Professeur à la Cornell University, Judith Surkis apporte ici une contribution de taille aux recherches sur le genre et la sexualité en situation coloniale, illustrant l’importance prise par l’historiographie américaine sur ces aspects. Plus que sur la sexualité proprement dite, ce travail interroge la vision par les autorités coloniales des familles musulmanes et des rapports de genre en Algérie. Le propos, richement documenté et étayé par une approche théorique solide, est charpenté par deux propositions principales. Premièrement, dans le sillage de Julia Clancy-Smith, l’autrice considère que la condamnation des pratiques sexuelles et de la structure des familles musulmanes tint une place centrale dans la perception de l’islam par les autorités et les élites françaises (politiques, juridiques ou culturelles), conduisant à une vision fantasmée et rigide de la société musulmane algérienne. Celle-ci fut perçue de façon croissante à travers un prisme sexualisé associant la polygamie, le mariage forcé et la répudiation, indépendamment de la diversité des pratiques. La généralisation de ces stéréotypes eut une influence majeure tant dans la délégitimation de toute demande d’égalité civique et politique entre Européens et musulmans que dans le démembrement des droits de propriété locaux, notamment collectifs, au profit de la « francisation » des terres. J. Surkis prouve ainsi combien l’histoire des représentations et du genre fut intimement liée aux enjeux fonciers et à l’élaboration d’une conception exclusive de la citoyenneté française associant le Code civil, la nationalité et des représentations spécifiques, plus ou moins explicites, de la morale sexuelle, de la propriété et du patriarcat…