Le titre de l’ouvrage de Sebastian Roebert, « La reine au centre du pouvoir », vaut manifeste. Il ne s’agit pas d’une biographie d’Éléonore de Sicile, troisième épouse (1349-1375) du roi d’Aragon Pierre IV (1336-1387), mais d’une enquête sur le rôle de cette reine dans le dispositif complexe de la monarchie aragonaise, sur la « domination/seigneurie réginale » (reginale Herrschaft), sa nature, ses manifestations et ses limites. Dans les sources latines et catalanes où il est fréquemment employé, l’adjectif « réginal » (reginalis, reginal) témoigne, selon l’auteur, de la conscience d’une domination spécifique exercée par la reine, différente de celle du roi. L’analyse de cette « réginalité » aboutit à une thèse clairement énoncée : la reine est pleinement intégrée dans le système de la monarchie, elle participe activement à sa politique, avec une « forme pragmatique d’inclusion […] dans les procédures régulières de l’administration centrale » (p. 528), au moment même où celle-ci se renforce.
Le livre se situe de manière originale au croisement de plusieurs domaines de recherche profondément renouvelés : la diplomatique, les correspondances et, plus généralement, l’histoire de l’écrit, celle de la couronne d’Aragon, l’étude du pouvoir des reines ainsi que, dans une moindre mesure, les gender studies. Fondé sur une riche bibliographie en huit langues, le propos emprunte d’abord une structure classique dans les thèses allemandes, avec des réflexions théoriques et un état de la recherche complétés par une évocation du cadre historique et une présentation des sources…