et les débuts du duché de Normandie, Caen, Publications du CRAHM, 2005.
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[7]
Ibid., 4, 128, lignes 29-30, p. 297 : Cadaver tanti sceleris non requiescet infra aditum hujus templi, sed ad ostium in stillicidio monasterii.
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[8]
Ibid., lignes 37-38, p. 297 : In manus tuas, Christe, commendo spiritum meum.
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[9]
Ibid., 4, 129, lignes 34-35, p. 299 : Exinde manavit odor suavior fragrantia terebenthinae et balsami, afflans illorum olfactum.
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[10]
Guillaume de Jumièges, 4, 17, p. 128.
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[11]
Dudon, 4, 125, lignes 14-15, p. 289.
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[12]
Guillaume de Jumièges, 4, 18, p. 128-130 : Ipse vero non multo post quemdam speciosis simam virginem nomine Gonnor, ex nobilissima Danorum prosapia ortam, sibi in matrimonium christiano more desponsavit. Ex qua filios genuit Ricardum videlicet et Rodbertum atque Malgerium et duos alios necnon filias tres.
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[13]
Dudon, 4, 126, lignes 1-2, p. 290 : justisque legum habenis plebem strenue regebat.
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[14]
Nous avons un portrait physique du duc dans un âge avancé : « C’était un homme de très belle apparence, de grande taille, à la chevelure très blanche, au regard brillant et à l’œil vif, au nez et à la mâchoire remarquables, à la barbe longue et blanche ». Dudon, 4, 126, p. 291-292 : specie pulcherrimus, canis praecandidis repletus, superciliis acieque oculorum coruscus, naribus malisque splendidus, barba canifera et prolixa honoratus, statura procerus, etc.
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[15]
Les ennemis de Richard le qualifient de : vir tantae elationis (104, l. 11-12, p. 266) et adolescens tantae superbiae (94, l. 60, p. 252).
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[16]
Dudon, 4, 84, p. 129.
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[17]
Ibid., 4, 88, p. 244.
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[18]
Ibid., 4, 88, p. 244-245.
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[19]
Gerberge était la fille du roi de Germanie Henri (919-936) et la sœur d’Otton, roi de Germanie en 936, puis empereur en 962 : Ibid., 4, 88, p. 245 : Henricus autem rex Gebergae reginae, filiae suae, non se venturum remandat ob obsidionem ad Rotomagum, quia merito et digne atque ultione Dei rex Luthdovicus acquisitum praejudicio patiebatur hunc casum, quia filium Willelmi ducis qui pro fidelitate sua Arnulfi perfidia occubuit captum in custodia tenuit totamque regionem Northmannicam, quam suus avus praeliis acquisivit, sibi injuste vindicavit.
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[20]
Parmi les adjonctions les plus importantes, il faut retenir : Osmond aurait pris conseil auprès d’Yves (père de Guillaume de Bellême), pour faire évader Richard (4, 4) ; il aurait caché l’enfant dans une gerbe de paille ou de foin et l’aurait porté sur ses épaules (4, 4) ; Raoul le Tort était un agent du roi franc, qui restaura la ville de Rouen en enlevant les pierres des abbayes détruites par les Vikings, en particulier celle de Jumièges (4, 6) ; Hagrold, fils du roi de Danemark, était venu avec 60 navires à l’époque de Guillaume Longue Épée, qui l’aurait installé dans le Cotentin (4, 7) ; la ville d’Évreux fut prise à cause de la trahison de Gilbert Machel (4, 15).